A l’orée du week-end de Pentecôte, Le Parisien annonçait hier dans une brève de son édition de Paris intra-muros que « les randonneurs de Saint-Jacques ont rendez-vous à Châtelet ». La rando en question regroupe effectivement un nombre impressionnant de sac à dos et de chaussures de marche, mais aussi quelques croix par-ci par-là : c’est le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, qui rassemble tous les ans plus de 100 000 marcheurs, plus ou moins fervents certes, mais de là à rebaptiser les pèlerins du nom de « randonneurs », c’est ce qu’on peut appeler une grosse coquille.
Où est passé le Non ?
Le 29 mai 2005, le peuple français, dans un réflexe salutaire, votait Non au traité constitutionnel européen, à plus de 55 %. Il sauvait l’indépendance nationale et, par la même occasion, car cela chez nous va de pair, assurait quelques chances de survie à notre modèle républicain et social. On aurait aimé, dans la joie souverainiste et la bonne humeur gaulliste, fêter ce joyeux anniversaire avec un gâteau au lait cru, du cidre non pasteurisé et des bougies aux normes de sécurité non agréées par le Parlement de Strasbourg. Hélas, il semblerait que l’on soit sans nouvelles du petit garçon qui aurait eu quatre ans pile hier soir à 20 heures, et ce depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Comme aucune alerte enlèvement n’a été lancée, nous sommes obligés de nous contenter de rumeurs contradictoires. Certains affirment qu’il serait séquestré à Lisbonne par un certain Traité Simplifié. D’autres prétendent qu’ils ont vu le Non mendier près des immeubles de la Commission, à Bruxelles, où un chef de gang nommé Barroso, assez défavorablement connu des services de police, le martyriserait quotidiennement.
Les bronzés à la morgue !
Les bronzés ne sont pas assez entrés dans l’histoire. C’est un fait. Est-ce une raison pour s’en débarrasser, en les accusant, comme des chiens qu’on veut noyer, d’avoir la rage ? C’est pourtant ce que vient de faire l’Académie française de Médecine en le proclamant haut et fort : les bronzés foutent le cancer !
Certes, je ne suis pas sûre à 100 % (selon le dernier sondage Ipsos réalisé par téléphone auprès d’un panel assez représentatif de moi-même) que l’Académie de Médecine ait bien déclaré que les bronzés causent la leucémie. Elle a juste dit que l’usage effréné des cabines UV représentait un risque sanitaire grave et qu’au lieu d’enquiquiner le Bidochon moyen avec la nocivité des téléphones portables (dont on ne rappellera jamais assez l’innocuité sauf à le coller en position vibreur à un endroit qu’Elisabeth Lévy refuse obstinément que je nomme, mais dont les trois lettres dans le désordre forment un assez beau prénom à mon collègue Rosenzweig – excusez-moi de cette digression assez longue, mais j’étais allée me chercher une bière dans le frigo et Willy n’avait toujours pas mis la table, d’où mon absence prolongée), les pouvoirs publics feraient mieux de s’inquiéter des mélanomes de gens si malins qu’une fois par semaine ils se prennent pour des poulets grillés en se faisant cramer la peau sous des lampions violacés.
Mélanome malin et cancer basocellulaire : voilà donc ce que l’Académie de Médecine nous dit que l’on attrape dans les cabines de bronzage. Ce n’est pas pour médire, mais je n’y crois pas une seule seconde. Je doute d’ailleurs que les honorables membres de cette compagnie aient suffisamment fréquenté les solariums pour savoir ce que l’on y chope. De quoi parlent-ils alors ? Gale, poux, mycoses, verrues, morpions : évidemment l’on voit parfois plus d’animaux en une heure au bronzarium qu’en une journée au zoo, mais je n’y ai jamais croisé un seul crabe. Des cancéreux, non plus.
Je parle en connaissance de cause. Il m’est arrivé – pour ne pas mourir idiote – d’être atteinte par cette maladie assez démocratique. Eh bien, le jour où mon cancérologue, qui avait toujours rêvé de faire coiffeur – je soupçonne ce type d’être un brin porté sur les hommes – s’est enfin décidé à me réaliser une magnifique coupe chimio, la première chose que je fis, après avoir enfilé une perruque du plus bel effet pour draguer le juif orthodoxe, c’est de me payer une séance d’UV. Mourir oui, peut-être, mais avec le teint resplendissant.
En attendant, que vont devenir ceux qui avaient placé leurs économies dans l’ouverture d’un solarium plutôt que de les bernardmadoffiser ? Vu la fréquentation de ce genre d’établissements, il sera sage, pour eux, de changer les ampoules de leurs appareils pour diffuser sur le grand corps malade de leurs clients des rayons X en lieu et place des UV. Un peintre en bâtiment adroit pourra, à moindre frais, transformer leur enseigne : de solarium à sanatorium, ça ne coûte pas beaucoup de lettres. Et Jacques Séguéla ne se rendra compte de rien. Pour la première fois de sa vie, il fera même ce que tout le monde attend depuis si longtemps : se faire soigner.
Mais arrêtons un instant, je vous prie, de parler de choses morbides, pour redevenir sérieux. Tous les magazines féminins vous le diront : c’est impossible de plaire à un homme sans avoir un minimum le teint hâlé. Il est 5 h 30 du matin, dans une demi-heure la boîte ferme, et vous écumez le lieu à la recherche d’un mâle en état d’ébriété suffisamment notoire pour qu’il ne vous crache pas à la figure un élégant : « Eh, casse-toi, morue ! », quand les néons se rallument. Vous n’avez, Madame, aucune chance de jouer à la bête à deux dos dans l’heure qui suit, à moins de tomber sur un type suffisamment déjanté pour vouloir participer à un remake de Nosferatu le livide, si vous n’avez pas passé l’après-midi dans un solarium. Les fâcheux m’objecteront que c’est une question de mode et qu’au XIXe siècle les hommes préféraient les blanches. Et les grosses aussi. Je veux bien. Mais il faut avoir l’esprit sacrément tordu pour s’intéresser aux mecs du XIXe. Siècle et arrondissement.
Je vous le dis comme je le pense : à cinquante ans, si t’as pas un mélanome malin, c’est que t’as raté ta vie.
Jugement de Choc
Certaines choses ne se disent pas, d’autres ne se montrent pas. Encore faut-il déterminer lesquelles. Chacun a ses limites, la Justice a les siennes (normalement, il y a un rapport entre les deux). Cette équation qui est, en gros, celle de la liberté d’expression, était au cœur du procès intenté par la famille d’Ilan Halimi au magazine Choc. La semaine dernière, le tribunal avait ordonné en référé le retrait du magazine des kiosques – autrement dit son interdiction. Jeudi, la Cour d’Appel a levé en théorie et confirmé en pratique cette interdiction : en effet, elle demande « seulement » au mensuel d’occulter en « une » et en pages intérieures la photo incriminée, ce qui est à peu près impossible à réaliser autrement que par le retrait pur et simple du journal. Elle a donc fait prévaloir la souffrance de la famille sur toute autre considération. On peut le comprendre. Pour être juge, on n’en est pas moins homme – en l’occurrence, il s’agissait de trois femmes. Reste à savoir si l’émotion fait une bonne justice.
