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Y’a bon diversité


Y’a bon diversité

« Il est de moins en moins rare de voir un Noir, un Arabe ou un Asiatique dans un spot ou sur une affiche publicitaire en France. Mais ces représentants de la diversité jouent encore bien souvent des rôles secondaires. Ce sont, à grands traits, les conclusions de l’étude publiée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), lundi 23 mars. » Voilà ce qu’expliquait Laurence Girard dans Le Monde de mercredi dernier.

Là où je divergerais, en revanche, de mon excellente consœur c’est, curieusement, sur les leçons qu’on pourra tirer de cette étude, menée à partir de 56 000 pubs. Là où d’aucuns, au Monde ou chez ses mécènes, les annonceurs, décèleront un message encourageant, je ne verrai, moi, que des motifs d’insatisfaction et de stupéfaction.

Tout d’abord, on pourra s’étonner qu’on se félicite de voir des divers entrer enfin dans nos réclames, alors que le plus célèbre d’entre eux en avait été heureusement banni, justement parce qu’il était noir, je pense bien sûr au tirailleur sénégalais de Banania.

Ensuite, on pourra s’indigner de voir le quotidien de référence et l’ARPP se contenter d’une définition de la diversité très datée, et pour tout dire bien peu diverse. A cet effet, une consultation approfondie des travaux de la Halde les aurait instruits, en plus de les avoir distraits. On nous y parle certes de Noirs[1. Tiens, au fait, comment se fait-il que personne n’ait encore songé à nous imposer la douce dénomination d’ «Africains-Européens » ? Lozès, Calixte, Glissant, vous dormez, ou quoi ?], d’Arabes, d’Asiatiques, avec les majuscules que le nouveau Code Pénal doit sans doute recommander, mais quid des Femmes, des Séniors, des Handicapés, des Gays et des Multicartes ? Car ramener la diversité à sa seule dimension ethnique, c’est considérer que cette question, disons-le, raciale, est centrale. Et là, amis pubeux, gare à la jurisprudence Zemmour-Camus !

Car en matière de diversité diverse, le bilan des créatifs est calamiteux ! Je n’ai certes pas procédé à 56 000 explications de gravures, mais j’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne me souviens pas d’un seul octogénaire dans les spots pour Pampers ou pour l’Armée de terre. J’exagère ? Ok… Mais vous en voyez beaucoup, vous, des handicapés en fauteuils dans les pubs Nike, des trisomiques vantant Heineken ou des aveugles chez Afflelou ? Et pourtant, ils en achètent, eux aussi, des baskets, de la bière et des lunettes noires. Mais curieusement, on ne les a pas convoqués pour le casting. Sans doute auraient-ils dû envoyer des CV anonymes.

Histoire d’enfoncer encore plus le clou, parlons d’une discrimination que la Halde, faute de moyens sans doute, n’a pas encore songé à stigmatiser : celle dont souffrent nos concitoyens atteints de surcharge pondérale. Vous avez déjà vu un môme grassouillet dans une pub Nutella ? Une énorme dondon faire la promo des soldes aux Galeries ? Même les filles qui font les pubs des boissons light, des régimes amincissants ou des clubs de gym font toutes du 34 !

De qui se moque-t-on ? De nous ! Qui est coupable ? Le totalitarisme publicitaire ! Y a-t-il des complices ? Oui, nous tous ! Comme le soulignait Elisabeth dans la conclusion de son papier sur Séguéla et comme le disait il y a déjà deux cents ans Jean-François de La Harpe : « Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme[2. In Le triomphe de la Religion, un poème épique posthume de 1814. J’ai l’air très érudit comme ça, mais c’était l’exergue de L’Idiot International.]. » Moi aussi, si je ne voyais que des gros lards dans les spots McDo, je demanderai l’asile politique chez Quick.

Alors à propos de diversité dans la pub, de grâce, qu’on ne vienne donc pas nous sortir sous le nez l’intégration, l’antiracisme ou autre make-up citoyens. C’est déjà bien assez déprimant de savoir qu’on est tous assez cons pour croire nolens volens aux spots des publicitaires, faudrait pas qu’ils comptent sur nous pour leur décerner un prix de vertu. Si, sur nos murs, on voit de plus en plus d’arabes, de noirs ou de jaunes sur des 4×3, c’est parce qu’on espère leur vendre des 4×4.

Le métier des publicitaires, leur seul métier, c’est de vendre. Et, plus exactement, nous vendre sous le même packaging le produit et l’idéologie qui va avec : Yabon Banania au bon vieux temps des colonies, Yabon l’intégration aujourd’hui. Il nous faut le reconnaître, comme Marx ne se gêna d’ailleurs jamais pour le faire : chapeau, les mecs, il y a bel et bien un génie du capitalisme !

L’immense écrivain américain Nick Tosches, peu porté sur le radotage, a rappelé la même anecdote dans plusieurs romans et essais et il a eu raison d’insister, elle est un concentré absolu de modernité. Dans les années 1960, celles des luttes pour les droits civiques, on avait interrogé le colonel Sanders, créateur de Kentucky Fried Chicken et censé être un sudiste grand teint et un anti-intégrationniste convaincu. La question était : « Colonel, que pensez-vous vraiment des noirs ? » Et sa réponse fut lumineuse : « Ils mangent du poulet, non ? » Le Colonel avait compris que les vents dominants avaient tourné, et que les untermensch, après n’avoir eu pendant des millénaires que le droit de bosser, se taire et crever, allaient désormais être eux aussi éligibles au droit de vivre et penser comme des porcs.

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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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