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Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

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En ces temps riants de grippe porcine planétaire, l’heure me semble venue d’aborder une question d’une singulière gravité. Une question qui hante depuis longtemps chacun d’entre nous. Nul ne l’a pourtant encore étudiée avec la rigueur qu’elle requiert. Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Tous les imbéciles s’accordent à penser qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Avec un laxisme inlassable, cependant, ils omettent d’aborder la question véritable. Est-il seulement possible de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Certains esprits forts parmi vous m’objecteront sans doute que « jeter le bébé avec l’eau du bain » est une expression. Quand un énoncé ne veut pas dire ce qu’il veut dire, on dit qu’il s’agit d’une « expression ». Ça me paraît un peu facile et je sais que ça en arrange beaucoup.

Ne nous laissons pas arrêter par de telles arguties et examinons sans plus attendre les conditions nécessaires et suffisantes d’un jet de bébé avec l’eau du bain. Il est impératif, tout d’abord, de disposer d’un bébé. (De quel âge ? Noyé ou vif ? Le sien ou celui d’un autre ? Tout cela importe peu, en vérité, aux yeux de la science.) Il semble tout aussi indispensable de disposer d’un bain – contenant nécessairement de l’eau – sinon, toute l’expérience s’écroule.

Quant à « l’eau du bain », rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle doive se trouver dans le bain pour que le protocole soit valide. (Elle peut être recueillie dans des bouteilles – mais ne devient-elle pas alors, au terme d’une durée tenue secrète, de « l’eau de bouteille » ?)

Le problème cardinal est ailleurs. Il réside assurément dans la polysémie de l’interlope préposition « avec ». Celle-ci peut s’entendre au sens de « conjointement à », mais, tout aussi bien, au sens de « au moyen de ».

Etudions la première hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé conjointement à l’eau du bain ? Avant comme après 1880, la réponse est non ! Après 1880, cela va de soi, les hommes civilisés et leurs petits prenant des bains dans des baignoires non-amovibles et comportant un siphon dont le diamètre n’autorise pas la moindre fuite de nouveau-né – celui-ci fût-il le plus humble, le plus chétif, le plus timide. Avant 1880, lorsque nous nous baignions dans des baquets des familles, le vulgum est tenté de croire que la chose fut alors possible. Pourtant, elle ne l’était pas davantage – et ce, pour une raison très simple : à l’instant même où, prenant notre élan et notre baquet à plein bras, nous espérions jeter notre progéniture conjointement à l’eau du bain, ceux-ci se disjoignaient fatalement, se désolidarisaient avant même d’avoir touché le sol. La conjonction tant désirée n’était jamais atteinte. Dans cette première hypothèse, il me paraît évident qu’il n’existe qu’une et une seule possibilité de jeter le bébé en préservant sa précieuse conjonction avec l’eau du bain. Il faut placer le bébé et l’eau du bain dans un ballon-aquarium parfaitement hermétique et transparent, résistant aux rebonds, et projeter enfin cette sphère amusante et molle.

Mais il est temps de passer à l’examen de la seconde hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé au moyen de l’eau du bain ? Pour jeter un enfant au moyen de quelque chose – qu’il s’agisse d’une catapulte, d’une baliste ou d’un trébuchet à contrepoids – le jet nécessite invariablement l’usage d’un instrument solide. L’eau du bain ne satisfait pas, à l’évidence, à cette condition impérieuse. Dans cette seconde hypothèse, la réponse est donc également négative. Là encore, il n’existe qu’une seule exception probante : précipiter l’enfant et l’eau de son baquet dans le cratère d’un volcan au moment de son éruption. Pour que le jet d’enfant soit vraiment réussi et que son instrument soit bel et bien « l’eau du bain », il convient de veiller à ce que la lave ne soit pas en contact direct avec l’enfant et qu’ils soient dûment séparés par l’eau du bain qui, à l’état de vapeur, n’en demeure pas moins eau.

Après cet édifiant examen physico-logique du problème, tournons-nous brièvement vers sa dimension morale. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Mon positionnement éthique sera, comme d’habitude, à la fois exigeant et nuancé.

Primo, j’affirme que, dans l’écrasante majorité des cas, il est tout bonnement impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain. Subséquemment, les tourments moraux liés à ce problème s’évanouissent immédiatement.

Secundo, j’affirme qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul, où cet acte constitue une indiscutable atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine : celui du jet intentionnel et prémédité de bébé dans un volcan en éruption.

Tertio, j’affirme qu’il faut absolument jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul : celui où l’enfant est placé dans un ballon hermétique transparent rempli d’eau du bain. Il est cependant nécessaire que l’enfant soit muni de bouteilles d’oxygène adaptées à sa ridicule morphologie. Rien ne nous autorise à priver l’enfant de l’amusement extrême suscité par une telle expérience, qui contribuera en outre à forger son caractère.

Enfin, pour les naïfs qui continuent à porter crédit à l’hypothèse selon laquelle « jeter le bébé avec l’eau du bain » serait une « simple expression », voici quelques détails glanés sur des sites Internet délirants et qui ne manqueront pas d’alimenter leur psychose. L’ »expression » serait apparue en 1512 dans la langue allemande sous la forme : Das Kind mit dem Bade ausschütten. Le virus aurait ensuite touché la langue anglaise, à la fin du XIXe siècle, par l’entremise d’un historien anglais germanophile, Thomas Carlyle, qui aurait été le premier imbécile à dire : Throw the baby out with the bathwater. À partir du foyer anglais, la contagion aurait enfin gagné presque toutes les langues européennes, dont la nôtre. L’espagnol : Tirar al niño con el agua de bañarlo. Le tchèque : Vylít vaničku i s dítětem. Même le russe : выплеснуть ребёнка вместе с водой. Seul le peuple italien aurait démontré une légère résistance, gardant l’eau mais jetant le bain, et introduisant une précision judicieuse. Buttare via il bambino con l’acqua sporca : « jeter le bébé avec l’eau sale ».

Il va de soi que je refuse de cautionner toutes ces aberrations.

Le théorème du chat mort

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Tel l’équipage de Christophe Colomb, nous scrutons l’horizon pour tenter d’apercevoir les lueurs de la fameuse « reprise », notre passage vers les Indes à nous. Mais à force de fixer les yeux sur la ligne bleue de l’horizon, certains croient voir au loin des cimes enneigées et d’autres prennent les albatros pour des cormorans. Si le moral des troupes est un paramètre essentiel dans l’équation compliquée de la gestion de la crise, ceux qui sèment aujourd’hui de faux espoirs risquent de récolter demain un véritable désespoir.

Les performances des marchés boursiers depuis mars – le Cac40 a gagné 20 % en quelques semaines – ne présument en rien de l’avenir de l’économie en général ni d’ailleurs de l’avenir des bourses elles-mêmes. Contrairement à une idée reçue, dans la crise actuelle, le marché des actions n’a rien anticipé. Il atteignait même des sommets au cours de l’automne 2007, plusieurs semaines après les premiers signes de l’éclatement de la bulle des subprimes.

Les spéculateurs sur les marchés des matières premières n’ont pas montré plus de perspicacité – comme l’a signalé Daniel Cohen dans un entretien à Causeur Mensuel – quand ils ont poussé le prix du baril de pétrole à 150 $, à peine un mois et demi avant la faillite de Lehman Brothers, événement à partir duquel la crise s’est déclarée dans toute son ampleur.

L’embellie dans certains secteurs du commerce, notamment celui de l’automobile, est toute relative et pourrait très bien marquer un palier – ce que les Américains appellent malicieusement le « saut du chat mort » – quand on jette un chat du toit d’un gratte-ciel, après le crash initial, son cadavre va forcément rebondir de quelques centimètres, ce qui ne signifie nullement que le félin résiste plutôt bien au choc.

C’est l’explication la plus probable du rebond actuel car les deux fondamentaux de la crise, l’état incertain des bilans des banques et le chômage, ne présagent d’une reprise rapide et ce n’est pas seulement moi qui vous le dit : les institutions financières elles-mêmes n’y croient pas !

En effet, les banques et autres organismes financiers ne cachent pas leur profond pessimisme, comme en témoigne une circulaire envoyée récemment par l’assureur de crédit Axa Assurcredit à ses clients. Sans s’attarder sur des formules de politesse, la missive annonce qu’une « dégradation constante de la situation économique depuis la fin de 2008 concerne tous les pays et tous les secteurs d’activité » et qu’en conséquence « les impayés s’accélèrent et ont été multipliés par trois pour la grande majorité de nos clients ».

Pour Axa, le constat est clair et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir – on ne peut même pas parler d’un « ralentissement du ralentissement ». En conséquence, l’assureur notifie à ses clients que la couverture de risques considérés comme élevés sera drastiquement réduite. En première ligne, donc, viennent les impayés : les risques qui étaient jusque-là garantis à 100 % ne le seront plus qu’entre 25 % et 40 % et dans certains cas cette couverture sera plafonnée à 5 000 €… Un véritable coup de massue pour les sociétés, notamment dans le tertiaire, dont l’activité exige d’accorder à leurs clients un crédit qui représente un volume important par rapport à leur chiffre d’affaires. Les destinataires de la circulaire sont placés devant un choix difficile : soit assumer seul le risque (impossible dans le cas d’une société dont le PDG m’a transmis la circulaire car les sommes sont importantes et la défaillance d’un seul client déclencherait une faillite immédiate) soit réduire leur activité – décision qui a prévalu dans le cas en question. Alors qu’aucun problème ne s’est (encore ?) déclaré chez ses clients, cette société – comme beaucoup d’autres sans doute – va devoir diminuer son volume d’activité avec eux, voire cesser complètement : un risque potentiel s’est transformé en problème réel.

