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Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?

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Et si Ahmadinejad avait bel et bien gagné l’élection présidentielle en Iran ? Et si Mir Hossein Moussavi était en fait un mauvais perdant qui a calomnié le gagnant en l’accusant de fraude ? La réponse est simple : peu importe aujourd’hui le vrai résultat, ces élections et leurs suites dans la rue ne s’inscrivent plus dans le registre de la légalité. Le pays réel s’est affranchi du pays légal. C’est bien là le cœur de l’affaire : même si le régime arrivait à prouver qu’aucune fraude massive n’a eu lieu, aux yeux de beaucoup d’Iraniens, il a perdu le plus précieux : sa légitimité à gouverner.

Du point de vue du régime, le scénario d’une victoire honnête dans les urnes refusée par le peuple est encore pire que celui de la fraude. Dans le cas d’une tricherie, les dégâts sont certes considérables mais l’essentiel peut être sauvé. Il suffirait de sacrifier Ahmadinejad et quelques hauts fonctionnaires, d’afficher une consternation de bon ton et de faire toutes les déclarations et promesses d’usage, moyennant quoi on pourrait dire – et peut être même faire croire – que le roi est bon mais mal conseillé. En revanche, s’il s’avère que le peuple iranien – ou ceux qui se font passer pour ses authentiques représentants – s’obstine à rejeter les résultats des élections légales, c’est la rupture et l’instauration d’une situation révolutionnaire, car c’est le roi lui-même qui est en cause et, avec lui, la monarchie.

Les manifestations en Iran témoignent d’abord d’un gigantesque ras-le-bol. Pour de nombreux Iraniens, le régime a choisi d’ignorer la réalité en rompant le contrat qui leur permettait de trouver de petits arrangements conciliant les grands principes de la révolution islamique avec l’évolution des mœurs de la société. Pour la génération qui n’a connu ni le Chah ni la guerre, la révolution n’est pas une expérience personnelle, un souvenir de jeunesse héroïque mais un ensemble de slogans et d’institutions vieillissantes. L’élan et l’enthousiasme de ces moments où tout semblait possible ont été remplacés – rien de plus normal – par des structures bureaucratiques.

Face à cette situation, le régime a choisi de réagir par une sorte de révolution culturelle, une fuite en avant déguisée en retour aux sources. Pendant la quinzaine d’années qui ont passé depuis la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeiny, le régime a su faire la part des choses entre les slogans et la réalité, entre ce qui est imprimé sur les calicots et le comportement des gens. Pour prendre un exemple estival, il a toléré que les gens fassent ce que tout le monde fait discrètement dans la piscine, à condition de ne pas le faire du haut du plongeoir. Avec l’élection d’Ahmadinejad, c’est machine arrière, retour à l’an II : la population doit être rééduquée pour retrouver la pureté de la jeunesse de la révolution islamique, afin que celle-ci trouve un deuxième souffle.

Le principal rival d’Ahmadinejad et ses partisans voulaient remettre en cause 2004 et non pas 1979. En choisissant le vert comme couleur et « Allah o Akhbar ! » comme cri de guerre, ils ont exprimé une volonté de revenir à un statu quo ante Ahmadinejad plus souple. Bref, au lieu d’accompagner le changement, le régime a choisi de s’y opposer. La meilleure mise en garde contre une telle politique nous a été donnée par Thucydide dans les chapitres de La Guerre du Péloponnèse consacrées à la crise à Kerkyra (aujourd’hui Corfou). Le régime de cette île, qui refusait tout changement ou compromis avec la population, avait provoqué ainsi un phénomène que l’historien athénien appelle « stasis », terme dérivé d’une racine signifiant « rester en place, ne pas bouger », désignait à l’époque la crise engendrée par une telle politique. À nos lecteurs, Khamenei et Ahmadinejad, je signale que ce terme est traduit en français par « révolution ».

La dernière victoire du général Giap

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Le peuple vietnamien et ses anciens combattants héroïques, ainsi que le général Giap, 98 ans, ont l’immense bonheur de vous annoncer la mort de Robert McNamara, 93 ans, secrétaire d’état à la défense des présidents Kennedy et Johnson et à ce titre artisan de la guerre du Viet-Nam, théoricien du bombardement massif de populations civiles et du napalmage à grande échelle. Non content d’être l’auteur d’un des plus grands massacres de l’après-guerre, Robert McNamara a continué ensuite son œuvre de bienfaiteur de l’humanité. En effet, après avoir éliminé des centaines de milliers de salopards de niakoués rouges, il est devenu directeur de la banque mondiale jusqu’en 1981, c’est à dire de l’officine spécialisée dans la ruine des économies du Tiers-Monde et le régime maigre pour leurs populations. McNamara, Kissinger, mais aussi Rumsfeld et Bush : ne cherchez pas plus loin pourquoi les USA refusent obstinément de reconnaître une quelconque juridiction internationale. Quatre criminels contre l’humanité dans son histoire récente, ça fait beaucoup pour la championne autoproclamée de la démocratie mondiale.

Bambi et les bambins

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Bon, autant prévenir mes copains tout de suite : attendez-vous, dans les mois à venir, à voir arriver sur les fonts baptismaux une ribambelle de petits Jackson ou de petites Bambi. Bébés encore innocents, et déjà victimes des lubies parentales qui distinguent mal enfant et jouet. À la manière des noms donnés aux poneys et aux caniches, les prénoms dont certains affublent leurs rejetons nous permettent de connaître de facto leur millésime. Seule exception pour les petits Johnny qui éclosent inlassablement depuis 50 ans et passent leur prime jeunesse déguisés en idole des jeunes. Car autrement, la cote des prénoms suit de près la courbe d’audience des séries américaines.

Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Bourdieu pour comprendre qu’un prénom en dit bien plus sur vous que la couleur de vos chaussettes ou de votre bulletin de vote. Car si ces dernières relèvent de l’acquis, le premier est inné ou presque, à 24 heures près. Difficile de faire croire que vous avez pratiqué le piano et l’équitation toute votre enfance, et que vous avez écumé rallyes et pèlerinages quand vous vous appelez Brandon ou Kimberley. A tort ou à raison, on se dira plutôt que vous étiez abandonné devant la télé pendant que papa était parti encourager maman qui participait à un concours de T-shirts mouillés.

Une étude sociologique approfondie – qui m’aura bien pris cinq minutes – permet de constater une répartition en trois grandes catégories : les prénoms à connotation moyenâgeuse plaisent aux familles qui écrivent « tradition » avec un T majuscule, les prénoms normaux (Nicolas, Basile, Marc, François, Élisabeth, etc.) ont la préférence des familles équilibrées, croyantes mais peu pratiquantes, à la fois ouvertes à la modernité et moralement intègres, et les prénoms « TV shows » sont l’apanage de ceux qui tendent vers ce que les américains qualifient crûment de «white trash ».

Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas, ici, de faire du pacorabannisme : ce n’est pas le prénom que l’on donne au gamin qui conditionnera sa future carrière. Appelez le vôtre Fidel, Bernard-Henri ou Sylvio : vous n’aurez aucune garantie de résultats tangibles. Non, mais si, d’une manière ou d’une autre, nous avons à porter le poids de l’éducation reçue, notre prénom amplifie cet héritage en le rendant ostensible, comme dirait l’autre.

Maintenant, chacun fait ce qu’il veut, c’est pas mes oignons, à vrai dire. Tout le monde s’en tape désormais, même l’état-civil qui refusait jadis, les Cerise ou Framboise. D’ailleurs, reviendrait-on à l’insupportable pratique d’antan, celle qui faisait que l’Etat républicain ne validait que les appellations issues du who’s who des saints catholiques, qu’il y aurait moyen de moyenner. Car qui peut jurer qu’un jour le Roi de la pop ne sera pas canonisé, en même temps que la princesse Diana, Sœur Emmanuelle et Yves Saint-Laurent ?
Avec tous les abats qu’on lui a retirés du ventre lors des autopsies successives, on pourra fournir des dizaines d’églises en reliques de première catégorie…

Bal des nazes à Hénin-Beaumont

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« Qui voit les rives de la Seine voit nos peines ! » s’exclamait Guy Debord dans Panégyrique, déplorant la destruction d’une ville en temps de paix par l’urbanisation spectaculaire-marchande. « Qui voit le résultat des élections à Hénin-Beaumont aussi… », pourrait légitimement dire le militant de gauche un peu lucide, à la lecture des résultats d’élections municipales qui ont vu jusqu’à la caricature les ravages de l’antifascisme sociétal quand il s’agit de lutter contre le Front National.
Pendant plusieurs mois avec un crescendo pratiquement orgasmique, l’empire du bien et de la bonne conscience s’est déchainé dans cette ville du bassin minier dont le premier des problèmes est pourtant un chômage à vingt pour cent et des impôts locaux qui se montent à 2800 euros par an pour une maison de mineur.

Qu’importe si le précédent maire PS est en prison pour corruption présumée, qu’importe si sa gestion héliogabalesque a ruiné ses administrés, qu’importe s’il avait été soutenu comme la corde soutient le pendu par un Parti socialiste qui avait dépêché en renfort la pugnace et excellente Marie-Noëlle Lienemann en première adjointe avant de la renvoyer à ses chères études béthunoises pour d’obscures raisons d’appareil.

