En ces temps de surenchère castratrice et de gadgetisation de l’identité nationale, c’est trop peu souvent que j’ai l’occasion de féliciter un membre du gouvernement. Et croyez-moi, je le regrette : après tout, moi aussi je paye des impots, et je serais bien content qu’il servent à autre chose qu’à gonfler, grâce à la TVA réduite, la marge brute de McDonald ou à faire prospérer la PME de sondages de Pierre Giacometti. Un grand bravo donc à Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, qui est intervenu personnellement en fin de semaine dernière auprès de l’AFD, l’Agence Française de Développement, pour que le Tour du Faso, en proie au pires difficultés financières, puisse se tenir cette année, grâce à un chèque de 115 000 Euros, qui a permis de boucler le budget, ou plutôt de budgétiser la Boucle. Vous n’êtes pas obligé de me croire sur parole, mais ce Tour-là, qui se court cette semaine au Burkina, est une des plus belles épreuves cyclistes du monde. Un Tour à la dure, sans aucune concession au XXIème siècle où les cadors réparent eux-mêmes leurs vélos au bord des pistes et dorment chaque nuit à la belle étoile. Vous pouvez d’ailleurs vous faire une idée par vous-même en regardant le résumé quotidien tous les soirs sur TV5 Monde, qu’on félicitera donc aussi au passage.
Un charter, pour quoi faire ?

« Charter pour la guerre. » Ils ont dû être contents, à Libé, d’avoir trouvé ce titre. En quatre mots tout est dit. Leur fragilité et notre inhumanité. On les imagine, des centaines de malheureux jetés sans ménagement dans le pays embrasé auquel ils avaient réussi à échapper au péril de leur vie. On aimerait connaître les bureaucrates insensibles ou les juges au cœur dur qui ont pris cette décision. On veut être du côté de la générosité, avec Philippe Lioret, réalisateur de Welcome, promu expert es sans-papiers, ce qui serait rigolo si le sujet était un peu moins lourd. À ce compte-là, on fera bientôt témoigner Al Pacino aux procès de la mafia et Christian Clavier écrira une thèse sur le Moyen Âge.
On n’a guère envie d’ironiser, même si toute la presse évoque un « charter » pour trois hommes (il semble qu’il y avait pas mal de journalistes dans ce charter-là). Parce que trois hommes, c’est trois hommes et que leur « rapatriement forcé » – terme propre destiné à noyer le poisson de l’expulsion – décrit précisément le fossé tragique qui sépare la politique de l’humanitaire, la raison d’Etat des droits de l’individu et la gestion technocratique de la compassion humaine. Il n’y a pas, en politique, une main invisible qui réconcilie le bien commun et la vie des gens. Que l’immigration clandestine soit difficilement supportable pour les heureux habitants du monde développé ne change rien au fait qu’elle est pour un très grand nombre d’êtres humains une nécessité vitale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle « l’infraction à la législation sur les étrangers » n’est pas un délit comme un autre : sur le plan moral, on admet parfaitement que le délinquant transgresse la loi. En conséquence, notre cerveau droit peut approuver une décision raisonnable et notre cerveau gauche saigner pour le sort de ceux qui jouent le rôle des œufs dans l’omelette indigeste qu’est la politique migratoire (c’est peut-être le contraire, j’oublie toujours). Encore faut-il accepter de mobiliser l’un et l’autre.
Si on adopte le seul point de vue des trois Afghans renvoyés chez eux, on ne peut que se désoler. Or, c’est celui que les médias, producteurs d’émotion à jets continus, font naturellement prévaloir. Une décision politique, ça ne fait pas une bonne histoire. Dans le village planétaire, la raison collective est priée de s’incliner devant le malheur individuel. Ces hommes, nous connaissons leurs visages, nous les avons vus pleurer. Nous avons lu dans leurs yeux le désespoir de ceux qui ne peuvent plus rêver d’un avenir meilleur. Leur souffrance est la nôtre. Nous avons entendu la gauche s’indigner en boucle et un responsable associatif nous expliquer qu’ils n’auraient d’autre choix que « de se faire mutiler ou enrôler par les Talibans ». Nous avons été un peu soulagés de savoir que l’ambassade de France les avait pris en charge. Reste que nous nous sentons coupables et comptables de l’injustice qui les a fait naître dans un pays qui a raté l’entrée dans la modernité sans parvenir à se faire oublier de l’Histoire.
Face à ces existences détruites, les arguments d’Eric Besson (qui sont, peu ou prou, ceux de tout ministre en charge, de droite ou de gauche, sur l’immigration clandestine) sont glacés, à côté de la plaque. Le ministre de l’Immigration et du Reste est inaudible quand il affirme que les trois expulsés avaient épuisé toutes les voies de recours (ce qui signifie notamment qu’ils n’avaient pas demandé l’asile en France ou que ce statut leur a été régulièrement refusé). On ne l’écoute pas plus quand il explique que le fait de venir d’un pays en guerre ne vaut pas titre de séjour. D’accord, c’est triste. On a le droit de récuser cette proposition et de refuser les expulsions mais alors, il faut être cohérent et décréter que la France est un droit pour tous les ressortissants de tous les pays en guerre. Oui, nous serions fiers si notre pays accueillait toute la misère du monde tout en intégrant au roman républicain tous ceux qui se trouvent régulièrement sur son sol. Pour autant, sommes-nous prêts à manifester pour une augmentation massive des impôts ? Il convient aussi de demander à tous les Français de se porter volontaires pour que leur ville ou leur quartier abrite les prochaines « jungles » – il est à craindre que les habitants de Calais et ceux du Xe arrondissement de Paris ne soient guère enthousiastes mais sans doute sont-ils lepénistes. (Du reste, à en croire l’inévitable sondage CSA-Le Parisien, l’opinion est plutôt partagée sur le sujet, 44 % des sondés se déclarant opposés au renvoi tandis que 36 % s’y disent favorables.)
