Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Depuis le début de la semaine, on s’interroge sur le prochain roman de Giscard. Fiction ou roman à clef ? A qui donc s’adresse cette épigraphe « promesse tenue » ? A Lady Di ? A lui-même ? A sa femme[1. Non, là, je rigole.] ?
Il est plus amusant, pour le commun des mortels, de deviser sur l’éventuelle relation entre VGE et la princesse de Galles et de moquer son éventuel fantasme amoureux. Je n’y ai moi même pas échappé en paraphrasant Diana refusant de participer à une orgie à Chanonat : « Un Auvergnat, il en faut toujours un ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il peut y avoir des problèmes. »
Mais quand on se fait le devoir de tenir un carnet politique, il faut revenir à la politique. Et, dans ce livre à paraître, dont Le Figaro nous a relaté l’histoire, le fantasme le plus fou, le plus dément, le plus hilarant n’est pas amoureux ni même sexuel. Il est bel et bien politique. Imaginez que Giscard fait du héros principal un Président de la République réélu en 1981. Difficile d’éluder le fait que le Président qui se représente au suffrage des Français à cette date se nomme Valéry Giscard d’Estaing.
Giscard n’est pas surnommé ironiquement l’Ex par hasard. Il est à ce jour le seul Président de la République en exercice à s’être ramassé lors d’une élection présidentielle. Le Général de Gaulle fut réélu en 1965, François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. La mort a interrompu le premier mandat de Georges Pompidou et, pour le locataire actuel de l’Elysée, il faudra attendre encore trois ans. Bref, pour lui, c’est la honte. Même celui qu’il tient pour un grand con a été réélu triomphalement en Père de la Nation : Giscard ne parvient pas à cacher la souffrance et l’injustice qu’il vit et dont il pense être victime.
Alors, il se soigne. En écrivant un roman. Il n’est ni le premier ni le dernier à procéder de cette façon. Non seulement, cela coûte moins cher qu’un psy mais en plus, cela va lui rapporter un maximum. Franchement, il met le paquet, l’Ex ! Réélu avec 56 % des suffrages ! Et on s’interroge pour savoir si c’est une œuvre de fiction ? En partant sur cette base, il peut nous inventer n’importe quoi. Qu’il culbutait une princesse délaissée – c’est fait – mais aussi qu’il devint le premier homme à poser le pied sur Mars, qu’il réduisit spectaculairement inflation et chômage ou qu’il parvint à faire comprendre à la France que la Constitution européenne était un texte intelligible voire intelligent. La plus grande obsession, c’est tout de même bien que ce type puisse imaginer que son septennat ait pu donner envie aux Français de le réélire triomphalement. Parce que le fait que les hommes de pouvoir étaient dotés d’une libido largement au dessus de la moyenne et que leur position sociale pouvait avoir quelque effet sur leurs capacités de conclure, comme dirait Jean-Claude Dus, on savait déjà.
Reste à savoir si ce roman sera aussi mal écrit que Le Passage[2. Roman écrit par Giscard où le narrateur est un notaire, chasseur et fort bien cravaté, qui a une aventure avec une auto-stoppeuse. Les Guignols de l’Info imaginèrent une adaptation pornographique et invitèrent la marionnette de VGE à un faux journal du hard.] ou le traité constitutionnel européen[3. C’est mon obsession à moi.]. Peu importe. Il se vendra, et la fuite organisée ces jours-ci y sera pour quelque chose. Bien joué, l’éditeur. L’Ex peut ainsi faire la nique au grand con corrézien cité plus haut, lequel doit sortir ses mémoires au même moment. Quand j’écrivais qu’elle était là, son obsession !
La défaite de Farouk Hosni, candidat égyptien à la tête de l’Unesco, est un cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent aux lobbies, ces puissances occultes qui sont, comme chacun le sait, les véritables maîtres de notre monde. La première leçon est simple : de toute évidence le lobby sioniste est en perte de vitesse. Que ce soit sous les coups de boutoir d’un Dieudonné ou grâce à la vigilance citoyenne de gens comme vous et moi, on ne peut que constater que le soutien de Netanyahou (chef ex-officio du dit lobby) et de Sarkozy (à la tête de l’antenne locale) ne vaut pas grand-chose. Comme l’a tout de suite compris Mohammed Salmaoui, le perspicace président de l’Union des écrivains égyptiens, les sionistes n’y sont pour rien, c’est « le lobby juif », beaucoup plus fort, qui « a exercé énormément de pressions, a pris certains commentaires du ministre et les a placés hors contexte ». Cependant, l’AFP ne précise pas si M. Salmaoui a appelé Netanyahou pour le remercier de son soutien au candidat malheureux. S’il ne l’a pas fait, il n’est pas trop tard ! Face au lobby juif, Jérusalem et le Caire ont, certes, perdu cette fois-ci, mais leur alliance peut encore servir face à ses futures et sombres menées. La deuxième leçon est plus importante encore : un nouveau lobby vient de faire une foudroyante démonstration de force. La victoire surprenante d’Irina Bokova, élue hier à la tête de l’Unesco, ne peut pas s’expliquer autrement. Certains pensent que c’est Julia Kristeva qui tire les ficelles du nouveau lobby, d’autres soupçonnent Sylvie Vartan d’en être l’éminence grise, mais tous s’accordent : l’opération « Perkovic » pour la conquête de l’Unesco est la preuve éclatante de l’efficacité du « lobby bulgare ».
Le ministre de l’Identité nationale, Eric Besson, comme une mauvaise femme de ménage qui cache la poussière sous le tapis, a supervisé ce matin mardi 22 septembre une héroïque opération de police. Près de Calais, le camp sauvage où des réfugiés afghans, pakistanais et irakiens vivaient dans une zone de sables et de bouleaux sous des toiles de tentes et des baraques en tôle, appelée plaisamment la « jungle », a été démantelé. Dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, les CRS ont encerclé le camp, procédant d’après la préfecture à 278 interpellations dont 132 mineurs. On annonçait une population de plus de huit cents personnes dans la « jungle », mais celle-ci s’est égaillée dans la nature comme elle en a l’habitude depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte en 2002, qui se fit sans autre solution de remplacement. Mais qu’importe, le ministre Besson a virilement affirmé : « Il y aura d’autres démantèlements. » C’est bien, mais nous tenons à rappeler à Eric Besson que France Telecom, EDF-GDF, la SNCF et ces jours-ci La Poste ne sont pas, malgré les apparences, des camps de réfugiés mais des services publics.
Avec Tu ne m’aimeras point de Haim Tabakman, le cinéma israélien continue à sortir des sentiers rebattus du conflit moyen-oriental pour explorer les chemins tortueux de la sexualité. Après Kadosh de Amos Gitai, une caricature du monde ultra-orthodoxe, après Les Secrets de Avi Nesher qui traitait de la sexualité entre femmes, après My Father, My Lord de David Volach, qui évoquait l’épineux problème de la laïcité en Israël – et dont les manifestations, cet été, des Haredim, « les hommes en noir » contre l’ouverture d’un parking le samedi à Jérusalem montrent à quel point il est d’actualité – jamais le cinéma israélien n’était allé aussi loin dans son approche de la religion et du sexe.
Eyes wide open, le titre original de ce film subtil, troublant, voire gênant, fait référence à Eyes Wide Shut de Kubrick. Quelques semaines après les attentats perpétrés contre des homosexuels à Tel Aviv, Tu ne m’aimeras point rappelle une fois de plus les difficultés pour ces hommes de vivre pleinement leur vie dans les carcans d’une société trop religieuse, trop hiérarchisée, trop oppressante.
On est loin des cow boys secrètement amoureux de Brokeback Mountains de Ang Lee. Cette fois-ci, l’homosexualité s’invite en territoire encore plus hostile : la communauté juive orthodoxe de Jérusalem. Au programme : intolérance et drames intimes amoureux, sur un scénario un peu attendu, traînant parfois en longueur. Aaron, marié et père de quatre enfants est boucher dans la communauté juive de Jérusalem. À la mort de son père, il reprend la boucherie familiale et embauche un jeune homme, Ezri, qui sera l’ange de la tentation. L’amour nait. La tragédie est en marche.
L’intérêt du film ne réside pas dans cette énième histoire d’un amour interdit, mais dans la façon dont ces deux hommes voient leur amour naître, grandir et dépérir, au cœur d’une communauté montrée sans cliché et dans toute sa complexité.