Qu’importe, encore, si le même parti socialiste local dont on se demande si la proximité géographique avec le parti socialiste wallon, le plus corrompu et le plus bête d’Europe, n’est pas la principale inspiration, a trouvé le moyen une fois de nouvelles élections inévitables, de ne soutenir aucune liste. Oui, vous avez bien lu, c’est à peine quelques jours avant le premier tour que Martine Aubry dans un sursaut d’indignation et de clairvoyance a appelé à voter pour la liste Ferrari, arrivée d’ailleurs en troisième position. Et quelle liste… Menée par un jeune radical de gauche, elle unissait dans un « front républicain » des communistes, des modèmistes et des militants du MJS. Même pour le vieil amateur de particularismes électoraux que nous sommes, nous n’avions jamais vu attelage plus baroque : des démocrates chrétiens qui ne représentent qu’eux-mêmes dans le bassin minier, de jeunes sociaux-démocrates écœurés par le cynisme attentiste du parti de leurs aînés et un PCF ronchon mais discipliné et ne ménageant pas ses efforts, comme d’habitude.

Qu’importe, encore, si ce « front républicain » ne voulait plus rien dire politiquement puisque, de fait, une liste divers-gauche menée par un viré du PS, une liste Verte, une liste du NPA, une liste UMP (nous la mettons après le NPA parce qu’en l’occurrence, ils sont encore plus groupusculaires dans le paysage héninois.) se présentaient sur les rangs.

Oui, qu’importe puisque toute cette incohérence, qui sentait les rancœurs recuites et les combinazione de terrils, se justifiait d’elle-même. N’est-ce pas, en face, ce n’était pas un adversaire politique, c’était le Mal incarné, c’était la Walkyrie bretonne, la fille de la Bête Immonde, Marine Le Pen en personne.

On évitait d’insister sur le fait qu’elle n’était jamais que le numéro deux sur la liste et que le numéro un Steeve Briois est un local pur jus, un vrai « boyau rouge », petit-fils de militant communiste. Oui, on évitait d’insister parce que dans le genre révision déchirante, certains à gauche auraient été obligés de reconnaître que ce dont à d’abord besoin la classe ouvrière ce n’est pas du mariage homosexuel, de la légalisation du cannabis, du vélib ou de spectacles post-brechtiens mais de travail, de salaires décents, de nouveaux droits contre le talon de fer d’un capitalisme déculpabilisé.

Et le bal des nazes a recommencé. The same old story. Plutôt que d’expliquer que Marine Le Pen ce n’était pas Hitler, même pas Doriot mais tout banalement Sarkozy en pire, l’argumentaire a été moral, jamais politique. Pendant que le Front national distribuait ses tracts sans avoir besoin de forcer la note, procédant avec une empathie manifeste pour le populo (qu’elle soit feinte ou non n’est pas le problème), une certaine gauche de la culture, appelée à la rescousse, voulait faire croire que les SS cernaient la ville. On a même, entre les deux tours, appelé Dany Boon à la rescousse. C’est vrai quoi, une région si sympathique, qu’une comédie régionaliste dégoulinante de bons sentiments a rendu nationalement célèbre, risquait de retrouver sur son si sympathique visage l’affreux point noir d’une mairie frontiste.

Non, ce n’était pas possible.

Et ce ne le fut pas. Marine Le Pen a été battue. De 500 voix. Il semblerait d’après nos informations que la population ait surtout mal perçu l’intervention entre les deux tours de colleurs d’affiches frontistes venant d’autres régions, parfois lointaines. Ce serait cette intrusion, beaucoup plus que le très pâlichon Daniel Duquenne, son adversaire, qui aurait emporté le morceau.

Le Front National a d’ailleurs déjà posé un recours. La farce continue. La gauche a emporté une victoire à la Pyrrhus, ce qui ne lui évitera se remettre en question. Comme d’habitude à Hénin-Beaumont.

Et dans toute cette histoire, nous n’avons plus qu’une seule certitude : le cadavre est ch’ti.

L’islam de France n’a pas de pétrole

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Je prends peut-être mes désirs pour des réalités, mais j’ai l’impression que des choses changent. Des petites choses ou les petits signes de plus grandes qui semblent annoncer un redressement de l’échine nationale, comme un agacement français devant le manque de reconnaissance de notre hospitalité occidentale.

On est de plus en plus nombreux à freiner dans la descente en disant que le Moyen Âge on connaît, on en vient. Si on a mis quelques siècles à se délivrer de l’emprise de nos religions, ce n’est pas pour se laisser emmerder par celle des autres !

Ces temps-ci, l’Elysée donne le ton et à l’entendre je ne regrette pas mon vote.

En mai dernier, un déjeuner y était prévu pour le Premier ministre irakien et, pour lui faire honneur, on avait monté des caves les crus les plus renommés. C’était à l’évidence surestimer la courtoisie de notre hôte et sous-estimer son islamicité puisque Nouri Al Maliki exigea que la « boisson impie » fût retirée de la table. J’ignorais que l’islam interdît de voir du vin.

Sur ce coup-là, la diplomatie française, peut-être unie par le mot d’ordres « Touche pas à mon litron ! » a été ferme. La fin morale de cette histoire est que le repas fut simplement annulé. Pas de vin, pas de festin !

On aurait pu envoyer l’officiel de Bagdad manger dans un kebab et inviter à sa place un Irakien chrétien, juif ou idolâtre et pourquoi pas ivrogne et sodomite, mais on ne peut pas tout attendre du sommet de l’Etat.

On peut néanmoins apprécier le geste. Le poing sur la table redeviendrait-il un usage français ? On peut s’en réjouir quand on voit l’état de l’Europe soumise aux pressions de l’islam modéré.

L’islam modéré, c’est celui qui exige des tolérances et des droits qui nous rapprocheraient de la charia, mais qui n’a pas le pouvoir de les imposer. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan nous prévient : « L’expression islam modéré est laide et offensante, il n’y a pas d’islam modéré. L’islam est l’islam. » On est contents d’apprendre que les égorgeurs font partie de la famille.

Bien sûr, il y a des extrémistes dans toutes les religions. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de mettre dans le même sac Baruch Goldstein et Woody Allen. Mais il ne s’agit pas ici de mettre les hommes dans des sacs. Après tout, ce ne sont pas des femmes. C’est tout l’enjeu de la polémique qui est en train de naître en France sur le port de la burqa. Pouvoir en parler est assurément un progrès par rapport à l’époque où on regardait ailleurs pour ne pas voir la barbarie barbue en marche – il ne fallait pas stigmatiser. Mais elle montre que le niveau du débat public est tombé bien bas. On n’est pas très loin du moratoire sur la lapidation concédé par un autre modéré[1. Pour ceux qui l’ont oublié, il s’agit de Tariq Ramadan, interpellé par Nicolas Sarkozy sur un plateau de télévision.]. Est-ce là l’enrichissement que nous promet le multiculturalisme ?

Sur les plateaux de télé, aucun musulman extrémiste ne vient défendre cette pratique exotique qu’est la burqa, les modérés s’en chargent très bien. Vous avez peut-être vu comme moi Mahmoud Doua, professeur en anthropologie du monde arabo-musulman à l’université Bordeaux-3, déclarer à « C’ dans l’air » que la burqa le choque mais qu’il défendra jusqu’au bout les droits de l’homme (sur la femme ?). Son argument décisif est un bel exemple d’arnaque dans la négociation : « Si vous acceptez l’extrême dévoilement, vous devez accepter l’extrême voilement. » Ben voyons ! Ça semble logique comme l’algèbre qu’ils ont inventée mais nous, on a les Lumières. D’abord « nous » (puisqu’on est entrés, semble-t-il, dans un dialogue entre « eux » et « nous ») n’autorisons pas l’extrême dévoilement. Si Mahmoud entend par là nudité, chez « nous », la nudité est interdite dans la rue. Il y a des camps pour ça, ça s’appelle le nudisme. Devrait-on, par souci d’égalité de traitement, ouvrir des camps pour y concentrer ceux et celles pour qui le port de la burqa est devenu un besoin vital ? Evidemment, ce n’est pas ce que l’islam modéré demande, il réclame le droit de sortir masqué partout.

L’arnaque ne s’arrête pas là. Que penserait-on d’un visiteur débarquant du Moyen Âge au sens propre et qui nous dirait : « Nous nous méfions des femmes libres, et par principe de précaution, nous les brûlons comme sorcières. Vous les aimez plus que le Bon Dieu, le Prophète et toute la smala. Nous les envoyons en enfer. Vous les laissez devenir Première dame de France[2. L’islamiste britannique Anjem Choudary écrit sur son blog : « Sarkozy doit être content d’être marié à une prostituée qui exhibe son corps au monde en croyant bien se conduire, mais qu’il lui est rappelé qu’un musulman n’est pas ce genre d’homme superficiel et dépravé. »]. Coupons la poire en deux, foutons-les dans des sacs » ? Vous la voyez, l’arnaque ? Voilà comment, au nom de la liberté, à l’abri de la laïcité, en vertu des droits de l’homme qui, une fois n’est pas coutume, s’appliquent aux femmes, dans un souci d’apaisement et une recherche d’équilibre, on nous ramène lentement mais sûrement de la lumière à l’ombre. Voilà comment avance la régression.

