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Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

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France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…

Le vote utile, oui, mais utile à qui ?

28 % ! Un triomphe, une victoire historique pour l’UMP. Une dégelée pour ces ânes bâtés du PS, embourbés dans leurs querelles internes, comme disent les journalistes qui savent. Hop, fermez le ban. Ces élections européennes sont pliées. On passe à autre chose.

La droite gouvernementale, aidée par les supplétifs du Nouveau Centre, pointe en tête. Aux alentours de 28 % des intentions de vote pour le scrutin du 7 juin. Le PS à la ramasse se situerait dans la moyenne des précédentes élections avec près de 22 %. Et tous nos commentateurs attitrés de s’exciter sur une nouvelle phase de « turbulences » pour le « partidemartineaubry », qui manquerait de légitimité, de lisibilité, de crédibilité, ou de machintrucité.

Plus le temps et les élections passent, plus nous aimons les journalistes et leurs émotions adolescentes pour les chiffres des premiers sondages venus. Essayons donc d’être calme et de faire des règles de trois.

La droite d’abord : souvenons-nous, il y a deux ans, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Avec 53 % des voix. Passons aux législatives, la majorité présidentielle les a emportées avec 49,66 % des voix, contre 42 % pour le PS. Et aujourd’hui, donc, par le miracle de la règle à calcul, avec 28 % on parle de banco pour l’UMP ! Il est vrai qu’en période de crise on apprend à se contenter de peu. Mais là, on se demande si la droite officielle ne devient pas un peu trop adepte de la décroissance. D’autant que les élections européennes, au risque d’enfoncer nous aussi des portes ouvertes, ne sont pas très mobilisatrices. Là aussi, revenons aux chiffres : 2004, 42 % des Français inscrits sont allés voter, soit 17 752 603 électeurs sur 41 518 595 sont censés pouvoir donner leur avis. Ça calme déjà.

Alors les 28 % à venir devraient aussi calmer les ardeurs des communicants de l’UMP. Parce que ça chiffre à peine à 5 millions le nombre d’électeurs désireux de porter en triomphe le président Chouchou.

Et la gauche alors, bon dieu. Pourquoi n’essaie-t-elle pas de délivrer calmement cette petite leçon d’arithmétique à l’usage des malcomprenants ? À l’exception de l’animal à sang froid Cambadélis, qui remarque ce mardi dans Le Parisien que la droite aurait dû au moins rassembler 40 % et qu’elle s’écroule, pas une tête de liste pour endosser ce constat plein de bon sens.

Alors, soyons, une fois n’est pas coutume, pervers. Dans le fond, la dramatisation, genre « l’UMP va vous en faire baver si vous ne venez pas voter ou si vous cédez aux sirènes des listes qui sont à gauche » (pardon à gauche du PS), donc cette dramatisation donne une raison d’être à la campagne du PS.

Au départ celle-ci était orientée de façon offensive contre l’Europe de « Sarkozy et Barroso ». Au moins ce slogan négatif évitait d’avoir à trop discuter contenu, déminait le contentieux ouiouiste/noniste et devait mobiliser le socialiste lambda en colère contre l’omniprésident. Patatras. Les camarades lambda n’ont pas aimé cette campagne négative. Repatatras, José-Luis Zapatero, le grand ami espagnol, explique, lui, qu’il n’a rien contre une nouvelle candidature de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. Pour éviter la cata, les socialistes d’en haut cherchent vaguement des idées, n’en trouvent pas, et finissent par proposer ce fabuleux slogan mobilisateur : « Pour une Europe à gauche, maintenant. » Allez savoir pourquoi, aucun miracle ne s’en est ensuivi…

Du coup, un Solférino boy, du fond d’un bureau aveugle, avec du linoléum beige usé au sol a une idée : et si on refaisait le coup du vote utile, hein ? Genre, l’antéchrist c’est la droite, la menace c’est la dispersion ! Donc, au lieu de vous amuser, votez PS, sinon faudra pas vous plaindre quand les hordes de caissières roumaines ou de banquiers luxembourgeois débarqueront dans nos belles provinces. L’électeur socialiste, on le sait, a la culpabilité facile depuis un fameux 21 avril. Ça devrait donc suffire pour une campagne de même pas trois semaines.

Et puis au fait, si l’objectif de la gauche, comme de la droite ou de tous les autres, pardon, n’était pas uniquement de faire de ces élections un moment de politique. Non, il s’agit bien souvent de garantir un statut social à de pauvres hommes et femmes politiques qui ont besoin de Bruxelles pour survivre. Des ministres en disgrâce (Dati) aux fantômes politiques (Harlem Désir), en passant par des recalés du suffrage direct (Peillon) et, enfin, des redécoupées de l’Assemblée qui veulent pas aller chercher un travail, un vrai travail s’entend (Aurélie Filipetti). Vincent Peillon envoyé « à contrecœur » jouer la tête de liste dans la région Sud-Est pour le PS ne fait même pas mine de dire autre chose quand il appelle au vote utile : « Combien de députés Besancenot fera perdre au groupe socialiste en obtenant 4 à 6 % des voix… » Ben oui, Vincent a une famille à nourrir, lui. Electeurs, soyez gentils, un petit bulletin le 7 juin pour manger et rester propre.

Sarah Palin va bien

Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, va bien. La plus belle femme politique de la planète et de tous les temps, à l’exception peut-être de Cléopâtre, va écrire et publier ses mémoires l’année prochaine. L’annonce a été faite par Bill Murray, PDG de la maison d’édition HarperCollins, qui déclare de la toute divine Sarah aux bras blancs qu’elle a « une histoire fascinante à raconter » et qu’il s’agit d’une « des personnalités les plus charismatiques de la vie politique américaine ». Il est amusant de savoir que HarperCollins est aussi l’éditeur de Christopher Moore, un des écrivains les plus underground, trash et drôle des USA (voir L’Agneau, disponible en Série Noire). On ne sait pas en revanche si Sarah Palin annoncera dans ce livre son audacieux programme marxiste de dépérissement de l’État pour 2012, qu’elle déguise sous le nom de libertarianisme pour ne pas affoler les chasseurs de phoques. Car, en plus d’être sublime, ma Sarah, c’est un vrai génie politique.

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Européens, ne nous cassez pas les urnes !

Renchérissant sur Paul Thibaud, qui confessait sur les ondes de France Culture ne pas juger bon de se déplacer vers l’isoloir le 7 juin prochain, mon collègue de colonne, Luc Rosenzweig, appelait les Européens à l’abstention, rejoint dans la foulée par David Dupré qui avouait – faute avouée, à demi-pardonnée – donner son suffrage à la liste « Europe Démocratie Espéranto ».

Faut pas charrier, les amis. L’espéranto, je n’y crois pas. Quiconque a un peu d’esprit et de lettres le sait : c’est le volapük qu’il nous faut ! Inventée par un curé catholique de Baden, Johann Martin Schleyer, cette langue est si compliquée que ses défenseurs ne la parlaient même pas entre eux, lorsqu’à la fin du XIXe siècle ils se réunissaient en colloques et symposiums pour déterminer s’il fallait cinq ou dix ans pour l’imposer au reste du monde. Il y a, dans le volapük, ce que disait Paul Valéry de l’Europe, c’est-à-dire une conjonction des maximums : maximum de complications, de déclinaisons et d’inepties possibles.

Bref, de toutes les langues que l’esprit humain a inventées – du basic au langage C, en passant par le cobol et le pascal –, le volapük est la langue la plus conforme à l’esprit byzantin qui souffle sur le Berlaymont et ses alentours. Une langue qu’on ne peut pas parler, une langue dans laquelle aucune intelligibilité n’est possible et qui ne permet aucun échange, puisque chacun des locuteurs qui en userait se perdrait inéluctablement dans ses méandres brumeux et ses abstractions foireuses. Mais la plus littéraire des langues qui soit, car au final elle pointe, façon Sarraute et Ionesco, l’incommunicabilité des consciences. Miss Smith ne comprend pas Mr Smith : voilà l’Europe qui commence. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

À cette Europe incompréhensible, unie comme les vingt-sept doigts de la main, le moindre est d’offrir la plus incompréhensible de toutes les langues : le volapük, tout le volapük, rien que le volapük. Le mérite le plus notoire de cet idiome est qu’il continue à rester obscur et confus lorsque l’on est assis sur sa chaise et que l’on y sautille comme un cabri.

Le problème est qu’aucune liste – du moins en France, je n’ai pas regardé ailleurs – ne propose le recours systématique au volapük dans les instances européennes. Vais-je, pour autant, aller tâtonner le goujon le 7 juin ? Bien sûr que non. Si je connais des thons, des carpes et même des tanches, je ne suis, jusqu’à nouvel ordre, pas assez intime avec un goujon pour oser le tâtonner. Même un peu. Fût-il européen. Et de bonne moralité.

Cela étant, en démocratie, on ne vote jamais tout à fait pour son idéal politique, à moins de se présenter soi-même à l’élection – ce n’est pas interdit. Dans la plupart des cas, on est obligé de composer avec la réalité. Non pas de faire comme si, à la manière kantienne. Mais de faire avec, façon Gilbert Bécaud dernier album. Le vote n’est pas la simple expression d’une adhésion totale à un représentant et à ses idées : il est un choix. Et comporte, par nature, une part de reniement de soi-même. C’est cet abandon de soi que Rousseau, l’un des pères putatifs du totalitarisme, dénonçait déjà dans son Projet de Constitution pour la Corse de 1763, puis dans le Contrat social, en critiquant le système parlementaire : la démocratie représentative va toujours à l’encontre de notre nature.

Lorsqu’on vote, on ne porte jamais son suffrage vers celui qui pense comme nous, mais toujours vers une approximation. À moins d’être le militant dont Régis Debray tirait le portrait en 1981 dans la Critique de la raison politique, on vote, toujours et parfois malgré soi, en désespoir de cause. Et l’on devrait se méfier comme de la plus grande peste de ceux qui veulent « réenchanter le politique » : le monde n’est pas une opérette, mais un juste et relatif milieu entre la peste et le choléra, la grippe porcine et la grippe aviaire, le rhume et l’eczéma. C’est au centre que nous avons, en définitive, à voter. Pas au centre de l’échiquier politique actuel, où l’on entend, par exemple, un Jean-François Kahn tenir les mêmes discours que Le Pen hier sur la sécurité et le risque des vagues d’immigration déferlant sur l’Europe. Même Sarkozy n’avait pas osé. Non, il s’agit de voter au centre : là où, même aveugle, nous pensons pouvoir toucher au plus proche du cœur de la cible que nous avons nous-mêmes déterminé.

