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Il était une fois Denis Robert

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Il y a quelques années, il était David défiant les puissances de l’argent, qui sauvait l’honneur des journalistes et incarnait l’avenir de la démocratie. On pétitionnait pour lui avec le petit frisson de qui plonge sans bouée dans le grand bain de la radicalité, parfois on envoyait un don au comité de soutien. Défendre Denis Robert, c’était faire partie de ceux à qui on ne la fait pas – et de ceux qui, d’Eva Joly à Arnaud Montebourg et Olivier Besancenot, allaient la faire, la révolution morale. Dans les cuisines de la gauche radicale, les spécialistes habituels de la ritournelle complotiste et antilibérale, qui adorent croire que les grands de ce monde se réunissent secrètement pour trouver les bons moyens d’asservir les esprits, étaient ravis d’avoir un Galilée prêt à brûler (mais pas trop chaud, s’il vous plait) pour la vérité. Mais le chevalier qui venait du froid (quelque part à l’est de la France, là où le climat trempe les caractères) a aussi su s’attirer les bonnes grâces des dames patronnesses de Télérama et de beaucoup d’autres.

On comprend donc que Denis Robert, après avoir été le Jean Moulin de la résistance contre les mafias et l’argent, n’apprécie guère d’être qualifié de second couteau dans le procès Clearstream. Avec le mélange de jubilation victimaire et de forfanterie naïve qui le caractérise, il tente vaguement de rappeler que, sans lui, rien de tout cela ne serait arrivé et que le peuple français serait privé d’un formidable spectacle. Et le pire, c’est que c’est vrai. Dans une tragédie grecque, il aurait été l’agent inconscient de dieux énervés, aujourd’hui on parlerait d’idiot utile. En tout cas, sans l’alliance objective de Denis Robert et de tous ceux qui l’ont cru, il n’y aurait pas eu d’affaire Clearstream. Sans Clearstream I, point de Clearstream II. Pour que quelqu’un ait l’idée de voler puis de trafiquer les fichiers, il fallait bien que l’opinion, et peut-être même le voleur et le faussaire, fussent convaincus qu’ils recélaient les secrets malodorants des mafias, des industries d’armement et de la République. Bref, il fallait avoir admis comme vérité révélée les « révélations » de Denis Robert.

Seulement, Clearstream I n’intéresse plus personne. Une vieille histoire, presque dix ans, vous pensez. D’abord, c’est Clearstream II que l’on juge aujourd’hui ; les protagonistes sont plus flamboyants, les dialogues mieux écrits. Reste qu’il est assez rigolo de se rappeler que ce scandale d’État, cette guerre dans l’Olympe du pouvoir, s’est déployé sur la base d’un récit dont rien, jusqu’à aujourd’hui, n’a prouvé qu’il était vrai.

En 2001, donc, Denis Robert publie Révélations, co-écrit avec un ancien employé de la chambre de compensations. Décidé à tout sacrifier, y compris sa carrière (qui connaissait des hauts et des bas, mais qui n’en a pas ?), le fin limier est tombé sur le centre mondial du blanchiment. La preuve : il existe des comptes non publiés (comme dans n’importe quelle banque, y compris celle de vous et moi) qui, par glissements sémantiques, deviennent des comptes dissimulés puis occultes. Une fois qu’on a collé sur le livre le sticker « investigation », c’est indiscutable. Peu importe que Clearstream gagne la plupart de ses procès en diffamation. Quand cette histoire de méchants planétaires se pimente, en plus, d’un volet français remontant au plus haut sommet de l’État, dans certaines rédactions, c’est l’euphorie. Il faut reconnaître que Le Monde ne marche pas dans la combine. Mais Le Monde n’est plus ce qu’il était, il a cessé de faire l’opinion.

Imaginons la suite à partir des éléments connus. À Clearstream, on commande le fameux audit qui permettra à un benêt de dérober les listings. Les échos du scandale parviennent, dans la prison où il purge une peine pour escroquerie, à Imad Lahoud, dont le cerveau fertile imagine qu’il trouvera dans cette histoire de quoi abattre ses puissants ennemis et, par ricochet, à Jean-Louis Gergorin. Lorsqu’il fait part de ses élucubrations à Denis Robert, celui-ci y trouve la confirmation de ses propres théories, autant dire une preuve. « Un cadeau de Noël en plein été », écrira-t-il. En somme, notre limier se fait enfumer par un type qui lui apporte, une fois remâchées, ses propres conclusions. Et qui finira par lui « vendre » ses propres fichiers trafiqués.

Tour à tour acteur et chroniqueur, victime et expert, Robert ressort régulièrement tel le diablotin de sa boîte ou, si on veut être aimable, le coryphée de la tragédie. Il connaît tous les acteurs, est l’ami du juge Van Ruymbeke. C’est lui qui présente Florian Bourges (le voleur présumé) à Imad Lahoud (le faussaire présumé). De loin, on entrevoit un petit monde où la dinguerie des uns nourrit la mythomanie des autres. Le plus étonnant est que Denis Robert semble croire au monde fantasmagorique qu’il a inventé. Aujourd’hui, il continue à proclamer, sans jamais l’avoir prouvé, que Clearstream est « le poumon de la finance parallèle ». On me dira qu’il n’est pas très grave qu’un type un peu habité soit convaincu d’avoir débusqué une machination planétaire. Qu’il ait réussi à convaincre d’estimables journalistes du bienfondé de ses théories pourrait sembler un peu plus fâcheux. Mais personne n’a jamais dit qu’on faisait une bonne histoire avec la vérité.

Une affaire personnelle

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Le sanglot de l’homme rouge

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Si l’on excepte le racisme institutionnel récemment incarné par l’Auvergnat Hortefeux, le racisme n’existe pas en France. Ou presque. Car il ne suffit pas de crier au loup pour en voir la queue. Les Verts de l’heureuse cité de Bagnolet en Seine-Saint-Denis, qui avaient cru apercevoir au coin d’un blog la figure de la bête immonde revêtue de nouveaux et surprenants oripeaux, l’ont récemment appris à leurs dépens. En effet, alors qu’ils s’étonnaient que Marc Everbecq, le maire communiste de cette charmante bourgade, ait pu laisser écrire et même défendre, sur son propre blog, des propos aussi aimables et aussi joliment tournés que « Un jour on sera suffisamment et la on verra bien qui repoussera les autres a la mer », signé Yazig, ou encore, « Merci le maire vous soutener les musulmans c bien, vous inquieter pas un jour inch allah la france sera musulman et yora plu de probléme avec la police passe que elle sera auci musulman », signé Karmide, le maire, bon prince, s’est fendu à l’intention de son opposition écologiste d’une explication de texte qui lève toute ambiguïté éventuelle quant à la nature des interventions en question : « Ne voyez vous pas qu’il s’agit juste d’un séjour à la plage. Et puis des grands garçons comme vous, cela ne devrait pas avoir peur de l’eau. Vous avez dû apprendre à nager à la piscine quand vous étiez petit. Cela fait déjà une sacrée différence avec tous ceux qui se noient dans le détroit de Gibraltar parce qu’ils ne savent pas nager et qu’ils fuient la misère que des décennies de colonialisme ont engendré dans toute l’Afrique. Souvenez-vous : le temps béni des colonies. » La France n’est pas raciste, on vous dit, elle plaisante.