Qu’est-ce qu’on négocie et pourquoi ? Qui, de l’islam ou de la France, a le plus besoin de l’autre ? Qui doit s’adapter à l’autre ? Quand on accueille Khadafi, il n’a que le respect qu’on doit à son pétrole. L’islam de France n’en a pas. Alors, ses idées, disons qu’on n’est pas preneurs. À force d’entendre qu’ils sont une « chance pour la France », certains ont fini par le croire. Rappelons-leur que la chance, c’est la France. Pour tout le monde. À condition qu’on la défende. Sans négocier. Il n’y a rien à négocier.

La burqa n’est pas tolérable, donc on ne l’interdira pas

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Tous ceux qu’inquiète la multiplication des prisons portables en climat tempéré auront été ravis en lisant la déclaration sans nuance d’Anne Hidalgo, première adjointe de Bertrand Delanoë, concernant la burqa dans le Parisien Dimanche d’hier : « En tant que féministe, je considère que la burqa n’est pas qu’une question de vêtement : c’est une violence très forte faite aux femmes. Notre République ne doit donc pas considérer comme tolérable le port de la burqa. » Mais attendez avant d’applaudir, parce qu’elle conclut fort peu logiquement en ajoutant aussitôt : « Pour autant, je ne suis pas sûre qu’il soit opportun de passer tout de suite par la loi. Il faut d’abord faire beaucoup de pédagogie. » Dommage que la même politique non-répressive n’ait pas prévalu en matière de contraventions automobiles. Mais c’est sans doute beaucoup plus grave…

Honduras, mon beau souci

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Soudain, j’ai eu l’impression d’avoir neuf ans. En soi, ce n’était pas désagréable. Ce qu’on a vu, brièvement, sur nos écrans et qui m’a donné cette sensation, en revanche, l’était bien davantage. Des militaires, dans une capitale latino-américaine, qui sillonnent des avenues plus désertes que le cerveau d’un néo-conservateur. Des blindés qui prennent position devant un palais présidentiel. Des manifestations populaires, entre trouille et héroïsme, dispersées par des coups de feu.

J’ai cru, comme on dit dans les romans de science-fiction, à une déchirure du continuum spatio-temporel. J’étais revenu au 11 septembre[1. Il y a de ces dates tout de même. Et dire que c’est pourtant le jour anniversaire de la naissance d’une de nos plus charmantes causeuses.] 1973 et la première chaîne en noir et blanc montrait l’armée chilienne cernant et bombardant Allende et ses derniers partisans dans le palais de la Moneda, pour la plus grande gloire de la CIA, d’ITT, des actionnaires des mines de cuivre et du général Pinochet.

Mais non, je n’avais plus neuf ans. Il y en avait maintenant des centaines, de chaînes, toutes en couleurs, dont certaines prétendent à une information en flux continu et pourtant se montraient bien avares d’informations sur la question. En même temps, ce n’était rien, ce n’était qu’un coup d’Etat, un putsch, un golpe, un pronunciamiento, et dans un pays d’intérêt franchement secondaire : le Honduras. Même pas une équipe de foutebaule digne de ce nom, c’est dire… Bref, un événement très périphérique. Vous imaginez un peu, ce qu’on peut en avoir à faire du Honduras, quand Téhéran s’enflamme et que Maïqueule Djaquesonne vient de mourir. Non, soyez sérieux, il faut savoir hiérarchiser l’information, tout de même. Et puis titrer sur « Coup d’État à Tegucigalpa », cela vous a tout de suite l’allure d’un SAS des années 1970, ce qui manque de crédibilité pour les journaux de référence.

Mais voilà, le président renversé est bolivarien, c’est-à-dire très proche d’Hugo Chavez. Il s’appelle Manuel Zelaya et, à l’origine, était plutôt un homme de droite. Seulement, il s’est aperçu que la politique de Chavez, ce n’était pas si mal. Que la finalité de tout gouvernement, comme on le sait depuis Aristote, devrait être la philia, c’est-à-dire une certaine concorde entre les citoyens, une volonté d’harmonie et que cela suppose une relative égalité, donc une redistribution la plus juste possible des richesses produites. On s’excuse de dire tant de gros mots au pays du bouclier fiscal, mais il semblerait que quelque chose qui ressemble à la construction d’un socialisme du XXIe siècle soit en train de se jouer, en ce moment précis, dans toute une série de pays latino-américains, et que cette construction se fasse, ô rage, ô désespoir, avec l’assentiment des peuples qui reconduisent leurs gouvernants aux affaires avec une régularité désespérante pour l’observateur néo-libéral alexandreadlérisé.

Que s’apprêtait à faire Manuel Zelaya ? À organiser un référendum constitutionnel l’autorisant à se représenter. Les observateurs estiment qu’il allait le gagner de manière écrasante. Manuel Zelaya, contrairement à Nicolas Sarkozy, quand il veut changer sa constitution, le demande à son peuple. Il ne compte pas sur une unique voix de majorité au Congrès, celle d’un ex-futur ministre d’ouverture qui paraît-il est toujours socialiste. Mais demander son avis au peuple, pour le néo-libéral alexandradlerisé, et surtout depuis le référendum de 2005, c’est populiste. D’ailleurs, c’est bien connu, tous les chefs d’Etats bolivariens sont populistes. Populiste, dans la novlangue de l’Empire du Bien, fait partie du tiercé de la disqualification, juste après antisémite et pédophile. Plus généralement, il y aura, à l’avenir, une histoire à écrire du traitement de la révolution bolivarienne par les médias français. Les « spécialistes » du Monde par exemple, comme Marie Delcas ou Paulo Paranagua, écrivent sur la question des articles tellement caricaturaux qu’ils seraient refusés par la CIA qui trouverait ça un peu gros, même pour une opération de déstabilisation à l’ancienne.

Ce qui gêne, chez Chavez, Morales, Correa, Ortega, c’est qu’ils sont en train de réussir. Là où comme n’importe quel militaire hondurien, le penseur de garde français veut voir des dictateurs marxisants, il y a en fait une politique du « prendre soin », telle que la définit Stiegler où le rapport à l’autre, au monde, à l’amour est en passe d’être réinventé. Qui sait que Chavez lit davantage Les Evangiles, Don Quichotte et Les Misérables[2. Chavez a fait distribuer dans les quartiers pauvres de Caracas, à l’été 2006, demi-million d’exemplaires de Don Quichotte. Il a beau avoir serré la main d’un ministre au nom de la real politik, ce que je déplore, ce genre de geste me fait dire qu’il n’a pas grand chose de commun avec les massacreurs enturbannés du Hamas ou de Téhéran. D’ailleurs, d’après mes informations, il y aurait moins de burqas à Caracas que dans certaines banlieues françaises. L’émancipation, sans doute…] que Marx et Engels pour mener sa politique ? Et qu’il pense déjà à l’après-pétrole alors que ce fut le carburant de sa révolution ? Que la fameuse phase du dépérissement de l’Etat, qui devrait pourtant plaire à nos libéraux, semble même déjà entamée avec des transferts de pouvoir de plus en plus grands aux communautés de base (communes, conseils ouvriers et paysans, etc.) ? Alors évidemment, comme le capitalisme est entrain de retourner à l’âge de pierre, ça énerve.

Ça énerve tellement qu’on poutche. Manuel Zelaya s’est retrouvé arrêté dans ses propres bureaux, envoyé au Costa Rica et au revoir monsieur. Confessons-le, nous avons cru à un moment à un coup des Américains. C’est vrai, quoi, la situation avait quand même un côté très vintage guerre froide. On s’était dit : « Tiens, Obama, il en profite que toute la planète ait les yeux tournés vers l’Iran pour renouer avec la bonne vieille doctrine Monroe qui veut que l’Amérique centrale et caraïbe soit l’équivalent de notre Françafrique. »

Mais non, la condamnation est tombée, ferme et sans appel, avec demande d’explication aux ambassadeurs et tout l’habituel toutim diplomatique. Celui qui a dû être embêté, c’est Roberto Micheletti, actuel président par intérim, et candidat malheureux à l’élection présidentielle. Il s’est trompé d’époque, le pauvre homme. Il a cru bien faire et voilà que tout le monde lui tombe dessus à l’ONU comme ailleurs. Même à Washington. Il doit se sentir presque aussi bête que certains journalistes français qui ont osé, dès le renversement de Zelaya connu, avancer l’explication d’une armée hondurienne sauvant la légalité et la liberté. Ce que furent d’ailleurs les arguments, déjà, d’une bonne partie de la presse française en… 1936 pour justifier l’agression franquiste contre la toute jeune République espagnole.

