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Benoit XVI, vers la démission divine

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Comme il est loin le temps où il était facile de neutraliser les papes qui déplaisaient aux puissants de ce monde. Epoque bénie où ils pouvaient, sans trop de difficultés, être martyrisés (saint Pierre, saint Callixte, saint Pontien…), assassinés (Formosus, Jean XIV…) ou même assignés à résidence dans le Vaucluse (1309-1376). Il semble plus délicat désormais de régler ce genre de problème si simplement, même si certains, tels les commanditaires d’Ali Agca, s’y sont courageusement essayés. On en déduira donc que la voie démocratique est la plus raisonnable pour se débarrasser de l’encombrant Benoît XVI, et qu’il faut donc, faute de rémission, exiger sa démission, ainsi que nous l’a prouvé l’ami XP sur Ilys.

L’AFP plombée par les syndicats

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Dans la joyeuse foire des « sauvons… » (la recherche, la fac, le vin rosé, l’hosto ou la poste), on trouvera un appel angoissé des syndicats de l’Agence France-Presse, accompagné d’une pétition invitant le bon peuple à se mobiliser contre les projets pervers du pouvoir relatifs à l’évolution de cette institution. Cette pétition a reçu le soutien des leaders politiques de la gauche et de l’extrême gauche, d’universitaires de renom, et de « grandes plumes » du Tout-Paris médiatique.

Le SOS-AFP lancé depuis la place de la Bourse, siège de l’agence, par les soutiers de ce supposé Titanic du monde de l’information, tente d’accréditer l’idée que l’Elysée, relayé dans la maison par son PDG Pierre Louette, cherche à miner l’indépendance rédactionnelle de l’agence en la transformant en société commerciale, avec une ouverture du capital à des investisseurs privés.

La défense du statut de l’agence, qui date de 1957 lors de sa création par le gouvernement de Guy Mollet, serait donc, pour nos valeureux syndicalistes l’alpha et l’oméga d’un combat décisif pour la liberté de la presse dans notre pays. On brandit donc comme une bannière l’article 2 §1 de ce statut qui stipule : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Qui ne souscrirait à ce programme qui inscrit dans le marbre l’indépendance, donc la qualité rédactionnelle d’une institution sur laquelle s’appuie la quasi totalité de nos médias ?

Et hop, on signe la pétition et on se sent meilleur, de gauche et bien dans ses baskets ! Puisque les syndicats vous le disent, pas besoin d’aller y voir de plus près, cela risquerait de nous embrouiller la tête. Ce qui suit est donc réservé au seul usage des enquiquineurs, néo-réacs, et autres suppôts de la droite liberticide.

Au bout d’un demi-siècle d’activité, il faut bien constater que la France, à travers l’AFP, a réussi à se hisser dans le trio de tête mondial des agences d’information, à côté de la britannique Reuters et de l’américaine Associated Press. D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se contentent d’avoir des agences moins ambitieuses, qui alimentent uniquement leur marché national en nouvelles. L’AFP continue à jouer dans la cour des grands, diffusant des « fils » en anglais, allemand, espagnol et arabe, partant à la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, et se projetant dans un avenir où le multimédia l’emportera sur l’imprimé.

Alors que pour Reuters, l’information générale n’est qu’une vitrine peu rémunératrice d’une entreprise essentiellement rentable par son service d’informations financières, et qu’AP est adossée aux médias des Etats-Unis, l’AFP ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni des revenus d’une activité dans le secteur financier pour assurer son fonctionnement et son développement à l’échelle mondiale.

Alors qui paye ? Comme d’habitude, vous et moi, par l’intermédiaire des fonds alloués par l’Etat à l’AFP, sous la forme d’abonnements souscrits par les administrations à des tarifs qui, en principe, devraient garantir l’équilibre des comptes de l’agence. Ces revenus, qui, bon an, mal an, constituent 40 % des ressources de l’AFP l’exposent à la critique, serinée par la concurrence, d’être une « agence d’Etat » du style Tass ou Chine nouvelle, dont la crédibilité serait entachée par sa dépendance financière de l’Etat français. C’est de bonne guerre, même si dans les faits on peut constater qu’à de rares exceptions près, le traitement de l’actualité mondiale par l’AFP est tout à fait comparable à celui de ses concurrentes privées.

Par ailleurs, le conseil d’administration de l’AFP, qui comprend seize membres donne la prééminence aux représentants de la presse (8) sur ceux de l’Etat (3). Le plus gros contingent des administrateurs vient de la Presse quotidienne régionale (PQR), qui n’ont qu’un souci : maintenir les tarifs d’abonnement les plus bas possibles, en se fichant du rayonnement mondial de l’AFP comme de l’an quarante. Il suffit de feuilleter l’un de ces quotidiens, et d’y voir la place consacrée à l’actualité nationale et internationale pour comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une Rolls de l’info pour alimenter leurs pages…

L’Etat est donc prié de mettre la main au portefeuille chaque fois qu’il s’agit de modernisation technologique, de création de nouveaux services liés à l’émergence de nouveaux médias, bref des investissements nécessaires pour assurer le développement de l’Agence.

Or, dans l’immédiat, il est vital pour l’AFP de se doter du système 4XML qui permet de livrer aux clients des dépêches incluant des sons et des vidéos, ce qui nécessite un investissement de 21 millions d’euros. C’est tout l’enjeu de la négociation sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens) actuellement menée avec l’Etat par la direction de l’Agence.

Il n’est donc pas tout à fait insensé pour les pouvoirs publics de commencer à réfléchir aux moyens de permettre à une entreprise de communication dont la réussite est indéniable, d’affronter la nouvelle donne de l’information mondialisée avec des structures rajeunies, permettant notamment l’entrée dans le Conseil d’administration de l’AFP d’investisseurs ayant intérêt à son développement et à sa rentabilité. D’autre part, un Etat démocratique n’a pas pour vocation d’être un acteur direct dans le secteur de l’information, même s’il doit veiller à ce que le pluralisme et la liberté d’expression soient respectés.

Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser le loup capitaliste entrer dans la bergerie AFP, ce douillet cocon où ils assuraient jusque là une gestion clientéliste du personnel ( la CGT locale a fait pendant longtemps le pluie et le beau temps dans les promotions et les mutations de journalistes). Il veulent le beurre et l’argent du beurre : que l’Etat paye sans avoir son mot à dire sur la stratégie de l’entreprise, et qu’il ne s’avise surtout pas d’exercer la moindre pression sur les contenus rédactionnels au nom du sacro-saint statut. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que cette situation n’est pas tenable, et cela d’autant moins que la crise structurelle de la presse renforce encore le poids de l’Etat dans l’agence. Quelques incidents récents, comme l’exigence de l’UMP de voir tous ses communiqués systématiquement répercutés par l’AFP, où des phénomènes d’autocensure à la rédaction en chef[1. Ainsi, la rédaction en chef retint plusieurs heures le scoop du bureau de l’AFP de Prague rapportant la fuite, dans un hebdomadaire tchèque, du compte rendu d’une réunion de Nicolas Sarkozy avec le premier ministre Topolanek, de peur d’indisposer le président de la République. Résultat: la concurrence sortit l’histoire avant l’AFP.] montrent que cette dépendance trop exclusive est dommageable au fonctionnement et à la réputation de l’agence dans un monde où la concurrence est féroce. Dans ce contexte, la diversification des investisseurs, où la puissance publique ne serait plus la seule à mettre de l’argent au pot, constitue un plus en terme d’indépendance rédactionnelle, car la crédibilité d’une entreprise de presse est un élement de son capital immatériel. Le rêve d’une Agence d’Etat sans Etat par des syndicats qui carburent à l’idéologie du statut de 1957 est du même ordre que le célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, invention de l’immortel Georg Friedrich Lichtenberg.

Pénurie de chanteurs à la Nouvelle Star

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Les chanteurs ne poussent pas sur les arbres. Il n’y a plus, chaque année, une nouvelle génération de performers capables de meubler les prime-time de M6 pendant deux mois. Nous sommes un petit pays. C’est ce que constatent en ce moment les producteurs de la Nouvelle Star, le télé-crochet bien connu, après avoir écumé l’hexagone ces dernières semaines. Après quelques émissions d’auditions catastrophiques (des dizaines de milliers de candidats tous plus nuls les uns que les autres), les jurés ont bien du mal à trouver les dix finalistes qui sont censés enthousiasmer les téléspectateurs et générer des coups de téléphone surtaxés. Personne n’est coupable dans cette affaire. Ni le jury, ni la production, ni la chaîne. Tout cela n’a d’ailleurs aucune importance. Il est juste assez poilant qu’une belle mécanique audio-visuelo-industrielle comme la Nouvelle Star, déclinaison de la version US American Idol, se casse les dents sur une simple donnée démographique. Tous les “bons” candidats ayant été utilisés, il ne reste plus à M6 que des tocards façon Cindy Sanders à se mettre sous la dent. Pas de Christophe Willem, de Julien Doré ou d’Amandine à l’horizon cette année. Une émission tous les dix ans permettrait d’éviter la catastrophe qui s’annonce.