Cerise sur le gâteau : la même circulaire annonce que ces mesures seront effectives deux mois après leur notification (donc fin juin début juillet) ! Pour ceux qui auraient mal compris, Axa ne croit pas à la reprise mais alors pas du tout. Visiblement, les communicants ou les financiers qui ont pondu ce texte ne se demandent pas si leur nouvelle formulation du merveilleux « principe de précaution » ne risque pas d’aggraver le marasme.

Si quelque part, il y avait un Etat, il ne laisserait ces choses en l’état…

T’as voulu voir Luxeuil et on a vu Luxeuil

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Alors que, pour en remontrer à Londres, Bertrand Delanoë cherche à imposer à Paris son concept de ville-monde (une très mauvaise interprétation de ce que les Allemands appellent Weltstadt), le torchon brûle entre deux autres villes d’importance : Luxeuil-les-Bains et Wallingford. Le maire de la ville de l’Oxfordshire veut, en effet, rompre le jumelage qui unit sa charmante bourgade, dont Agatha Christie fut un temps l’heureuse habitante, à la station thermale. Why ? Il n’a pas de nouvelles de la ville franc-comtoise depuis une dizaine d’années. Le site de la ville de Luxeuil ne mentionne d’ailleurs plus qu’un seul jumelage, celui avec la commune allemande de Bad Wurzach. Les Anglais seraient-ils définitivement boutés hors de Haute-Saône ? Rien n’est moins sûr. « Nous ne savons même pas s’ils sont encore vivants », se plaint l’édile british, qui a saisi le Conseil des communes et des régions d’Europe pour dénoncer le jumelage… Le maire anglais aurait eu cependant plus vite fait de saisir l’Agence spatiale européenne, qui aurait envoyé une sonde pour vérifier s’il y a de la vie à Luxeuil et montré ainsi à la face du monde que l’Europe peut tout dès lors qu’elle est unie.

Européens de tous les pays, abstenez-vous !

Notre ami Paul Thibaud a fait, il y a quelques semaines, un coming out courageux lors de son passage dans les « Matins » de France Culture. Qu’on se rassure : l’ancien directeur d’Esprit n’a pas avoué son penchant à prendre Cupidon à l’envers, ce qui lui aurait sans doute valu les applaudissements des éminentes personnalités qui peuplent chaque matin ce studio d’élite. Le pédé catho, tendance Act up, est furieusement tendance, mais ce n’est pas le genre de la maison Thibaud.

Le maître des lieux, Ali Baddou interroge donc son invité sur ses intentions de vote lors des élections européennes du 7 juin prochain. Baddou, en fait, est un type pas trop compliqué dans sa tête, pour qui un catho est ipso facto un démocrate-chrétien, donc un fan de l’Europe de Robert Schuman, Jean Monnet et Jacques Delors. Comme il se dispense souvent de lire d’un peu près les écrits des gens qu’il reçoit, ce qui lui a valu naguère de se planter grave face à Jacques Attali, il s’attendait à la réponse politiquement correcte d’un bon citoyen qui va aux urnes quand on lui dit d’y aller. C’était bien mal connaître Paulo le Thala[1. En argot normalien ou khâgneux désigne ceux qui vont à la messe, donc les catholiques.], qui répondit qu’il pensait s’abstenir, comme il le fit en 2004 lors de ce même scrutin.

La petite bande de copains (Olivier Duhamel, Alain-Gérard Slama, Alexandre Adler, Marc Kravetz et la meuf de service ce jour-là) qui pérorent sur France Cul cinq matins par semaine ont failli s’en étrangler d’indignation (surtout Olivier Duhamel, qui n’a pas renoncé au rêve de revenir siéger à Strasbourg). Le blasphème était d’une telle énormité qu’Ali Baddou laissa à peine le temps à Thibaud de proférer quelques explications de non-vote pour repasser dare-dare à un sujet moins scabreux, la glose sur les paroles verbales de Benoît XVI. Retour, donc, en catastrophe à la case catho, dont Popaul de Saint-Sulpice n’aurait jamais dû s’éloigner.

Dommage, car il eût été intéressant d’entendre l’invité du jour développer son analyse de cette « Europe des comme si… » que l’on nous invite à honorer de nos suffrages républicains. Et si l’on faisait comme si l’Union européenne était une nation en plus grand et plus beau ? On dirait qu’on aurait un gouvernement – la Commission – contrôlé par un Parlement démocratiquement élu au suffrage universel de tous les citoyens des pays membres. On dirait qu’il y aurait une gauche, une droite, un centre et pourquoi pas une extrême gauche et une extrême droite. On dirait qu’on ferait des lois pour que la prospérité, l’harmonie et la concorde règnent à jamais sur ce continent perclus d’Histoire. Cela fait trente ans que ça dure, et le résultat n’est, pour le moins, pas à la hauteur des espérances de ses promoteurs dont les deux plus éminents, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, sont encore en vie pour constater les dégâts.

Si la politique pouvait se pratiquer sur le modèle des jeux d’enfants qui parviennent très sérieusement à créer un espace imaginaire en marge de la réalité pour le plus grand profit de leur développement intellectuel et affectif, l’Europe ne serait pas frappée de cette « frigidité » déplorée par Elie Barnavi dans son dernier ouvrage[2. Elie Barnavi, L’Europe frigide, éditions André Versaille.]. Le réel, dans son épaisseur brutale, a au contraire révélé que l’Union européenne est incapable de devenir l’espace du politique, c’est-à-dire cette agora continentale où les citoyens se regroupent par affinités d’idées et de convictions en dépassant leurs appartenances nationales et culturelles.

Un démocrate-chrétien, un vrai, un de ceux que le Général raillait jadis en les comparant à des cabris, Jean-Louis Bourlanges, en a fait le constat amer : après cinq mandats au Parlement de Strasbourg, il en a tiré les conséquences en démissionnant en décembre 2007. Ses réflexions désabusées dans la dernière livraison de la revue Commentaire sont, à cet égard, édifiantes.

Les peuples, dans cette affaire, se sont comportés comme on pouvait s’y attendre: en boudant de plus en plus un scrutin dont ils ne parvenaient pas à discerner la nécessité ni l’utilité. Les remontrances peinées, les péroraisons à vocation pédagogique, le chantage au déclin, ainsi que les exhortations surjouées à se passionner pour le grand dessein d’une Europe unie face aux grands empires de l’Est et de l’Ouest de nos éditorialistes installés (Bernard Guetta, Colombani ou les Duhamel) n’ont pas fait bouger la tendance d’un iota, bien au contraire. Il semble même probable que le millésime 2009 de l’élection au Parlement européen se révèlera encore plus pauvre en participation électorale que celui de 2004.

Il faut dire, pour ne parler que de la situation française, que les partis politiques ont fait très fort : à l’UMP, au PS et même chez les Verts et Villiéristes la constitution des listes en dit long sur la considération qu’ils accordent à l’assemblée de Strasbourg. Rachida Dati n’est pas très loin de la vérité en donnant en rigolant devant les jeunes UMP cette définition de l’Europe où son patron a décidé de l’exiler : « Elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper et puis… elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ces affaires à s’occuper… Donc nous. » Tous les beaux discours de Michel Barnier, le politicien le plus ennuyeux et creux produit par la maison gaulliste ne parviendront pas à gommer la sortie impromptue de Rachida : on envoie à Strasbourg ceux qui ont trop servi à Paris ou qui ont besoin d’une base matérielle leur permettant de mener tranquillement leur carrière politique nationale sans avoir à rendre de comptes à des électeurs trop proches, comme les députés ou les sénateurs de la République. L’apport de Vincent Peillon ou d’Henri Weber à la tambouille communautaire ne sera certainement pas à la mesure du talent avec lequel ils naviguent aujourd’hui dans les eaux troublées du PS…

La troïka verte, bricolée à l’esbrouffe par un Cohn-Bendit au mieux de sa forme est une façade dont les lézardes ne manqueront pas d’apparaître une fois l’élection passée: entre le libéral-libertaire Cohn-Bendit, le faux paysan altermondialiste Bové et le « décroissantiste » Besset, auquel s’ajoute la mère la morale luthérienne Eva Joly, on ne voit pas très bien ce qui peut ressembler à une politique cohérente.

L’alliance du chouan de Villiers et du chasseur Nihous a, certes, un parfum nostalgique d’une vieille France qui verrait enfin le châtelain réconcilié avec Jacquou le Croquant, mais on ne fera croire à personne que cette association va au-delà de la simple arithmétique électorale. Pour le reste, extrême gauche, extrême droite se fichent de l’Europe et de son Parlement et se placent pour causer dans le poste et éventuellement économiser des postes de permanents en les transformant en élus du peuple.

Donc, cher Paul Thibaud, que personne ne peut soupçonner d’être un mauvais citoyen, vous avez, trop brièvement à mon goût, donné le bon choix aux égarés que nous sommes dans cette foire aux vanités et aux arnaques électorales. Quand faut pas y aller, faut pas y aller !

Travail du dimanche, chômage du lundi

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Les ouvriers qui séquestrent des patrons ou des cadres dirigeants ont-ils raison ? Oui, bien sûr.

Pour une raison simple : que diable pourraient-ils faire d’autre ? Voilà des gens qui normalement n’embêtent personne. Qui fabriquent des pneus, des cartes à puces ou des têtes de delco huit heures par jour. Qui sont payés 1200 euros net au bout de quinze ans d’ancienneté. Des gens qui le samedi bricolent dans leur pavillon et organisent des merguez-parties le dimanche, quand il fait beau, ou qui vont tenir un stand au vide-grenier du club de natation. En temps normal, on n’entend jamais parler d’eux, et ça leur convient parfaitement. Et puis un jour, un mec leur annonce que tout ça, c’est fini. Au mieux, on leur a préparé un plan social en béton. En clair un reclassement bidon, une formation bidon, un autre connard en costume qui vient leur expliquer comment ils peuvent se mettre à leur compte, monter une micro-entreprise de toilettage canin ou un gîte rural gay-friendly avant d’aller grossir les statistiques du RMI.