Ce procès de presse intervient alors que Youssouf Fofana et ses complices sont jugés à huis-clos pour la séquestration, la torture et le meurtre du jeune Ilan Halimi. Le 15 mai, Choc met en vente son numéro de juin. Sur la « une », une photo à peine soutenable, envoyée par les ravisseurs d’Ilan à la famille comme preuve de vie (ce qui signifie qu’elle sort du dossier des flics ou du juge) : le jeune homme a un pistolet braqué sur la tempe, son visage est recouvert d’une sorte d’adhésif à travers lequel on imagine qu’il peut à peine respirer, ses mains sont ligotées. Cette image qui évoque les vidéos diffusées sur internet par les égorgeurs islamistes dit l’atrocité de ce qui a été infligé au jeune homme. « Ilan Halimi réclame justice », proclame le titre. Le mardi 19 mai, la mère et les sœurs d’Ilan Halimi assignent le magazine en référé pour « violation de la vie privée » et « atteinte à la dignité ». Le lendemain, le Tribunal, en l’occurrence un magistrat unique, ordonne le retrait du magazine des kiosques à partir du vendredi 14 heures et le condamne à verser 40.000 € aux plaignantes. L’appel n’aura lieu que le lundi, autrement dit une fois que la mesure est pratiquement irréversible. Pour le journal qui enregistre un taux de retour de 80 %, la perte sèche se monte à près de 200.000 €.
Mon premier mouvement, justement, a été dicté par l’émotion. Peut-on, face à la douleur de la mère d’Ilan Halimi, faire autre chose que s’incliner ? Peut-on discuter la demande d’une famille qui a subi ce qu’elle a subi ? Je me suis donc rendue à l’audience d’appel avec la conviction que Choc avait bien mérité une baffe judiciaire (et financière).
Le problème, avec le débat contradictoire, c’est qu’il ouvre la voie au doute. C’est aussi sa principale vertu. Qu’on soit juge, journaliste ou toute autre chose, on n’a pas trouvé mieux que la confrontation des opinions pour s’en forger une à soi. Je suis sortie du Palais de Justice, sinon complètement retournée, du moins fortement ébranlée[1. Les esprits soupçonneux me feront remarquer que Richard Malka, l’avocat de Choc, est un ami. Certes. Mais il l’était avant l’audience et je lui avais annoncé que je ne le suivrais pas sur cette cause-là.]. Je ne sais pas s’il fallait publier la photo incriminée mais j’ai tendance à penser qu’il ne fallait pas interdire le magazine, quoi qu’on pense d’icelui.
Fallait-il publier la photo d’un prisonnier à la merci de ses geôliers ? L’argumentation de Choc et de ses avocats repose sur une idée : il faut montrer le mal pour le combattre. Aussi choquant que cela puisse être. D’ailleurs, disent-ils, certains journaux comme Tribune juive ont publié des descriptions écrites mais tout aussi insupportables des tortures infligées au jeune homme et de l’autopsie de son corps. En outre, font-ils valoir, alors que la Cour d’Assises débat à huis-clos, il est encore plus nécessaire d’informer le public, en particulier les jeunes qui lisent Choc. « Me Szpiner dit que c’est la loi du silence qui a tué Ilan, il serait incroyable qu’elle continue à prévaloir », lance Richard Malka. À d’autres, répond en substance Francis Szpiner, avocat de la famille Halimi, la seule ambition de Choc, c’est de faire de l’argent avec du sensationnel. « Nous ne parlons pas d’un crime impuni dont les images circulent sous le manteau mais d’un crime dont les auteurs sont jugés et seront condamnés par la cour d’Assises, plaide-t-il. On n’a pas le droit de tout faire parce qu’on a une carte de presse ».
Si vous autorisez cette image, tout est permis, assurent les uns. Si vous l’interdisez, on ne pourra plus rien montrer répondent les autres. Difficile, dans ces conditions, d’avoir des certitudes. À l’évidence, ces photos disent quelque chose de la vérité de notre monde. Oui mais madame Halimi. « Il faudrait la placarder dans tout Paris », me dit une amie à qui je montre la couverture litigieuse. « Je suis certain que des gamins l’afficheront en poster dans leur chambre, non par horreur mais par fascination », remarque un autre. Devons-nous adapter notre langage et notre information au niveau des plus crétins ou des moins civilisés ? Oui mais, tout de même, madame Halimi.
Au risque de vous décevoir, chers lecteurs, je n’arrive pas à me faire une religion. Je n’aurais pas publié cette photo, sans doute parce que je m’entête à croire aux vertus de l’écrit. Mais je ne jurerais pas qu’il était infâme de le faire.
En revanche, à la question « fallait-il interdire le journal ?», je répondrai par la négative. Tout d’abord, Malka m’a convaincue sur un point : qu’une décision aussi lourde et pratiquement irréversible soit prise en moins de 20 heures par un homme seul parait pour le moins léger. Mais c’est l’avocate générale (représentante du Parquet) qui m’a fait basculer, en se livrant à un cassage de gueule en règle de Choc. Quand elle a parlé en pinçant du nez, de ce « journal un peu spécial », j’ai pensé que je ne voulais pas que les juges me disent quel journal est casher et quel journal ne l’est pas.
Nous voilà bien avancés, pensez-vous. Et pourtant si. Les termes du débat étant posés, quoi qu’en pensent les juges, vous êtes assez grands pour vous faire une opinion.
Ceux qui l’aiment prendront le train
Julien Coupat, célèbre terroriste parapsychologue formé par Houdini, Mandrake, Heidegger et Guy Debord, incarcéré depuis novembre 2008 pour avoir stoppé des TGV par la seule force de la pensée et le recours à la Kabbale (Tiqqun désigne le train dans l’alphabet hébraïque, d’après un pigiste de la DCRI), a été libéré après avoir réussi sa cinquième tentative d’hypnotisation du juge instruisant son affaire. Sa libération, survenue ce jeudi 28 mai, est néanmoins assortie d’un contrôle judiciaire très strict. Il ne doit pas quitter l’Ile de France et pointer une fois par semaine au commissariat de Montreuil. Il aurait également signé une déclaration sur l’honneur stipulant qu’il ne se mettrait pas à hurler de rire quand on prononcerait devant lui des noms comme Alain Bauer, Bernard Squarcini ou Michèle Alliot-Marie.
Ne tirez pas sur le portique !