Comment concilier l’amour de Dieu et l’amour des hommes ? Vieille question dont Augustin avait compris toute la complexité. Faut-il renoncer à l’amour de Dieu pour une relation charnelle ? Comment faire cohabiter une religion qui se revendique humaine et aimante (« tu aimeras ton prochain comme toi-même ») avec son refus d’accepter l’amour du même sexe ?
Doit-on renoncer à l’être aimé et à son épanouissement ou doit-on vivre sa vie en conformité avec sa foi et son existence dans l’usurpation ? Pourquoi faut-il choisir ? Ces questions sans réponses constituent la trame cachée de Tu ne m’aimeras point.
Pour les juifs orthodoxes, l’homosexualité n’existe que comme une tentation une faute, un crime.Or, pour Aaron et Ezri, amour charnel et amour de Dieu restent indissolublement liés. À aucun moment les deux amants, malgré leur souffrance, ne pensent à quitter leur communauté. Mais si chacun est sincère dans son amour et dans sa foi, le film révèle la limite au-delà de laquelle ces deux logiques sont inconciliables. Reste une seule alternative : se soumettre ou disparaitre. L’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est donc vécue comme une épreuve censée les ramener vers davantage de spiritualité.
Dans ce contexte, le paradoxe des haredim se révèle pleinement. D’une part, la communauté est soudée par un sentiment de fraternité, de solidarité et de confiance – on n’est jamais seul, chacun s’occupe de chacun. Mais cette sollicitude bienveillante est aussi un redoutable instrument de contrôle social. Dans cette « communauté réduite aux aguets », surveiller et punir pourrait être érigé comme la 614e prescription du talmud. Dans un monde clos, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, il faut se méfier de celui qui trouble l’ordre.
Mais que faire, alors, de l’amour et surtout du désir ? Chez les orthodoxes, celui-ci est méprisé, ignoré. La seule chose prescription est de satisfaire les besoins de sa femme, selon un rituel bien codifié, dans le seul but de procréer.
Le boucher Fleishman (dont le nom, au sens étymologique signifie « l’homme de la chair ») qui doit rendre consommable la viande impure, est bien forcé de faire avec cette chair animale. Mais il ne sait pas faire avec la sienne et moins encore avec celle d’un autre homme.
Pour autant, Tabakman ne fait pas le procès à charge du judaïsme orthodoxe : l’amour de Rivka, l’épouse d’Aaron, empreint de pudeur et de tendresse, n’est-il pas au fond plus puissant dans sa dimension spirituelle ? Certes, la dimension érotique est totalement absente du mariage mais celui-ci reste un engagement profond et fondamental et c’est ce qui donne à cette épouse la force de surmonter sa souffrance.
On a évidemment envie de condamner sans appel cette religion qui répudie le désir et le sexe. Mais tout l’intérêt du film et qu’il ne juge pas et n’invite pas à juger mais à comprendre. Au final, en effet, l’homme y est dépeint comme fondamentalement libre : il choisit son mode vie, il choisit sa vie. Il choisit son amour. Il devient lui-même. Même la prison la plus farouchement garde ne peut résister lorsque le désir s’abat sur ses proies.
Alors, on se demande si le 11e commandement devrait être « Tu ne m’aimeras point » ou « Tu aimeras à perdre la raison ».
La Caisse des dépôts et consignations vient d’indiquer que le livret A, qui est le moyen d’épargne préféré des classes populaires, a connu une « décollecte » de 1,33 milliard d’euros au mois de juillet et que le solde entre retraits et dépôts s’équilibrent à peine après la flambée qui suivit la généralisation de ce livret à tout le réseau bancaire. Il faut dire qu’entre temps, le taux de rémunération de ce placement a été ramené de 2,5 % à 1,75 % en mai, puis de 1,75 % à 1,25 % en août. Vous avez compris, les pauvres ? Vous n’êtes pas des traders, vous, pas question de faire de l’argent avec de l’argent. Mais consolez-vous, si le livret A ne vaut plus rien, le virus de la grippe du même nom semble, d’après une déclaration de l’OMS ne pas avoir muté et rester relativement anodin. Pauvres, mais pas malades, donc… De quoi vous plaignez-vous ?
Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon a récupéré cette année l’organisation du « Forum Libération » que son camarade du PS et rival régional Michel Destot, député-maire de Grenoble, a laissé filer dans la capitale des Gaules pour des raisons budgétaires.
Ce grand raout intellectuel, politique et mondain ressemble à une grande foire aux discours et aux idées où le bon peuple est invité à venir admirer et consommer ce qui se fait de mieux dans le genre.
Ce n’est pas désagréable de flâner de débat en débat, quand le temps est beau, le cadre somptueux (l’Hôtel de ville et l’Opéra de Lyon). On est, de surcroît, assuré de trouver dans un rayon de moins de cinq cents mètres une tripotée de restaurants dont certains, dont je tairai le nom pour ne pas les signaler aux touristes, méritent vraiment l’appellation de bouchon lyonnais, souvent usurpée.
Bref, grâces soient rendues à Gégé Collomb de se faire l’amphitryon (le véritable, celui où l’on dîne) d’une manifestation dont il espère, sans doute, des retombées positives pour sa ville et la suite de sa carrière politique. En fait de foire, celle-ci serait plutôt du genre brocante et vide-grenier, où l’on peut chiner sa pâture intellectuelle parmi les stands présentant des thématiques ayant déjà dans un passé récent ou plus lointain fait l’objet de controverses intellectuelles et politiques. On pardonnera donc au quotidien de la rue Béranger de nous avoir fourgué comme une avant-première une projection du film Le neuvième jour de Volker Schlöndorff, tourné en 2004 et diffusé sur Arte en avril 2007… Dans toute brocante on peut trouver quelques arnaqueurs, mais cela n’enlève rien au plaisir du chineur. Si l’on ajoute les pipoles du moment, Fréderic Mitterrand, Nicolas Hulot, Dany Cohn-Bendit que les badauds sont ravis de voir en chair et en os, on a tous les ingrédients d’un week-end réussi.
Le thème choisi cette année, « l’Europe vingt ans après la chute du mur de Berlin », permettait toutes les variations et supportait fort bien que l’on sacrifiât à la marotte du patron de Libé, Laurent Joffrin – se faire l’entremetteur d’une alliance de la gauche, des Verts et du centre.
Tout l’éventail socialiste avait été convié, de Martine Aubry à Vincent Peillon, en passant par Valls et Hollande, pour faire avancer ce rassemblement en dialoguant avec Cohn-Bendit et Bayrou sous le regard bienveillant d’un Gérard Collomb bien revenu de son enthousiasme ségoléniste. Las, ce qui devait être le coup d’envoi d’une nouvelle alliance visant à bouter Sarko hors de l’Elysée, se résuma à une guignolade qui devrait réjouir les partisans du maintien à son poste de l’actuel président de la République. Normal, dira-t-on, dans une ville dont Guignol et ses partenaires du café du Soleil sont les icônes d’une lyonitude fièrement assumée et revendiquée. Mais cela serait faire injure à Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, et à ceux qui, comme Emilie Valantin[1. Emilie Valantin dirige la compagnie du Théâtre du Furs, qui met en scène des spectacles de marionnettes, dont des reprises de saynettes écrites pour Guignol par Laurent Mourguet. Elle fut chargée, en 2008, de célébrer le 200e anniversaire de la naissance de Guignol avec un spectacle Les embiernes commencent, présenté au Théâtre des Célestins à Lyon. Pour les non-familiers du parler des gones, les embiernes sont la version lyonnaise des emmerdes.], s’efforcent de perpétuer la tradition frondeuse des marionnettes du Vieux Lyon, que de les comparer au spectacle offert en cette fin septembre par les camarades socialistes dans la cité rhodanienne.
Le premier acte prévoyait, dès le lever du rideau, de faire dialoguer Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit sur la scène de l’Opéra rénové par Jean Nouvel. Esthétiquement, c’était assez osé : Titine la rose et Dany le Vert sur le fond noir de jais de la grande salle. Mais la dramaturgie était là : on aurait vu un Dany magnanime offrir à Martine la présidence de la République à un socialiste, à condition que celui-ci lui convienne et qu’il accepte, dans la famille, un Bayrou auquel cette belle âme de Dany a pardonné les offenses de la campagne des européennes.
