En théorie, l’égalité homme-femme a valeur de loi d’airain au Canada, terre d’élection du paritarisme forcené. Mais alors, qu’en est-il de cette initiative de la Société de l’Assurance automobile du Québec qui permet, au nom de la religion, de refuser un service offert par une femme ? Eh bien, elle se situe dans le contexte d’un débat qui fait beaucoup de potin dans la Belle Province (même si les dépêches en ma possession ne précisent pas noir sur blanc quelle est cette religion qui vous autorise à refuser le concours d’une carrossière ou d’une mécanicienne). Cette initiative de l’assureur, beaucoup de Québécois la mettent en relation avec un certain projet de loi n°16, actuellement, étudié en commission parlementaire à Montréal et qui vise, je cite, à « favoriser l’ouverture de la société à la diversité culturelle et à lutter contre la discrimination ». C’est fort louable. Mais que ce passe-t-il quand en voulant promouvoir la « diversité culturelle », on affaiblit justement la « lutte contre la discrimination », celle des femmes, en l’occurrence ? Vaste et épineux débat. Heureusement que ce genre de problématiques ne concerne que les Québécois…
Allons z’enfants

Martin Hirsch est un homme exceptionnel. Son nom restera gravé dans l’histoire et, si la France n’est pas ingrate, elle le transférera, le jour venu, au Panthéon. Car, au fond, il n’y a rien eu, au long des âges, qui égale les réformes du haut commissaire qui vient de créer l’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien. Ce n’est pas de l’Abbé Pierre que Martin Hirsch a été le bras droit, mais du Père Noël !
L’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien, ça a quand même un peu plus d’allure que la tristounette école « laïque, gratuite et obligatoire » de Jules Ferry. Avec ses instituteurs et les blouses grises dont elle revêtait chacun de ses écoliers, elle a enfanté des générations de névrosés. Allez donc porter une blouse sur la burqa !
Qui se souvient, d’ailleurs, de Jules Ferry ? Absolument personne ! Et c’est tant mieux : les plus belles rouflaquettes de la IIIe République étaient peut-être progressistes, elles n’en restaient pas moins colonialistes. Martin Hirsch, lui, n’a jamais trempé dans de sordides aventures coloniales. Il est blanc comme neige. Enfin, je veux dire qu’il n’a rien à se reprocher. Je vous le dis comme je le pense : on parlera encore de Martin Hirsch dans cent ou deux cents ans, quand on aura oublié les personnages subsidiaires de l’histoire de France[1. Louis XIV, Napoléon, De Gaulle, Ségolène Royal.] et que les petits Français fréquenteront tous l’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien.
Pour l’heure, tout le monde se paie la bille du haut commissaire et de son « expérimentation ». Les gens sont mauvaises langues et, pour tout dire, un peu jaloux. L’idée est tellement belle qu’ils grognent de ne l’avoir pas eue : au lieu de punir les élèves qui regimbent à prendre régulièrement le chemin de l’école, on file du fric à ceux qui y vont. L’école gratuite, c’est payant ! Il ne faut plus accomplir une bonne action pour être récompensé : il suffit d’agir. Le système est révolutionnaire. Il mériterait d’être généralisé.
Le président Sarkozy serait bien inspiré de nommer Martin Hirsch au ministère du Budget (de toute façon Eric Woerth ne ressemble à rien et il n’a même pas connu l’Abbé Pierre) : les contribuables qui s’acquitteraient de leurs impôts se les verraient reverser par l’Etat. Un passage éclair du Haut Commissaire au ministère de l’Environnement permettrait de mettre fin au principe « pollueur-payeur » : il instaurerait rapidement le principe « pas pollueur-payé ». Si vous ne rejetez pas de produits chimiques dans l’air ou la rivière qui passe à côté de chez vous, si vous n’enterrez pas de déchets radioactifs dans le fond de votre jardin, banco : le pactole est pour vous !
Trois semaines à la tête du ministère de l’Intérieur permettraient à Martin Hirsch de dépoussiérer fissa le Code de la Route : les automobilistes qui ne commettraient pas d’infraction seraient arrêtés tous les 10 kilomètres pour percevoir un timbre-amende de 75 euros. Si vous circulez aux abords d’une maison de retraite et que vous n’écrasez pas de vieilles, vous touchez automatiquement une prime de 130 euros. Le nombre de policiers et de gendarmes qu’il faudrait embaucher pour distribuer ces primes résoudrait définitivement le problème du chômage.
Le cas le plus épineux reste cependant le ministère de la Justice. Là, Martin Hirsch pourrait donner toute sa mesure. Vous êtes un homme, vous avez de grosses couilles et, pourtant, vous ne violez pas : le haut commissaire vous paie les putes et vous débraguette lui-même !
L’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien va tout changer en France. Il faudra, certes, un peu de temps et les débuts seront difficiles. Habitués à recevoir de l’argent quand ils font des choses normales, les gosses deviendront vite des terreurs. Surtout pour les parents d’enfants sages comme des images. Le gosse qui ne dit pas un mot plus haut que l’autre, qui fait ses devoirs, qui ne tire pas les cheveux de sa soeur, qui se brosse les dents avant d’aller se coucher et mange de pleines assiettes de brocolis avant de demander la permission de se lever de table, ce gosse-là ruinera ses parents. Et il n’est pas dit que, dans les années qui viennent, la France ne connaisse une génération de multi-milliardaires en culottes courtes.
Haro sur la libido !