Calais-Texas

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besson

Le désert à la frontière entre le Mexique et les USA. Un camp, moitié bidonville de toiles et de tôles, à proximité d’une petite ville. C’est le matin. Soudain, on entend un bruit dans le lointain. Des dizaines de 4×4, sirènes hurlantes, cernent le camp. Des garde-frontières avec des matraques jaillissent des véhicules. Des centaines de personnes sont tabassées ou arrêtées. Une heure plus tard, dans un bureau, un homme au visage tuméfié répond à un policier.
– Comment tu t’appelles ?
– Eric Besson.
– Eric Besson, Monsieur l’agent.
– Pardon ?
– Quand tu me parles, tu dis « Monsieur l’agent ».
– Oui, Monsieur l’agent.
– T’es français ?
– Oui.
– T’as des papiers pour le prouver ?
– Non, je n’ai plus rien.
– Je vois ça. T’es sale comme un peigne et tu pues !
– Bah, ça fait deux mois que j’attends dans ce campement de la frontière mexicaine. On n’a qu’un point d’eau et puis presque rien à bouffer. Heureusement que des gens nous donnent à manger parfois. Des bénévoles…
– Tu crois que je le sais pas, peut-être ? Ça fait des mois que vous nous pourrissez le secteur. Par contre, qu’il y ait des Français, c’est nouveau. D’habitude, c’est plutôt des Mexicains ou des Salvadoriens, mais des Français, ça, c’est la première fois que j’en vois. Qu’est-ce que t’as sur la gueule ?
– J’ai pris un coup de matraque sur la tronche, Monsieur l’agent. Vous n’y avez pas été de main morte…
– Tu insinues quoi, bouffeur de grenouilles ? Que la police d’un grand pays démocratique comme le nôtre se permettrait de maltraiter des sans-papiers comme toi, mon gars ? Et tu prétends entrer aux USA ? Pourquoi t’as quitté la France, d’ailleurs ?
– Bah, la Gauche a gagné, Monsieur l’agent. Et puis pas n’importe laquelle…
– Qu’est-ce tu veux dire, le Frenchie ?
– Oh des furieux, des vrais marxistes. Pire que Chavez. Le Front de Gauche que ça s’appelle. Depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est l’horreur. Ils ont renationalisé à 100 % EDF-GDF, France-Télécom, la SNCF, la Poste et puis, dans la foulée, ils ont pris le contrôle des banques. Ils ont mis un salaire minimum à 2000 euros, ils filent des papiers à tout le monde, ils construisent des hôpitaux et des écoles partout, ils financent la sécu, la semaine de quatre jours et la retraite à 55 ans avec des taxes sur les flux financiers : un vrai cauchemar ! Ils ont arrêté tous les spéculateurs, les dirigeants du Medef et du CAC 40. Le pire, c’est que ça suit partout en Europe, en Allemagne avec Die Linke, en Italie, avec Rifondazione. Affreux, Monsieur l’agent, affreux…
– Ouais, je comprends. Tu veux un statut de réfugié politique, alors ?
– C’est ça, Monsieur l’agent.
– Tu faisais quoi, comme métier dans ton pays ?
– J’étais ministre, Monsieur l’agent.
– Ministre de quoi ?
– Ministre des Affaires raci…, euh, excusez-moi, ministre de l’Identité nationale.
– Et ça consistait en quoi ?
– Bah… à savoir qui était français et qui ne l’était pas, Monsieur l’agent. On contrôlait au faciès dans le métro, on leur demandait de s’inscrire en préfecture et puis on les chopait juste après. J’étais bon, dans mon genre…
– Et en dehors de ça, tu sais faire quoi ?
– Trahir, Monsieur l’agent. Ça, je sais très bien trahir ! C’est pour ça que l’ancien président m’aimait bien. Parce que lui aussi, question traîtrise, c’était un bon.
– Eh bien, prouve-le, Frenchie.
Eric Besson réfléchit, puis se penche vers le policier et parle à voix basse.
– Eh bien par exemple, Monsieur l’agent, dans le camp, avec nous, y’a un ancien gauchiste. Il fait semblant d’être libéral, mais c’est faux..
– Et comment y s’appelle ?
– Cohn-Bendit, Monsieur l’agent.
– Ok. On verra ça. Allez, tu peux sortir.
Le policier s’adresse à un collègue qui tient la porte.
– C’est qui le suivant ?
– Oh ! encore un de ces Français avec un nom impossible…
Il regarde une feuille.
– Brice Hortefeux… Oui, c’est ça : Brice Hortefeux.

Royal Tobin

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D’après un confidentiel du Figaro, madame Ségolène Royal s’est prononcée pour la taxe Tobin, ce qui en a surpris plus d’un dans son entourage plutôt habitué à des choix économiques de type social-libéral, voire franchement blairiste. Espère-t-elle par cette annonce renforcer une cote d’amour terriblement entamée auprès de la gauche du parti ? Ou veut-elle, plus prosaïquement, récupérer un peu d’argent sur la somme faramineuse que lui a facturée son compagnon, concepteur inénarrable du site royaliste Désirs d’Avenir, lequel ressemble à une publicité suisse pour le suicide assisté dans la dignité. Dans ce cas, il serait bien que quelqu’un rappelle à notre Eva Peron du Poitou que la taxe Tobin, au cas où elle serait appliquée, serait prélevée sur les flux financiers et pas sur les catastrophes esthétiques, les dépenses hasardeuses et le ridicule politique.

Quand la Halde doit battre en retraite

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Louis Schweitzer, président de la Halde et ennemi public n° 1 des mamans.
Louis Schweitzer, président de la Halde et ennemi public n° 1 des mamans.

Jamais on n’aura vu une telle unanimité nationale depuis les obsèques de Charles Trénet : le président et le gouvernement, la droite et la gauche, le centre et les extrêmes, le patronat et les syndicats, Les Echos et L’Huma, les Francs-Macs et le Bon Dieu, tout le monde s’est félicité qu’une déclaration solennelle de Xavier Darcos, ministre des affaires sociales ait un mis point final à la tentative délirante de dépouiller, à l’occasion de la prochaine loi sur le financement de la Sécu, les mères de famille de leurs droits à la retraite. Dont acte. Ce type de chœur sans fausse note est tellement rare en politique de chez nous qu’il faudrait avoir vraiment mauvais esprit pour cracher dans la soupe. Sauf que comme on disait dans ma banlieue et dans ma jeunesse : y a une couille dans le potage !

J’ai beau scruter les communiqués victorieux des uns et les articles documentés des autres, nul ne prend la peine de nous rappeler d’où venait cette hallucinante tentative de spoliation qu’il aura fallu contrer de toute urgence par voie parlementaire. Pourtant, il a bien fallu que ce mauvais coup vienne de quelque part. Mais d’où ?

D’habitude, quand une semblable aberration surgit tel un alien dans notre quotidien, le coupable est tout trouvé : l’assassin habite à Bruxelles ou, à la rigueur, à l’Organisation Mondiale du Commerce ou autres machins supra-étatiques qui, quand ils viennent chez nous, font comme chez eux.

Mais là, non, mauvaise pioche. L’ennemi public numéro un des mamans réside en France, il a ses bureaux au 11 rue Saint-Georges, à Paris IXe. Son nom est Louis Schweitzer, il est président de la Halde. C’est, en effet, sur la base d’une injonction de cette hautoto en date du 11 décembre dernier, arguant que les hommes devaient avoir les mêmes avantages que les femmes, que le gouvernement s’est engagé dans un premier temps à démanteler le dispositif existant et à le faire en stricte défaveur des mères.

Et comme, apparemment, il est assez mal vu chez nous de contester les délires de la Halde, personne n’a trouvé à y redire ou n’a osé le faire, et le gouvernement s’apprêtait donc pour cette rentrée à modifier la loi en conséquence. Il aura fallu qu’en plein mois d’août une confédération considérée d’ordinaire comme peu vindicative, la CFTC, sauve l’honneur du syndicalisme français en menaçant de tout casser si la loi en gestation tronçonnait les retraites des mères de famille, entraînant une volte-face de Darcos, puis du reste du monde politico-syndical volant au secours de la victoire[1. On notera cependant que le PS n’a réagi que très tardivement, début septembre, par la voix de Jean-Patrick Gille, son fort peu médiatique secrétaire national à la famille. Une rumeur malveillante assure que tout comme la CFDT et la CFE-CGC, nombre de dirigeants socialistes partagent in petto le point de vue de la Halde. On rappellera que Nicole Notat est une des onze membres du collège exécutif de la Halde.]. Oui, sans le coup de sang estival de nos amis les travailleurs chrétiens, la modification de la loi préconisée par Schweitzer aurait été entérinée, tant il est vrai que tout ce que dit la Haute Autorité fait autorité. On l’a échappé belle.

On espère que cet impair commis au nom de la parité servira de leçon à tout le monde. Jusqu’à présent la Halde se contentait de gaspiller l’argent public pour nous pourrir la vie au nom du droit mal compris des minorités. Mais demander à ce qu’on expurge les manuels scolaires de toute trace de Ronsard, ça ne vous occupe pas toute l’année une armée de prébendiers…

Avec cet épisode, la Halde vient de montrer qu’elle était tout autant capable de s’acharner spécifiquement sur les plus faibles au nom de ses fantasmes technocratiques sur l’égalité pure et parfaite. On attend avec impatience qu’elle s’en prenne désormais aux handicapés au nom du droit à l’équité des bien-portants.

Oui, il est temps qu’on mette un terme à cette plaisanterie et qu’on évacue ce squat légal mais nauséabond, ces forcenés qui prennent en otage nos lois, nos droits acquis et nos institutions. Que fait le GIPN ?

Vodka, pizza et calomnie

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Dans son dernier livre d’entretiens, le président Clinton révèle que Boris Eltsine en visite à Washington en 1995 a été retrouvé en pleine nuit, ivre, en caleçon, cherchant à héler un taxi pour aller chercher une pizza, tout cela à quelques encablures de la Maison Blanche, au risque de « provoquer un incident international ». Par son charmant réalisme, la scène est des plus crédibles et n’importe quel buveur de fond, qu’il soit président de la Fédération de Russie ou simple navigateur de comptoir, connaît cette fringale de loup créée par l’alcool au cœur de la nuit, au point que le plus fin gastronome est prêt à se jeter sur n’importe quelle junk food, du double cheeseburger au kebab frites en passant, évidemment, par la pizza. Las ! Alexandre Korjakov, aujourd’hui député et ancien chef de la sécurité d’Eltsine dit que tout cela est impossible et que l’on cherche à nuire, par ce livre, à la mémoire de l’ancien président. C’est vrai, ça, on fait dire n’importe quoi au gens. Il est bien connu qu’Eltsine ne buvait pas, que Clinton ne fumait pas le cigare et que Sarkozy n’a jamais dit qu’il serait le président du pouvoir d’achat.

