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Européens de tous les pays, abstenez-vous !


Européens de tous les pays, abstenez-vous !

Notre ami Paul Thibaud a fait, il y a quelques semaines, un coming out courageux lors de son passage dans les « Matins » de France Culture. Qu’on se rassure : l’ancien directeur d’Esprit n’a pas avoué son penchant à prendre Cupidon à l’envers, ce qui lui aurait sans doute valu les applaudissements des éminentes personnalités qui peuplent chaque matin ce studio d’élite. Le pédé catho, tendance Act up, est furieusement tendance, mais ce n’est pas le genre de la maison Thibaud.

Le maître des lieux, Ali Baddou interroge donc son invité sur ses intentions de vote lors des élections européennes du 7 juin prochain. Baddou, en fait, est un type pas trop compliqué dans sa tête, pour qui un catho est ipso facto un démocrate-chrétien, donc un fan de l’Europe de Robert Schuman, Jean Monnet et Jacques Delors. Comme il se dispense souvent de lire d’un peu près les écrits des gens qu’il reçoit, ce qui lui a valu naguère de se planter grave face à Jacques Attali, il s’attendait à la réponse politiquement correcte d’un bon citoyen qui va aux urnes quand on lui dit d’y aller. C’était bien mal connaître Paulo le Thala[1. En argot normalien ou khâgneux désigne ceux qui vont à la messe, donc les catholiques.], qui répondit qu’il pensait s’abstenir, comme il le fit en 2004 lors de ce même scrutin.

La petite bande de copains (Olivier Duhamel, Alain-Gérard Slama, Alexandre Adler, Marc Kravetz et la meuf de service ce jour-là) qui pérorent sur France Cul cinq matins par semaine ont failli s’en étrangler d’indignation (surtout Olivier Duhamel, qui n’a pas renoncé au rêve de revenir siéger à Strasbourg). Le blasphème était d’une telle énormité qu’Ali Baddou laissa à peine le temps à Thibaud de proférer quelques explications de non-vote pour repasser dare-dare à un sujet moins scabreux, la glose sur les paroles verbales de Benoît XVI. Retour, donc, en catastrophe à la case catho, dont Popaul de Saint-Sulpice n’aurait jamais dû s’éloigner.

Dommage, car il eût été intéressant d’entendre l’invité du jour développer son analyse de cette « Europe des comme si… » que l’on nous invite à honorer de nos suffrages républicains. Et si l’on faisait comme si l’Union européenne était une nation en plus grand et plus beau ? On dirait qu’on aurait un gouvernement – la Commission – contrôlé par un Parlement démocratiquement élu au suffrage universel de tous les citoyens des pays membres. On dirait qu’il y aurait une gauche, une droite, un centre et pourquoi pas une extrême gauche et une extrême droite. On dirait qu’on ferait des lois pour que la prospérité, l’harmonie et la concorde règnent à jamais sur ce continent perclus d’Histoire. Cela fait trente ans que ça dure, et le résultat n’est, pour le moins, pas à la hauteur des espérances de ses promoteurs dont les deux plus éminents, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, sont encore en vie pour constater les dégâts.

Si la politique pouvait se pratiquer sur le modèle des jeux d’enfants qui parviennent très sérieusement à créer un espace imaginaire en marge de la réalité pour le plus grand profit de leur développement intellectuel et affectif, l’Europe ne serait pas frappée de cette « frigidité » déplorée par Elie Barnavi dans son dernier ouvrage[2. Elie Barnavi, L’Europe frigide, éditions André Versaille.]. Le réel, dans son épaisseur brutale, a au contraire révélé que l’Union européenne est incapable de devenir l’espace du politique, c’est-à-dire cette agora continentale où les citoyens se regroupent par affinités d’idées et de convictions en dépassant leurs appartenances nationales et culturelles.

Un démocrate-chrétien, un vrai, un de ceux que le Général raillait jadis en les comparant à des cabris, Jean-Louis Bourlanges, en a fait le constat amer : après cinq mandats au Parlement de Strasbourg, il en a tiré les conséquences en démissionnant en décembre 2007. Ses réflexions désabusées dans la dernière livraison de la revue Commentaire sont, à cet égard, édifiantes.

Les peuples, dans cette affaire, se sont comportés comme on pouvait s’y attendre: en boudant de plus en plus un scrutin dont ils ne parvenaient pas à discerner la nécessité ni l’utilité. Les remontrances peinées, les péroraisons à vocation pédagogique, le chantage au déclin, ainsi que les exhortations surjouées à se passionner pour le grand dessein d’une Europe unie face aux grands empires de l’Est et de l’Ouest de nos éditorialistes installés (Bernard Guetta, Colombani ou les Duhamel) n’ont pas fait bouger la tendance d’un iota, bien au contraire. Il semble même probable que le millésime 2009 de l’élection au Parlement européen se révèlera encore plus pauvre en participation électorale que celui de 2004.

Il faut dire, pour ne parler que de la situation française, que les partis politiques ont fait très fort : à l’UMP, au PS et même chez les Verts et Villiéristes la constitution des listes en dit long sur la considération qu’ils accordent à l’assemblée de Strasbourg. Rachida Dati n’est pas très loin de la vérité en donnant en rigolant devant les jeunes UMP cette définition de l’Europe où son patron a décidé de l’exiler : « Elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper et puis… elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ces affaires à s’occuper… Donc nous. » Tous les beaux discours de Michel Barnier, le politicien le plus ennuyeux et creux produit par la maison gaulliste ne parviendront pas à gommer la sortie impromptue de Rachida : on envoie à Strasbourg ceux qui ont trop servi à Paris ou qui ont besoin d’une base matérielle leur permettant de mener tranquillement leur carrière politique nationale sans avoir à rendre de comptes à des électeurs trop proches, comme les députés ou les sénateurs de la République. L’apport de Vincent Peillon ou d’Henri Weber à la tambouille communautaire ne sera certainement pas à la mesure du talent avec lequel ils naviguent aujourd’hui dans les eaux troublées du PS…

La troïka verte, bricolée à l’esbrouffe par un Cohn-Bendit au mieux de sa forme est une façade dont les lézardes ne manqueront pas d’apparaître une fois l’élection passée: entre le libéral-libertaire Cohn-Bendit, le faux paysan altermondialiste Bové et le « décroissantiste » Besset, auquel s’ajoute la mère la morale luthérienne Eva Joly, on ne voit pas très bien ce qui peut ressembler à une politique cohérente.

L’alliance du chouan de Villiers et du chasseur Nihous a, certes, un parfum nostalgique d’une vieille France qui verrait enfin le châtelain réconcilié avec Jacquou le Croquant, mais on ne fera croire à personne que cette association va au-delà de la simple arithmétique électorale. Pour le reste, extrême gauche, extrême droite se fichent de l’Europe et de son Parlement et se placent pour causer dans le poste et éventuellement économiser des postes de permanents en les transformant en élus du peuple.

Donc, cher Paul Thibaud, que personne ne peut soupçonner d’être un mauvais citoyen, vous avez, trop brièvement à mon goût, donné le bon choix aux égarés que nous sommes dans cette foire aux vanités et aux arnaques électorales. Quand faut pas y aller, faut pas y aller !

Mai 2009 · N°11

Article extrait du Magazine Causeur



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