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Nicolas est petit

Le pPetit Nicolas

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.

Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.

Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !

Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.

Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.

Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?

La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?

Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…

On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…

Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.

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Je veux mon Causeur !

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Causeur ne donne pas uniquement dans la virtualité d’Internet : c’est aussi un mensuel, imprimé sur du vrai papier. L’odeur de l’encre fraîche vous attire ? Précipitez-vous ! Il n’y en aura pas pour tout le monde : le numéro 16 du magazine Causeur vient de paraître. Douze articles inédits, des chroniques, un dossier haut en couleurs consacré à une question d’actualité : « La France est-elle raciste ? » Le magazine Causeur est disponible sur abonnement ou au numéro. Les Strasbourgeois ont également la chance de pouvoir se le procurer à la Librairie Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois). N’hésitez plus !

Demain, la gauche

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SPD

Finalement, je serais presque d’accord avec Luc Rosenzweig : le revival socialo-communiste n’a aucun avenir. Et pour cause, dans un couple, il faut être deux et si le communisme en tant qu’hypothèse est toujours une idée neuve en Europe, le socialisme, lui, n’existe plus. De Bad Godesberg à Manuel Valls, en passant par le tournant français de la rigueur en 1983, l’histoire des partis socialistes en Europe est celle d’une lente atrophie de l’idéal, d’une soumission à l’ordre marchand, d’une manière de fatalisme économique, de signatures répétées de Munich sociaux pour prendre ou garder un pouvoir politique dont le primat n’était plus qu’une fiction. Parfois, avec de très bonnes intentions, celles qui pavent l’enfer, sur l’air du « si ce n’est pas nous qui le faisons, ce sera pire avec les autres. » Le temps où « la gauche essayait » comme disait Halimi a cédé la place au temps de « la gauche sans le peuple » pour paraphraser Eric Conan. Le résultat est sans appel : trois élections présidentielles perdues dont une dès le premier tour. Et, aux dernières élections européennes, 16% des voix. Cela, seulement pour la France…

Le Labour anglais, lui, qui avait cette culture du mouvement social et de l’association avec des syndicats, qui était un parti de la société autant qu’un parti socialiste, est devenu ce que l’on sait avec Tony Blair, qui l’a affublé de l’adjectif new, ce qui est toujours mauvais signe. Pas besoin d’être lecteur de Nietzsche ou amateur d’ortolan pour savoir que la nouvelle philosophie ou la nouvelle cuisine n’ont rien de commun avec la philosophie ou la cuisine. L’histoire du blairisme est une poursuite à peine maquillée du thatchérisme, guerres impérialistes comprises, avec en plus, ce petit côté zèle du converti qui pousse à en rajouter dans la télésurveillance, la criminalisation de la misère, la jeunesse considérée comme une classe dangereuse. Le résultat de tout cela, c’est que l’ectoplasmique Gordon Brown va probablement prendre en juin une dérouillée historique et que le groupe travailliste va se résumer à un Fort Alamo aux Communes.

Les socialistes ont cru masquer leur désertion du social en se réfugiant dans le sociétal. Oublions les 35 heures, et même la CMU et occupons nous du PACS, histoire de faire passer la pilule des privatisations rhabillées en « ouvertures du capital » et aussi nombreuses que sous un gouvernement de droite classique.

Le problème, c’est que pour le sociétal, il y a mieux qu’eux : les écolos, enfin entendons-nous, ces écolos persuadés que l’on peut conjuguer marché et environnement et convaincus que la culpabilisation du prolo fortement carboné suffira à sauver la planète. Résultat des courses, lors de la dernière partielle dans l’ancienne circonscription de Christine Boutin, les socialistes se font doubler par les Verts qui échouent à cinq voix au deuxième tour, nous faisant par la même occasion découvrir une nouvelle catégorie socio-politique – la gauche vallée de Chevreuse.

Résumons-nous, les socialistes, un peu partout, ont espéré garder les classes moyennes en adoptant la langue de l’adversaire. Avant, quand un socialiste parlait de « réforme », on pouvait entendre « progrès social ». Aujourd’hui, quand DSK prononce le mot « réforme », j’ai envie de mettre un casque lourd et de relire Que faire ? de Lénine. Seulement, on a beau être président du Fonds monétaire international, on n’en est pas forcément entendu par ceux qui n’ont plus rien de monétaire dans le fond du porte-monnaie. Quand bien même l’appareil médiatique du Bloc Central aurait décidé que DSK était le meilleur opposant, comme en d’autres temps il décida que c’était Ségolène Royal et encore avant Rocard, autrement dit les donneurs les plus compatibles pour continuer à transfuser l’économie de marché.

La situation est encore plus sombre quand les socialistes tentent de survivre dans une grande coalition comme le SPD qui vient de le payer très cher. Il y avait pourtant lors de la précédente législature, la possibilité d’une majorité SPD-Verts-Die Linke. Mais Oskar Lafontaine devait trop sentir la sueur. Quant à Socrates au Portugal, il a fait du Blair tendance vinho verde pour se retrouver, en fin de compte, obligé de s’allier avec la droite pour continuer à gouverner.

Alors, oui, effectivement, il n’y aura pas de revival socialo-communiste. Le PS français est mort depuis le référendum européen de 2005, quand son électorat historique a voté « non » alors que le parti votait « oui ». Pour le coup, il y avait là un vrai choix de société.

Il n’est pas du tout certain que la droite libérale profite de cet effondrement idéologique et électoral. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite de n’avoir plus en face d’elle, une fois les petites recompositions d’appareils achevées, qu’un conglomérat de centre gauche composé d’un mélange de PS résiduel, de Modem et de verts Chevreuse.
Car partout en Europe, une gauche de la gauche voit le jour. Une gauche nouvelle et pas new. Je n’ai pas oublié ce que disait le vieux prophète de la vieille – l’histoire ne se répète pas ou alors sous forme de farce. Les excellents scores de Die Linke en Allemagne, de l’alliance rouge-verte et de l’extrême gauche au Portugal indiquent que 15 à 20 % des électeurs deux choses croient encore à une révolution par les urnes. Et à chaque scrutin, ils gagnent du terrain.

En France, on n’a pas encore mesuré la nouveauté du Front de Gauche, l’alchimie entre l’ancrage républicain et ouvrier traditionnel du PCF et l’électorat plus jeune d’un Parti de Gauche dont l’un des penseurs majeurs, André Gorz, défend une écologie réellement sociale et la réorientation de la croissance plutôt que la décroissance tendance khmer vert. Sans compter l’apport des anciens chevènementistes en gènes nation/émancipation et celui de la Gauche Unitaire, dissidents du NPA, mais surtout indispensable passerelle avec ce parti et ces militants qui valent beaucoup mieux qu’une direction autiste (de moins en moins d’ailleurs) et une figure instrumentalisée médiatiquement de manière de moins en moins efficace comme l’a prouvé son score calamiteux aux européennes.

Seul l’optimisme est révolutionnaire et il semble bien que cette fameuse crise de la social-démocratie dont ont nous rebat les oreilles soit en fait l’ultime ruse d’un système à bout de souffle pour masquer la naissance en France, mais aussi en Europe, d’une gauche sociale, républicaine, en mesure d’exercer le pouvoir et qui n’a pas peur d’annoncer la couleur : il faut rompre avec le capitalisme, cette idéologie du désastre planétaire en cours.

Le peuple contre les pipoles

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Roman Polanski

Le tir rapide de Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand, dégainant plus vite que leur ombre leur déclaration indignée à propos de l’arrestation à Zurich de Roman Polanski, a profondément choqué les Français. Grâce à la Toile, on a pu voir en temps réel le rejet profond provoqué dans le pays par la mobilisation, en faveur du cinéaste franco-polonais, du ban et de l’arrière-ban des élites culturelles françaises. Quel que soit le média répercutant la nouvelle et faisant état des réactions officielles, les commentaires postés étaient, dans leur écrasante majorité, empreints de colère, voire de dégoût : comment peut-on ainsi réclamer que la justice soit entravée au motif que le justiciable est un artiste de grand talent ? Roman Polanski est peut-être un génie, mais ce génie a abusé d’une fille de treize ans en la faisant boire et en la droguant, tels étaient les principaux arguments de ces commentaires.