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Sarko n’a pas le monopole des lapsus coupables

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La déclaration new-yorkaise du Président sur le « coupable » Villepin aura donc une fois de plus coupé la France en deux. D’une part, les intentionnalistes qui, à l’instar de DDV lui-même, pensent que le mot fautif (on n’ose pas dire coupable) a été prononcé avec préméditation, pour conditionner encore plus l’opinion et terroriser au passage les magistrats. En face, on retrouve les lapsussistes, qui reprochent au président d’avoir dit tout haut ce qu’il pense très fort. Parmi les tenants du lapsus, on trouve notamment Martine Aubry. Un lapsus qui, d’après elle, en dit néanmoins long et qu’elle a imputé ce jeudi sur iTélé au mélange des genres calamiteux pratiqué par Sarko dans l’affaire Clearstream, où il est à la fois plaignant lambda et garant de l’indépendance de la justice en tant que – je cite Martine dans le texte : « président du Syndicat de la Magistrature ». Comme quoi, les lapsus, hein…

C’est où l’Allemagne ?

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berlin

Nos vaillants analystes radiophoniques de la vie internationale, les Guetta, Adler et consorts, ont beau faire de méritoires efforts pour nous expliquer les enjeux du vote du 27 septembre en Allemagne, l’intérêt des Français pour ce scrutin est proche de zéro.

Il est vrai que la vie politique de nos chers voisins manque singulièrement de peps. La chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel dirige depuis quatre ans une « grande coalition » avec les sociaux-démocrates, version allemande de la cohabitation, et le seul suspense de ces élections législatives est de savoir si cette coalition sera reconduite ou si elle sera remplacée par une alliance de la CDU et des libéraux.

Originaire de l’ex-RDA, la chancelière, fille de pasteur de l’île de Rügen, dans le Mecklembourg, n’est pas du genre bling-bling et mène une vie privée d’une sagesse à mourir d’ennui. Elle s’est pourtant permis de figurer sur les affiches d’une candidate CDU à Berlin avec un décolleté plongeant, les deux dames se vantant d’avoir « plus à offrir » à leurs électeurs. C’est à peu près la seule péripétie de la campagne électorale allemande qui ait réussi à franchir le Rhin.

Le désintérêt croissant pour un pays qui fut jadis notre pire ennemi et qui est aujourd’hui notre principal partenaire commercial et politique est manifeste : l’apprentissage de l’allemand en France et du français en Allemagne est en régression constante, et cela fait maintenant plus de deux ans que Le Monde n’a plus de correspondant permanent à Berlin, imitant en cela les grandes chaînes de télévision.

Aux effusions de la réconciliation d’après guerre, aux accolades des couples mythiques de Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt ou Mitterrand-Kohl ont succédé la grise indifférence réciproque et les mouvements de recul d’Angela quand Nicolas veut lui claquer la bise.

Ce couple franco-allemand qui se vantait d’être le moteur de la construction européenne est aujourd’hui réduit au minimum syndical : on travaille ensemble quand nos intérêts se rejoignent, comme dans la récente crise du lait, et on joue perso partout ailleurs.

Mine de rien et sans faire donner la fanfare, Angela Merkel a fait de l’Allemagne la première adresse européenne dans le monde. C’est à Berlin que le candidat Barack Obama est venu se présenter à l’Europe, et c’est Angela Merkel que choisit Benyamin Netanyahou pour assurer une médiation avec le Hamas dans l’affaire Gilad Shalit. A Moscou, Poutine et Medvedev se félicitent tous les matins d’avoir en Allemagne une interlocutrice aussi compréhensive. Elle fait en sorte de saboter le projet de gazoduc Nabucco, qui contournerait la Russie pour acheminer en Europe le gaz d’Asie centrale, et regarde d’un œil bienveillant ses industriels majeurs, comme Siemens, se désengager de la coopération avec les Français pour s’allier avec les Russes dans le nucléaire. Elle ne craint pas de se mettre à dos les pays d’Europe centrale et orientale comme la Pologne ou la République tchèque, dont la dépendance économique vis-à-vis de l’Allemagne relativise la mauvaise humeur devant le flirt poussé germano-russe.

Bref, Angela est une Prussienne, une héritière d’Otto von Bismarck plutôt que du Rhénan Konrad Adenauer, et elle a réussi à contenir les Bavarois dans leur « Etat libre ». Elle mène sans complexe une politique nationaliste allemande comme au bon vieux dix-neuvième siècle, le militarisme en moins. Comme on a, fort heureusement, mis en place en Europe un système de prévention des conflits internes relativement efficace, ce retour à la primauté de l’intérêt national dans les choix politiques des nations européennes ne porte pas en lui le danger d’un nouvel affrontement sur le vieux continent.

L’Allemagne, qui a l’intelligence politique de ne pas pratiquer le cumul des mandats, exerce une influence prédominante au Parlement européen grâce à une cohorte de députés compétents et assidus dans les deux groupes politiques majeurs, le PPE et l’Alliance des socialistes et des démocrates.

Angela Merkel souhaite ardemment changer d’alliance et gouverner avec le parti libéral (FDP) de Guido Westerwelle, afin d’avoir les mains libres pour réduire la dépense publique et prolonger l’exploitation des centrales nucléaires, dont l’arrêt avait été fixé à 2020 par la coalition rouge-verte dirigée par Gerhard Schröder. Mais elle saura bien freiner les ardeurs ultra-libérales du FDP, car son parti, la CDU, ne la suivrait pas dans une dérive du capitalisme rhénan vers le modèle anglo-saxon.

A gauche, la montée en puissance de Die Linke, qui rassemble les déçus de la social-démocratie et les anciens communistes de l’ex-RDA n’a rien qui puisse réjouir le SPD : le temps n’est pas encore mûr pour qu’il puisse être considéré comme un honorable parti de gouvernement au plan fédéral. Ainsi, même si, comme les derniers sondages le prédisent, le bloc de gauche (SPD, Verts, Die Linke) fait jeu égal avec le bloc de droite, le seul choix du SPD est la reconduction de la « grande coalition » avec Angela Merkel.

Le seul homme politique français qui jette un œil concupiscent par-dessus le Rhin est sans doute Jean-Luc Mélenchon : il a pris le Sarrois Oskar Lafontaine pour modèle et souhaite s’appuyer sur un succès électoral de Die Linke pour accélérer la fusion du PCF et du Parti de gauche.

Reste la question à un million de feus deutschemarks : est-ce que tout cela est bon pour nous ? Comme on ne peut pas changer de voisin, il faut faire avec, quel que soit le patron ou la patronne de la boutique d’à côté. Réélue, Angela Merkel confortera son leadership européen : Gordon Brown risque fort de passer la main au printemps prochain au conservateur David Cameron, et Nicolas Sarkozy va bientôt entrer en campagne électorale. Angela Merkel n’est pas une francophile de cœur, mais elle a suffisamment de raison pour ne pas dévaster, par des gestes inconsidérés, une relation qui reste importante pour la stabilité de notre continent.

VGE, le fou chuintant

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vge

Chanonat, 1982. J’avais dû assez mal me comporter pour que ma rédaction me dépêche en Auvergne enquêter sur les bals des pompiers. D’Ambert à Issoire, de Riom à Thiers, le pompier auvergnat n’est pas ce que Dieu a posé de plus glamour sur la terre. On n’en fait pas des calendriers et si, par malheur, le feu vient à incendier la moindre grange, personne ne se précipite au dehors pour admirer le corps des sapeurs ardant à l’effort. C’est qu’en Auvergne les pompiers ne sont pas de solides et mâles gaillards, arborant leurs vingt ans et leurs muscles saillants. On les choisit bien vieux, un peu secs, le casque mal ajusté sur leur tête chenue. Si l’un d’entre eux tombe, il brûle comme le premier fétu venu et sa veuve se console à l’idée qu’elle ne se ruinera pas en coûteux enterrement.

Le pompier auvergnat ne présente qu’un seul intérêt : une fois l’an, il organise un bal. Un vieux chapiteau, une estrade improvisée et, par-dessus, une brigade toute entière de sapeurs qui essaient de tirer des sons d’instruments qui ne leur ont rien fait. Sur la piste, une population passablement avinée esquisse des pas de ce que l’on croit être une danse. Il ne faut pas tenter le rock quand on ne sait que la bourrée.

Je m’étais commencée à la Gentiane et je finissais ma deuxième bouteille de Saint-Pourçain, quand un grand escogriffe vint se planter devant moi. Son corps de squelette était couronné d’une tête assez ridicule. Un pantalon à pattes d’éléphant, une chemise à jabot surmonté d’un nœud papillon grotesque, une trop petite veste en tweed étaient censés l’habiller pour l’occasion. Le plus ahurissant est que cet être ridicule était doué de la parole et n’hésitait pas à le montrer.

– Bonchoir, Madame. Je chuis l’accordéonichte de la brigade des chapeurs-pompiers de Chanonat et che ne chèche (du verbe checher) de vous regarder depuis que vous êtes entrée. Puis-che m’acheoir à vos côtés ?
– Ah non, le chuintant ! Il ne s’assied pas à mes côtés. Ou alors il va me chercher une bouteille de Saint-Pourçain. Et fissa.

Il s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il revenait, une bouteille de rouge à la main.

– Ch’ai remarqué votre petit acchent, me dit-il en remplissant mon verre. Vous n’êtes pas de Chanonat ?
– Non, non. Je suis allemande.

Il essuya une larme et me raconta, d’une voix émue, qu’il avait dix-sept ans quand les Allemands défilèrent sur les Champs-Elysées. Puis, il s’enfila un verre.

– C’est assez dommache qu’il ne cherve pas à mancher ichi. Vous chavez qu’avec le Chaint-Pourchain, il n’y a rien de mieux que les œufs brouillés. Aimez-vous les œufs brouillés ?