Martine Aubry, qui n’est pas la moitié d’une andouille, avait flairé le piège et s’est décommandée au dernier moment, envoyant à sa place le tonton-flingueur Claude Bartolone pour donner la réplique au rouquin. Pendant ce temps-là, Martine Aubry se faisait un restau entre filles avec Cécile Duflot, la cheffe des Verts français, pour tenter d’enfoncer un coin entre cette dernière et le remuant leader d’Europe-écologie.
Dépité, Cohn-Bendit eut beau vanner à mort ce pauvre Bartolone, celui-ci ne démordit pas une seule seconde de son os stratégique : d’abord l’union de la gauche à l’ancienne avec PC, radicaux, verts, chevènementistes et amis de Mélenchon, et après on verra ce qu’on fait avec le Modem et Bayrou. Bartolone se propose même de rassembler tout ce petit monde au sommet de l’Aiguille du Midi, un endroit symbolique pour prendre de la hauteur et échapper au marécage dans lequel pataugent actuellement la gauche et le PS. Et pas question de mettre Bayrou dans la benne du téléphérique qui portera l’illustre compagnie jusqu’à ce sommet tout aussi réel que métaphorique, même si Dany le prend sous son aile.
Le deuxième acte, en revanche, se déroula comme prévu. Sous un chapiteau planté sur la place des Terreaux, sous l’œil bienveillant du bon roi Henri IV, dont l’effigie en cavalier orne la façade de l’Hôtel de Ville, l’autre Béarnais, François Bayrou, disait son texte et François Hollande lui donnait la réplique. D’accord pour un « parlement de l’alternance », pour discuter des alliances pour les régionales et mise entre parenthèses de l’élection présidentielle, le duo Hollande-Bayrou était nettement plus harmonieux que la cacophonie Cohn-Bendit-Bartolone. Peut-être Hollande souffre-t-il du mal des montagnes, toujours est-il qu’il ne fit aucune allusion à l’excursion projetée à l’aiguille du Midi et se permit même de mettre en garde François Bayrou contre certains des « camarades » conviés à y participer : « Je suis beaucoup moins ouvert que François Bayrou, qui est prêt à aller jusqu’à M. Mélenchon ou M. Besancenot. Pas moi. Peut-être parce que je les connais mieux que lui ! », a ainsi lancé monsieur p’tites blagues, qui se voit tout à fait remplacer son ex-compagne dans le cœur des barons locaux style Collomb : ceux-ci préfèrent mille fois les cathos du Modem aux braillards gauchistes dans les exécutifs qu’ils dirigent.
On imagine la perplexité du peuple de gauche qui était accouru fort nombreux vers un spectacle où il espérait puiser un réconfort après les dernières péripéties crapoteuses de la guerre des chefs au PS…
Vincent Peillon s’étant également fait porter pâle et Ségolène Royal ayant choisi Frêche et Montpellier plutôt que Lyon et Collomb pour y célébrer la fraternitude, il ne restait plus que quelques second violons, comme Aurélie Filipetti, Manuel Valls ou Élisabeth Guigou pour sauver la pièce. Ce qui échoua, bien entendu, malgré leurs efforts méritoires. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’il semble que les socialistes, dans les scrutins locaux, ne souffrent pas trop de leurs déboires théâtraux sur la scène nationale, ce qui convient tout à fait à Gégé et ses copains des autres provinces. Socialiste à l’Elysée, veste assurée : tel est le dicton caché de ces maires, présidents de régions et de conseils généraux PS qui œuvrent dans notre beau pays de France.
Rarement une critique littéraire aura fait couler autant d’encre aussi vite. Il est vrai que le savoureux compte-rendu fait par Etienne de Montéty dans Le Figaro du roman à paraître de VGE « la Princesse et le président » ne se bornait pas à des considérations stylistiques : depuis ce matin, tout le monde conjecture sur la liaison supposée entre celui qui était alors chef de l’Etat et Lady Diana. Vrai ou faux ? Pure fiction ou réalité transposée ? Allez savoir. Une chose est sûre, le buzz est monumental et, du coup, on imagine que le public français fera meilleur accueil à cet ouvrage de VGE qu’au précédent, à savoir le Traité Constitutionnel Européen.
L’autre jour, j’ai pu donner l’impression au lecteur pressé que je daubais sur Libé, sans doute à cause du titre et du sujet de mon papier. En vérité, sous prétexte de commenter la « nouvelle formule » du quotidien, je me livrais là à mon exercice favori: pointer les contradictions, notamment chez les autres.
Emporté par mon sujet, un peu comme VGE dans Démocratie française, j’ai même dit une connerie[1. Enfin, moi c’est comme lui : on nous a mal compris.]. Non Libé n’est pas plus mal écrit que ses concurrents. Il peut même être carrément bon, dès qu’il ne se sent pas contraint d’être « citoyen ».
Ainsi dans le supplément « Livres » de jeudi dernier, mon attention a-t-elle été attirée par un papier sur La barque silencieuse de Pascal Quignard – tome 6, paraît-il, d’une saga intitulée Dernier royaume.
Pour des raisons qui m’échappent, j’avais zappé les cinq premières marches de ce monument en construction. En revanche, j’avais entrevu plusieurs fois l’auteur dans des zoos littéraires télévisés, et je m’étais dit : « Le mec est raide dingue ! »
Des yeux fous ouverts sur l’abîme, mangeant un visage lisse ; un type qui fait peur même quand il ne dit rien, mais qui en plus te mélange dans la même phrase le procès de l’Eglise et l’éloge du suicide – comme si c’était Benoît XVI qui l’égorgeait.
Un dément, pensais-je donc, en voyant ce Quignard s’agiter comme une bête traquée par elle-même. Un possédé qui, à ce titre, mérite ma compassion.
Et paf ! Voilà que dans Libé, Philippe Lançon – car c’était lui – m’ôte mes dernières illusions. Non, Pascal Quignard n’est pas le ouf malade que je voyais : plutôt « une précieuse que personne n’a l’air de trouver ridicule ».
Bonne nouvelle, somme toute : ce best-seller humain ne risque pas d’être arraché prématurément à l’affection de ses éditeurs[2. Je sais, s’il meurt dans la semaine, j’aurai l’air con ; mais c’est ça le journalisme, non ?]. Quignard n’est pas fou du tout, il se fout de nous, et c’est pour ça qu’on l’aime !
Bonne nouvelle à vérifier, quand même. Ma conscience profesisonnelle est célèbre jusqu’à l’ouest des Pecos : pas question pour moi de répéter un truc sans être bien sûr de l’avoir lu dans les journaux ou entendu à la télé ! Mais pas question non plus de monter dans cette Barque silencieuse remplie, si j’ai bien compris, d’enfants morts, de petits oiseaux et de bulots à l’ail.
C’est Lançon qui révèle la recette secrète de la quignardise : « En dire le moins possible à propos des choses les plus insolites possibles, pour séduire le plus possible. » Et encore : « Quignard semble dire : je ne suis pas de ce monde – mais pour l’attirer. »
De la méchanceté comme je l’aime : classieuse et pointue. De quoi me réconcilier avec Libé et la critique littéraire. Si celle-ci a une raison d’être, c’est du moins celle-là[3. La tournure est élégante, n’est-ce pas ?] : nous faire comprendre pourquoi tel écrivain nous gonfle – ou nous gonflera.
Je conçois aussi que c’est dur parfois de mettre un an à pondre un œuf aussitôt « cassé » par des Brice de Nice de la critique. Mais je suis pas ministre non plus ; je suis juste là pour donner mon avis sur tout, euh, un peu comme François de Closets[4. Irresponsable, c’est ça, je cherchais le mot !]…
Ce dimanche, sur BFM-TV, Arnaud Montebourg, interrogé sur le procès Clearstream, s’est livré à un vibrant – mais surprenant – plaidoyer en faveur de DDV : « Il est inadmissible et scandaleux qu’un président de la République fasse pression sur la Justice, dont il est censé être le garant, à l’intérieur de l’enceinte d’un tribunal, quand il va demander à travers ses avocats d’éliminer son principal adversaire politique », a-t-il notamment déclaré. Ah bon ? Le « principal adversaire politique » de Sarkozy, c’est plus Martine Aubry ?
Crise dans la société. Pour comprendre le suicide, relisons Durkheim et Halbwachs.