Eh bien, ces gens-là, ils ne veulent pas devenir toiletteurs pour chiens ni ouvrir un salon de thé bio dans la banlieue sud de Compiègne. Ils sont conservateurs, comme vous et moi. Ils veulent conserver leur emploi, et aussi conserver leur maison qu’ils n’ont pas fini de payer, conserver leur canapé en cuir, conserver le droit de payer des cours de danse à la petite ou de partir chaque été en famille dans un mobile home à Sanary-sur-Mer.

Ils veulent garder leur emploi. Ils se contrefoutent du pourquoi et du comment, il va de soi qu’ils ont raison. La macro-économie, c’est pas leur truc. Ni le retour aux grands équilibres, le recentrage sur le cœur de métier, la reconstitution des marges et les profits d’aujourd’hui qui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

A ces débiles-là, on pourra agréger sans peine d’autres abrutis de conservateurs: les caissières de chez Auchan ou les vendeurs de chez Darty qui rechignent à bosser le dimanche. Qui préfèrent aller au foot ou à la messe, ou faire des grasses mat’ crapuleuses, ou cuver leur cuite de la veille, ou voir grandir leurs mômes. Toutes activités qui remettent en cause la compétitivité économique de la France.

J’ai encore entendu Jean-François Copé me l’expliquer, sans rire, hier matin sur i-Télé. Et là à, mon grand étonnement, je n’ai pas pensé ce que j’aurai dû penser normalement : que décidément c’est toujours les mêmes salades sur la compétitivité, le volontariat et la liberté que nous servent la gauche et la droite depuis trente ans, que la ficelle commence à être salement usée, qu’un homme politique – fût-il inexistant comme Copé – devrait avoir honte de refiler des balançoires pareilles. Et bien non. Le seul truc qui m’a traversé l’esprit, c’est : « Ce mec mérite des baffes ! »

Alors quand les baffes commencent à pleuvoir, je suis content. Je me repasse en boucle les images où le cadre sup’ de chez Continental se prend des œufs pourris sur le crâne ou celles de la sous-préfecture dévastée à Compiègne.

Je me délecte à chaque fois que j’entends ces arguments ouvriers simples, primaires, primitifs : ce ne sont pas eux qui ont créé le merdier financier actuel, ce n’est pas à eux de le payer. Que ce raisonnement borné est doux à mes oreilles. C’est celui de braves gens qui ne veulent pas passer à la télé, qui ne veulent pas de leur quart d’heure warholien. Ils ne veulent pas être célèbres, ils ne veulent pas de notre compassion, ni de celle de Ségolène ou de Besancenot. Ils ne veulent pas être des victimes. Ils veulent la paix, la dignité, l’anonymat. Ce sont mes frères.

Et si on peut reprocher quelque choses à nos prolos de Caterpillar, Molex, Sony ou Continental, c’est uniquement d’y aller un peu trop mollo. De faire monter des matelas pour la nuit aux séquestrés, de leur commander des pizzas le soir ou de leur apporter des croissants le matin. Tout ça pour se faire traiter, par exemple, de «criminels» par le gérant de Molex après sa libération. Ce dernier, est même allé jusqu’à mettre en cause dans une interview au Parisien « le niveau intellectuel de certains salariés ». Oui, t’as raison, mon gars, les salariés de Molex sont sûrement des imbéciles, et congénitaux, avec ça. Sinon, au lieu d’enfermer bêtement leur patron dans son bureau – ce qui ne devrait pas le déranger outre mesure, ces gens-là prétendent travailler 24h/24 –, ils l’auraient obligé à aller nettoyer les WC, lui auraient servi du Canigou pour le dîner ou lui auraient mis quelques claques pour lui expliquer la vie.

Car en réalité, pour l’instant toute cette « violence sociale » est excessivement non-violente. Oui, nos prolos sont trop gentils. Ils ont affaire à des voleurs, des voyous, des casseurs en bande organisée. Qui veulent non seulement leur voler leur pognon, mais aussi, à terme, leurs meubles, leurs logements, leur droit de vivre en paix. Quand l’huissier sera là, il sera trop tard pour péter les plombs, c’est maintenant qu’il faut se fâcher. Travailleuses, travailleurs, lâchez-vous, vous êtes en état de légitime défense généralisée. Si un boutonneux frais émoulu d’HEC vient faire un audit, il faut qu’il sorte des locaux à poil. Si votre député UMP a voté pour le travail du dimanche, faites-lui passer un week-end dans la chambre froide chez Carrefour. Et aux manifs du 1er mai, que le PS rêve tout haut de récupérer, il ne serait peut-être pas inutile de rappeler à ces gens-là quelques vérités historiques sur les 35 heures et l’annualisation du temps de travail, la merveilleuse invention du VSD (travail du vendredi, samedi, dimanche dans les usines), les salaires bloqués, la « libéralisation » par l’Union européenne, avec la bénédiction des socialistes, du travail de nuit des femmes. Le mépris pour les ouvriers incités à aller en week-end prolongé grâce à leurs RTT, comme des bobos d’Oberkampf. En gros leur mépris du monde du travail, le vrai, pas celui des hauts fonctionnaires, des créatifs de pubs et des journalistes de télé.

Comme tout le monde, après avoir vu la fameuse vidéo du Noctilien, j’ai été choqué – entre autres – par les piteuses scènes de non-assistance à personne en danger qu’elle donnait à voir. On cogne un mec au sang et les autres voyageurs, préfèrent pour la plupart regarder leurs chaussures. Pas parce qu’ils sont spécialement lâches, ou méchants, mais parce qu’ils ont peur.

Alors, il faut que la peur change de camp. Et pas seulement dans les bus de nuit. Chaque jour dans les entreprises, c’est vous qu’on cogne, vos femmes, vos mecs, vos enfants, vos copains. Allez-vous laisser faire ?

Prolétaires de tout le pays, unissez-vous, punissez-les !

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Sarko au-delà des Pyrénées, Ségo en deçà

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Cette fois, Nicolas Sarkozy est allé trop loin ! En visite d’Etat à Madrid, le président de la République a cru bon déclarer : « Jamais dans l’histoire, la relation entre nos deux pays n’a été aussi forte, pas simplement dans les discours et les paroles mais également dans les faits. » Pire, Nicolas Sarkozy et José Luis Zapatero se sont livrés à une embrassade, certes virile mais enflammée. Incroyable ! Pas un mot de remerciement à Ségolène Royal, grâce à laquelle France et Espagne sont désormais réconciliées et la menace de guerre entre les deux pays définitivement écartée. Ingratitude, quand tu nous tiens…

PS : José Luis Zapatero est tellement peu intelligent qu’il n’a fait aucun rapprochement entre la bise qu’il a reçue de Nicolas Sarkozy et l’arrivée de la grippe porcine sur la péninsule ibérique… Qui c’est qui va encore devoir aller présenter les excuses de la France à l’Espagne ?

Histoire cochonne

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H1N1, à ne pas confondre avec R2D2, est le nom scientifique du virus de la grippe porcine qui a déjà tué près de cinquante personnes au Mexique. Les autorités étasuniennes adoptent un ton assez alarmiste en déclarant l’épidémie « incontrôlable » et en pensant avoir déjà repéré un cas chez un étudiant texan. On voit bien là, encore une fois, la perversité intrinsèque du capitalisme : soit cette épidémie est réelle et c’est l’économie de marché qui est responsable à cause de l’industrie agroalimentaire qui ne vise que le profit sans précautions sanitaires, soit il s’agit d’un leurre médiatique pour faire oublier la crise et le chômage qui augmente de plusieurs milliers d’unité chaque jour. Dans tous les cas, on connaît le coupable. Et puis quand on veut tuer son porc, on dit qu’il a la grippe.

Requiem pour Ballard

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James Graham Ballard est mort le 19 avril, à soixante-dix huit ans et ce n’est pas très grave.

Il avait fait le plus important pour un écrivain, il avait transformé son nom en adjectif, comme Kafka, Orwell ou Sade. La dernière édition de l’English Collins Dictionnary nous apprend ainsi que l’adjectif ballardien se définit comme « une ressemblance avec les conditions de vie décrites dans les romans et les nouvelles de J. G. Ballard, spécialement la modernité dystopique, les paysages de déréliction créés par l’homme lui-même ainsi que les effets psychologiques des récents développements technologiques sociaux et environnementaux ».

J. G. Ballard est mort sur le front et c’est très courageux. Il a en effet terminé sa vie à Shepperton, dans un pavillon de banlieue moche comme tout, en vieux veuf malade et inconsolable. On y trouvait bien une toile de Delvaux mais malgré tout, on se dit qu’un écrivain de son envergure aurait pu choisir pour tutoyer la faucheuse un endroit un peu plus glamour. Mais le glamour, ce n’était pas le genre de la maison Ballard. À Shepperton, on était dans ce que Marc Augé appelle un non-lieu. Les non-lieux, ce sont les zones résidentielles, les centres-villes rénovés, les aires d’autoroute, les halls d’aéroports, les centres commerciaux. Ils n’ont ni passé ni avenir, ils prolifèrent à notre époque, comme les cellules cancéreuses qui ont emporté Ballard. C’est dans les non-lieux que les choses se passent, effectivement, et Ballard, comme tous les écrivains qui en ont, voulait être là où les choses se passent. Plus besoin d’aller mourir en Espagne avec Hemingway, le cauchemar commence avec un barbecue dominical et un adultère sous poutres apparentes pendant que les enfants zappent sur les trois cent chaînes de la fibre optique.