Y’a bon diversité

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« Il est de moins en moins rare de voir un Noir, un Arabe ou un Asiatique dans un spot ou sur une affiche publicitaire en France. Mais ces représentants de la diversité jouent encore bien souvent des rôles secondaires. Ce sont, à grands traits, les conclusions de l’étude publiée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), lundi 23 mars. » Voilà ce qu’expliquait Laurence Girard dans Le Monde de mercredi dernier.

Là où je divergerais, en revanche, de mon excellente consœur c’est, curieusement, sur les leçons qu’on pourra tirer de cette étude, menée à partir de 56 000 pubs. Là où d’aucuns, au Monde ou chez ses mécènes, les annonceurs, décèleront un message encourageant, je ne verrai, moi, que des motifs d’insatisfaction et de stupéfaction.

Tout d’abord, on pourra s’étonner qu’on se félicite de voir des divers entrer enfin dans nos réclames, alors que le plus célèbre d’entre eux en avait été heureusement banni, justement parce qu’il était noir, je pense bien sûr au tirailleur sénégalais de Banania.

Ensuite, on pourra s’indigner de voir le quotidien de référence et l’ARPP se contenter d’une définition de la diversité très datée, et pour tout dire bien peu diverse. A cet effet, une consultation approfondie des travaux de la Halde les aurait instruits, en plus de les avoir distraits. On nous y parle certes de Noirs[1. Tiens, au fait, comment se fait-il que personne n’ait encore songé à nous imposer la douce dénomination d’ «Africains-Européens » ? Lozès, Calixte, Glissant, vous dormez, ou quoi ?], d’Arabes, d’Asiatiques, avec les majuscules que le nouveau Code Pénal doit sans doute recommander, mais quid des Femmes, des Séniors, des Handicapés, des Gays et des Multicartes ? Car ramener la diversité à sa seule dimension ethnique, c’est considérer que cette question, disons-le, raciale, est centrale. Et là, amis pubeux, gare à la jurisprudence Zemmour-Camus !

Car en matière de diversité diverse, le bilan des créatifs est calamiteux ! Je n’ai certes pas procédé à 56 000 explications de gravures, mais j’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne me souviens pas d’un seul octogénaire dans les spots pour Pampers ou pour l’Armée de terre. J’exagère ? Ok… Mais vous en voyez beaucoup, vous, des handicapés en fauteuils dans les pubs Nike, des trisomiques vantant Heineken ou des aveugles chez Afflelou ? Et pourtant, ils en achètent, eux aussi, des baskets, de la bière et des lunettes noires. Mais curieusement, on ne les a pas convoqués pour le casting. Sans doute auraient-ils dû envoyer des CV anonymes.

Histoire d’enfoncer encore plus le clou, parlons d’une discrimination que la Halde, faute de moyens sans doute, n’a pas encore songé à stigmatiser : celle dont souffrent nos concitoyens atteints de surcharge pondérale. Vous avez déjà vu un môme grassouillet dans une pub Nutella ? Une énorme dondon faire la promo des soldes aux Galeries ? Même les filles qui font les pubs des boissons light, des régimes amincissants ou des clubs de gym font toutes du 34 !

De qui se moque-t-on ? De nous ! Qui est coupable ? Le totalitarisme publicitaire ! Y a-t-il des complices ? Oui, nous tous ! Comme le soulignait Elisabeth dans la conclusion de son papier sur Séguéla et comme le disait il y a déjà deux cents ans Jean-François de La Harpe : « Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme[2. In Le triomphe de la Religion, un poème épique posthume de 1814. J’ai l’air très érudit comme ça, mais c’était l’exergue de L’Idiot International.]. » Moi aussi, si je ne voyais que des gros lards dans les spots McDo, je demanderai l’asile politique chez Quick.

Alors à propos de diversité dans la pub, de grâce, qu’on ne vienne donc pas nous sortir sous le nez l’intégration, l’antiracisme ou autre make-up citoyens. C’est déjà bien assez déprimant de savoir qu’on est tous assez cons pour croire nolens volens aux spots des publicitaires, faudrait pas qu’ils comptent sur nous pour leur décerner un prix de vertu. Si, sur nos murs, on voit de plus en plus d’arabes, de noirs ou de jaunes sur des 4×3, c’est parce qu’on espère leur vendre des 4×4.

Le métier des publicitaires, leur seul métier, c’est de vendre. Et, plus exactement, nous vendre sous le même packaging le produit et l’idéologie qui va avec : Yabon Banania au bon vieux temps des colonies, Yabon l’intégration aujourd’hui. Il nous faut le reconnaître, comme Marx ne se gêna d’ailleurs jamais pour le faire : chapeau, les mecs, il y a bel et bien un génie du capitalisme !

L’immense écrivain américain Nick Tosches, peu porté sur le radotage, a rappelé la même anecdote dans plusieurs romans et essais et il a eu raison d’insister, elle est un concentré absolu de modernité. Dans les années 1960, celles des luttes pour les droits civiques, on avait interrogé le colonel Sanders, créateur de Kentucky Fried Chicken et censé être un sudiste grand teint et un anti-intégrationniste convaincu. La question était : « Colonel, que pensez-vous vraiment des noirs ? » Et sa réponse fut lumineuse : « Ils mangent du poulet, non ? » Le Colonel avait compris que les vents dominants avaient tourné, et que les untermensch, après n’avoir eu pendant des millénaires que le droit de bosser, se taire et crever, allaient désormais être eux aussi éligibles au droit de vivre et penser comme des porcs.

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Surprise : l’Académie française élit un écrivain !

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François Weyergans a été élu au troisième tour, de justesse, à l’Académie française, ce jeudi 26 mars. Weyergans est l’auteur, notamment, du remarquable Radeau de la Méduse, de Je suis un écrivain ou encore de Trois jours chez ma mère, prix Goncourt 2005. Même si l’on est un peu triste pour François Taillandier et Renaud Camus, également candidats, on se consolera en prédisant qu’ils ont toutes leurs chances pour les scrutins à venir : avec ce choix-là, les Immortels se reprennent à élire un écrivain qui sait écrire – ce qui devenait rare ces derniers temps. Non seulement les habits verts n’élisaient plus personne puisqu’il y eut jusqu’à huit sièges vacants en 2008, mais avoir écrit des romans ou des poèmes semblait même devenir un handicap. François Weyergans a été élu au siège d’Alain Robbe-Grillet, célèbre ingénieur agronome, et se retrouvera en compagnie de géopoliticiennes comme Hélène Carrère d’Encausse, manière de boussole qui indique toujours le sud, d’anciens présidents de la République centristes comme Valery Giscard d’Estaing, auteur d’un pastiche de Maupassant, ou encore de critiques littéraires qui se prennent pour Proust comme le karateka Angelo Rinaldi. Ce sont Michel Déon, Félicien Marceau, Michel Mohrt et Jean Dutourd qui, pour le coup, vont se sentir moins seuls.

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Le seuil d’intolérance

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On croit souvent que la chasse aux sorcières est une pratique du Moyen Âge. On se trompe doublement. D’abord parce que ce sport était plutôt prisé du temps de François Ier et de Louis XIV que de celui de Saint-Louis, et puis parce que certains milieux, en France, aujourd’hui, s’y adonnent avec un enthousiasme et une dextérité dignes des Puritains du XVIIe siècle. Depuis un an, une grande partie de la communauté des historiens médiévistes est en train d’en faire la démonstration à travers un cas qui mérite bien le titre d’ »affaire Sylvain Gouguenheim ». Selon ces universitaires, douter de l’apport essentiel de la civilisation islamique à l’Europe chrétienne n’est pas une erreur à discuter et éventuellement à corriger, mais une hérésie à combattre.