« Grand et monstrueux » : voilà ce qu’écrit Goethe, à la fin de sa vie, de son premier roman, Les Souffrances du jeune Werther. Lorsque paraît le livre en 1774, l’Allemagne est prise d’une fièvre inouïe : on s’habille comme les personnages du roman, on se comporte comme eux et l’on en vient naturellement à imiter Werther : les suicides frappent la jeunesse allemande comme une épidémie. La fièvre werthérienne est telle que le roman est retiré des librairies.
Si l’on s’en tient aux apparences, la conclusion s’impose : il existe des livres qui tuent. De Final Exit à Suicide mode d’emploi, le thème connaîtra une fortune diverse et le réalisateur japonais Hideo Nakata ira même jusqu’à la transposer en 1998 dans son film, The Ring.
Seulement, les choses sont un peu plus complexes que les apparences. Les Souffrances du jeune Werther sont un roman particulier. Tous les ingrédients du succès sont réunis : comme les deux autres best-sellers du XVIIIe siècle (Les Lettres portugaises et La Nouvelle Héloïse), Werther est un roman épistolaire. Il rompt avec la rationalité propre au siècle pour rétablir dans ses droits l’ordre de la sensibilité (Empfindsamkeit) : les lecteurs n’attendaient que ça et Goethe peut expliquer son propre succès en écrivant que « ce petit livre est arrivé au bon moment ». Plus qu’un événement littéraire, Werther devient un phénomène de société : l’Allemagne tout entière ne parle plus que de ce roman, il alimente toutes les conversations, rien d’autre ne semble plus exister que l’amour malheureux de Werther pour Lotte et le suicide du jeune homme.
Goethe n’a pas incité ses lecteurs à se donner la mort. Il a simplement réhabilité le suicide dans le champ des possibles. Il l’a remis au goût du jour (celui des années 1774), en accréditant l’idée que la mort volontaire entrait dans la normalité. Une fois levé le tabou du suicide, rien n’interdit plus à l’individu d’en finir, ni la morale, ni la religion, ni l’ordre juridico-politique. Le suicidaire est désinhibé. Il peut passer à l’acte.
Au début des années 1970, la psychologie sociale a théorisé ce phénomène sous le nom d’effet Werther : la médiatisation d’un suicide entraine, dans les semaines qui suivent, une hausse significative du nombre de suicides. C’est ainsi que le 18 septembre, Jean-François Legrand, président du Conseil général de la Manche, annonçait que six producteurs laitiers de son département s’étaient donnés la mort ces quatre derniers mois. Pas à cause de France Télécom, bien sûr, mais à cause de la crise de la filière laitière. Pas une mode, on vous dit. Une épidémie[1. Employé par Denis Lombard, pdg de France Télécom, le terme « mode » n’est pas si inconvenant que cela. L’effet Werther a les mêmes caractères que la « mode » : il fixe pour le suicidaire ce qu’est la normalité dans une période donnée.].
L’Organisation mondiale de la santé prend, quant à elle, l’effet Werther au sérieux. Son département de santé mentale et toxicomanies publiait ainsi en 2002 des recommandations à destination des médias. La prudence des spécialistes est telle qu’ils prient les journaux de ne pas consacrer leur première page à un suicide, de ne pas publier la lettre laissée par une personne suicidée, de ne pas le réduire à une seule cause, de ne pas parler « d’épidémie de suicides », de ne pas « présenter le suicide comme une méthode employée pour trouver une solution à ses problèmes personnels ». De même, « on ne doit pas rapporter un comportement suicidaire comme une réponse compréhensible aux changements sociaux et culturels ou à une récession ». Enfin, « la glorification des suicidés, présentés comme martyres et comme objets de l’adulation du public, peut suggérer aux personnes sensibles que la société dans laquelle elles vivent rend honneur au comportement suicidaire ».
Visiblement, les recommandations de l’OMS ne sont pas parvenues jusqu’aux oreilles des médias français : si l’on se suicide depuis dix-neuf mois à France Télécom, c’est uniquement parce que le groupe se restructure et que les employés sont gagnés par le stress. Le malaise social ou la mort : il n’y a pas d’autre choix !
Cette semaine, Paris Match s’est même distingué de tous ses autres confrères en consacrant un reportage à la 23e suicidée du groupe, publiant le courriel d’adieu envoyé à son père et établissant une relation de cause à effet entre ses difficultés au bureau et son suicide. Or, cet article laisse entrevoir que cette jeune fille avait, dans la vie, d’autres difficultés que celles qu’elle éprouvait sur son lieu de travail : le deuil de sa mère, l’absence de petit ami, la boulimie. Est-ce que ce sont des souffrances existentielles moindres que le stress lié au travail ? Evidemment que non. Il n’y a jamais une seule cause au suicide.
Il serait, d’ailleurs, assez simpliste de vouloir expliquer par une seule cause des réalités humaines aussi complexes que celles qui poussent un homme à consentir à sa mort. Ce que nous prenons pour des causes ne sont bien souvent que des occasions. En 1930, dans l’introduction aux Causes du suicide, Maurice Halbwachs le résume métaphoriquement : « L’individu que rien ne rattache plus à la vie trouvera, de toute manière, une raison d’en finir : mais ce n’est pas une raison qui explique son suicide. De même, lorsqu’on sort d’une maison qui a plusieurs issues, la porte par laquelle on passe n’est pas la cause de notre sortie. Il fallait d’abord que nous ayons le désir au moins obscur de sortir. Une porte s’est ouverte devant nous, mais, si elle eût été fermée, nous pouvions toujours en ouvrir une autre. »
Ce que Durkheim et, à sa suite, Halbwachs nous ont appris, c’est que le suicide est un produit de la réalité sociale elle-même. En 1897, dans son essai majeur, Le Suicide, Durkheim écrivait que le suicide ne représente pas une somme d’états individuels, mais que « chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires ». Il poursuivait : « Le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration de la société religieuse, de la société domestique ou de la famille, et de la société politique ou de la nation. »
Le nombre de suicides rencontrés parmi les salariés de France Télécom au cours des dix-neuf derniers mois traduit une réalité sociale qui excède le simple cadre de cette entreprise : si l’on considère l’ensemble de la population active française en 2002, le taux de suicide est de 22,8 pour 100 000 (source : Inserm), c’est-à-dire un taux légèrement supérieur à celui constaté à France Télécom. Les plus cyniques statisticiens pourraient en conclure que l’on se suicide moins dans cette entreprise que dans l’ensemble de la société française. Mais cela n’aurait, évidemment, aucun sens[2. Il faudrait que les 100 000 salariés de France Télécom soient un groupe comparable à la population française active. Ainsi le personnel de France Télécom devrait-il présenter un taux de chômage comparable au reste de la population active – ce qui n’est évidemment pas le cas.].
Or, notre représentation collective du suicide, telle qu’elle est aujourd’hui véhiculée par la presse, est diamétralement opposée à l’analyse durkheimienne. Le suicidaire nous est présenté comme un nouveau Socrate, un individu auquel il ne reste plus que la mort comme issue et qui se contraint à avaler lui-même la cigüe. Fini le combat, l’engagement ou la lutte syndicale : suicidez-vous, Folleville !
Et si ça n’était pas vrai ? Et si l’on se suicidait parce que toutes les formes sociales traditionnelles (religion, parti, famille, nation) avaient disparu sans rien nous laisser d’autre que nos malheureux petits boulots ? Et si nos sociétés anonymes ne pouvaient jamais remplacer la société ? Et si le travail ne pouvait jamais remplacer la famille ni la patrie, dans l’ordre des allégeances identitaires ? Ce n’est pas le malaise au sein d’une société qu’il faudrait affronter, mais un malaise dans la civilisation. C’est précisément ce que Maurice Halbwachs redoutait, sans vouloir trop y croire, en 1930 : « Durkheim s’en tient à considérer l’affaiblissement des liens traditionnels qui en même temps, autrefois, enchaînaient et soutenaient les hommes. Telle serait la cause unique de l’accroissement des suicides, où nous reconnaîtrions alors non seulement un mal, mais un mal absolu. Car si ces traditions disparaissent, rien ne les remplace : la société ne gagne rien en échange. Les suicides ne sont pas la raison de quelque avantage. C’est pourquoi il faut pousser un cri d’alarme. Mais si les suicides, au contraire, augmentent surtout parce que la vie sociale se complique, et que les événements singuliers qui exposent au désespoir s’y multiplient, ils sont toujours un mal, mais peut-être un mal relatif. Il y a en effet une complication nécessaire qui est la condition d’une vie sociale plus riche et plus intense. »
Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Depuis le début de la semaine, on s’interroge sur le prochain roman de Giscard. Fiction ou roman à clef ? A qui donc s’adresse cette épigraphe « promesse tenue » ? A Lady Di ? A lui-même ? A sa femme[1. Non, là, je rigole.] ?