La levée de boucliers contre la fouille des écoliers est incompréhensible. Faire passer les nains sous les détecteurs de métaux pour les délester des marteaux, couteaux de cuisine et autres kalachnikovs devrait contribuer à alléger le poids du cartable qui déclenche non seulement des scolioses, mais oblige les journalistes à écrire le même article sur les kilos en trop des sacs à dos de nos chers petits à chaque rentrée scolaire. Hélas, le soulagement devrait être de courte durée : lesté de cinq fruits et légumes par jour, le chargement scolaire devrait retrouver son poids scandaleux avant la floraison estivale des marronniers.
Lettre à Hicham
Mon cher Hicham,
« Voici venu le temps que je t’explique », pourrais-je te dire pour paraphraser Louis Aragon. Tu viens d’avoir dix ans et tu en parais huit. Avec ton petit cousin de six ans, tu as été interpelé pour un vol de vélo que tu n’avais pas commis. Arrêté par une demi-douzaine de fonctionnaires de police que l’on aurait peut-être aimé voir se livrer à des tâches plus utiles, ou plus urgentes. Tu as fait connaissance avec le racisme ordinaire d’une vieille nation exténuée. Je voudrais te dire que ce n’était pas dans ses habitudes, à ce pays, jusqu’à une date somme toute très récente. Je voudrais te dire que j’ai longtemps été professeur, que j’aime la France et que j’en ai parfois été très fier et pas seulement quand des joueurs avec des noms qui ont les mêmes consonances que le tien gagnent une finale de coupe du monde de football. Laisse-moi te dire, par exemple, comme je me suis senti étrangement heureux le jour où, préparant un voyage scolaire à Londres, je ramassai les autorisations de sortie du territoire et vérifiai que tout ce petit monde avait bien des pièces d’identité. Une élève cambodgienne me tendit ce qui ressemblait à un passeport sur lequel était inscrit « Titre de réfugié politique » et où l’on pouvait lire, sur la page de garde cet extrait de la constitution de 1793 : « Le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans ».
Vois-tu, Hicham, pour reprendre les mots de Bernard Stiegler, qui estime que c’est là le plus important dans une société, nous étions en plein dans ce qu’il appelle le « prendre soin ». Et il me semble, à toi qui es aussi français que moi, que ce matin là devant ton école, en ce qui te concerne, on a oublié de « prendre soin » de toi.
La police n’est pas très bien tombée, en même temps. Il semblerait que ta mère soit une femme plutôt décidée, il semblerait que ce vélo, c’est ton oncle, un adjudant-chef, qui te l’a offert. Il n’aurait plus manqué qu’il soit un héros de la guerre en Afghanistan, qu’il se soit fait tirer dessus par des talibans, on aurait eu l’air ridicule, vraiment ridicule et en face, dans l’infime partie de nos concitoyens à front de taureau qui sont incapables de faire la différence entre un arabe et un islamiste, une appartenance ethnique et une appartenance religieuse, l’incompréhension aurait été complète.
Je ne sais pas d’ailleurs si tu es pratiquant ou non, et pour te dire la vérité, je m’en moque. Je sais que ta mère n’est pas apparue voilée à la télévision et cela est suffisant pour prouver que malgré cette relégation économique et culturelle que l’on fait subir aux tiens, vous ne soyez pas encore tombés dans la vilaine névrose religieuse et intégriste, celle que nos actuels gouvernants adorent voir se substituer à la lutte des classes, car il est toujours plus facile de gouverner une société communautarisée avec de bonnes mosquées à la place de vilains syndicats.
Hicham, n’en veux pas trop aux policiers. Ils sont fatigués, mal aimés, mal payés et très peu d’entre eux correspondent à la caricature gauchiste. Ils ont même, lors du légitime soulèvement des banlieues en 2005, fait preuve d’un remarquable professionnalisme, d’un étonnant sang froid alors qu’ils étaient poussés aux fesses par un ministre de l’intérieur hystérique et matamore, devenu Président depuis, et qui n’aurait pas détesté se la jouer Thiers pendant la Semaine sanglante, histoire d’assurer définitivement sa stature de chef suprême face à ces couilles molles humanistes de Chirac et Villepin.
Tu sais, tu n’as pas eu de chance. Tu t’es trouvé à la jointure symbolique de deux enjeux majeurs ces temps-ci : l’éducation et la sécurité, mises toutes les deux à mal par une morale capitaliste, une morale du chiffre et de la rentabilité. La même semaine, la police essuyait des tirs de kalachnikov et beaucoup ont fait semblant de confondre une action liée au grand banditisme de narcotrafiquants avec la délinquance ordinaire de la déréliction suburbaine. La même semaine, également, une enseignante se faisait poignarder par un de tes camarades de douze ans. Lui, vois-tu, pourtant il ne vivait pas dans une cité, il n’était pas d’origine étrangère mais il y a plusieurs façons de ne pas aimer, de ne pas « prendre soin » : on peut vous laisser traîner dans les cages d’escaliers des journées entières mais on peut aussi vous faire rentrer sagement dans le pavillon d’une zone rurbanisée et vous laisser des heures dans le cyberautisme le plus total des jeux vidéos et des chats sur MSN.
N’en veux donc pas, non plus, aux professeurs. Tu sais, depuis trente ans, depuis la réforme Haby ils subissent les délires pédagogistes d’une poignée de soixante-huitards qui après un putsch idéologique rue de Grenelle ont accompagné en idiots utiles la dissolution libérale-libertaire de l’école. Et puis Darcos, est arrivé, Hicham. Un agrégé de Lettres classiques qui a préféré par ambition la fréquentation de la droite Fouquet’s aux vers coquins de Catulle ou doucement lyriques d’Horace. On lui a dit « supprime dix mille postes par an » et il a supprimé dix mille poste par an depuis son arrivée. L’équivalent des suppressions d’emploi dans la sidérurgie à Denain, en 78, quand la mondialisation faisait ses premiers pas en se livrant à la destruction massives de régions entières en temps de paix.
Logique comptable, logique désastreuse, notamment dans les zones sensibles. Et tu sais quoi, Hicham ? Après l’agression de cette enseignante, après que deux jours plus tard une CPE a été rouée de coup, il n’a pas proposé de recruter des surveillants, ceux qu’on appelait les pions et qui ont disparu, remplacés par des assistants d’éducation mal formés astreints à trente-cinq heures et ne pouvant donc pas continuer leurs études. Non, il a eu l’indécence de proposer des portiques de sécurité et une « police des écoles ». Tu comprends ce que ça veut dire ? Dans les collèges et les lycées en quelques années, on a fait disparaître le latin, le grec, un nombre incalculable de langues étrangères, on a réduit les horaires en français, en histoire, en maths, on cherche à faire la peau à la philo et à l’économie (il ne manquerait plus que le lycéen de 2009 ait du sens critique, surtout s’il est issu d’un quartier) et quand tout craque, la réponse, ce sont les flics.