Moi, par exemple, qui ai été élevé dans un républicanisme séguino-chevènementiste, j’essaie d’ajuster le tir. Ce n’est pas certain que je vais réussir, mais au moins j’aurai essayé. Ce que je sais, c’est que je ne voterai pas pour les listes Dieudonné. D’abord, parce qu’il n’en présente pas dans le Grand est, que je ne suis pas suffisamment gaga pour confondre le café-théâtre et l’isoloir et, last but not least (je ne sais pas comment on dit ça en hébreu) parce que le fameux lobby dont est censé dépendre Causeur ne m’a pas encore payé suffisamment pour les articles (superbes) que j’écris – Elisabeth, tu l’as mis où, le lobby ? Je ne voterai pas non plus pour Europe Écologie : je suis Strasbourgeois, d’accord. Mais je suis aussi patriote et je pense que lutter contre la présence du Parlement européen à Strasbourg au nom du « bilan carbone » comme le fait Daniel Cohn-Bendit, n’est rien d’autre que la plus grosse fumisterie de tous les temps. Et je ne vous dis pas comme c’est polluant, une fumisterie industrielle à ce point-là.

Peut-être voterai-je communiste, enfin Front de gauche. Rien que pour embêter Jérôme Leroy. Et le déboussoler encore un peu, moi qui me souviens de Malraux et du papier à cigarette dont les feuilles ne séparent jamais rien de rien. Ou PS, pour équilibrer le vote Kouchner.

Enfin, je voterai. Et je le ferai comme je vote aux cantonales, même si je sais pertinemment que le pouvoir d’un conseiller général est proche du zéro absolu quand le contingent d’aide sociale – c’est-à-dire les dépenses obligatoires – prend une place telle dans le budget des départements qu’ils n’ont plus aucune latitude pour mener leurs propres politiques. Car la réalité, c’est aussi ça : des marges de manœuvres partout de plus en plus réduites.

À Strasbourg, Peter Sloterdijk m’a un jour confié être étonné par les appartements de ses amis français : on s’y croirait, disait-il, comme dans un musée. Et il poursuivait : les Français font aussi de la politique comme dans un musée. Emportés par le romantisme, ils croient encore aux destins impériaux tout comme aux lendemains qui chantent.

J’avais été choqué par son propos. Je ne le suis plus. Peter avait raison : la politique ne chante pas. Elle ne chante plus les tubes que nous connaissions et, au juke-box démocratique, nous reste comme ultime devoir de ne plus sélectionner que notre petite musique. À notre rythme, mais peut-être pas très accordée.

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Donné, c’est volé

C’est pas pour vous raconter ma vie, mais, jeudi dernier, j’ai piqué une grosse colère. Et le plus pénible, c’est que c’était contre moi-même (quand on a une contrariété, il est toujours préférable d’avoir quelqu’un à qui s’en prendre). Alors que je m’apprêtais à passer une délicieuse matinée à lire et à traîner, avec en prime la bonne conscience du travailleur, je me suis rappelé avoir donné mon accord pour participer à « La pause d’actu », émission quotidienne sur Direct 8, au cours de laquelle deux « invités » (qui sont en fait des chroniqueurs) commentent les sujets du jour. Après que Yoann Cambefort, un jeune homme fort bien élevé, m’eut dit sur tous les tons qu’ils tenaient absolument à m’avoir moi et pas une autre, et qu’il adorait ce que je fais (mon célèbre bœuf mironton ?), j’avais piteusement laissé choir mon fromage et oublié mon principe cardinal : pas de travail non rémunéré. Certes, je n’ai aucune raison de mettre en doute la sincérité des jeunes gens talentueux et sympathiques qui sont aux manettes de cette émission, mais enfin je sais ce que c’est : il faut trouver chaque jour deux bonnes poires qui acceptent de perdre trois heures de leur temps, avec, pour seule rétribution, le fait de passer à la télé – et pas exactement sur TF1. Je sais que leurs handicaps de départ – faible audience de la chaîne, faible notoriété des journalistes – les obligent à ratisser large et à être insistants. Il n’empêche que je m’étais laissé faire. Il faut dire que je n’ai pas de chance : les médias sont peuplés de gens qui se feraient hacher menu plutôt que de m’inviter, et justement ce sont ceux qui payent. Mes « admirateurs » ne sont jamais les décideurs-payeurs. Je me demande bien pourquoi mais ce n’est pas le sujet.

J’étais donc, ce matin-là, dans d’excellentes dispositions jusqu’à ce que cet engagement me revienne en mémoire. Quand Clélie Mathias, présentatrice de l’émission avec Emmanuel Pontneau, m’a fort courtoisement appelée pour discuter des sujets que nous allions traiter, j’ai passé à cette malheureuse fille le savon que j’aurais dû m’infliger à moi-même.

– Je vais venir mais je vous préviens, ça me met hors de moi de travailler sans être payée.
– …
– Vous, vous êtes payée, non ?
– Euh… oui, mais moi je suis salariée de la chaîne.

Que n’avait-elle dit là ! Elle a pris pour tous les autres : les présentateurs payés des fortunes qui vous expliquent que pas d’argent[1. Afin d’éviter les conclusions hâtives je précise que quand je travaillais avec FOG à France 3 ou avec Laurent Ruquier à Europe 1, mon travail était plus que correctement rémunéré.], les jeunes crétins qui vous font comprendre qu’ils vous font un grand honneur de vous inviter sans avoir une traitre idée de la raison de cette invitation, sans oublier tous les confrères qui, à force d’accepter avec le sourire cette exploitation éhontée, ont fini par la faire passer pour normale. Certes, il m’arrive de céder à la vanité ou aux instances amicales d’un confrère, mais au moins je râle – ce qui me procure la satisfaction de provoquer la stupéfaction de mes interlocuteurs.

Morte de honte de m’être (exceptionnellement) laissée emporter, je me suis tenue à carreau sur le plateau ; d’ailleurs, dans son genre, l’émission est préparée avec sérieux et les invités-chroniqueurs y sont fort bien traités. Tant qu’à travailler gratos, autant aider des jeunes méritants.

On me dira qu’il n’y a pas là de quoi s’énerver. Et pourtant si. Parce que la gratuité n’est plus une exception et que, dans certaines activités, elle est même en passe de devenir la règle. Grâce à Internet, elle serait même, s’enthousiasment certains, le fondement d’une nouvelle « culture » – rien que ça. D’ailleurs, en anglais, ça sonne tellement bien : qui pourrait s’insurger contre la loi du « libre » ? Qui oserait mettre en doute la grandeur d’un acte gratuit ?

Les tribulations de la loi Bruni-Hadopi (ainsi rebaptisée par les bons soins d’un ami) ont attiré l’attention du public sur les mauvaises manières faites aux artistes. « La gratuité, c’est le vol », proclamait il y a un an Denis Olivennes, l’un des initiateurs du texte – dans le cadre d’Ouverture Sans Frontières, sans doute. D’ailleurs, cette plaisante formule que j’aurais bien voulu avoir trouvée avait un seul défaut, qui était justement son auteur ou plutôt la qualité d’icelui (rien de personnel). À l’époque, il était patron de la FNAC et de mauvais esprits auraient pu penser qu’au-delà de ses excellents principes, Olivennes défendait surtout ses intérêts. Il est vrai que la FNAC n’est pas un vulgaire marchand mais un agitateur d’idées. Pas d’histoires d’argent entre nous.

En tout cas, grâce aux hadopistes, l’idée que la création artistique est un travail qui mérite salaire fait son chemin, même dans les jeunes cerveaux les plus embrumés par les substances illicites et néanmoins payantes. Mais tout le monde, à commencer par toi, cher lecteur, continue à trouver absolument normal que, sur Internet, l’information soit cadeau. Sur ce point précis, je ne saurais donner tort à l’admirable Edwy Plenel. Notre résistant éternel, à la pointe du Combat pour une presse libre, titre de l’ouvrage qu’il est venu, vendredi dernier, vendre sur France Inter dans un grand numéro de nopasaranisme, a courageusement choisi un modèle payant pour son site Médiapart, mais apparemment les Français n’aiment pas la presse libre, en tout cas pas suffisamment pour la payer, et le nombre d’abonnés ne semble pas être à la hauteur des espérances plénéliennes.

Tout cela m’a rappelé la remarque aigre et impérative d’un lecteur à propos de la nouvelle formule de notre (superbe) mensuel : « SCANDALEUX de devoir payé pour des articles ! Publier les ici !!! », écrivait Gwen. On m’accordera qu’il est bien plus scandaleux encore de torturer la langue française de cette façon. Reste à comprendre ce qui a bien pu mettre dans la tête de Gwen l’idée que les articles poussaient tout seuls et qu’il n’y avait qu’à se baisser pour les ramasser comme des fleurs sauvages. Scandaleux de devoir payer ? Eh bien moi, ce que je trouve sinon scandaleux du moins fâcheux, c’est que Gwen trouve parfaitement normal d’avoir accès gratuitement au fruit du travail d’une bonne quinzaine de personnes. Gwen (et tous ceux, bien trop nombreux, qui pensent comme lui ou elle) imagine peut-être que nous sommes des héritiers ou des êtres particulièrement frugaux se nourrissant de quelques dattes par jour et vivant dans des tentes Quechua sponsorisées par Augustin Legrand. Qu’il le sache, à une ou deux exceptions près que je ne nommerai pas ici, c’est tout-à-fait faux. Un article demande autant de travail, qu’il soit destiné à être publié dans un journal ou sur Internet. Et que les collaborateurs de Causeur que nous ne pouvons pas encore rémunérer le sachent, nous n’en sommes pas fiers.

Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi nous n’avons pas, conformément à nos grands principes, opté pour un modèle payant. Tout simplement par réalisme. Nous n’allons pas changer le monde avec nos petits bras et nos jolis cerveaux – en tout cas pas si vite. Un site payant eût été condamné d’avance. Puisqu’on trouve pareil ou presque (des mots et des phrases, tout ça) à trois jets d’url sans avoir à débourser un centime.