Les modérateurs du Point.fr n’avaient jamais vu cela, et se sont fendus, sur le site de l’hebdomadaire, d’une analyse de contenu des 482 messages reçus sur cette affaire en l’espace d’une seule journée, celle du 28 septembre, dont 97% étaient défavorables à Polanski et ses soutiens. On y fustige « la meute germanopratine », la « crypto intelligentsia de notre pays », « l’élite politico-bobo-culturelle » qui a pris la défense du cinéaste.

Ceux qui, comme Marine Le Pen et Dany Cohn-Bendit, ont attendu de sentir d’où venait le vent pour s’exprimer à ce sujet n’ont eu qu’à se laisser porter par l’aquilon des protestations pour se livrer à leur numéro habituel de démagogie.

On aurait tort, pourtant, de ne voir dans ce soulèvement moral de la France d’en bas qu’une nouvelle et désolante manifestation d’un anti-intellectualisme proto-fasciste, résultat de la fascination-répulsion qu’exerce sur la foule la contemplation quotidienne des riches et célèbres.
Dans le cas Polanski, même l’anti-américanisme instinctif des Français n’a pu lui attirer la compassion d’un public qui ne voit dans son affaire que celle d’un homme qui a fui la justice, et qui demande aujourd’hui qu’on le dispense de rendre des comptes dans le cadre d’un procès équitable.

On peut discuter de l’imprescriptibilité en matière de crimes sexuels, résultat de la sensibilité de l’époque face à ce type de criminalité, dont les mouvements féministes et de protection de l’enfance n’ont de cesse de demander un châtiment toujours plus rigoureux. Le droit à l’oubli, sauf en matière de crime contre l’humanité, est un acquis de la civilisation qui permet de vivre ensemble et ne devrait exclure aucune des formes de la sauvagerie humaine.

Mais on ne peut pas demander que cette loi, qui est celle qui s’applique à tous, puisse souffrir d’exception, fût-elle culturelle. Ce message là devrait être entendu par ceux qui ont la charge et l’honneur de parler au nom du peuple qu’ils représentent.

On peut être certain, en revanche, que Roman Polanski pourra retrouver le chemin du cœur du public s’il comparait devant un tribunal de Los Angeles. Sa vie ne se résume pas à cet épisode condamnable. Evadé à neuf ans du ghetto de Cracovie, alors que ses parents étaient déportés et que sa mère ne reviendra pas d’Auschwitz, il ne supporta pas de voir son père refaire sa vie avec une autre femme. Laissé à lui même dès sa première adolescence, il se découvre cinéaste dans la Pologne communiste, et révèle très tôt un talent qui sera internationalement reconnu. A 29 ans il devient célèbre avec son premier long métrage Le couteau dans l’eau, ce qui lui permet de mener une carrière internationale entre Paris, Londres et Los Angeles.
C’est dans cette ville qu’un nouveau drame s’abat sur lui : le sauvage assassinat, en 1969, de son épouse Sharon Tate, enceinte de huit mois, par les membres d’une secte sous l’emprise de Charles Manson.

En dépit de sa notoriété mondiale, Polanski connaît des hauts et des bas dans sa carrière, alternant de grands succès, comme Rosemary’s Baby ou Chinatown avec des échecs retentissants. Sa vie privée, qui n’avait jamais été un long fleuve tranquille, connaît alors des débordements mieux acceptés à l’époque qu’aujourd’hui[1. C’était le temps où la police et la justice française fermaient les yeux sur le comportement sexuel d’un Charles Trénet pas trop regardant sur l’état civil des jeunes gens qu’il fréquentait, et où un Jean-François Revel pouvait se vanter, dans ses Mémoires, d’avoir, par un faux témoignage, sauvé la mise d’un de ses condisciples de Normale sup traîné en justice pour pédophilie…]. Son attirance pour les femmes très jeunes a été une constante que les psys renvoient au traumatisme de la perte de la mère dont l’image idéalisée s’était fixée en lui alors qu’elle avait trente ans. Tous ceux qui ont côtoyé Polanski, comme l’actrice Mia Farrow, on noté son mal-être avec les femmes qui avaient dépassé le seuil de l’adolescence…

Pendant près de trente ans il aura été un fugitif, de luxe, certes, mais un fugitif tout de même. Un destin tragique, sublimé dans une activité artistique que le malheur nourrit et féconde. Cela se plaide, pour autant que l’on accepte de rendre des comptes à une justice rendue par des hommes qui ont eu la chance de mener des vies ordinaires.

Déshabillez-moi

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Depuis plus d’un an, les jaloux et les ignorants accusent la prodigieuse popeuse new-yorkaise Lady GaGa d’avoir construit son succès planétaire sur son seul look déjanté. Certes, ses tenues rockissimes ravalent Carla Bruni au rang de Bernadette Chirac, mais Lady G semble en avoir marre de passer pour un dressing room chantant. Du coup, elle a décidé d’apparaître entièrement nue pour le clip de promo de sa prochaine tournée, qu’elle effectuera avec Kanye West. On en est jalouses, mais ravies, et on espère que ça ne donnera pas des idées similaires à Céline Dion ou à Cali.

Courant limpide en eaux troubles

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Palais de Justice

Tout monde sait qu’à Paris, la qualité d’un spectacle se mesure au nombre de passe-droits qu’il faut mobiliser pour y accéder ainsi qu’à la densité des célébrités qu’on y croise à l’entracte. Autant dire que l’audition de Dominique Galouzeau de Villepin par le Tribunal chargé d’examiner des plaintes pour usage de faux et dénonciation calomnieuse dans le cadre du feuilleton Clearstream était le must de la saison avant d’avoir commencé. C’était l’endroit où il fallait être mercredi. Et je ne suis pas peu fière, pour une fois, d’y avoir été – ce qui semble indiquer que j’en suis. J’ai croisé des sommités de la politique, du journalisme et du barreau, échangé quelques mots avec quelques-unes d’entre elles, pris un air entendu quand l’un me glissait « Villepin est cuit » et affiché une moue complice quand l’autre me confiait « il sera relaxé ». Et puis, j’ai senti le souffle chaud de l’histoire, humé l’air de la tragédie. Et pas mal rigolé.

Si vous espérez y voir plus clair dans les eaux troubles de ce courant limpide, ne vous attardez pas trop ici. La vérité judiciaire, la seule qui compte en cette enceinte, paraît-il, ne m’a pas été révélée en une après-midi. Je ne saurais trop engager ceux dont la curiosité n’a pas été assouvie par les excellents conseils littéraires de Marc Cohen à se reporter aux articles de mes non moins excellents confrères qui ne sont pas là seulement pour la bagatelle pipoleuse et ont planté leur tente dans la salle d’audience depuis deux semaines (j’ai une petite préférence pour ceux de Stéphane Durand-Souffland dans Le Figaro mais je vous laisse fouiller à la recherche de perles) et pour certains, au Palais depuis 30 ou 40 ans.

On jouait donc à guichets fermés et, la veille de la représentation, les étourdis, retardataires et pipoles de seconde zone (je vous laisse choisir à quelle catégorie j’appartiens, en vrai, aux trois) s’agitaient en tout sens pour obtenir des billets de faveur. Une charmante Nathalie, amie d’amis, œuvrant au cabinet de Jean-Marie Bockel, fit l’essentiel – elle identifia la personne idoine et prépara le terrain. Celle-ci, une fort sympathique Sylvie, chargée de la presse au Tribunal (me semble-t-il), accepta d’inscrire mon nom sur une liste donnant accès au Palais de Justice sans avoir à patienter avec les touristes et le petit peuple (au moins deux heures d’attente à vue d’œil). La Justice est publique, mais parmi nous, certains sont plus publics que d’autres. Pour la salle d’audience, elle ne pouvait rien faire, assaillie de requêtes depuis le mois de juin. Sans compter celles qu’on ne peut pas refuser arrivées dans les deux jours précédents. Quant à moi, il ne me restait qu’à compter sur ma chance et ma tête de fille honnête.