Il était bien gentil, le fou chuintant. Mais il commençait à me les brouiller, les œufs. Je fis alors ce que je fais en pareille occasion : je me réfugiai dans un éthylisme absolu, mais toujours digne. Quand il revint avec la huitième bouteille de Saint-Pourçain, je n’entendais même plus ce qu’il me disait. Le type me semblait avoir une fêlure au casque : il disait avoir été président de la République, bien aimer les grands Blacks et les diamants, rêver de faire le tour du monde en avion renifleur. Plus ça allait, plus il divaguait.

Le moment vint où il s’aventura à poser la main sur la mienne et à me regarder au fond des yeux. C’est précisément le moment que je choisis pour me lever, prétextant devoir me refaire une beauté. J’étais déjà dehors qu’il me rattrapa.

– Princhèche, princhèche ! hurlait-il. Puis-che vous appeler ma princhèche ?
– Vas-y, le bougnat, si ça te fait plaisir.
– Vous êtes ma princhèche ! Che vais le dire, le chanter à l’accordéon et peut-être même un jour l’écrirai-che.
– Oui, c’est ça, écris-le.

J’étais déjà loin que je l’entendais crier « Au revoir, Princhèche », dans la brume d’Auvergne.

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Clearstream, le choc des petits Titans

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godzilla

Western, duel, match, cour de récré, guerre nucléaire : mes honorables confrères ont tout dit et recouru à toute la palette des métaphores disponibles pour évoquer l’affrontement entre le Président de la République et un ancien Premier ministre. Rien ou pas grand-chose ne nous aura été épargné sur ce piteux spectacle et sur ce qu’il dit de notre démocratie malade. Il est vrai que chez nos voisins, la politique est un noble combat d’idées dans lequel de valeureux adversaires échangent des arguments avec hauteur et délicatesse et que nul scandale politique ne secoue jamais d’autre pays que la France. Ailleurs, c’est les bisounours, chez nous, les Borgia. (C’est plus romanesque, du reste, tous ceux qui nous expliquent que les passions humaines n’ont aucun intérêt tout en s’en délectant, feraient mieux d’arrêter la littérature. Passons).

Mais derrière ce choc au sommet, se joue un autre duel, peut-être pas vraiment du genre titanesque – ce serait plutôt du Molière, quelque chose comme Sganarelle contre Scapin. C’est que les deux héros de ce procès ont dans les médias, disons des porte-flingues car « valets » serait désobligeant. Et le plus amusant est qu’eux aussi ont été sinon amis, du moins alliés, puis qu’il s’agit d’Edwy Plenel et de Jean-Marie Colombani qui ont longtemps tenu les rênes du Monde, où ils ont d’ailleurs mis en œuvre avec succès les méthodes qu’ils dénoncent avec indignation aujourd’hui : intimidation, intox, coups tordus et autres douceurs démocratiques et transparentes. Les inoubliables valets de notre répertoire ne ressemblent-ils pas à leurs maîtres ?

Hélas, rien ne va plus entre les deux anciens maîtres du Monde qui se sont séparés en laissant du sang sur les murs. Il se murmure d’ailleurs que si Plenel a été débarqué, ce n’est pas seulement à cause des méchanteries qu’avaient écrites Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, mais en raison de son anti-sarkozysme rabique ou de sa villepinomania délirante : Plenel est aussi fasciné par l’athlétique Dominique qu’un séfarade devant une Suédoise. Au point qu’il voit en lui le champion de la droite propre, ce qui, pour l’homme des basses œuvres du chiraquisme est assez marrant, et même le nouveau Bonaparte appelé à sauver la République en danger. Et devinez qui fera Fouché ?

Les deux hommes portent donc sur la Toile les couleurs de leurs champions respectifs. Avant même l’ouverture du procès, les hostilités ont commencé par une bataille de boules puantes. Slate, le site dirigé par Colombani, a déniché un sombre épisode bulgare dans la carrière de Villepin : histoire de s’occuper après l’élection de son rival, celui-ci a dirigé un groupe d’experts chargés d’aplanir les différends entre Sofia et l’Union européenne. Ledit groupe n’aurait pas, dans un premier temps, montré toute la fermeté requise à l’endroit du gouvernement. Bon. Comme scandale, c’est un peu maigre. Quant à Plenel, il publiait en fin de semaine sur Mediapart un témoignage « prouvant » que l’ex-ministre ne connaissait pas le faussaire présumé, Imad Lahoud, et qu’il ne pouvait donc être l’auteur de la machination. L’auteur de cette fracassante révélation était le beau-frère de Villepin. Un scoop comme ça, ça sent le grand journalisme. Il est fort ce Plenel.

Il faut reconnaître que dans le style baroque et rigolo des valets de comédie, le moustachu l’emporte haut la main. C’est que, malgré sa famille en or, Villepin en chevalier de la Vertu publique victime de basses machinations, ça ne le fait pas. Villepiniste et robespierriste, ça semble difficilement conciliable. La thèse de Plenel est simple, enfin presque : ce n’est pas Villepin qui a essayé d’exploiter les listings truqués pour empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à l’Elysée, mais Sarkozy qui a tenté de le faire croire pour se poser lui-même en victime. Et cette légende l’a grandement aidé à gagner l’élection (théorie assez grotesque car l’opinion ne comprend rien à cette histoire de fous).

Le phare du journalisme moral ne saurait conclure un texte sans tirade sur les principes. L’enjeu de ce procès, explique-t-il, n’est rien de moins que la démocratie elle-même (d’ailleurs, Plenel ne se déplace pas pour moins) : « La démocratie en ce sens qu’elle est une haute idée de la justice, en tant que pilier de la défense des libertés individuelles et collectives. » « Détournement privatif de la justice », « déni de droit et corruption de l’esprit public », on en tremble tellement c’est beau et grave. D’ailleurs, nous dit-il, le fait que Henri Leclerc, « figure de la gauche judiciaire », défende le valeureux Galouzeau est une preuve en soi. Ah, évidemment, s’il a un avocat de gauche, ça change tout. La preuve du gâteau, c’est qu’on le voit à la télé.

L’ancien patron de Plenel a, pour sa part, mis son talent et sa plume au service du président. De mauvais esprits attribuent ce zèle au fait qu’il continuerait à espérer la succession de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions. Soyons juste, il joue plus sobre : on n’imagine pas un homme aussi distingué que Jean-Marie Colombani traiter Villepin de Chippendale comme l’a fait sur RTL un personnage secondaire de cette comédie en eaux troubles, le communicant Pierre Charron, visiblement mandaté pour cogner. Au Monde, Colombani était à l’évidence le gentil flic. Il ne fait pas dans l’emphase lyrique, il énonce calmement ses hypothèses comme des vérités révélées. « Au départ, écrit-il, et cela ne semble être contesté par personne, il y a bel et bien une machination, un véritable montage destiné à compromettre un certain nombre de personnalités, et avant toute chose à barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy. » Ben si, cher Jean-Marie, ce « avant toute chose pour barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy » est contesté par pas mal de gens, notamment par votre ancien camarade de travail. Sans le dire clairement, Colombani laisse fortement supposer que Villepin n’a pas seulement profité d’une barbouzerie fomentée par d’autres mais qu’il pourrait être le chef d’orchestre de toute l’opération « Nagy Bocsa ». « Et doivent résonner encore dans quelques oreilles des incitations, injonctions, admonestations de toutes sortes reçues de Dominique de Villepin : « C’est du lourd, on le tient ! » Tel était en effet, en substance, le message dit et répété, avec l’insistance qu’on lui connaît, par Dominique de Villepin à suffisamment de journalistes pour que soit établie, sinon l’implication directe du Premier ministre comme donneur d’ordres, du moins sa totale adhésion à ladite machination. » Que Villepin ait balancé à la presse, ce qui est parfaitement exact, ne prouve nullement qu’il a tout inventé lui-même. On a plutôt l’impression que les deux hommes se sont rendus coupables de mauvaise camaraderie : l’un a secrètement espéré que son rival allait tomber pour une histoire crapuleuse inventée par d’autres et pour d’autres raisons ; l’autre, animé par une rancune tenace, a décidé de tuer le premier en tirant tous les partis possibles de son faux-pas. Sauf que la mauvaise camaraderie n’est pas un délit.

Colombani laisse la justice juger, bien sûr, mais au cas où les magistrats auraient besoin de quelques informations, il dresse un portrait au vitriol du ministre-poète, inventeur du CPE et de la dissolution. Il y a, nous dit-il, du Fouché chez cet homme-là qui incarnerait, s’il était condamné, la quintessence d’une mouvance chiraquienne où l’on retrouve « la tentation permanente du coup tordu. » Il conclut par le récit d’une scène hilarante où lui-même, convoqué par Villepin au bar du Bristol, a droit à un avertissement en règle sur le mode mafieux. Lui qui disait avec gourmandise que « Le Monde fait peur », ça a dû lui rappeler des souvenirs.

Le plus chouette, c’est que la pièce sera à l’affiche pendant un mois et qu’on peut compter sur nos duettistes et duellistes du net pour assurer les intermèdes. De l’investigation de haut vol, je ne sais pas mais du comique de boulevard, assurément.