Il est plus amusant, pour le commun des mortels, de deviser sur l’éventuelle relation entre VGE et la princesse de Galles et de moquer son éventuel fantasme amoureux. Je n’y ai moi même pas échappé en paraphrasant Diana refusant de participer à une orgie à Chanonat : « Un Auvergnat, il en faut toujours un ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il peut y avoir des problèmes. »
Mais quand on se fait le devoir de tenir un carnet politique, il faut revenir à la politique. Et, dans ce livre à paraître, dont Le Figaro nous a relaté l’histoire, le fantasme le plus fou, le plus dément, le plus hilarant n’est pas amoureux ni même sexuel. Il est bel et bien politique. Imaginez que Giscard fait du héros principal un Président de la République réélu en 1981. Difficile d’éluder le fait que le Président qui se représente au suffrage des Français à cette date se nomme Valéry Giscard d’Estaing.
Giscard n’est pas surnommé ironiquement l’Ex par hasard. Il est à ce jour le seul Président de la République en exercice à s’être ramassé lors d’une élection présidentielle. Le Général de Gaulle fut réélu en 1965, François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. La mort a interrompu le premier mandat de Georges Pompidou et, pour le locataire actuel de l’Elysée, il faudra attendre encore trois ans. Bref, pour lui, c’est la honte. Même celui qu’il tient pour un grand con a été réélu triomphalement en Père de la Nation : Giscard ne parvient pas à cacher la souffrance et l’injustice qu’il vit et dont il pense être victime.
Alors, il se soigne. En écrivant un roman. Il n’est ni le premier ni le dernier à procéder de cette façon. Non seulement, cela coûte moins cher qu’un psy mais en plus, cela va lui rapporter un maximum. Franchement, il met le paquet, l’Ex ! Réélu avec 56 % des suffrages ! Et on s’interroge pour savoir si c’est une œuvre de fiction ? En partant sur cette base, il peut nous inventer n’importe quoi. Qu’il culbutait une princesse délaissée – c’est fait – mais aussi qu’il devint le premier homme à poser le pied sur Mars, qu’il réduisit spectaculairement inflation et chômage ou qu’il parvint à faire comprendre à la France que la Constitution européenne était un texte intelligible voire intelligent. La plus grande obsession, c’est tout de même bien que ce type puisse imaginer que son septennat ait pu donner envie aux Français de le réélire triomphalement. Parce que le fait que les hommes de pouvoir étaient dotés d’une libido largement au dessus de la moyenne et que leur position sociale pouvait avoir quelque effet sur leurs capacités de conclure, comme dirait Jean-Claude Dus, on savait déjà.
Reste à savoir si ce roman sera aussi mal écrit que Le Passage[2. Roman écrit par Giscard où le narrateur est un notaire, chasseur et fort bien cravaté, qui a une aventure avec une auto-stoppeuse. Les Guignols de l’Info imaginèrent une adaptation pornographique et invitèrent la marionnette de VGE à un faux journal du hard.] ou le traité constitutionnel européen[3. C’est mon obsession à moi.]. Peu importe. Il se vendra, et la fuite organisée ces jours-ci y sera pour quelque chose. Bien joué, l’éditeur. L’Ex peut ainsi faire la nique au grand con corrézien cité plus haut, lequel doit sortir ses mémoires au même moment. Quand j’écrivais qu’elle était là, son obsession !
La défaite de Farouk Hosni, candidat égyptien à la tête de l’Unesco, est un cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent aux lobbies, ces puissances occultes qui sont, comme chacun le sait, les véritables maîtres de notre monde. La première leçon est simple : de toute évidence le lobby sioniste est en perte de vitesse. Que ce soit sous les coups de boutoir d’un Dieudonné ou grâce à la vigilance citoyenne de gens comme vous et moi, on ne peut que constater que le soutien de Netanyahou (chef ex-officio du dit lobby) et de Sarkozy (à la tête de l’antenne locale) ne vaut pas grand-chose. Comme l’a tout de suite compris Mohammed Salmaoui, le perspicace président de l’Union des écrivains égyptiens, les sionistes n’y sont pour rien, c’est « le lobby juif », beaucoup plus fort, qui « a exercé énormément de pressions, a pris certains commentaires du ministre et les a placés hors contexte ». Cependant, l’AFP ne précise pas si M. Salmaoui a appelé Netanyahou pour le remercier de son soutien au candidat malheureux. S’il ne l’a pas fait, il n’est pas trop tard ! Face au lobby juif, Jérusalem et le Caire ont, certes, perdu cette fois-ci, mais leur alliance peut encore servir face à ses futures et sombres menées. La deuxième leçon est plus importante encore : un nouveau lobby vient de faire une foudroyante démonstration de force. La victoire surprenante d’Irina Bokova, élue hier à la tête de l’Unesco, ne peut pas s’expliquer autrement. Certains pensent que c’est Julia Kristeva qui tire les ficelles du nouveau lobby, d’autres soupçonnent Sylvie Vartan d’en être l’éminence grise, mais tous s’accordent : l’opération « Perkovic » pour la conquête de l’Unesco est la preuve éclatante de l’efficacité du « lobby bulgare ».
Le ministre de l’Identité nationale, Eric Besson, comme une mauvaise femme de ménage qui cache la poussière sous le tapis, a supervisé ce matin mardi 22 septembre une héroïque opération de police. Près de Calais, le camp sauvage où des réfugiés afghans, pakistanais et irakiens vivaient dans une zone de sables et de bouleaux sous des toiles de tentes et des baraques en tôle, appelée plaisamment la « jungle », a été démantelé. Dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, les CRS ont encerclé le camp, procédant d’après la préfecture à 278 interpellations dont 132 mineurs. On annonçait une population de plus de huit cents personnes dans la « jungle », mais celle-ci s’est égaillée dans la nature comme elle en a l’habitude depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte en 2002, qui se fit sans autre solution de remplacement. Mais qu’importe, le ministre Besson a virilement affirmé : « Il y aura d’autres démantèlements. » C’est bien, mais nous tenons à rappeler à Eric Besson que France Telecom, EDF-GDF, la SNCF et ces jours-ci La Poste ne sont pas, malgré les apparences, des camps de réfugiés mais des services publics.
Avec Tu ne m’aimeras point de Haim Tabakman, le cinéma israélien continue à sortir des sentiers rebattus du conflit moyen-oriental pour explorer les chemins tortueux de la sexualité. Après Kadosh de Amos Gitai, une caricature du monde ultra-orthodoxe, après Les Secrets de Avi Nesher qui traitait de la sexualité entre femmes, après My Father, My Lord de David Volach, qui évoquait l’épineux problème de la laïcité en Israël – et dont les manifestations, cet été, des Haredim, « les hommes en noir » contre l’ouverture d’un parking le samedi à Jérusalem montrent à quel point il est d’actualité – jamais le cinéma israélien n’était allé aussi loin dans son approche de la religion et du sexe.
Eyes wide open, le titre original de ce film subtil, troublant, voire gênant, fait référence à Eyes Wide Shut de Kubrick. Quelques semaines après les attentats perpétrés contre des homosexuels à Tel Aviv, Tu ne m’aimeras point rappelle une fois de plus les difficultés pour ces hommes de vivre pleinement leur vie dans les carcans d’une société trop religieuse, trop hiérarchisée, trop oppressante.
On est loin des cow boys secrètement amoureux de Brokeback Mountains de Ang Lee. Cette fois-ci, l’homosexualité s’invite en territoire encore plus hostile : la communauté juive orthodoxe de Jérusalem. Au programme : intolérance et drames intimes amoureux, sur un scénario un peu attendu, traînant parfois en longueur. Aaron, marié et père de quatre enfants est boucher dans la communauté juive de Jérusalem. À la mort de son père, il reprend la boucherie familiale et embauche un jeune homme, Ezri, qui sera l’ange de la tentation. L’amour nait. La tragédie est en marche.
L’intérêt du film ne réside pas dans cette énième histoire d’un amour interdit, mais dans la façon dont ces deux hommes voient leur amour naître, grandir et dépérir, au cœur d’une communauté montrée sans cliché et dans toute sa complexité.