Ça nous a donné, ce courage et cette intelligence du non-lieu, des romans inoubliables : IGH, pour immeuble de grande hauteur, qui décrivait dès les années 1960 les psychoses maniaco-dépressives qui se déclenchent immanquablement quand on commence à entasser des citoyens dans des tours formatées comme dans un cauchemar debordien. Super Cannes où la vie dans un ghetto ultrasécurisé pour cadres supérieurs qui évitent la lutte des classes avec des clôtures électrifiées et des caméras de surveillance mais qui vont, manière de justice immanente, se massacrer dans l’endogamie la plus complète. Sauvagerie, la récente réédition chez Tristram du Massacre de Pangbourne, où, dans un très joli quartier pour riches, les enfants sages ont tous tué leurs parents le même jour.

Parce qu’il était un sociologue du désastre en cours depuis quarante ans dans les sociétés libérales, on a souvent dit qu’il était un auteur de science-fiction en espérant que cette étiquette infamante pour les esthètes et les imbéciles suffirait à l’exclure du champ de littérature. C’est évidemment absurde. Les romans et nouvelles qui ressortissent purement à la science-fiction chez Ballard sont assez minoritaires dans son œuvre et de toute manière sont eux aussi de parfaites réussites. Ballard a notamment dans ce domaine inventé un genre à part entière, la fin du monde intimiste. Il la décline dans des variations atroces, réalistes et poétiques : dans La forêt de cristal, le monde se minéralise, dans Le vent de nulle part, il est emporté par un ouragan gigantesque, dans Le monde englouti, il est noyé comme l’Atlantide et dans Sècheresse, comme son titre l’indique, c’est le contraire. À chaque fois, cela est vécu par quelques individus contradictoires, attachants et désespérément humains, et Ballard évite ainsi soigneusement la superproduction déréalisante à l’américaine.

En fait, le génie de Ballard était dans cette coalescence entre un présent déjà cauchemardesque et un futur épouvantable. Un futur qui métastase le présent, un cauchemar à venir dont on ne se réveillerait plus au matin car il n’y aurait plus de matin. Ballard avait perdu sa femme très tôt, dans un accident de voiture. Il ne s’en était jamais remis et la littérature a gagné un texte majeur, expérimental et fondateur, La foire aux atrocités, sorte de matrice des livres à venir, où se déclinaient en fragments élégamment gore et pornographiques les aspects les plus schizophréniques de notre modernité obscène : l’hypermédiatisation, les guerres périphériques, le voyeurisme chirurgical, le règne sans partage de l’automobile. Ce dernier thème qui avait des échos si biographiques pour Ballard a donné naissance à un de ses romans les plus célèbres mais pas forcément le meilleur, Crash, où l’on voit des gens tout à fait normaux ne pouvoir jouir sexuellement qu’en ayant des accidents de la route dont ils ressortent plus où moins mutilés.

En tout cas, cela a donné une extraordinaire adaptation cinématographique de Cronenberg, crépusculaire et érotique, avec dans un des premiers rôles la somptueuse Deborah Unger qui, à elle seule, donne envie de rentrer violemment dans toutes les grandes blondes avec une grosse cylindrée. Plus généralement, Ballard fut bien servi par le cinéma et son roman autobiographique, L’empire du soleil, où il racontait comment il avait été emprisonné par les Japonais en 1942, à 12 ans, alors qu’il vivait à Shanghaï avec sa famille, a donné un des très grands films de Spielberg.

La mort de ce génie discret peut être également l’occasion de nous interroger sur ce paradoxe anglais, qui fait d’un pays à la fois l’inventeur de l’habeas corpus et de la télésurveillance généralisée, des libertés individuelles jalousement proclamées et de Big Brother attendant son heure, dans l’ombre, sous le sourire en plastique du post-travaillisme blairiste.

Parce qu’il avait compris ce paradoxe qui rend fou, Ballard était dans la lignée directe de Swift et d’Orwell et compagnon de route de Brian Aldiss et John Brunner. Docteur en apocalypse ordinaire, théologien de la banalité du mal totalitaire, antipoète des technologies mortifères et quotidiennes, Ballard était celui par qui arrive les mauvaises nouvelles, c’est-à-dire, très précisément, ce qui définit depuis toujours les grands écrivains.

Sauvagerie

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Le Grand Pardon

En mon nom propre et en celui des centaines de milliers de lecteurs qui me font confiance, je demande solennellement pardon aux millions d’Africains récemment décédés à cause des déclarations scandaleuses du Pape sur le préservatif.

Je demande pardon à toutes les races, dont l’ignoble Zemmour a osé prétendre qu’elles existaient. Je demande pardon à tous les rappeurs, dont le spontanéisme révolutionnaire et le lyrisme poétique déclenchent périodiquement les aboiements des souchiens réactionnaires.

Pardon à l’art contemporain, traîné dans la boue et quotidiennement humilié par les petits-bourgeois hostiles à sa rebel attitude, heureusement saluée courageusement par tous les ministres de la Culture présents, passés et à venir et tous les musées publics, semi-publics et parapublics.

Pardon au public, laissé par la droite élitiste trop longtemps aux affaires dans une ignorance honteuse qui l’empêche malheureusement de comprendre et d’apprécier l’art contemporain à sa juste valeur et à son prix fort.

Pardon à Jeff Koons pour les nombreux haussements d’épaules de pharisiens ricanants, incapables de comprendre combien son homard à l’hélium avait regonflé Versailles.

Pardon aux intermittents du spectacle pour l’indigence prolétaire dans laquelle les maintient l’obscurantisme du Medef.

Pardon à Luc Besson, si souvent méprisé alors qu’il fait tant pour the rayonnement of the french culture.

Je demande pardon à Obama pour les plaisanteries honteuses de Berlusconi, qui ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres (no offense, Barack !) de Mussolini (on se méfiera jamais assez de tous ces noms en “ni”). Je demande pardon au peuple italien, si mal représenté par ce bouffon qui confond politique et commedia dell’arte.

Je demande pardon à la démocratie, qui devrait être protégée des puissances d’argent qui lui sont par essence étrangères. Je demande pardon à la télévision, rabaissée par Berlusconi au rang des jeux du cirque, alors que mille Arte pourraient s’épanouir ! Je demande pardon aux implants capillaires, auxquels il fait une si désastreuse contre-publicité.

Pardon aux altermondialistes, qu’un gouvernement cryptolepéniste tente d’empêcher de manifester leur juste colère à visage découvert.

Pardon à José Bové, à ce jour scandaleusement ignoré par la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy.

Pardon à Jack Lang, pour la rumeur odieuse laissant entendre qu’il aurait pu céder aux sirènes du pouvoir et intégrer le gouvernement.

Pardon à Rachida Dati, contrainte de rendre ses robes par l’égoïsme insensé de la maison Dior, dont le luxe arrogant n’en finit plus d’insulter la misère des pauvres.

Pardon à Valérie Létard, affreusement humiliée que personne n’ait la moindre idée de ses attributions au gouvernement.

Et pardon à toutes les femmes politiques (sauf Marie-France Garaud, bien sûr) pour l’inouï sexisme qu’elles ne cessent d’endurer aux plus hautes fonctions de l’Etat. Et pardon encore, Rachida, pour tous ces machistes qui prennent ton charme, ta légèreté et ta fraîcheur pour de l’incompétence, ton exigence pour une dureté cassante, ta passion pour de l’hystérie.

Pardon aux ours blancs, victimes de la fonte des glaciers. Pardon aux glaciers, victime de la néo-connerie de l’administration Bush et de son refus de signer le traité de Kyoto. Pardon à la ville de Kyoto, victime de la pollution infligée par l’activité inlassable des Japonais, ce « peuple de fourmis » comme disait si justement Edith Cresson.

Pardon à la nature, humiliée, brisée, martyrisée par une humanité que des millénaires de domination masculine ont transformée en machine à détruire.

Pardon au peuple de gauche pour l’existence de la droite, dont la ringardise culturelle et l’arrogance de classe sont une insulte au genre humain.

Pardon à l’avenir, auquel elle s’obstine à préférer le passé. Pardon à l’espérance, qu’elle insulte régulièrement au nom du réalisme. Pardon aux lendemains qui chantent, qui n’attirent que ses sarcasmes sinistres et grinçants.

Pardon aux espaces infinis, scandaleusement qualifiés d’effrayants par Blaise Pascal.

Pardon aux lecteurs de Libé pour la prose incompréhensible de Bayon. Pardon à ceux du Figaro pour ses valeurs obstinément bourgeoises. Pardon à ceux de L’Express pour les écharpes de Christophe Barbier. Pardon à ceux de Valeurs actuelles pour y avoir écrit… Euh non, attendez ! Avec tous les points de moralité que je viens d’accumuler, je ne vais pas, en plus, m’excuser pour quelque chose que j’aurais vraiment fait…

OSS SS !

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Le Festival de Cannes a dévoilé jeudi les films en compétition. Pour tout dire, l’édition 2009 ne réunit pas que des cinéastes amateurs : Ken Loach, Pedro Almodovar, Ang Lee, Jane Campion, Quentin Tarantino ou encore Alain Resnais sont en lice. Cependant, les cinéphiles avertis s’en étonneront : le dernier OSS 117, vu depuis sa sortie par plus d’un million de Français, n’a pas été retenu dans la sélection du jury cannois. Pire : tout s’est déroulé dans l’indifférence la plus totale. Même Dany Boon, pourtant jamais en reste lorsqu’il s’agit de dénoncer la partialité de la profession, n’a rien trouvé à y redire. Tout fout le camp.

Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

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En ces temps riants de grippe porcine planétaire, l’heure me semble venue d’aborder une question d’une singulière gravité. Une question qui hante depuis longtemps chacun d’entre nous. Nul ne l’a pourtant encore étudiée avec la rigueur qu’elle requiert. Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Tous les imbéciles s’accordent à penser qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Avec un laxisme inlassable, cependant, ils omettent d’aborder la question véritable. Est-il seulement possible de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Certains esprits forts parmi vous m’objecteront sans doute que « jeter le bébé avec l’eau du bain » est une expression. Quand un énoncé ne veut pas dire ce qu’il veut dire, on dit qu’il s’agit d’une « expression ». Ça me paraît un peu facile et je sais que ça en arrange beaucoup.

Ne nous laissons pas arrêter par de telles arguties et examinons sans plus attendre les conditions nécessaires et suffisantes d’un jet de bébé avec l’eau du bain. Il est impératif, tout d’abord, de disposer d’un bébé. (De quel âge ? Noyé ou vif ? Le sien ou celui d’un autre ? Tout cela importe peu, en vérité, aux yeux de la science.) Il semble tout aussi indispensable de disposer d’un bain – contenant nécessairement de l’eau – sinon, toute l’expérience s’écroule.

Quant à « l’eau du bain », rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle doive se trouver dans le bain pour que le protocole soit valide. (Elle peut être recueillie dans des bouteilles – mais ne devient-elle pas alors, au terme d’une durée tenue secrète, de « l’eau de bouteille » ?)

Le problème cardinal est ailleurs. Il réside assurément dans la polysémie de l’interlope préposition « avec ». Celle-ci peut s’entendre au sens de « conjointement à », mais, tout aussi bien, au sens de « au moyen de ».

Etudions la première hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé conjointement à l’eau du bain ? Avant comme après 1880, la réponse est non ! Après 1880, cela va de soi, les hommes civilisés et leurs petits prenant des bains dans des baignoires non-amovibles et comportant un siphon dont le diamètre n’autorise pas la moindre fuite de nouveau-né – celui-ci fût-il le plus humble, le plus chétif, le plus timide. Avant 1880, lorsque nous nous baignions dans des baquets des familles, le vulgum est tenté de croire que la chose fut alors possible. Pourtant, elle ne l’était pas davantage – et ce, pour une raison très simple : à l’instant même où, prenant notre élan et notre baquet à plein bras, nous espérions jeter notre progéniture conjointement à l’eau du bain, ceux-ci se disjoignaient fatalement, se désolidarisaient avant même d’avoir touché le sol. La conjonction tant désirée n’était jamais atteinte. Dans cette première hypothèse, il me paraît évident qu’il n’existe qu’une et une seule possibilité de jeter le bébé en préservant sa précieuse conjonction avec l’eau du bain. Il faut placer le bébé et l’eau du bain dans un ballon-aquarium parfaitement hermétique et transparent, résistant aux rebonds, et projeter enfin cette sphère amusante et molle.

Mais il est temps de passer à l’examen de la seconde hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé au moyen de l’eau du bain ? Pour jeter un enfant au moyen de quelque chose – qu’il s’agisse d’une catapulte, d’une baliste ou d’un trébuchet à contrepoids – le jet nécessite invariablement l’usage d’un instrument solide. L’eau du bain ne satisfait pas, à l’évidence, à cette condition impérieuse. Dans cette seconde hypothèse, la réponse est donc également négative. Là encore, il n’existe qu’une seule exception probante : précipiter l’enfant et l’eau de son baquet dans le cratère d’un volcan au moment de son éruption. Pour que le jet d’enfant soit vraiment réussi et que son instrument soit bel et bien « l’eau du bain », il convient de veiller à ce que la lave ne soit pas en contact direct avec l’enfant et qu’ils soient dûment séparés par l’eau du bain qui, à l’état de vapeur, n’en demeure pas moins eau.

Après cet édifiant examen physico-logique du problème, tournons-nous brièvement vers sa dimension morale. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Mon positionnement éthique sera, comme d’habitude, à la fois exigeant et nuancé.

Primo, j’affirme que, dans l’écrasante majorité des cas, il est tout bonnement impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain. Subséquemment, les tourments moraux liés à ce problème s’évanouissent immédiatement.

Secundo, j’affirme qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul, où cet acte constitue une indiscutable atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine : celui du jet intentionnel et prémédité de bébé dans un volcan en éruption.

Tertio, j’affirme qu’il faut absolument jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul : celui où l’enfant est placé dans un ballon hermétique transparent rempli d’eau du bain. Il est cependant nécessaire que l’enfant soit muni de bouteilles d’oxygène adaptées à sa ridicule morphologie. Rien ne nous autorise à priver l’enfant de l’amusement extrême suscité par une telle expérience, qui contribuera en outre à forger son caractère.

Enfin, pour les naïfs qui continuent à porter crédit à l’hypothèse selon laquelle « jeter le bébé avec l’eau du bain » serait une « simple expression », voici quelques détails glanés sur des sites Internet délirants et qui ne manqueront pas d’alimenter leur psychose. L’ »expression » serait apparue en 1512 dans la langue allemande sous la forme : Das Kind mit dem Bade ausschütten. Le virus aurait ensuite touché la langue anglaise, à la fin du XIXe siècle, par l’entremise d’un historien anglais germanophile, Thomas Carlyle, qui aurait été le premier imbécile à dire : Throw the baby out with the bathwater. À partir du foyer anglais, la contagion aurait enfin gagné presque toutes les langues européennes, dont la nôtre. L’espagnol : Tirar al niño con el agua de bañarlo. Le tchèque : Vylít vaničku i s dítětem. Même le russe : выплеснуть ребёнка вместе с водой. Seul le peuple italien aurait démontré une légère résistance, gardant l’eau mais jetant le bain, et introduisant une précision judicieuse. Buttare via il bambino con l’acqua sporca : « jeter le bébé avec l’eau sale ».

Il va de soi que je refuse de cautionner toutes ces aberrations.

Le théorème du chat mort

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Tel l’équipage de Christophe Colomb, nous scrutons l’horizon pour tenter d’apercevoir les lueurs de la fameuse « reprise », notre passage vers les Indes à nous. Mais à force de fixer les yeux sur la ligne bleue de l’horizon, certains croient voir au loin des cimes enneigées et d’autres prennent les albatros pour des cormorans. Si le moral des troupes est un paramètre essentiel dans l’équation compliquée de la gestion de la crise, ceux qui sèment aujourd’hui de faux espoirs risquent de récolter demain un véritable désespoir.

Les performances des marchés boursiers depuis mars – le Cac40 a gagné 20 % en quelques semaines – ne présument en rien de l’avenir de l’économie en général ni d’ailleurs de l’avenir des bourses elles-mêmes. Contrairement à une idée reçue, dans la crise actuelle, le marché des actions n’a rien anticipé. Il atteignait même des sommets au cours de l’automne 2007, plusieurs semaines après les premiers signes de l’éclatement de la bulle des subprimes.

Les spéculateurs sur les marchés des matières premières n’ont pas montré plus de perspicacité – comme l’a signalé Daniel Cohen dans un entretien à Causeur Mensuel – quand ils ont poussé le prix du baril de pétrole à 150 $, à peine un mois et demi avant la faillite de Lehman Brothers, événement à partir duquel la crise s’est déclarée dans toute son ampleur.

L’embellie dans certains secteurs du commerce, notamment celui de l’automobile, est toute relative et pourrait très bien marquer un palier – ce que les Américains appellent malicieusement le « saut du chat mort » – quand on jette un chat du toit d’un gratte-ciel, après le crash initial, son cadavre va forcément rebondir de quelques centimètres, ce qui ne signifie nullement que le félin résiste plutôt bien au choc.

C’est l’explication la plus probable du rebond actuel car les deux fondamentaux de la crise, l’état incertain des bilans des banques et le chômage, ne présagent d’une reprise rapide et ce n’est pas seulement moi qui vous le dit : les institutions financières elles-mêmes n’y croient pas !

En effet, les banques et autres organismes financiers ne cachent pas leur profond pessimisme, comme en témoigne une circulaire envoyée récemment par l’assureur de crédit Axa Assurcredit à ses clients. Sans s’attarder sur des formules de politesse, la missive annonce qu’une « dégradation constante de la situation économique depuis la fin de 2008 concerne tous les pays et tous les secteurs d’activité » et qu’en conséquence « les impayés s’accélèrent et ont été multipliés par trois pour la grande majorité de nos clients ».

Pour Axa, le constat est clair et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir – on ne peut même pas parler d’un « ralentissement du ralentissement ». En conséquence, l’assureur notifie à ses clients que la couverture de risques considérés comme élevés sera drastiquement réduite. En première ligne, donc, viennent les impayés : les risques qui étaient jusque-là garantis à 100 % ne le seront plus qu’entre 25 % et 40 % et dans certains cas cette couverture sera plafonnée à 5 000 €… Un véritable coup de massue pour les sociétés, notamment dans le tertiaire, dont l’activité exige d’accorder à leurs clients un crédit qui représente un volume important par rapport à leur chiffre d’affaires. Les destinataires de la circulaire sont placés devant un choix difficile : soit assumer seul le risque (impossible dans le cas d’une société dont le PDG m’a transmis la circulaire car les sommes sont importantes et la défaillance d’un seul client déclencherait une faillite immédiate) soit réduire leur activité – décision qui a prévalu dans le cas en question. Alors qu’aucun problème ne s’est (encore ?) déclaré chez ses clients, cette société – comme beaucoup d’autres sans doute – va devoir diminuer son volume d’activité avec eux, voire cesser complètement : un risque potentiel s’est transformé en problème réel.