Les flics et les profs ont ceci en commun qu’ils sont des « dysfonctionnaires », selon le joli mot de Vincent Cespédes, un autre philosophe qui dans La cerise sur le béton montre comment ces deux catégories les plus exposées à la violence sociale sont en même temps soumises à des logiques contradictoires, schizophrènes entre les exigences de leur hiérarchie et la réalité du terrain.
Alors, Hicham, ce qui me ferait plaisir, ce n’est pas, comme le suggère mon estimée rédactrice en chef, que tu passes cet épisode par profits et pertes. Je voudrais qu’il te serve de carburant pour ne pas te conformer aux modes de réussites prévus pour toi (foot, rap, comique télévisuel), qu’il te donne envie de faire de la politique et que dans une petite trentaine d’années, j’apprenne que tu viens d’accéder aux deuxième tour de l’élection présidentielle. Si tu n’es pas dans les paillettes de Rachida ou la démagogie langagière de Fadela, j’irais voter pour toi, le cœur léger.
Pour une nouvelle critique de l'économie politique (0000)
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Tarnac paranoïaque

Comme dirait Jackie Berroyer : « Parlons peu, parlons de moi. » La notice qui suit mon nom sur causeur et me qualifie d’anarcho-réactionnaire en dit plus sur mon parcours que sur l’état de ma pensée. En fait, j’étais proche des milieux anarchistes jusqu’à une date trop récente pour que je puisse la révéler sans honte. Et un jour, à l’inverse de Lazare quand il retrouva la vie, j’ai cessé de marcher en traînant mes savates de République à Bastille et je me suis assis. J’ai ouvert les yeux sur le réel et en devenant clairvoyant, je suis devenu réactionnaire. En un mot je suis devenu adulte.
Il est vrai que dans ma jeunesse militante, aucun abus de pouvoir ne m’a envoyé en prison. Qui sait si je n’en serais pas sorti persuadé que ma pensée était dérangeante ? Maintenu dans l’illusion par effet de répression, soutenu par les écrits talentueux mais irresponsables de mes amis, au fond de quelle impasse idéologique cracherais-je aujourd’hui un anti-sarkozysme de rigueur ? Sur quel site d’info non-aligné et payant ou dans quel hebdo devenu bête et méchant pour de bon aurais-je fait acte de résistance contre la tyrannie libéral-sarkozyste qui enferme les dissidents et diffame les vrais libérateurs ? L’idée que j’aurais pu devenir une espèce de Frédéric Bonnaud me fait frémir.
À la lecture de l’entretien donné au Monde par Julien Coupat, incarcéré depuis plus de six mois, un constat s’impose : la prison ne remplit pas toutes ses missions. Si elle protège les honnêtes gens des criminels jugés, si elle dissuade une large majorité de personnes de violer la loi, la solution pénitentiaire semble peu efficace pour la réinsertion des prisonniers. Je ne parle pas de réinsertion professionnelle, je doute que ces contingences préoccupent beaucoup le penseur de Tarnac, mais disons d’un retour à des pratiques politiques respectueuses des exigences démocratiques, c’est-à-dire des autres gens.
Comme Jean-Marc Rouillan hier, Julien Coupat nous démontre que si on se berce de l’illusion qu’on est un prisonnier politique en France de nos jours, si on croit vraiment que « le pouvoir prend peur à cause d’un livre », ou que « ce qui fonde l’accusation de terrorisme, c’est la coïncidence d’une pensée et d’une vie », on a peu de chances de retrouver en sortant le chemin du bon sens. En effet, la compréhension du monde par Julien Coupat semble en être totalement dénuée. Si vous prenez la peine de lire l’entretien, vous mesurerez l’ampleur du fantasme.
Je vais tenter d’en extraire la substantifique moelle par quelques morceaux choisis.
– La répression : la France, « régime (…) de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues (comme à La Courneuve ?) ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac ». Rappelons à titre d’exemple que la fac de Saint Etienne, c’est 6000 étudiants et 200 bloqueurs.
– Le sarkozysme : « un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ».
– L’opposition : la gauche « est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi ».
– Le peuple : le seul ennemi réel du « gang sarkozyste », « c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires » : « Les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets. » On peut s’interroger sur ce qu’il adviendrait de cette étonnante coalition si la police, mandatée par la justice dans le cadre de lois votées par les représentants du peuple ne protégeait les droits des uns contre les abus des autres.
– La solution : « une révolte cruelle mais bouleversante ».
On peut discuter toutes ces affirmations mais la question essentielle n’est pas là. On peut dans notre République penser comme Julien Coupat et diffuser ses idées. On peut fonder un mouvement et, par sa seule force de conviction, entraîner une majorité de Français pour devenir chef de l’Etat, ce qui est beaucoup plus contraignant et donne moins de pouvoirs que faire chef de bande. La tenue d’élections libres le permet. C’est moins romanesque que la prise du Palais d’Hiver mais plus civilisé. On peut choisir un mode de vie autarcique et communautaire, ce qui, je le dis sans ironie, tente ma misanthropie et emporte toute ma sympathie. Notre société abrite en son sein des citoyens qui théorisent sa destruction. La loi protège la liberté de leur expression et autorise leur réunion et c’est très bien comme ça.
Ce qu’on ne peut pas faire en revanche, c’est arrêter les trains même si on trouve qu’ils roulent trop vite. Et encore, même pour ça, la loi a prévu des dispositions, le droit de grève pour les cheminots et le signal d’alarme pour les voyageurs. Dans le cadre de la loi : c’est comme ça que ça marche.
C’est ainsi qu’on peut partager ce pays, sans être d’accord et sans être ennemis.
Depuis que les élections sont libres, que la candidature à la fonction suprême est ouverte à tous, le gouvernement élu, c’est la volonté du peuple. S’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer au peuple. L’Etat de droit a aboli la révolution. En régime despotique, sans la liberté de choisir les dirigeants, prendre les armes c’est résister. En démocratie, c’est du terrorisme.
Ces idées simples, largement partagées, semblent avoir du mal à pénétrer les esprits compliqués des penseurs révolutionnaires.
Julien Coupat n’est pas un démocrate, voilà ce que révèle cet entretien au Monde. D’accord, ça ne mérite peut-être pas la prison.
Quant à l’affaire elle-même, j’aurais apprécié que les journalistes reprennent la seule question qui vaille, déjà posée par les enquêteurs : que faisait Coupat à proximité des rails, dans la nuit du 7 au 8 novembre ?
Réponse du présumé innocent : « Malgré mes talents avérés de voyance, je n’ai pas de solution à cette énigme. »
Julien Coupat se paie la tête des flics, la justice s’offre la tête de Coupat. Quel scandale.