Castration chimique : on a beau m’assurer que celle-ci serait à la fois temporaire et volontaire, que la décision d’y avoir recours ne serait prise que par des experts assermentés issus du corps médical, l’expression ne laisse pas de m’impressionner. À en croire le dictionnaire, la castration tout court, si je puis dire, est une opération chirurgicale visant à empêcher un individu, homme ou femme, de se reproduire. Rien à voir donc, avec cette improprement nommée « castration chimique ». Celle-ci n’est nullement chirurgicale, et ne vise pas à prévenir la reproduction, mais l’acte sexuel lui-même. La « castration chimique » qu’un chœur quasi-unanime semble appeler de ses vœux aujourd’hui en France, n’a de castration que le nom, mais, je vais tenter de le montrer, c’est déjà beaucoup trop.
Pourquoi donc faudrait-il « castrer », chimiquement ou pas, un homme qui a été déclaré responsable de ses actes ? Si le condamné est jugé responsable de ses actes, on suppose qu’il est capable d’agir conformément à la loi, et que s’il ne le fait pas c’est qu’il a choisi de ne pas le faire. Comment comprendre dès lors que l’on puisse prétendre médicaliser ce qu’il faut bien appeler une peine complémentaire, qui serait mise en place au nom d’un imparable « principe de précaution » ? Ce principe de précaution que n’a d’ailleurs pas manqué d’invoquer avec ferveur hier soir sur France 2 un porte-parole de l’UMP bourré de tics élyséens, qui réduisait ainsi (par son invocation, pas par ses tics) ses contradicteurs à un silence approbatif. Le droit pénal en France, est exercé au nom du peuple français. Pourquoi faudrait-il se réclamer de la caution des experts pour décider d’une peine qui a toutes les apparences de la sanction pénale ?
Castration chimique : je ne sais pas pour vous, mais chez moi, décidément, cette expression a du mal à passer. Que l’on puisse envisager d’y avoir recours en se réclamant à la fois de ce « principe de précaution » constitutionnalisé et du sacro-saint souci des victimes ne fait qu’ajouter une couche d’horrible rhétorique humanitaro-sécuritaire à l’horreur intrinsèque du terme. Un être humain disposant encore d’une paire d’oreilles pour entendre, qu’un toréador compassionnel lui aurait fait la grâce de ne pas lui ôter en même temps que le reste, entendra ici, au-delà de tous les bons sentiments et de toutes les précautions d’experts, ce qu’il faut entendre : il s’agit d’en faire baver encore un peu au criminel.
Entendons-nous bien. Personnellement, je ne remets pas en cause le fait, évident, qu’il existe nécessairement une dimension expiatoire dans les sentences pénales. Emile Durkheim a démontré il y a déjà longtemps que les sociétés humaines ne pouvaient se passer de donner une telle dimension à la justice pénale, à moins de disparaître en tant que société. Mais c’est le paradoxe de la France d’aujourd’hui de durcir en permanence son arsenal pénal, sous couvert de protéger les victimes, et de refuser simultanément de répondre ouvertement à la volonté de punir que manifeste toujours plus bruyamment l’opinion. Avec la castration chimique, on a l’impression à l’UMP et ailleurs d’avoir enfin à la fois le beurre et l’argent du beurre : la caution des experts, grâce à l’application du gentil principe de précaution, et une réponse à la pulsion pénalisatrice des foules que la justice a tant de mal à satisfaire depuis l’abolition de la peine de mort. On prétend invoquer le consentement de celui qui y serait soumis pour plaider en faveur de la bénignité de cette peine. Mais, comme le soulignait une psychiatre dans le journal Libération, on sait bien que « le consentement, ça se travaille ». Et l’on sait en outre grâce à René Girard que ce même consentement de la victime à la peine que la communauté lui inflige est la cerise sur le gâteau des processus sacrificiels.
Castration chimique : le succès de cette expression est une manifestation évidente de cette envie du pénal, si omniprésente mais si mal assumée par l’époque, et qui remplace en outre peut-être cette autre envie dont parlait Freud. On ne se débarrasse pas comme cela de la mentalité persécutrice qui caractérise toutes les sociétés humaines. Presque trente ans après la disparition de la peine de mort dans notre pays, la focalisation du débat sur une notion aussi atroce manifeste au grand jour le grand retour du refoulé pénalisateur.
Mais encore faut-il remarquer que l’objet du scandale s’est déplacé. Ce n’est plus l’acte d’un homme conscient de faire le mal et de s’opposer ainsi aux valeurs communes d’une société, en l’occurrence le consentement nécessaire lors d’un acte sexuel, mais la libido elle-même qui est criminalisée. Un homme doit « se contrôler » et non pas agir vertueusement, et s’il ne se contrôle pas, c’est la société qui le contrôlera à sa place. On abandonne ici le domaine de la morale qui devrait être celui de la justice pénale, pour entrer dans celui de la pure technicité comportementale dont l’utilisation obsessionnelle d’un terme tel que dérapage, dans un autre domaine, marque le triomphe.
Si ce concept de castration chimique s’impose, il faudra en conclure que ce qui fait horreur à notre société, ce n’est plus qu’un homme puisse choisir librement et en usant de violence d’avoir des rapports sexuels avec une femme non consentante, mais la libido masculine elle-même. Ce n’est plus la tête qui est coupable. La faute ne résulte pas du libre choix de l’agent, mais de la pulsion libidinale elle-même.