Alors, que cette sinistre pantalonnade serve au moins à modifier la perception caricaturale que l’on veut donner sous nos latitudes de l’ALBA (Alternativa Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América), un traité politique et commercial destiné résister à l’impérialisme étatsunien et à ses tentatives constantes de déstabilisation. L’ALBA comprend, outre le Honduras, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et Cuba, des pays qui tentent d’élaborer une alternative à la catastrophe en cours et où les indicateurs de santé, d’éducation, de lutte contre les cartels et l’insécurité endémique semblent, enfin, indiquer que ces peuples potentiellement riches pourraient sortir de la misère noire.

Alors, sans croire pour autant aux modèles clés en main, on pourrait peut-être cesser de les caricaturer et les regarder faire. Et, peut-être, essayer à notre tour deux ou trois de leurs idées. Parce que depuis septembre 2008, sincèrement, on n’a plus grand chose à perdre.

Fluide est agile

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L’art de Gainsbourg ne ressemble à rien d’autre. Celui de Bashung pas davantage. Il n’en va pas autrement de celui d’[aji].

La boîte noire de l’OVNI n’a toujours pas été retrouvée. Pourtant, les autorités martiennes sont formelles : le véhicule aurait été dérobé par un terrien encore non-identifié, dans le sang duquel elles soupçonnent d’ores et déjà la présence de fortes quantités d’alcool et de poésie. (Du coup, les martiens sont verts, forcément.)

Nous ne connaissons de son nom que sa prononciation : [aji]. En marocain, cela signifie « viens ! ». Alors, allez-y ! Vous n’en reviendrez pas.

Il est vain d’envoyer des fleurs à [aji]. Dès le seuil, dès la première des quatorze marches de Fluide, on voit ce qu’il en fait : il les piétine à l’envi pour en faire sa couche. Les artistes, ce gars-là, il les mange.

Avec [aji], plus moyen non plus de néantiser à Paris-Cages. Il y déchaîne sans ambages l’océan en personne, l’océan soi-même, ce machin insensé bouillonnant d’embruns et qui peut faire mal aux bobos, voire même l’inverse.

[aji] estime que nous vivons dans une « époque statique, aux mœurs paralytiques ». Il aimerait que « des astéroïdes réveillent ces humanoïdes ». Avec Fluide, voilà qui est fait.

Je dois cependant vous mettre en garde contre un autre fléau demeuré jusqu’à présent inexpliqué : la plupart de ceux qui ont écouté [aji] se sont fait écraser quelques heures plus tard en traversant un passage-piéton. Mais ce n’est pas phénomène propre à émouvoir l’animal : « Toutes les catastrophes [lui] semblent naturelles ».

Lyriquement et humoristiquement, [aji] rend sensible le néant métaphysique absolu de l’enfer contemporain, où seuls les supermarchés parlent encore aux périphériques. Son écriture ciselée, ses vers de laine, font saigner exactement ce qui nous manque. Ils nous font un mal de chien à l’absolu. Tant mieux.

Les musiques superbes, de styles invariablement variés, qui servent les mots et la voix très belle d’[aji], sont dues à une bande de cinglés improbables : Théo Josso, Laurent Le Corre, Rachid Sefrioui, Benjamin de Roubaix, Evrim Evci, Lionel Lecointe et Jean Barthélémy. Une bande d’[aji]tés, j’avoue.

Fluide s’achève par un poème sans musique, qui déconne pas vraiment rose dans l’espérance, comme dirait Louis.

Pourtant, il vous est permis de chercher une lueur d’espoir : c’est celle du zinc doré du Galactic Bar, sur lequel « un soir un perroquet prédit la fin ».

Le Galactic Bar, où la métropole terminale s’inverse en océan, est d’un accès aussi simple que difficile : il brille, là-bas, tout au fond de nos cœurs sales.

Sarkozy-Olivennes, où est le problème ?

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On nous dit que le service politique du Nouvel Observateur gronde. Son nouveau patron, Denis Olivennes se serait vendu à l’Infâme. Chez mes amis de Marianne2, Régis Soubrouillard nous explique que le Nouvel Obs veut devenir la gazette de la Cour. Je suis vraiment désolé mais Régis se trompe.

Malgré tous les beaux discours républicains d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy a toujours été fasciné par la « deuxième gauche ». Lorsqu’il était le factotum d’Edouard Balladur, alors que ce dernier, Premier ministre, préparait sa quête de la présidence, l’actuel locataire de l’Elysée entretenait les meilleures relations avec toute l’intelligentsia politico-médiatique qui se réunissait dans la Fondation Saint-Simon. Alain Minc, déjà à l’œuvre, se définissait « de gauche et libéral », et milita ouvertement pour Edouard Balladur, cela rapidement facilité par le fait que Jacques Delors eût exprimé son peu de goût pour les campagnes électorales. Nicolas Sarkozy tira deux conclusions de cette époque. D’abord, il ne faut absolument pas être identifié à la « pensée unique » et il faut toujours la vilipender, ainsi que l’avait fait Jacques Chirac. Enfin, et surtout, ces idées là sont évidemment les bonnes et il faut les mettre en œuvre discrètement, c’est à dire en les travestissant d’un discours inverse.
Cette stratégie fut admirablement appliquée lors de la campagne présidentielle de 2007. Profitant de l’absence d’un candidat gaulliste, il put tenir le discours républicain et patriote qu’attendait son électorat, tout en veillant bien à ce que le programme de l’UMP, en parfaite contradiction avec ses prestations publiques, détaille toutes les mesures à prendre dans la volonté d’adaptation à la mondialisation, vieille marotte de la droite libérale et de la gauche libérale.

Traité de Lisbonne, Rapport Attali, appel à Kouchner et Jouyet, appui de la candidature de DSK au FMI inaugurèrent ainsi les premiers mois du quinquennat Sarko. Il y eut aussi la remise du rapport Olivennes – tiens, tiens[1. Denis Olivennes, alors patron de la FNAC, proposa alors l’essentiel de ce qui allait devenir la Loi HADOPI. A passage, demander à un vendeur de disques de pondre un rapport sur le sujet revenait à commander une étude sur l’alcoolisme au PDG de Pernod-Ricard.]… Seulement voilà, bien que fasciné par l’intelligence de ces gens là, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas s’empêcher de se comporter comme un vulgaire Bernard Tapie, horresco referens dans ce milieu. C’est là qu’interviennent deux évènements majeurs : Carla et la crise.

Grâce au mariage avec Carla Bruni, Nicolas Sarkozy a pu reprendre langue avec la gauche caviar. Après avoir tenté une communication mélangeant maladroitement George Bush et Georges Marchais, il s’est rendu compte, qu’il s’agissait là d’une impasse. En découvrant que les références négatives à La Princesse de Clèves avaient produit un engouement pour Madame de La Fayette au point que cette dernière grimpa en flèche aux classements des ventes, Carla et les communicants de l’Elysée s’activèrent et on apprit que le Président lisait maintenant Zola dans l’avion présidentiel, même si la conversion se révélait peu naturelle[2. Au point qu’il prononça “Roujon-Macquart” au lieu de Rougon-Macquart devant les journalistes stupéfaits.].

Et puis il y eut la crise où Nicolas Sarkozy exécuta une pirouette digne des meilleurs gymnastes : il n’eut plus que le mot “régulation” à la bouche, mot qui résonne agréablement aux oreilles des sociaux-démocrates de tout poil. Surtout pas de protectionnisme, cela ferait de la peine à Pascal Lamy et à DSK, mais de la ré-gu-la-tion ! En fait, on tente à peine de réguler le système bancaire et financier et c’est quand même la moindre des choses quand les Etats sauvent ce dernier de la faillite. En ce qui concerne les échanges de biens manufacturés, en revanche, il n’est pas question de réguler du tout. Le monde est mondial, ainsi que le chantent depuis longtemps Jacques Attali, Alain Madelin et Daniel Cohn-Bendit.

Denis Olivennes, en définitive, sert les idées qu’il a toujours défendues. Jean Daniel l’a compris, lui le fondateur du journal. Les journalistes du Nouvel Obs, si on leur explique bien, devraient bien finir par le comprendre eux aussi.
En revanche, pourquoi Valeurs actuelles n’est pas encore un journal d’opposition ? Cela, j’ai davantage de mal à me l’expliquer…

Don’t cry for me, Alaska

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Sarah Palin ne se contente pas d’être sublimement belle, de maîtriser parfaitement le clignement d’œil avec une coquetterie piquante et de représenter l’archétype irrésistible de la sensualité quadra, elle sait aussi imposer sa chance, serrer son bonheur et aller vers son risque. Ce 3 juillet, veille de la Fête Nationale étatsunienne, elle a annoncé sa démission de gouverneur de l’Alaska depuis sa résidence de Wassila. Elle a également précisé qu’elle ne briguerait pas ne nouveau mandat aux élections du mid-term de 2010 à ce poste. Elle a évidemment créé une surprise considérable. Dans le camp républicain, on s’accorde à penser qu’il s’agirait d’un coup politique afin de mieux se positionner dans la course à la présidentielle de 2012. Même si cette stratégie audacieuse est bien digne de celle qui allie un physique divin à un véritable génie politique, nous serions plus enclins à suivre certains commentateurs qui évoquent à mot couvert une love story avec un écrivain français qui travaillerait régulièrement pour un salon de discussion on line.

Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?

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Et si Ahmadinejad avait bel et bien gagné l’élection présidentielle en Iran ? Et si Mir Hossein Moussavi était en fait un mauvais perdant qui a calomnié le gagnant en l’accusant de fraude ? La réponse est simple : peu importe aujourd’hui le vrai résultat, ces élections et leurs suites dans la rue ne s’inscrivent plus dans le registre de la légalité. Le pays réel s’est affranchi du pays légal. C’est bien là le cœur de l’affaire : même si le régime arrivait à prouver qu’aucune fraude massive n’a eu lieu, aux yeux de beaucoup d’Iraniens, il a perdu le plus précieux : sa légitimité à gouverner.

Du point de vue du régime, le scénario d’une victoire honnête dans les urnes refusée par le peuple est encore pire que celui de la fraude. Dans le cas d’une tricherie, les dégâts sont certes considérables mais l’essentiel peut être sauvé. Il suffirait de sacrifier Ahmadinejad et quelques hauts fonctionnaires, d’afficher une consternation de bon ton et de faire toutes les déclarations et promesses d’usage, moyennant quoi on pourrait dire – et peut être même faire croire – que le roi est bon mais mal conseillé. En revanche, s’il s’avère que le peuple iranien – ou ceux qui se font passer pour ses authentiques représentants – s’obstine à rejeter les résultats des élections légales, c’est la rupture et l’instauration d’une situation révolutionnaire, car c’est le roi lui-même qui est en cause et, avec lui, la monarchie.

Les manifestations en Iran témoignent d’abord d’un gigantesque ras-le-bol. Pour de nombreux Iraniens, le régime a choisi d’ignorer la réalité en rompant le contrat qui leur permettait de trouver de petits arrangements conciliant les grands principes de la révolution islamique avec l’évolution des mœurs de la société. Pour la génération qui n’a connu ni le Chah ni la guerre, la révolution n’est pas une expérience personnelle, un souvenir de jeunesse héroïque mais un ensemble de slogans et d’institutions vieillissantes. L’élan et l’enthousiasme de ces moments où tout semblait possible ont été remplacés – rien de plus normal – par des structures bureaucratiques.

Face à cette situation, le régime a choisi de réagir par une sorte de révolution culturelle, une fuite en avant déguisée en retour aux sources. Pendant la quinzaine d’années qui ont passé depuis la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeiny, le régime a su faire la part des choses entre les slogans et la réalité, entre ce qui est imprimé sur les calicots et le comportement des gens. Pour prendre un exemple estival, il a toléré que les gens fassent ce que tout le monde fait discrètement dans la piscine, à condition de ne pas le faire du haut du plongeoir. Avec l’élection d’Ahmadinejad, c’est machine arrière, retour à l’an II : la population doit être rééduquée pour retrouver la pureté de la jeunesse de la révolution islamique, afin que celle-ci trouve un deuxième souffle.

Le principal rival d’Ahmadinejad et ses partisans voulaient remettre en cause 2004 et non pas 1979. En choisissant le vert comme couleur et « Allah o Akhbar ! » comme cri de guerre, ils ont exprimé une volonté de revenir à un statu quo ante Ahmadinejad plus souple. Bref, au lieu d’accompagner le changement, le régime a choisi de s’y opposer. La meilleure mise en garde contre une telle politique nous a été donnée par Thucydide dans les chapitres de La Guerre du Péloponnèse consacrées à la crise à Kerkyra (aujourd’hui Corfou). Le régime de cette île, qui refusait tout changement ou compromis avec la population, avait provoqué ainsi un phénomène que l’historien athénien appelle « stasis », terme dérivé d’une racine signifiant « rester en place, ne pas bouger », désignait à l’époque la crise engendrée par une telle politique. À nos lecteurs, Khamenei et Ahmadinejad, je signale que ce terme est traduit en français par « révolution ».

La dernière victoire du général Giap

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Le peuple vietnamien et ses anciens combattants héroïques, ainsi que le général Giap, 98 ans, ont l’immense bonheur de vous annoncer la mort de Robert McNamara, 93 ans, secrétaire d’état à la défense des présidents Kennedy et Johnson et à ce titre artisan de la guerre du Viet-Nam, théoricien du bombardement massif de populations civiles et du napalmage à grande échelle. Non content d’être l’auteur d’un des plus grands massacres de l’après-guerre, Robert McNamara a continué ensuite son œuvre de bienfaiteur de l’humanité. En effet, après avoir éliminé des centaines de milliers de salopards de niakoués rouges, il est devenu directeur de la banque mondiale jusqu’en 1981, c’est à dire de l’officine spécialisée dans la ruine des économies du Tiers-Monde et le régime maigre pour leurs populations. McNamara, Kissinger, mais aussi Rumsfeld et Bush : ne cherchez pas plus loin pourquoi les USA refusent obstinément de reconnaître une quelconque juridiction internationale. Quatre criminels contre l’humanité dans son histoire récente, ça fait beaucoup pour la championne autoproclamée de la démocratie mondiale.

Bambi et les bambins

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Bon, autant prévenir mes copains tout de suite : attendez-vous, dans les mois à venir, à voir arriver sur les fonts baptismaux une ribambelle de petits Jackson ou de petites Bambi. Bébés encore innocents, et déjà victimes des lubies parentales qui distinguent mal enfant et jouet. À la manière des noms donnés aux poneys et aux caniches, les prénoms dont certains affublent leurs rejetons nous permettent de connaître de facto leur millésime. Seule exception pour les petits Johnny qui éclosent inlassablement depuis 50 ans et passent leur prime jeunesse déguisés en idole des jeunes. Car autrement, la cote des prénoms suit de près la courbe d’audience des séries américaines.

Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Bourdieu pour comprendre qu’un prénom en dit bien plus sur vous que la couleur de vos chaussettes ou de votre bulletin de vote. Car si ces dernières relèvent de l’acquis, le premier est inné ou presque, à 24 heures près. Difficile de faire croire que vous avez pratiqué le piano et l’équitation toute votre enfance, et que vous avez écumé rallyes et pèlerinages quand vous vous appelez Brandon ou Kimberley. A tort ou à raison, on se dira plutôt que vous étiez abandonné devant la télé pendant que papa était parti encourager maman qui participait à un concours de T-shirts mouillés.

Une étude sociologique approfondie – qui m’aura bien pris cinq minutes – permet de constater une répartition en trois grandes catégories : les prénoms à connotation moyenâgeuse plaisent aux familles qui écrivent « tradition » avec un T majuscule, les prénoms normaux (Nicolas, Basile, Marc, François, Élisabeth, etc.) ont la préférence des familles équilibrées, croyantes mais peu pratiquantes, à la fois ouvertes à la modernité et moralement intègres, et les prénoms « TV shows » sont l’apanage de ceux qui tendent vers ce que les américains qualifient crûment de «white trash ».

Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas, ici, de faire du pacorabannisme : ce n’est pas le prénom que l’on donne au gamin qui conditionnera sa future carrière. Appelez le vôtre Fidel, Bernard-Henri ou Sylvio : vous n’aurez aucune garantie de résultats tangibles. Non, mais si, d’une manière ou d’une autre, nous avons à porter le poids de l’éducation reçue, notre prénom amplifie cet héritage en le rendant ostensible, comme dirait l’autre.

Maintenant, chacun fait ce qu’il veut, c’est pas mes oignons, à vrai dire. Tout le monde s’en tape désormais, même l’état-civil qui refusait jadis, les Cerise ou Framboise. D’ailleurs, reviendrait-on à l’insupportable pratique d’antan, celle qui faisait que l’Etat républicain ne validait que les appellations issues du who’s who des saints catholiques, qu’il y aurait moyen de moyenner. Car qui peut jurer qu’un jour le Roi de la pop ne sera pas canonisé, en même temps que la princesse Diana, Sœur Emmanuelle et Yves Saint-Laurent ?
Avec tous les abats qu’on lui a retirés du ventre lors des autopsies successives, on pourra fournir des dizaines d’églises en reliques de première catégorie…

Bal des nazes à Hénin-Beaumont

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« Qui voit les rives de la Seine voit nos peines ! » s’exclamait Guy Debord dans Panégyrique, déplorant la destruction d’une ville en temps de paix par l’urbanisation spectaculaire-marchande. « Qui voit le résultat des élections à Hénin-Beaumont aussi… », pourrait légitimement dire le militant de gauche un peu lucide, à la lecture des résultats d’élections municipales qui ont vu jusqu’à la caricature les ravages de l’antifascisme sociétal quand il s’agit de lutter contre le Front National.
Pendant plusieurs mois avec un crescendo pratiquement orgasmique, l’empire du bien et de la bonne conscience s’est déchainé dans cette ville du bassin minier dont le premier des problèmes est pourtant un chômage à vingt pour cent et des impôts locaux qui se montent à 2800 euros par an pour une maison de mineur.

Qu’importe si le précédent maire PS est en prison pour corruption présumée, qu’importe si sa gestion héliogabalesque a ruiné ses administrés, qu’importe s’il avait été soutenu comme la corde soutient le pendu par un Parti socialiste qui avait dépêché en renfort la pugnace et excellente Marie-Noëlle Lienemann en première adjointe avant de la renvoyer à ses chères études béthunoises pour d’obscures raisons d’appareil.