Médiéviste et germaniste, Sylvain Gouguenheim enseigne à Normale Sup Lyon (ENS-LSH, Lettres et Sciences humaines). Sa mission consiste essentiellement à préparer des étudiants à l’agrégation. Dans l’affaire qui lui vaut d’être ostracisé par l’institution et par l’ensemble de la communauté enseignante, le soutien de ses élèves témoigne en faveur de ses compétences pédagogiques. Il les revendique avec passion. Gouguenheim est d’abord un professeur.

Avant « l’affaire », il était un historien sans histoires. Son domaine de recherche, le Moyen Âge allemand, plus précisément la pensée mystique en pays rhénan au XIIe siècle ou les Chevaliers teutoniques, n’avait pas attiré l’attention des censeurs. L’envie lui a pris de s’attaquer à un sujet à plus haute teneur idéologique : le rôle des moines et des monastères d’Europe occidentale dans la transmission du savoir grec à l’Occident. En s’autorisant un pas de côté par rapport à la thèse communément répandue d’une transmission exclusivement opérée par le monde islamique, Gouguenheim s’est, semble-t-il, mis au ban de la communauté historienne. Faut-il un conclure que tout ce qui a trait à l’islam relève d’une recherche pré-balisée ?

La démarche de l’auteur n’a pourtant rien d’extraordinaire. L’historien israélien Shlomo Sand, spécialiste en histoire intellectuelle des XIXe et XXe siècles, a récemment publié un livre polémique, Comment le peuple juif fut inventé, où il traite de questions et de périodes qui n’appartiennent pas à ses champs de compétences académiques. Pourtant, cette contribution au débat sur le sionisme et la légitimité de l’Etat d’Israël a été plutôt bien accueillie, et, en France, l’ouvrage a même été couronné par le prix Aujourd’hui. On n’a pas assisté à une levée de bouclier des professionnels de l’histoire biblique ou hellénistique pour dénoncer les motivations et les compétences de l’auteur. Et le débat a pu avoir lieu.

Gouguenheim n’a pas eu cette chance. Son ouvrage aurait pu susciter une discussion sans concession mais honnête. Ses détracteurs auraient déployé contre lui des efforts d’argumentation. Ils ont préféré l’indignation et l’invective, en contravention avec toutes les règles de la courtoisie académique et de l’échange intellectuel. Quelques semaines après la publication aux éditions du Seuil, de Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne, en avril 2008, il découvrait que son intuition ne l’avait pas trompé : il avait touché à un sujet sensible. Mis les pieds dans une zone dangereuse. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est la violence de la tempête qui allait s’abattre sur lui.

Dans les premières semaines, la réception du livre semble pourtant encourageante. Après tout, il a été accepté par le Seuil et publié dans la série prestigieuse « L’Univers historique ». Très vite, l’ouvrage est traité dans deux articles favorables et même élogieux : dans Le Monde sous la signature de Roger Pol-Droit et quinze jours plus tard dans les colonnes du Figaro, sous celle de Stéphane Boiron. Même après ces deux recensions, il suffirait que les adversaires de Gouguenheim s’en tiennent à un silence glacé et on en resterait là : le livre passerait des librairies aux oubliettes et les idées supposément pernicieuses qu’il contient ne risqueraient pas de pervertir l’esprit public. Mais pour la corporation des historiens – qui se montre mieux inspirée quand elle combat pour la liberté de penser que quand elle la combat – le silence est encore un châtiment trop doux. Un article dans Le Monde et un autre dans Le Figaro ne valent-ils pas, pour le grand public, tous les honneurs académiques ?

C’est d’ailleurs dans Le Monde des Livres qu’est lancée la contre-attaque – encore qu’il n’y a pas eu « attaque ». Télérama et Libération publient à leur tour des textes de réfutation. À ce stade, on pourrait encore en rester à un débat, vif, mais un débat tout de même, sur une thèse provocatrice destinée au grand public. Ce genre de querelle d’historiens défraie la chronique de temps à autre ; on s’empaille sur la comparaison entre nazisme et stalinisme ou sur des questions telles que « les poilus, acteurs ou victimes ? ». Sauf que cette fois-ci, les arguments ont vite laissé place aux invectives et la saine polémique à une guerre sainte contre Gouguenheim. Il n’avait déjà pas dû être très agréable à celui-ci de voir les ténors de sa discipline mettre sa thèse en pièces. Loin de se contenter de ce bizutage public, certains décident de s’en prendre personnellement à l’auteur. Pour son crime de mauvaise pensée, une seule peine s’impose : la mort professionnelle. L’indignation – sincère quoique disproportionnée – des uns se mêle à des arrière-pensées moins avouables. Beaucoup, dans leur for intérieur, trouvaient intolérable qu’un non-normalien fût admis à enseigner dans ce temple de l’excellence. D’autres aimeraient bien pousser vers la sortie la directrice de collection qui a accepté le livre. Bref, derrière les motivations les plus savantes et les plus nobles, se joue aussi l’une de ces parties de billard à plusieurs bandes si caractéristiques de notre République des lettres. L’ennui, pour Gouguenheim, c’est qu’il joue le rôle de la boule.

Des pressions sont exercées sur la direction de l’ENS afin de la pousser à se désolidariser de son professeur. Celui-ci comprend vite qu’il ne peut pas compter sur le soutien de ses supérieurs. L’affaire prend des allures de lynchage. La quasi totalité des professeurs de la maison, y compris certains qui n’ont pas lu une ligne de l’ouvrage, signent une pétition haineuse contre Gouguenheim qui est presque totalement isolé. On revisite avec des airs entendus ses précédents travaux : bizarre, non, cet intérêt pour les Chevaliers teutonniques ? Son quotidien devient infernal. À l’exception de ses élèves, plus personne ne lui adresse la parole.

Certes, des spécialistes aussi reconnus que Rémi Brague, Christian Jambet, Dominique Urvoy ou encore Gérard Troupeau, le défendent – sans pour autant valider l’ensemble de sa thèse. Jacques Le Goff, médiéviste mondialement réputé, juge le livre « intéressant mais discutable ». Mais pour la corporation, il n’est pas question de discuter. Au mépris de toute déontologie, un colloque sur sa thèse est organisé le 4 octobre 2008 avril à la Sorbonne. Pourquoi s’imposer l’ennui d’un débat contradictoire quand on est convaincu de sa propre légitimité ? En fait de discussion, c’est à une descente en flamme que se livrent tous les orateurs. Les organisateurs de la réunion n’ont pas jugé utile d’inviter Gouguenheim, ni même l’un de ses défenseurs. « Il ne s’agit pas d’instruire le procès d’un auteur ni d’instaurer une police de l’intelligence », proclament-ils. On m’accordera que c’est mal imité. Dans un tribunal, l’accusé aurait au moins été invité à s’expliquer. Le plus désolant est peut-être que Fayard s’apprête à publier le compte-rendu de ce procès à charge dans une collection nommée « Ouvertures » – ça ne s’invente pas.

Peut-être les détracteurs de Gouguenheim ont-ils, en partie ou totalement raison quand à la pertinence de sa thèse – je me garderai bien d’en juger. Leurs méthodes, qui consistent à abattre un auteur au lieu de critiquer ses idées, n’en sont pas moins injustes et indignes de la communauté universitaire. Il est ignoble d’accuser Gouguenheim d’islamophobie et de faire de lui un promoteur du « choc des civilisations ». C’est plutôt en prétendant soustraire non seulement l’islam mais aussi l’histoire du monde islamique à la liberté de la critique et de la recherche qu’on creusera un fossé entre les civilisations.

Les auteurs de ces attaques portent une lourde responsabilité. L’affaire Gouguenheim a en tout cas changé de registre, glissant de la controverse académique au procès stalinien. La question n’est pas, n’est plus, le rôle de tel ou tel moine obscur, les compétences linguistiques de Sylvain Gouguenheim ou ses supposées erreurs et approximations. Ce n’est plus le contenu du débat qui importe mais le débat lui-même, ses limites et ses règles et, en vérité, sa possibilité même. Ce qui est en jeu, c’est la liberté de s’exprimer et même de se tromper, sans craindre pour son honneur ou son avenir professionnel, sans avoir à redouter d’être victime de harcèlement moral. En ce moment, c’est la seule question qui vaille.