Faut-il voir aussi, dans cette criminalisation de la libido, la conséquence de la généralisation d’une certaine vulgate sociologique, selon laquelle les individus ne sont plus vraiment considérés comme responsables de leurs actes, mais comme les simples vecteurs passifs de causes extérieures qui les agissent ? C’est possible. Mais ce qui est sûr, c’est que si l’on finit par considérer que la source de la faute réside dans la libido masculine, il faudra en conclure que ce sont tous les hommes possesseurs d’une telle libido (c’est-à-dire, je crois tous les hommes) qui sont susceptibles d’être considérés comme dangereux par la société tout entière.
Et à moins de contrevenir au principe de précaution, pourra-t-on encore laisser longtemps en liberté incontrôlée des hordes de mâles possesseurs illégitimes d’une pulsion sexuelle dont les faits divers continueront de nous prouver, presque au quotidien, qu’elle est criminogène ?
Ronald Mc Donald, on peut pas le voir en peinture
Dans la série « n’importe quoi pourvu que ça mousse », on s’amusera sans barguigner de l’émotion suscitée par l’annonce de l’ouverture prochaine d’un Mac Do « à l’intérieur du Musée du Louvre ». Misère, misère, ça s’indigne chez les bonnes âmes. Va-t-on voir des traces de doigts gras sur la triple vitre blindée qui protège la Joconde ? Des jets indésirables de moutarde et de ketchup qui transformeront Le Radeau de la Méduse façon Pollock ? Hou la la, on est mort de peur. Sauf que ledit restaurant ne va pas ouvrir dans le musée stricto sensu, mais au Carrousel, une galerie commerciale attenante, où sévissent déjà une flopée de gargotes infâmes, sans que personne n’y ait trouvé à redire. Mais bon, l’ombre satanique de Ronald McDonald qui plane sur nos chefs d’œuvre en péril, ça fait peur, ça fait causer, ça fait vendre : la France de 2009 a les grandes causes qu’elle mérite. Un tollé que nous ne suivrons donc pas : quand on sait que pour remettre une toile de maître en état, il faut souvent deux ou trois ans, on se dit que nos experts ont peut-être des choses à apprendre du côté de la restauration rapide…
Sexe, vérité et vidéo

C’est l’histoire d’un animateur-vedette de la télé obligé de confesser en direct live devant des millions de téléspectateurs qu’il a couché avec des femmes de son équipe. Tout ça alors que le public présent dans la salle est plié en quatre à cause de ce qu’il croit être un pastiche de mea culpa d’un sénateur évangéliste englué dans un scandale politico-sexuel avec une girl-scout, alors que non. C’est la stricte vérité et le roi du rire prend à témoin son audience pour expliquer pourquoi il a dû, le matin-même, aller raconter exactement la même bonne histoire chez un juge puisqu’il était menacé par un maître chanteur.
Séance un peu trash de Vivement dimanche prochain de Michel Drucker ? Confession ultime de Michel Denisot ou de PPDA à l’heure du mercato des animateurs ? Non, qu’on se rassure, nous sommes aux Etats-Unis, le présentateur est l’horriblement drôle David Letterman. C’est l’homme le mieux payé de la télévision US et il l’a bien mérité : c’est non seulement un gagman de très haute volée mais aussi un intervieweur hors pair, allez donc voir sur Youtube ses entretiens avec Barack ou Madonna. C’est donc cet homme qui a été obligé de confesser qu’il a couché avec des employées de son show pour court-circuiter son maitre-chanteur (un de ses collègues de CBS) qui lui réclamait deux millions de dollars.
Affaire close en apparence, mais l’éventualité d’un procès en harcèlement de la collaboratrice, voire des collaboratrices qui ont passé du bon temps avec lui n’est en rien écartée. Certes le règlement intérieur de CBS n’interdit pas –contrairement à d’autres chaînes – les galipettes corporate. Mais rien ne nous dit que la «victime» n’ira au pénal pour venger sa vertu et renflouer son PEA malmené par la faillite de Lehmann.
On a vu des vidéos de la dame, des photos. Les sites internet US se sont lancés à ses trousses comme ils ont traqué la maîtresse de DSK, au moment de l’affaire avec la subalterne magyare qui a failli déboulonner le social-démocrate le mieux payé des Etats-Unis.
Reste alors une question : doit-on blâmer Letterman d’avoir fauté dans son diocèse, alors que, comme disait monsieur l’évêque, il vaut toujours mieux faire ça dans celui d’à côté ? Est-il moins drôle pour autant ? Est-ce un horrible salaud qui mérite qu’on lui retire son émission et qu’on l’envoie faire des conférences de repentance libidinale dans les écoles de journalisme au titre des travaux d’intérêt général. La réponse à cette épineuse question, nous la laisserons à Philippe Roth. En vrai, dans la jubilatoire interview qu’il a donnée à Nelly Kaprièlian des Inrocks, il ne parlait pas de David Letterman et de sa collègue, mais de la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsnki. Sauf que comme toujours chez Roth, le cas particulier dégénère illico en problématique universelle : « Je lui en veux de ne pas s’être méfié de ses ennemis, qui le guettaient. Mais il est vrai qu’il faut beaucoup de grandeur d’âme à un homme pour ne pas profiter de la possibilité d’une fellation… »
Suppos de Satan
Je vous le disais la semaine dernière, plutôt que de vous engluer dans les benêteries de Villepin, Lahoud, Plenel et Rondot, lisez plutôt de vrais bons romans – américains, of course – avec de vraies belles manips dedans. Je ne saurais donc trop féliciter le staff d’Al Qaida, d’avoir suivi à la lettre ce conseil. Tout le monde a l’air stupéfait par la dernière trouvaille des benladenistes, le suppositoire explosif pour kamikaze, qui déjoue les portiques de sécurité (à moins qu’on décide de traiter tous les passagers à l’huile de ricin deux heures avant l’embarquement). Eh bien, ce procédé était décrit noir sur blanc il y a déjà dix ans par Nick Tosches dans Trinités, un des plus fabuleux romans noirs jamais écrits – à ceci près que les bombes humaines y étaient semtexisées à leur insu. On vous conseillerait donc volontiers de l’acheter. Hélas, il est épuisé depuis quelques années et la maison Gallimard semble peu pressée de le rééditer, on y est sans doute trop occupé par la promo du denier chef d’œuvre de David Foenkinos.