Comment concilier l’amour de Dieu et l’amour des hommes ? Vieille question dont Augustin avait compris toute la complexité. Faut-il renoncer à l’amour de Dieu pour une relation charnelle ? Comment faire cohabiter une religion qui se revendique humaine et aimante (« tu aimeras ton prochain comme toi-même ») avec son refus d’accepter l’amour du même sexe ?
Doit-on renoncer à l’être aimé et à son épanouissement ou doit-on vivre sa vie en conformité avec sa foi et son existence dans l’usurpation ? Pourquoi faut-il choisir ? Ces questions sans réponses constituent la trame cachée de Tu ne m’aimeras point.
Pour les juifs orthodoxes, l’homosexualité n’existe que comme une tentation une faute, un crime.Or, pour Aaron et Ezri, amour charnel et amour de Dieu restent indissolublement liés. À aucun moment les deux amants, malgré leur souffrance, ne pensent à quitter leur communauté. Mais si chacun est sincère dans son amour et dans sa foi, le film révèle la limite au-delà de laquelle ces deux logiques sont inconciliables. Reste une seule alternative : se soumettre ou disparaitre. L’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est donc vécue comme une épreuve censée les ramener vers davantage de spiritualité.
Dans ce contexte, le paradoxe des haredim se révèle pleinement. D’une part, la communauté est soudée par un sentiment de fraternité, de solidarité et de confiance – on n’est jamais seul, chacun s’occupe de chacun. Mais cette sollicitude bienveillante est aussi un redoutable instrument de contrôle social. Dans cette « communauté réduite aux aguets », surveiller et punir pourrait être érigé comme la 614e prescription du talmud. Dans un monde clos, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, il faut se méfier de celui qui trouble l’ordre.
Mais que faire, alors, de l’amour et surtout du désir ? Chez les orthodoxes, celui-ci est méprisé, ignoré. La seule chose prescription est de satisfaire les besoins de sa femme, selon un rituel bien codifié, dans le seul but de procréer.
Le boucher Fleishman (dont le nom, au sens étymologique signifie « l’homme de la chair ») qui doit rendre consommable la viande impure, est bien forcé de faire avec cette chair animale. Mais il ne sait pas faire avec la sienne et moins encore avec celle d’un autre homme.
Pour autant, Tabakman ne fait pas le procès à charge du judaïsme orthodoxe : l’amour de Rivka, l’épouse d’Aaron, empreint de pudeur et de tendresse, n’est-il pas au fond plus puissant dans sa dimension spirituelle ? Certes, la dimension érotique est totalement absente du mariage mais celui-ci reste un engagement profond et fondamental et c’est ce qui donne à cette épouse la force de surmonter sa souffrance.
On a évidemment envie de condamner sans appel cette religion qui répudie le désir et le sexe. Mais tout l’intérêt du film et qu’il ne juge pas et n’invite pas à juger mais à comprendre. Au final, en effet, l’homme y est dépeint comme fondamentalement libre : il choisit son mode vie, il choisit sa vie. Il choisit son amour. Il devient lui-même. Même la prison la plus farouchement garde ne peut résister lorsque le désir s’abat sur ses proies.
Alors, on se demande si le 11e commandement devrait être « Tu ne m’aimeras point » ou « Tu aimeras à perdre la raison ».
La Caisse des dépôts et consignations vient d’indiquer que le livret A, qui est le moyen d’épargne préféré des classes populaires, a connu une « décollecte » de 1,33 milliard d’euros au mois de juillet et que le solde entre retraits et dépôts s’équilibrent à peine après la flambée qui suivit la généralisation de ce livret à tout le réseau bancaire. Il faut dire qu’entre temps, le taux de rémunération de ce placement a été ramené de 2,5 % à 1,75 % en mai, puis de 1,75 % à 1,25 % en août. Vous avez compris, les pauvres ? Vous n’êtes pas des traders, vous, pas question de faire de l’argent avec de l’argent. Mais consolez-vous, si le livret A ne vaut plus rien, le virus de la grippe du même nom semble, d’après une déclaration de l’OMS ne pas avoir muté et rester relativement anodin. Pauvres, mais pas malades, donc… De quoi vous plaignez-vous ?
Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon a récupéré cette année l’organisation du « Forum Libération » que son camarade du PS et rival régional Michel Destot, député-maire de Grenoble, a laissé filer dans la capitale des Gaules pour des raisons budgétaires.
Ce grand raout intellectuel, politique et mondain ressemble à une grande foire aux discours et aux idées où le bon peuple est invité à venir admirer et consommer ce qui se fait de mieux dans le genre.
Ce n’est pas désagréable de flâner de débat en débat, quand le temps est beau, le cadre somptueux (l’Hôtel de ville et l’Opéra de Lyon). On est, de surcroît, assuré de trouver dans un rayon de moins de cinq cents mètres une tripotée de restaurants dont certains, dont je tairai le nom pour ne pas les signaler aux touristes, méritent vraiment l’appellation de bouchon lyonnais, souvent usurpée.
Bref, grâces soient rendues à Gégé Collomb de se faire l’amphitryon (le véritable, celui où l’on dîne) d’une manifestation dont il espère, sans doute, des retombées positives pour sa ville et la suite de sa carrière politique. En fait de foire, celle-ci serait plutôt du genre brocante et vide-grenier, où l’on peut chiner sa pâture intellectuelle parmi les stands présentant des thématiques ayant déjà dans un passé récent ou plus lointain fait l’objet de controverses intellectuelles et politiques. On pardonnera donc au quotidien de la rue Béranger de nous avoir fourgué comme une avant-première une projection du film Le neuvième jour de Volker Schlöndorff, tourné en 2004 et diffusé sur Arte en avril 2007… Dans toute brocante on peut trouver quelques arnaqueurs, mais cela n’enlève rien au plaisir du chineur. Si l’on ajoute les pipoles du moment, Fréderic Mitterrand, Nicolas Hulot, Dany Cohn-Bendit que les badauds sont ravis de voir en chair et en os, on a tous les ingrédients d’un week-end réussi.
Le thème choisi cette année, « l’Europe vingt ans après la chute du mur de Berlin », permettait toutes les variations et supportait fort bien que l’on sacrifiât à la marotte du patron de Libé, Laurent Joffrin – se faire l’entremetteur d’une alliance de la gauche, des Verts et du centre.
Tout l’éventail socialiste avait été convié, de Martine Aubry à Vincent Peillon, en passant par Valls et Hollande, pour faire avancer ce rassemblement en dialoguant avec Cohn-Bendit et Bayrou sous le regard bienveillant d’un Gérard Collomb bien revenu de son enthousiasme ségoléniste. Las, ce qui devait être le coup d’envoi d’une nouvelle alliance visant à bouter Sarko hors de l’Elysée, se résuma à une guignolade qui devrait réjouir les partisans du maintien à son poste de l’actuel président de la République. Normal, dira-t-on, dans une ville dont Guignol et ses partenaires du café du Soleil sont les icônes d’une lyonitude fièrement assumée et revendiquée. Mais cela serait faire injure à Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, et à ceux qui, comme Emilie Valantin[1. Emilie Valantin dirige la compagnie du Théâtre du Furs, qui met en scène des spectacles de marionnettes, dont des reprises de saynettes écrites pour Guignol par Laurent Mourguet. Elle fut chargée, en 2008, de célébrer le 200e anniversaire de la naissance de Guignol avec un spectacle Les embiernes commencent, présenté au Théâtre des Célestins à Lyon. Pour les non-familiers du parler des gones, les embiernes sont la version lyonnaise des emmerdes.], s’efforcent de perpétuer la tradition frondeuse des marionnettes du Vieux Lyon, que de les comparer au spectacle offert en cette fin septembre par les camarades socialistes dans la cité rhodanienne.
Le premier acte prévoyait, dès le lever du rideau, de faire dialoguer Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit sur la scène de l’Opéra rénové par Jean Nouvel. Esthétiquement, c’était assez osé : Titine la rose et Dany le Vert sur le fond noir de jais de la grande salle. Mais la dramaturgie était là : on aurait vu un Dany magnanime offrir à Martine la présidence de la République à un socialiste, à condition que celui-ci lui convienne et qu’il accepte, dans la famille, un Bayrou auquel cette belle âme de Dany a pardonné les offenses de la campagne des européennes.