Le Palais de Justice est l’un des endroits les plus romanesques de Paris, même si l’on n’y croise plus, de nos jours, que de pâles ou comiques doubles de Vautrin et Fouché. Arrivée devant « le 2 » (boulevard du Palais), autrement dit, l’entrée des artistes, je tends mon passeport à un gendarme tout-à-fait présentable qui me prête une attention distraite, alors que tourbillonne autour de lui un sympathique échalas. « Laissez-moi passer, je vous dis que je suis prévenu !» C’est trop beau : Denis Robert lui-même, avec sa bonne bouille et un air vaguement égaré. S’ensuit un échange de regards interrogateurs entre les deux gendarmes qui décident de laisser passer ce garçon visiblement inoffensif. Profitant de ces quelques secondes, je m’engage résolument vers le portique et en quelques secondes, je suis dans l’immense salle des pas perdus, devant la 1ère chambre correctionnelle devant laquelle a été érigé un vaste périmètre de sécurité. Les habitués, avocats, journalistes dûment badgés et accrédités, prévenus, parties civiles vont et viennent sous les yeux des porteurs de caméras, micros et perches agglutinés autour des barrières. Apercevant un ami, je fonce vers lui en essayant d’avoir l’air d’avoir quelque chose d’important à faire. Bingo. C’est mon jour.

À l’intérieur, règne encore un aimable bazar. On papote, on arrange sa robe, on répond aux messages. Des chaises ont été rajoutées dans tous les espaces libres. J’aperçois Jean-Michel Apathie, Jean-Pierre Elkabbach, et quelques autres gloires du PAF, celles qui ne se déplacent que pour les événements planétaires (Je me demande où est Alain Duhamel). Edwy Plenel, visiblement enchanté d’être là, ne se mêle pas à la corporation. C’est qu’il est tout à la fois partie civile, c’est-à-dire victime, un rôle qu’il affectionne particulièrement, et grand témoin. La veille, il a pu donner toute sa mesure en donnant à la Cour son avis éclairé – non, pour de vrai, il paraît qu’il a été très bon. Je ne sais pas pourquoi mais je me demande si c’est lui qui a fait porter une rose qui attend madame de Villepin devant la salle d’audience. Finalement, ça m’étonnerait, vu que la rose est emballée dans un papier tricolore.

Peu avant 13h30, on entend soudain la voix de Dominique de Villepin, diffusée par les haut-parleurs installés dans la salle, comme s’il parlait du ciel – ou de l’au-delà. Quelques secondes à peine, puis la voix s’éteint. Pas mal, comme effet spécial. Juste avant l’arrivée de la Cour, on fait entrer une petite dizaine de personnes qui, je suppose, constituent le public. Les vrais gens, quoi.

La lumière ne s’éteint pas, mais ça commence quand même. Devant moi, je peux observer le câne aisément reconnaissable de mon ami Richard Malka, l’un des avocats de Clearstream (le salaud !). Dominique de Villepin entre en scène. « Monsieur le président, Mesdames les juges, Monsieur le juge ». Bon, faut pas croire, c’est pas marrant tout le temps, surtout pour ceux qui, comme moi, ne sont pas familiers de « la réunion du 9 janvier », « de la note du tant » et des formules un peu obscures du général Rondot. Tout de même, c’est marrant, la façon dont ces gens gouvernent. Leurs trucs de conspirateurs, la façon dont ils passent d’une remise de décoration à la gestion des secrets d’Etat. Leur habitude de se fliquer les uns les autres, leurs raisonnements tordus et leur manie de tout écrire. Peut-être qu’ils jouent très bien la comédie mais on a l’impression qu’ils y ont vraiment cru « au réseau de financement occulte qui menaçait la sécurité de l’Etat ». C’est ce que dit Gergorin, et, je suis peut-être naïve mais, là-dessus, je le crois. « Si l’affaire avait été réelle, elle eût été majeure ». Le plus étonnant est bien que d’aussi brillants cerveaux aient pu se faire enfumer par cette histoire de listings occultes. Que d’inavouables arrière-pensées et d’éventuelles manipulations aient ensuite transformé ce pétard mouillé en bombe politique ne nous apprend rien de très nouveau sur la nature humaine.

Il tient tellement le coup, DDV (son petit nom dans les carnets Rondot) que l’échange avec le président est souvent ennuyeux. De plus, on l’entend, mal, le président, au point qu’un confrère lance : « Micro ! ». Il y a tout de même quelques moments cocasses. Quand il explique, par exemple, qu’il a toujours agi en conformité avec les « lignes directrices énoncées par le président de la République sur la moralisation de la vie internationale ». Il rappelle au passage qu’il avait à l’époque, la charge des affaires du monde. Et aussi quand il évoque l’été 2005, moment où ses services lui apprennent que Le Point prépare une « une ». Ceux qui pensent que c’est lui qui a balancé sont évidemment des méchantes langues mal informées. Dommage, le président ne relève pas. Il est aussi question des journalistes dans une note du patron de la DST de l’époque qui a interrogé l’un de ses agents dont le nom figure dans le listing. Dans le courant de la discussion, celui-ci a juré qu’il n’avait jamais eu de contact direct avec « les journalistes recensés comme sources ouvertes par la DST ». Sur les bancs de la presse, on regarde ailleurs.

Mais le moment le plus fort est à venir. Le président fait venir à la barre Jean-Louis Gergorin qui a été cuisiné des heures durant la veille. « Restez là, monsieur de Villepin. » Cela donne, en substance, cet échange surréaliste.
– Le président : Dominique de Villepin dit n’avoir jamais su qui était « la source »
– Gergorin : Je l’en ai informé dès le 9 janvier.
– Le président, à Villepin :  Connaissiez-vous le nom d’Imad Lahoud
– Villepin : Absolument pas.
– Le président à Gergorin: Qui a eu l’idée de contacter un juge ?
– Gergorin : Cette idée a été formulée à voix haute par Dominique de Villepin au cours d’une réunion en avril. Il a ensuite fait, assez solennellement, état d’une instruction du Président.
– Le président, à Villepin : Avez-vous invoqué une instruction présidentielle ?
– Villepin : Pas le moins du monde.

L’un de ces deux hommes ment. Et il a des nerfs d’acier. Chapeau l’artiste. J’ai bien fait de venir.

Tefal contre fœtal !

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Le Réseau Environnement-Santé, qui regroupe des ONG, des médecins et des scientifiques a piqué une grosse colère hier, lors d’une conférence de presse contre un de ustensiles préférés des ménagères. D’après le RES, les poêles anti-adhésives contiennent du PFOA, une substance qui, ajoutée à d’autres composés perfluorés, comme le PFOS (acide perfluorooctane sulfonique) provoquerait notamment une baisse sensible de la qualité du sperme. En conséquence de quoi le Réseau demande qu’on revienne fissa à la bonne vieille poêle en fonte ou en acier. Précision importante: quelles que soient les spécifications techniques de l’ustensile de cuisine choisi, il est recommandé de ne pas faire frire les spermatozoïdes avant usage.

Merci la grippe

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Flickr/Michael Desmarais.
Flickr/Michael Desmarais.

J’ai comme l’impression que vous n’avez pas bien compris ce qu’on vous répète en boucle : avec la grippe AH1N1, on va tous y passer ! Oui, je sais, vous aviez sans doute d’autres projets en vue pour la rentrée (faire redécorer votre pavillon par Valérie Damidot ou vous lancer dans le commerce équitable de fausses Rolex). Malheureusement, il va falloir remettre tout ça à votre prochaine métempsycose, parce que techniquement, ce sera pas possible dans cette vie-là

D’un autre côté, réjouissez-vous : vous partirez avant d’avoir été ruiné par la crise financière. Profitez-en donc pour acheter à crédit des trucs hors de prix : puisque vous ne paierez que deux ou trois mensualités, ce serait vraiment dommage de se priver. En plus, votre prodigalité relancera la croissance, pour d’éventuels rescapés qui n’oublieront pas la grandeur d’âme dont vous aurez fait preuve face à l’adversité. De toute façon, c’est pas maintenant que vous allez ouvrir un Livret A !

Autre avantage substantiel procuré par cette pandémie ravageuse : vous allez pouvoir lever le pied – et le coude surtout ! – en matière alimentaire. Laissez pourrir vos cinq fruits et légumes quotidiens dans le frigo, et reprenez une troisième portion d’apfelstrudel. Côté liquide, et sans vouloir vous inciter à l’alcoolisme, je vous rappelle que l’eau se raréfie et que, de toute façon, les nappes phréatiques sont polluées par des pesticides industriels aux vertus mortifères éprouvées. Le rhum, le Sancerre et la Guinness sont garantis 0 % défoliants, eux. Quant au tabac enfin, c’est vraiment pas le moment d’arrêter puisque, je vous le rappelle, H1N1 vous aura chopé avant que vos poumons soient assez goudronnés pour pouvoir intenter un procès à la Seita.