Cerise sur le gâteau : la même circulaire annonce que ces mesures seront effectives deux mois après leur notification (donc fin juin début juillet) ! Pour ceux qui auraient mal compris, Axa ne croit pas à la reprise mais alors pas du tout. Visiblement, les communicants ou les financiers qui ont pondu ce texte ne se demandent pas si leur nouvelle formulation du merveilleux « principe de précaution » ne risque pas d’aggraver le marasme.

Si quelque part, il y avait un Etat, il ne laisserait ces choses en l’état…

T’as voulu voir Luxeuil et on a vu Luxeuil

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Alors que, pour en remontrer à Londres, Bertrand Delanoë cherche à imposer à Paris son concept de ville-monde (une très mauvaise interprétation de ce que les Allemands appellent Weltstadt), le torchon brûle entre deux autres villes d’importance : Luxeuil-les-Bains et Wallingford. Le maire de la ville de l’Oxfordshire veut, en effet, rompre le jumelage qui unit sa charmante bourgade, dont Agatha Christie fut un temps l’heureuse habitante, à la station thermale. Why ? Il n’a pas de nouvelles de la ville franc-comtoise depuis une dizaine d’années. Le site de la ville de Luxeuil ne mentionne d’ailleurs plus qu’un seul jumelage, celui avec la commune allemande de Bad Wurzach. Les Anglais seraient-ils définitivement boutés hors de Haute-Saône ? Rien n’est moins sûr. « Nous ne savons même pas s’ils sont encore vivants », se plaint l’édile british, qui a saisi le Conseil des communes et des régions d’Europe pour dénoncer le jumelage… Le maire anglais aurait eu cependant plus vite fait de saisir l’Agence spatiale européenne, qui aurait envoyé une sonde pour vérifier s’il y a de la vie à Luxeuil et montré ainsi à la face du monde que l’Europe peut tout dès lors qu’elle est unie.

Européens de tous les pays, abstenez-vous !

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Notre ami Paul Thibaud a fait, il y a quelques semaines, un coming out courageux lors de son passage dans les « Matins » de France Culture. Qu’on se rassure : l’ancien directeur d’Esprit n’a pas avoué son penchant à prendre Cupidon à l’envers, ce qui lui aurait sans doute valu les applaudissements des éminentes personnalités qui peuplent chaque matin ce studio d’élite. Le pédé catho, tendance Act up, est furieusement tendance, mais ce n’est pas le genre de la maison Thibaud.

Le maître des lieux, Ali Baddou interroge donc son invité sur ses intentions de vote lors des élections européennes du 7 juin prochain. Baddou, en fait, est un type pas trop compliqué dans sa tête, pour qui un catho est ipso facto un démocrate-chrétien, donc un fan de l’Europe de Robert Schuman, Jean Monnet et Jacques Delors. Comme il se dispense souvent de lire d’un peu près les écrits des gens qu’il reçoit, ce qui lui a valu naguère de se planter grave face à Jacques Attali, il s’attendait à la réponse politiquement correcte d’un bon citoyen qui va aux urnes quand on lui dit d’y aller. C’était bien mal connaître Paulo le Thala[1. En argot normalien ou khâgneux désigne ceux qui vont à la messe, donc les catholiques.], qui répondit qu’il pensait s’abstenir, comme il le fit en 2004 lors de ce même scrutin.

La petite bande de copains (Olivier Duhamel, Alain-Gérard Slama, Alexandre Adler, Marc Kravetz et la meuf de service ce jour-là) qui pérorent sur France Cul cinq matins par semaine ont failli s’en étrangler d’indignation (surtout Olivier Duhamel, qui n’a pas renoncé au rêve de revenir siéger à Strasbourg). Le blasphème était d’une telle énormité qu’Ali Baddou laissa à peine le temps à Thibaud de proférer quelques explications de non-vote pour repasser dare-dare à un sujet moins scabreux, la glose sur les paroles verbales de Benoît XVI. Retour, donc, en catastrophe à la case catho, dont Popaul de Saint-Sulpice n’aurait jamais dû s’éloigner.

Dommage, car il eût été intéressant d’entendre l’invité du jour développer son analyse de cette « Europe des comme si… » que l’on nous invite à honorer de nos suffrages républicains. Et si l’on faisait comme si l’Union européenne était une nation en plus grand et plus beau ? On dirait qu’on aurait un gouvernement – la Commission – contrôlé par un Parlement démocratiquement élu au suffrage universel de tous les citoyens des pays membres. On dirait qu’il y aurait une gauche, une droite, un centre et pourquoi pas une extrême gauche et une extrême droite. On dirait qu’on ferait des lois pour que la prospérité, l’harmonie et la concorde règnent à jamais sur ce continent perclus d’Histoire. Cela fait trente ans que ça dure, et le résultat n’est, pour le moins, pas à la hauteur des espérances de ses promoteurs dont les deux plus éminents, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, sont encore en vie pour constater les dégâts.

Si la politique pouvait se pratiquer sur le modèle des jeux d’enfants qui parviennent très sérieusement à créer un espace imaginaire en marge de la réalité pour le plus grand profit de leur développement intellectuel et affectif, l’Europe ne serait pas frappée de cette « frigidité » déplorée par Elie Barnavi dans son dernier ouvrage[2. Elie Barnavi, L’Europe frigide, éditions André Versaille.]. Le réel, dans son épaisseur brutale, a au contraire révélé que l’Union européenne est incapable de devenir l’espace du politique, c’est-à-dire cette agora continentale où les citoyens se regroupent par affinités d’idées et de convictions en dépassant leurs appartenances nationales et culturelles.

Un démocrate-chrétien, un vrai, un de ceux que le Général raillait jadis en les comparant à des cabris, Jean-Louis Bourlanges, en a fait le constat amer : après cinq mandats au Parlement de Strasbourg, il en a tiré les conséquences en démissionnant en décembre 2007. Ses réflexions désabusées dans la dernière livraison de la revue Commentaire sont, à cet égard, édifiantes.

Les peuples, dans cette affaire, se sont comportés comme on pouvait s’y attendre: en boudant de plus en plus un scrutin dont ils ne parvenaient pas à discerner la nécessité ni l’utilité. Les remontrances peinées, les péroraisons à vocation pédagogique, le chantage au déclin, ainsi que les exhortations surjouées à se passionner pour le grand dessein d’une Europe unie face aux grands empires de l’Est et de l’Ouest de nos éditorialistes installés (Bernard Guetta, Colombani ou les Duhamel) n’ont pas fait bouger la tendance d’un iota, bien au contraire. Il semble même probable que le millésime 2009 de l’élection au Parlement européen se révèlera encore plus pauvre en participation électorale que celui de 2004.

Il faut dire, pour ne parler que de la situation française, que les partis politiques ont fait très fort : à l’UMP, au PS et même chez les Verts et Villiéristes la constitution des listes en dit long sur la considération qu’ils accordent à l’assemblée de Strasbourg. Rachida Dati n’est pas très loin de la vérité en donnant en rigolant devant les jeunes UMP cette définition de l’Europe où son patron a décidé de l’exiler : « Elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper et puis… elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ces affaires à s’occuper… Donc nous. » Tous les beaux discours de Michel Barnier, le politicien le plus ennuyeux et creux produit par la maison gaulliste ne parviendront pas à gommer la sortie impromptue de Rachida : on envoie à Strasbourg ceux qui ont trop servi à Paris ou qui ont besoin d’une base matérielle leur permettant de mener tranquillement leur carrière politique nationale sans avoir à rendre de comptes à des électeurs trop proches, comme les députés ou les sénateurs de la République. L’apport de Vincent Peillon ou d’Henri Weber à la tambouille communautaire ne sera certainement pas à la mesure du talent avec lequel ils naviguent aujourd’hui dans les eaux troublées du PS…

La troïka verte, bricolée à l’esbrouffe par un Cohn-Bendit au mieux de sa forme est une façade dont les lézardes ne manqueront pas d’apparaître une fois l’élection passée: entre le libéral-libertaire Cohn-Bendit, le faux paysan altermondialiste Bové et le « décroissantiste » Besset, auquel s’ajoute la mère la morale luthérienne Eva Joly, on ne voit pas très bien ce qui peut ressembler à une politique cohérente.

L’alliance du chouan de Villiers et du chasseur Nihous a, certes, un parfum nostalgique d’une vieille France qui verrait enfin le châtelain réconcilié avec Jacquou le Croquant, mais on ne fera croire à personne que cette association va au-delà de la simple arithmétique électorale. Pour le reste, extrême gauche, extrême droite se fichent de l’Europe et de son Parlement et se placent pour causer dans le poste et éventuellement économiser des postes de permanents en les transformant en élus du peuple.

Donc, cher Paul Thibaud, que personne ne peut soupçonner d’être un mauvais citoyen, vous avez, trop brièvement à mon goût, donné le bon choix aux égarés que nous sommes dans cette foire aux vanités et aux arnaques électorales. Quand faut pas y aller, faut pas y aller !

Travail du dimanche, chômage du lundi

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Les ouvriers qui séquestrent des patrons ou des cadres dirigeants ont-ils raison ? Oui, bien sûr.

Pour une raison simple : que diable pourraient-ils faire d’autre ? Voilà des gens qui normalement n’embêtent personne. Qui fabriquent des pneus, des cartes à puces ou des têtes de delco huit heures par jour. Qui sont payés 1200 euros net au bout de quinze ans d’ancienneté. Des gens qui le samedi bricolent dans leur pavillon et organisent des merguez-parties le dimanche, quand il fait beau, ou qui vont tenir un stand au vide-grenier du club de natation. En temps normal, on n’entend jamais parler d’eux, et ça leur convient parfaitement. Et puis un jour, un mec leur annonce que tout ça, c’est fini. Au mieux, on leur a préparé un plan social en béton. En clair un reclassement bidon, une formation bidon, un autre connard en costume qui vient leur expliquer comment ils peuvent se mettre à leur compte, monter une micro-entreprise de toilettage canin ou un gîte rural gay-friendly avant d’aller grossir les statistiques du RMI.