On dit, pour le dénoncer avec force, que cette expulsion est un « coup » politique. Certes, mais est-il condamnable en soi de faire de la politique ? Oui, il s’agit bien d’adresser un message à tous les candidats potentiels à l’immigration, de leur faire savoir que s’ils décident quand même de tenter l’aventure ils courent le risque de perdre beaucoup de temps, d’argent, d’énergie et d’espoir pour se retrouver à la case départ. En vrai, c’est un tout petit signal et il est possible que beaucoup d’Afghans tirent de la mésaventure de leurs compatriotes l’idée qu’ils pourront passer à travers les mailles du filet – trois expulsés pour combien qui ont réussi ? Seulement, ce n’est pas l’efficacité de la politique migratoire du gouvernement qui est contestée mais, comme toujours, son existence même. Il est tout de même curieux que toute la presse pousse des cris d’orfraie parce qu’un ministre propose un débat sur le thème « Qu’est-ce qu’être français ? ». Comme si la question était dénuée d’intérêt voire moralement indigne. Peut-être que pour nos belles âmes, poser la question, c’est déjà y répondre. En clair, Eric Besson a forcément derrière la tête l’idée qu’être français, c’est être blanc (si c’était aussi simple, on n’aurait sans doute pas besoin de se poser la question).
Un débat, et puis quoi encore ? Les mecs de droite, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Pour ma part, je trouve que dans la confusion ambiante, la question vaut d’être posée mais c’est sans doute la preuve que, moi aussi, je suis de droite.
La politique consiste à concilier le bien commun et celui de chacun, parfois à sacrifier celui-ci à celui-là. En matière d’immigration, c’est le prix à payer pour ne pas mettre un peu plus en danger la cohésion nationale. Pour autant, on a le droit de s’attrister. Et l’indifférence britannique aux expulsions (qui ne concernent pas, là-bas, trois personnes mais plusieurs dizaines et plusieurs fois par an) n’est pas plus sympathique que le sentimentalisme qui, chez nous, tient lieu de toute réflexion. On apprend en effet dans un excellent sujet diffusé au « 20 heures » de France 2 le 21 octobre que la presse anglaise n’a pas consacré une ligne à la question.
François Fillon estime que la France n’a pas à se sentir coupable. Il me semble qu’il a un peu tort. La culpabilité qu’on éprouve quand on fait du mal, même si on n’a pas d’autre choix, fait partie de notre humanité. Avoir des états d’âme peut être inutile, parfois dangereux, mais c’est la preuve qu’on a une âme.
Autocritique

Le pire, quand on a écrit un bouquin, c’est les questions débiles auxquelles il faut répondre, genre : « Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? » ou, pire encore : « Pourquoi ce livre ? Et pourquoi vous ? »
La première réponse qui me vienne à l’esprit tient tout entière dans ce mot d’Oscar Wilde : « Tout ce qui vous arrive vous ressemble ! ». Et avec tout ce qui m’est arrivé sans me vanter, je pourrais en remontrer à n’importe qui question inculture générale.
Lorsque j’étais étudiant, il me fallait bien gagner un peu d’argent ; et comme à l’époque l’EPAD n’existait pas encore, eh bien je donnais des cours particuliers.
Mais mes besoins financiers ne cessaient d’augmenter, à tel point que j’ai finalement été contraint d’enseigner aussi des matières que je n’avais jamais apprises, comme par exemple l’allemand.
Bien sûr, je m’étais fixé quelques règles déontologiques de base. Je n’acceptais comme élèves que des débutants de 6ème, et jamais plus intelligents que moi.
Dans ces conditions, ça ne pouvait que marcher ; même les parents s’extasiaient sur cette pédagogie subtile : se mettre au niveau de l’élève, pour mieux l’accompagner dans sa découverte de la langue de Goethe et de Tokio Hotel.
Un peu plus tard, j’ai décroché mon premier vrai boulot : professeur d’histoire-géographie dans une école d’électronique.
L’histoire était pourtant la seule matière où je n’avais pas eu la moyenne au bac, et pour cause : j’avais fait l’impasse sur la Révolution française !
Mais il y a des grâces d’Etat : dans cette école d’électronique, l’histoire-géo ne comptait pas pour passer dans la classe supérieure, et mes élèves n’ont pas tardé à me le faire savoir par tous moyens. Bref, ils s’en foutaient, mais pas autant que moi – et sur ces bases on n’a pas eu trop de mal à s’entendre.
Et puis j’ai fait mes premières armes en tant que nègre d’hommes politiques avec le regretté Raymond Barre. En ce temps-là, Raymond était Premier ministre, et il devait prendre la parole dans, je cite, « un grand meeting des Jeunes Centristes ». J’ai tout de suite senti qu’il y avait un loup.
En fait, ces gens-là ne se faisaient guère d’illusion sur leurs capacités de mobilisation : dans toute la France, ils avaient affrété des cars pour faire monter des jeunes à Paris, en leur promettant un bon repas chaud et un concert gratuit de Chuck Berry !
Mais là encore, problème d’inculture : Raymond n’avait jamais entendu parler de Chuck ! On a eu beau essayer de le raisonner, rien à faire… Pas question pour lui de se produire en première partie : Raymond voulait la vedette !
Alors, ce qui devait arriver arriva. Après le set de Chuck Berry, les gradins se sont vidés en moins de temps qu’il ne faut pour chanter « Johnny B. Goode ». Et c’est devant une salle aux trois quarts vide que Barre a lancé son Appel à la jeunesse de France.
Puisque j’en suis aux révélations, allons-y ! Au fil de ma carrière, peu de gens le savent, j’ai aussi été amené à travailler, entre autres, pour un certain Charles P… au ministère de l’I…
Là-bas, il arrivait parfois qu’on me cherche – notamment le matin. Ma secrétaire avait alors pour consigne de répondre que j’étais à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, en train de ciseler un discours pour le ministre. En fait bien sûr je dormais profondément, après une dure nuit de sociologie du nightclubbing.