Contrairement à ce que l’on répète en boucle, pour s’en désoler ou s’en émerveiller, la culture de la gratuité n’a pas été inventée par et pour Internet, elle est au moins aussi ancienne que la radio privée. L’auditeur d’Europe 1, de RTL et de toutes les stations que l’on appelait autrefois « libres » (nous y revoilà) serait sans doute aussi scandalisé que Gwen si on lui demandait de payer pour écouter. Alors, payer pour lire…

Seulement, sur Europe 1 comme sur Causeur, cette « gratuité » est une entourloupe. Quelqu’un paye, et ce quelqu’un est l’annonceur (sur le papier, car pour l’instant, comme Médiapart et comme les autres, nous vivons sur les fonds investis au démarrage). Pour accéder sans bourse délier aux programmes de radio ou aux « contenus » d’un site, le citoyen accepte d’être exposé à des messages publicitaires qui visent à lui faire lâcher de mille manières l’argent économisé sur notre dos.

On me dira, enfin, que c’est la loi du marché et que je n’ai qu’à fabriquer des fanfreluches, des écrans plats ou des produits amaigrissants plutôt que des articles. « Fais des livres qui se vendent », m’a lancé un jour un médiacrate à qui je me plaignais de mes maigres émoluments. En somme, si les gens ne sont pas prêts à payer, c’est que ce nous fabriquons n’a pas de valeur – la loi de l’offre et de la demande, c’est simple, non ?

Désolée, mais justement ce n’est pas si simple. On ne m’enlèvera pas de l’idée que la valeur qu’une société accorde au travail intellectuel dit, au moins en partie, la vérité sur cette société. Si le public se contente, en guise de journaux, des catalogues de pub que sont les gratuits, tant pis pour lui et tant pis pour nous. Car, dans ce domaine, le rapport de forces entre producteurs et consommateurs est largement en faveur des seconds, c’est-à-dire vous. Sauf qu’à force de croire et de faire croire que ce travail n’a aucune valeur, plus personne ne voudra s’y coller. Et nous serons tous perdants.

Alors, chers amis causeurs, je n’ai qu’une chose à dire. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

Eurovision, grosse malheur

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L’Allemagne ne s’en relèvera pas. L’Eurovision l’a tuée. Dans la vie d’un pays, finir à la vingt-deuxième place au palmarès européen de la chanson quand seuls vingt-cinq pays concourent, ça peut vous faire durablement des générations de suicidés.

– Tu te souviens de l’Eurovision 2009 ?
– Ne m’en parle pas ! Rapporte-moi une poutre, j’ai déjà la corde.

Je suis sur le point de demander l’asile politique à l’Azerbaïdjan. Je ne savais pas que ce pays était en Europe, je croyais qu’il avait du pétrole : il est arrivé troisième de l’Eurovision. Juste devant lui, l’Islande ne connaît pas la crise et se taille une deuxième place : comment l’Union européenne pourra-t-elle, après ça, refuser la demande d’adhésion islandaise ? Et la Norvège, qu’on croyait juste bonne à faire des omelettes, rafle la mise en poussant la chansonnette.

En Allemagne, nous avions pourtant tout fait pour ne pas en arriver là : nous avions payé un voyage aux Baléares à tous les chanteurs has been que compte notre pays – il n’y a que ça. Olaf Henning, Andrea Berg, Klaus Lage : sur ordre de la chancelière, la police était venue prendre à leur domicile chacun de nos Schlager[1. Chanteur populaire allemand.], les avait mis dans le premier vol pour Majorque en s’assurant que l’avion décolle bien et promettant aux plus récalcitrants qu’ils pourraient avoir un supplément de sangria une fois arrivés là-bas.

– Et j’aurai droit à un rab de patatas bravas ?
– Tout ce que tu veux. Mais ne fais pas le con et monte dans l’avion !

Nous avions fait les choses en grand : nous nous étions même abstenus d’envoyer sur le front russe, pardon à Moscou, un chanteur allemand tel qu’on se le représente en France – uniforme vert-de-gris, casque à pointe enfoncé jusqu’aux paupières, main levée pour montrer la lune à l’imbécile qui regarde le doigt et déjà un peu grisé par les six litres de bière avalés avant le show. Certes, je caricature un peu : les Allemands ne boivent pas autant de bière. Du moins ceux qui doivent monter sur scène.

Pour parfaire les choses, nous avions dépêché à l’Eurovision Alex C. Il a une belle allure de minet latino, il chante en anglais et même son patronyme (Christensen) est raccourci ce qu’il faut pour passer inaperçu dans la masse… Il s’est glissé trois paires de chaussettes dans l’entrejambe, s’est passé la main dans les cheveux comme le plus achevé des serial lovers, puis a chanté Miss kiss kiss bang. Tout ça pour finir vingtième ! La lose totale : il n’est pas parvenu à égaler Nicole, qui en 1982 avait remporté l’Eurovision en chantant Ein bißchen Frieden. Certes, à l’époque, on avait dû payer le jury, le menacer pour qu’il vote en sa faveur ou quelque chose comme ça.

Pour l’Allemagne, l’Eurovision c’est cuit pour les mille ans qui viennent. Alors, je veux bien me dévouer pour donner quelques conseils à mes amis français s’ils veulent remporter le concours l’an prochain.

Déjà, il ne faut pas envoyer Patricia Kaas. En 2010, elle sera un peu trop âgée pour participer et Juliette Gréco risque de piquer encore sa crise : « Mais comment ? Y en a toujours que pour les vieilles ! Et la relève, vous en faites quoi ? Envoyez-moi et je les embobine tous ! » Il ne faut pas non plus envoyer Marie Myriam : elle a remporté le concours en 1977 avec L’oiseau et l’enfant, mais la retrouver aujourd’hui – on ne sait même pas si elle a fini clodo – serait beaucoup trop long et coûteux en recherches.

On s’abstiendra pour les mêmes raisons d’interroger l’état-civil pour savoir si Corine Hermès est toujours en vie. De toute façon, c’est une social-traitre : cette chanteuse française s’était vendue au Luxembourg en 1983 pour gagner l’Eurovision. Elle avait raflé la mise avec une chanson qui parle d’amour, de grand bleu et d’océan : cette année-là, les gens qui ont fait le déplacement au Grand-Duché, croyant y trouver de nouvelles Maldives, ont vite déchanté.

Que reste-t-il à la France pour gagner l’Eurovision en 2010 ? Rien de plus simple.

D’abord, il faut prendre n’importe quel chanteur – ce n’est franchement pas cela qui manque. Puis, changer les attributions d’Hervé Morin en lui enlevant le ministère de la Défense pour lui confier celui de la Guerre. Certes, dans un premier temps, tout le monde prendra ça à la rigolade. Mais il n’est pas dit que l’esprit de sérieux ne revienne très vite quand le premier missile sol-air aura explosé à Oslo, pile-poil sur l’immeuble d’Alexander Rybak, le vainqueur de l’Eurovision 2009 qui ne perd rien pour attendre.

Évidemment, les belles âmes se plaindront que détruire Oslo réduit considérablement les chances de la France pour le Nobel de la Paix. Mais en prix internationaux, c’est comme au baccalauréat : il faut savoir choisir ses options.

On répétera donc ces frappes chirurgicales sur l’Islande, l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Grande-Bretagne et l’Estonie. On bombardera aussi un peu la Suisse : elle n’a rien à voir avec tout cela, mais ce pays a toujours été trop rangé. Peut-être ne faudra-il pas être aussi systématique : les trois premières frappes auront certainement dissuadé les autres concurrents de se présenter à l’Eurovision. Aussi veillera-t-on à accorder trois minutes de réflexion à chacun des pays visés afin qu’il fasse parvenir à Paris sa reddition.

Et là, Français, ensemble, tout sera possible ! Vous pourrez envoyer Carla Bruni, Diam’s ou Patrick Sébastien représenter votre pays : vous remporterez l’Eurovision haut la main. Facile, non ?

Aubry se la joue Royal !

Dimanche 17 mai, invitée du « Grand rendez-vous Europe 1/Le Parisien », Martine Aubry a amorcé un nouveau virage dans la campagne des socialistes. Après avoir joué quinze jours la carte du « vote sanction », épousé une dizaine de jours la cause du « vote utile », le parti socialiste change de cap pour le « vote proposant ». La Première secrétaire a, en effet, déclaré ne plus vouloir être « l’opposante numéro un mais la proposante numéro un », taclant dans la foulée François Bayrou : « Il crie, dénonce, mais être le porte-voix des inquiétudes n’est pas suffisant. » Le terme proposant n’est pas un néologisme, il existe bel et bien en français, mais dans des acceptions strictement réservées à la religion et à la médecine (la fameuse union du goupillon et du clystère ?) : une proposante c’est d’abord une jeune théologienne protestante qui étudie afin de devenir pasteur… Est-ce que cela veut dire qu’en cas d’échec de son parti aux prochaines élections Martine Aubry devient RPR et adopte la Religion Prétendue Réformée ? N’allons pas si loin dans l’extrême ! Car une proposante, c’est aussi une malade qui est la première de sa famille à consulter pour une affection génétique héréditaire… D’où la fille de Jacques Delors peut-elle bien donc tenir son européanisme forcené ? Mystère et boule de gomme. A moins que cet usage assez inconsidéré de la langue française ne soit une tactique sournoise du maire de Lille pour oser un rapprochement avec Ségolène Royal… Y en faut de la bravitude pour être proposante !

Plutôt rouge que mort-vivant

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« Ceux qui espèrent que le Parlement européen résoudra une attaque zombie aussi facilement qu’une grève de routiers feraient mieux de se rappeler ce qui s’est produit la dernière fois qu’un fléau a frappé leur pays. Il suffirait de cinq zombies en Andalousie pour générer une épidémie qui déferlerait sur le Pays de Galles moins de trois semaines plus tard. »

À qui doit-on ce salutaire avertissement à moins de trois semaines des élections européennes ? Évidemment pas aux listes présentées par le bloc central du libéralisme et/ou de la fausse contestation médiatique (UMPS, Modem, FN, Verts, Ecolos, Libertas, NPA). Mais enfin, nous aurions pu décemment espérer que des mouvements responsables comme le Front de gauche ou Debout la République réagissent sur cet important problème et mettent en garde leurs concitoyens sur le « solanum », ce virus qui envahit la circulation sanguine à partir d’une morsure initiale et atteint le cerveau, tuant au bout d’une vingtaine d’heures avant de vous transformer en mort-vivant, très précisément à H+23. On comprend que la grippe porcine fait évidemment figure d’aimable plaisanterie voire de leurre pour ne pas avoir à affronter cette effroyable vérité.