Mourir idiot : n’est-ce pas là une de nos hantises les plus « prégnantes » – selon le qualificatif cher à ceux qui n’ont généralement rien à dire ? Il y a tant de facettes du réel qui demeurent pour nous autant de virtualités ne demandant qu’à s’accomplir dans l’aujourd’hui de nos vies… En gros : soyez désormais no-limit ! Vivez à tout instant dans une spontanéité, un arbitraire et une démesure nietzschéennes. Si la vertu est dans le juste milieu[1. In medio stat virtus (expression à placer lors d’un dîner en ville).], fuyez-les ; montez le son et foncez ! Bon, au cas où vous seriez bouddhiste, attendez-vous quand même à vous réincarner pendant quelques générations en mollusque sous-marin. Dites-vous néanmoins que, dans cette hypothèse, cela purifiera votre karma devenu aussi chargé que votre foie et votre casier judiciaire…

Paul Gégauff, bientôt de retour

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Il y a au moins une vraie bonne nouvelle dans cette rentrée littéraire. Le 22 octobre, Tous mes amis de Paul Gégauff, un recueil de nouvelles introuvable depuis sa première édition chez Julliard sera réédité dans la collection Les Inclassables des éditions Alphée, collection dirigée par Arnaud Le Guern. Paul Gégauff était un admirable écrivain dégagé, comme il y a des écrivains engagés, qui donna l’essentiel de sa production littéraire, soit quatre romans, dans les années cinquante aux Editions de Minuit ce qui faisait de lui une sorte de Roger Nimier égaré dans le catalogue glacé du Nouveau Roman. Scénariste préféré de Chabrol, il travailla également pour Barbet Shroeder (More) ou René Clément (Plein soleil), et de quelques autres moins glorieux mais il fallait bien manger, se payer des décapotables et sortir de jolies actrices. Gégauff, grand séducteur, fit même plusieurs apparitions comme acteur, notamment dans Une partie de plaisir en 1975.

Paul Gégauff est mort pendant un réveillon arrosé de Noël 1983, en Norvège, poignardé à soixante-et-un ans par sa compagne de vingt-cinq. Il n’était manifestement pas équipé pour traverser les années quatre-vingt, ce qui est tout à son honneur. On ne sera pas sans vous reparler de cet admirable feu follet.

Le mirage Die Linke

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Affiche de campagne de Die Linke : Taxer la richesse !
Affiche de campagne de Die Linke : Taxer la richesse !

Une véritable jubilation s’est manifestée au sein de la gauche de la gauche française après les résultats des élections législatives allemandes du 27 septembre. De Jean-Luc Mélenchon à Benoît Hamon, on a salué avec enthousiasme le succès relatif du parti Die Linke (La Gauche) qui a obtenu près de 12% des suffrages, contre 8,8% en 2005. A l’exception du NPA de Krivine et Besancenot, qui pointe les contradictions internes de cette formation hétéroclite, tout ceux qui contestent les ouvertures de la direction du PS et de Dany Cohn-Bendit en direction du Modem se sentent confortés dans leur stratégie de rassemblement de la gauche et de l’extrême gauche.

Il n’est pas inutile de leur rappeler que la montée en puissance de Die Linke en Allemagne survient dans un contexte de recul historique de l’ensemble de la gauche (SPD, Verts, Die Linke), qui totalise moins de 46% des suffrages contre 48,5% à la droite (CDU, CSU, FDP). Il faut également noter que les 6% de voix qui se sont portées sur des petites listes sont principalement allées vers des formations de droite ou d’extrême droite, à l’exception de la liste des Pirates (2%) dont le positionnement idéologique est pour le moins flou.

Le « succès » de Die Linke est le résultat d’un vote-sanction contre le SPD d’une fraction de l’électorat social-démocrate qui n’a toujours pas digéré les réformes effectuées par Gerhard Schröder lorsqu’il était chancelier (Agenda 2010) pour restaurer la compétitivité de l’économie allemande en réduisant les prestations sociales (santé et assurance chômage).

Le talent oratoire des deux principaux leaders de Die Linke, l’ex-social démocrate Oskar Lafontaine et l’ex-communiste Gregor Gysi, jamais en reste de rhétorique populiste, a mis en lumière, par contraste, le faible charisme de leurs concurrents du SPD et des Verts. Ces derniers n’ont pas retrouvé de personnalités capables d’enflammer les foules par leur verbe depuis le retrait de la vie politique de Gerhard Schröder et de Joshka Fischer.

Mais ces atouts conjoncturels ne sauraient masquer le caractère hétérogène et fondamentalement instable d’un parti composé de nostalgiques de l’ex-RDA, de syndicalistes ouest-allemands en délicatesse avec un SPD paralysé dans une  » grande coalition » avec la CDU d’Angela Merkel, et d’une nébuleuse de groupements gauchistes et altermondialistes.

D’ores et déjà, des tensions se font jour entre les tenants d’une stratégie visant à faire de Die Linke un parti koalitionfähig (capable de former une coalition au niveau fédéral[1. Die Linke participe au gouvernement du Land de Berlin avec le SPD, et pourrait bientôt entrer dans ceux du Brandebourg et de la Sarre. Mais cette alliance demeure exclue au niveau fédéral par le SPD.], et ceux qui ne sont pas près de sacrifier les grands principes (sortie de l’OTAN, nationalisation de banques) au réalisme pour participer à un gouvernement avec le SPD et les Verts.
La présence, encore massive, dans ses rangs, d’anciens militants et responsables du SED, le Parti communiste est-allemand, le rend vulnérable à des campagnes de diabolisation menées par la droite. Il faut être un grand rêveur, comme Alexandre Adler, pour voir en Gregor Gysi un futur Barack Obama à l’allemande au motif que ses parents ont été, jadis, des membres de l’Orchestre rouge[2. Entendu le 29 septembre, vers 8h30 sur France Culture. L’Orchestre rouge était un réseau d’espionnage antinazi, animé par des antifascistes allemands pour le compte de l’URSS.]. Les Allemands d’aujourd’hui, même s’ils apprécient ses bons mots et son humour dans les talk-shows à la télévision ont une mémoire moins sélective, et se souviennent que son père, Klaus Gysi fut aussi un haut dignitaire du Parti communiste, ambassadeur puis ministre de la culture d’Erich Honecker…

D’autre part, le retour du SPD dans l’opposition, et les changements à la tête du parti qui vont intervenir dans les prochains jours (à la différence de ce qui se passe en France avec le PS, on ne garde pas une équipe qui perd) devraient lui permettre de renouer le contact perdu avec sa clientèle traditionnelle des ouvriers et des classes moyennes.

Il lui reste, et c’est la où le bât blesse, à élaborer une stratégie d’alliances pour revenir au pouvoir dans un contexte globalement défavorable à la social-démocratie à l’échelle européenne.
La droitisation du gouvernement fédéral va, bien sûr, lui donner du grain à moudre sur des thèmes où il se retrouvera côte à côte avec Die Linke et les Verts : l’opposition aux centrales nucléaires, à la participation de la Bundeswehr aux opérations en Afghanistan, les atteintes aux acquis sociaux.
S’il jette par dessus bord l’héritage réaliste (certains diront social-libéral) de Gerhard Schröder, le SPD risque de s’aliéner une partie des nouvelles classes moyennes urbaines pour se replier sur ses bastions traditionnels de la vieille industrie en déclin.
S’il y reste attaché, en l’adaptant au contexte de cette après-crise pour lequel l’Allemagne semble mieux placée que ses principaux voisins européens, il va se trouver en difficulté avec ses alliés potentiels à gauche.

Comme il ne faut pas trop compter sur des erreurs politiques majeures d’une Angela Merkel à la prudence proverbiale pour pallier ces handicaps, la gauche allemande de gouvernement n’est pas dans une position plus favorable que son homologue française.

Nicolas est petit

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Le pPetit Nicolas

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.

Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.

Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !

Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.

Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.

Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?

La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?

Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…

On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…

Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.

LA RENTREE DU PETIT NICOLAS

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Je veux mon Causeur !

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Causeur ne donne pas uniquement dans la virtualité d’Internet : c’est aussi un mensuel, imprimé sur du vrai papier. L’odeur de l’encre fraîche vous attire ? Précipitez-vous ! Il n’y en aura pas pour tout le monde : le numéro 16 du magazine Causeur vient de paraître. Douze articles inédits, des chroniques, un dossier haut en couleurs consacré à une question d’actualité : « La France est-elle raciste ? » Le magazine Causeur est disponible sur abonnement ou au numéro. Les Strasbourgeois ont également la chance de pouvoir se le procurer à la Librairie Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois). N’hésitez plus !

Demain, la gauche

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SPD

Finalement, je serais presque d’accord avec Luc Rosenzweig : le revival socialo-communiste n’a aucun avenir. Et pour cause, dans un couple, il faut être deux et si le communisme en tant qu’hypothèse est toujours une idée neuve en Europe, le socialisme, lui, n’existe plus. De Bad Godesberg à Manuel Valls, en passant par le tournant français de la rigueur en 1983, l’histoire des partis socialistes en Europe est celle d’une lente atrophie de l’idéal, d’une soumission à l’ordre marchand, d’une manière de fatalisme économique, de signatures répétées de Munich sociaux pour prendre ou garder un pouvoir politique dont le primat n’était plus qu’une fiction. Parfois, avec de très bonnes intentions, celles qui pavent l’enfer, sur l’air du « si ce n’est pas nous qui le faisons, ce sera pire avec les autres. » Le temps où « la gauche essayait » comme disait Halimi a cédé la place au temps de « la gauche sans le peuple » pour paraphraser Eric Conan. Le résultat est sans appel : trois élections présidentielles perdues dont une dès le premier tour. Et, aux dernières élections européennes, 16% des voix. Cela, seulement pour la France…

Le Labour anglais, lui, qui avait cette culture du mouvement social et de l’association avec des syndicats, qui était un parti de la société autant qu’un parti socialiste, est devenu ce que l’on sait avec Tony Blair, qui l’a affublé de l’adjectif new, ce qui est toujours mauvais signe. Pas besoin d’être lecteur de Nietzsche ou amateur d’ortolan pour savoir que la nouvelle philosophie ou la nouvelle cuisine n’ont rien de commun avec la philosophie ou la cuisine. L’histoire du blairisme est une poursuite à peine maquillée du thatchérisme, guerres impérialistes comprises, avec en plus, ce petit côté zèle du converti qui pousse à en rajouter dans la télésurveillance, la criminalisation de la misère, la jeunesse considérée comme une classe dangereuse. Le résultat de tout cela, c’est que l’ectoplasmique Gordon Brown va probablement prendre en juin une dérouillée historique et que le groupe travailliste va se résumer à un Fort Alamo aux Communes.

Les socialistes ont cru masquer leur désertion du social en se réfugiant dans le sociétal. Oublions les 35 heures, et même la CMU et occupons nous du PACS, histoire de faire passer la pilule des privatisations rhabillées en « ouvertures du capital » et aussi nombreuses que sous un gouvernement de droite classique.

Le problème, c’est que pour le sociétal, il y a mieux qu’eux : les écolos, enfin entendons-nous, ces écolos persuadés que l’on peut conjuguer marché et environnement et convaincus que la culpabilisation du prolo fortement carboné suffira à sauver la planète. Résultat des courses, lors de la dernière partielle dans l’ancienne circonscription de Christine Boutin, les socialistes se font doubler par les Verts qui échouent à cinq voix au deuxième tour, nous faisant par la même occasion découvrir une nouvelle catégorie socio-politique – la gauche vallée de Chevreuse.

Résumons-nous, les socialistes, un peu partout, ont espéré garder les classes moyennes en adoptant la langue de l’adversaire. Avant, quand un socialiste parlait de « réforme », on pouvait entendre « progrès social ». Aujourd’hui, quand DSK prononce le mot « réforme », j’ai envie de mettre un casque lourd et de relire Que faire ? de Lénine. Seulement, on a beau être président du Fonds monétaire international, on n’en est pas forcément entendu par ceux qui n’ont plus rien de monétaire dans le fond du porte-monnaie. Quand bien même l’appareil médiatique du Bloc Central aurait décidé que DSK était le meilleur opposant, comme en d’autres temps il décida que c’était Ségolène Royal et encore avant Rocard, autrement dit les donneurs les plus compatibles pour continuer à transfuser l’économie de marché.

La situation est encore plus sombre quand les socialistes tentent de survivre dans une grande coalition comme le SPD qui vient de le payer très cher. Il y avait pourtant lors de la précédente législature, la possibilité d’une majorité SPD-Verts-Die Linke. Mais Oskar Lafontaine devait trop sentir la sueur. Quant à Socrates au Portugal, il a fait du Blair tendance vinho verde pour se retrouver, en fin de compte, obligé de s’allier avec la droite pour continuer à gouverner.

Alors, oui, effectivement, il n’y aura pas de revival socialo-communiste. Le PS français est mort depuis le référendum européen de 2005, quand son électorat historique a voté « non » alors que le parti votait « oui ». Pour le coup, il y avait là un vrai choix de société.

Il n’est pas du tout certain que la droite libérale profite de cet effondrement idéologique et électoral. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite de n’avoir plus en face d’elle, une fois les petites recompositions d’appareils achevées, qu’un conglomérat de centre gauche composé d’un mélange de PS résiduel, de Modem et de verts Chevreuse.
Car partout en Europe, une gauche de la gauche voit le jour. Une gauche nouvelle et pas new. Je n’ai pas oublié ce que disait le vieux prophète de la vieille – l’histoire ne se répète pas ou alors sous forme de farce. Les excellents scores de Die Linke en Allemagne, de l’alliance rouge-verte et de l’extrême gauche au Portugal indiquent que 15 à 20 % des électeurs deux choses croient encore à une révolution par les urnes. Et à chaque scrutin, ils gagnent du terrain.

En France, on n’a pas encore mesuré la nouveauté du Front de Gauche, l’alchimie entre l’ancrage républicain et ouvrier traditionnel du PCF et l’électorat plus jeune d’un Parti de Gauche dont l’un des penseurs majeurs, André Gorz, défend une écologie réellement sociale et la réorientation de la croissance plutôt que la décroissance tendance khmer vert. Sans compter l’apport des anciens chevènementistes en gènes nation/émancipation et celui de la Gauche Unitaire, dissidents du NPA, mais surtout indispensable passerelle avec ce parti et ces militants qui valent beaucoup mieux qu’une direction autiste (de moins en moins d’ailleurs) et une figure instrumentalisée médiatiquement de manière de moins en moins efficace comme l’a prouvé son score calamiteux aux européennes.

Seul l’optimisme est révolutionnaire et il semble bien que cette fameuse crise de la social-démocratie dont ont nous rebat les oreilles soit en fait l’ultime ruse d’un système à bout de souffle pour masquer la naissance en France, mais aussi en Europe, d’une gauche sociale, républicaine, en mesure d’exercer le pouvoir et qui n’a pas peur d’annoncer la couleur : il faut rompre avec le capitalisme, cette idéologie du désastre planétaire en cours.

Le peuple contre les pipoles

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Roman Polanski

Le tir rapide de Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand, dégainant plus vite que leur ombre leur déclaration indignée à propos de l’arrestation à Zurich de Roman Polanski, a profondément choqué les Français. Grâce à la Toile, on a pu voir en temps réel le rejet profond provoqué dans le pays par la mobilisation, en faveur du cinéaste franco-polonais, du ban et de l’arrière-ban des élites culturelles françaises. Quel que soit le média répercutant la nouvelle et faisant état des réactions officielles, les commentaires postés étaient, dans leur écrasante majorité, empreints de colère, voire de dégoût : comment peut-on ainsi réclamer que la justice soit entravée au motif que le justiciable est un artiste de grand talent ? Roman Polanski est peut-être un génie, mais ce génie a abusé d’une fille de treize ans en la faisant boire et en la droguant, tels étaient les principaux arguments de ces commentaires.