Le pèlerin libéré
A l’orée du week-end de Pentecôte, Le Parisien annonçait hier dans une brève de son édition de Paris intra-muros que « les randonneurs de Saint-Jacques ont rendez-vous à Châtelet ». La rando en question regroupe effectivement un nombre impressionnant de sac à dos et de chaussures de marche, mais aussi quelques croix par-ci par-là : c’est le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, qui rassemble tous les ans plus de 100 000 marcheurs, plus ou moins fervents certes, mais de là à rebaptiser les pèlerins du nom de « randonneurs », c’est ce qu’on peut appeler une grosse coquille.
Où est passé le Non ?
Le 29 mai 2005, le peuple français, dans un réflexe salutaire, votait Non au traité constitutionnel européen, à plus de 55 %. Il sauvait l’indépendance nationale et, par la même occasion, car cela chez nous va de pair, assurait quelques chances de survie à notre modèle républicain et social. On aurait aimé, dans la joie souverainiste et la bonne humeur gaulliste, fêter ce joyeux anniversaire avec un gâteau au lait cru, du cidre non pasteurisé et des bougies aux normes de sécurité non agréées par le Parlement de Strasbourg. Hélas, il semblerait que l’on soit sans nouvelles du petit garçon qui aurait eu quatre ans pile hier soir à 20 heures, et ce depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Comme aucune alerte enlèvement n’a été lancée, nous sommes obligés de nous contenter de rumeurs contradictoires. Certains affirment qu’il serait séquestré à Lisbonne par un certain Traité Simplifié. D’autres prétendent qu’ils ont vu le Non mendier près des immeubles de la Commission, à Bruxelles, où un chef de gang nommé Barroso, assez défavorablement connu des services de police, le martyriserait quotidiennement.
Les bronzés à la morgue !
Les bronzés ne sont pas assez entrés dans l’histoire. C’est un fait. Est-ce une raison pour s’en débarrasser, en les accusant, comme des chiens qu’on veut noyer, d’avoir la rage ? C’est pourtant ce que vient de faire l’Académie française de Médecine en le proclamant haut et fort : les bronzés foutent le cancer !
Certes, je ne suis pas sûre à 100 % (selon le dernier sondage Ipsos réalisé par téléphone auprès d’un panel assez représentatif de moi-même) que l’Académie de Médecine ait bien déclaré que les bronzés causent la leucémie. Elle a juste dit que l’usage effréné des cabines UV représentait un risque sanitaire grave et qu’au lieu d’enquiquiner le Bidochon moyen avec la nocivité des téléphones portables (dont on ne rappellera jamais assez l’innocuité sauf à le coller en position vibreur à un endroit qu’Elisabeth Lévy refuse obstinément que je nomme, mais dont les trois lettres dans le désordre forment un assez beau prénom à mon collègue Rosenzweig – excusez-moi de cette digression assez longue, mais j’étais allée me chercher une bière dans le frigo et Willy n’avait toujours pas mis la table, d’où mon absence prolongée), les pouvoirs publics feraient mieux de s’inquiéter des mélanomes de gens si malins qu’une fois par semaine ils se prennent pour des poulets grillés en se faisant cramer la peau sous des lampions violacés.
Mélanome malin et cancer basocellulaire : voilà donc ce que l’Académie de Médecine nous dit que l’on attrape dans les cabines de bronzage. Ce n’est pas pour médire, mais je n’y crois pas une seule seconde. Je doute d’ailleurs que les honorables membres de cette compagnie aient suffisamment fréquenté les solariums pour savoir ce que l’on y chope. De quoi parlent-ils alors ? Gale, poux, mycoses, verrues, morpions : évidemment l’on voit parfois plus d’animaux en une heure au bronzarium qu’en une journée au zoo, mais je n’y ai jamais croisé un seul crabe. Des cancéreux, non plus.
Je parle en connaissance de cause. Il m’est arrivé – pour ne pas mourir idiote – d’être atteinte par cette maladie assez démocratique. Eh bien, le jour où mon cancérologue, qui avait toujours rêvé de faire coiffeur – je soupçonne ce type d’être un brin porté sur les hommes – s’est enfin décidé à me réaliser une magnifique coupe chimio, la première chose que je fis, après avoir enfilé une perruque du plus bel effet pour draguer le juif orthodoxe, c’est de me payer une séance d’UV. Mourir oui, peut-être, mais avec le teint resplendissant.
En attendant, que vont devenir ceux qui avaient placé leurs économies dans l’ouverture d’un solarium plutôt que de les bernardmadoffiser ? Vu la fréquentation de ce genre d’établissements, il sera sage, pour eux, de changer les ampoules de leurs appareils pour diffuser sur le grand corps malade de leurs clients des rayons X en lieu et place des UV. Un peintre en bâtiment adroit pourra, à moindre frais, transformer leur enseigne : de solarium à sanatorium, ça ne coûte pas beaucoup de lettres. Et Jacques Séguéla ne se rendra compte de rien. Pour la première fois de sa vie, il fera même ce que tout le monde attend depuis si longtemps : se faire soigner.
Mais arrêtons un instant, je vous prie, de parler de choses morbides, pour redevenir sérieux. Tous les magazines féminins vous le diront : c’est impossible de plaire à un homme sans avoir un minimum le teint hâlé. Il est 5 h 30 du matin, dans une demi-heure la boîte ferme, et vous écumez le lieu à la recherche d’un mâle en état d’ébriété suffisamment notoire pour qu’il ne vous crache pas à la figure un élégant : « Eh, casse-toi, morue ! », quand les néons se rallument. Vous n’avez, Madame, aucune chance de jouer à la bête à deux dos dans l’heure qui suit, à moins de tomber sur un type suffisamment déjanté pour vouloir participer à un remake de Nosferatu le livide, si vous n’avez pas passé l’après-midi dans un solarium. Les fâcheux m’objecteront que c’est une question de mode et qu’au XIXe siècle les hommes préféraient les blanches. Et les grosses aussi. Je veux bien. Mais il faut avoir l’esprit sacrément tordu pour s’intéresser aux mecs du XIXe. Siècle et arrondissement.
Je vous le dis comme je le pense : à cinquante ans, si t’as pas un mélanome malin, c’est que t’as raté ta vie.
Jugement de Choc
Certaines choses ne se disent pas, d’autres ne se montrent pas. Encore faut-il déterminer lesquelles. Chacun a ses limites, la Justice a les siennes (normalement, il y a un rapport entre les deux). Cette équation qui est, en gros, celle de la liberté d’expression, était au cœur du procès intenté par la famille d’Ilan Halimi au magazine Choc. La semaine dernière, le tribunal avait ordonné en référé le retrait du magazine des kiosques – autrement dit son interdiction. Jeudi, la Cour d’Appel a levé en théorie et confirmé en pratique cette interdiction : en effet, elle demande « seulement » au mensuel d’occulter en « une » et en pages intérieures la photo incriminée, ce qui est à peu près impossible à réaliser autrement que par le retrait pur et simple du journal. Elle a donc fait prévaloir la souffrance de la famille sur toute autre considération. On peut le comprendre. Pour être juge, on n’en est pas moins homme – en l’occurrence, il s’agissait de trois femmes. Reste à savoir si l’émotion fait une bonne justice.