Martine Aubry, qui n’est pas la moitié d’une andouille, avait flairé le piège et s’est décommandée au dernier moment, envoyant à sa place le tonton-flingueur Claude Bartolone pour donner la réplique au rouquin. Pendant ce temps-là, Martine Aubry se faisait un restau entre filles avec Cécile Duflot, la cheffe des Verts français, pour tenter d’enfoncer un coin entre cette dernière et le remuant leader d’Europe-écologie.
Dépité, Cohn-Bendit eut beau vanner à mort ce pauvre Bartolone, celui-ci ne démordit pas une seule seconde de son os stratégique : d’abord l’union de la gauche à l’ancienne avec PC, radicaux, verts, chevènementistes et amis de Mélenchon, et après on verra ce qu’on fait avec le Modem et Bayrou. Bartolone se propose même de rassembler tout ce petit monde au sommet de l’Aiguille du Midi, un endroit symbolique pour prendre de la hauteur et échapper au marécage dans lequel pataugent actuellement la gauche et le PS. Et pas question de mettre Bayrou dans la benne du téléphérique qui portera l’illustre compagnie jusqu’à ce sommet tout aussi réel que métaphorique, même si Dany le prend sous son aile.
Le deuxième acte, en revanche, se déroula comme prévu. Sous un chapiteau planté sur la place des Terreaux, sous l’œil bienveillant du bon roi Henri IV, dont l’effigie en cavalier orne la façade de l’Hôtel de Ville, l’autre Béarnais, François Bayrou, disait son texte et François Hollande lui donnait la réplique. D’accord pour un « parlement de l’alternance », pour discuter des alliances pour les régionales et mise entre parenthèses de l’élection présidentielle, le duo Hollande-Bayrou était nettement plus harmonieux que la cacophonie Cohn-Bendit-Bartolone. Peut-être Hollande souffre-t-il du mal des montagnes, toujours est-il qu’il ne fit aucune allusion à l’excursion projetée à l’aiguille du Midi et se permit même de mettre en garde François Bayrou contre certains des « camarades » conviés à y participer : « Je suis beaucoup moins ouvert que François Bayrou, qui est prêt à aller jusqu’à M. Mélenchon ou M. Besancenot. Pas moi. Peut-être parce que je les connais mieux que lui ! », a ainsi lancé monsieur p’tites blagues, qui se voit tout à fait remplacer son ex-compagne dans le cœur des barons locaux style Collomb : ceux-ci préfèrent mille fois les cathos du Modem aux braillards gauchistes dans les exécutifs qu’ils dirigent.
On imagine la perplexité du peuple de gauche qui était accouru fort nombreux vers un spectacle où il espérait puiser un réconfort après les dernières péripéties crapoteuses de la guerre des chefs au PS…
Vincent Peillon s’étant également fait porter pâle et Ségolène Royal ayant choisi Frêche et Montpellier plutôt que Lyon et Collomb pour y célébrer la fraternitude, il ne restait plus que quelques second violons, comme Aurélie Filipetti, Manuel Valls ou Élisabeth Guigou pour sauver la pièce. Ce qui échoua, bien entendu, malgré leurs efforts méritoires. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’il semble que les socialistes, dans les scrutins locaux, ne souffrent pas trop de leurs déboires théâtraux sur la scène nationale, ce qui convient tout à fait à Gégé et ses copains des autres provinces. Socialiste à l’Elysée, veste assurée : tel est le dicton caché de ces maires, présidents de régions et de conseils généraux PS qui œuvrent dans notre beau pays de France.
Rarement une critique littéraire aura fait couler autant d’encre aussi vite. Il est vrai que le savoureux compte-rendu fait par Etienne de Montéty dans Le Figaro du roman à paraître de VGE « la Princesse et le président » ne se bornait pas à des considérations stylistiques : depuis ce matin, tout le monde conjecture sur la liaison supposée entre celui qui était alors chef de l’Etat et Lady Diana. Vrai ou faux ? Pure fiction ou réalité transposée ? Allez savoir. Une chose est sûre, le buzz est monumental et, du coup, on imagine que le public français fera meilleur accueil à cet ouvrage de VGE qu’au précédent, à savoir le Traité Constitutionnel Européen.
L’autre jour, j’ai pu donner l’impression au lecteur pressé que je daubais sur Libé, sans doute à cause du titre et du sujet de mon papier. En vérité, sous prétexte de commenter la « nouvelle formule » du quotidien, je me livrais là à mon exercice favori: pointer les contradictions, notamment chez les autres.
Emporté par mon sujet, un peu comme VGE dans Démocratie française, j’ai même dit une connerie[1. Enfin, moi c’est comme lui : on nous a mal compris.]. Non Libé n’est pas plus mal écrit que ses concurrents. Il peut même être carrément bon, dès qu’il ne se sent pas contraint d’être « citoyen ».
Ainsi dans le supplément « Livres » de jeudi dernier, mon attention a-t-elle été attirée par un papier sur La barque silencieuse de Pascal Quignard – tome 6, paraît-il, d’une saga intitulée Dernier royaume.
Pour des raisons qui m’échappent, j’avais zappé les cinq premières marches de ce monument en construction. En revanche, j’avais entrevu plusieurs fois l’auteur dans des zoos littéraires télévisés, et je m’étais dit : « Le mec est raide dingue ! »
Des yeux fous ouverts sur l’abîme, mangeant un visage lisse ; un type qui fait peur même quand il ne dit rien, mais qui en plus te mélange dans la même phrase le procès de l’Eglise et l’éloge du suicide – comme si c’était Benoît XVI qui l’égorgeait.
Un dément, pensais-je donc, en voyant ce Quignard s’agiter comme une bête traquée par elle-même. Un possédé qui, à ce titre, mérite ma compassion.
Et paf ! Voilà que dans Libé, Philippe Lançon – car c’était lui – m’ôte mes dernières illusions. Non, Pascal Quignard n’est pas le ouf malade que je voyais : plutôt « une précieuse que personne n’a l’air de trouver ridicule ».
Bonne nouvelle, somme toute : ce best-seller humain ne risque pas d’être arraché prématurément à l’affection de ses éditeurs[2. Je sais, s’il meurt dans la semaine, j’aurai l’air con ; mais c’est ça le journalisme, non ?]. Quignard n’est pas fou du tout, il se fout de nous, et c’est pour ça qu’on l’aime !
Bonne nouvelle à vérifier, quand même. Ma conscience profesisonnelle est célèbre jusqu’à l’ouest des Pecos : pas question pour moi de répéter un truc sans être bien sûr de l’avoir lu dans les journaux ou entendu à la télé ! Mais pas question non plus de monter dans cette Barque silencieuse remplie, si j’ai bien compris, d’enfants morts, de petits oiseaux et de bulots à l’ail.
C’est Lançon qui révèle la recette secrète de la quignardise : « En dire le moins possible à propos des choses les plus insolites possibles, pour séduire le plus possible. » Et encore : « Quignard semble dire : je ne suis pas de ce monde – mais pour l’attirer. »
De la méchanceté comme je l’aime : classieuse et pointue. De quoi me réconcilier avec Libé et la critique littéraire. Si celle-ci a une raison d’être, c’est du moins celle-là[3. La tournure est élégante, n’est-ce pas ?] : nous faire comprendre pourquoi tel écrivain nous gonfle – ou nous gonflera.
Je conçois aussi que c’est dur parfois de mettre un an à pondre un œuf aussitôt « cassé » par des Brice de Nice de la critique. Mais je suis pas ministre non plus ; je suis juste là pour donner mon avis sur tout, euh, un peu comme François de Closets[4. Irresponsable, c’est ça, je cherchais le mot !]…
Ce dimanche, sur BFM-TV, Arnaud Montebourg, interrogé sur le procès Clearstream, s’est livré à un vibrant – mais surprenant – plaidoyer en faveur de DDV : « Il est inadmissible et scandaleux qu’un président de la République fasse pression sur la Justice, dont il est censé être le garant, à l’intérieur de l’enceinte d’un tribunal, quand il va demander à travers ses avocats d’éliminer son principal adversaire politique », a-t-il notamment déclaré. Ah bon ? Le « principal adversaire politique » de Sarkozy, c’est plus Martine Aubry ?
Crise dans la société. Pour comprendre le suicide, relisons Durkheim et Halbwachs.
Crise dans la société. Pour comprendre le suicide, relisons Durkheim et Halbwachs.