Qu’importe, encore, si le même parti socialiste local dont on se demande si la proximité géographique avec le parti socialiste wallon, le plus corrompu et le plus bête d’Europe, n’est pas la principale inspiration, a trouvé le moyen une fois de nouvelles élections inévitables, de ne soutenir aucune liste. Oui, vous avez bien lu, c’est à peine quelques jours avant le premier tour que Martine Aubry dans un sursaut d’indignation et de clairvoyance a appelé à voter pour la liste Ferrari, arrivée d’ailleurs en troisième position. Et quelle liste… Menée par un jeune radical de gauche, elle unissait dans un « front républicain » des communistes, des modèmistes et des militants du MJS. Même pour le vieil amateur de particularismes électoraux que nous sommes, nous n’avions jamais vu attelage plus baroque : des démocrates chrétiens qui ne représentent qu’eux-mêmes dans le bassin minier, de jeunes sociaux-démocrates écœurés par le cynisme attentiste du parti de leurs aînés et un PCF ronchon mais discipliné et ne ménageant pas ses efforts, comme d’habitude.

Qu’importe, encore, si ce « front républicain » ne voulait plus rien dire politiquement puisque, de fait, une liste divers-gauche menée par un viré du PS, une liste Verte, une liste du NPA, une liste UMP (nous la mettons après le NPA parce qu’en l’occurrence, ils sont encore plus groupusculaires dans le paysage héninois.) se présentaient sur les rangs.

Oui, qu’importe puisque toute cette incohérence, qui sentait les rancœurs recuites et les combinazione de terrils, se justifiait d’elle-même. N’est-ce pas, en face, ce n’était pas un adversaire politique, c’était le Mal incarné, c’était la Walkyrie bretonne, la fille de la Bête Immonde, Marine Le Pen en personne.

On évitait d’insister sur le fait qu’elle n’était jamais que le numéro deux sur la liste et que le numéro un Steeve Briois est un local pur jus, un vrai « boyau rouge », petit-fils de militant communiste. Oui, on évitait d’insister parce que dans le genre révision déchirante, certains à gauche auraient été obligés de reconnaître que ce dont à d’abord besoin la classe ouvrière ce n’est pas du mariage homosexuel, de la légalisation du cannabis, du vélib ou de spectacles post-brechtiens mais de travail, de salaires décents, de nouveaux droits contre le talon de fer d’un capitalisme déculpabilisé.

Et le bal des nazes a recommencé. The same old story. Plutôt que d’expliquer que Marine Le Pen ce n’était pas Hitler, même pas Doriot mais tout banalement Sarkozy en pire, l’argumentaire a été moral, jamais politique. Pendant que le Front national distribuait ses tracts sans avoir besoin de forcer la note, procédant avec une empathie manifeste pour le populo (qu’elle soit feinte ou non n’est pas le problème), une certaine gauche de la culture, appelée à la rescousse, voulait faire croire que les SS cernaient la ville. On a même, entre les deux tours, appelé Dany Boon à la rescousse. C’est vrai quoi, une région si sympathique, qu’une comédie régionaliste dégoulinante de bons sentiments a rendu nationalement célèbre, risquait de retrouver sur son si sympathique visage l’affreux point noir d’une mairie frontiste.

Non, ce n’était pas possible.

Et ce ne le fut pas. Marine Le Pen a été battue. De 500 voix. Il semblerait d’après nos informations que la population ait surtout mal perçu l’intervention entre les deux tours de colleurs d’affiches frontistes venant d’autres régions, parfois lointaines. Ce serait cette intrusion, beaucoup plus que le très pâlichon Daniel Duquenne, son adversaire, qui aurait emporté le morceau.

Le Front National a d’ailleurs déjà posé un recours. La farce continue. La gauche a emporté une victoire à la Pyrrhus, ce qui ne lui évitera se remettre en question. Comme d’habitude à Hénin-Beaumont.

Et dans toute cette histoire, nous n’avons plus qu’une seule certitude : le cadavre est ch’ti.

L’islam de France n’a pas de pétrole

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Je prends peut-être mes désirs pour des réalités, mais j’ai l’impression que des choses changent. Des petites choses ou les petits signes de plus grandes qui semblent annoncer un redressement de l’échine nationale, comme un agacement français devant le manque de reconnaissance de notre hospitalité occidentale.

On est de plus en plus nombreux à freiner dans la descente en disant que le Moyen Âge on connaît, on en vient. Si on a mis quelques siècles à se délivrer de l’emprise de nos religions, ce n’est pas pour se laisser emmerder par celle des autres !

Ces temps-ci, l’Elysée donne le ton et à l’entendre je ne regrette pas mon vote.

En mai dernier, un déjeuner y était prévu pour le Premier ministre irakien et, pour lui faire honneur, on avait monté des caves les crus les plus renommés. C’était à l’évidence surestimer la courtoisie de notre hôte et sous-estimer son islamicité puisque Nouri Al Maliki exigea que la « boisson impie » fût retirée de la table. J’ignorais que l’islam interdît de voir du vin.

Sur ce coup-là, la diplomatie française, peut-être unie par le mot d’ordres « Touche pas à mon litron ! » a été ferme. La fin morale de cette histoire est que le repas fut simplement annulé. Pas de vin, pas de festin !

On aurait pu envoyer l’officiel de Bagdad manger dans un kebab et inviter à sa place un Irakien chrétien, juif ou idolâtre et pourquoi pas ivrogne et sodomite, mais on ne peut pas tout attendre du sommet de l’Etat.

On peut néanmoins apprécier le geste. Le poing sur la table redeviendrait-il un usage français ? On peut s’en réjouir quand on voit l’état de l’Europe soumise aux pressions de l’islam modéré.

L’islam modéré, c’est celui qui exige des tolérances et des droits qui nous rapprocheraient de la charia, mais qui n’a pas le pouvoir de les imposer. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan nous prévient : « L’expression islam modéré est laide et offensante, il n’y a pas d’islam modéré. L’islam est l’islam. » On est contents d’apprendre que les égorgeurs font partie de la famille.

Bien sûr, il y a des extrémistes dans toutes les religions. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de mettre dans le même sac Baruch Goldstein et Woody Allen. Mais il ne s’agit pas ici de mettre les hommes dans des sacs. Après tout, ce ne sont pas des femmes. C’est tout l’enjeu de la polémique qui est en train de naître en France sur le port de la burqa. Pouvoir en parler est assurément un progrès par rapport à l’époque où on regardait ailleurs pour ne pas voir la barbarie barbue en marche – il ne fallait pas stigmatiser. Mais elle montre que le niveau du débat public est tombé bien bas. On n’est pas très loin du moratoire sur la lapidation concédé par un autre modéré[1. Pour ceux qui l’ont oublié, il s’agit de Tariq Ramadan, interpellé par Nicolas Sarkozy sur un plateau de télévision.]. Est-ce là l’enrichissement que nous promet le multiculturalisme ?

Sur les plateaux de télé, aucun musulman extrémiste ne vient défendre cette pratique exotique qu’est la burqa, les modérés s’en chargent très bien. Vous avez peut-être vu comme moi Mahmoud Doua, professeur en anthropologie du monde arabo-musulman à l’université Bordeaux-3, déclarer à « C’ dans l’air » que la burqa le choque mais qu’il défendra jusqu’au bout les droits de l’homme (sur la femme ?). Son argument décisif est un bel exemple d’arnaque dans la négociation : « Si vous acceptez l’extrême dévoilement, vous devez accepter l’extrême voilement. » Ben voyons ! Ça semble logique comme l’algèbre qu’ils ont inventée mais nous, on a les Lumières. D’abord « nous » (puisqu’on est entrés, semble-t-il, dans un dialogue entre « eux » et « nous ») n’autorisons pas l’extrême dévoilement. Si Mahmoud entend par là nudité, chez « nous », la nudité est interdite dans la rue. Il y a des camps pour ça, ça s’appelle le nudisme. Devrait-on, par souci d’égalité de traitement, ouvrir des camps pour y concentrer ceux et celles pour qui le port de la burqa est devenu un besoin vital ? Evidemment, ce n’est pas ce que l’islam modéré demande, il réclame le droit de sortir masqué partout.

L’arnaque ne s’arrête pas là. Que penserait-on d’un visiteur débarquant du Moyen Âge au sens propre et qui nous dirait : « Nous nous méfions des femmes libres, et par principe de précaution, nous les brûlons comme sorcières. Vous les aimez plus que le Bon Dieu, le Prophète et toute la smala. Nous les envoyons en enfer. Vous les laissez devenir Première dame de France[2. L’islamiste britannique Anjem Choudary écrit sur son blog : « Sarkozy doit être content d’être marié à une prostituée qui exhibe son corps au monde en croyant bien se conduire, mais qu’il lui est rappelé qu’un musulman n’est pas ce genre d’homme superficiel et dépravé. »]. Coupons la poire en deux, foutons-les dans des sacs » ? Vous la voyez, l’arnaque ? Voilà comment, au nom de la liberté, à l’abri de la laïcité, en vertu des droits de l’homme qui, une fois n’est pas coutume, s’appliquent aux femmes, dans un souci d’apaisement et une recherche d’équilibre, on nous ramène lentement mais sûrement de la lumière à l’ombre. Voilà comment avance la régression.