Hélas, l’honnêteté intellectuelle nous force à reconnaître que cet avertissement de bon sens nous vient d’un Américain, Max Brooks, dont nous vous avions déjà entretenu il y a quelques temps déjà pour son roman World War Z. C’était par le biais de la fiction qu’il avait essayé de nous sensibiliser à la question zombie mais devant notre indifférence, il a décidé d’attaquer frontalement en nous donnant ce Guide de survie en territoire zombie qui va s’avérer des plus utiles lorsque le monde qui s’effondre sous nos yeux aura achevé son processus de décomposition. Evidemment, dans la mesure où l’on n’est pas ouvrier chez Continental, Tigre tamoul, fumeur ou électeur social-démocrate, il est difficile d’imaginer à quel point tout ce qui fait notre quotidien peut disparaître dans l’horreur, et avec la même rapidité que celle de la police pour mettre en garde-à-vue des syndicalistes d’EDF-GDF.

Pourtant que ferez-vous quand cela arrivera, parce que cela va forcément arriver et pour nous en convaincre, Max Brooks consacre une partie importante de son livre aux nombreuses épidémies qui ont été soigneusement occultées car les autorités étaient parvenues à les circonscrire in extremis. Citons pour mémoire, parmi les 223 recensées dans ce guide, celle d’Edo en 1611, celle de la baie de Santa Monica en 1994 mais aussi celle qui nous intéresse au premier chef car elle frappa Paris en 1807 et obligea Napoléon à fermer un hôpital après le rapport du médecin Reynald Boise décrivant un « patient incohérent, quasi animal et doté d’une insatiable soif de violence ».

Vous avez le droit de prendre ce livre pour un canular, une aimable fantaisie qui pourrait être l’œuvre d’un érudit borgésien se lançant dans l’écriture d’un manuel des castors juniors. C’est que vous n’avez jamais vu des adolescents en voyage scolaire avec des écouteurs sur les oreilles recevant du son MP3 directement dans le cortex, des courtiers aux gestes désordonnés dans une salle des marchés ou encore des supporteurs ethno-différentialistes dans les tribunes du PSG. Sinon vous sauriez, comme le disait le célèbre générique d’une série des années soixante, que le cauchemar a déjà commencé.

Ne vous trompez pas de danger, chers Causeurs de tous bords, comme d’autres se trompent de colères. Chassez vos fièvres obsidionales concernant l’immigration, clandestine, les gauchistes dans les universités ou les patrons voyous. Ce n’est pas de là que viendront les vraies invasions barbares mais du péril zombie. Quand ils arriveront en force, il sera très utile, par exemple, de savoir s’il vaut mieux se déplacer en berline, en SUV ou en moto quand on n’a pas la chance d’avoir trouvé un véhicule blindé. Il faudra aussi être capable de choisir le terrain de survie le plus adéquat : jungle, désert ou châteaux de la Loire mais en tout cas plus jamais les villes. D’apprendre à porter des vêtements serrés et des cheveux courts ainsi que de penser, lorsque vous vous réfugierez dans une maison pour soutenir un siège, à remplir tout de suite la baignoire car on ne sait jamais à quel moment l’eau sera coupée. Néanmoins, par sa concision, le conseil donné par Max Brooks que l’on préfèrera est une judicieuse remarque sur les armes les plus efficaces contre les zombies : « Les machettes n’ont pas besoin de munitions. »

Les morts-vivants vont arriver et vos pauvres vacances n’y pourront rien, pourrait-on dire pour paraphraser un slogan de Tiqqun. Alors plutôt que de vous offrir un bien inutile Routard pour Bali, investissez dans ce Guide de survie en territoire zombie.

La Crise, c’est aussi savoir acheter utile.

Il est bon, mon sauvage !

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La presse française consacrant toutes ses forces à nous parler du talent trop méconnu de Patricia Kaas ou de Johnny Hallyday, c’est comme d’hab’ vers nos confrères d’outre-Manche qu’il faut se tourner pour savoir ce qui se passe dans le monde – y compris chez nous. Figurez-vous qu’un chercheur français, nous apprend The Guardian, vient peut-être de résoudre une des énigmes les plus taraudantes de la Préhistoire : la disparition des Néanderthaliens. D’après Fernando Rozzi du CNRS, leur extinction n’a rien de si mystérieux : ils auraient juste été bouffés par les hommes modernes. Cro-Magnon considérait son lointain cousin à gros pif comme un vulgaire animal de boucherie ! A l’appui de cette hypothèse, le paléo-nutritioniste nous explique qu’un nombre impressionnant de squelettes néanderthaliens porte des micro-traces de dépeçage, qui laissent peu de doutes sur l’identité des coupables et sur leurs mobiles. La coexistence pacifique entre les deux catégories d’homos était jusque-là un des thèmes récurrents de la plupart des séries de vulgarisation scientifique, genre L’odyssée de l’espèce. Il est vrai qu’elle présentait l’insigne avantage de faire remonter à la nuit des temps la mondialisation forcément heureuse et l’enrichissement obligé par les différences. Avec cette réécriture du mythe du bon sauvage, va falloir trouver autre chose à se mettre sous la dent…

Le 7 juin, votez Zamenhof

Il y a quelques jours, Luc Rosenzweig, marchant sur les pas de Paul Thibaud, lançait un appel à l’abstention sur de solides bases : la construction européenne est épuisée et le Parlement européen une institution parodique, les citoyens ne sont donc pas tenus de se prêter à cette comédie démocratique. Je partage l’essentiel de l’argumentation de mes deux aînés mais nos chemins bifurquent pourtant.

En l’absence de reconnaissance – pas seulement arithmétique – du vote blanc, le citoyen a peu de solutions pour témoigner son mécontentement. L’abstention ne blesse personne. Elle est largement anticipée. Elle sera probablement commentée comme « historique » et fournira matière à colloque sur « le déficit démocratique de l’Union »… Bref, l’abstention attendue est déjà digérée par la machine. Dans la dernière livraison de Commentaire, Jean-Louis Bourlanges ironise sur l’avenir des élections européennes faisant mine de prophétiser, un jour, une participation à un chiffre.

Autrefois, le scrutin européen pouvait être utilisé comme défouloir. Les listes diverses récoltaient bon nombre de suffrages. Le souvenir du 21 avril et le nouveau mode de scrutin ont entraîné en 2004 un retour à l’ordre. Malheureusement, le cru 2009 s’annonce tout aussi triste.

Les sondages – photos floues et mal cadrée d’un événement qui n’aura jamais lieu – font craindre la victoire du complot des raisonnables : le duo UMP-PS attirent 50 % des intentions de vote et leurs flancs respectifs sont atomisés (LO, NPA, Front de Gauche, Libertas, DLR). Seuls les écologistes et le Modem, crédités d’une dizaine de points, sont susceptibles de gâcher la fête. Si les résultats confirmaient les sondages, tous seraient perdants à la seule exception du président de la République. S’abstenir, c’est le conforter. Quoi qu’on pense de lui, il existe un choix plus amusant.

De la cantonale partielle (dont on vit les dernières heures) à la reine des élections, la politique est une affaire de professionnels. Beaucoup de politiciens sont ridicules, aucun n’est loufoque. Les Européens offrent aux électeurs une occasion d’honorer la loufoquerie.

En juin prochain, cette option peut prendre deux visages. Dans la veine situationniste, Gaspard Delanoë avait provoqué un mini-bug démocratique en 2008 lors de l’élection municipale dans le Xe arrondissement de Paris, en neutralisant sur son patronyme un nombre anormalement élevé de voix. Avec son « Parti Faire un Tour », la gentille dinguerie avait son candidat comme la haine sinistre a aujourd’hui le sien avec Dieudonné.

À peine moins loufoque, la liste Europe Démocratie Espéranto offre une perspective historique beaucoup plus séduisante. Ni insignifiante ni gratuite, la démarche des militants de l’espéranto est d’abord d’obtenir une minuscule tribune et quelques micros. Mais contrairement à d’autres groupes d’intérêt improbables, cette liste est vraiment à sa place dans cette élection.

Face au triomphe de l’anglais d’aéroport, de New York à Shanghai en passant par Bruxelles, le mouvement espéranto mérite considération et sympathie. Au milieu du prochain siècle, quand l’Union européenne sera devenue une entité politique, quand les vieilles nations auront quitté la place, nos descendants nous reprocheront peut-être de ne pas avoir pensé plus tôt la question linguistique. De ne pas avoir, par courte vue, donné à l’Union son latin.

À plus court terme, « L’Europe des comme si… », justement évoquée par Luc Rosenzweig, est un lieu de bavardage, où le sabir technocratique le dispute aux inventions verbales les moins inspirées. L’Europe parle. Pour masquer son inaction, pour ne pas voir son épuisement. Quiconque a écouté quelques minutes au moins le « 7-10 » de France Inter « spécial Europe », connait ce langage fou, hors-sol déconnecté du réel.

La vacuité des déclarations du président Hans-Gert Pöttering nécessite une langue à part. Le président Pöttering parle français. Félicitons-le. Il est merveilleux de penser qu’à la buvette le président Pöttering peut dialoguer avec ses collègues français. Mais quand le président Pöttering vient évangéliser les foules eurosceptiques gauloises, le sublime et la dignité voudraient qu’il le fasse dans une langue dédiée. Sauf à examiner la candidature du latin (que l’époque disqualifierait probablement pour homophobie et négationnisme), l’espéranto est la seule langue susceptible de faire l’affaire.

J’imagine que les promoteurs d’Europe Démocratie Espéranto ont autre chose en tête. En lisant leur programme, je les vois sensibles au messianisme européen. Ils trouveront louche ce soutien qui mélange cynisme et moquerie, défauts étrangers au meilleur des mondes fraternel auquel ils travaillent depuis plus un siècle. En politique, on ne choisit pas toujours ses alliés, mes chers amis, je vous offre ce soutien et j’appelle tous les électeurs à ne pas s’abstenir le 7 juin. Donnons à l’Europe le sabir qu’elle mérite : l’espéranto.

Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

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France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…

Le vote utile, oui, mais utile à qui ?

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28 % ! Un triomphe, une victoire historique pour l’UMP. Une dégelée pour ces ânes bâtés du PS, embourbés dans leurs querelles internes, comme disent les journalistes qui savent. Hop, fermez le ban. Ces élections européennes sont pliées. On passe à autre chose.

La droite gouvernementale, aidée par les supplétifs du Nouveau Centre, pointe en tête. Aux alentours de 28 % des intentions de vote pour le scrutin du 7 juin. Le PS à la ramasse se situerait dans la moyenne des précédentes élections avec près de 22 %. Et tous nos commentateurs attitrés de s’exciter sur une nouvelle phase de « turbulences » pour le « partidemartineaubry », qui manquerait de légitimité, de lisibilité, de crédibilité, ou de machintrucité.

Plus le temps et les élections passent, plus nous aimons les journalistes et leurs émotions adolescentes pour les chiffres des premiers sondages venus. Essayons donc d’être calme et de faire des règles de trois.

La droite d’abord : souvenons-nous, il y a deux ans, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Avec 53 % des voix. Passons aux législatives, la majorité présidentielle les a emportées avec 49,66 % des voix, contre 42 % pour le PS. Et aujourd’hui, donc, par le miracle de la règle à calcul, avec 28 % on parle de banco pour l’UMP ! Il est vrai qu’en période de crise on apprend à se contenter de peu. Mais là, on se demande si la droite officielle ne devient pas un peu trop adepte de la décroissance. D’autant que les élections européennes, au risque d’enfoncer nous aussi des portes ouvertes, ne sont pas très mobilisatrices. Là aussi, revenons aux chiffres : 2004, 42 % des Français inscrits sont allés voter, soit 17 752 603 électeurs sur 41 518 595 sont censés pouvoir donner leur avis. Ça calme déjà.

Alors les 28 % à venir devraient aussi calmer les ardeurs des communicants de l’UMP. Parce que ça chiffre à peine à 5 millions le nombre d’électeurs désireux de porter en triomphe le président Chouchou.

Et la gauche alors, bon dieu. Pourquoi n’essaie-t-elle pas de délivrer calmement cette petite leçon d’arithmétique à l’usage des malcomprenants ? À l’exception de l’animal à sang froid Cambadélis, qui remarque ce mardi dans Le Parisien que la droite aurait dû au moins rassembler 40 % et qu’elle s’écroule, pas une tête de liste pour endosser ce constat plein de bon sens.

Alors, soyons, une fois n’est pas coutume, pervers. Dans le fond, la dramatisation, genre « l’UMP va vous en faire baver si vous ne venez pas voter ou si vous cédez aux sirènes des listes qui sont à gauche » (pardon à gauche du PS), donc cette dramatisation donne une raison d’être à la campagne du PS.

Au départ celle-ci était orientée de façon offensive contre l’Europe de « Sarkozy et Barroso ». Au moins ce slogan négatif évitait d’avoir à trop discuter contenu, déminait le contentieux ouiouiste/noniste et devait mobiliser le socialiste lambda en colère contre l’omniprésident. Patatras. Les camarades lambda n’ont pas aimé cette campagne négative. Repatatras, José-Luis Zapatero, le grand ami espagnol, explique, lui, qu’il n’a rien contre une nouvelle candidature de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. Pour éviter la cata, les socialistes d’en haut cherchent vaguement des idées, n’en trouvent pas, et finissent par proposer ce fabuleux slogan mobilisateur : « Pour une Europe à gauche, maintenant. » Allez savoir pourquoi, aucun miracle ne s’en est ensuivi…

Du coup, un Solférino boy, du fond d’un bureau aveugle, avec du linoléum beige usé au sol a une idée : et si on refaisait le coup du vote utile, hein ? Genre, l’antéchrist c’est la droite, la menace c’est la dispersion ! Donc, au lieu de vous amuser, votez PS, sinon faudra pas vous plaindre quand les hordes de caissières roumaines ou de banquiers luxembourgeois débarqueront dans nos belles provinces. L’électeur socialiste, on le sait, a la culpabilité facile depuis un fameux 21 avril. Ça devrait donc suffire pour une campagne de même pas trois semaines.

Et puis au fait, si l’objectif de la gauche, comme de la droite ou de tous les autres, pardon, n’était pas uniquement de faire de ces élections un moment de politique. Non, il s’agit bien souvent de garantir un statut social à de pauvres hommes et femmes politiques qui ont besoin de Bruxelles pour survivre. Des ministres en disgrâce (Dati) aux fantômes politiques (Harlem Désir), en passant par des recalés du suffrage direct (Peillon) et, enfin, des redécoupées de l’Assemblée qui veulent pas aller chercher un travail, un vrai travail s’entend (Aurélie Filipetti). Vincent Peillon envoyé « à contrecœur » jouer la tête de liste dans la région Sud-Est pour le PS ne fait même pas mine de dire autre chose quand il appelle au vote utile : « Combien de députés Besancenot fera perdre au groupe socialiste en obtenant 4 à 6 % des voix… » Ben oui, Vincent a une famille à nourrir, lui. Electeurs, soyez gentils, un petit bulletin le 7 juin pour manger et rester propre.

Sarah Palin va bien

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Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, va bien. La plus belle femme politique de la planète et de tous les temps, à l’exception peut-être de Cléopâtre, va écrire et publier ses mémoires l’année prochaine. L’annonce a été faite par Bill Murray, PDG de la maison d’édition HarperCollins, qui déclare de la toute divine Sarah aux bras blancs qu’elle a « une histoire fascinante à raconter » et qu’il s’agit d’une « des personnalités les plus charismatiques de la vie politique américaine ». Il est amusant de savoir que HarperCollins est aussi l’éditeur de Christopher Moore, un des écrivains les plus underground, trash et drôle des USA (voir L’Agneau, disponible en Série Noire). On ne sait pas en revanche si Sarah Palin annoncera dans ce livre son audacieux programme marxiste de dépérissement de l’État pour 2012, qu’elle déguise sous le nom de libertarianisme pour ne pas affoler les chasseurs de phoques. Car, en plus d’être sublime, ma Sarah, c’est un vrai génie politique.

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Européens, ne nous cassez pas les urnes !

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Renchérissant sur Paul Thibaud, qui confessait sur les ondes de France Culture ne pas juger bon de se déplacer vers l’isoloir le 7 juin prochain, mon collègue de colonne, Luc Rosenzweig, appelait les Européens à l’abstention, rejoint dans la foulée par David Dupré qui avouait – faute avouée, à demi-pardonnée – donner son suffrage à la liste « Europe Démocratie Espéranto ».

Faut pas charrier, les amis. L’espéranto, je n’y crois pas. Quiconque a un peu d’esprit et de lettres le sait : c’est le volapük qu’il nous faut ! Inventée par un curé catholique de Baden, Johann Martin Schleyer, cette langue est si compliquée que ses défenseurs ne la parlaient même pas entre eux, lorsqu’à la fin du XIXe siècle ils se réunissaient en colloques et symposiums pour déterminer s’il fallait cinq ou dix ans pour l’imposer au reste du monde. Il y a, dans le volapük, ce que disait Paul Valéry de l’Europe, c’est-à-dire une conjonction des maximums : maximum de complications, de déclinaisons et d’inepties possibles.

Bref, de toutes les langues que l’esprit humain a inventées – du basic au langage C, en passant par le cobol et le pascal –, le volapük est la langue la plus conforme à l’esprit byzantin qui souffle sur le Berlaymont et ses alentours. Une langue qu’on ne peut pas parler, une langue dans laquelle aucune intelligibilité n’est possible et qui ne permet aucun échange, puisque chacun des locuteurs qui en userait se perdrait inéluctablement dans ses méandres brumeux et ses abstractions foireuses. Mais la plus littéraire des langues qui soit, car au final elle pointe, façon Sarraute et Ionesco, l’incommunicabilité des consciences. Miss Smith ne comprend pas Mr Smith : voilà l’Europe qui commence. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

À cette Europe incompréhensible, unie comme les vingt-sept doigts de la main, le moindre est d’offrir la plus incompréhensible de toutes les langues : le volapük, tout le volapük, rien que le volapük. Le mérite le plus notoire de cet idiome est qu’il continue à rester obscur et confus lorsque l’on est assis sur sa chaise et que l’on y sautille comme un cabri.

Le problème est qu’aucune liste – du moins en France, je n’ai pas regardé ailleurs – ne propose le recours systématique au volapük dans les instances européennes. Vais-je, pour autant, aller tâtonner le goujon le 7 juin ? Bien sûr que non. Si je connais des thons, des carpes et même des tanches, je ne suis, jusqu’à nouvel ordre, pas assez intime avec un goujon pour oser le tâtonner. Même un peu. Fût-il européen. Et de bonne moralité.

Cela étant, en démocratie, on ne vote jamais tout à fait pour son idéal politique, à moins de se présenter soi-même à l’élection – ce n’est pas interdit. Dans la plupart des cas, on est obligé de composer avec la réalité. Non pas de faire comme si, à la manière kantienne. Mais de faire avec, façon Gilbert Bécaud dernier album. Le vote n’est pas la simple expression d’une adhésion totale à un représentant et à ses idées : il est un choix. Et comporte, par nature, une part de reniement de soi-même. C’est cet abandon de soi que Rousseau, l’un des pères putatifs du totalitarisme, dénonçait déjà dans son Projet de Constitution pour la Corse de 1763, puis dans le Contrat social, en critiquant le système parlementaire : la démocratie représentative va toujours à l’encontre de notre nature.

Lorsqu’on vote, on ne porte jamais son suffrage vers celui qui pense comme nous, mais toujours vers une approximation. À moins d’être le militant dont Régis Debray tirait le portrait en 1981 dans la Critique de la raison politique, on vote, toujours et parfois malgré soi, en désespoir de cause. Et l’on devrait se méfier comme de la plus grande peste de ceux qui veulent « réenchanter le politique » : le monde n’est pas une opérette, mais un juste et relatif milieu entre la peste et le choléra, la grippe porcine et la grippe aviaire, le rhume et l’eczéma. C’est au centre que nous avons, en définitive, à voter. Pas au centre de l’échiquier politique actuel, où l’on entend, par exemple, un Jean-François Kahn tenir les mêmes discours que Le Pen hier sur la sécurité et le risque des vagues d’immigration déferlant sur l’Europe. Même Sarkozy n’avait pas osé. Non, il s’agit de voter au centre : là où, même aveugle, nous pensons pouvoir toucher au plus proche du cœur de la cible que nous avons nous-mêmes déterminé.