Il était une fois Denis Robert

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denis-robert

Il y a quelques années, il était David défiant les puissances de l’argent, qui sauvait l’honneur des journalistes et incarnait l’avenir de la démocratie. On pétitionnait pour lui avec le petit frisson de qui plonge sans bouée dans le grand bain de la radicalité, parfois on envoyait un don au comité de soutien. Défendre Denis Robert, c’était faire partie de ceux à qui on ne la fait pas – et de ceux qui, d’Eva Joly à Arnaud Montebourg et Olivier Besancenot, allaient la faire, la révolution morale. Dans les cuisines de la gauche radicale, les spécialistes habituels de la ritournelle complotiste et antilibérale, qui adorent croire que les grands de ce monde se réunissent secrètement pour trouver les bons moyens d’asservir les esprits, étaient ravis d’avoir un Galilée prêt à brûler (mais pas trop chaud, s’il vous plait) pour la vérité. Mais le chevalier qui venait du froid (quelque part à l’est de la France, là où le climat trempe les caractères) a aussi su s’attirer les bonnes grâces des dames patronnesses de Télérama et de beaucoup d’autres.

On comprend donc que Denis Robert, après avoir été le Jean Moulin de la résistance contre les mafias et l’argent, n’apprécie guère d’être qualifié de second couteau dans le procès Clearstream. Avec le mélange de jubilation victimaire et de forfanterie naïve qui le caractérise, il tente vaguement de rappeler que, sans lui, rien de tout cela ne serait arrivé et que le peuple français serait privé d’un formidable spectacle. Et le pire, c’est que c’est vrai. Dans une tragédie grecque, il aurait été l’agent inconscient de dieux énervés, aujourd’hui on parlerait d’idiot utile. En tout cas, sans l’alliance objective de Denis Robert et de tous ceux qui l’ont cru, il n’y aurait pas eu d’affaire Clearstream. Sans Clearstream I, point de Clearstream II. Pour que quelqu’un ait l’idée de voler puis de trafiquer les fichiers, il fallait bien que l’opinion, et peut-être même le voleur et le faussaire, fussent convaincus qu’ils recélaient les secrets malodorants des mafias, des industries d’armement et de la République. Bref, il fallait avoir admis comme vérité révélée les « révélations » de Denis Robert.

Seulement, Clearstream I n’intéresse plus personne. Une vieille histoire, presque dix ans, vous pensez. D’abord, c’est Clearstream II que l’on juge aujourd’hui ; les protagonistes sont plus flamboyants, les dialogues mieux écrits. Reste qu’il est assez rigolo de se rappeler que ce scandale d’État, cette guerre dans l’Olympe du pouvoir, s’est déployé sur la base d’un récit dont rien, jusqu’à aujourd’hui, n’a prouvé qu’il était vrai.

En 2001, donc, Denis Robert publie Révélations, co-écrit avec un ancien employé de la chambre de compensations. Décidé à tout sacrifier, y compris sa carrière (qui connaissait des hauts et des bas, mais qui n’en a pas ?), le fin limier est tombé sur le centre mondial du blanchiment. La preuve : il existe des comptes non publiés (comme dans n’importe quelle banque, y compris celle de vous et moi) qui, par glissements sémantiques, deviennent des comptes dissimulés puis occultes. Une fois qu’on a collé sur le livre le sticker « investigation », c’est indiscutable. Peu importe que Clearstream gagne la plupart de ses procès en diffamation. Quand cette histoire de méchants planétaires se pimente, en plus, d’un volet français remontant au plus haut sommet de l’État, dans certaines rédactions, c’est l’euphorie. Il faut reconnaître que Le Monde ne marche pas dans la combine. Mais Le Monde n’est plus ce qu’il était, il a cessé de faire l’opinion.

Imaginons la suite à partir des éléments connus. À Clearstream, on commande le fameux audit qui permettra à un benêt de dérober les listings. Les échos du scandale parviennent, dans la prison où il purge une peine pour escroquerie, à Imad Lahoud, dont le cerveau fertile imagine qu’il trouvera dans cette histoire de quoi abattre ses puissants ennemis et, par ricochet, à Jean-Louis Gergorin. Lorsqu’il fait part de ses élucubrations à Denis Robert, celui-ci y trouve la confirmation de ses propres théories, autant dire une preuve. « Un cadeau de Noël en plein été », écrira-t-il. En somme, notre limier se fait enfumer par un type qui lui apporte, une fois remâchées, ses propres conclusions. Et qui finira par lui « vendre » ses propres fichiers trafiqués.

Tour à tour acteur et chroniqueur, victime et expert, Robert ressort régulièrement tel le diablotin de sa boîte ou, si on veut être aimable, le coryphée de la tragédie. Il connaît tous les acteurs, est l’ami du juge Van Ruymbeke. C’est lui qui présente Florian Bourges (le voleur présumé) à Imad Lahoud (le faussaire présumé). De loin, on entrevoit un petit monde où la dinguerie des uns nourrit la mythomanie des autres. Le plus étonnant est que Denis Robert semble croire au monde fantasmagorique qu’il a inventé. Aujourd’hui, il continue à proclamer, sans jamais l’avoir prouvé, que Clearstream est « le poumon de la finance parallèle ». On me dira qu’il n’est pas très grave qu’un type un peu habité soit convaincu d’avoir débusqué une machination planétaire. Qu’il ait réussi à convaincre d’estimables journalistes du bienfondé de ses théories pourrait sembler un peu plus fâcheux. Mais personne n’a jamais dit qu’on faisait une bonne histoire avec la vérité.

Une affaire personnelle

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Le sanglot de l’homme rouge

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Si l’on excepte le racisme institutionnel récemment incarné par l’Auvergnat Hortefeux, le racisme n’existe pas en France. Ou presque. Car il ne suffit pas de crier au loup pour en voir la queue. Les Verts de l’heureuse cité de Bagnolet en Seine-Saint-Denis, qui avaient cru apercevoir au coin d’un blog la figure de la bête immonde revêtue de nouveaux et surprenants oripeaux, l’ont récemment appris à leurs dépens. En effet, alors qu’ils s’étonnaient que Marc Everbecq, le maire communiste de cette charmante bourgade, ait pu laisser écrire et même défendre, sur son propre blog, des propos aussi aimables et aussi joliment tournés que « Un jour on sera suffisamment et la on verra bien qui repoussera les autres a la mer », signé Yazig, ou encore, « Merci le maire vous soutener les musulmans c bien, vous inquieter pas un jour inch allah la france sera musulman et yora plu de probléme avec la police passe que elle sera auci musulman », signé Karmide, le maire, bon prince, s’est fendu à l’intention de son opposition écologiste d’une explication de texte qui lève toute ambiguïté éventuelle quant à la nature des interventions en question : « Ne voyez vous pas qu’il s’agit juste d’un séjour à la plage. Et puis des grands garçons comme vous, cela ne devrait pas avoir peur de l’eau. Vous avez dû apprendre à nager à la piscine quand vous étiez petit. Cela fait déjà une sacrée différence avec tous ceux qui se noient dans le détroit de Gibraltar parce qu’ils ne savent pas nager et qu’ils fuient la misère que des décennies de colonialisme ont engendré dans toute l’Afrique. Souvenez-vous : le temps béni des colonies. » La France n’est pas raciste, on vous dit, elle plaisante.