C’est de cette riche expérience en matière d’inculture générale que j’ai souhaité faire profiter aujourd’hui mes contemporains. Une démarche humaniste au sens plein du terme, puisqu’elle n’a d’autre but que l’élévation de l’homme.
Elévation spirituelle bien sûr, comme l’ensemble de mon œuvre. Mais élévation sociale aussi : grâce à ce petit livre vert, plus jamais vous n’aurez l’air ridicule en société. « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », disait Édouard Herriot. Eh bien, avec moi, vous pourrez faire mine d’avoir oublié tout ce qu’en fait vous n’avez jamais su !
Causeur mis en boite!
Nous commençons à boucler le numéro de novembre et c’est le moment de vous rappeler que primo, Causeur n’est pas seulement un excellent site internet, mais aussi un mensuel imprimé comme dans le monde d’avant et que, secundo, vous aussi pouvez le recevoir tous les mois dans votre boîte aux lettres, si vous en avez une, et si vous vous abonnez, ce que vous pouvez faire illico du bout du doigt. Sinon, vous pouvez aussi acheter Causeur au numéro en cliquant ici. Ceux qui préfèrent toucher la marchandise avant de passer à la caisse sont cordialement invités à le faire à la librairie Kléber à Strasbourg ou au Seuil du Jardin chez l’excellent Michel Kessler à Metz. Je n’ai rien oublié ? Et bien alors, tout va bien, je peux signer et aller regarder le match.
Féminisme anti-fromager

L’ami blogueur Max-la-Terreur au détour d’un article m’a appris l’existence du dernier communiqué des fameuses Chiennes de garde. On se souvient qu’il y a quelques années, une crème[1. Alimentaire. Pas une crème de beauté.] avait fait l’objet d’une protestation vigoureuse de la part de la même association, toujours prête à traquer la publicité sexiste. Il me semble qu’on y vantait sur des affiches et dans des spots la possibilité de la battre, de la fouetter et de la passer à la casserole. Les chiennes de garde, Isabelle Alonso en tête, avaient fustigé la pub, laquelle pouvait banaliser la violence conjugale. Cette dernière, nous ne le nions pas, fait des victimes chaque année au point qu’une femme meurt tous les deux jours des coups de son compagnon.
Déjà à l’époque, j’avais trouvé que l’association féministe pouvait avoir un léger problème avec le second degré. On ne voit pas en quoi un homme pourrait être incité par cette publicité à frapper sa compagne. Cette violence conjugale semble davantage provoquée par l’alcoolisme ou les gros connards, et assez souvent les deux à la fois. On m’objectera que les mots « battre » et « fouetter » peuvent tout de même prêter à confusion. Admettons.
Mais pour les spots du Comité interprofessionnel du Cantal, rien ne prête à confusion. Les situations – abandonner Chantal au bord de la route, lui dire non devant monsieur le maire, ou se désolidariser d’elle dans une escalade, parce qu’elle a, à chaque fois, oublié le Cantal – sont volontairement irréalistes. Le second degré, l’humour, c’est marqué dessus, comme pour un autre fromage. Je me souviens d’avoir été agoni d’injures lorsque j’avais commis au mois de janvier dernier un texte, très second degré aussi, sur la fille de Rachida Dati. Et je m’étais aperçu alors combien certaines féministes pouvaient manquer d’humour en certaines occasions. Avec cette histoire de fromage du Cantal, qu’elles appellent d’ailleurs à boycotter, on atteint des sommets assurément plus hauts que ceux du Massif Central.
À quand l’interdiction totale, sous peine de tribunal correctionnel, des blagues sur les blondes[2. Ces histoires, qui viennent du Québec, concernent toutes les femmes. Au pays de Gilles Vigneault, une “blonde”, c’est une femme, quelle que soit sa couleur de cheveux.] ? Peut-on continuer à tolérer des titres de journaux ainsi écrits les lendemains d’élections : « 3e circonscription du Loir-et-Cher : Gisèle Dugenou battue » ? Les publicités pour les sites sado-masochistes ont-elles encore leur place dans les journaux de petites annonces ? Si on n’a plus le droit de plaisanter sur tel ou tel sujet à partir du moment où existent des victimes, si on ne peut plus citer certains mots quel que soit le contexte, on n’a pas fini. J’ai revu récemment Le dîner de cons[3. Au passage, ce film ne respecte guère la parité puisque tous les cons sont des hommes. Très sexiste, ce film.] et je connais des amateurs de boomerangs et de maquettes qui auraient pu, à bon droit, faire interdire le film ou demander des dommages et intérêts pour être ainsi honteusement stigmatisés.
En mesure de rétorsion contre les chiennes de garde qui, je le sais, ne représentent qu’une minorité de femmes non dotées d’humour et de recul, j’incite tous mes lectrices et lecteurs à consommer sans modération ce produit du terroir fort excellent que constitue le fromage du Cantal.
Castration : on n’y coupera pas

Triste suite française que celle que nous venons de vivre avec son lot d’intensités et ressacs, qui, de Polanski à Frédéric Mitterrand en passant par Jean Sarkozy, égrène ses séquences sulfureuses pour s’achever – juste avant l’hymne à la castration physique de Mme Alliot-Marie par la béatification de Dame Royal, sacre télévisuel de la vacuité.
Le lien entre ces deux séquences mettant en jeu deux femmes politiques d’envergure, a été peu perçu par les commentateurs.
Il est vrai qu’il est difficile, a priori, d’associer ces deux estimables figures de la vie politique française tant leurs styles divergent.
L’une confesse un féminisme provincial relooké en un singulier composé de mère courage et de grande prêtresse glamour. L’autre qui se fait appeler Madame le Ministre et arbore de sages tailleurs s’est imposée comme un pur chef d’œuvre de rectitude dépouillée et de sens du labeur et semble peu encline aux illuminations ou aux débordements extatiques, contrairement à sa consœur poitevine qui allie à une sophistication chichiteuse un talent de prédicatrice ambulante assez proche de celui des télévangélistes étatsuniens.