Déficit, y a comme un problème

Soucieuse de participer aux efforts conjugués de l’Education nationale et de l’Etat pour remonter le niveau scolaire de nos chères têtes blondes, brunes, rousses ou de toute autre couleur, je propose un cours de rattrapage express en mathématiques du niveau CE1.
Aujourd’hui, nous allons étudier deux opérations fondamentales : la multiplication et la division. Les allergiques aux maths pourront se contenter de lire la première phrase de l’énoncé et la conclusion de l’article, mais ils rateront sans doute leur passage en CE2.
L’énoncé du problème.
Un ministre (nous l’appellerons Eric) ayant perdu malencontreusement 2 % de sa masse salariale peut-il se retrouver (fort) dépourvu de 12 milliards de recettes URSAFF ? Les variables du problème (chiffres disponibles sur le site de l’URSAFF) : nombre de cotisants, salariés du secteur privé = 17,7 millions. Salaire annuel brut moyen : 26580 Euros. Taux moyen de cotisations URSAFF : 44 % du salaire brut.
On retient son souffle pour la première question : quel est le montant global des cotisations annuelles ? La réponse : 26 580 x 17 700 000 x 0.44 = 207 milliards
Nous attaquons maintenant la deuxième question : si la masse salariale (et donc les cotisations) baisse de 2 % , quel est le montant de la baisse de cotisation ? La réponse : 207 x 2 / 100 = 4,14 milliards
Je vous sens épuisés par l’effort, donc nous terminons par une soustraction : 12 milliards de manque à gagner annoncé – 4,14 milliards de baisse de revenus trouvés en effectuant les calculs = 7,86 milliards.
Eric aurait-il besoin de participer à nos sessions de rattrapage ou aurait-il escamoté 7,86 milliards dans des dépenses inavouables ? J’offre dès à présent un cours gratuit à nos camarades du Monde et de Libé (entre autres), qui, sans doute stressés par les cadences de travail infernales (gare au suicide) n’ont pas eu le temps de vérifier les calculs et ont reproduit les chiffres sans aucune analyse.
Si nos amis allergiques aux maths nous ont rejoint, je pourrai conclure par une jolie citation également trouvée sur le site de l’URSAFF : « La masse salariale est restée stable au 2e trimestre 2009 car la baisse de l’emploi de 1.2 % a été compensée par une hausse du salaire moyen de 1.3 % » (la suite des données montre une stabilité sur 12 mois).
Eric n’a donc pas escamoté 7.86 milliards mais bien 12 ! Ne serait-il pas légèrement mythomane ? Ou mal conseillé ?
Pour les polars et les fayots, je vous donne la suite de l’exercice à me rendre sans faute la semaine prochaine. Là on attaque carrément la règle de trois, niveau CM2. Eric nous annonce qu’en 2010 (je sais, on ne le croit plus, mais faisons comme si…) une nouvelle perte de 0.4% nous amènera un déficit de recettes supplémentaires de 9 milliards.
Si 2 % de baisse de recette génère 12 milliards de manque à gagner, une baisse de 0.4 % peut-elle, à elle seule, justifier la perte de 9 milliards ? Nous précisons ici que nous n’avons parlé que du manque à gagner et non pas du déficit qui est estimé à 23 milliards.
Dernière question pour la route.
Combien de jours d’arrêt-maladie et de boites de Valium a-t-on financé avec ce joli magot ? C’est tout pour aujourd’hui, sortez en rang sans bousculer vos petits camarades…
Quand je dis non, c’est oui
On se souvient de Clara Morgane, ex-star du porno, mobilisée dans un clip citoyen contre le viol. Elle recevait un plombier sculpté comme un Apollon, scène dont on sait qu’elle est grand classique du film X. Et alors que l’honnête travailleur, même pas polonais, avait des idées derrière la clef à molette et songeait à d’autres tuyauteries, la jeune femme lui signifiait un refus ferme et aimable. « Quand je dis non, c’est non ! » Il semblerait que le peuple irlandais, qui avait voté non au referendum sur le TCE l’année dernière, n’ait pas été entendu. On lui a dit que ça comptait pour du beurre. Donc, quand une fille dit non, c’est non. Mais quand il s’agit d’un peuple, qu’il soit danois, irlandais ou français qui dit non, apparemment c’est oui.
Plombiers de tous pays, unissez-vous pour violer les démocraties ! Ces salopes ne savent pas ce qu’elles veulent.
Nicolas est petit

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.
Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.
Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !
Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.
Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.
Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?
La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?
Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…
On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…
Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.