Calais-Texas

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besson

Le désert à la frontière entre le Mexique et les USA. Un camp, moitié bidonville de toiles et de tôles, à proximité d’une petite ville. C’est le matin. Soudain, on entend un bruit dans le lointain. Des dizaines de 4×4, sirènes hurlantes, cernent le camp. Des garde-frontières avec des matraques jaillissent des véhicules. Des centaines de personnes sont tabassées ou arrêtées. Une heure plus tard, dans un bureau, un homme au visage tuméfié répond à un policier.
– Comment tu t’appelles ?
– Eric Besson.
– Eric Besson, Monsieur l’agent.
– Pardon ?
– Quand tu me parles, tu dis « Monsieur l’agent ».
– Oui, Monsieur l’agent.
– T’es français ?
– Oui.
– T’as des papiers pour le prouver ?
– Non, je n’ai plus rien.
– Je vois ça. T’es sale comme un peigne et tu pues !
– Bah, ça fait deux mois que j’attends dans ce campement de la frontière mexicaine. On n’a qu’un point d’eau et puis presque rien à bouffer. Heureusement que des gens nous donnent à manger parfois. Des bénévoles…
– Tu crois que je le sais pas, peut-être ? Ça fait des mois que vous nous pourrissez le secteur. Par contre, qu’il y ait des Français, c’est nouveau. D’habitude, c’est plutôt des Mexicains ou des Salvadoriens, mais des Français, ça, c’est la première fois que j’en vois. Qu’est-ce que t’as sur la gueule ?
– J’ai pris un coup de matraque sur la tronche, Monsieur l’agent. Vous n’y avez pas été de main morte…
– Tu insinues quoi, bouffeur de grenouilles ? Que la police d’un grand pays démocratique comme le nôtre se permettrait de maltraiter des sans-papiers comme toi, mon gars ? Et tu prétends entrer aux USA ? Pourquoi t’as quitté la France, d’ailleurs ?
– Bah, la Gauche a gagné, Monsieur l’agent. Et puis pas n’importe laquelle…
– Qu’est-ce tu veux dire, le Frenchie ?
– Oh des furieux, des vrais marxistes. Pire que Chavez. Le Front de Gauche que ça s’appelle. Depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est l’horreur. Ils ont renationalisé à 100 % EDF-GDF, France-Télécom, la SNCF, la Poste et puis, dans la foulée, ils ont pris le contrôle des banques. Ils ont mis un salaire minimum à 2000 euros, ils filent des papiers à tout le monde, ils construisent des hôpitaux et des écoles partout, ils financent la sécu, la semaine de quatre jours et la retraite à 55 ans avec des taxes sur les flux financiers : un vrai cauchemar ! Ils ont arrêté tous les spéculateurs, les dirigeants du Medef et du CAC 40. Le pire, c’est que ça suit partout en Europe, en Allemagne avec Die Linke, en Italie, avec Rifondazione. Affreux, Monsieur l’agent, affreux…
– Ouais, je comprends. Tu veux un statut de réfugié politique, alors ?
– C’est ça, Monsieur l’agent.
– Tu faisais quoi, comme métier dans ton pays ?
– J’étais ministre, Monsieur l’agent.
– Ministre de quoi ?
– Ministre des Affaires raci…, euh, excusez-moi, ministre de l’Identité nationale.
– Et ça consistait en quoi ?
– Bah… à savoir qui était français et qui ne l’était pas, Monsieur l’agent. On contrôlait au faciès dans le métro, on leur demandait de s’inscrire en préfecture et puis on les chopait juste après. J’étais bon, dans mon genre…
– Et en dehors de ça, tu sais faire quoi ?
– Trahir, Monsieur l’agent. Ça, je sais très bien trahir ! C’est pour ça que l’ancien président m’aimait bien. Parce que lui aussi, question traîtrise, c’était un bon.
– Eh bien, prouve-le, Frenchie.
Eric Besson réfléchit, puis se penche vers le policier et parle à voix basse.
– Eh bien par exemple, Monsieur l’agent, dans le camp, avec nous, y’a un ancien gauchiste. Il fait semblant d’être libéral, mais c’est faux..
– Et comment y s’appelle ?
– Cohn-Bendit, Monsieur l’agent.
– Ok. On verra ça. Allez, tu peux sortir.
Le policier s’adresse à un collègue qui tient la porte.
– C’est qui le suivant ?
– Oh ! encore un de ces Français avec un nom impossible…
Il regarde une feuille.
– Brice Hortefeux… Oui, c’est ça : Brice Hortefeux.

Royal Tobin

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D’après un confidentiel du Figaro, madame Ségolène Royal s’est prononcée pour la taxe Tobin, ce qui en a surpris plus d’un dans son entourage plutôt habitué à des choix économiques de type social-libéral, voire franchement blairiste. Espère-t-elle par cette annonce renforcer une cote d’amour terriblement entamée auprès de la gauche du parti ? Ou veut-elle, plus prosaïquement, récupérer un peu d’argent sur la somme faramineuse que lui a facturée son compagnon, concepteur inénarrable du site royaliste Désirs d’Avenir, lequel ressemble à une publicité suisse pour le suicide assisté dans la dignité. Dans ce cas, il serait bien que quelqu’un rappelle à notre Eva Peron du Poitou que la taxe Tobin, au cas où elle serait appliquée, serait prélevée sur les flux financiers et pas sur les catastrophes esthétiques, les dépenses hasardeuses et le ridicule politique.

Quand la Halde doit battre en retraite

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Louis Schweitzer, président de la Halde et ennemi public n° 1 des mamans.
Louis Schweitzer, président de la Halde et ennemi public n° 1 des mamans.
Louis Schweitzer, président de la Halde et ennemi public n° 1 des mamans.

Jamais on n’aura vu une telle unanimité nationale depuis les obsèques de Charles Trénet : le président et le gouvernement, la droite et la gauche, le centre et les extrêmes, le patronat et les syndicats, Les Echos et L’Huma, les Francs-Macs et le Bon Dieu, tout le monde s’est félicité qu’une déclaration solennelle de Xavier Darcos, ministre des affaires sociales ait un mis point final à la tentative délirante de dépouiller, à l’occasion de la prochaine loi sur le financement de la Sécu, les mères de famille de leurs droits à la retraite. Dont acte. Ce type de chœur sans fausse note est tellement rare en politique de chez nous qu’il faudrait avoir vraiment mauvais esprit pour cracher dans la soupe. Sauf que comme on disait dans ma banlieue et dans ma jeunesse : y a une couille dans le potage !

J’ai beau scruter les communiqués victorieux des uns et les articles documentés des autres, nul ne prend la peine de nous rappeler d’où venait cette hallucinante tentative de spoliation qu’il aura fallu contrer de toute urgence par voie parlementaire. Pourtant, il a bien fallu que ce mauvais coup vienne de quelque part. Mais d’où ?

D’habitude, quand une semblable aberration surgit tel un alien dans notre quotidien, le coupable est tout trouvé : l’assassin habite à Bruxelles ou, à la rigueur, à l’Organisation Mondiale du Commerce ou autres machins supra-étatiques qui, quand ils viennent chez nous, font comme chez eux.

Mais là, non, mauvaise pioche. L’ennemi public numéro un des mamans réside en France, il a ses bureaux au 11 rue Saint-Georges, à Paris IXe. Son nom est Louis Schweitzer, il est président de la Halde. C’est, en effet, sur la base d’une injonction de cette hautoto en date du 11 décembre dernier, arguant que les hommes devaient avoir les mêmes avantages que les femmes, que le gouvernement s’est engagé dans un premier temps à démanteler le dispositif existant et à le faire en stricte défaveur des mères.

Et comme, apparemment, il est assez mal vu chez nous de contester les délires de la Halde, personne n’a trouvé à y redire ou n’a osé le faire, et le gouvernement s’apprêtait donc pour cette rentrée à modifier la loi en conséquence. Il aura fallu qu’en plein mois d’août une confédération considérée d’ordinaire comme peu vindicative, la CFTC, sauve l’honneur du syndicalisme français en menaçant de tout casser si la loi en gestation tronçonnait les retraites des mères de famille, entraînant une volte-face de Darcos, puis du reste du monde politico-syndical volant au secours de la victoire[1. On notera cependant que le PS n’a réagi que très tardivement, début septembre, par la voix de Jean-Patrick Gille, son fort peu médiatique secrétaire national à la famille. Une rumeur malveillante assure que tout comme la CFDT et la CFE-CGC, nombre de dirigeants socialistes partagent in petto le point de vue de la Halde. On rappellera que Nicole Notat est une des onze membres du collège exécutif de la Halde.]. Oui, sans le coup de sang estival de nos amis les travailleurs chrétiens, la modification de la loi préconisée par Schweitzer aurait été entérinée, tant il est vrai que tout ce que dit la Haute Autorité fait autorité. On l’a échappé belle.

On espère que cet impair commis au nom de la parité servira de leçon à tout le monde. Jusqu’à présent la Halde se contentait de gaspiller l’argent public pour nous pourrir la vie au nom du droit mal compris des minorités. Mais demander à ce qu’on expurge les manuels scolaires de toute trace de Ronsard, ça ne vous occupe pas toute l’année une armée de prébendiers…

Avec cet épisode, la Halde vient de montrer qu’elle était tout autant capable de s’acharner spécifiquement sur les plus faibles au nom de ses fantasmes technocratiques sur l’égalité pure et parfaite. On attend avec impatience qu’elle s’en prenne désormais aux handicapés au nom du droit à l’équité des bien-portants.

Oui, il est temps qu’on mette un terme à cette plaisanterie et qu’on évacue ce squat légal mais nauséabond, ces forcenés qui prennent en otage nos lois, nos droits acquis et nos institutions. Que fait le GIPN ?

Vodka, pizza et calomnie

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Dans son dernier livre d’entretiens, le président Clinton révèle que Boris Eltsine en visite à Washington en 1995 a été retrouvé en pleine nuit, ivre, en caleçon, cherchant à héler un taxi pour aller chercher une pizza, tout cela à quelques encablures de la Maison Blanche, au risque de « provoquer un incident international ». Par son charmant réalisme, la scène est des plus crédibles et n’importe quel buveur de fond, qu’il soit président de la Fédération de Russie ou simple navigateur de comptoir, connaît cette fringale de loup créée par l’alcool au cœur de la nuit, au point que le plus fin gastronome est prêt à se jeter sur n’importe quelle junk food, du double cheeseburger au kebab frites en passant, évidemment, par la pizza. Las ! Alexandre Korjakov, aujourd’hui député et ancien chef de la sécurité d’Eltsine dit que tout cela est impossible et que l’on cherche à nuire, par ce livre, à la mémoire de l’ancien président. C’est vrai, ça, on fait dire n’importe quoi au gens. Il est bien connu qu’Eltsine ne buvait pas, que Clinton ne fumait pas le cigare et que Sarkozy n’a jamais dit qu’il serait le président du pouvoir d’achat.