Et pourtant, l’une et l’autre ont en commun, quoique de manière fort différente de raviver en nous l’angoisse de la castration, l’une de manière métaphorique, l’autre-fidèle à son style de façon beaucoup plus cash, voire dans le cas qui nous (pré)-occupe nettement trash.
Revêtue de sa tenue de lin d’une blancheur immaculée, la reine thaumaturge du Poitou semble en, effet toujours prompte à en découdre avec la rouerie et la perversité – attributs d’une vile masculinité assujettie aux caprices de la pulsion et de la cupidité et à porter ainsi l’ultime estocade au politique au nom de la supériorité d’une morale résolument sexuée.
Ségolène surgit tel un agent purificateur très concentré qui nous lave des péchés d’une masculinité cynique et dominatrice.
Armée d’un sourire immuable, nous l’avons vu se faire l’exégète de ses propres gloires et de ses déconvenues avec cette pudeur de femme blessée dans sa vie de couple, bafouée dans sa vie publique par des hiérarques socialistes ventripotents et infidèles, mauvais pères et mauvais maris.
Bravoure d’une féminitude mère de toutes les rébellions.
Cette fièvre éradicatrice doit être rapprochée des propos ébouriffants récemment tenus par Mme le Garde des Sceaux, considérant dans un entretien au Figaro Magazine, que la castration physique, « ablation des testicules par chirurgie » courtoisement réclamée en ces termes cliniques au président de la République pour lui-même par le pédophile Francis Evrard, « peut se poser et être débattue, y compris au Parlement ».
N’est-ce pas là le point d’orgue de la séquence ? Si le pervers ou cliniquement supposé tel – qui, dans le cas présent, serait atteint de troubles de l’érection, le conduisant à violer ses victimes à l’aide d’objets de substitution – fait la demande d’une castration réelle, il conviendrait que le souverain songe à lui donner satisfaction. Si la loi de la castration n’a pas été symbolisée, si s’est opéré ce que Freud appelait la Verleugnung, le démenti ou désaveu de la castration, qu’Octave Mannoni a explicité sous la formule « je sais bien, mais quand même », Michèle Alliot-Marie nous invite sans délai à convoquer ladite castration dans le réel. Le garde des Sceaux prend ainsi la demande de castration physique, adressée par le titulaire de la supposée perversion à une version du Père – pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du présidentiel destinataire de la missive – au pied de la lettre.
Or, ce que nous savons du pervers, outre que le mécanisme fondateur de l’inconscient est pour lui la dénégation qui commande et maintient le refoulement, c’est qu’à la différence du psychotique, il reconnaît parfaitement le Père en tant qu’instance symbolique, dépositaire en titre de la loi.
C’est dans l’ordre du réel que le pervers destitue le père. Exilé par le discours maternel, celui-ci est un monarque tenu en échec dans son propre palais, d’où une destitution de l’interdit ramené à une convention de façade. Ce qu’entend démontrer le pervers, ce n’est pas seulement l’existence der la jouissance, c’est sa prédominance sur le désir.
Si le pervers met la loi des hommes au défi, c’est au nom d’une autre loi bien plus tyrannique que celle de la société, une loi par essence non-humaine puisqu’elle prescrit l’obligation de jouir.
Nul doute qu’un passage à l’acte aussi tranchant en réponse à la demande complexe énoncée par M. Francis Evrard consacrerait la défaite du symbolique en rase campagne. Si l’auteur de la requête n’est pas psychotique, cette sorte d’acquiescement du Garde des Sceaux à l’idée d’une possible castration physique ne peut qu’avoir pour lui un effet de jouissance non négligeable.
Lacan nous a posé la loi comme ce qui barre la jouissance incestueuse et permet l’instauration du désir.
Il a défini le phallus comme signifiant d’une jouissance mythique impossible et d’une loi qui en interdit l’accès y inscrivant une perte.
Même si le complexe de castration évoque l’idée d’une mutilation ou d’une menace liée à la découverte de la différence anatomique des sexes, il doit d’abord être entendu comme une limite imposée par la société à la jouissance de l’individu. Et c’est parce que la jouissance absolue est impossible, que toute satisfaction laisse un manque-à-jouir, qu’il y aura là un espace possible pour le désir.
Digression lacanienne ? Ca vous paraît jargonnant, daté, ésotérique. Peut-être, mais faites un effort.
Je résume. La castration correspond au renoncement du sujet à s’assurer en l’Autre la garantie d’une jouissance, car celle-ci est réservée au père, en raison de sa préséance symbolique auprès de la mère. C’est pourquoi le père symbolique est réputé être l’agent de la castration dont l’objet serait le phallus imaginaire. En clair, la castration, c’est du symbolique, et ça doit le rester. Si elle fait irruption dans le réel, sachez qu’on entre dans la psychose. Et c’est grave, surtout quand celle qui sonne le clairon délirant en proposant d’inscrire à l’agenda de la nation la pulpectomie testiculaire est supposée soutenir la fonction symbolique, en sa qualité de Garde des Sceaux – gardienne des symboles vous entendez !
En France, donc, on ne couperait plus les têtes, mais on pourrait délester le pervers, à sa « demande », de ses attributs, – ce qui dénote convenons-en un louable sens du service public – tout en continuant à condamner pénalement l’excision. À ce point d’affolement, de déraison, le retour au symbolique s’impose et d’urgence, un article 16 devrait être invoqué, afin de former sans tarder un comité de salut psychique. Car là, il y a vraiment malaise dans la civilisation, et si le Garde des Sceaux fait défaut, il convient de recruter en urgence un garde-fou.
Digression dites-vous. Oui, mille fois oui, mais reconnaissez chers causeuses et causeurs, que c’est une digression qui s’impose, après cette folle semaine qui s’achève de la pire des manières.
Peut-on critiquer la critique des médias ?