Québec, la parité en panne
En théorie, l’égalité homme-femme a valeur de loi d’airain au Canada, terre d’élection du paritarisme forcené. Mais alors, qu’en est-il de cette initiative de la Société de l’Assurance automobile du Québec qui permet, au nom de la religion, de refuser un service offert par une femme ? Eh bien, elle se situe dans le contexte d’un débat qui fait beaucoup de potin dans la Belle Province (même si les dépêches en ma possession ne précisent pas noir sur blanc quelle est cette religion qui vous autorise à refuser le concours d’une carrossière ou d’une mécanicienne). Cette initiative de l’assureur, beaucoup de Québécois la mettent en relation avec un certain projet de loi n°16, actuellement, étudié en commission parlementaire à Montréal et qui vise, je cite, à « favoriser l’ouverture de la société à la diversité culturelle et à lutter contre la discrimination ». C’est fort louable. Mais que ce passe-t-il quand en voulant promouvoir la « diversité culturelle », on affaiblit justement la « lutte contre la discrimination », celle des femmes, en l’occurrence ? Vaste et épineux débat. Heureusement que ce genre de problématiques ne concerne que les Québécois…
Allons z’enfants

Martin Hirsch est un homme exceptionnel. Son nom restera gravé dans l’histoire et, si la France n’est pas ingrate, elle le transférera, le jour venu, au Panthéon. Car, au fond, il n’y a rien eu, au long des âges, qui égale les réformes du haut commissaire qui vient de créer l’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien. Ce n’est pas de l’Abbé Pierre que Martin Hirsch a été le bras droit, mais du Père Noël !
L’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien, ça a quand même un peu plus d’allure que la tristounette école « laïque, gratuite et obligatoire » de Jules Ferry. Avec ses instituteurs et les blouses grises dont elle revêtait chacun de ses écoliers, elle a enfanté des générations de névrosés. Allez donc porter une blouse sur la burqa !
Qui se souvient, d’ailleurs, de Jules Ferry ? Absolument personne ! Et c’est tant mieux : les plus belles rouflaquettes de la IIIe République étaient peut-être progressistes, elles n’en restaient pas moins colonialistes. Martin Hirsch, lui, n’a jamais trempé dans de sordides aventures coloniales. Il est blanc comme neige. Enfin, je veux dire qu’il n’a rien à se reprocher. Je vous le dis comme je le pense : on parlera encore de Martin Hirsch dans cent ou deux cents ans, quand on aura oublié les personnages subsidiaires de l’histoire de France[1. Louis XIV, Napoléon, De Gaulle, Ségolène Royal.] et que les petits Français fréquenteront tous l’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien.
Pour l’heure, tout le monde se paie la bille du haut commissaire et de son « expérimentation ». Les gens sont mauvaises langues et, pour tout dire, un peu jaloux. L’idée est tellement belle qu’ils grognent de ne l’avoir pas eue : au lieu de punir les élèves qui regimbent à prendre régulièrement le chemin de l’école, on file du fric à ceux qui y vont. L’école gratuite, c’est payant ! Il ne faut plus accomplir une bonne action pour être récompensé : il suffit d’agir. Le système est révolutionnaire. Il mériterait d’être généralisé.
Le président Sarkozy serait bien inspiré de nommer Martin Hirsch au ministère du Budget (de toute façon Eric Woerth ne ressemble à rien et il n’a même pas connu l’Abbé Pierre) : les contribuables qui s’acquitteraient de leurs impôts se les verraient reverser par l’Etat. Un passage éclair du Haut Commissaire au ministère de l’Environnement permettrait de mettre fin au principe « pollueur-payeur » : il instaurerait rapidement le principe « pas pollueur-payé ». Si vous ne rejetez pas de produits chimiques dans l’air ou la rivière qui passe à côté de chez vous, si vous n’enterrez pas de déchets radioactifs dans le fond de votre jardin, banco : le pactole est pour vous !
Trois semaines à la tête du ministère de l’Intérieur permettraient à Martin Hirsch de dépoussiérer fissa le Code de la Route : les automobilistes qui ne commettraient pas d’infraction seraient arrêtés tous les 10 kilomètres pour percevoir un timbre-amende de 75 euros. Si vous circulez aux abords d’une maison de retraite et que vous n’écrasez pas de vieilles, vous touchez automatiquement une prime de 130 euros. Le nombre de policiers et de gendarmes qu’il faudrait embaucher pour distribuer ces primes résoudrait définitivement le problème du chômage.
Le cas le plus épineux reste cependant le ministère de la Justice. Là, Martin Hirsch pourrait donner toute sa mesure. Vous êtes un homme, vous avez de grosses couilles et, pourtant, vous ne violez pas : le haut commissaire vous paie les putes et vous débraguette lui-même !
L’école que t’es payé quand t’y vas sinon tu touches rien va tout changer en France. Il faudra, certes, un peu de temps et les débuts seront difficiles. Habitués à recevoir de l’argent quand ils font des choses normales, les gosses deviendront vite des terreurs. Surtout pour les parents d’enfants sages comme des images. Le gosse qui ne dit pas un mot plus haut que l’autre, qui fait ses devoirs, qui ne tire pas les cheveux de sa soeur, qui se brosse les dents avant d’aller se coucher et mange de pleines assiettes de brocolis avant de demander la permission de se lever de table, ce gosse-là ruinera ses parents. Et il n’est pas dit que, dans les années qui viennent, la France ne connaisse une génération de multi-milliardaires en culottes courtes.