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Sarko n’a pas le monopole des lapsus coupables

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La déclaration new-yorkaise du Président sur le « coupable » Villepin aura donc une fois de plus coupé la France en deux. D’une part, les intentionnalistes qui, à l’instar de DDV lui-même, pensent que le mot fautif (on n’ose pas dire coupable) a été prononcé avec préméditation, pour conditionner encore plus l’opinion et terroriser au passage les magistrats. En face, on retrouve les lapsussistes, qui reprochent au président d’avoir dit tout haut ce qu’il pense très fort. Parmi les tenants du lapsus, on trouve notamment Martine Aubry. Un lapsus qui, d’après elle, en dit néanmoins long et qu’elle a imputé ce jeudi sur iTélé au mélange des genres calamiteux pratiqué par Sarko dans l’affaire Clearstream, où il est à la fois plaignant lambda et garant de l’indépendance de la justice en tant que – je cite Martine dans le texte : « président du Syndicat de la Magistrature ». Comme quoi, les lapsus, hein…

C’est où l’Allemagne ?

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berlin

Nos vaillants analystes radiophoniques de la vie internationale, les Guetta, Adler et consorts, ont beau faire de méritoires efforts pour nous expliquer les enjeux du vote du 27 septembre en Allemagne, l’intérêt des Français pour ce scrutin est proche de zéro.

Il est vrai que la vie politique de nos chers voisins manque singulièrement de peps. La chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel dirige depuis quatre ans une « grande coalition » avec les sociaux-démocrates, version allemande de la cohabitation, et le seul suspense de ces élections législatives est de savoir si cette coalition sera reconduite ou si elle sera remplacée par une alliance de la CDU et des libéraux.

Originaire de l’ex-RDA, la chancelière, fille de pasteur de l’île de Rügen, dans le Mecklembourg, n’est pas du genre bling-bling et mène une vie privée d’une sagesse à mourir d’ennui. Elle s’est pourtant permis de figurer sur les affiches d’une candidate CDU à Berlin avec un décolleté plongeant, les deux dames se vantant d’avoir « plus à offrir » à leurs électeurs. C’est à peu près la seule péripétie de la campagne électorale allemande qui ait réussi à franchir le Rhin.

Le désintérêt croissant pour un pays qui fut jadis notre pire ennemi et qui est aujourd’hui notre principal partenaire commercial et politique est manifeste : l’apprentissage de l’allemand en France et du français en Allemagne est en régression constante, et cela fait maintenant plus de deux ans que Le Monde n’a plus de correspondant permanent à Berlin, imitant en cela les grandes chaînes de télévision.

Aux effusions de la réconciliation d’après guerre, aux accolades des couples mythiques de Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt ou Mitterrand-Kohl ont succédé la grise indifférence réciproque et les mouvements de recul d’Angela quand Nicolas veut lui claquer la bise.

Ce couple franco-allemand qui se vantait d’être le moteur de la construction européenne est aujourd’hui réduit au minimum syndical : on travaille ensemble quand nos intérêts se rejoignent, comme dans la récente crise du lait, et on joue perso partout ailleurs.

Mine de rien et sans faire donner la fanfare, Angela Merkel a fait de l’Allemagne la première adresse européenne dans le monde. C’est à Berlin que le candidat Barack Obama est venu se présenter à l’Europe, et c’est Angela Merkel que choisit Benyamin Netanyahou pour assurer une médiation avec le Hamas dans l’affaire Gilad Shalit. A Moscou, Poutine et Medvedev se félicitent tous les matins d’avoir en Allemagne une interlocutrice aussi compréhensive. Elle fait en sorte de saboter le projet de gazoduc Nabucco, qui contournerait la Russie pour acheminer en Europe le gaz d’Asie centrale, et regarde d’un œil bienveillant ses industriels majeurs, comme Siemens, se désengager de la coopération avec les Français pour s’allier avec les Russes dans le nucléaire. Elle ne craint pas de se mettre à dos les pays d’Europe centrale et orientale comme la Pologne ou la République tchèque, dont la dépendance économique vis-à-vis de l’Allemagne relativise la mauvaise humeur devant le flirt poussé germano-russe.

Bref, Angela est une Prussienne, une héritière d’Otto von Bismarck plutôt que du Rhénan Konrad Adenauer, et elle a réussi à contenir les Bavarois dans leur « Etat libre ». Elle mène sans complexe une politique nationaliste allemande comme au bon vieux dix-neuvième siècle, le militarisme en moins. Comme on a, fort heureusement, mis en place en Europe un système de prévention des conflits internes relativement efficace, ce retour à la primauté de l’intérêt national dans les choix politiques des nations européennes ne porte pas en lui le danger d’un nouvel affrontement sur le vieux continent.

L’Allemagne, qui a l’intelligence politique de ne pas pratiquer le cumul des mandats, exerce une influence prédominante au Parlement européen grâce à une cohorte de députés compétents et assidus dans les deux groupes politiques majeurs, le PPE et l’Alliance des socialistes et des démocrates.

Angela Merkel souhaite ardemment changer d’alliance et gouverner avec le parti libéral (FDP) de Guido Westerwelle, afin d’avoir les mains libres pour réduire la dépense publique et prolonger l’exploitation des centrales nucléaires, dont l’arrêt avait été fixé à 2020 par la coalition rouge-verte dirigée par Gerhard Schröder. Mais elle saura bien freiner les ardeurs ultra-libérales du FDP, car son parti, la CDU, ne la suivrait pas dans une dérive du capitalisme rhénan vers le modèle anglo-saxon.

A gauche, la montée en puissance de Die Linke, qui rassemble les déçus de la social-démocratie et les anciens communistes de l’ex-RDA n’a rien qui puisse réjouir le SPD : le temps n’est pas encore mûr pour qu’il puisse être considéré comme un honorable parti de gouvernement au plan fédéral. Ainsi, même si, comme les derniers sondages le prédisent, le bloc de gauche (SPD, Verts, Die Linke) fait jeu égal avec le bloc de droite, le seul choix du SPD est la reconduction de la « grande coalition » avec Angela Merkel.

Le seul homme politique français qui jette un œil concupiscent par-dessus le Rhin est sans doute Jean-Luc Mélenchon : il a pris le Sarrois Oskar Lafontaine pour modèle et souhaite s’appuyer sur un succès électoral de Die Linke pour accélérer la fusion du PCF et du Parti de gauche.

Reste la question à un million de feus deutschemarks : est-ce que tout cela est bon pour nous ? Comme on ne peut pas changer de voisin, il faut faire avec, quel que soit le patron ou la patronne de la boutique d’à côté. Réélue, Angela Merkel confortera son leadership européen : Gordon Brown risque fort de passer la main au printemps prochain au conservateur David Cameron, et Nicolas Sarkozy va bientôt entrer en campagne électorale. Angela Merkel n’est pas une francophile de cœur, mais elle a suffisamment de raison pour ne pas dévaster, par des gestes inconsidérés, une relation qui reste importante pour la stabilité de notre continent.

VGE, le fou chuintant

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vge

Chanonat, 1982. J’avais dû assez mal me comporter pour que ma rédaction me dépêche en Auvergne enquêter sur les bals des pompiers. D’Ambert à Issoire, de Riom à Thiers, le pompier auvergnat n’est pas ce que Dieu a posé de plus glamour sur la terre. On n’en fait pas des calendriers et si, par malheur, le feu vient à incendier la moindre grange, personne ne se précipite au dehors pour admirer le corps des sapeurs ardant à l’effort. C’est qu’en Auvergne les pompiers ne sont pas de solides et mâles gaillards, arborant leurs vingt ans et leurs muscles saillants. On les choisit bien vieux, un peu secs, le casque mal ajusté sur leur tête chenue. Si l’un d’entre eux tombe, il brûle comme le premier fétu venu et sa veuve se console à l’idée qu’elle ne se ruinera pas en coûteux enterrement.

Le pompier auvergnat ne présente qu’un seul intérêt : une fois l’an, il organise un bal. Un vieux chapiteau, une estrade improvisée et, par-dessus, une brigade toute entière de sapeurs qui essaient de tirer des sons d’instruments qui ne leur ont rien fait. Sur la piste, une population passablement avinée esquisse des pas de ce que l’on croit être une danse. Il ne faut pas tenter le rock quand on ne sait que la bourrée.

Je m’étais commencée à la Gentiane et je finissais ma deuxième bouteille de Saint-Pourçain, quand un grand escogriffe vint se planter devant moi. Son corps de squelette était couronné d’une tête assez ridicule. Un pantalon à pattes d’éléphant, une chemise à jabot surmonté d’un nœud papillon grotesque, une trop petite veste en tweed étaient censés l’habiller pour l’occasion. Le plus ahurissant est que cet être ridicule était doué de la parole et n’hésitait pas à le montrer.

– Bonchoir, Madame. Je chuis l’accordéonichte de la brigade des chapeurs-pompiers de Chanonat et che ne chèche (du verbe checher) de vous regarder depuis que vous êtes entrée. Puis-che m’acheoir à vos côtés ?
– Ah non, le chuintant ! Il ne s’assied pas à mes côtés. Ou alors il va me chercher une bouteille de Saint-Pourçain. Et fissa.

Il s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il revenait, une bouteille de rouge à la main.

– Ch’ai remarqué votre petit acchent, me dit-il en remplissant mon verre. Vous n’êtes pas de Chanonat ?
– Non, non. Je suis allemande.

Il essuya une larme et me raconta, d’une voix émue, qu’il avait dix-sept ans quand les Allemands défilèrent sur les Champs-Elysées. Puis, il s’enfila un verre.