D’habitude, quand on manque à la solidarité professionnelle entre journalistes (bien connue de tous ceux qui fréquentent les rédactions concrètes), on est au mieux caricaturé, le plus souvent purement et simplement ignoré. La « critique des médias », ce truc de procureurs et de gens qui crachent dans la soupe, a mauvaise réputation dans les médias. Il est rarissime que les gens concernés y répondent et plus rare encore qu’un média fasse état de celles qui lui sont adressées. J’avoue donc avoir été déçue en bien comme on dit en Suisse par Jean-Michel Aphatie[1. Un commentateur me dit que c’est raciste de l’appeler éditorialiste-cassoulet. Franchement, c’était plutôt affectueux et j’espère qu’il ne l’a pas pris autrement. J’adore son accent…et le cassoulet !] qui m’a répondu (pas mal d’ailleurs) en direct sur RTL avant de le faire sur son blog, puis par Bruno Duvic qui a cité jeudi dans sa revue de presse sur France Inter mon article sur « l’affaire Lefebvre ». Que l’un et l’autre en soient remerciés – rien n’est plus agréable que le désaccord intelligent. Duvic, cependant, remarque que France Inter « en prend plein la figure ». C’est un peu exagéré, cher confrère. Il est vrai que je cite très souvent France Inter et qu’elle m’énerve souvent, mais c’est pas de ma faute : le matin, je n’écoute que ça. C’est ma dose d’adrénaline.
Le coup de vice électoral de Sarkozy

À première vue, la réforme des collectivités territoriales présentée en cette fin octobre par Nicolas Sarkozy semble frappée au coin du bon sens : pour la première fois depuis la création de la Ve République, on essaie de mettre un peu d’ordre et de rationalité dans l’empilement séculaire des structures de la démocratie locale. Communes, intercommunalités, cantons, communautés urbaines, départements, régions, tout cela avait un urgent besoin d’être simplifié et adapté à l’évolution démographique et sociologique de notre beau pays.
La méthode pour faire avancer le schmilblick était aussi respectable qu’habile : on envoie tout d’abord un chevau-léger, en l’occurrence Jacques Attali, à l’assaut des conservatismes provinciaux. L’ancien conseiller de François Mitterrand, missionné par l’Elysée pour imaginer des réformes permettant de relancer la croissance économique, propose, entre autres, la suppression des départements.
Tollé dans les campagnes, car ce rejeton administratif de la Révolution française est plutôt aimé par le peuple, surtout celui qui vit hors des grandes villes, comme on a pu le constater lors de la modification des immatriculations des automobiles. Le conseiller général est un élu de proximité, qui cajole les petits maires et pratique la bobologie sociale avec les électeurs de son canton.
Pour calmer le jeu, on réunit une commission de « sages », présidée par Edouard Balladur, à laquelle participent d’éminents membres de l’opposition socialiste, Pierre Mauroy et André Vallini. Ses travaux aboutissent à la formulation de vingt propositions dont les plus importantes – suppression de la taxe professionnelle et création de « conseillers territoriaux » remplaçant les actuels conseillers régionaux et généraux pour siéger tout à la fois à l’assemblée départementale et régionale – sont reprises par Nicolas Sarkozy. C’est la « fusion douce » des départements et des régions.
Présentée ainsi, et moyennant quelques ajustements pour amadouer les sénateurs et les notables locaux, cette réforme aurait pu faire l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques, car elle répond aux préoccupations des élus locaux de toutes tendances. Elle pourrait mettre fin à l’enchevêtrement des structures, aux conflits de compétences et aux coûts inutiles engendrés par la multiplication des syndicats intercommunaux et de leurs exécutifs pléthoriques.
Mais on l’aura peut-être déjà remarqué, Nicolas Sarkozy n’est pas un homme qui recherche systématiquement l’harmonie générale, dans une République apaisée où les décisions importantes pour l’avenir de la nation sont élaborées dans un esprit de coopération avec ceux qui pensent autrement.
Il a donc fallu qu’il introduise dans la belle construction signée Balladur et Mauroy un élément qui déclenche une castagne de grande ampleur avec les socialistes : l’élection au scrutin uninominal à un tour, en 2014, de 80 % des conseillers territoriaux, les 20 % restants étant élus au scrutin de liste départemental.
Et alors, qu’est ce que ça change ? Eh bien, beaucoup de choses, car ce mode de scrutin, qui est celui des élections législatives au Royaume Uni, assure l’élection dès le premier tour du candidat ayant obtenu le plus de voix dans sa circonscription, même s’il n’a pas atteint la majorité absolue. Il favorise donc la famille politique qui est parvenue à rassembler au sein d’un même parti le plus large éventail des sensibilités existant en son sein. Le système « au premier tour on se compte, au second on se rassemble », alpha et oméga de la stratégie politique hexagonale, est balayé. C’est avant les élections qu’il faut se rassembler et non pas dans de chaleureuses retrouvailles d’entre deux tours. Dans la conjoncture politique actuelle, ce mode de scrutin favorise indubitablement la droite de gouvernement. Nicolas Sarkozy a rassemblé presque toute la droite au sein de l’UMP ou dans son orbite, alors que la gauche a beaucoup plus de mal à réunir toutes ses composantes dans un cartel électoral, surtout depuis la montée en puissance des Verts. De plus, la réduction de moitié des élus locaux provoque un assèchement notable du vivier où le PS recrute une bonne partie de ses militants…
Le coup tactique est habile, mais est-il pour autant de nature à purifier les mœurs politiques de notre pays, où le fair-play est encore insuffisamment pratiqué, comme on a pu le constater à l’occasion du procès Clearstream ? Ce mode de scrutin fonctionne à la satisfaction des Britanniques, car le bipartisme est profondément ancré dans le pays depuis très longtemps : conservateurs et travaillistes rassemblent au sein de leurs formations respectives toutes les nuances de la droite et de la gauche.