Alain Robbé

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Né en 1535 à Bordeaux, dans une famille de négociants en eau minérale, Alain Robbé est l’un des plus grands botanistes, hommes politiques et cordonniers de Gironde. La postérité garde notamment de lui un magnifique opuscule sur l’art de cueillir les cerises avec la queue et un admirable traité : Chausser bottes et y rester droyt (1563). En décembre 1576, Montaigne, qui était son principal adversaire, dit de lui : « Alain Robbé n’a point de cœur. » Incontinent, Alain Robbé provoque Montaigne en duel[1. Montaigne parle évidemment de cet épisode dans ses Essais, mais je ne sais plus à quelle page. A coup sûr la page 50 ou la 1162. Faut voir.]. Il le perd. Et c’est cette année-là que l’on vit Alain Robbé manger sa fraise en hiver. Le peintre Nicolas Notat représente ici Alain Robbé à la veille du duel, alors qu’il a encore sa fraise et qu’il consulte, par acquit de conscience, le Guide du Routard de la Nouvelle France.

Nicolas Notat, Portrait d’Alain Robbé, 1581, huile sur toile, conservée dans la salle des Conseils de la CFDT.

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Un film bien troussé

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« Le come-back d’Adjani, deuxième : après avoir déchaîné les connexions sur YouTube pour une vidéo où on la découvre le visage recouvert d’un henné géant, l’actrice revient au cinéma dans le rôle d’une prof malmenée qui va prendre ses élèves en otage. La Journée de la jupe associe le thème en vogue de l’éducation à un catastrophisme très anglo-saxon. En surface, le film fait la chasse aux idées reçues, renvoyant dos à dos les discours sur l’école – ou trop laxiste, ou trop vieux chnoque. Mais derrière les caricatures d’un prof qui lit le Coran pour se rapprocher de ses élèves, ou d’un proviseur taxé de lâcheté parce que pas assez restrictif, c’est un retour aux bonnes vieilles méthodes répressives qui est finalement défendu. En réalité, la posture anti-langue de bois n’est qu’un écran de fumée dissimulant (mal) une pensée plutôt réac. Un autre genre de maquillage celui-là, moins drôle. »

Voilà ce qu’écrivent les Inrocks sur le film de Jean-Paul Lilienfeld, La Journée de la jupe. Disons-le sans ambage : une telle critique de la part des Inrockuptibles, cela ne peut être qu’un brevet de qualité. Isabelle Adjani, qui fait dans ce film une prestation hors du commun, a épousé le côté réac’ en déclarant sur le plateau du JT de France 2 dimanche : « L’Ecole, c’est un lieu de Culture, pas un lieu de libre-expression. » On respire. On croyait que plus personne n’oserait l’affirmer dans à une heure de grande écoute, à part Finkielkraut ou Zemmour. J’ai beaucoup de respect pour ces derniers mais, franchement, Adjani, pour faire passer ce message, c’est plus sexy. Tout n’est pas perdu.

Cantet et Bégaudeau[1. Il se murmure que « le plus mauvais prof de France devenu star » aurait l’idée de reprendre le FC Nantes avec l’objectif de retrouver les racines sportives de ce club, que ce dernier recouvre ses valeurs ainsi que son « jeu à la nantaise ». Bégaudeau, réactionnaire du foot ? Vous avez dit « paradoxe » ?] n’ont peut-être pas encore gagné la partie. Et Sarkozy, l’assassin de la Princesse de Clèves, non plus. Les IUFM n’ont pas réussi à formater tous les enseignants. Partout, dans notre pays, des professeurs ne baissent pas la garde. Si on ne devait en citer qu’une, ce serait Cécile Ladjali[2. Mauvaise Langue, Seuil 2007 ] qui abreuve ses élèves de culture classique dans un lycée ZEP. Il y a quelques années, L’esquive d’Abdellatif Kechiche avait été saluée par la critique. Ces élèves qui jouaient Marivaux en banlieue, c’était déjà un coup de canif à la théorie de « l’élève au centre ». Mais peu l’avaient fait remarquer. Les commentaires flatteurs n’allaient qu’à la meilleure image que le film donnait de la banlieue.

Avec Adjani et Lilienfield, on fait passer le même message à travers un thriller. C’est la démagogie, les compromis, les compromissions qui génèrent le désordre, la violence et l’inculture. A moins que cela ne soit l’inverse[3. Qui est la poule ? Qui est l’œuf ? En tous le cas, c’est un modèle de cercle vicieux.]. Le film est violent, Adjani est sublime et les messages sont clairs et s’adressent à tous, petits caïds de banlieue compris : la laïcité n’est pas négociable[4. Ce message s’adresse à un autre caïd, logé au Palais de l’Elysée.], le communautarisme ne doit pas passer.

Ce film n’est diffusé que dans 53 salles[5. Pour mémoire, le film de Gad Edmaleh est sorti le même jour dans… 800 salles.]. Trop politiquement incorrect, sans doute. Frilosité de la part des pontes du ciné français ? Ou volonté délibérée de faire échec au message ? Grâce à Arte, qui a battu son record d’audience vendredi dernier en diffusant La journée de la jupe en avant-première, c’est raté. Le message est passé. Merci Adjani, merci Lilienfeld, merci Jérôme Clément. Le Printemps arrive. Les jupes, je l’espère, seront bientôt de sortie.

Pédé ? Coco ? Vite, un docteur !

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Le journal scientifique anglais BMC psychiatry dans une enquête publiée le jeudi 26 mars indique que des thérapeutes anglais proposent encore fréquemment des « traitements » pour guérir de l’homosexualité. Cette vision des choses qui fut très à la mode dans les années 1960 et 1970 perdure aujourd’hui et demeure partagée par 4 % des médecins qui encouragent leurs patients à retrouver une orientation hétérosexuelle « normale ». Cela est d’autant plus choquant que l’Angleterre est coutumière de ce genre de médicalisation des comportements. Ainsi, en 1979, le docteur Margaret Thatcher avait-elle considéré que les règles de la common decency et du welfare state étaient contre nature et immorales. Elle avait décidé de guérir ses concitoyens de leurs perversions par une thérapie de choc pour retrouver l’ordre naturel et sain de la société qui est, comme chacun peut le constater tous les jours, le capitalisme financier.

Le capitalisme a vécu sa nuit du 4 août

C’est bien à une nouvelle nuit du 4 août à laquelle on a assisté le 26 mars. Ce n’est pas le jeune duc de Noailles qui a déposé devant la nation titres et privilèges mais les dirigeants de GDF-Suez qui ont abandonné leurs stock-options.

Depuis une semaine, se succédaient les nouvelles de dirigeants de sociétés en quasi faillite ou sauvées par l’Etat obligés d’abandonner leurs immenses privilèges auto-attribués. La réprobation unanime de ces débordements a atteint un tel degré dans l’opinion que même une société largement bénéficiaire comme GDF-Suez a été contrainte une journée après l’annonce de cette attribution de stock-options de faire volte-face et à y renoncer.

Pourquoi ? Parce que ses dirigeants qui n’ont pourtant pas à craindre d’être accusés de mauvaise gestion ou de prévarication ont compris les premiers (il aurait pourtant mieux valu qu’ils le comprennent une journée plus tôt !…) que le capitalisme serait désormais moral ou ne serait plus. Enfin !…

Car cela fait plus de trente ans que c’est engagé le grand mouvement de conversion de l’Occident, et à sa suite de tous les pays émergents, au capitalisme dérégulé et mondialisé. La dérégulation ne pouvait s’accompagner que de l’abandon de toute règle y compris morale. On a alors vu les docteurs de la foi (en saint Milton Friedman) se répandre dans tous les colloques, dans tous les think tanks, dans toutes les revues, en prêches et incantations : il ne fallait plus fixer de règles mais laisser jouer le marché, aussi inhumain fût-il, au nom de l’efficacité. On a vu ce qu’il en était de l’efficacité après la ruine du système d’épargne américain en 1987 et on sait ce qu’il en est aujourd’hui. Cela n’empêcha pas le philosophe André Comte-Sponville de parcourir toutes les tribunes avec sa conférence bien rodée pour nous dire que le capitalisme n’avait pas à être moral et qu’il échappait à la morale.

Eh bien non ! Le capitalisme peut et doit être moral. Le 26 septembre est bien un nouveau 4 août : plus rien ne sera désormais comme avant. Car des dirigeants d’une grande entreprise – les aristocrates des temps modernes – ont découvert le poids de la morale et leur décision d’abandonner leurs privilèges en entrainera d’autres. Alors bien sûr il y aura encore des scandales, car là où il y a morale il y a scandales potentiels, mais le 26 septembre ouvre une nouvelle ère pour le capitalisme. Une ère de rédemption dans la vertu.