« Grand et monstrueux » : voilà ce qu’écrit Goethe, à la fin de sa vie, de son premier roman, Les Souffrances du jeune Werther. Lorsque paraît le livre en 1774, l’Allemagne est prise d’une fièvre inouïe : on s’habille comme les personnages du roman, on se comporte comme eux et l’on en vient naturellement à imiter Werther : les suicides frappent la jeunesse allemande comme une épidémie. La fièvre werthérienne est telle que le roman est retiré des librairies.
Si l’on s’en tient aux apparences, la conclusion s’impose : il existe des livres qui tuent. De Final Exit à Suicide mode d’emploi, le thème connaîtra une fortune diverse et le réalisateur japonais Hideo Nakata ira même jusqu’à la transposer en 1998 dans son film, The Ring.
Seulement, les choses sont un peu plus complexes que les apparences. Les Souffrances du jeune Werther sont un roman particulier. Tous les ingrédients du succès sont réunis : comme les deux autres best-sellers du XVIIIe siècle (Les Lettres portugaises et La Nouvelle Héloïse), Werther est un roman épistolaire. Il rompt avec la rationalité propre au siècle pour rétablir dans ses droits l’ordre de la sensibilité (Empfindsamkeit) : les lecteurs n’attendaient que ça et Goethe peut expliquer son propre succès en écrivant que « ce petit livre est arrivé au bon moment ». Plus qu’un événement littéraire, Werther devient un phénomène de société : l’Allemagne tout entière ne parle plus que de ce roman, il alimente toutes les conversations, rien d’autre ne semble plus exister que l’amour malheureux de Werther pour Lotte et le suicide du jeune homme.
Goethe n’a pas incité ses lecteurs à se donner la mort. Il a simplement réhabilité le suicide dans le champ des possibles. Il l’a remis au goût du jour (celui des années 1774), en accréditant l’idée que la mort volontaire entrait dans la normalité. Une fois levé le tabou du suicide, rien n’interdit plus à l’individu d’en finir, ni la morale, ni la religion, ni l’ordre juridico-politique. Le suicidaire est désinhibé. Il peut passer à l’acte.
Au début des années 1970, la psychologie sociale a théorisé ce phénomène sous le nom d’effet Werther : la médiatisation d’un suicide entraine, dans les semaines qui suivent, une hausse significative du nombre de suicides. C’est ainsi que le 18 septembre, Jean-François Legrand, président du Conseil général de la Manche, annonçait que six producteurs laitiers de son département s’étaient donnés la mort ces quatre derniers mois. Pas à cause de France Télécom, bien sûr, mais à cause de la crise de la filière laitière. Pas une mode, on vous dit. Une épidémie[1. Employé par Denis Lombard, pdg de France Télécom, le terme « mode » n’est pas si inconvenant que cela. L’effet Werther a les mêmes caractères que la « mode » : il fixe pour le suicidaire ce qu’est la normalité dans une période donnée.].
L’Organisation mondiale de la santé prend, quant à elle, l’effet Werther au sérieux. Son département de santé mentale et toxicomanies publiait ainsi en 2002 des recommandations à destination des médias. La prudence des spécialistes est telle qu’ils prient les journaux de ne pas consacrer leur première page à un suicide, de ne pas publier la lettre laissée par une personne suicidée, de ne pas le réduire à une seule cause, de ne pas parler « d’épidémie de suicides », de ne pas « présenter le suicide comme une méthode employée pour trouver une solution à ses problèmes personnels ». De même, « on ne doit pas rapporter un comportement suicidaire comme une réponse compréhensible aux changements sociaux et culturels ou à une récession ». Enfin, « la glorification des suicidés, présentés comme martyres et comme objets de l’adulation du public, peut suggérer aux personnes sensibles que la société dans laquelle elles vivent rend honneur au comportement suicidaire ».
Visiblement, les recommandations de l’OMS ne sont pas parvenues jusqu’aux oreilles des médias français : si l’on se suicide depuis dix-neuf mois à France Télécom, c’est uniquement parce que le groupe se restructure et que les employés sont gagnés par le stress. Le malaise social ou la mort : il n’y a pas d’autre choix !
Cette semaine, Paris Match s’est même distingué de tous ses autres confrères en consacrant un reportage à la 23e suicidée du groupe, publiant le courriel d’adieu envoyé à son père et établissant une relation de cause à effet entre ses difficultés au bureau et son suicide. Or, cet article laisse entrevoir que cette jeune fille avait, dans la vie, d’autres difficultés que celles qu’elle éprouvait sur son lieu de travail : le deuil de sa mère, l’absence de petit ami, la boulimie. Est-ce que ce sont des souffrances existentielles moindres que le stress lié au travail ? Evidemment que non. Il n’y a jamais une seule cause au suicide.
Il serait, d’ailleurs, assez simpliste de vouloir expliquer par une seule cause des réalités humaines aussi complexes que celles qui poussent un homme à consentir à sa mort. Ce que nous prenons pour des causes ne sont bien souvent que des occasions. En 1930, dans l’introduction aux Causes du suicide, Maurice Halbwachs le résume métaphoriquement : « L’individu que rien ne rattache plus à la vie trouvera, de toute manière, une raison d’en finir : mais ce n’est pas une raison qui explique son suicide. De même, lorsqu’on sort d’une maison qui a plusieurs issues, la porte par laquelle on passe n’est pas la cause de notre sortie. Il fallait d’abord que nous ayons le désir au moins obscur de sortir. Une porte s’est ouverte devant nous, mais, si elle eût été fermée, nous pouvions toujours en ouvrir une autre. »
Ce que Durkheim et, à sa suite, Halbwachs nous ont appris, c’est que le suicide est un produit de la réalité sociale elle-même. En 1897, dans son essai majeur, Le Suicide, Durkheim écrivait que le suicide ne représente pas une somme d’états individuels, mais que « chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires ». Il poursuivait : « Le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration de la société religieuse, de la société domestique ou de la famille, et de la société politique ou de la nation. »
Le nombre de suicides rencontrés parmi les salariés de France Télécom au cours des dix-neuf derniers mois traduit une réalité sociale qui excède le simple cadre de cette entreprise : si l’on considère l’ensemble de la population active française en 2002, le taux de suicide est de 22,8 pour 100 000 (source : Inserm), c’est-à-dire un taux légèrement supérieur à celui constaté à France Télécom. Les plus cyniques statisticiens pourraient en conclure que l’on se suicide moins dans cette entreprise que dans l’ensemble de la société française. Mais cela n’aurait, évidemment, aucun sens[2. Il faudrait que les 100 000 salariés de France Télécom soient un groupe comparable à la population française active. Ainsi le personnel de France Télécom devrait-il présenter un taux de chômage comparable au reste de la population active – ce qui n’est évidemment pas le cas.].
Or, notre représentation collective du suicide, telle qu’elle est aujourd’hui véhiculée par la presse, est diamétralement opposée à l’analyse durkheimienne. Le suicidaire nous est présenté comme un nouveau Socrate, un individu auquel il ne reste plus que la mort comme issue et qui se contraint à avaler lui-même la cigüe. Fini le combat, l’engagement ou la lutte syndicale : suicidez-vous, Folleville !
Et si ça n’était pas vrai ? Et si l’on se suicidait parce que toutes les formes sociales traditionnelles (religion, parti, famille, nation) avaient disparu sans rien nous laisser d’autre que nos malheureux petits boulots ? Et si nos sociétés anonymes ne pouvaient jamais remplacer la société ? Et si le travail ne pouvait jamais remplacer la famille ni la patrie, dans l’ordre des allégeances identitaires ? Ce n’est pas le malaise au sein d’une société qu’il faudrait affronter, mais un malaise dans la civilisation. C’est précisément ce que Maurice Halbwachs redoutait, sans vouloir trop y croire, en 1930 : « Durkheim s’en tient à considérer l’affaiblissement des liens traditionnels qui en même temps, autrefois, enchaînaient et soutenaient les hommes. Telle serait la cause unique de l’accroissement des suicides, où nous reconnaîtrions alors non seulement un mal, mais un mal absolu. Car si ces traditions disparaissent, rien ne les remplace : la société ne gagne rien en échange. Les suicides ne sont pas la raison de quelque avantage. C’est pourquoi il faut pousser un cri d’alarme. Mais si les suicides, au contraire, augmentent surtout parce que la vie sociale se complique, et que les événements singuliers qui exposent au désespoir s’y multiplient, ils sont toujours un mal, mais peut-être un mal relatif. Il y a en effet une complication nécessaire qui est la condition d’une vie sociale plus riche et plus intense. »