Ce procès de presse intervient alors que Youssouf Fofana et ses complices sont jugés à huis-clos pour la séquestration, la torture et le meurtre du jeune Ilan Halimi. Le 15 mai, Choc met en vente son numéro de juin. Sur la « une », une photo à peine soutenable, envoyée par les ravisseurs d’Ilan à la famille comme preuve de vie (ce qui signifie qu’elle sort du dossier des flics ou du juge) : le jeune homme a un pistolet braqué sur la tempe, son visage est recouvert d’une sorte d’adhésif à travers lequel on imagine qu’il peut à peine respirer, ses mains sont ligotées. Cette image qui évoque les vidéos diffusées sur internet par les égorgeurs islamistes dit l’atrocité de ce qui a été infligé au jeune homme. « Ilan Halimi réclame justice », proclame le titre. Le mardi 19 mai, la mère et les sœurs d’Ilan Halimi assignent le magazine en référé pour « violation de la vie privée » et « atteinte à la dignité ». Le lendemain, le Tribunal, en l’occurrence un magistrat unique, ordonne le retrait du magazine des kiosques à partir du vendredi 14 heures et le condamne à verser 40.000 € aux plaignantes. L’appel n’aura lieu que le lundi, autrement dit une fois que la mesure est pratiquement irréversible. Pour le journal qui enregistre un taux de retour de 80 %, la perte sèche se monte à près de 200.000 €.
Mon premier mouvement, justement, a été dicté par l’émotion. Peut-on, face à la douleur de la mère d’Ilan Halimi, faire autre chose que s’incliner ? Peut-on discuter la demande d’une famille qui a subi ce qu’elle a subi ? Je me suis donc rendue à l’audience d’appel avec la conviction que Choc avait bien mérité une baffe judiciaire (et financière).
Le problème, avec le débat contradictoire, c’est qu’il ouvre la voie au doute. C’est aussi sa principale vertu. Qu’on soit juge, journaliste ou toute autre chose, on n’a pas trouvé mieux que la confrontation des opinions pour s’en forger une à soi. Je suis sortie du Palais de Justice, sinon complètement retournée, du moins fortement ébranlée[1. Les esprits soupçonneux me feront remarquer que Richard Malka, l’avocat de Choc, est un ami. Certes. Mais il l’était avant l’audience et je lui avais annoncé que je ne le suivrais pas sur cette cause-là.]. Je ne sais pas s’il fallait publier la photo incriminée mais j’ai tendance à penser qu’il ne fallait pas interdire le magazine, quoi qu’on pense d’icelui.
Fallait-il publier la photo d’un prisonnier à la merci de ses geôliers ? L’argumentation de Choc et de ses avocats repose sur une idée : il faut montrer le mal pour le combattre. Aussi choquant que cela puisse être. D’ailleurs, disent-ils, certains journaux comme Tribune juive ont publié des descriptions écrites mais tout aussi insupportables des tortures infligées au jeune homme et de l’autopsie de son corps. En outre, font-ils valoir, alors que la Cour d’Assises débat à huis-clos, il est encore plus nécessaire d’informer le public, en particulier les jeunes qui lisent Choc. « Me Szpiner dit que c’est la loi du silence qui a tué Ilan, il serait incroyable qu’elle continue à prévaloir », lance Richard Malka. À d’autres, répond en substance Francis Szpiner, avocat de la famille Halimi, la seule ambition de Choc, c’est de faire de l’argent avec du sensationnel. « Nous ne parlons pas d’un crime impuni dont les images circulent sous le manteau mais d’un crime dont les auteurs sont jugés et seront condamnés par la cour d’Assises, plaide-t-il. On n’a pas le droit de tout faire parce qu’on a une carte de presse ».
Si vous autorisez cette image, tout est permis, assurent les uns. Si vous l’interdisez, on ne pourra plus rien montrer répondent les autres. Difficile, dans ces conditions, d’avoir des certitudes. À l’évidence, ces photos disent quelque chose de la vérité de notre monde. Oui mais madame Halimi. « Il faudrait la placarder dans tout Paris », me dit une amie à qui je montre la couverture litigieuse. « Je suis certain que des gamins l’afficheront en poster dans leur chambre, non par horreur mais par fascination », remarque un autre. Devons-nous adapter notre langage et notre information au niveau des plus crétins ou des moins civilisés ? Oui mais, tout de même, madame Halimi.
Au risque de vous décevoir, chers lecteurs, je n’arrive pas à me faire une religion. Je n’aurais pas publié cette photo, sans doute parce que je m’entête à croire aux vertus de l’écrit. Mais je ne jurerais pas qu’il était infâme de le faire.
En revanche, à la question « fallait-il interdire le journal ?», je répondrai par la négative. Tout d’abord, Malka m’a convaincue sur un point : qu’une décision aussi lourde et pratiquement irréversible soit prise en moins de 20 heures par un homme seul parait pour le moins léger. Mais c’est l’avocate générale (représentante du Parquet) qui m’a fait basculer, en se livrant à un cassage de gueule en règle de Choc. Quand elle a parlé en pinçant du nez, de ce « journal un peu spécial », j’ai pensé que je ne voulais pas que les juges me disent quel journal est casher et quel journal ne l’est pas.
Nous voilà bien avancés, pensez-vous. Et pourtant si. Les termes du débat étant posés, quoi qu’en pensent les juges, vous êtes assez grands pour vous faire une opinion.
Ceux qui l’aiment prendront le train
Julien Coupat, célèbre terroriste parapsychologue formé par Houdini, Mandrake, Heidegger et Guy Debord, incarcéré depuis novembre 2008 pour avoir stoppé des TGV par la seule force de la pensée et le recours à la Kabbale (Tiqqun désigne le train dans l’alphabet hébraïque, d’après un pigiste de la DCRI), a été libéré après avoir réussi sa cinquième tentative d’hypnotisation du juge instruisant son affaire. Sa libération, survenue ce jeudi 28 mai, est néanmoins assortie d’un contrôle judiciaire très strict. Il ne doit pas quitter l’Ile de France et pointer une fois par semaine au commissariat de Montreuil. Il aurait également signé une déclaration sur l’honneur stipulant qu’il ne se mettrait pas à hurler de rire quand on prononcerait devant lui des noms comme Alain Bauer, Bernard Squarcini ou Michèle Alliot-Marie.