Benoit XVI, vers la démission divine

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Comme il est loin le temps où il était facile de neutraliser les papes qui déplaisaient aux puissants de ce monde. Epoque bénie où ils pouvaient, sans trop de difficultés, être martyrisés (saint Pierre, saint Callixte, saint Pontien…), assassinés (Formosus, Jean XIV…) ou même assignés à résidence dans le Vaucluse (1309-1376). Il semble plus délicat désormais de régler ce genre de problème si simplement, même si certains, tels les commanditaires d’Ali Agca, s’y sont courageusement essayés. On en déduira donc que la voie démocratique est la plus raisonnable pour se débarrasser de l’encombrant Benoît XVI, et qu’il faut donc, faute de rémission, exiger sa démission, ainsi que nous l’a prouvé l’ami XP sur Ilys.

L’AFP plombée par les syndicats

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Dans la joyeuse foire des « sauvons… » (la recherche, la fac, le vin rosé, l’hosto ou la poste), on trouvera un appel angoissé des syndicats de l’Agence France-Presse, accompagné d’une pétition invitant le bon peuple à se mobiliser contre les projets pervers du pouvoir relatifs à l’évolution de cette institution. Cette pétition a reçu le soutien des leaders politiques de la gauche et de l’extrême gauche, d’universitaires de renom, et de « grandes plumes » du Tout-Paris médiatique.

Le SOS-AFP lancé depuis la place de la Bourse, siège de l’agence, par les soutiers de ce supposé Titanic du monde de l’information, tente d’accréditer l’idée que l’Elysée, relayé dans la maison par son PDG Pierre Louette, cherche à miner l’indépendance rédactionnelle de l’agence en la transformant en société commerciale, avec une ouverture du capital à des investisseurs privés.

La défense du statut de l’agence, qui date de 1957 lors de sa création par le gouvernement de Guy Mollet, serait donc, pour nos valeureux syndicalistes l’alpha et l’oméga d’un combat décisif pour la liberté de la presse dans notre pays. On brandit donc comme une bannière l’article 2 §1 de ce statut qui stipule : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Qui ne souscrirait à ce programme qui inscrit dans le marbre l’indépendance, donc la qualité rédactionnelle d’une institution sur laquelle s’appuie la quasi totalité de nos médias ?

Et hop, on signe la pétition et on se sent meilleur, de gauche et bien dans ses baskets ! Puisque les syndicats vous le disent, pas besoin d’aller y voir de plus près, cela risquerait de nous embrouiller la tête. Ce qui suit est donc réservé au seul usage des enquiquineurs, néo-réacs, et autres suppôts de la droite liberticide.

Au bout d’un demi-siècle d’activité, il faut bien constater que la France, à travers l’AFP, a réussi à se hisser dans le trio de tête mondial des agences d’information, à côté de la britannique Reuters et de l’américaine Associated Press. D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se contentent d’avoir des agences moins ambitieuses, qui alimentent uniquement leur marché national en nouvelles. L’AFP continue à jouer dans la cour des grands, diffusant des « fils » en anglais, allemand, espagnol et arabe, partant à la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, et se projetant dans un avenir où le multimédia l’emportera sur l’imprimé.

Alors que pour Reuters, l’information générale n’est qu’une vitrine peu rémunératrice d’une entreprise essentiellement rentable par son service d’informations financières, et qu’AP est adossée aux médias des Etats-Unis, l’AFP ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni des revenus d’une activité dans le secteur financier pour assurer son fonctionnement et son développement à l’échelle mondiale.

Alors qui paye ? Comme d’habitude, vous et moi, par l’intermédiaire des fonds alloués par l’Etat à l’AFP, sous la forme d’abonnements souscrits par les administrations à des tarifs qui, en principe, devraient garantir l’équilibre des comptes de l’agence. Ces revenus, qui, bon an, mal an, constituent 40 % des ressources de l’AFP l’exposent à la critique, serinée par la concurrence, d’être une « agence d’Etat » du style Tass ou Chine nouvelle, dont la crédibilité serait entachée par sa dépendance financière de l’Etat français. C’est de bonne guerre, même si dans les faits on peut constater qu’à de rares exceptions près, le traitement de l’actualité mondiale par l’AFP est tout à fait comparable à celui de ses concurrentes privées.

Par ailleurs, le conseil d’administration de l’AFP, qui comprend seize membres donne la prééminence aux représentants de la presse (8) sur ceux de l’Etat (3). Le plus gros contingent des administrateurs vient de la Presse quotidienne régionale (PQR), qui n’ont qu’un souci : maintenir les tarifs d’abonnement les plus bas possibles, en se fichant du rayonnement mondial de l’AFP comme de l’an quarante. Il suffit de feuilleter l’un de ces quotidiens, et d’y voir la place consacrée à l’actualité nationale et internationale pour comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une Rolls de l’info pour alimenter leurs pages…

L’Etat est donc prié de mettre la main au portefeuille chaque fois qu’il s’agit de modernisation technologique, de création de nouveaux services liés à l’émergence de nouveaux médias, bref des investissements nécessaires pour assurer le développement de l’Agence.

Or, dans l’immédiat, il est vital pour l’AFP de se doter du système 4XML qui permet de livrer aux clients des dépêches incluant des sons et des vidéos, ce qui nécessite un investissement de 21 millions d’euros. C’est tout l’enjeu de la négociation sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens) actuellement menée avec l’Etat par la direction de l’Agence.

Il n’est donc pas tout à fait insensé pour les pouvoirs publics de commencer à réfléchir aux moyens de permettre à une entreprise de communication dont la réussite est indéniable, d’affronter la nouvelle donne de l’information mondialisée avec des structures rajeunies, permettant notamment l’entrée dans le Conseil d’administration de l’AFP d’investisseurs ayant intérêt à son développement et à sa rentabilité. D’autre part, un Etat démocratique n’a pas pour vocation d’être un acteur direct dans le secteur de l’information, même s’il doit veiller à ce que le pluralisme et la liberté d’expression soient respectés.

Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser le loup capitaliste entrer dans la bergerie AFP, ce douillet cocon où ils assuraient jusque là une gestion clientéliste du personnel ( la CGT locale a fait pendant longtemps le pluie et le beau temps dans les promotions et les mutations de journalistes). Il veulent le beurre et l’argent du beurre : que l’Etat paye sans avoir son mot à dire sur la stratégie de l’entreprise, et qu’il ne s’avise surtout pas d’exercer la moindre pression sur les contenus rédactionnels au nom du sacro-saint statut. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que cette situation n’est pas tenable, et cela d’autant moins que la crise structurelle de la presse renforce encore le poids de l’Etat dans l’agence. Quelques incidents récents, comme l’exigence de l’UMP de voir tous ses communiqués systématiquement répercutés par l’AFP, où des phénomènes d’autocensure à la rédaction en chef[1. Ainsi, la rédaction en chef retint plusieurs heures le scoop du bureau de l’AFP de Prague rapportant la fuite, dans un hebdomadaire tchèque, du compte rendu d’une réunion de Nicolas Sarkozy avec le premier ministre Topolanek, de peur d’indisposer le président de la République. Résultat: la concurrence sortit l’histoire avant l’AFP.] montrent que cette dépendance trop exclusive est dommageable au fonctionnement et à la réputation de l’agence dans un monde où la concurrence est féroce. Dans ce contexte, la diversification des investisseurs, où la puissance publique ne serait plus la seule à mettre de l’argent au pot, constitue un plus en terme d’indépendance rédactionnelle, car la crédibilité d’une entreprise de presse est un élement de son capital immatériel. Le rêve d’une Agence d’Etat sans Etat par des syndicats qui carburent à l’idéologie du statut de 1957 est du même ordre que le célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, invention de l’immortel Georg Friedrich Lichtenberg.

Pénurie de chanteurs à la Nouvelle Star

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Les chanteurs ne poussent pas sur les arbres. Il n’y a plus, chaque année, une nouvelle génération de performers capables de meubler les prime-time de M6 pendant deux mois. Nous sommes un petit pays. C’est ce que constatent en ce moment les producteurs de la Nouvelle Star, le télé-crochet bien connu, après avoir écumé l’hexagone ces dernières semaines. Après quelques émissions d’auditions catastrophiques (des dizaines de milliers de candidats tous plus nuls les uns que les autres), les jurés ont bien du mal à trouver les dix finalistes qui sont censés enthousiasmer les téléspectateurs et générer des coups de téléphone surtaxés. Personne n’est coupable dans cette affaire. Ni le jury, ni la production, ni la chaîne. Tout cela n’a d’ailleurs aucune importance. Il est juste assez poilant qu’une belle mécanique audio-visuelo-industrielle comme la Nouvelle Star, déclinaison de la version US American Idol, se casse les dents sur une simple donnée démographique. Tous les “bons” candidats ayant été utilisés, il ne reste plus à M6 que des tocards façon Cindy Sanders à se mettre sous la dent. Pas de Christophe Willem, de Julien Doré ou d’Amandine à l’horizon cette année. Une émission tous les dix ans permettrait d’éviter la catastrophe qui s’annonce.

