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Demain, la gauche


Demain, la gauche

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Finalement, je serais presque d’accord avec Luc Rosenzweig : le revival socialo-communiste n’a aucun avenir. Et pour cause, dans un couple, il faut être deux et si le communisme en tant qu’hypothèse est toujours une idée neuve en Europe, le socialisme, lui, n’existe plus. De Bad Godesberg à Manuel Valls, en passant par le tournant français de la rigueur en 1983, l’histoire des partis socialistes en Europe est celle d’une lente atrophie de l’idéal, d’une soumission à l’ordre marchand, d’une manière de fatalisme économique, de signatures répétées de Munich sociaux pour prendre ou garder un pouvoir politique dont le primat n’était plus qu’une fiction. Parfois, avec de très bonnes intentions, celles qui pavent l’enfer, sur l’air du « si ce n’est pas nous qui le faisons, ce sera pire avec les autres. » Le temps où « la gauche essayait » comme disait Halimi a cédé la place au temps de « la gauche sans le peuple » pour paraphraser Eric Conan. Le résultat est sans appel : trois élections présidentielles perdues dont une dès le premier tour. Et, aux dernières élections européennes, 16% des voix. Cela, seulement pour la France…

Le Labour anglais, lui, qui avait cette culture du mouvement social et de l’association avec des syndicats, qui était un parti de la société autant qu’un parti socialiste, est devenu ce que l’on sait avec Tony Blair, qui l’a affublé de l’adjectif new, ce qui est toujours mauvais signe. Pas besoin d’être lecteur de Nietzsche ou amateur d’ortolan pour savoir que la nouvelle philosophie ou la nouvelle cuisine n’ont rien de commun avec la philosophie ou la cuisine. L’histoire du blairisme est une poursuite à peine maquillée du thatchérisme, guerres impérialistes comprises, avec en plus, ce petit côté zèle du converti qui pousse à en rajouter dans la télésurveillance, la criminalisation de la misère, la jeunesse considérée comme une classe dangereuse. Le résultat de tout cela, c’est que l’ectoplasmique Gordon Brown va probablement prendre en juin une dérouillée historique et que le groupe travailliste va se résumer à un Fort Alamo aux Communes.

Les socialistes ont cru masquer leur désertion du social en se réfugiant dans le sociétal. Oublions les 35 heures, et même la CMU et occupons nous du PACS, histoire de faire passer la pilule des privatisations rhabillées en « ouvertures du capital » et aussi nombreuses que sous un gouvernement de droite classique.

Le problème, c’est que pour le sociétal, il y a mieux qu’eux : les écolos, enfin entendons-nous, ces écolos persuadés que l’on peut conjuguer marché et environnement et convaincus que la culpabilisation du prolo fortement carboné suffira à sauver la planète. Résultat des courses, lors de la dernière partielle dans l’ancienne circonscription de Christine Boutin, les socialistes se font doubler par les Verts qui échouent à cinq voix au deuxième tour, nous faisant par la même occasion découvrir une nouvelle catégorie socio-politique – la gauche vallée de Chevreuse.

Résumons-nous, les socialistes, un peu partout, ont espéré garder les classes moyennes en adoptant la langue de l’adversaire. Avant, quand un socialiste parlait de « réforme », on pouvait entendre « progrès social ». Aujourd’hui, quand DSK prononce le mot « réforme », j’ai envie de mettre un casque lourd et de relire Que faire ? de Lénine. Seulement, on a beau être président du Fonds monétaire international, on n’en est pas forcément entendu par ceux qui n’ont plus rien de monétaire dans le fond du porte-monnaie. Quand bien même l’appareil médiatique du Bloc Central aurait décidé que DSK était le meilleur opposant, comme en d’autres temps il décida que c’était Ségolène Royal et encore avant Rocard, autrement dit les donneurs les plus compatibles pour continuer à transfuser l’économie de marché.

La situation est encore plus sombre quand les socialistes tentent de survivre dans une grande coalition comme le SPD qui vient de le payer très cher. Il y avait pourtant lors de la précédente législature, la possibilité d’une majorité SPD-Verts-Die Linke. Mais Oskar Lafontaine devait trop sentir la sueur. Quant à Socrates au Portugal, il a fait du Blair tendance vinho verde pour se retrouver, en fin de compte, obligé de s’allier avec la droite pour continuer à gouverner.

Alors, oui, effectivement, il n’y aura pas de revival socialo-communiste. Le PS français est mort depuis le référendum européen de 2005, quand son électorat historique a voté « non » alors que le parti votait « oui ». Pour le coup, il y avait là un vrai choix de société.

Il n’est pas du tout certain que la droite libérale profite de cet effondrement idéologique et électoral. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite de n’avoir plus en face d’elle, une fois les petites recompositions d’appareils achevées, qu’un conglomérat de centre gauche composé d’un mélange de PS résiduel, de Modem et de verts Chevreuse.
Car partout en Europe, une gauche de la gauche voit le jour. Une gauche nouvelle et pas new. Je n’ai pas oublié ce que disait le vieux prophète de la vieille – l’histoire ne se répète pas ou alors sous forme de farce. Les excellents scores de Die Linke en Allemagne, de l’alliance rouge-verte et de l’extrême gauche au Portugal indiquent que 15 à 20 % des électeurs deux choses croient encore à une révolution par les urnes. Et à chaque scrutin, ils gagnent du terrain.

En France, on n’a pas encore mesuré la nouveauté du Front de Gauche, l’alchimie entre l’ancrage républicain et ouvrier traditionnel du PCF et l’électorat plus jeune d’un Parti de Gauche dont l’un des penseurs majeurs, André Gorz, défend une écologie réellement sociale et la réorientation de la croissance plutôt que la décroissance tendance khmer vert. Sans compter l’apport des anciens chevènementistes en gènes nation/émancipation et celui de la Gauche Unitaire, dissidents du NPA, mais surtout indispensable passerelle avec ce parti et ces militants qui valent beaucoup mieux qu’une direction autiste (de moins en moins d’ailleurs) et une figure instrumentalisée médiatiquement de manière de moins en moins efficace comme l’a prouvé son score calamiteux aux européennes.

Seul l’optimisme est révolutionnaire et il semble bien que cette fameuse crise de la social-démocratie dont ont nous rebat les oreilles soit en fait l’ultime ruse d’un système à bout de souffle pour masquer la naissance en France, mais aussi en Europe, d’une gauche sociale, républicaine, en mesure d’exercer le pouvoir et qui n’a pas peur d’annoncer la couleur : il faut rompre avec le capitalisme, cette idéologie du désastre planétaire en cours.



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