Eh bien, ces gens-là, ils ne veulent pas devenir toiletteurs pour chiens ni ouvrir un salon de thé bio dans la banlieue sud de Compiègne. Ils sont conservateurs, comme vous et moi. Ils veulent conserver leur emploi, et aussi conserver leur maison qu’ils n’ont pas fini de payer, conserver leur canapé en cuir, conserver le droit de payer des cours de danse à la petite ou de partir chaque été en famille dans un mobile home à Sanary-sur-Mer.

Ils veulent garder leur emploi. Ils se contrefoutent du pourquoi et du comment, il va de soi qu’ils ont raison. La macro-économie, c’est pas leur truc. Ni le retour aux grands équilibres, le recentrage sur le cœur de métier, la reconstitution des marges et les profits d’aujourd’hui qui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

A ces débiles-là, on pourra agréger sans peine d’autres abrutis de conservateurs: les caissières de chez Auchan ou les vendeurs de chez Darty qui rechignent à bosser le dimanche. Qui préfèrent aller au foot ou à la messe, ou faire des grasses mat’ crapuleuses, ou cuver leur cuite de la veille, ou voir grandir leurs mômes. Toutes activités qui remettent en cause la compétitivité économique de la France.

J’ai encore entendu Jean-François Copé me l’expliquer, sans rire, hier matin sur i-Télé. Et là à, mon grand étonnement, je n’ai pas pensé ce que j’aurai dû penser normalement : que décidément c’est toujours les mêmes salades sur la compétitivité, le volontariat et la liberté que nous servent la gauche et la droite depuis trente ans, que la ficelle commence à être salement usée, qu’un homme politique – fût-il inexistant comme Copé – devrait avoir honte de refiler des balançoires pareilles. Et bien non. Le seul truc qui m’a traversé l’esprit, c’est : « Ce mec mérite des baffes ! »

Alors quand les baffes commencent à pleuvoir, je suis content. Je me repasse en boucle les images où le cadre sup’ de chez Continental se prend des œufs pourris sur le crâne ou celles de la sous-préfecture dévastée à Compiègne.

Je me délecte à chaque fois que j’entends ces arguments ouvriers simples, primaires, primitifs : ce ne sont pas eux qui ont créé le merdier financier actuel, ce n’est pas à eux de le payer. Que ce raisonnement borné est doux à mes oreilles. C’est celui de braves gens qui ne veulent pas passer à la télé, qui ne veulent pas de leur quart d’heure warholien. Ils ne veulent pas être célèbres, ils ne veulent pas de notre compassion, ni de celle de Ségolène ou de Besancenot. Ils ne veulent pas être des victimes. Ils veulent la paix, la dignité, l’anonymat. Ce sont mes frères.

Et si on peut reprocher quelque choses à nos prolos de Caterpillar, Molex, Sony ou Continental, c’est uniquement d’y aller un peu trop mollo. De faire monter des matelas pour la nuit aux séquestrés, de leur commander des pizzas le soir ou de leur apporter des croissants le matin. Tout ça pour se faire traiter, par exemple, de «criminels» par le gérant de Molex après sa libération. Ce dernier, est même allé jusqu’à mettre en cause dans une interview au Parisien « le niveau intellectuel de certains salariés ». Oui, t’as raison, mon gars, les salariés de Molex sont sûrement des imbéciles, et congénitaux, avec ça. Sinon, au lieu d’enfermer bêtement leur patron dans son bureau – ce qui ne devrait pas le déranger outre mesure, ces gens-là prétendent travailler 24h/24 –, ils l’auraient obligé à aller nettoyer les WC, lui auraient servi du Canigou pour le dîner ou lui auraient mis quelques claques pour lui expliquer la vie.

Car en réalité, pour l’instant toute cette « violence sociale » est excessivement non-violente. Oui, nos prolos sont trop gentils. Ils ont affaire à des voleurs, des voyous, des casseurs en bande organisée. Qui veulent non seulement leur voler leur pognon, mais aussi, à terme, leurs meubles, leurs logements, leur droit de vivre en paix. Quand l’huissier sera là, il sera trop tard pour péter les plombs, c’est maintenant qu’il faut se fâcher. Travailleuses, travailleurs, lâchez-vous, vous êtes en état de légitime défense généralisée. Si un boutonneux frais émoulu d’HEC vient faire un audit, il faut qu’il sorte des locaux à poil. Si votre député UMP a voté pour le travail du dimanche, faites-lui passer un week-end dans la chambre froide chez Carrefour. Et aux manifs du 1er mai, que le PS rêve tout haut de récupérer, il ne serait peut-être pas inutile de rappeler à ces gens-là quelques vérités historiques sur les 35 heures et l’annualisation du temps de travail, la merveilleuse invention du VSD (travail du vendredi, samedi, dimanche dans les usines), les salaires bloqués, la « libéralisation » par l’Union européenne, avec la bénédiction des socialistes, du travail de nuit des femmes. Le mépris pour les ouvriers incités à aller en week-end prolongé grâce à leurs RTT, comme des bobos d’Oberkampf. En gros leur mépris du monde du travail, le vrai, pas celui des hauts fonctionnaires, des créatifs de pubs et des journalistes de télé.

Comme tout le monde, après avoir vu la fameuse vidéo du Noctilien, j’ai été choqué – entre autres – par les piteuses scènes de non-assistance à personne en danger qu’elle donnait à voir. On cogne un mec au sang et les autres voyageurs, préfèrent pour la plupart regarder leurs chaussures. Pas parce qu’ils sont spécialement lâches, ou méchants, mais parce qu’ils ont peur.

Alors, il faut que la peur change de camp. Et pas seulement dans les bus de nuit. Chaque jour dans les entreprises, c’est vous qu’on cogne, vos femmes, vos mecs, vos enfants, vos copains. Allez-vous laisser faire ?

Prolétaires de tout le pays, unissez-vous, punissez-les !

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Sarko au-delà des Pyrénées, Ségo en deçà

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Cette fois, Nicolas Sarkozy est allé trop loin ! En visite d’Etat à Madrid, le président de la République a cru bon déclarer : « Jamais dans l’histoire, la relation entre nos deux pays n’a été aussi forte, pas simplement dans les discours et les paroles mais également dans les faits. » Pire, Nicolas Sarkozy et José Luis Zapatero se sont livrés à une embrassade, certes virile mais enflammée. Incroyable ! Pas un mot de remerciement à Ségolène Royal, grâce à laquelle France et Espagne sont désormais réconciliées et la menace de guerre entre les deux pays définitivement écartée. Ingratitude, quand tu nous tiens…

PS : José Luis Zapatero est tellement peu intelligent qu’il n’a fait aucun rapprochement entre la bise qu’il a reçue de Nicolas Sarkozy et l’arrivée de la grippe porcine sur la péninsule ibérique… Qui c’est qui va encore devoir aller présenter les excuses de la France à l’Espagne ?

Histoire cochonne

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H1N1, à ne pas confondre avec R2D2, est le nom scientifique du virus de la grippe porcine qui a déjà tué près de cinquante personnes au Mexique. Les autorités étasuniennes adoptent un ton assez alarmiste en déclarant l’épidémie « incontrôlable » et en pensant avoir déjà repéré un cas chez un étudiant texan. On voit bien là, encore une fois, la perversité intrinsèque du capitalisme : soit cette épidémie est réelle et c’est l’économie de marché qui est responsable à cause de l’industrie agroalimentaire qui ne vise que le profit sans précautions sanitaires, soit il s’agit d’un leurre médiatique pour faire oublier la crise et le chômage qui augmente de plusieurs milliers d’unité chaque jour. Dans tous les cas, on connaît le coupable. Et puis quand on veut tuer son porc, on dit qu’il a la grippe.

Requiem pour Ballard

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James Graham Ballard est mort le 19 avril, à soixante-dix huit ans et ce n’est pas très grave.

Il avait fait le plus important pour un écrivain, il avait transformé son nom en adjectif, comme Kafka, Orwell ou Sade. La dernière édition de l’English Collins Dictionnary nous apprend ainsi que l’adjectif ballardien se définit comme « une ressemblance avec les conditions de vie décrites dans les romans et les nouvelles de J. G. Ballard, spécialement la modernité dystopique, les paysages de déréliction créés par l’homme lui-même ainsi que les effets psychologiques des récents développements technologiques sociaux et environnementaux ».

J. G. Ballard est mort sur le front et c’est très courageux. Il a en effet terminé sa vie à Shepperton, dans un pavillon de banlieue moche comme tout, en vieux veuf malade et inconsolable. On y trouvait bien une toile de Delvaux mais malgré tout, on se dit qu’un écrivain de son envergure aurait pu choisir pour tutoyer la faucheuse un endroit un peu plus glamour. Mais le glamour, ce n’était pas le genre de la maison Ballard. À Shepperton, on était dans ce que Marc Augé appelle un non-lieu. Les non-lieux, ce sont les zones résidentielles, les centres-villes rénovés, les aires d’autoroute, les halls d’aéroports, les centres commerciaux. Ils n’ont ni passé ni avenir, ils prolifèrent à notre époque, comme les cellules cancéreuses qui ont emporté Ballard. C’est dans les non-lieux que les choses se passent, effectivement, et Ballard, comme tous les écrivains qui en ont, voulait être là où les choses se passent. Plus besoin d’aller mourir en Espagne avec Hemingway, le cauchemar commence avec un barbecue dominical et un adultère sous poutres apparentes pendant que les enfants zappent sur les trois cent chaînes de la fibre optique.