Les modérateurs du Point.fr n’avaient jamais vu cela, et se sont fendus, sur le site de l’hebdomadaire, d’une analyse de contenu des 482 messages reçus sur cette affaire en l’espace d’une seule journée, celle du 28 septembre, dont 97% étaient défavorables à Polanski et ses soutiens. On y fustige « la meute germanopratine », la « crypto intelligentsia de notre pays », « l’élite politico-bobo-culturelle » qui a pris la défense du cinéaste.

Ceux qui, comme Marine Le Pen et Dany Cohn-Bendit, ont attendu de sentir d’où venait le vent pour s’exprimer à ce sujet n’ont eu qu’à se laisser porter par l’aquilon des protestations pour se livrer à leur numéro habituel de démagogie.

On aurait tort, pourtant, de ne voir dans ce soulèvement moral de la France d’en bas qu’une nouvelle et désolante manifestation d’un anti-intellectualisme proto-fasciste, résultat de la fascination-répulsion qu’exerce sur la foule la contemplation quotidienne des riches et célèbres.
Dans le cas Polanski, même l’anti-américanisme instinctif des Français n’a pu lui attirer la compassion d’un public qui ne voit dans son affaire que celle d’un homme qui a fui la justice, et qui demande aujourd’hui qu’on le dispense de rendre des comptes dans le cadre d’un procès équitable.

On peut discuter de l’imprescriptibilité en matière de crimes sexuels, résultat de la sensibilité de l’époque face à ce type de criminalité, dont les mouvements féministes et de protection de l’enfance n’ont de cesse de demander un châtiment toujours plus rigoureux. Le droit à l’oubli, sauf en matière de crime contre l’humanité, est un acquis de la civilisation qui permet de vivre ensemble et ne devrait exclure aucune des formes de la sauvagerie humaine.

Mais on ne peut pas demander que cette loi, qui est celle qui s’applique à tous, puisse souffrir d’exception, fût-elle culturelle. Ce message là devrait être entendu par ceux qui ont la charge et l’honneur de parler au nom du peuple qu’ils représentent.

On peut être certain, en revanche, que Roman Polanski pourra retrouver le chemin du cœur du public s’il comparait devant un tribunal de Los Angeles. Sa vie ne se résume pas à cet épisode condamnable. Evadé à neuf ans du ghetto de Cracovie, alors que ses parents étaient déportés et que sa mère ne reviendra pas d’Auschwitz, il ne supporta pas de voir son père refaire sa vie avec une autre femme. Laissé à lui même dès sa première adolescence, il se découvre cinéaste dans la Pologne communiste, et révèle très tôt un talent qui sera internationalement reconnu. A 29 ans il devient célèbre avec son premier long métrage Le couteau dans l’eau, ce qui lui permet de mener une carrière internationale entre Paris, Londres et Los Angeles.
C’est dans cette ville qu’un nouveau drame s’abat sur lui : le sauvage assassinat, en 1969, de son épouse Sharon Tate, enceinte de huit mois, par les membres d’une secte sous l’emprise de Charles Manson.

En dépit de sa notoriété mondiale, Polanski connaît des hauts et des bas dans sa carrière, alternant de grands succès, comme Rosemary’s Baby ou Chinatown avec des échecs retentissants. Sa vie privée, qui n’avait jamais été un long fleuve tranquille, connaît alors des débordements mieux acceptés à l’époque qu’aujourd’hui[1. C’était le temps où la police et la justice française fermaient les yeux sur le comportement sexuel d’un Charles Trénet pas trop regardant sur l’état civil des jeunes gens qu’il fréquentait, et où un Jean-François Revel pouvait se vanter, dans ses Mémoires, d’avoir, par un faux témoignage, sauvé la mise d’un de ses condisciples de Normale sup traîné en justice pour pédophilie…]. Son attirance pour les femmes très jeunes a été une constante que les psys renvoient au traumatisme de la perte de la mère dont l’image idéalisée s’était fixée en lui alors qu’elle avait trente ans. Tous ceux qui ont côtoyé Polanski, comme l’actrice Mia Farrow, on noté son mal-être avec les femmes qui avaient dépassé le seuil de l’adolescence…

Pendant près de trente ans il aura été un fugitif, de luxe, certes, mais un fugitif tout de même. Un destin tragique, sublimé dans une activité artistique que le malheur nourrit et féconde. Cela se plaide, pour autant que l’on accepte de rendre des comptes à une justice rendue par des hommes qui ont eu la chance de mener des vies ordinaires.

Déshabillez-moi

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Depuis plus d’un an, les jaloux et les ignorants accusent la prodigieuse popeuse new-yorkaise Lady GaGa d’avoir construit son succès planétaire sur son seul look déjanté. Certes, ses tenues rockissimes ravalent Carla Bruni au rang de Bernadette Chirac, mais Lady G semble en avoir marre de passer pour un dressing room chantant. Du coup, elle a décidé d’apparaître entièrement nue pour le clip de promo de sa prochaine tournée, qu’elle effectuera avec Kanye West. On en est jalouses, mais ravies, et on espère que ça ne donnera pas des idées similaires à Céline Dion ou à Cali.

Courant limpide en eaux troubles

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Palais de Justice

Tout monde sait qu’à Paris, la qualité d’un spectacle se mesure au nombre de passe-droits qu’il faut mobiliser pour y accéder ainsi qu’à la densité des célébrités qu’on y croise à l’entracte. Autant dire que l’audition de Dominique Galouzeau de Villepin par le Tribunal chargé d’examiner des plaintes pour usage de faux et dénonciation calomnieuse dans le cadre du feuilleton Clearstream était le must de la saison avant d’avoir commencé. C’était l’endroit où il fallait être mercredi. Et je ne suis pas peu fière, pour une fois, d’y avoir été – ce qui semble indiquer que j’en suis. J’ai croisé des sommités de la politique, du journalisme et du barreau, échangé quelques mots avec quelques-unes d’entre elles, pris un air entendu quand l’un me glissait « Villepin est cuit » et affiché une moue complice quand l’autre me confiait « il sera relaxé ». Et puis, j’ai senti le souffle chaud de l’histoire, humé l’air de la tragédie. Et pas mal rigolé.

Si vous espérez y voir plus clair dans les eaux troubles de ce courant limpide, ne vous attardez pas trop ici. La vérité judiciaire, la seule qui compte en cette enceinte, paraît-il, ne m’a pas été révélée en une après-midi. Je ne saurais trop engager ceux dont la curiosité n’a pas été assouvie par les excellents conseils littéraires de Marc Cohen à se reporter aux articles de mes non moins excellents confrères qui ne sont pas là seulement pour la bagatelle pipoleuse et ont planté leur tente dans la salle d’audience depuis deux semaines (j’ai une petite préférence pour ceux de Stéphane Durand-Souffland dans Le Figaro mais je vous laisse fouiller à la recherche de perles) et pour certains, au Palais depuis 30 ou 40 ans.

On jouait donc à guichets fermés et, la veille de la représentation, les étourdis, retardataires et pipoles de seconde zone (je vous laisse choisir à quelle catégorie j’appartiens, en vrai, aux trois) s’agitaient en tout sens pour obtenir des billets de faveur. Une charmante Nathalie, amie d’amis, œuvrant au cabinet de Jean-Marie Bockel, fit l’essentiel – elle identifia la personne idoine et prépara le terrain. Celle-ci, une fort sympathique Sylvie, chargée de la presse au Tribunal (me semble-t-il), accepta d’inscrire mon nom sur une liste donnant accès au Palais de Justice sans avoir à patienter avec les touristes et le petit peuple (au moins deux heures d’attente à vue d’œil). La Justice est publique, mais parmi nous, certains sont plus publics que d’autres. Pour la salle d’audience, elle ne pouvait rien faire, assaillie de requêtes depuis le mois de juin. Sans compter celles qu’on ne peut pas refuser arrivées dans les deux jours précédents. Quant à moi, il ne me restait qu’à compter sur ma chance et ma tête de fille honnête.