Qu’est-ce qu’on négocie et pourquoi ? Qui, de l’islam ou de la France, a le plus besoin de l’autre ? Qui doit s’adapter à l’autre ? Quand on accueille Khadafi, il n’a que le respect qu’on doit à son pétrole. L’islam de France n’en a pas. Alors, ses idées, disons qu’on n’est pas preneurs. À force d’entendre qu’ils sont une « chance pour la France », certains ont fini par le croire. Rappelons-leur que la chance, c’est la France. Pour tout le monde. À condition qu’on la défende. Sans négocier. Il n’y a rien à négocier.

La burqa n’est pas tolérable, donc on ne l’interdira pas

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Tous ceux qu’inquiète la multiplication des prisons portables en climat tempéré auront été ravis en lisant la déclaration sans nuance d’Anne Hidalgo, première adjointe de Bertrand Delanoë, concernant la burqa dans le Parisien Dimanche d’hier : « En tant que féministe, je considère que la burqa n’est pas qu’une question de vêtement : c’est une violence très forte faite aux femmes. Notre République ne doit donc pas considérer comme tolérable le port de la burqa. » Mais attendez avant d’applaudir, parce qu’elle conclut fort peu logiquement en ajoutant aussitôt : « Pour autant, je ne suis pas sûre qu’il soit opportun de passer tout de suite par la loi. Il faut d’abord faire beaucoup de pédagogie. » Dommage que la même politique non-répressive n’ait pas prévalu en matière de contraventions automobiles. Mais c’est sans doute beaucoup plus grave…

Honduras, mon beau souci

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Soudain, j’ai eu l’impression d’avoir neuf ans. En soi, ce n’était pas désagréable. Ce qu’on a vu, brièvement, sur nos écrans et qui m’a donné cette sensation, en revanche, l’était bien davantage. Des militaires, dans une capitale latino-américaine, qui sillonnent des avenues plus désertes que le cerveau d’un néo-conservateur. Des blindés qui prennent position devant un palais présidentiel. Des manifestations populaires, entre trouille et héroïsme, dispersées par des coups de feu.

J’ai cru, comme on dit dans les romans de science-fiction, à une déchirure du continuum spatio-temporel. J’étais revenu au 11 septembre[1. Il y a de ces dates tout de même. Et dire que c’est pourtant le jour anniversaire de la naissance d’une de nos plus charmantes causeuses.] 1973 et la première chaîne en noir et blanc montrait l’armée chilienne cernant et bombardant Allende et ses derniers partisans dans le palais de la Moneda, pour la plus grande gloire de la CIA, d’ITT, des actionnaires des mines de cuivre et du général Pinochet.

Mais non, je n’avais plus neuf ans. Il y en avait maintenant des centaines, de chaînes, toutes en couleurs, dont certaines prétendent à une information en flux continu et pourtant se montraient bien avares d’informations sur la question. En même temps, ce n’était rien, ce n’était qu’un coup d’Etat, un putsch, un golpe, un pronunciamiento, et dans un pays d’intérêt franchement secondaire : le Honduras. Même pas une équipe de foutebaule digne de ce nom, c’est dire… Bref, un événement très périphérique. Vous imaginez un peu, ce qu’on peut en avoir à faire du Honduras, quand Téhéran s’enflamme et que Maïqueule Djaquesonne vient de mourir. Non, soyez sérieux, il faut savoir hiérarchiser l’information, tout de même. Et puis titrer sur « Coup d’État à Tegucigalpa », cela vous a tout de suite l’allure d’un SAS des années 1970, ce qui manque de crédibilité pour les journaux de référence.

Mais voilà, le président renversé est bolivarien, c’est-à-dire très proche d’Hugo Chavez. Il s’appelle Manuel Zelaya et, à l’origine, était plutôt un homme de droite. Seulement, il s’est aperçu que la politique de Chavez, ce n’était pas si mal. Que la finalité de tout gouvernement, comme on le sait depuis Aristote, devrait être la philia, c’est-à-dire une certaine concorde entre les citoyens, une volonté d’harmonie et que cela suppose une relative égalité, donc une redistribution la plus juste possible des richesses produites. On s’excuse de dire tant de gros mots au pays du bouclier fiscal, mais il semblerait que quelque chose qui ressemble à la construction d’un socialisme du XXIe siècle soit en train de se jouer, en ce moment précis, dans toute une série de pays latino-américains, et que cette construction se fasse, ô rage, ô désespoir, avec l’assentiment des peuples qui reconduisent leurs gouvernants aux affaires avec une régularité désespérante pour l’observateur néo-libéral alexandreadlérisé.

Que s’apprêtait à faire Manuel Zelaya ? À organiser un référendum constitutionnel l’autorisant à se représenter. Les observateurs estiment qu’il allait le gagner de manière écrasante. Manuel Zelaya, contrairement à Nicolas Sarkozy, quand il veut changer sa constitution, le demande à son peuple. Il ne compte pas sur une unique voix de majorité au Congrès, celle d’un ex-futur ministre d’ouverture qui paraît-il est toujours socialiste. Mais demander son avis au peuple, pour le néo-libéral alexandradlerisé, et surtout depuis le référendum de 2005, c’est populiste. D’ailleurs, c’est bien connu, tous les chefs d’Etats bolivariens sont populistes. Populiste, dans la novlangue de l’Empire du Bien, fait partie du tiercé de la disqualification, juste après antisémite et pédophile. Plus généralement, il y aura, à l’avenir, une histoire à écrire du traitement de la révolution bolivarienne par les médias français. Les « spécialistes » du Monde par exemple, comme Marie Delcas ou Paulo Paranagua, écrivent sur la question des articles tellement caricaturaux qu’ils seraient refusés par la CIA qui trouverait ça un peu gros, même pour une opération de déstabilisation à l’ancienne.

Ce qui gêne, chez Chavez, Morales, Correa, Ortega, c’est qu’ils sont en train de réussir. Là où comme n’importe quel militaire hondurien, le penseur de garde français veut voir des dictateurs marxisants, il y a en fait une politique du « prendre soin », telle que la définit Stiegler où le rapport à l’autre, au monde, à l’amour est en passe d’être réinventé. Qui sait que Chavez lit davantage Les Evangiles, Don Quichotte et Les Misérables[2. Chavez a fait distribuer dans les quartiers pauvres de Caracas, à l’été 2006, demi-million d’exemplaires de Don Quichotte. Il a beau avoir serré la main d’un ministre au nom de la real politik, ce que je déplore, ce genre de geste me fait dire qu’il n’a pas grand chose de commun avec les massacreurs enturbannés du Hamas ou de Téhéran. D’ailleurs, d’après mes informations, il y aurait moins de burqas à Caracas que dans certaines banlieues françaises. L’émancipation, sans doute…] que Marx et Engels pour mener sa politique ? Et qu’il pense déjà à l’après-pétrole alors que ce fut le carburant de sa révolution ? Que la fameuse phase du dépérissement de l’Etat, qui devrait pourtant plaire à nos libéraux, semble même déjà entamée avec des transferts de pouvoir de plus en plus grands aux communautés de base (communes, conseils ouvriers et paysans, etc.) ? Alors évidemment, comme le capitalisme est entrain de retourner à l’âge de pierre, ça énerve.

Ça énerve tellement qu’on poutche. Manuel Zelaya s’est retrouvé arrêté dans ses propres bureaux, envoyé au Costa Rica et au revoir monsieur. Confessons-le, nous avons cru à un moment à un coup des Américains. C’est vrai, quoi, la situation avait quand même un côté très vintage guerre froide. On s’était dit : « Tiens, Obama, il en profite que toute la planète ait les yeux tournés vers l’Iran pour renouer avec la bonne vieille doctrine Monroe qui veut que l’Amérique centrale et caraïbe soit l’équivalent de notre Françafrique. »

Mais non, la condamnation est tombée, ferme et sans appel, avec demande d’explication aux ambassadeurs et tout l’habituel toutim diplomatique. Celui qui a dû être embêté, c’est Roberto Micheletti, actuel président par intérim, et candidat malheureux à l’élection présidentielle. Il s’est trompé d’époque, le pauvre homme. Il a cru bien faire et voilà que tout le monde lui tombe dessus à l’ONU comme ailleurs. Même à Washington. Il doit se sentir presque aussi bête que certains journalistes français qui ont osé, dès le renversement de Zelaya connu, avancer l’explication d’une armée hondurienne sauvant la légalité et la liberté. Ce que furent d’ailleurs les arguments, déjà, d’une bonne partie de la presse française en… 1936 pour justifier l’agression franquiste contre la toute jeune République espagnole.