Il suppose aussi que le combat électoral se fasse à la loyale, sans manœuvres ni coup tordus : ce n’est pas en Angleterre que l’on verrait, par exemple, les conservateurs susciter en sous-main un candidat prétendument de gauche pour piquer des voix aux travaillistes, ou vice-versa. En revanche, pour qui connait un peu les pratiques politiques de notre belle démocratie, il n’est pas exclu que de subtils marchandages, manœuvres de coulisses, passages de rhubarbe et de séné viennent donner à ces élections un délicieux fumet de magouille généralisée.
Le bipartisme n’est pas dans les gènes des Français, pas plus à droite qu’à gauche. Dans la période que nous vivons, la gauche apparaît plus fractionnée qu’une droite tenue d’une main ferme à partir de l’Elysée. Mais, comme dirait Claude François, « ça s’en va et ça revient… », et il n’est pas sûr que le coup de vice électoral de Nicolas Sarkozy ne lui revienne pas, un jour, dans les gencives.
Somalie : des militaires pas très civils
Au moins 17 civils ont été tués hier matin à Mogadiscio dans des combats à distance entre insurgés islamistes et soldats de la force de paix de l’Union africaine (l’Amisom, African Union Mission to Somalia). Selon les agences de presse, des tirs d’artillerie lourde ont visé des quartiers populaires, notamment le marché de Baraka. Les insurgés ont d’abord tiré au mortier sur l’aéroport alors que le président cheikh Sharif Ahmed prenait l’avion pour se rendre en Ouganda , et les troupes de l’Amisom ont riposté par d’intenses tirs d’artillerie lourde. S’agit-il d’un massacre d’intimidation délibérément perpétré par les militaires de la « force de paix » de l’Union africaine ? On ne saura probablement jamais la réponse pour une raison simple: l’Amisom est composée de soldats ougandais, burundais, nigérians et malawites et tout le monde s’en contrefout. Je vous laisse imaginer les commentaires de la presse occidentale avec un scénario similaire, mais, avec dans le rôle des méchants, des casques bleus Européens ou des troupes de l’OTAN…
Educ’nat point com

« L’éducation nationale doit basculer totalement dans l’ère du numérique », a déclaré récemment le tout nouveau tout beau ministre de l’Education nationale, qui voit enfin les choses en grand. Il était temps. Depuis trop longtemps les profs, ces archaïques, tournent autour du pot numérique sans oser s’y plonger tout à fait. Le journal Les Echos s’en lamentait encore cet été, Mamy éducation nationale fait de la résistance. Serait-ce une conséquence regrettable de son grand âge, elle se fait désirer avant de s’abandonner à la totale bascule que son ardent ministre lui promet. « La France ne dispose que d’un ordinateur pour 12,5 écoliers, se plaçant ainsi au 12e rang européen. » À peine passable. Et même très médiocre. D’autant plus que pour ce qui concerne l’usage des high tech (ordinateur, vidéoprojecteur, connexion Internet) la France fait carrément figure de cancre du fond de laclasse.com, puisqu’elle pointe à une piteuse 21e place européenne, selon une « enquête » de la Commission de Bruxelles, toujours d’attaque quant à elle lorsqu’il s’agit de dénoncer les obsolescences françaises. C’est la honte. Vite, vite, connectons nos têtes blondes, avant qu’elles ne se voient contraintes de redoubler en compagnie des jeunes Bulgares pour obtenir enfin leur B2i.
Comment, vous ne connaissez pas le B2i ?
Le B2i, pour Brevet Informatique et Internet, « valide les compétences informatiques acquises dans toutes les disciplines [même le sport ? Oui, même le sport] et diverses circonstances ». Bon, personnellement, j’ai deux collégiens à la maison, et je peux vous dire que ce B2i, ça les fait bien rigoler. Sans même interrompre leur session msn, les voilà qui « valident les items constitutifs des compétences attendues » sur l’ordinateur de papa-maman ! C’est ainsi qu’on prétend réduire la fracture numérique au ministère : l’ordinateur partout, tout le temps, et pour faire n’importe quoi ! Ne dites surtout pas à nos néo-pédagogues qui pensent enfin avoir trouvé l’arme fatale contre les inégalités sociales, que dans les milieux les plus culturellement favorisés on limite, ou même interdit, l’usage de l’ordinateur aux enfants ! Comment ? Certains mauvais esprits osent suggérer que les facilités de l’informatique pourraient entraver le développement des facultés de concentration et, in fine, l’accès intelligent à la culture des enfants et des adolescents? Laissons ces rabat-joies à leur obsolète « support papier » que plus personne ne lit, et hâtons tous ensemble l’avènement du grand basculement vers la « société numérique ».
Mais peut-être après tout est-ce moi le naïf, et nos néo-pédagogues sont-ils parfaitement conscients des dégâts opérés sur la culture des collégiens par le culte du tout numérique. Peut-être visent-ils, en rendant obligatoire et permanent l’usage de l’ordinateur non seulement à l’école mais aussi à la maison, à niveler par le bas. Ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire en interdisant les devoirs à la maison, peut-être y parviendront-ils enfin en faisant basculer totalement l’éducation dans le dépotoir numérique. Tous ensembles et qu’aucune tête ne dépasse ! Au nom, bien sûr, de l’égalité des chances.
Ne cédons pas trop vite aux douces sirènes de la théorie du complot : les intentions de nos néo-pédagogues sont certainement pures. Je suis prêt à parier mon Apple 2 contre votre iPhone qu’ils croient malheureusement dur comme fer aux vertus pédagogiques du basculement numérique total. D’ailleurs, le mouvement s’est engagé de longues années avant que le ministre ne le décrète total et obligatoire. Avec un enthousiasme terrifiant, sous la pression inquiète des parents et sur les fonds des collectivités territoriales, les collèges et lycées, et même parfois les écoles, tous soucieux d’apparaître plus modernes et performants les uns que les autres, se sont dotés à la vitesse de la lumière de multiples ordinateurs plus ou moins à la page sur lesquels élèves et professeurs de conserve passent dorénavant des cours entiers de mathématiques et de français à se « loguer sur leur compte utilisateur », afin de tracer des cercles au compas virtuel sur le site mathenpoche, ou analyser un conte africain à l’aide d’indispensables outils informatiques dispensés par un « espace numérique de travail ». C’est une merveille de constater à quel point, dans ce domaine, la contrainte budgétaire disparaît comme par magie. S’il s’agit de réduire la fracture numérique, la facture, même astronomique, sera toujours acquittée. Un prof sans « support numérique » sera bientôt le dernier des ringards, et la « pensée PowerPoint« , qui se contente de « lister des items », c’est-à-dire d’empiler des phrases ou même seulement des « mots-clés », aura bientôt raison partout de la vieille pensée analytique et discursive.