Moi, par exemple, qui ai été élevé dans un républicanisme séguino-chevènementiste, j’essaie d’ajuster le tir. Ce n’est pas certain que je vais réussir, mais au moins j’aurai essayé. Ce que je sais, c’est que je ne voterai pas pour les listes Dieudonné. D’abord, parce qu’il n’en présente pas dans le Grand est, que je ne suis pas suffisamment gaga pour confondre le café-théâtre et l’isoloir et, last but not least (je ne sais pas comment on dit ça en hébreu) parce que le fameux lobby dont est censé dépendre Causeur ne m’a pas encore payé suffisamment pour les articles (superbes) que j’écris – Elisabeth, tu l’as mis où, le lobby ? Je ne voterai pas non plus pour Europe Écologie : je suis Strasbourgeois, d’accord. Mais je suis aussi patriote et je pense que lutter contre la présence du Parlement européen à Strasbourg au nom du « bilan carbone » comme le fait Daniel Cohn-Bendit, n’est rien d’autre que la plus grosse fumisterie de tous les temps. Et je ne vous dis pas comme c’est polluant, une fumisterie industrielle à ce point-là.

Peut-être voterai-je communiste, enfin Front de gauche. Rien que pour embêter Jérôme Leroy. Et le déboussoler encore un peu, moi qui me souviens de Malraux et du papier à cigarette dont les feuilles ne séparent jamais rien de rien. Ou PS, pour équilibrer le vote Kouchner.

Enfin, je voterai. Et je le ferai comme je vote aux cantonales, même si je sais pertinemment que le pouvoir d’un conseiller général est proche du zéro absolu quand le contingent d’aide sociale – c’est-à-dire les dépenses obligatoires – prend une place telle dans le budget des départements qu’ils n’ont plus aucune latitude pour mener leurs propres politiques. Car la réalité, c’est aussi ça : des marges de manœuvres partout de plus en plus réduites.

À Strasbourg, Peter Sloterdijk m’a un jour confié être étonné par les appartements de ses amis français : on s’y croirait, disait-il, comme dans un musée. Et il poursuivait : les Français font aussi de la politique comme dans un musée. Emportés par le romantisme, ils croient encore aux destins impériaux tout comme aux lendemains qui chantent.

J’avais été choqué par son propos. Je ne le suis plus. Peter avait raison : la politique ne chante pas. Elle ne chante plus les tubes que nous connaissions et, au juke-box démocratique, nous reste comme ultime devoir de ne plus sélectionner que notre petite musique. À notre rythme, mais peut-être pas très accordée.

Si l'Europe s'éveille

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Donné, c’est volé

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C’est pas pour vous raconter ma vie, mais, jeudi dernier, j’ai piqué une grosse colère. Et le plus pénible, c’est que c’était contre moi-même (quand on a une contrariété, il est toujours préférable d’avoir quelqu’un à qui s’en prendre). Alors que je m’apprêtais à passer une délicieuse matinée à lire et à traîner, avec en prime la bonne conscience du travailleur, je me suis rappelé avoir donné mon accord pour participer à « La pause d’actu », émission quotidienne sur Direct 8, au cours de laquelle deux « invités » (qui sont en fait des chroniqueurs) commentent les sujets du jour. Après que Yoann Cambefort, un jeune homme fort bien élevé, m’eut dit sur tous les tons qu’ils tenaient absolument à m’avoir moi et pas une autre, et qu’il adorait ce que je fais (mon célèbre bœuf mironton ?), j’avais piteusement laissé choir mon fromage et oublié mon principe cardinal : pas de travail non rémunéré. Certes, je n’ai aucune raison de mettre en doute la sincérité des jeunes gens talentueux et sympathiques qui sont aux manettes de cette émission, mais enfin je sais ce que c’est : il faut trouver chaque jour deux bonnes poires qui acceptent de perdre trois heures de leur temps, avec, pour seule rétribution, le fait de passer à la télé – et pas exactement sur TF1. Je sais que leurs handicaps de départ – faible audience de la chaîne, faible notoriété des journalistes – les obligent à ratisser large et à être insistants. Il n’empêche que je m’étais laissé faire. Il faut dire que je n’ai pas de chance : les médias sont peuplés de gens qui se feraient hacher menu plutôt que de m’inviter, et justement ce sont ceux qui payent. Mes « admirateurs » ne sont jamais les décideurs-payeurs. Je me demande bien pourquoi mais ce n’est pas le sujet.

J’étais donc, ce matin-là, dans d’excellentes dispositions jusqu’à ce que cet engagement me revienne en mémoire. Quand Clélie Mathias, présentatrice de l’émission avec Emmanuel Pontneau, m’a fort courtoisement appelée pour discuter des sujets que nous allions traiter, j’ai passé à cette malheureuse fille le savon que j’aurais dû m’infliger à moi-même.

– Je vais venir mais je vous préviens, ça me met hors de moi de travailler sans être payée.
– …
– Vous, vous êtes payée, non ?
– Euh… oui, mais moi je suis salariée de la chaîne.

Que n’avait-elle dit là ! Elle a pris pour tous les autres : les présentateurs payés des fortunes qui vous expliquent que pas d’argent[1. Afin d’éviter les conclusions hâtives je précise que quand je travaillais avec FOG à France 3 ou avec Laurent Ruquier à Europe 1, mon travail était plus que correctement rémunéré.], les jeunes crétins qui vous font comprendre qu’ils vous font un grand honneur de vous inviter sans avoir une traitre idée de la raison de cette invitation, sans oublier tous les confrères qui, à force d’accepter avec le sourire cette exploitation éhontée, ont fini par la faire passer pour normale. Certes, il m’arrive de céder à la vanité ou aux instances amicales d’un confrère, mais au moins je râle – ce qui me procure la satisfaction de provoquer la stupéfaction de mes interlocuteurs.

Morte de honte de m’être (exceptionnellement) laissée emporter, je me suis tenue à carreau sur le plateau ; d’ailleurs, dans son genre, l’émission est préparée avec sérieux et les invités-chroniqueurs y sont fort bien traités. Tant qu’à travailler gratos, autant aider des jeunes méritants.

On me dira qu’il n’y a pas là de quoi s’énerver. Et pourtant si. Parce que la gratuité n’est plus une exception et que, dans certaines activités, elle est même en passe de devenir la règle. Grâce à Internet, elle serait même, s’enthousiasment certains, le fondement d’une nouvelle « culture » – rien que ça. D’ailleurs, en anglais, ça sonne tellement bien : qui pourrait s’insurger contre la loi du « libre » ? Qui oserait mettre en doute la grandeur d’un acte gratuit ?

Les tribulations de la loi Bruni-Hadopi (ainsi rebaptisée par les bons soins d’un ami) ont attiré l’attention du public sur les mauvaises manières faites aux artistes. « La gratuité, c’est le vol », proclamait il y a un an Denis Olivennes, l’un des initiateurs du texte – dans le cadre d’Ouverture Sans Frontières, sans doute. D’ailleurs, cette plaisante formule que j’aurais bien voulu avoir trouvée avait un seul défaut, qui était justement son auteur ou plutôt la qualité d’icelui (rien de personnel). À l’époque, il était patron de la FNAC et de mauvais esprits auraient pu penser qu’au-delà de ses excellents principes, Olivennes défendait surtout ses intérêts. Il est vrai que la FNAC n’est pas un vulgaire marchand mais un agitateur d’idées. Pas d’histoires d’argent entre nous.

En tout cas, grâce aux hadopistes, l’idée que la création artistique est un travail qui mérite salaire fait son chemin, même dans les jeunes cerveaux les plus embrumés par les substances illicites et néanmoins payantes. Mais tout le monde, à commencer par toi, cher lecteur, continue à trouver absolument normal que, sur Internet, l’information soit cadeau. Sur ce point précis, je ne saurais donner tort à l’admirable Edwy Plenel. Notre résistant éternel, à la pointe du Combat pour une presse libre, titre de l’ouvrage qu’il est venu, vendredi dernier, vendre sur France Inter dans un grand numéro de nopasaranisme, a courageusement choisi un modèle payant pour son site Médiapart, mais apparemment les Français n’aiment pas la presse libre, en tout cas pas suffisamment pour la payer, et le nombre d’abonnés ne semble pas être à la hauteur des espérances plénéliennes.

Tout cela m’a rappelé la remarque aigre et impérative d’un lecteur à propos de la nouvelle formule de notre (superbe) mensuel : « SCANDALEUX de devoir payé pour des articles ! Publier les ici !!! », écrivait Gwen. On m’accordera qu’il est bien plus scandaleux encore de torturer la langue française de cette façon. Reste à comprendre ce qui a bien pu mettre dans la tête de Gwen l’idée que les articles poussaient tout seuls et qu’il n’y avait qu’à se baisser pour les ramasser comme des fleurs sauvages. Scandaleux de devoir payer ? Eh bien moi, ce que je trouve sinon scandaleux du moins fâcheux, c’est que Gwen trouve parfaitement normal d’avoir accès gratuitement au fruit du travail d’une bonne quinzaine de personnes. Gwen (et tous ceux, bien trop nombreux, qui pensent comme lui ou elle) imagine peut-être que nous sommes des héritiers ou des êtres particulièrement frugaux se nourrissant de quelques dattes par jour et vivant dans des tentes Quechua sponsorisées par Augustin Legrand. Qu’il le sache, à une ou deux exceptions près que je ne nommerai pas ici, c’est tout-à-fait faux. Un article demande autant de travail, qu’il soit destiné à être publié dans un journal ou sur Internet. Et que les collaborateurs de Causeur que nous ne pouvons pas encore rémunérer le sachent, nous n’en sommes pas fiers.

Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi nous n’avons pas, conformément à nos grands principes, opté pour un modèle payant. Tout simplement par réalisme. Nous n’allons pas changer le monde avec nos petits bras et nos jolis cerveaux – en tout cas pas si vite. Un site payant eût été condamné d’avance. Puisqu’on trouve pareil ou presque (des mots et des phrases, tout ça) à trois jets d’url sans avoir à débourser un centime.

