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Qui a peur du grand méchant Kim


Qui a peur du grand méchant Kim

Ce lundi matin au réveil, j’ai failli croire que mes jours étaient comptés. Sur Europe 1, Marc-Olivier Fogiel m’annonçait toutes les cinq minutes de sa voix la plus blanche que la Corée du Nord venait de procéder à un deuxième essai nucléaire. Je vous jure, son ton était encore plus lugubre et son air encore plus pénétré, que lors de sa fameuse interview de Loana après son non-viol dont elle ne se souvenait pas. C’est dire. En vrai, moi-même, j’ai failli marcher. Mais j’avais des circonstances atténuantes, notamment celle du semi-sommeil.

Des circonstances atténuantes, j’en accorde volontiers aussi à Marc-O: un zapping cursif m’a permis de constater que tous ses collègues du matin, entonnaient la même chanson accompagnés par les mêmes violons. Entendons nous bien, je ne dis pas que c’est une non-information. C’est sans doute une information essentielle. Et je serais sud-coréen, mandchou, japonais, bref à portée de missile de ces zozos, je trouverais ça fichtrement inquiétant. Je serais Hillary Clinton, j’aurais même annulé mon rendez-vous chez le coiffeur.

Mais moi, mais nous ? Qu’on nous informe, soit, qu’on nous explique les enjeux de cette affaire, très bien, mais est-il bien nécessaire de nous terrifier ? Parmi les millions de Français que cette info a glacés au réveil, combien sont capables de situer Pyongyang sur une mappemonde, à mille kilomètres près ? Quelqu’un serait-il fichu de me dire quand a eu lieu le premier essai nucléaire nord-coréen ?

J’aurais bien sûr compris qu’on sonne l’alarme et même qu’on supprime la chronique de Nicolas Canteloup si l’Iran, qui est au cœur du maelström proche-oriental, Cuba, qui est à un jet de pierre de Miami ou le Luxembourg qui est à nos frontières, avaient procédé à un tel essai nucléaire. Mais là, franchement…

Alors j’aurais voulu qu’on prenne le temps de me raconter, au moins une seule fois dans la tranche du matin, en quoi cette information était d’une importance vitale. En quoi elle risquait de tournebouler l’équilibre stratégique dans cette région du monde et donc de notre planète déjà bien mal en point. Mais makache. Rien qu’un amoncellement de diptyques qui font peur. « Nouvelle provocation », « crise majeure », « tension extrême », « indignation unanime » ; ne manquaient à l’appel que « monstre sanguinaire » ou « vilain méchant ».

Non en vrai, avant comme après ce bombardement médiatique, on n’avait rien appris, rien compris. Et moi, je suis comme les gosses, j’aime bien comprendre. Je veux bien y croire, mais je veux qu’on me dise pourquoi, sinon, j’ai comme l’impression qu’on se moque de moi. Et à l’heure qu’il est, alors que le soufflé nord-coréen retombe déjà, tout ce que les gens savent de bazar-là, c’est que la Corée du Nord est dirigée par un fou furieux qui a une bombe A, ce qui est n’est pas rassurant et que personne ne saurait nier, même moi. Mais c’est justement cette juxtaposition des éléments du mal absolu qui pose problème. Quand j’entends le présentateur prendre son ton le plus apocalyptique pour nous annoncer la nouvelle quasiment comme si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé, je dis stop, on se joue de moi, on cherche à me trifouiller l’inconscient, on me manipule mentalement sans même que je me sois inscrit à un test de dianétique à l’Eglise de schtroumpfologie.

Plus exactement, j’ai la désagréable impression que les gens qui sont supposés m’informer cherchent délibérément à me flanquer les chocottes. Et j’ai une vague idée du pourquoi. L’auditeur terrorisé est par essence un client en or pour l’industrie médiatique, et même le meilleur consommateur qui soit. De bon gars franchouillard et cartésien à qui on ne la fait pas, il est métamorphosé en zombie radiotélédépendant qui tend l’oreille en pensant que tout ce qui sort du poste ou de l’écran plat 82 cm est affaire de vie ou de mort. Alors cette trouille divine, on l’entretient, on la bichonne, on la peaufine et tout est bon dans le cochon : les serial killers pédophiles et les policiers pédophobes, les requins mangeurs d’homme et les saumons cancérigènes. Les drames de l’obésité et les dangers de l’amaigrissement. La violation quotidienne des droits de l’homme, de la femme, de l’animal, sans parler de celui des plantes à disposer d’elles-mêmes.

En regardant ma radio par le petit bout de la lorgnette, je pourrais dire qu’on me gave de Corée au petit déj, pour mieux me vendre de l’ami Ricoré ensuite. Mais en vérité c’est plus grave, ce n’est pas de la pub, qu’on nous vend, c’est une vision du monde. Ce monde est dangereux, à l’autre bout de la planète comme au coin de la rue.

Ces semaines-ci en particulier, il ne s’agirait pas que le bon citoyen oublie que l’Europe, c’est la paix. Que sans les pères fondateurs, le monde aujourd’hui serait un foutoir sans nom, où règne la loi du plus fort, ou du plus tapé. Non. Mais comment ne pas l’oublier ? Comment rappeler à l’ordre le distrait ?

Par exemple, ce lundi-là, en survendant le dernier endroit au monde où les bienfaits de l’Europe civilisatrice, de la mondialisation thaumaturge n’ont pas fait leur ouvrage. Un pays bizarre où l’on mange de la soupe aux racines pour cause de famine démentielle, où paradent à date fixe des petites filles en jupe rouge chantant des louanges à un dictateur mal habillé. Si en plus, on ajoute à ce fantasme exotique la folie nucléaire…bingo !

Voilà qui devrait remettre dans le droit chemin le Français qui a eu le mauvais goût de savourer en paix son long week-end de mai et de penser à la fête des mères qui vient ou à ses propres problèmes de boulot plutôt qu’aux aux européennes ou à l’état du monde

Incapable de nous vendre de la bonne came, nos médias ne savent plus s’adresser qu’à nos émotions. Un jour, c’est l’indignation, le lendemain la culpabilisation et ce lundi, et bien le menu c’était totale panique. Demain, c’est quoi ?

Après la déferlante H1N1, on avait déjà fait des stocks de Tamiflu. Chérie, n’oublie pas d’aller m’acheter du Valium !



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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