Y’a bon diversité

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« Il est de moins en moins rare de voir un Noir, un Arabe ou un Asiatique dans un spot ou sur une affiche publicitaire en France. Mais ces représentants de la diversité jouent encore bien souvent des rôles secondaires. Ce sont, à grands traits, les conclusions de l’étude publiée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), lundi 23 mars. » Voilà ce qu’expliquait Laurence Girard dans Le Monde de mercredi dernier.

Là où je divergerais, en revanche, de mon excellente consœur c’est, curieusement, sur les leçons qu’on pourra tirer de cette étude, menée à partir de 56 000 pubs. Là où d’aucuns, au Monde ou chez ses mécènes, les annonceurs, décèleront un message encourageant, je ne verrai, moi, que des motifs d’insatisfaction et de stupéfaction.

Tout d’abord, on pourra s’étonner qu’on se félicite de voir des divers entrer enfin dans nos réclames, alors que le plus célèbre d’entre eux en avait été heureusement banni, justement parce qu’il était noir, je pense bien sûr au tirailleur sénégalais de Banania.

Ensuite, on pourra s’indigner de voir le quotidien de référence et l’ARPP se contenter d’une définition de la diversité très datée, et pour tout dire bien peu diverse. A cet effet, une consultation approfondie des travaux de la Halde les aurait instruits, en plus de les avoir distraits. On nous y parle certes de Noirs[1. Tiens, au fait, comment se fait-il que personne n’ait encore songé à nous imposer la douce dénomination d’ «Africains-Européens » ? Lozès, Calixte, Glissant, vous dormez, ou quoi ?], d’Arabes, d’Asiatiques, avec les majuscules que le nouveau Code Pénal doit sans doute recommander, mais quid des Femmes, des Séniors, des Handicapés, des Gays et des Multicartes ? Car ramener la diversité à sa seule dimension ethnique, c’est considérer que cette question, disons-le, raciale, est centrale. Et là, amis pubeux, gare à la jurisprudence Zemmour-Camus !

Car en matière de diversité diverse, le bilan des créatifs est calamiteux ! Je n’ai certes pas procédé à 56 000 explications de gravures, mais j’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne me souviens pas d’un seul octogénaire dans les spots pour Pampers ou pour l’Armée de terre. J’exagère ? Ok… Mais vous en voyez beaucoup, vous, des handicapés en fauteuils dans les pubs Nike, des trisomiques vantant Heineken ou des aveugles chez Afflelou ? Et pourtant, ils en achètent, eux aussi, des baskets, de la bière et des lunettes noires. Mais curieusement, on ne les a pas convoqués pour le casting. Sans doute auraient-ils dû envoyer des CV anonymes.

Histoire d’enfoncer encore plus le clou, parlons d’une discrimination que la Halde, faute de moyens sans doute, n’a pas encore songé à stigmatiser : celle dont souffrent nos concitoyens atteints de surcharge pondérale. Vous avez déjà vu un môme grassouillet dans une pub Nutella ? Une énorme dondon faire la promo des soldes aux Galeries ? Même les filles qui font les pubs des boissons light, des régimes amincissants ou des clubs de gym font toutes du 34 !

De qui se moque-t-on ? De nous ! Qui est coupable ? Le totalitarisme publicitaire ! Y a-t-il des complices ? Oui, nous tous ! Comme le soulignait Elisabeth dans la conclusion de son papier sur Séguéla et comme le disait il y a déjà deux cents ans Jean-François de La Harpe : « Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme[2. In Le triomphe de la Religion, un poème épique posthume de 1814. J’ai l’air très érudit comme ça, mais c’était l’exergue de L’Idiot International.]. » Moi aussi, si je ne voyais que des gros lards dans les spots McDo, je demanderai l’asile politique chez Quick.

Alors à propos de diversité dans la pub, de grâce, qu’on ne vienne donc pas nous sortir sous le nez l’intégration, l’antiracisme ou autre make-up citoyens. C’est déjà bien assez déprimant de savoir qu’on est tous assez cons pour croire nolens volens aux spots des publicitaires, faudrait pas qu’ils comptent sur nous pour leur décerner un prix de vertu. Si, sur nos murs, on voit de plus en plus d’arabes, de noirs ou de jaunes sur des 4×3, c’est parce qu’on espère leur vendre des 4×4.

Le métier des publicitaires, leur seul métier, c’est de vendre. Et, plus exactement, nous vendre sous le même packaging le produit et l’idéologie qui va avec : Yabon Banania au bon vieux temps des colonies, Yabon l’intégration aujourd’hui. Il nous faut le reconnaître, comme Marx ne se gêna d’ailleurs jamais pour le faire : chapeau, les mecs, il y a bel et bien un génie du capitalisme !

L’immense écrivain américain Nick Tosches, peu porté sur le radotage, a rappelé la même anecdote dans plusieurs romans et essais et il a eu raison d’insister, elle est un concentré absolu de modernité. Dans les années 1960, celles des luttes pour les droits civiques, on avait interrogé le colonel Sanders, créateur de Kentucky Fried Chicken et censé être un sudiste grand teint et un anti-intégrationniste convaincu. La question était : « Colonel, que pensez-vous vraiment des noirs ? » Et sa réponse fut lumineuse : « Ils mangent du poulet, non ? » Le Colonel avait compris que les vents dominants avaient tourné, et que les untermensch, après n’avoir eu pendant des millénaires que le droit de bosser, se taire et crever, allaient désormais être eux aussi éligibles au droit de vivre et penser comme des porcs.

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Surprise : l’Académie française élit un écrivain !

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François Weyergans a été élu au troisième tour, de justesse, à l’Académie française, ce jeudi 26 mars. Weyergans est l’auteur, notamment, du remarquable Radeau de la Méduse, de Je suis un écrivain ou encore de Trois jours chez ma mère, prix Goncourt 2005. Même si l’on est un peu triste pour François Taillandier et Renaud Camus, également candidats, on se consolera en prédisant qu’ils ont toutes leurs chances pour les scrutins à venir : avec ce choix-là, les Immortels se reprennent à élire un écrivain qui sait écrire – ce qui devenait rare ces derniers temps. Non seulement les habits verts n’élisaient plus personne puisqu’il y eut jusqu’à huit sièges vacants en 2008, mais avoir écrit des romans ou des poèmes semblait même devenir un handicap. François Weyergans a été élu au siège d’Alain Robbe-Grillet, célèbre ingénieur agronome, et se retrouvera en compagnie de géopoliticiennes comme Hélène Carrère d’Encausse, manière de boussole qui indique toujours le sud, d’anciens présidents de la République centristes comme Valery Giscard d’Estaing, auteur d’un pastiche de Maupassant, ou encore de critiques littéraires qui se prennent pour Proust comme le karateka Angelo Rinaldi. Ce sont Michel Déon, Félicien Marceau, Michel Mohrt et Jean Dutourd qui, pour le coup, vont se sentir moins seuls.

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Le seuil d’intolérance

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On croit souvent que la chasse aux sorcières est une pratique du Moyen Âge. On se trompe doublement. D’abord parce que ce sport était plutôt prisé du temps de François Ier et de Louis XIV que de celui de Saint-Louis, et puis parce que certains milieux, en France, aujourd’hui, s’y adonnent avec un enthousiasme et une dextérité dignes des Puritains du XVIIe siècle. Depuis un an, une grande partie de la communauté des historiens médiévistes est en train d’en faire la démonstration à travers un cas qui mérite bien le titre d’ »affaire Sylvain Gouguenheim ». Selon ces universitaires, douter de l’apport essentiel de la civilisation islamique à l’Europe chrétienne n’est pas une erreur à discuter et éventuellement à corriger, mais une hérésie à combattre.