Haro sur la libido !

Castration chimique : on a beau m’assurer que celle-ci serait à la fois temporaire et volontaire, que la décision d’y avoir recours ne serait prise que par des experts assermentés issus du corps médical, l’expression ne laisse pas de m’impressionner. À en croire le dictionnaire, la castration tout court, si je puis dire, est une opération chirurgicale visant à empêcher un individu, homme ou femme, de se reproduire. Rien à voir donc, avec cette improprement nommée « castration chimique ». Celle-ci n’est nullement chirurgicale, et ne vise pas à prévenir la reproduction, mais l’acte sexuel lui-même. La « castration chimique » qu’un chœur quasi-unanime semble appeler de ses vœux aujourd’hui en France, n’a de castration que le nom, mais, je vais tenter de le montrer, c’est déjà beaucoup trop.
Pourquoi donc faudrait-il « castrer », chimiquement ou pas, un homme qui a été déclaré responsable de ses actes ? Si le condamné est jugé responsable de ses actes, on suppose qu’il est capable d’agir conformément à la loi, et que s’il ne le fait pas c’est qu’il a choisi de ne pas le faire. Comment comprendre dès lors que l’on puisse prétendre médicaliser ce qu’il faut bien appeler une peine complémentaire, qui serait mise en place au nom d’un imparable « principe de précaution » ? Ce principe de précaution que n’a d’ailleurs pas manqué d’invoquer avec ferveur hier soir sur France 2 un porte-parole de l’UMP bourré de tics élyséens, qui réduisait ainsi (par son invocation, pas par ses tics) ses contradicteurs à un silence approbatif. Le droit pénal en France, est exercé au nom du peuple français. Pourquoi faudrait-il se réclamer de la caution des experts pour décider d’une peine qui a toutes les apparences de la sanction pénale ?
Castration chimique : je ne sais pas pour vous, mais chez moi, décidément, cette expression a du mal à passer. Que l’on puisse envisager d’y avoir recours en se réclamant à la fois de ce « principe de précaution » constitutionnalisé et du sacro-saint souci des victimes ne fait qu’ajouter une couche d’horrible rhétorique humanitaro-sécuritaire à l’horreur intrinsèque du terme. Un être humain disposant encore d’une paire d’oreilles pour entendre, qu’un toréador compassionnel lui aurait fait la grâce de ne pas lui ôter en même temps que le reste, entendra ici, au-delà de tous les bons sentiments et de toutes les précautions d’experts, ce qu’il faut entendre : il s’agit d’en faire baver encore un peu au criminel.
Entendons-nous bien. Personnellement, je ne remets pas en cause le fait, évident, qu’il existe nécessairement une dimension expiatoire dans les sentences pénales. Emile Durkheim a démontré il y a déjà longtemps que les sociétés humaines ne pouvaient se passer de donner une telle dimension à la justice pénale, à moins de disparaître en tant que société. Mais c’est le paradoxe de la France d’aujourd’hui de durcir en permanence son arsenal pénal, sous couvert de protéger les victimes, et de refuser simultanément de répondre ouvertement à la volonté de punir que manifeste toujours plus bruyamment l’opinion. Avec la castration chimique, on a l’impression à l’UMP et ailleurs d’avoir enfin à la fois le beurre et l’argent du beurre : la caution des experts, grâce à l’application du gentil principe de précaution, et une réponse à la pulsion pénalisatrice des foules que la justice a tant de mal à satisfaire depuis l’abolition de la peine de mort. On prétend invoquer le consentement de celui qui y serait soumis pour plaider en faveur de la bénignité de cette peine. Mais, comme le soulignait une psychiatre dans le journal Libération, on sait bien que « le consentement, ça se travaille ». Et l’on sait en outre grâce à René Girard que ce même consentement de la victime à la peine que la communauté lui inflige est la cerise sur le gâteau des processus sacrificiels.
Castration chimique : le succès de cette expression est une manifestation évidente de cette envie du pénal, si omniprésente mais si mal assumée par l’époque, et qui remplace en outre peut-être cette autre envie dont parlait Freud. On ne se débarrasse pas comme cela de la mentalité persécutrice qui caractérise toutes les sociétés humaines. Presque trente ans après la disparition de la peine de mort dans notre pays, la focalisation du débat sur une notion aussi atroce manifeste au grand jour le grand retour du refoulé pénalisateur.
Mais encore faut-il remarquer que l’objet du scandale s’est déplacé. Ce n’est plus l’acte d’un homme conscient de faire le mal et de s’opposer ainsi aux valeurs communes d’une société, en l’occurrence le consentement nécessaire lors d’un acte sexuel, mais la libido elle-même qui est criminalisée. Un homme doit « se contrôler » et non pas agir vertueusement, et s’il ne se contrôle pas, c’est la société qui le contrôlera à sa place. On abandonne ici le domaine de la morale qui devrait être celui de la justice pénale, pour entrer dans celui de la pure technicité comportementale dont l’utilisation obsessionnelle d’un terme tel que dérapage, dans un autre domaine, marque le triomphe.
Si ce concept de castration chimique s’impose, il faudra en conclure que ce qui fait horreur à notre société, ce n’est plus qu’un homme puisse choisir librement et en usant de violence d’avoir des rapports sexuels avec une femme non consentante, mais la libido masculine elle-même. Ce n’est plus la tête qui est coupable. La faute ne résulte pas du libre choix de l’agent, mais de la pulsion libidinale elle-même.