Ce n’est pas seulement pour être moderne et performant qu’il faut se hâter de basculer. C’est aussi une question urgente de santé publique. Ainsi, les cartables, qui ont depuis des lustres transformés de façon humiliante notre précieuse progéniture en portefaix, ont heureusement fait leur temps. Numérisés eux-aussi ! Transformés d’un coup de baguette numérique en clés USB de quelques grammes. Bien fait pour eux ! Et que redressent le dos, et que relèvent la tête nos marmots affranchis du poids exténuant du vieux savoir !
Il faut, dit-on encore au ministère, « inventer une nouvelle pratique numérique ». Plus interactive, plus proche de l’élève qui conquerra ainsi la terre promise de son « autonomie ». Une nouvelle pratique qui permettra à nos chers bambins de s’épanouir enfin « au centre ». Cliquant en classe comme à la maison sur son ordinateur, l’apprenant pourra royalement ignorer l’enseignant, comme le rejeton ignore déjà royalement ses géniteurs qui osent l’interrompre pour lui demander brutalement de venir mettre la table alors qu’il se livre à un paisible massacre simultané de l’orthographe, de la syntaxe, et d’autres monstrueux ennemis sur son écran. C’est que, voyez-vous, l’ordinateur c’est beaucoup moins fasciste que les gens. Moins perturbant pour les enfants. Comme le souligne un de nos néo-pédagogues parmi les plus autorisés, « l’ordinateur n’est pas perçu comme celui qui juge et qui sanctionne ». Grâce à l’ordinateur, poursuit notre technopédagogue, l’erreur disparaît « comme par enchantement », et « les contraintes « bassement matérielles » d’opérations intellectuelles essentielles » sont supprimées. Plus de vilaines ratures, plus d’écriture imparfaite. D’un doigt léger sur mon clavier je m’affranchis de mon surmoi traumatisant. Paradisiaque, vraiment ! La bascule numérique est notre chemin d’accès vers le rose paradis virtuel des lendemains qui chantent ! Exit l’autorité ! Out les corrections au stylo rouge!
Vite ! Que tout ça bascule, et qu’on n’en parle plus !
Joyandet remet en selle le Tour du Faso
En ces temps de surenchère castratrice et de gadgetisation de l’identité nationale, c’est trop peu souvent que j’ai l’occasion de féliciter un membre du gouvernement. Et croyez-moi, je le regrette : après tout, moi aussi je paye des impots, et je serais bien content qu’il servent à autre chose qu’à gonfler, grâce à la TVA réduite, la marge brute de McDonald ou à faire prospérer la PME de sondages de Pierre Giacometti. Un grand bravo donc à Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, qui est intervenu personnellement en fin de semaine dernière auprès de l’AFD, l’Agence Française de Développement, pour que le Tour du Faso, en proie au pires difficultés financières, puisse se tenir cette année, grâce à un chèque de 115 000 Euros, qui a permis de boucler le budget, ou plutôt de budgétiser la Boucle. Vous n’êtes pas obligé de me croire sur parole, mais ce Tour-là, qui se court cette semaine au Burkina, est une des plus belles épreuves cyclistes du monde. Un Tour à la dure, sans aucune concession au XXIème siècle où les cadors réparent eux-mêmes leurs vélos au bord des pistes et dorment chaque nuit à la belle étoile. Vous pouvez d’ailleurs vous faire une idée par vous-même en regardant le résumé quotidien tous les soirs sur TV5 Monde, qu’on félicitera donc aussi au passage.
Un charter, pour quoi faire ?

« Charter pour la guerre. » Ils ont dû être contents, à Libé, d’avoir trouvé ce titre. En quatre mots tout est dit. Leur fragilité et notre inhumanité. On les imagine, des centaines de malheureux jetés sans ménagement dans le pays embrasé auquel ils avaient réussi à échapper au péril de leur vie. On aimerait connaître les bureaucrates insensibles ou les juges au cœur dur qui ont pris cette décision. On veut être du côté de la générosité, avec Philippe Lioret, réalisateur de Welcome, promu expert es sans-papiers, ce qui serait rigolo si le sujet était un peu moins lourd. À ce compte-là, on fera bientôt témoigner Al Pacino aux procès de la mafia et Christian Clavier écrira une thèse sur le Moyen Âge.
On n’a guère envie d’ironiser, même si toute la presse évoque un « charter » pour trois hommes (il semble qu’il y avait pas mal de journalistes dans ce charter-là). Parce que trois hommes, c’est trois hommes et que leur « rapatriement forcé » – terme propre destiné à noyer le poisson de l’expulsion – décrit précisément le fossé tragique qui sépare la politique de l’humanitaire, la raison d’Etat des droits de l’individu et la gestion technocratique de la compassion humaine. Il n’y a pas, en politique, une main invisible qui réconcilie le bien commun et la vie des gens. Que l’immigration clandestine soit difficilement supportable pour les heureux habitants du monde développé ne change rien au fait qu’elle est pour un très grand nombre d’êtres humains une nécessité vitale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle « l’infraction à la législation sur les étrangers » n’est pas un délit comme un autre : sur le plan moral, on admet parfaitement que le délinquant transgresse la loi. En conséquence, notre cerveau droit peut approuver une décision raisonnable et notre cerveau gauche saigner pour le sort de ceux qui jouent le rôle des œufs dans l’omelette indigeste qu’est la politique migratoire (c’est peut-être le contraire, j’oublie toujours). Encore faut-il accepter de mobiliser l’un et l’autre.