Contrairement à ce que l’on répète en boucle, pour s’en désoler ou s’en émerveiller, la culture de la gratuité n’a pas été inventée par et pour Internet, elle est au moins aussi ancienne que la radio privée. L’auditeur d’Europe 1, de RTL et de toutes les stations que l’on appelait autrefois « libres » (nous y revoilà) serait sans doute aussi scandalisé que Gwen si on lui demandait de payer pour écouter. Alors, payer pour lire…

Seulement, sur Europe 1 comme sur Causeur, cette « gratuité » est une entourloupe. Quelqu’un paye, et ce quelqu’un est l’annonceur (sur le papier, car pour l’instant, comme Médiapart et comme les autres, nous vivons sur les fonds investis au démarrage). Pour accéder sans bourse délier aux programmes de radio ou aux « contenus » d’un site, le citoyen accepte d’être exposé à des messages publicitaires qui visent à lui faire lâcher de mille manières l’argent économisé sur notre dos.

On me dira, enfin, que c’est la loi du marché et que je n’ai qu’à fabriquer des fanfreluches, des écrans plats ou des produits amaigrissants plutôt que des articles. « Fais des livres qui se vendent », m’a lancé un jour un médiacrate à qui je me plaignais de mes maigres émoluments. En somme, si les gens ne sont pas prêts à payer, c’est que ce nous fabriquons n’a pas de valeur – la loi de l’offre et de la demande, c’est simple, non ?

Désolée, mais justement ce n’est pas si simple. On ne m’enlèvera pas de l’idée que la valeur qu’une société accorde au travail intellectuel dit, au moins en partie, la vérité sur cette société. Si le public se contente, en guise de journaux, des catalogues de pub que sont les gratuits, tant pis pour lui et tant pis pour nous. Car, dans ce domaine, le rapport de forces entre producteurs et consommateurs est largement en faveur des seconds, c’est-à-dire vous. Sauf qu’à force de croire et de faire croire que ce travail n’a aucune valeur, plus personne ne voudra s’y coller. Et nous serons tous perdants.

Alors, chers amis causeurs, je n’ai qu’une chose à dire. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

Eurovision, grosse malheur

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L’Allemagne ne s’en relèvera pas. L’Eurovision l’a tuée. Dans la vie d’un pays, finir à la vingt-deuxième place au palmarès européen de la chanson quand seuls vingt-cinq pays concourent, ça peut vous faire durablement des générations de suicidés.

– Tu te souviens de l’Eurovision 2009 ?
– Ne m’en parle pas ! Rapporte-moi une poutre, j’ai déjà la corde.

Je suis sur le point de demander l’asile politique à l’Azerbaïdjan. Je ne savais pas que ce pays était en Europe, je croyais qu’il avait du pétrole : il est arrivé troisième de l’Eurovision. Juste devant lui, l’Islande ne connaît pas la crise et se taille une deuxième place : comment l’Union européenne pourra-t-elle, après ça, refuser la demande d’adhésion islandaise ? Et la Norvège, qu’on croyait juste bonne à faire des omelettes, rafle la mise en poussant la chansonnette.

En Allemagne, nous avions pourtant tout fait pour ne pas en arriver là : nous avions payé un voyage aux Baléares à tous les chanteurs has been que compte notre pays – il n’y a que ça. Olaf Henning, Andrea Berg, Klaus Lage : sur ordre de la chancelière, la police était venue prendre à leur domicile chacun de nos Schlager[1. Chanteur populaire allemand.], les avait mis dans le premier vol pour Majorque en s’assurant que l’avion décolle bien et promettant aux plus récalcitrants qu’ils pourraient avoir un supplément de sangria une fois arrivés là-bas.

– Et j’aurai droit à un rab de patatas bravas ?
– Tout ce que tu veux. Mais ne fais pas le con et monte dans l’avion !

Nous avions fait les choses en grand : nous nous étions même abstenus d’envoyer sur le front russe, pardon à Moscou, un chanteur allemand tel qu’on se le représente en France – uniforme vert-de-gris, casque à pointe enfoncé jusqu’aux paupières, main levée pour montrer la lune à l’imbécile qui regarde le doigt et déjà un peu grisé par les six litres de bière avalés avant le show. Certes, je caricature un peu : les Allemands ne boivent pas autant de bière. Du moins ceux qui doivent monter sur scène.

Pour parfaire les choses, nous avions dépêché à l’Eurovision Alex C. Il a une belle allure de minet latino, il chante en anglais et même son patronyme (Christensen) est raccourci ce qu’il faut pour passer inaperçu dans la masse… Il s’est glissé trois paires de chaussettes dans l’entrejambe, s’est passé la main dans les cheveux comme le plus achevé des serial lovers, puis a chanté Miss kiss kiss bang. Tout ça pour finir vingtième ! La lose totale : il n’est pas parvenu à égaler Nicole, qui en 1982 avait remporté l’Eurovision en chantant Ein bißchen Frieden. Certes, à l’époque, on avait dû payer le jury, le menacer pour qu’il vote en sa faveur ou quelque chose comme ça.

Pour l’Allemagne, l’Eurovision c’est cuit pour les mille ans qui viennent. Alors, je veux bien me dévouer pour donner quelques conseils à mes amis français s’ils veulent remporter le concours l’an prochain.

Déjà, il ne faut pas envoyer Patricia Kaas. En 2010, elle sera un peu trop âgée pour participer et Juliette Gréco risque de piquer encore sa crise : « Mais comment ? Y en a toujours que pour les vieilles ! Et la relève, vous en faites quoi ? Envoyez-moi et je les embobine tous ! » Il ne faut pas non plus envoyer Marie Myriam : elle a remporté le concours en 1977 avec L’oiseau et l’enfant, mais la retrouver aujourd’hui – on ne sait même pas si elle a fini clodo – serait beaucoup trop long et coûteux en recherches.

On s’abstiendra pour les mêmes raisons d’interroger l’état-civil pour savoir si Corine Hermès est toujours en vie. De toute façon, c’est une social-traitre : cette chanteuse française s’était vendue au Luxembourg en 1983 pour gagner l’Eurovision. Elle avait raflé la mise avec une chanson qui parle d’amour, de grand bleu et d’océan : cette année-là, les gens qui ont fait le déplacement au Grand-Duché, croyant y trouver de nouvelles Maldives, ont vite déchanté.

Que reste-t-il à la France pour gagner l’Eurovision en 2010 ? Rien de plus simple.

D’abord, il faut prendre n’importe quel chanteur – ce n’est franchement pas cela qui manque. Puis, changer les attributions d’Hervé Morin en lui enlevant le ministère de la Défense pour lui confier celui de la Guerre. Certes, dans un premier temps, tout le monde prendra ça à la rigolade. Mais il n’est pas dit que l’esprit de sérieux ne revienne très vite quand le premier missile sol-air aura explosé à Oslo, pile-poil sur l’immeuble d’Alexander Rybak, le vainqueur de l’Eurovision 2009 qui ne perd rien pour attendre.

Évidemment, les belles âmes se plaindront que détruire Oslo réduit considérablement les chances de la France pour le Nobel de la Paix. Mais en prix internationaux, c’est comme au baccalauréat : il faut savoir choisir ses options.

On répétera donc ces frappes chirurgicales sur l’Islande, l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Grande-Bretagne et l’Estonie. On bombardera aussi un peu la Suisse : elle n’a rien à voir avec tout cela, mais ce pays a toujours été trop rangé. Peut-être ne faudra-il pas être aussi systématique : les trois premières frappes auront certainement dissuadé les autres concurrents de se présenter à l’Eurovision. Aussi veillera-t-on à accorder trois minutes de réflexion à chacun des pays visés afin qu’il fasse parvenir à Paris sa reddition.

Et là, Français, ensemble, tout sera possible ! Vous pourrez envoyer Carla Bruni, Diam’s ou Patrick Sébastien représenter votre pays : vous remporterez l’Eurovision haut la main. Facile, non ?

Aubry se la joue Royal !

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Dimanche 17 mai, invitée du « Grand rendez-vous Europe 1/Le Parisien », Martine Aubry a amorcé un nouveau virage dans la campagne des socialistes. Après avoir joué quinze jours la carte du « vote sanction », épousé une dizaine de jours la cause du « vote utile », le parti socialiste change de cap pour le « vote proposant ». La Première secrétaire a, en effet, déclaré ne plus vouloir être « l’opposante numéro un mais la proposante numéro un », taclant dans la foulée François Bayrou : « Il crie, dénonce, mais être le porte-voix des inquiétudes n’est pas suffisant. » Le terme proposant n’est pas un néologisme, il existe bel et bien en français, mais dans des acceptions strictement réservées à la religion et à la médecine (la fameuse union du goupillon et du clystère ?) : une proposante c’est d’abord une jeune théologienne protestante qui étudie afin de devenir pasteur… Est-ce que cela veut dire qu’en cas d’échec de son parti aux prochaines élections Martine Aubry devient RPR et adopte la Religion Prétendue Réformée ? N’allons pas si loin dans l’extrême ! Car une proposante, c’est aussi une malade qui est la première de sa famille à consulter pour une affection génétique héréditaire… D’où la fille de Jacques Delors peut-elle bien donc tenir son européanisme forcené ? Mystère et boule de gomme. A moins que cet usage assez inconsidéré de la langue française ne soit une tactique sournoise du maire de Lille pour oser un rapprochement avec Ségolène Royal… Y en faut de la bravitude pour être proposante !

Plutôt rouge que mort-vivant

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« Ceux qui espèrent que le Parlement européen résoudra une attaque zombie aussi facilement qu’une grève de routiers feraient mieux de se rappeler ce qui s’est produit la dernière fois qu’un fléau a frappé leur pays. Il suffirait de cinq zombies en Andalousie pour générer une épidémie qui déferlerait sur le Pays de Galles moins de trois semaines plus tard. »

À qui doit-on ce salutaire avertissement à moins de trois semaines des élections européennes ? Évidemment pas aux listes présentées par le bloc central du libéralisme et/ou de la fausse contestation médiatique (UMPS, Modem, FN, Verts, Ecolos, Libertas, NPA). Mais enfin, nous aurions pu décemment espérer que des mouvements responsables comme le Front de gauche ou Debout la République réagissent sur cet important problème et mettent en garde leurs concitoyens sur le « solanum », ce virus qui envahit la circulation sanguine à partir d’une morsure initiale et atteint le cerveau, tuant au bout d’une vingtaine d’heures avant de vous transformer en mort-vivant, très précisément à H+23. On comprend que la grippe porcine fait évidemment figure d’aimable plaisanterie voire de leurre pour ne pas avoir à affronter cette effroyable vérité.