Alors, que cette sinistre pantalonnade serve au moins à modifier la perception caricaturale que l’on veut donner sous nos latitudes de l’ALBA (Alternativa Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América), un traité politique et commercial destiné résister à l’impérialisme étatsunien et à ses tentatives constantes de déstabilisation. L’ALBA comprend, outre le Honduras, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et Cuba, des pays qui tentent d’élaborer une alternative à la catastrophe en cours et où les indicateurs de santé, d’éducation, de lutte contre les cartels et l’insécurité endémique semblent, enfin, indiquer que ces peuples potentiellement riches pourraient sortir de la misère noire.

Alors, sans croire pour autant aux modèles clés en main, on pourrait peut-être cesser de les caricaturer et les regarder faire. Et, peut-être, essayer à notre tour deux ou trois de leurs idées. Parce que depuis septembre 2008, sincèrement, on n’a plus grand chose à perdre.

Fluide est agile

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L’art de Gainsbourg ne ressemble à rien d’autre. Celui de Bashung pas davantage. Il n’en va pas autrement de celui d’[aji].

La boîte noire de l’OVNI n’a toujours pas été retrouvée. Pourtant, les autorités martiennes sont formelles : le véhicule aurait été dérobé par un terrien encore non-identifié, dans le sang duquel elles soupçonnent d’ores et déjà la présence de fortes quantités d’alcool et de poésie. (Du coup, les martiens sont verts, forcément.)

Nous ne connaissons de son nom que sa prononciation : [aji]. En marocain, cela signifie « viens ! ». Alors, allez-y ! Vous n’en reviendrez pas.

Il est vain d’envoyer des fleurs à [aji]. Dès le seuil, dès la première des quatorze marches de Fluide, on voit ce qu’il en fait : il les piétine à l’envi pour en faire sa couche. Les artistes, ce gars-là, il les mange.

Avec [aji], plus moyen non plus de néantiser à Paris-Cages. Il y déchaîne sans ambages l’océan en personne, l’océan soi-même, ce machin insensé bouillonnant d’embruns et qui peut faire mal aux bobos, voire même l’inverse.

[aji] estime que nous vivons dans une « époque statique, aux mœurs paralytiques ». Il aimerait que « des astéroïdes réveillent ces humanoïdes ». Avec Fluide, voilà qui est fait.

Je dois cependant vous mettre en garde contre un autre fléau demeuré jusqu’à présent inexpliqué : la plupart de ceux qui ont écouté [aji] se sont fait écraser quelques heures plus tard en traversant un passage-piéton. Mais ce n’est pas phénomène propre à émouvoir l’animal : « Toutes les catastrophes [lui] semblent naturelles ».

Lyriquement et humoristiquement, [aji] rend sensible le néant métaphysique absolu de l’enfer contemporain, où seuls les supermarchés parlent encore aux périphériques. Son écriture ciselée, ses vers de laine, font saigner exactement ce qui nous manque. Ils nous font un mal de chien à l’absolu. Tant mieux.

Les musiques superbes, de styles invariablement variés, qui servent les mots et la voix très belle d’[aji], sont dues à une bande de cinglés improbables : Théo Josso, Laurent Le Corre, Rachid Sefrioui, Benjamin de Roubaix, Evrim Evci, Lionel Lecointe et Jean Barthélémy. Une bande d’[aji]tés, j’avoue.

Fluide s’achève par un poème sans musique, qui déconne pas vraiment rose dans l’espérance, comme dirait Louis.

Pourtant, il vous est permis de chercher une lueur d’espoir : c’est celle du zinc doré du Galactic Bar, sur lequel « un soir un perroquet prédit la fin ».

Le Galactic Bar, où la métropole terminale s’inverse en océan, est d’un accès aussi simple que difficile : il brille, là-bas, tout au fond de nos cœurs sales.

Sarkozy-Olivennes, où est le problème ?

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On nous dit que le service politique du Nouvel Observateur gronde. Son nouveau patron, Denis Olivennes se serait vendu à l’Infâme. Chez mes amis de Marianne2, Régis Soubrouillard nous explique que le Nouvel Obs veut devenir la gazette de la Cour. Je suis vraiment désolé mais Régis se trompe.

Malgré tous les beaux discours républicains d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy a toujours été fasciné par la « deuxième gauche ». Lorsqu’il était le factotum d’Edouard Balladur, alors que ce dernier, Premier ministre, préparait sa quête de la présidence, l’actuel locataire de l’Elysée entretenait les meilleures relations avec toute l’intelligentsia politico-médiatique qui se réunissait dans la Fondation Saint-Simon. Alain Minc, déjà à l’œuvre, se définissait « de gauche et libéral », et milita ouvertement pour Edouard Balladur, cela rapidement facilité par le fait que Jacques Delors eût exprimé son peu de goût pour les campagnes électorales. Nicolas Sarkozy tira deux conclusions de cette époque. D’abord, il ne faut absolument pas être identifié à la « pensée unique » et il faut toujours la vilipender, ainsi que l’avait fait Jacques Chirac. Enfin, et surtout, ces idées là sont évidemment les bonnes et il faut les mettre en œuvre discrètement, c’est à dire en les travestissant d’un discours inverse.
Cette stratégie fut admirablement appliquée lors de la campagne présidentielle de 2007. Profitant de l’absence d’un candidat gaulliste, il put tenir le discours républicain et patriote qu’attendait son électorat, tout en veillant bien à ce que le programme de l’UMP, en parfaite contradiction avec ses prestations publiques, détaille toutes les mesures à prendre dans la volonté d’adaptation à la mondialisation, vieille marotte de la droite libérale et de la gauche libérale.

Traité de Lisbonne, Rapport Attali, appel à Kouchner et Jouyet, appui de la candidature de DSK au FMI inaugurèrent ainsi les premiers mois du quinquennat Sarko. Il y eut aussi la remise du rapport Olivennes – tiens, tiens[1. Denis Olivennes, alors patron de la FNAC, proposa alors l’essentiel de ce qui allait devenir la Loi HADOPI. A passage, demander à un vendeur de disques de pondre un rapport sur le sujet revenait à commander une étude sur l’alcoolisme au PDG de Pernod-Ricard.]… Seulement voilà, bien que fasciné par l’intelligence de ces gens là, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas s’empêcher de se comporter comme un vulgaire Bernard Tapie, horresco referens dans ce milieu. C’est là qu’interviennent deux évènements majeurs : Carla et la crise.

Grâce au mariage avec Carla Bruni, Nicolas Sarkozy a pu reprendre langue avec la gauche caviar. Après avoir tenté une communication mélangeant maladroitement George Bush et Georges Marchais, il s’est rendu compte, qu’il s’agissait là d’une impasse. En découvrant que les références négatives à La Princesse de Clèves avaient produit un engouement pour Madame de La Fayette au point que cette dernière grimpa en flèche aux classements des ventes, Carla et les communicants de l’Elysée s’activèrent et on apprit que le Président lisait maintenant Zola dans l’avion présidentiel, même si la conversion se révélait peu naturelle[2. Au point qu’il prononça “Roujon-Macquart” au lieu de Rougon-Macquart devant les journalistes stupéfaits.].

Et puis il y eut la crise où Nicolas Sarkozy exécuta une pirouette digne des meilleurs gymnastes : il n’eut plus que le mot “régulation” à la bouche, mot qui résonne agréablement aux oreilles des sociaux-démocrates de tout poil. Surtout pas de protectionnisme, cela ferait de la peine à Pascal Lamy et à DSK, mais de la ré-gu-la-tion ! En fait, on tente à peine de réguler le système bancaire et financier et c’est quand même la moindre des choses quand les Etats sauvent ce dernier de la faillite. En ce qui concerne les échanges de biens manufacturés, en revanche, il n’est pas question de réguler du tout. Le monde est mondial, ainsi que le chantent depuis longtemps Jacques Attali, Alain Madelin et Daniel Cohn-Bendit.

Denis Olivennes, en définitive, sert les idées qu’il a toujours défendues. Jean Daniel l’a compris, lui le fondateur du journal. Les journalistes du Nouvel Obs, si on leur explique bien, devraient bien finir par le comprendre eux aussi.
En revanche, pourquoi Valeurs actuelles n’est pas encore un journal d’opposition ? Cela, j’ai davantage de mal à me l’expliquer…

Don’t cry for me, Alaska

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Sarah Palin ne se contente pas d’être sublimement belle, de maîtriser parfaitement le clignement d’œil avec une coquetterie piquante et de représenter l’archétype irrésistible de la sensualité quadra, elle sait aussi imposer sa chance, serrer son bonheur et aller vers son risque. Ce 3 juillet, veille de la Fête Nationale étatsunienne, elle a annoncé sa démission de gouverneur de l’Alaska depuis sa résidence de Wassila. Elle a également précisé qu’elle ne briguerait pas ne nouveau mandat aux élections du mid-term de 2010 à ce poste. Elle a évidemment créé une surprise considérable. Dans le camp républicain, on s’accorde à penser qu’il s’agirait d’un coup politique afin de mieux se positionner dans la course à la présidentielle de 2012. Même si cette stratégie audacieuse est bien digne de celle qui allie un physique divin à un véritable génie politique, nous serions plus enclins à suivre certains commentateurs qui évoquent à mot couvert une love story avec un écrivain français qui travaillerait régulièrement pour un salon de discussion on line.