Le Palais de Justice est l’un des endroits les plus romanesques de Paris, même si l’on n’y croise plus, de nos jours, que de pâles ou comiques doubles de Vautrin et Fouché. Arrivée devant « le 2 » (boulevard du Palais), autrement dit, l’entrée des artistes, je tends mon passeport à un gendarme tout-à-fait présentable qui me prête une attention distraite, alors que tourbillonne autour de lui un sympathique échalas. « Laissez-moi passer, je vous dis que je suis prévenu !» C’est trop beau : Denis Robert lui-même, avec sa bonne bouille et un air vaguement égaré. S’ensuit un échange de regards interrogateurs entre les deux gendarmes qui décident de laisser passer ce garçon visiblement inoffensif. Profitant de ces quelques secondes, je m’engage résolument vers le portique et en quelques secondes, je suis dans l’immense salle des pas perdus, devant la 1ère chambre correctionnelle devant laquelle a été érigé un vaste périmètre de sécurité. Les habitués, avocats, journalistes dûment badgés et accrédités, prévenus, parties civiles vont et viennent sous les yeux des porteurs de caméras, micros et perches agglutinés autour des barrières. Apercevant un ami, je fonce vers lui en essayant d’avoir l’air d’avoir quelque chose d’important à faire. Bingo. C’est mon jour.

À l’intérieur, règne encore un aimable bazar. On papote, on arrange sa robe, on répond aux messages. Des chaises ont été rajoutées dans tous les espaces libres. J’aperçois Jean-Michel Apathie, Jean-Pierre Elkabbach, et quelques autres gloires du PAF, celles qui ne se déplacent que pour les événements planétaires (Je me demande où est Alain Duhamel). Edwy Plenel, visiblement enchanté d’être là, ne se mêle pas à la corporation. C’est qu’il est tout à la fois partie civile, c’est-à-dire victime, un rôle qu’il affectionne particulièrement, et grand témoin. La veille, il a pu donner toute sa mesure en donnant à la Cour son avis éclairé – non, pour de vrai, il paraît qu’il a été très bon. Je ne sais pas pourquoi mais je me demande si c’est lui qui a fait porter une rose qui attend madame de Villepin devant la salle d’audience. Finalement, ça m’étonnerait, vu que la rose est emballée dans un papier tricolore.

Peu avant 13h30, on entend soudain la voix de Dominique de Villepin, diffusée par les haut-parleurs installés dans la salle, comme s’il parlait du ciel – ou de l’au-delà. Quelques secondes à peine, puis la voix s’éteint. Pas mal, comme effet spécial. Juste avant l’arrivée de la Cour, on fait entrer une petite dizaine de personnes qui, je suppose, constituent le public. Les vrais gens, quoi.

La lumière ne s’éteint pas, mais ça commence quand même. Devant moi, je peux observer le câne aisément reconnaissable de mon ami Richard Malka, l’un des avocats de Clearstream (le salaud !). Dominique de Villepin entre en scène. « Monsieur le président, Mesdames les juges, Monsieur le juge ». Bon, faut pas croire, c’est pas marrant tout le temps, surtout pour ceux qui, comme moi, ne sont pas familiers de « la réunion du 9 janvier », « de la note du tant » et des formules un peu obscures du général Rondot. Tout de même, c’est marrant, la façon dont ces gens gouvernent. Leurs trucs de conspirateurs, la façon dont ils passent d’une remise de décoration à la gestion des secrets d’Etat. Leur habitude de se fliquer les uns les autres, leurs raisonnements tordus et leur manie de tout écrire. Peut-être qu’ils jouent très bien la comédie mais on a l’impression qu’ils y ont vraiment cru « au réseau de financement occulte qui menaçait la sécurité de l’Etat ». C’est ce que dit Gergorin, et, je suis peut-être naïve mais, là-dessus, je le crois. « Si l’affaire avait été réelle, elle eût été majeure ». Le plus étonnant est bien que d’aussi brillants cerveaux aient pu se faire enfumer par cette histoire de listings occultes. Que d’inavouables arrière-pensées et d’éventuelles manipulations aient ensuite transformé ce pétard mouillé en bombe politique ne nous apprend rien de très nouveau sur la nature humaine.

Il tient tellement le coup, DDV (son petit nom dans les carnets Rondot) que l’échange avec le président est souvent ennuyeux. De plus, on l’entend, mal, le président, au point qu’un confrère lance : « Micro ! ». Il y a tout de même quelques moments cocasses. Quand il explique, par exemple, qu’il a toujours agi en conformité avec les « lignes directrices énoncées par le président de la République sur la moralisation de la vie internationale ». Il rappelle au passage qu’il avait à l’époque, la charge des affaires du monde. Et aussi quand il évoque l’été 2005, moment où ses services lui apprennent que Le Point prépare une « une ». Ceux qui pensent que c’est lui qui a balancé sont évidemment des méchantes langues mal informées. Dommage, le président ne relève pas. Il est aussi question des journalistes dans une note du patron de la DST de l’époque qui a interrogé l’un de ses agents dont le nom figure dans le listing. Dans le courant de la discussion, celui-ci a juré qu’il n’avait jamais eu de contact direct avec « les journalistes recensés comme sources ouvertes par la DST ». Sur les bancs de la presse, on regarde ailleurs.

Mais le moment le plus fort est à venir. Le président fait venir à la barre Jean-Louis Gergorin qui a été cuisiné des heures durant la veille. « Restez là, monsieur de Villepin. » Cela donne, en substance, cet échange surréaliste.
– Le président : Dominique de Villepin dit n’avoir jamais su qui était « la source »
– Gergorin : Je l’en ai informé dès le 9 janvier.
– Le président, à Villepin :  Connaissiez-vous le nom d’Imad Lahoud
– Villepin : Absolument pas.
– Le président à Gergorin: Qui a eu l’idée de contacter un juge ?
– Gergorin : Cette idée a été formulée à voix haute par Dominique de Villepin au cours d’une réunion en avril. Il a ensuite fait, assez solennellement, état d’une instruction du Président.
– Le président, à Villepin : Avez-vous invoqué une instruction présidentielle ?
– Villepin : Pas le moins du monde.

L’un de ces deux hommes ment. Et il a des nerfs d’acier. Chapeau l’artiste. J’ai bien fait de venir.

Tefal contre fœtal !

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Le Réseau Environnement-Santé, qui regroupe des ONG, des médecins et des scientifiques a piqué une grosse colère hier, lors d’une conférence de presse contre un de ustensiles préférés des ménagères. D’après le RES, les poêles anti-adhésives contiennent du PFOA, une substance qui, ajoutée à d’autres composés perfluorés, comme le PFOS (acide perfluorooctane sulfonique) provoquerait notamment une baisse sensible de la qualité du sperme. En conséquence de quoi le Réseau demande qu’on revienne fissa à la bonne vieille poêle en fonte ou en acier. Précision importante: quelles que soient les spécifications techniques de l’ustensile de cuisine choisi, il est recommandé de ne pas faire frire les spermatozoïdes avant usage.

Merci la grippe

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Flickr/Michael Desmarais.
Flickr/Michael Desmarais.
Flickr/Michael Desmarais.

J’ai comme l’impression que vous n’avez pas bien compris ce qu’on vous répète en boucle : avec la grippe AH1N1, on va tous y passer ! Oui, je sais, vous aviez sans doute d’autres projets en vue pour la rentrée (faire redécorer votre pavillon par Valérie Damidot ou vous lancer dans le commerce équitable de fausses Rolex). Malheureusement, il va falloir remettre tout ça à votre prochaine métempsycose, parce que techniquement, ce sera pas possible dans cette vie-là

D’un autre côté, réjouissez-vous : vous partirez avant d’avoir été ruiné par la crise financière. Profitez-en donc pour acheter à crédit des trucs hors de prix : puisque vous ne paierez que deux ou trois mensualités, ce serait vraiment dommage de se priver. En plus, votre prodigalité relancera la croissance, pour d’éventuels rescapés qui n’oublieront pas la grandeur d’âme dont vous aurez fait preuve face à l’adversité. De toute façon, c’est pas maintenant que vous allez ouvrir un Livret A !

Autre avantage substantiel procuré par cette pandémie ravageuse : vous allez pouvoir lever le pied – et le coude surtout ! – en matière alimentaire. Laissez pourrir vos cinq fruits et légumes quotidiens dans le frigo, et reprenez une troisième portion d’apfelstrudel. Côté liquide, et sans vouloir vous inciter à l’alcoolisme, je vous rappelle que l’eau se raréfie et que, de toute façon, les nappes phréatiques sont polluées par des pesticides industriels aux vertus mortifères éprouvées. Le rhum, le Sancerre et la Guinness sont garantis 0 % défoliants, eux. Quant au tabac enfin, c’est vraiment pas le moment d’arrêter puisque, je vous le rappelle, H1N1 vous aura chopé avant que vos poumons soient assez goudronnés pour pouvoir intenter un procès à la Seita.