Faut-il voir aussi, dans cette criminalisation de la libido, la conséquence de la généralisation d’une certaine vulgate sociologique, selon laquelle les individus ne sont plus vraiment considérés comme responsables de leurs actes, mais comme les simples vecteurs passifs de causes extérieures qui les agissent ? C’est possible. Mais ce qui est sûr, c’est que si l’on finit par considérer que la source de la faute réside dans la libido masculine, il faudra en conclure que ce sont tous les hommes possesseurs d’une telle libido (c’est-à-dire, je crois tous les hommes) qui sont susceptibles d’être considérés comme dangereux par la société tout entière.
Et à moins de contrevenir au principe de précaution, pourra-t-on encore laisser longtemps en liberté incontrôlée des hordes de mâles possesseurs illégitimes d’une pulsion sexuelle dont les faits divers continueront de nous prouver, presque au quotidien, qu’elle est criminogène ?
Ronald Mc Donald, on peut pas le voir en peinture
Dans la série « n’importe quoi pourvu que ça mousse », on s’amusera sans barguigner de l’émotion suscitée par l’annonce de l’ouverture prochaine d’un Mac Do « à l’intérieur du Musée du Louvre ». Misère, misère, ça s’indigne chez les bonnes âmes. Va-t-on voir des traces de doigts gras sur la triple vitre blindée qui protège la Joconde ? Des jets indésirables de moutarde et de ketchup qui transformeront Le Radeau de la Méduse façon Pollock ? Hou la la, on est mort de peur. Sauf que ledit restaurant ne va pas ouvrir dans le musée stricto sensu, mais au Carrousel, une galerie commerciale attenante, où sévissent déjà une flopée de gargotes infâmes, sans que personne n’y ait trouvé à redire. Mais bon, l’ombre satanique de Ronald McDonald qui plane sur nos chefs d’œuvre en péril, ça fait peur, ça fait causer, ça fait vendre : la France de 2009 a les grandes causes qu’elle mérite. Un tollé que nous ne suivrons donc pas : quand on sait que pour remettre une toile de maître en état, il faut souvent deux ou trois ans, on se dit que nos experts ont peut-être des choses à apprendre du côté de la restauration rapide…
Sexe, vérité et vidéo

C’est l’histoire d’un animateur-vedette de la télé obligé de confesser en direct live devant des millions de téléspectateurs qu’il a couché avec des femmes de son équipe. Tout ça alors que le public présent dans la salle est plié en quatre à cause de ce qu’il croit être un pastiche de mea culpa d’un sénateur évangéliste englué dans un scandale politico-sexuel avec une girl-scout, alors que non. C’est la stricte vérité et le roi du rire prend à témoin son audience pour expliquer pourquoi il a dû, le matin-même, aller raconter exactement la même bonne histoire chez un juge puisqu’il était menacé par un maître chanteur.
Séance un peu trash de Vivement dimanche prochain de Michel Drucker ? Confession ultime de Michel Denisot ou de PPDA à l’heure du mercato des animateurs ? Non, qu’on se rassure, nous sommes aux Etats-Unis, le présentateur est l’horriblement drôle David Letterman. C’est l’homme le mieux payé de la télévision US et il l’a bien mérité : c’est non seulement un gagman de très haute volée mais aussi un intervieweur hors pair, allez donc voir sur Youtube ses entretiens avec Barack ou Madonna. C’est donc cet homme qui a été obligé de confesser qu’il a couché avec des employées de son show pour court-circuiter son maitre-chanteur (un de ses collègues de CBS) qui lui réclamait deux millions de dollars.
Affaire close en apparence, mais l’éventualité d’un procès en harcèlement de la collaboratrice, voire des collaboratrices qui ont passé du bon temps avec lui n’est en rien écartée. Certes le règlement intérieur de CBS n’interdit pas –contrairement à d’autres chaînes – les galipettes corporate. Mais rien ne nous dit que la «victime» n’ira au pénal pour venger sa vertu et renflouer son PEA malmené par la faillite de Lehmann.
On a vu des vidéos de la dame, des photos. Les sites internet US se sont lancés à ses trousses comme ils ont traqué la maîtresse de DSK, au moment de l’affaire avec la subalterne magyare qui a failli déboulonner le social-démocrate le mieux payé des Etats-Unis.
Reste alors une question : doit-on blâmer Letterman d’avoir fauté dans son diocèse, alors que, comme disait monsieur l’évêque, il vaut toujours mieux faire ça dans celui d’à côté ? Est-il moins drôle pour autant ? Est-ce un horrible salaud qui mérite qu’on lui retire son émission et qu’on l’envoie faire des conférences de repentance libidinale dans les écoles de journalisme au titre des travaux d’intérêt général. La réponse à cette épineuse question, nous la laisserons à Philippe Roth. En vrai, dans la jubilatoire interview qu’il a donnée à Nelly Kaprièlian des Inrocks, il ne parlait pas de David Letterman et de sa collègue, mais de la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsnki. Sauf que comme toujours chez Roth, le cas particulier dégénère illico en problématique universelle : « Je lui en veux de ne pas s’être méfié de ses ennemis, qui le guettaient. Mais il est vrai qu’il faut beaucoup de grandeur d’âme à un homme pour ne pas profiter de la possibilité d’une fellation… »
Suppos de Satan
Je vous le disais la semaine dernière, plutôt que de vous engluer dans les benêteries de Villepin, Lahoud, Plenel et Rondot, lisez plutôt de vrais bons romans – américains, of course – avec de vraies belles manips dedans. Je ne saurais donc trop féliciter le staff d’Al Qaida, d’avoir suivi à la lettre ce conseil. Tout le monde a l’air stupéfait par la dernière trouvaille des benladenistes, le suppositoire explosif pour kamikaze, qui déjoue les portiques de sécurité (à moins qu’on décide de traiter tous les passagers à l’huile de ricin deux heures avant l’embarquement). Eh bien, ce procédé était décrit noir sur blanc il y a déjà dix ans par Nick Tosches dans Trinités, un des plus fabuleux romans noirs jamais écrits – à ceci près que les bombes humaines y étaient semtexisées à leur insu. On vous conseillerait donc volontiers de l’acheter. Hélas, il est épuisé depuis quelques années et la maison Gallimard semble peu pressée de le rééditer, on y est sans doute trop occupé par la promo du denier chef d’œuvre de David Foenkinos.
