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L’AFP plombée par les syndicats


L’AFP plombée par les syndicats

Dans la joyeuse foire des « sauvons… » (la recherche, la fac, le vin rosé, l’hosto ou la poste), on trouvera un appel angoissé des syndicats de l’Agence France-Presse, accompagné d’une pétition invitant le bon peuple à se mobiliser contre les projets pervers du pouvoir relatifs à l’évolution de cette institution. Cette pétition a reçu le soutien des leaders politiques de la gauche et de l’extrême gauche, d’universitaires de renom, et de « grandes plumes » du Tout-Paris médiatique.

Le SOS-AFP lancé depuis la place de la Bourse, siège de l’agence, par les soutiers de ce supposé Titanic du monde de l’information, tente d’accréditer l’idée que l’Elysée, relayé dans la maison par son PDG Pierre Louette, cherche à miner l’indépendance rédactionnelle de l’agence en la transformant en société commerciale, avec une ouverture du capital à des investisseurs privés.

La défense du statut de l’agence, qui date de 1957 lors de sa création par le gouvernement de Guy Mollet, serait donc, pour nos valeureux syndicalistes l’alpha et l’oméga d’un combat décisif pour la liberté de la presse dans notre pays. On brandit donc comme une bannière l’article 2 §1 de ce statut qui stipule : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Qui ne souscrirait à ce programme qui inscrit dans le marbre l’indépendance, donc la qualité rédactionnelle d’une institution sur laquelle s’appuie la quasi totalité de nos médias ?

Et hop, on signe la pétition et on se sent meilleur, de gauche et bien dans ses baskets ! Puisque les syndicats vous le disent, pas besoin d’aller y voir de plus près, cela risquerait de nous embrouiller la tête. Ce qui suit est donc réservé au seul usage des enquiquineurs, néo-réacs, et autres suppôts de la droite liberticide.

Au bout d’un demi-siècle d’activité, il faut bien constater que la France, à travers l’AFP, a réussi à se hisser dans le trio de tête mondial des agences d’information, à côté de la britannique Reuters et de l’américaine Associated Press. D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se contentent d’avoir des agences moins ambitieuses, qui alimentent uniquement leur marché national en nouvelles. L’AFP continue à jouer dans la cour des grands, diffusant des « fils » en anglais, allemand, espagnol et arabe, partant à la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, et se projetant dans un avenir où le multimédia l’emportera sur l’imprimé.

Alors que pour Reuters, l’information générale n’est qu’une vitrine peu rémunératrice d’une entreprise essentiellement rentable par son service d’informations financières, et qu’AP est adossée aux médias des Etats-Unis, l’AFP ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni des revenus d’une activité dans le secteur financier pour assurer son fonctionnement et son développement à l’échelle mondiale.

Alors qui paye ? Comme d’habitude, vous et moi, par l’intermédiaire des fonds alloués par l’Etat à l’AFP, sous la forme d’abonnements souscrits par les administrations à des tarifs qui, en principe, devraient garantir l’équilibre des comptes de l’agence. Ces revenus, qui, bon an, mal an, constituent 40 % des ressources de l’AFP l’exposent à la critique, serinée par la concurrence, d’être une « agence d’Etat » du style Tass ou Chine nouvelle, dont la crédibilité serait entachée par sa dépendance financière de l’Etat français. C’est de bonne guerre, même si dans les faits on peut constater qu’à de rares exceptions près, le traitement de l’actualité mondiale par l’AFP est tout à fait comparable à celui de ses concurrentes privées.

Par ailleurs, le conseil d’administration de l’AFP, qui comprend seize membres donne la prééminence aux représentants de la presse (8) sur ceux de l’Etat (3). Le plus gros contingent des administrateurs vient de la Presse quotidienne régionale (PQR), qui n’ont qu’un souci : maintenir les tarifs d’abonnement les plus bas possibles, en se fichant du rayonnement mondial de l’AFP comme de l’an quarante. Il suffit de feuilleter l’un de ces quotidiens, et d’y voir la place consacrée à l’actualité nationale et internationale pour comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une Rolls de l’info pour alimenter leurs pages…

L’Etat est donc prié de mettre la main au portefeuille chaque fois qu’il s’agit de modernisation technologique, de création de nouveaux services liés à l’émergence de nouveaux médias, bref des investissements nécessaires pour assurer le développement de l’Agence.

Or, dans l’immédiat, il est vital pour l’AFP de se doter du système 4XML qui permet de livrer aux clients des dépêches incluant des sons et des vidéos, ce qui nécessite un investissement de 21 millions d’euros. C’est tout l’enjeu de la négociation sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens) actuellement menée avec l’Etat par la direction de l’Agence.

Il n’est donc pas tout à fait insensé pour les pouvoirs publics de commencer à réfléchir aux moyens de permettre à une entreprise de communication dont la réussite est indéniable, d’affronter la nouvelle donne de l’information mondialisée avec des structures rajeunies, permettant notamment l’entrée dans le Conseil d’administration de l’AFP d’investisseurs ayant intérêt à son développement et à sa rentabilité. D’autre part, un Etat démocratique n’a pas pour vocation d’être un acteur direct dans le secteur de l’information, même s’il doit veiller à ce que le pluralisme et la liberté d’expression soient respectés.

Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser le loup capitaliste entrer dans la bergerie AFP, ce douillet cocon où ils assuraient jusque là une gestion clientéliste du personnel ( la CGT locale a fait pendant longtemps le pluie et le beau temps dans les promotions et les mutations de journalistes). Il veulent le beurre et l’argent du beurre : que l’Etat paye sans avoir son mot à dire sur la stratégie de l’entreprise, et qu’il ne s’avise surtout pas d’exercer la moindre pression sur les contenus rédactionnels au nom du sacro-saint statut. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que cette situation n’est pas tenable, et cela d’autant moins que la crise structurelle de la presse renforce encore le poids de l’Etat dans l’agence. Quelques incidents récents, comme l’exigence de l’UMP de voir tous ses communiqués systématiquement répercutés par l’AFP, où des phénomènes d’autocensure à la rédaction en chef[1. Ainsi, la rédaction en chef retint plusieurs heures le scoop du bureau de l’AFP de Prague rapportant la fuite, dans un hebdomadaire tchèque, du compte rendu d’une réunion de Nicolas Sarkozy avec le premier ministre Topolanek, de peur d’indisposer le président de la République. Résultat: la concurrence sortit l’histoire avant l’AFP.] montrent que cette dépendance trop exclusive est dommageable au fonctionnement et à la réputation de l’agence dans un monde où la concurrence est féroce. Dans ce contexte, la diversification des investisseurs, où la puissance publique ne serait plus la seule à mettre de l’argent au pot, constitue un plus en terme d’indépendance rédactionnelle, car la crédibilité d’une entreprise de presse est un élement de son capital immatériel. Le rêve d’une Agence d’Etat sans Etat par des syndicats qui carburent à l’idéologie du statut de 1957 est du même ordre que le célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, invention de l’immortel Georg Friedrich Lichtenberg.



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