Mourir idiot : n’est-ce pas là une de nos hantises les plus « prégnantes » – selon le qualificatif cher à ceux qui n’ont généralement rien à dire ? Il y a tant de facettes du réel qui demeurent pour nous autant de virtualités ne demandant qu’à s’accomplir dans l’aujourd’hui de nos vies… En gros : soyez désormais no-limit ! Vivez à tout instant dans une spontanéité, un arbitraire et une démesure nietzschéennes. Si la vertu est dans le juste milieu[1. In medio stat virtus (expression à placer lors d’un dîner en ville).], fuyez-les ; montez le son et foncez ! Bon, au cas où vous seriez bouddhiste, attendez-vous quand même à vous réincarner pendant quelques générations en mollusque sous-marin. Dites-vous néanmoins que, dans cette hypothèse, cela purifiera votre karma devenu aussi chargé que votre foie et votre casier judiciaire…

Paul Gégauff, bientôt de retour

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Il y a au moins une vraie bonne nouvelle dans cette rentrée littéraire. Le 22 octobre, Tous mes amis de Paul Gégauff, un recueil de nouvelles introuvable depuis sa première édition chez Julliard sera réédité dans la collection Les Inclassables des éditions Alphée, collection dirigée par Arnaud Le Guern. Paul Gégauff était un admirable écrivain dégagé, comme il y a des écrivains engagés, qui donna l’essentiel de sa production littéraire, soit quatre romans, dans les années cinquante aux Editions de Minuit ce qui faisait de lui une sorte de Roger Nimier égaré dans le catalogue glacé du Nouveau Roman. Scénariste préféré de Chabrol, il travailla également pour Barbet Shroeder (More) ou René Clément (Plein soleil), et de quelques autres moins glorieux mais il fallait bien manger, se payer des décapotables et sortir de jolies actrices. Gégauff, grand séducteur, fit même plusieurs apparitions comme acteur, notamment dans Une partie de plaisir en 1975.

Paul Gégauff est mort pendant un réveillon arrosé de Noël 1983, en Norvège, poignardé à soixante-et-un ans par sa compagne de vingt-cinq. Il n’était manifestement pas équipé pour traverser les années quatre-vingt, ce qui est tout à son honneur. On ne sera pas sans vous reparler de cet admirable feu follet.

Le mirage Die Linke

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Affiche de campagne de Die Linke : Taxer la richesse !
Affiche de campagne de Die Linke : Taxer la richesse !
Affiche de campagne de Die Linke : Taxer la richesse !

Une véritable jubilation s’est manifestée au sein de la gauche de la gauche française après les résultats des élections législatives allemandes du 27 septembre. De Jean-Luc Mélenchon à Benoît Hamon, on a salué avec enthousiasme le succès relatif du parti Die Linke (La Gauche) qui a obtenu près de 12% des suffrages, contre 8,8% en 2005. A l’exception du NPA de Krivine et Besancenot, qui pointe les contradictions internes de cette formation hétéroclite, tout ceux qui contestent les ouvertures de la direction du PS et de Dany Cohn-Bendit en direction du Modem se sentent confortés dans leur stratégie de rassemblement de la gauche et de l’extrême gauche.

Il n’est pas inutile de leur rappeler que la montée en puissance de Die Linke en Allemagne survient dans un contexte de recul historique de l’ensemble de la gauche (SPD, Verts, Die Linke), qui totalise moins de 46% des suffrages contre 48,5% à la droite (CDU, CSU, FDP). Il faut également noter que les 6% de voix qui se sont portées sur des petites listes sont principalement allées vers des formations de droite ou d’extrême droite, à l’exception de la liste des Pirates (2%) dont le positionnement idéologique est pour le moins flou.

Le « succès » de Die Linke est le résultat d’un vote-sanction contre le SPD d’une fraction de l’électorat social-démocrate qui n’a toujours pas digéré les réformes effectuées par Gerhard Schröder lorsqu’il était chancelier (Agenda 2010) pour restaurer la compétitivité de l’économie allemande en réduisant les prestations sociales (santé et assurance chômage).

Le talent oratoire des deux principaux leaders de Die Linke, l’ex-social démocrate Oskar Lafontaine et l’ex-communiste Gregor Gysi, jamais en reste de rhétorique populiste, a mis en lumière, par contraste, le faible charisme de leurs concurrents du SPD et des Verts. Ces derniers n’ont pas retrouvé de personnalités capables d’enflammer les foules par leur verbe depuis le retrait de la vie politique de Gerhard Schröder et de Joshka Fischer.

Mais ces atouts conjoncturels ne sauraient masquer le caractère hétérogène et fondamentalement instable d’un parti composé de nostalgiques de l’ex-RDA, de syndicalistes ouest-allemands en délicatesse avec un SPD paralysé dans une  » grande coalition » avec la CDU d’Angela Merkel, et d’une nébuleuse de groupements gauchistes et altermondialistes.

D’ores et déjà, des tensions se font jour entre les tenants d’une stratégie visant à faire de Die Linke un parti koalitionfähig (capable de former une coalition au niveau fédéral[1. Die Linke participe au gouvernement du Land de Berlin avec le SPD, et pourrait bientôt entrer dans ceux du Brandebourg et de la Sarre. Mais cette alliance demeure exclue au niveau fédéral par le SPD.], et ceux qui ne sont pas près de sacrifier les grands principes (sortie de l’OTAN, nationalisation de banques) au réalisme pour participer à un gouvernement avec le SPD et les Verts.
La présence, encore massive, dans ses rangs, d’anciens militants et responsables du SED, le Parti communiste est-allemand, le rend vulnérable à des campagnes de diabolisation menées par la droite. Il faut être un grand rêveur, comme Alexandre Adler, pour voir en Gregor Gysi un futur Barack Obama à l’allemande au motif que ses parents ont été, jadis, des membres de l’Orchestre rouge[2. Entendu le 29 septembre, vers 8h30 sur France Culture. L’Orchestre rouge était un réseau d’espionnage antinazi, animé par des antifascistes allemands pour le compte de l’URSS.]. Les Allemands d’aujourd’hui, même s’ils apprécient ses bons mots et son humour dans les talk-shows à la télévision ont une mémoire moins sélective, et se souviennent que son père, Klaus Gysi fut aussi un haut dignitaire du Parti communiste, ambassadeur puis ministre de la culture d’Erich Honecker…

D’autre part, le retour du SPD dans l’opposition, et les changements à la tête du parti qui vont intervenir dans les prochains jours (à la différence de ce qui se passe en France avec le PS, on ne garde pas une équipe qui perd) devraient lui permettre de renouer le contact perdu avec sa clientèle traditionnelle des ouvriers et des classes moyennes.

Il lui reste, et c’est la où le bât blesse, à élaborer une stratégie d’alliances pour revenir au pouvoir dans un contexte globalement défavorable à la social-démocratie à l’échelle européenne.
La droitisation du gouvernement fédéral va, bien sûr, lui donner du grain à moudre sur des thèmes où il se retrouvera côte à côte avec Die Linke et les Verts : l’opposition aux centrales nucléaires, à la participation de la Bundeswehr aux opérations en Afghanistan, les atteintes aux acquis sociaux.
S’il jette par dessus bord l’héritage réaliste (certains diront social-libéral) de Gerhard Schröder, le SPD risque de s’aliéner une partie des nouvelles classes moyennes urbaines pour se replier sur ses bastions traditionnels de la vieille industrie en déclin.
S’il y reste attaché, en l’adaptant au contexte de cette après-crise pour lequel l’Allemagne semble mieux placée que ses principaux voisins européens, il va se trouver en difficulté avec ses alliés potentiels à gauche.

Comme il ne faut pas trop compter sur des erreurs politiques majeures d’une Angela Merkel à la prudence proverbiale pour pallier ces handicaps, la gauche allemande de gouvernement n’est pas dans une position plus favorable que son homologue française.