Hélas, l’honnêteté intellectuelle nous force à reconnaître que cet avertissement de bon sens nous vient d’un Américain, Max Brooks, dont nous vous avions déjà entretenu il y a quelques temps déjà pour son roman World War Z. C’était par le biais de la fiction qu’il avait essayé de nous sensibiliser à la question zombie mais devant notre indifférence, il a décidé d’attaquer frontalement en nous donnant ce Guide de survie en territoire zombie qui va s’avérer des plus utiles lorsque le monde qui s’effondre sous nos yeux aura achevé son processus de décomposition. Evidemment, dans la mesure où l’on n’est pas ouvrier chez Continental, Tigre tamoul, fumeur ou électeur social-démocrate, il est difficile d’imaginer à quel point tout ce qui fait notre quotidien peut disparaître dans l’horreur, et avec la même rapidité que celle de la police pour mettre en garde-à-vue des syndicalistes d’EDF-GDF.

Pourtant que ferez-vous quand cela arrivera, parce que cela va forcément arriver et pour nous en convaincre, Max Brooks consacre une partie importante de son livre aux nombreuses épidémies qui ont été soigneusement occultées car les autorités étaient parvenues à les circonscrire in extremis. Citons pour mémoire, parmi les 223 recensées dans ce guide, celle d’Edo en 1611, celle de la baie de Santa Monica en 1994 mais aussi celle qui nous intéresse au premier chef car elle frappa Paris en 1807 et obligea Napoléon à fermer un hôpital après le rapport du médecin Reynald Boise décrivant un « patient incohérent, quasi animal et doté d’une insatiable soif de violence ».

Vous avez le droit de prendre ce livre pour un canular, une aimable fantaisie qui pourrait être l’œuvre d’un érudit borgésien se lançant dans l’écriture d’un manuel des castors juniors. C’est que vous n’avez jamais vu des adolescents en voyage scolaire avec des écouteurs sur les oreilles recevant du son MP3 directement dans le cortex, des courtiers aux gestes désordonnés dans une salle des marchés ou encore des supporteurs ethno-différentialistes dans les tribunes du PSG. Sinon vous sauriez, comme le disait le célèbre générique d’une série des années soixante, que le cauchemar a déjà commencé.

Ne vous trompez pas de danger, chers Causeurs de tous bords, comme d’autres se trompent de colères. Chassez vos fièvres obsidionales concernant l’immigration, clandestine, les gauchistes dans les universités ou les patrons voyous. Ce n’est pas de là que viendront les vraies invasions barbares mais du péril zombie. Quand ils arriveront en force, il sera très utile, par exemple, de savoir s’il vaut mieux se déplacer en berline, en SUV ou en moto quand on n’a pas la chance d’avoir trouvé un véhicule blindé. Il faudra aussi être capable de choisir le terrain de survie le plus adéquat : jungle, désert ou châteaux de la Loire mais en tout cas plus jamais les villes. D’apprendre à porter des vêtements serrés et des cheveux courts ainsi que de penser, lorsque vous vous réfugierez dans une maison pour soutenir un siège, à remplir tout de suite la baignoire car on ne sait jamais à quel moment l’eau sera coupée. Néanmoins, par sa concision, le conseil donné par Max Brooks que l’on préfèrera est une judicieuse remarque sur les armes les plus efficaces contre les zombies : « Les machettes n’ont pas besoin de munitions. »

Les morts-vivants vont arriver et vos pauvres vacances n’y pourront rien, pourrait-on dire pour paraphraser un slogan de Tiqqun. Alors plutôt que de vous offrir un bien inutile Routard pour Bali, investissez dans ce Guide de survie en territoire zombie.

La Crise, c’est aussi savoir acheter utile.

Il est bon, mon sauvage !

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La presse française consacrant toutes ses forces à nous parler du talent trop méconnu de Patricia Kaas ou de Johnny Hallyday, c’est comme d’hab’ vers nos confrères d’outre-Manche qu’il faut se tourner pour savoir ce qui se passe dans le monde – y compris chez nous. Figurez-vous qu’un chercheur français, nous apprend The Guardian, vient peut-être de résoudre une des énigmes les plus taraudantes de la Préhistoire : la disparition des Néanderthaliens. D’après Fernando Rozzi du CNRS, leur extinction n’a rien de si mystérieux : ils auraient juste été bouffés par les hommes modernes. Cro-Magnon considérait son lointain cousin à gros pif comme un vulgaire animal de boucherie ! A l’appui de cette hypothèse, le paléo-nutritioniste nous explique qu’un nombre impressionnant de squelettes néanderthaliens porte des micro-traces de dépeçage, qui laissent peu de doutes sur l’identité des coupables et sur leurs mobiles. La coexistence pacifique entre les deux catégories d’homos était jusque-là un des thèmes récurrents de la plupart des séries de vulgarisation scientifique, genre L’odyssée de l’espèce. Il est vrai qu’elle présentait l’insigne avantage de faire remonter à la nuit des temps la mondialisation forcément heureuse et l’enrichissement obligé par les différences. Avec cette réécriture du mythe du bon sauvage, va falloir trouver autre chose à se mettre sous la dent…

Le 7 juin, votez Zamenhof

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Il y a quelques jours, Luc Rosenzweig, marchant sur les pas de Paul Thibaud, lançait un appel à l’abstention sur de solides bases : la construction européenne est épuisée et le Parlement européen une institution parodique, les citoyens ne sont donc pas tenus de se prêter à cette comédie démocratique. Je partage l’essentiel de l’argumentation de mes deux aînés mais nos chemins bifurquent pourtant.

En l’absence de reconnaissance – pas seulement arithmétique – du vote blanc, le citoyen a peu de solutions pour témoigner son mécontentement. L’abstention ne blesse personne. Elle est largement anticipée. Elle sera probablement commentée comme « historique » et fournira matière à colloque sur « le déficit démocratique de l’Union »… Bref, l’abstention attendue est déjà digérée par la machine. Dans la dernière livraison de Commentaire, Jean-Louis Bourlanges ironise sur l’avenir des élections européennes faisant mine de prophétiser, un jour, une participation à un chiffre.

Autrefois, le scrutin européen pouvait être utilisé comme défouloir. Les listes diverses récoltaient bon nombre de suffrages. Le souvenir du 21 avril et le nouveau mode de scrutin ont entraîné en 2004 un retour à l’ordre. Malheureusement, le cru 2009 s’annonce tout aussi triste.

Les sondages – photos floues et mal cadrée d’un événement qui n’aura jamais lieu – font craindre la victoire du complot des raisonnables : le duo UMP-PS attirent 50 % des intentions de vote et leurs flancs respectifs sont atomisés (LO, NPA, Front de Gauche, Libertas, DLR). Seuls les écologistes et le Modem, crédités d’une dizaine de points, sont susceptibles de gâcher la fête. Si les résultats confirmaient les sondages, tous seraient perdants à la seule exception du président de la République. S’abstenir, c’est le conforter. Quoi qu’on pense de lui, il existe un choix plus amusant.

De la cantonale partielle (dont on vit les dernières heures) à la reine des élections, la politique est une affaire de professionnels. Beaucoup de politiciens sont ridicules, aucun n’est loufoque. Les Européens offrent aux électeurs une occasion d’honorer la loufoquerie.

En juin prochain, cette option peut prendre deux visages. Dans la veine situationniste, Gaspard Delanoë avait provoqué un mini-bug démocratique en 2008 lors de l’élection municipale dans le Xe arrondissement de Paris, en neutralisant sur son patronyme un nombre anormalement élevé de voix. Avec son « Parti Faire un Tour », la gentille dinguerie avait son candidat comme la haine sinistre a aujourd’hui le sien avec Dieudonné.

À peine moins loufoque, la liste Europe Démocratie Espéranto offre une perspective historique beaucoup plus séduisante. Ni insignifiante ni gratuite, la démarche des militants de l’espéranto est d’abord d’obtenir une minuscule tribune et quelques micros. Mais contrairement à d’autres groupes d’intérêt improbables, cette liste est vraiment à sa place dans cette élection.

Face au triomphe de l’anglais d’aéroport, de New York à Shanghai en passant par Bruxelles, le mouvement espéranto mérite considération et sympathie. Au milieu du prochain siècle, quand l’Union européenne sera devenue une entité politique, quand les vieilles nations auront quitté la place, nos descendants nous reprocheront peut-être de ne pas avoir pensé plus tôt la question linguistique. De ne pas avoir, par courte vue, donné à l’Union son latin.

À plus court terme, « L’Europe des comme si… », justement évoquée par Luc Rosenzweig, est un lieu de bavardage, où le sabir technocratique le dispute aux inventions verbales les moins inspirées. L’Europe parle. Pour masquer son inaction, pour ne pas voir son épuisement. Quiconque a écouté quelques minutes au moins le « 7-10 » de France Inter « spécial Europe », connait ce langage fou, hors-sol déconnecté du réel.

La vacuité des déclarations du président Hans-Gert Pöttering nécessite une langue à part. Le président Pöttering parle français. Félicitons-le. Il est merveilleux de penser qu’à la buvette le président Pöttering peut dialoguer avec ses collègues français. Mais quand le président Pöttering vient évangéliser les foules eurosceptiques gauloises, le sublime et la dignité voudraient qu’il le fasse dans une langue dédiée. Sauf à examiner la candidature du latin (que l’époque disqualifierait probablement pour homophobie et négationnisme), l’espéranto est la seule langue susceptible de faire l’affaire.

J’imagine que les promoteurs d’Europe Démocratie Espéranto ont autre chose en tête. En lisant leur programme, je les vois sensibles au messianisme européen. Ils trouveront louche ce soutien qui mélange cynisme et moquerie, défauts étrangers au meilleur des mondes fraternel auquel ils travaillent depuis plus un siècle. En politique, on ne choisit pas toujours ses alliés, mes chers amis, je vous offre ce soutien et j’appelle tous les électeurs à ne pas s’abstenir le 7 juin. Donnons à l’Europe le sabir qu’elle mérite : l’espéranto.