Ne tirez pas sur le portique !
La levée de boucliers contre la fouille des écoliers est incompréhensible. Faire passer les nains sous les détecteurs de métaux pour les délester des marteaux, couteaux de cuisine et autres kalachnikovs devrait contribuer à alléger le poids du cartable qui déclenche non seulement des scolioses, mais oblige les journalistes à écrire le même article sur les kilos en trop des sacs à dos de nos chers petits à chaque rentrée scolaire. Hélas, le soulagement devrait être de courte durée : lesté de cinq fruits et légumes par jour, le chargement scolaire devrait retrouver son poids scandaleux avant la floraison estivale des marronniers.
Lettre à Hicham
Mon cher Hicham,
« Voici venu le temps que je t’explique », pourrais-je te dire pour paraphraser Louis Aragon. Tu viens d’avoir dix ans et tu en parais huit. Avec ton petit cousin de six ans, tu as été interpelé pour un vol de vélo que tu n’avais pas commis. Arrêté par une demi-douzaine de fonctionnaires de police que l’on aurait peut-être aimé voir se livrer à des tâches plus utiles, ou plus urgentes. Tu as fait connaissance avec le racisme ordinaire d’une vieille nation exténuée. Je voudrais te dire que ce n’était pas dans ses habitudes, à ce pays, jusqu’à une date somme toute très récente. Je voudrais te dire que j’ai longtemps été professeur, que j’aime la France et que j’en ai parfois été très fier et pas seulement quand des joueurs avec des noms qui ont les mêmes consonances que le tien gagnent une finale de coupe du monde de football. Laisse-moi te dire, par exemple, comme je me suis senti étrangement heureux le jour où, préparant un voyage scolaire à Londres, je ramassai les autorisations de sortie du territoire et vérifiai que tout ce petit monde avait bien des pièces d’identité. Une élève cambodgienne me tendit ce qui ressemblait à un passeport sur lequel était inscrit « Titre de réfugié politique » et où l’on pouvait lire, sur la page de garde cet extrait de la constitution de 1793 : « Le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans ».
Vois-tu, Hicham, pour reprendre les mots de Bernard Stiegler, qui estime que c’est là le plus important dans une société, nous étions en plein dans ce qu’il appelle le « prendre soin ». Et il me semble, à toi qui es aussi français que moi, que ce matin là devant ton école, en ce qui te concerne, on a oublié de « prendre soin » de toi.
La police n’est pas très bien tombée, en même temps. Il semblerait que ta mère soit une femme plutôt décidée, il semblerait que ce vélo, c’est ton oncle, un adjudant-chef, qui te l’a offert. Il n’aurait plus manqué qu’il soit un héros de la guerre en Afghanistan, qu’il se soit fait tirer dessus par des talibans, on aurait eu l’air ridicule, vraiment ridicule et en face, dans l’infime partie de nos concitoyens à front de taureau qui sont incapables de faire la différence entre un arabe et un islamiste, une appartenance ethnique et une appartenance religieuse, l’incompréhension aurait été complète.
Je ne sais pas d’ailleurs si tu es pratiquant ou non, et pour te dire la vérité, je m’en moque. Je sais que ta mère n’est pas apparue voilée à la télévision et cela est suffisant pour prouver que malgré cette relégation économique et culturelle que l’on fait subir aux tiens, vous ne soyez pas encore tombés dans la vilaine névrose religieuse et intégriste, celle que nos actuels gouvernants adorent voir se substituer à la lutte des classes, car il est toujours plus facile de gouverner une société communautarisée avec de bonnes mosquées à la place de vilains syndicats.
Hicham, n’en veux pas trop aux policiers. Ils sont fatigués, mal aimés, mal payés et très peu d’entre eux correspondent à la caricature gauchiste. Ils ont même, lors du légitime soulèvement des banlieues en 2005, fait preuve d’un remarquable professionnalisme, d’un étonnant sang froid alors qu’ils étaient poussés aux fesses par un ministre de l’intérieur hystérique et matamore, devenu Président depuis, et qui n’aurait pas détesté se la jouer Thiers pendant la Semaine sanglante, histoire d’assurer définitivement sa stature de chef suprême face à ces couilles molles humanistes de Chirac et Villepin.
Tu sais, tu n’as pas eu de chance. Tu t’es trouvé à la jointure symbolique de deux enjeux majeurs ces temps-ci : l’éducation et la sécurité, mises toutes les deux à mal par une morale capitaliste, une morale du chiffre et de la rentabilité. La même semaine, la police essuyait des tirs de kalachnikov et beaucoup ont fait semblant de confondre une action liée au grand banditisme de narcotrafiquants avec la délinquance ordinaire de la déréliction suburbaine. La même semaine, également, une enseignante se faisait poignarder par un de tes camarades de douze ans. Lui, vois-tu, pourtant il ne vivait pas dans une cité, il n’était pas d’origine étrangère mais il y a plusieurs façons de ne pas aimer, de ne pas « prendre soin » : on peut vous laisser traîner dans les cages d’escaliers des journées entières mais on peut aussi vous faire rentrer sagement dans le pavillon d’une zone rurbanisée et vous laisser des heures dans le cyberautisme le plus total des jeux vidéos et des chats sur MSN.
N’en veux donc pas, non plus, aux professeurs. Tu sais, depuis trente ans, depuis la réforme Haby ils subissent les délires pédagogistes d’une poignée de soixante-huitards qui après un putsch idéologique rue de Grenelle ont accompagné en idiots utiles la dissolution libérale-libertaire de l’école. Et puis Darcos, est arrivé, Hicham. Un agrégé de Lettres classiques qui a préféré par ambition la fréquentation de la droite Fouquet’s aux vers coquins de Catulle ou doucement lyriques d’Horace. On lui a dit « supprime dix mille postes par an » et il a supprimé dix mille poste par an depuis son arrivée. L’équivalent des suppressions d’emploi dans la sidérurgie à Denain, en 78, quand la mondialisation faisait ses premiers pas en se livrant à la destruction massives de régions entières en temps de paix.
Logique comptable, logique désastreuse, notamment dans les zones sensibles. Et tu sais quoi, Hicham ? Après l’agression de cette enseignante, après que deux jours plus tard une CPE a été rouée de coup, il n’a pas proposé de recruter des surveillants, ceux qu’on appelait les pions et qui ont disparu, remplacés par des assistants d’éducation mal formés astreints à trente-cinq heures et ne pouvant donc pas continuer leurs études. Non, il a eu l’indécence de proposer des portiques de sécurité et une « police des écoles ». Tu comprends ce que ça veut dire ? Dans les collèges et les lycées en quelques années, on a fait disparaître le latin, le grec, un nombre incalculable de langues étrangères, on a réduit les horaires en français, en histoire, en maths, on cherche à faire la peau à la philo et à l’économie (il ne manquerait plus que le lycéen de 2009 ait du sens critique, surtout s’il est issu d’un quartier) et quand tout craque, la réponse, ce sont les flics.