Médiéviste et germaniste, Sylvain Gouguenheim enseigne à Normale Sup Lyon (ENS-LSH, Lettres et Sciences humaines). Sa mission consiste essentiellement à préparer des étudiants à l’agrégation. Dans l’affaire qui lui vaut d’être ostracisé par l’institution et par l’ensemble de la communauté enseignante, le soutien de ses élèves témoigne en faveur de ses compétences pédagogiques. Il les revendique avec passion. Gouguenheim est d’abord un professeur.

Avant « l’affaire », il était un historien sans histoires. Son domaine de recherche, le Moyen Âge allemand, plus précisément la pensée mystique en pays rhénan au XIIe siècle ou les Chevaliers teutoniques, n’avait pas attiré l’attention des censeurs. L’envie lui a pris de s’attaquer à un sujet à plus haute teneur idéologique : le rôle des moines et des monastères d’Europe occidentale dans la transmission du savoir grec à l’Occident. En s’autorisant un pas de côté par rapport à la thèse communément répandue d’une transmission exclusivement opérée par le monde islamique, Gouguenheim s’est, semble-t-il, mis au ban de la communauté historienne. Faut-il un conclure que tout ce qui a trait à l’islam relève d’une recherche pré-balisée ?

La démarche de l’auteur n’a pourtant rien d’extraordinaire. L’historien israélien Shlomo Sand, spécialiste en histoire intellectuelle des XIXe et XXe siècles, a récemment publié un livre polémique, Comment le peuple juif fut inventé, où il traite de questions et de périodes qui n’appartiennent pas à ses champs de compétences académiques. Pourtant, cette contribution au débat sur le sionisme et la légitimité de l’Etat d’Israël a été plutôt bien accueillie, et, en France, l’ouvrage a même été couronné par le prix Aujourd’hui. On n’a pas assisté à une levée de bouclier des professionnels de l’histoire biblique ou hellénistique pour dénoncer les motivations et les compétences de l’auteur. Et le débat a pu avoir lieu.

Gouguenheim n’a pas eu cette chance. Son ouvrage aurait pu susciter une discussion sans concession mais honnête. Ses détracteurs auraient déployé contre lui des efforts d’argumentation. Ils ont préféré l’indignation et l’invective, en contravention avec toutes les règles de la courtoisie académique et de l’échange intellectuel. Quelques semaines après la publication aux éditions du Seuil, de Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne, en avril 2008, il découvrait que son intuition ne l’avait pas trompé : il avait touché à un sujet sensible. Mis les pieds dans une zone dangereuse. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est la violence de la tempête qui allait s’abattre sur lui.

Dans les premières semaines, la réception du livre semble pourtant encourageante. Après tout, il a été accepté par le Seuil et publié dans la série prestigieuse « L’Univers historique ». Très vite, l’ouvrage est traité dans deux articles favorables et même élogieux : dans Le Monde sous la signature de Roger Pol-Droit et quinze jours plus tard dans les colonnes du Figaro, sous celle de Stéphane Boiron. Même après ces deux recensions, il suffirait que les adversaires de Gouguenheim s’en tiennent à un silence glacé et on en resterait là : le livre passerait des librairies aux oubliettes et les idées supposément pernicieuses qu’il contient ne risqueraient pas de pervertir l’esprit public. Mais pour la corporation des historiens – qui se montre mieux inspirée quand elle combat pour la liberté de penser que quand elle la combat – le silence est encore un châtiment trop doux. Un article dans Le Monde et un autre dans Le Figaro ne valent-ils pas, pour le grand public, tous les honneurs académiques ?

C’est d’ailleurs dans Le Monde des Livres qu’est lancée la contre-attaque – encore qu’il n’y a pas eu « attaque ». Télérama et Libération publient à leur tour des textes de réfutation. À ce stade, on pourrait encore en rester à un débat, vif, mais un débat tout de même, sur une thèse provocatrice destinée au grand public. Ce genre de querelle d’historiens défraie la chronique de temps à autre ; on s’empaille sur la comparaison entre nazisme et stalinisme ou sur des questions telles que « les poilus, acteurs ou victimes ? ». Sauf que cette fois-ci, les arguments ont vite laissé place aux invectives et la saine polémique à une guerre sainte contre Gouguenheim. Il n’avait déjà pas dû être très agréable à celui-ci de voir les ténors de sa discipline mettre sa thèse en pièces. Loin de se contenter de ce bizutage public, certains décident de s’en prendre personnellement à l’auteur. Pour son crime de mauvaise pensée, une seule peine s’impose : la mort professionnelle. L’indignation – sincère quoique disproportionnée – des uns se mêle à des arrière-pensées moins avouables. Beaucoup, dans leur for intérieur, trouvaient intolérable qu’un non-normalien fût admis à enseigner dans ce temple de l’excellence. D’autres aimeraient bien pousser vers la sortie la directrice de collection qui a accepté le livre. Bref, derrière les motivations les plus savantes et les plus nobles, se joue aussi l’une de ces parties de billard à plusieurs bandes si caractéristiques de notre République des lettres. L’ennui, pour Gouguenheim, c’est qu’il joue le rôle de la boule.

Des pressions sont exercées sur la direction de l’ENS afin de la pousser à se désolidariser de son professeur. Celui-ci comprend vite qu’il ne peut pas compter sur le soutien de ses supérieurs. L’affaire prend des allures de lynchage. La quasi totalité des professeurs de la maison, y compris certains qui n’ont pas lu une ligne de l’ouvrage, signent une pétition haineuse contre Gouguenheim qui est presque totalement isolé. On revisite avec des airs entendus ses précédents travaux : bizarre, non, cet intérêt pour les Chevaliers teutonniques ? Son quotidien devient infernal. À l’exception de ses élèves, plus personne ne lui adresse la parole.

Certes, des spécialistes aussi reconnus que Rémi Brague, Christian Jambet, Dominique Urvoy ou encore Gérard Troupeau, le défendent – sans pour autant valider l’ensemble de sa thèse. Jacques Le Goff, médiéviste mondialement réputé, juge le livre « intéressant mais discutable ». Mais pour la corporation, il n’est pas question de discuter. Au mépris de toute déontologie, un colloque sur sa thèse est organisé le 4 octobre 2008 avril à la Sorbonne. Pourquoi s’imposer l’ennui d’un débat contradictoire quand on est convaincu de sa propre légitimité ? En fait de discussion, c’est à une descente en flamme que se livrent tous les orateurs. Les organisateurs de la réunion n’ont pas jugé utile d’inviter Gouguenheim, ni même l’un de ses défenseurs. « Il ne s’agit pas d’instruire le procès d’un auteur ni d’instaurer une police de l’intelligence », proclament-ils. On m’accordera que c’est mal imité. Dans un tribunal, l’accusé aurait au moins été invité à s’expliquer. Le plus désolant est peut-être que Fayard s’apprête à publier le compte-rendu de ce procès à charge dans une collection nommée « Ouvertures » – ça ne s’invente pas.

Peut-être les détracteurs de Gouguenheim ont-ils, en partie ou totalement raison quand à la pertinence de sa thèse – je me garderai bien d’en juger. Leurs méthodes, qui consistent à abattre un auteur au lieu de critiquer ses idées, n’en sont pas moins injustes et indignes de la communauté universitaire. Il est ignoble d’accuser Gouguenheim d’islamophobie et de faire de lui un promoteur du « choc des civilisations ». C’est plutôt en prétendant soustraire non seulement l’islam mais aussi l’histoire du monde islamique à la liberté de la critique et de la recherche qu’on creusera un fossé entre les civilisations.

Les auteurs de ces attaques portent une lourde responsabilité. L’affaire Gouguenheim a en tout cas changé de registre, glissant de la controverse académique au procès stalinien. La question n’est pas, n’est plus, le rôle de tel ou tel moine obscur, les compétences linguistiques de Sylvain Gouguenheim ou ses supposées erreurs et approximations. Ce n’est plus le contenu du débat qui importe mais le débat lui-même, ses limites et ses règles et, en vérité, sa possibilité même. Ce qui est en jeu, c’est la liberté de s’exprimer et même de se tromper, sans craindre pour son honneur ou son avenir professionnel, sans avoir à redouter d’être victime de harcèlement moral. En ce moment, c’est la seule question qui vaille.

