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Eurovision, grosse malheur


L’Allemagne ne s’en relèvera pas. L’Eurovision l’a tuée. Dans la vie d’un pays, finir à la vingt-deuxième place au palmarès européen de la chanson quand seuls vingt-cinq pays concourent, ça peut vous faire durablement des générations de suicidés.

– Tu te souviens de l’Eurovision 2009 ?
– Ne m’en parle pas ! Rapporte-moi une poutre, j’ai déjà la corde.

Je suis sur le point de demander l’asile politique à l’Azerbaïdjan. Je ne savais pas que ce pays était en Europe, je croyais qu’il avait du pétrole : il est arrivé troisième de l’Eurovision. Juste devant lui, l’Islande ne connaît pas la crise et se taille une deuxième place : comment l’Union européenne pourra-t-elle, après ça, refuser la demande d’adhésion islandaise ? Et la Norvège, qu’on croyait juste bonne à faire des omelettes, rafle la mise en poussant la chansonnette.

En Allemagne, nous avions pourtant tout fait pour ne pas en arriver là : nous avions payé un voyage aux Baléares à tous les chanteurs has been que compte notre pays – il n’y a que ça. Olaf Henning, Andrea Berg, Klaus Lage : sur ordre de la chancelière, la police était venue prendre à leur domicile chacun de nos Schlager[1. Chanteur populaire allemand.], les avait mis dans le premier vol pour Majorque en s’assurant que l’avion décolle bien et promettant aux plus récalcitrants qu’ils pourraient avoir un supplément de sangria une fois arrivés là-bas.

– Et j’aurai droit à un rab de patatas bravas ?
– Tout ce que tu veux. Mais ne fais pas le con et monte dans l’avion !

Nous avions fait les choses en grand : nous nous étions même abstenus d’envoyer sur le front russe, pardon à Moscou, un chanteur allemand tel qu’on se le représente en France – uniforme vert-de-gris, casque à pointe enfoncé jusqu’aux paupières, main levée pour montrer la lune à l’imbécile qui regarde le doigt et déjà un peu grisé par les six litres de bière avalés avant le show. Certes, je caricature un peu : les Allemands ne boivent pas autant de bière. Du moins ceux qui doivent monter sur scène.

Pour parfaire les choses, nous avions dépêché à l’Eurovision Alex C. Il a une belle allure de minet latino, il chante en anglais et même son patronyme (Christensen) est raccourci ce qu’il faut pour passer inaperçu dans la masse… Il s’est glissé trois paires de chaussettes dans l’entrejambe, s’est passé la main dans les cheveux comme le plus achevé des serial lovers, puis a chanté Miss kiss kiss bang. Tout ça pour finir vingtième ! La lose totale : il n’est pas parvenu à égaler Nicole, qui en 1982 avait remporté l’Eurovision en chantant Ein bißchen Frieden. Certes, à l’époque, on avait dû payer le jury, le menacer pour qu’il vote en sa faveur ou quelque chose comme ça.

Pour l’Allemagne, l’Eurovision c’est cuit pour les mille ans qui viennent. Alors, je veux bien me dévouer pour donner quelques conseils à mes amis français s’ils veulent remporter le concours l’an prochain.

Déjà, il ne faut pas envoyer Patricia Kaas. En 2010, elle sera un peu trop âgée pour participer et Juliette Gréco risque de piquer encore sa crise : « Mais comment ? Y en a toujours que pour les vieilles ! Et la relève, vous en faites quoi ? Envoyez-moi et je les embobine tous ! » Il ne faut pas non plus envoyer Marie Myriam : elle a remporté le concours en 1977 avec L’oiseau et l’enfant, mais la retrouver aujourd’hui – on ne sait même pas si elle a fini clodo – serait beaucoup trop long et coûteux en recherches.

On s’abstiendra pour les mêmes raisons d’interroger l’état-civil pour savoir si Corine Hermès est toujours en vie. De toute façon, c’est une social-traitre : cette chanteuse française s’était vendue au Luxembourg en 1983 pour gagner l’Eurovision. Elle avait raflé la mise avec une chanson qui parle d’amour, de grand bleu et d’océan : cette année-là, les gens qui ont fait le déplacement au Grand-Duché, croyant y trouver de nouvelles Maldives, ont vite déchanté.

Que reste-t-il à la France pour gagner l’Eurovision en 2010 ? Rien de plus simple.

D’abord, il faut prendre n’importe quel chanteur – ce n’est franchement pas cela qui manque. Puis, changer les attributions d’Hervé Morin en lui enlevant le ministère de la Défense pour lui confier celui de la Guerre. Certes, dans un premier temps, tout le monde prendra ça à la rigolade. Mais il n’est pas dit que l’esprit de sérieux ne revienne très vite quand le premier missile sol-air aura explosé à Oslo, pile-poil sur l’immeuble d’Alexander Rybak, le vainqueur de l’Eurovision 2009 qui ne perd rien pour attendre.

Évidemment, les belles âmes se plaindront que détruire Oslo réduit considérablement les chances de la France pour le Nobel de la Paix. Mais en prix internationaux, c’est comme au baccalauréat : il faut savoir choisir ses options.

On répétera donc ces frappes chirurgicales sur l’Islande, l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Grande-Bretagne et l’Estonie. On bombardera aussi un peu la Suisse : elle n’a rien à voir avec tout cela, mais ce pays a toujours été trop rangé. Peut-être ne faudra-il pas être aussi systématique : les trois premières frappes auront certainement dissuadé les autres concurrents de se présenter à l’Eurovision. Aussi veillera-t-on à accorder trois minutes de réflexion à chacun des pays visés afin qu’il fasse parvenir à Paris sa reddition.

Et là, Français, ensemble, tout sera possible ! Vous pourrez envoyer Carla Bruni, Diam’s ou Patrick Sébastien représenter votre pays : vous remporterez l’Eurovision haut la main. Facile, non ?

Juin 2009 · N°12

Article extrait du Magazine Causeur



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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