Les flics et les profs ont ceci en commun qu’ils sont des « dysfonctionnaires », selon le joli mot de Vincent Cespédes, un autre philosophe qui dans La cerise sur le béton montre comment ces deux catégories les plus exposées à la violence sociale sont en même temps soumises à des logiques contradictoires, schizophrènes entre les exigences de leur hiérarchie et la réalité du terrain.
Alors, Hicham, ce qui me ferait plaisir, ce n’est pas, comme le suggère mon estimée rédactrice en chef, que tu passes cet épisode par profits et pertes. Je voudrais qu’il te serve de carburant pour ne pas te conformer aux modes de réussites prévus pour toi (foot, rap, comique télévisuel), qu’il te donne envie de faire de la politique et que dans une petite trentaine d’années, j’apprenne que tu viens d’accéder aux deuxième tour de l’élection présidentielle. Si tu n’es pas dans les paillettes de Rachida ou la démagogie langagière de Fadela, j’irais voter pour toi, le cœur léger.
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Tarnac paranoïaque

Comme dirait Jackie Berroyer : « Parlons peu, parlons de moi. » La notice qui suit mon nom sur causeur et me qualifie d’anarcho-réactionnaire en dit plus sur mon parcours que sur l’état de ma pensée. En fait, j’étais proche des milieux anarchistes jusqu’à une date trop récente pour que je puisse la révéler sans honte. Et un jour, à l’inverse de Lazare quand il retrouva la vie, j’ai cessé de marcher en traînant mes savates de République à Bastille et je me suis assis. J’ai ouvert les yeux sur le réel et en devenant clairvoyant, je suis devenu réactionnaire. En un mot je suis devenu adulte.
Il est vrai que dans ma jeunesse militante, aucun abus de pouvoir ne m’a envoyé en prison. Qui sait si je n’en serais pas sorti persuadé que ma pensée était dérangeante ? Maintenu dans l’illusion par effet de répression, soutenu par les écrits talentueux mais irresponsables de mes amis, au fond de quelle impasse idéologique cracherais-je aujourd’hui un anti-sarkozysme de rigueur ? Sur quel site d’info non-aligné et payant ou dans quel hebdo devenu bête et méchant pour de bon aurais-je fait acte de résistance contre la tyrannie libéral-sarkozyste qui enferme les dissidents et diffame les vrais libérateurs ? L’idée que j’aurais pu devenir une espèce de Frédéric Bonnaud me fait frémir.
À la lecture de l’entretien donné au Monde par Julien Coupat, incarcéré depuis plus de six mois, un constat s’impose : la prison ne remplit pas toutes ses missions. Si elle protège les honnêtes gens des criminels jugés, si elle dissuade une large majorité de personnes de violer la loi, la solution pénitentiaire semble peu efficace pour la réinsertion des prisonniers. Je ne parle pas de réinsertion professionnelle, je doute que ces contingences préoccupent beaucoup le penseur de Tarnac, mais disons d’un retour à des pratiques politiques respectueuses des exigences démocratiques, c’est-à-dire des autres gens.
Comme Jean-Marc Rouillan hier, Julien Coupat nous démontre que si on se berce de l’illusion qu’on est un prisonnier politique en France de nos jours, si on croit vraiment que « le pouvoir prend peur à cause d’un livre », ou que « ce qui fonde l’accusation de terrorisme, c’est la coïncidence d’une pensée et d’une vie », on a peu de chances de retrouver en sortant le chemin du bon sens. En effet, la compréhension du monde par Julien Coupat semble en être totalement dénuée. Si vous prenez la peine de lire l’entretien, vous mesurerez l’ampleur du fantasme.
Je vais tenter d’en extraire la substantifique moelle par quelques morceaux choisis.
– La répression : la France, « régime (…) de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues (comme à La Courneuve ?) ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac ». Rappelons à titre d’exemple que la fac de Saint Etienne, c’est 6000 étudiants et 200 bloqueurs.
– Le sarkozysme : « un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ».
– L’opposition : la gauche « est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi ».
– Le peuple : le seul ennemi réel du « gang sarkozyste », « c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires » : « Les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets. » On peut s’interroger sur ce qu’il adviendrait de cette étonnante coalition si la police, mandatée par la justice dans le cadre de lois votées par les représentants du peuple ne protégeait les droits des uns contre les abus des autres.
– La solution : « une révolte cruelle mais bouleversante ».
On peut discuter toutes ces affirmations mais la question essentielle n’est pas là. On peut dans notre République penser comme Julien Coupat et diffuser ses idées. On peut fonder un mouvement et, par sa seule force de conviction, entraîner une majorité de Français pour devenir chef de l’Etat, ce qui est beaucoup plus contraignant et donne moins de pouvoirs que faire chef de bande. La tenue d’élections libres le permet. C’est moins romanesque que la prise du Palais d’Hiver mais plus civilisé. On peut choisir un mode de vie autarcique et communautaire, ce qui, je le dis sans ironie, tente ma misanthropie et emporte toute ma sympathie. Notre société abrite en son sein des citoyens qui théorisent sa destruction. La loi protège la liberté de leur expression et autorise leur réunion et c’est très bien comme ça.
Ce qu’on ne peut pas faire en revanche, c’est arrêter les trains même si on trouve qu’ils roulent trop vite. Et encore, même pour ça, la loi a prévu des dispositions, le droit de grève pour les cheminots et le signal d’alarme pour les voyageurs. Dans le cadre de la loi : c’est comme ça que ça marche.
C’est ainsi qu’on peut partager ce pays, sans être d’accord et sans être ennemis.
Depuis que les élections sont libres, que la candidature à la fonction suprême est ouverte à tous, le gouvernement élu, c’est la volonté du peuple. S’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer au peuple. L’Etat de droit a aboli la révolution. En régime despotique, sans la liberté de choisir les dirigeants, prendre les armes c’est résister. En démocratie, c’est du terrorisme.
Ces idées simples, largement partagées, semblent avoir du mal à pénétrer les esprits compliqués des penseurs révolutionnaires.
Julien Coupat n’est pas un démocrate, voilà ce que révèle cet entretien au Monde. D’accord, ça ne mérite peut-être pas la prison.
Quant à l’affaire elle-même, j’aurais apprécié que les journalistes reprennent la seule question qui vaille, déjà posée par les enquêteurs : que faisait Coupat à proximité des rails, dans la nuit du 7 au 8 novembre ?
Réponse du présumé innocent : « Malgré mes talents avérés de voyance, je n’ai pas de solution à cette énigme. »
Julien Coupat se paie la tête des flics, la justice s’offre la tête de Coupat. Quel scandale.