Alain Robbé

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Né en 1535 à Bordeaux, dans une famille de négociants en eau minérale, Alain Robbé est l’un des plus grands botanistes, hommes politiques et cordonniers de Gironde. La postérité garde notamment de lui un magnifique opuscule sur l’art de cueillir les cerises avec la queue et un admirable traité : Chausser bottes et y rester droyt (1563). En décembre 1576, Montaigne, qui était son principal adversaire, dit de lui : « Alain Robbé n’a point de cœur. » Incontinent, Alain Robbé provoque Montaigne en duel[1. Montaigne parle évidemment de cet épisode dans ses Essais, mais je ne sais plus à quelle page. A coup sûr la page 50 ou la 1162. Faut voir.]. Il le perd. Et c’est cette année-là que l’on vit Alain Robbé manger sa fraise en hiver. Le peintre Nicolas Notat représente ici Alain Robbé à la veille du duel, alors qu’il a encore sa fraise et qu’il consulte, par acquit de conscience, le Guide du Routard de la Nouvelle France.

Nicolas Notat, Portrait d’Alain Robbé, 1581, huile sur toile, conservée dans la salle des Conseils de la CFDT.

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Un film bien troussé

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« Le come-back d’Adjani, deuxième : après avoir déchaîné les connexions sur YouTube pour une vidéo où on la découvre le visage recouvert d’un henné géant, l’actrice revient au cinéma dans le rôle d’une prof malmenée qui va prendre ses élèves en otage. La Journée de la jupe associe le thème en vogue de l’éducation à un catastrophisme très anglo-saxon. En surface, le film fait la chasse aux idées reçues, renvoyant dos à dos les discours sur l’école – ou trop laxiste, ou trop vieux chnoque. Mais derrière les caricatures d’un prof qui lit le Coran pour se rapprocher de ses élèves, ou d’un proviseur taxé de lâcheté parce que pas assez restrictif, c’est un retour aux bonnes vieilles méthodes répressives qui est finalement défendu. En réalité, la posture anti-langue de bois n’est qu’un écran de fumée dissimulant (mal) une pensée plutôt réac. Un autre genre de maquillage celui-là, moins drôle. »

Voilà ce qu’écrivent les Inrocks sur le film de Jean-Paul Lilienfeld, La Journée de la jupe. Disons-le sans ambage : une telle critique de la part des Inrockuptibles, cela ne peut être qu’un brevet de qualité. Isabelle Adjani, qui fait dans ce film une prestation hors du commun, a épousé le côté réac’ en déclarant sur le plateau du JT de France 2 dimanche : « L’Ecole, c’est un lieu de Culture, pas un lieu de libre-expression. » On respire. On croyait que plus personne n’oserait l’affirmer dans à une heure de grande écoute, à part Finkielkraut ou Zemmour. J’ai beaucoup de respect pour ces derniers mais, franchement, Adjani, pour faire passer ce message, c’est plus sexy. Tout n’est pas perdu.

Cantet et Bégaudeau[1. Il se murmure que « le plus mauvais prof de France devenu star » aurait l’idée de reprendre le FC Nantes avec l’objectif de retrouver les racines sportives de ce club, que ce dernier recouvre ses valeurs ainsi que son « jeu à la nantaise ». Bégaudeau, réactionnaire du foot ? Vous avez dit « paradoxe » ?] n’ont peut-être pas encore gagné la partie. Et Sarkozy, l’assassin de la Princesse de Clèves, non plus. Les IUFM n’ont pas réussi à formater tous les enseignants. Partout, dans notre pays, des professeurs ne baissent pas la garde. Si on ne devait en citer qu’une, ce serait Cécile Ladjali[2. Mauvaise Langue, Seuil 2007 ] qui abreuve ses élèves de culture classique dans un lycée ZEP. Il y a quelques années, L’esquive d’Abdellatif Kechiche avait été saluée par la critique. Ces élèves qui jouaient Marivaux en banlieue, c’était déjà un coup de canif à la théorie de « l’élève au centre ». Mais peu l’avaient fait remarquer. Les commentaires flatteurs n’allaient qu’à la meilleure image que le film donnait de la banlieue.

Avec Adjani et Lilienfield, on fait passer le même message à travers un thriller. C’est la démagogie, les compromis, les compromissions qui génèrent le désordre, la violence et l’inculture. A moins que cela ne soit l’inverse[3. Qui est la poule ? Qui est l’œuf ? En tous le cas, c’est un modèle de cercle vicieux.]. Le film est violent, Adjani est sublime et les messages sont clairs et s’adressent à tous, petits caïds de banlieue compris : la laïcité n’est pas négociable[4. Ce message s’adresse à un autre caïd, logé au Palais de l’Elysée.], le communautarisme ne doit pas passer.

Ce film n’est diffusé que dans 53 salles[5. Pour mémoire, le film de Gad Edmaleh est sorti le même jour dans… 800 salles.]. Trop politiquement incorrect, sans doute. Frilosité de la part des pontes du ciné français ? Ou volonté délibérée de faire échec au message ? Grâce à Arte, qui a battu son record d’audience vendredi dernier en diffusant La journée de la jupe en avant-première, c’est raté. Le message est passé. Merci Adjani, merci Lilienfeld, merci Jérôme Clément. Le Printemps arrive. Les jupes, je l’espère, seront bientôt de sortie.

Pédé ? Coco ? Vite, un docteur !

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Le journal scientifique anglais BMC psychiatry dans une enquête publiée le jeudi 26 mars indique que des thérapeutes anglais proposent encore fréquemment des « traitements » pour guérir de l’homosexualité. Cette vision des choses qui fut très à la mode dans les années 1960 et 1970 perdure aujourd’hui et demeure partagée par 4 % des médecins qui encouragent leurs patients à retrouver une orientation hétérosexuelle « normale ». Cela est d’autant plus choquant que l’Angleterre est coutumière de ce genre de médicalisation des comportements. Ainsi, en 1979, le docteur Margaret Thatcher avait-elle considéré que les règles de la common decency et du welfare state étaient contre nature et immorales. Elle avait décidé de guérir ses concitoyens de leurs perversions par une thérapie de choc pour retrouver l’ordre naturel et sain de la société qui est, comme chacun peut le constater tous les jours, le capitalisme financier.

Le capitalisme a vécu sa nuit du 4 août

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C’est bien à une nouvelle nuit du 4 août à laquelle on a assisté le 26 mars. Ce n’est pas le jeune duc de Noailles qui a déposé devant la nation titres et privilèges mais les dirigeants de GDF-Suez qui ont abandonné leurs stock-options.

Depuis une semaine, se succédaient les nouvelles de dirigeants de sociétés en quasi faillite ou sauvées par l’Etat obligés d’abandonner leurs immenses privilèges auto-attribués. La réprobation unanime de ces débordements a atteint un tel degré dans l’opinion que même une société largement bénéficiaire comme GDF-Suez a été contrainte une journée après l’annonce de cette attribution de stock-options de faire volte-face et à y renoncer.

Pourquoi ? Parce que ses dirigeants qui n’ont pourtant pas à craindre d’être accusés de mauvaise gestion ou de prévarication ont compris les premiers (il aurait pourtant mieux valu qu’ils le comprennent une journée plus tôt !…) que le capitalisme serait désormais moral ou ne serait plus. Enfin !…

Car cela fait plus de trente ans que c’est engagé le grand mouvement de conversion de l’Occident, et à sa suite de tous les pays émergents, au capitalisme dérégulé et mondialisé. La dérégulation ne pouvait s’accompagner que de l’abandon de toute règle y compris morale. On a alors vu les docteurs de la foi (en saint Milton Friedman) se répandre dans tous les colloques, dans tous les think tanks, dans toutes les revues, en prêches et incantations : il ne fallait plus fixer de règles mais laisser jouer le marché, aussi inhumain fût-il, au nom de l’efficacité. On a vu ce qu’il en était de l’efficacité après la ruine du système d’épargne américain en 1987 et on sait ce qu’il en est aujourd’hui. Cela n’empêcha pas le philosophe André Comte-Sponville de parcourir toutes les tribunes avec sa conférence bien rodée pour nous dire que le capitalisme n’avait pas à être moral et qu’il échappait à la morale.

Eh bien non ! Le capitalisme peut et doit être moral. Le 26 septembre est bien un nouveau 4 août : plus rien ne sera désormais comme avant. Car des dirigeants d’une grande entreprise – les aristocrates des temps modernes – ont découvert le poids de la morale et leur décision d’abandonner leurs privilèges en entrainera d’autres. Alors bien sûr il y aura encore des scandales, car là où il y a morale il y a scandales potentiels, mais le 26 septembre ouvre une nouvelle ère pour le capitalisme. Une ère de rédemption dans la vertu.