Ça nous a donné, ce courage et cette intelligence du non-lieu, des romans inoubliables : IGH, pour immeuble de grande hauteur, qui décrivait dès les années 1960 les psychoses maniaco-dépressives qui se déclenchent immanquablement quand on commence à entasser des citoyens dans des tours formatées comme dans un cauchemar debordien. Super Cannes où la vie dans un ghetto ultrasécurisé pour cadres supérieurs qui évitent la lutte des classes avec des clôtures électrifiées et des caméras de surveillance mais qui vont, manière de justice immanente, se massacrer dans l’endogamie la plus complète. Sauvagerie, la récente réédition chez Tristram du Massacre de Pangbourne, où, dans un très joli quartier pour riches, les enfants sages ont tous tué leurs parents le même jour.

Parce qu’il était un sociologue du désastre en cours depuis quarante ans dans les sociétés libérales, on a souvent dit qu’il était un auteur de science-fiction en espérant que cette étiquette infamante pour les esthètes et les imbéciles suffirait à l’exclure du champ de littérature. C’est évidemment absurde. Les romans et nouvelles qui ressortissent purement à la science-fiction chez Ballard sont assez minoritaires dans son œuvre et de toute manière sont eux aussi de parfaites réussites. Ballard a notamment dans ce domaine inventé un genre à part entière, la fin du monde intimiste. Il la décline dans des variations atroces, réalistes et poétiques : dans La forêt de cristal, le monde se minéralise, dans Le vent de nulle part, il est emporté par un ouragan gigantesque, dans Le monde englouti, il est noyé comme l’Atlantide et dans Sècheresse, comme son titre l’indique, c’est le contraire. À chaque fois, cela est vécu par quelques individus contradictoires, attachants et désespérément humains, et Ballard évite ainsi soigneusement la superproduction déréalisante à l’américaine.

En fait, le génie de Ballard était dans cette coalescence entre un présent déjà cauchemardesque et un futur épouvantable. Un futur qui métastase le présent, un cauchemar à venir dont on ne se réveillerait plus au matin car il n’y aurait plus de matin. Ballard avait perdu sa femme très tôt, dans un accident de voiture. Il ne s’en était jamais remis et la littérature a gagné un texte majeur, expérimental et fondateur, La foire aux atrocités, sorte de matrice des livres à venir, où se déclinaient en fragments élégamment gore et pornographiques les aspects les plus schizophréniques de notre modernité obscène : l’hypermédiatisation, les guerres périphériques, le voyeurisme chirurgical, le règne sans partage de l’automobile. Ce dernier thème qui avait des échos si biographiques pour Ballard a donné naissance à un de ses romans les plus célèbres mais pas forcément le meilleur, Crash, où l’on voit des gens tout à fait normaux ne pouvoir jouir sexuellement qu’en ayant des accidents de la route dont ils ressortent plus où moins mutilés.

En tout cas, cela a donné une extraordinaire adaptation cinématographique de Cronenberg, crépusculaire et érotique, avec dans un des premiers rôles la somptueuse Deborah Unger qui, à elle seule, donne envie de rentrer violemment dans toutes les grandes blondes avec une grosse cylindrée. Plus généralement, Ballard fut bien servi par le cinéma et son roman autobiographique, L’empire du soleil, où il racontait comment il avait été emprisonné par les Japonais en 1942, à 12 ans, alors qu’il vivait à Shanghaï avec sa famille, a donné un des très grands films de Spielberg.

La mort de ce génie discret peut être également l’occasion de nous interroger sur ce paradoxe anglais, qui fait d’un pays à la fois l’inventeur de l’habeas corpus et de la télésurveillance généralisée, des libertés individuelles jalousement proclamées et de Big Brother attendant son heure, dans l’ombre, sous le sourire en plastique du post-travaillisme blairiste.

Parce qu’il avait compris ce paradoxe qui rend fou, Ballard était dans la lignée directe de Swift et d’Orwell et compagnon de route de Brian Aldiss et John Brunner. Docteur en apocalypse ordinaire, théologien de la banalité du mal totalitaire, antipoète des technologies mortifères et quotidiennes, Ballard était celui par qui arrive les mauvaises nouvelles, c’est-à-dire, très précisément, ce qui définit depuis toujours les grands écrivains.

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Le Grand Pardon

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En mon nom propre et en celui des centaines de milliers de lecteurs qui me font confiance, je demande solennellement pardon aux millions d’Africains récemment décédés à cause des déclarations scandaleuses du Pape sur le préservatif.

Je demande pardon à toutes les races, dont l’ignoble Zemmour a osé prétendre qu’elles existaient. Je demande pardon à tous les rappeurs, dont le spontanéisme révolutionnaire et le lyrisme poétique déclenchent périodiquement les aboiements des souchiens réactionnaires.

Pardon à l’art contemporain, traîné dans la boue et quotidiennement humilié par les petits-bourgeois hostiles à sa rebel attitude, heureusement saluée courageusement par tous les ministres de la Culture présents, passés et à venir et tous les musées publics, semi-publics et parapublics.

Pardon au public, laissé par la droite élitiste trop longtemps aux affaires dans une ignorance honteuse qui l’empêche malheureusement de comprendre et d’apprécier l’art contemporain à sa juste valeur et à son prix fort.

Pardon à Jeff Koons pour les nombreux haussements d’épaules de pharisiens ricanants, incapables de comprendre combien son homard à l’hélium avait regonflé Versailles.

Pardon aux intermittents du spectacle pour l’indigence prolétaire dans laquelle les maintient l’obscurantisme du Medef.

Pardon à Luc Besson, si souvent méprisé alors qu’il fait tant pour the rayonnement of the french culture.

Je demande pardon à Obama pour les plaisanteries honteuses de Berlusconi, qui ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres (no offense, Barack !) de Mussolini (on se méfiera jamais assez de tous ces noms en “ni”). Je demande pardon au peuple italien, si mal représenté par ce bouffon qui confond politique et commedia dell’arte.

Je demande pardon à la démocratie, qui devrait être protégée des puissances d’argent qui lui sont par essence étrangères. Je demande pardon à la télévision, rabaissée par Berlusconi au rang des jeux du cirque, alors que mille Arte pourraient s’épanouir ! Je demande pardon aux implants capillaires, auxquels il fait une si désastreuse contre-publicité.

Pardon aux altermondialistes, qu’un gouvernement cryptolepéniste tente d’empêcher de manifester leur juste colère à visage découvert.

Pardon à José Bové, à ce jour scandaleusement ignoré par la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy.

Pardon à Jack Lang, pour la rumeur odieuse laissant entendre qu’il aurait pu céder aux sirènes du pouvoir et intégrer le gouvernement.

Pardon à Rachida Dati, contrainte de rendre ses robes par l’égoïsme insensé de la maison Dior, dont le luxe arrogant n’en finit plus d’insulter la misère des pauvres.

Pardon à Valérie Létard, affreusement humiliée que personne n’ait la moindre idée de ses attributions au gouvernement.

Et pardon à toutes les femmes politiques (sauf Marie-France Garaud, bien sûr) pour l’inouï sexisme qu’elles ne cessent d’endurer aux plus hautes fonctions de l’Etat. Et pardon encore, Rachida, pour tous ces machistes qui prennent ton charme, ta légèreté et ta fraîcheur pour de l’incompétence, ton exigence pour une dureté cassante, ta passion pour de l’hystérie.

Pardon aux ours blancs, victimes de la fonte des glaciers. Pardon aux glaciers, victime de la néo-connerie de l’administration Bush et de son refus de signer le traité de Kyoto. Pardon à la ville de Kyoto, victime de la pollution infligée par l’activité inlassable des Japonais, ce « peuple de fourmis » comme disait si justement Edith Cresson.

Pardon à la nature, humiliée, brisée, martyrisée par une humanité que des millénaires de domination masculine ont transformée en machine à détruire.

Pardon au peuple de gauche pour l’existence de la droite, dont la ringardise culturelle et l’arrogance de classe sont une insulte au genre humain.

Pardon à l’avenir, auquel elle s’obstine à préférer le passé. Pardon à l’espérance, qu’elle insulte régulièrement au nom du réalisme. Pardon aux lendemains qui chantent, qui n’attirent que ses sarcasmes sinistres et grinçants.

Pardon aux espaces infinis, scandaleusement qualifiés d’effrayants par Blaise Pascal.

Pardon aux lecteurs de Libé pour la prose incompréhensible de Bayon. Pardon à ceux du Figaro pour ses valeurs obstinément bourgeoises. Pardon à ceux de L’Express pour les écharpes de Christophe Barbier. Pardon à ceux de Valeurs actuelles pour y avoir écrit… Euh non, attendez ! Avec tous les points de moralité que je viens d’accumuler, je ne vais pas, en plus, m’excuser pour quelque chose que j’aurais vraiment fait…

OSS SS !

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Le Festival de Cannes a dévoilé jeudi les films en compétition. Pour tout dire, l’édition 2009 ne réunit pas que des cinéastes amateurs : Ken Loach, Pedro Almodovar, Ang Lee, Jane Campion, Quentin Tarantino ou encore Alain Resnais sont en lice. Cependant, les cinéphiles avertis s’en étonneront : le dernier OSS 117, vu depuis sa sortie par plus d’un million de Français, n’a pas été retenu dans la sélection du jury cannois. Pire : tout s’est déroulé dans l’indifférence la plus totale. Même Dany Boon, pourtant jamais en reste lorsqu’il s’agit de dénoncer la partialité de la profession, n’a rien trouvé à y redire. Tout fout le camp.