– C’est assez dommache qu’il ne cherve pas à mancher ichi. Vous chavez qu’avec le Chaint-Pourchain, il n’y a rien de mieux que les œufs brouillés. Aimez-vous les œufs brouillés ?

Il était bien gentil, le fou chuintant. Mais il commençait à me les brouiller, les œufs. Je fis alors ce que je fais en pareille occasion : je me réfugiai dans un éthylisme absolu, mais toujours digne. Quand il revint avec la huitième bouteille de Saint-Pourçain, je n’entendais même plus ce qu’il me disait. Le type me semblait avoir une fêlure au casque : il disait avoir été président de la République, bien aimer les grands Blacks et les diamants, rêver de faire le tour du monde en avion renifleur. Plus ça allait, plus il divaguait.

Le moment vint où il s’aventura à poser la main sur la mienne et à me regarder au fond des yeux. C’est précisément le moment que je choisis pour me lever, prétextant devoir me refaire une beauté. J’étais déjà dehors qu’il me rattrapa.

– Princhèche, princhèche ! hurlait-il. Puis-che vous appeler ma princhèche ?
– Vas-y, le bougnat, si ça te fait plaisir.
– Vous êtes ma princhèche ! Che vais le dire, le chanter à l’accordéon et peut-être même un jour l’écrirai-che.
– Oui, c’est ça, écris-le.

J’étais déjà loin que je l’entendais crier « Au revoir, Princhèche », dans la brume d’Auvergne.

La princesse et le Président

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Clearstream, le choc des petits Titans

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godzilla

Western, duel, match, cour de récré, guerre nucléaire : mes honorables confrères ont tout dit et recouru à toute la palette des métaphores disponibles pour évoquer l’affrontement entre le Président de la République et un ancien Premier ministre. Rien ou pas grand-chose ne nous aura été épargné sur ce piteux spectacle et sur ce qu’il dit de notre démocratie malade. Il est vrai que chez nos voisins, la politique est un noble combat d’idées dans lequel de valeureux adversaires échangent des arguments avec hauteur et délicatesse et que nul scandale politique ne secoue jamais d’autre pays que la France. Ailleurs, c’est les bisounours, chez nous, les Borgia. (C’est plus romanesque, du reste, tous ceux qui nous expliquent que les passions humaines n’ont aucun intérêt tout en s’en délectant, feraient mieux d’arrêter la littérature. Passons).

Mais derrière ce choc au sommet, se joue un autre duel, peut-être pas vraiment du genre titanesque – ce serait plutôt du Molière, quelque chose comme Sganarelle contre Scapin. C’est que les deux héros de ce procès ont dans les médias, disons des porte-flingues car « valets » serait désobligeant. Et le plus amusant est qu’eux aussi ont été sinon amis, du moins alliés, puis qu’il s’agit d’Edwy Plenel et de Jean-Marie Colombani qui ont longtemps tenu les rênes du Monde, où ils ont d’ailleurs mis en œuvre avec succès les méthodes qu’ils dénoncent avec indignation aujourd’hui : intimidation, intox, coups tordus et autres douceurs démocratiques et transparentes. Les inoubliables valets de notre répertoire ne ressemblent-ils pas à leurs maîtres ?

Hélas, rien ne va plus entre les deux anciens maîtres du Monde qui se sont séparés en laissant du sang sur les murs. Il se murmure d’ailleurs que si Plenel a été débarqué, ce n’est pas seulement à cause des méchanteries qu’avaient écrites Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, mais en raison de son anti-sarkozysme rabique ou de sa villepinomania délirante : Plenel est aussi fasciné par l’athlétique Dominique qu’un séfarade devant une Suédoise. Au point qu’il voit en lui le champion de la droite propre, ce qui, pour l’homme des basses œuvres du chiraquisme est assez marrant, et même le nouveau Bonaparte appelé à sauver la République en danger. Et devinez qui fera Fouché ?

Les deux hommes portent donc sur la Toile les couleurs de leurs champions respectifs. Avant même l’ouverture du procès, les hostilités ont commencé par une bataille de boules puantes. Slate, le site dirigé par Colombani, a déniché un sombre épisode bulgare dans la carrière de Villepin : histoire de s’occuper après l’élection de son rival, celui-ci a dirigé un groupe d’experts chargés d’aplanir les différends entre Sofia et l’Union européenne. Ledit groupe n’aurait pas, dans un premier temps, montré toute la fermeté requise à l’endroit du gouvernement. Bon. Comme scandale, c’est un peu maigre. Quant à Plenel, il publiait en fin de semaine sur Mediapart un témoignage « prouvant » que l’ex-ministre ne connaissait pas le faussaire présumé, Imad Lahoud, et qu’il ne pouvait donc être l’auteur de la machination. L’auteur de cette fracassante révélation était le beau-frère de Villepin. Un scoop comme ça, ça sent le grand journalisme. Il est fort ce Plenel.

Il faut reconnaître que dans le style baroque et rigolo des valets de comédie, le moustachu l’emporte haut la main. C’est que, malgré sa famille en or, Villepin en chevalier de la Vertu publique victime de basses machinations, ça ne le fait pas. Villepiniste et robespierriste, ça semble difficilement conciliable. La thèse de Plenel est simple, enfin presque : ce n’est pas Villepin qui a essayé d’exploiter les listings truqués pour empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à l’Elysée, mais Sarkozy qui a tenté de le faire croire pour se poser lui-même en victime. Et cette légende l’a grandement aidé à gagner l’élection (théorie assez grotesque car l’opinion ne comprend rien à cette histoire de fous).

Le phare du journalisme moral ne saurait conclure un texte sans tirade sur les principes. L’enjeu de ce procès, explique-t-il, n’est rien de moins que la démocratie elle-même (d’ailleurs, Plenel ne se déplace pas pour moins) : « La démocratie en ce sens qu’elle est une haute idée de la justice, en tant que pilier de la défense des libertés individuelles et collectives. » « Détournement privatif de la justice », « déni de droit et corruption de l’esprit public », on en tremble tellement c’est beau et grave. D’ailleurs, nous dit-il, le fait que Henri Leclerc, « figure de la gauche judiciaire », défende le valeureux Galouzeau est une preuve en soi. Ah, évidemment, s’il a un avocat de gauche, ça change tout. La preuve du gâteau, c’est qu’on le voit à la télé.

L’ancien patron de Plenel a, pour sa part, mis son talent et sa plume au service du président. De mauvais esprits attribuent ce zèle au fait qu’il continuerait à espérer la succession de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions. Soyons juste, il joue plus sobre : on n’imagine pas un homme aussi distingué que Jean-Marie Colombani traiter Villepin de Chippendale comme l’a fait sur RTL un personnage secondaire de cette comédie en eaux troubles, le communicant Pierre Charron, visiblement mandaté pour cogner. Au Monde, Colombani était à l’évidence le gentil flic. Il ne fait pas dans l’emphase lyrique, il énonce calmement ses hypothèses comme des vérités révélées. « Au départ, écrit-il, et cela ne semble être contesté par personne, il y a bel et bien une machination, un véritable montage destiné à compromettre un certain nombre de personnalités, et avant toute chose à barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy. » Ben si, cher Jean-Marie, ce « avant toute chose pour barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy » est contesté par pas mal de gens, notamment par votre ancien camarade de travail. Sans le dire clairement, Colombani laisse fortement supposer que Villepin n’a pas seulement profité d’une barbouzerie fomentée par d’autres mais qu’il pourrait être le chef d’orchestre de toute l’opération « Nagy Bocsa ». « Et doivent résonner encore dans quelques oreilles des incitations, injonctions, admonestations de toutes sortes reçues de Dominique de Villepin : « C’est du lourd, on le tient ! » Tel était en effet, en substance, le message dit et répété, avec l’insistance qu’on lui connaît, par Dominique de Villepin à suffisamment de journalistes pour que soit établie, sinon l’implication directe du Premier ministre comme donneur d’ordres, du moins sa totale adhésion à ladite machination. » Que Villepin ait balancé à la presse, ce qui est parfaitement exact, ne prouve nullement qu’il a tout inventé lui-même. On a plutôt l’impression que les deux hommes se sont rendus coupables de mauvaise camaraderie : l’un a secrètement espéré que son rival allait tomber pour une histoire crapuleuse inventée par d’autres et pour d’autres raisons ; l’autre, animé par une rancune tenace, a décidé de tuer le premier en tirant tous les partis possibles de son faux-pas. Sauf que la mauvaise camaraderie n’est pas un délit.

Colombani laisse la justice juger, bien sûr, mais au cas où les magistrats auraient besoin de quelques informations, il dresse un portrait au vitriol du ministre-poète, inventeur du CPE et de la dissolution. Il y a, nous dit-il, du Fouché chez cet homme-là qui incarnerait, s’il était condamné, la quintessence d’une mouvance chiraquienne où l’on retrouve « la tentation permanente du coup tordu. » Il conclut par le récit d’une scène hilarante où lui-même, convoqué par Villepin au bar du Bristol, a droit à un avertissement en règle sur le mode mafieux. Lui qui disait avec gourmandise que « Le Monde fait peur », ça a dû lui rappeler des souvenirs.

Le plus chouette, c’est que la pièce sera à l’affiche pendant un mois et qu’on peut compter sur nos duettistes et duellistes du net pour assurer les intermèdes. De l’investigation de haut vol, je ne sais pas mais du comique de boulevard, assurément.