Déficit, y a comme un problème

Soucieuse de participer aux efforts conjugués de l’Education nationale et de l’Etat pour remonter le niveau scolaire de nos chères têtes blondes, brunes, rousses ou de toute autre couleur, je propose un cours de rattrapage express en mathématiques du niveau CE1.
Aujourd’hui, nous allons étudier deux opérations fondamentales : la multiplication et la division. Les allergiques aux maths pourront se contenter de lire la première phrase de l’énoncé et la conclusion de l’article, mais ils rateront sans doute leur passage en CE2.
L’énoncé du problème.
Un ministre (nous l’appellerons Eric) ayant perdu malencontreusement 2 % de sa masse salariale peut-il se retrouver (fort) dépourvu de 12 milliards de recettes URSAFF ? Les variables du problème (chiffres disponibles sur le site de l’URSAFF) : nombre de cotisants, salariés du secteur privé = 17,7 millions. Salaire annuel brut moyen : 26580 Euros. Taux moyen de cotisations URSAFF : 44 % du salaire brut.
On retient son souffle pour la première question : quel est le montant global des cotisations annuelles ? La réponse : 26 580 x 17 700 000 x 0.44 = 207 milliards
Nous attaquons maintenant la deuxième question : si la masse salariale (et donc les cotisations) baisse de 2 % , quel est le montant de la baisse de cotisation ? La réponse : 207 x 2 / 100 = 4,14 milliards
Je vous sens épuisés par l’effort, donc nous terminons par une soustraction : 12 milliards de manque à gagner annoncé – 4,14 milliards de baisse de revenus trouvés en effectuant les calculs = 7,86 milliards.
Eric aurait-il besoin de participer à nos sessions de rattrapage ou aurait-il escamoté 7,86 milliards dans des dépenses inavouables ? J’offre dès à présent un cours gratuit à nos camarades du Monde et de Libé (entre autres), qui, sans doute stressés par les cadences de travail infernales (gare au suicide) n’ont pas eu le temps de vérifier les calculs et ont reproduit les chiffres sans aucune analyse.
Si nos amis allergiques aux maths nous ont rejoint, je pourrai conclure par une jolie citation également trouvée sur le site de l’URSAFF : « La masse salariale est restée stable au 2e trimestre 2009 car la baisse de l’emploi de 1.2 % a été compensée par une hausse du salaire moyen de 1.3 % » (la suite des données montre une stabilité sur 12 mois).
Eric n’a donc pas escamoté 7.86 milliards mais bien 12 ! Ne serait-il pas légèrement mythomane ? Ou mal conseillé ?
Pour les polars et les fayots, je vous donne la suite de l’exercice à me rendre sans faute la semaine prochaine. Là on attaque carrément la règle de trois, niveau CM2. Eric nous annonce qu’en 2010 (je sais, on ne le croit plus, mais faisons comme si…) une nouvelle perte de 0.4% nous amènera un déficit de recettes supplémentaires de 9 milliards.
Si 2 % de baisse de recette génère 12 milliards de manque à gagner, une baisse de 0.4 % peut-elle, à elle seule, justifier la perte de 9 milliards ? Nous précisons ici que nous n’avons parlé que du manque à gagner et non pas du déficit qui est estimé à 23 milliards.
Dernière question pour la route.
Combien de jours d’arrêt-maladie et de boites de Valium a-t-on financé avec ce joli magot ? C’est tout pour aujourd’hui, sortez en rang sans bousculer vos petits camarades…
Quand je dis non, c’est oui
On se souvient de Clara Morgane, ex-star du porno, mobilisée dans un clip citoyen contre le viol. Elle recevait un plombier sculpté comme un Apollon, scène dont on sait qu’elle est grand classique du film X. Et alors que l’honnête travailleur, même pas polonais, avait des idées derrière la clef à molette et songeait à d’autres tuyauteries, la jeune femme lui signifiait un refus ferme et aimable. « Quand je dis non, c’est non ! » Il semblerait que le peuple irlandais, qui avait voté non au referendum sur le TCE l’année dernière, n’ait pas été entendu. On lui a dit que ça comptait pour du beurre. Donc, quand une fille dit non, c’est non. Mais quand il s’agit d’un peuple, qu’il soit danois, irlandais ou français qui dit non, apparemment c’est oui.
Plombiers de tous pays, unissez-vous pour violer les démocraties ! Ces salopes ne savent pas ce qu’elles veulent.
Nicolas est petit

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.
Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.
Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !
Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.
Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.
Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?
La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?
Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…
On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…
Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.