Si on adopte le seul point de vue des trois Afghans renvoyés chez eux, on ne peut que se désoler. Or, c’est celui que les médias, producteurs d’émotion à jets continus, font naturellement prévaloir. Une décision politique, ça ne fait pas une bonne histoire. Dans le village planétaire, la raison collective est priée de s’incliner devant le malheur individuel. Ces hommes, nous connaissons leurs visages, nous les avons vus pleurer. Nous avons lu dans leurs yeux le désespoir de ceux qui ne peuvent plus rêver d’un avenir meilleur. Leur souffrance est la nôtre. Nous avons entendu la gauche s’indigner en boucle et un responsable associatif nous expliquer qu’ils n’auraient d’autre choix que « de se faire mutiler ou enrôler par les Talibans ». Nous avons été un peu soulagés de savoir que l’ambassade de France les avait pris en charge. Reste que nous nous sentons coupables et comptables de l’injustice qui les a fait naître dans un pays qui a raté l’entrée dans la modernité sans parvenir à se faire oublier de l’Histoire.
Face à ces existences détruites, les arguments d’Eric Besson (qui sont, peu ou prou, ceux de tout ministre en charge, de droite ou de gauche, sur l’immigration clandestine) sont glacés, à côté de la plaque. Le ministre de l’Immigration et du Reste est inaudible quand il affirme que les trois expulsés avaient épuisé toutes les voies de recours (ce qui signifie notamment qu’ils n’avaient pas demandé l’asile en France ou que ce statut leur a été régulièrement refusé). On ne l’écoute pas plus quand il explique que le fait de venir d’un pays en guerre ne vaut pas titre de séjour. D’accord, c’est triste. On a le droit de récuser cette proposition et de refuser les expulsions mais alors, il faut être cohérent et décréter que la France est un droit pour tous les ressortissants de tous les pays en guerre. Oui, nous serions fiers si notre pays accueillait toute la misère du monde tout en intégrant au roman républicain tous ceux qui se trouvent régulièrement sur son sol. Pour autant, sommes-nous prêts à manifester pour une augmentation massive des impôts ? Il convient aussi de demander à tous les Français de se porter volontaires pour que leur ville ou leur quartier abrite les prochaines « jungles » – il est à craindre que les habitants de Calais et ceux du Xe arrondissement de Paris ne soient guère enthousiastes mais sans doute sont-ils lepénistes. (Du reste, à en croire l’inévitable sondage CSA-Le Parisien, l’opinion est plutôt partagée sur le sujet, 44 % des sondés se déclarant opposés au renvoi tandis que 36 % s’y disent favorables.)
On dit, pour le dénoncer avec force, que cette expulsion est un « coup » politique. Certes, mais est-il condamnable en soi de faire de la politique ? Oui, il s’agit bien d’adresser un message à tous les candidats potentiels à l’immigration, de leur faire savoir que s’ils décident quand même de tenter l’aventure ils courent le risque de perdre beaucoup de temps, d’argent, d’énergie et d’espoir pour se retrouver à la case départ. En vrai, c’est un tout petit signal et il est possible que beaucoup d’Afghans tirent de la mésaventure de leurs compatriotes l’idée qu’ils pourront passer à travers les mailles du filet – trois expulsés pour combien qui ont réussi ? Seulement, ce n’est pas l’efficacité de la politique migratoire du gouvernement qui est contestée mais, comme toujours, son existence même. Il est tout de même curieux que toute la presse pousse des cris d’orfraie parce qu’un ministre propose un débat sur le thème « Qu’est-ce qu’être français ? ». Comme si la question était dénuée d’intérêt voire moralement indigne. Peut-être que pour nos belles âmes, poser la question, c’est déjà y répondre. En clair, Eric Besson a forcément derrière la tête l’idée qu’être français, c’est être blanc (si c’était aussi simple, on n’aurait sans doute pas besoin de se poser la question).
Un débat, et puis quoi encore ? Les mecs de droite, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Pour ma part, je trouve que dans la confusion ambiante, la question vaut d’être posée mais c’est sans doute la preuve que, moi aussi, je suis de droite.
La politique consiste à concilier le bien commun et celui de chacun, parfois à sacrifier celui-ci à celui-là. En matière d’immigration, c’est le prix à payer pour ne pas mettre un peu plus en danger la cohésion nationale. Pour autant, on a le droit de s’attrister. Et l’indifférence britannique aux expulsions (qui ne concernent pas, là-bas, trois personnes mais plusieurs dizaines et plusieurs fois par an) n’est pas plus sympathique que le sentimentalisme qui, chez nous, tient lieu de toute réflexion. On apprend en effet dans un excellent sujet diffusé au « 20 heures » de France 2 le 21 octobre que la presse anglaise n’a pas consacré une ligne à la question.
François Fillon estime que la France n’a pas à se sentir coupable. Il me semble qu’il a un peu tort. La culpabilité qu’on éprouve quand on fait du mal, même si on n’a pas d’autre choix, fait partie de notre humanité. Avoir des états d’âme peut être inutile, parfois dangereux, mais c’est la preuve qu’on a une âme.
Autocritique

Le pire, quand on a écrit un bouquin, c’est les questions débiles auxquelles il faut répondre, genre : « Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? » ou, pire encore : « Pourquoi ce livre ? Et pourquoi vous ? »
La première réponse qui me vienne à l’esprit tient tout entière dans ce mot d’Oscar Wilde : « Tout ce qui vous arrive vous ressemble ! ». Et avec tout ce qui m’est arrivé sans me vanter, je pourrais en remontrer à n’importe qui question inculture générale.
Lorsque j’étais étudiant, il me fallait bien gagner un peu d’argent ; et comme à l’époque l’EPAD n’existait pas encore, eh bien je donnais des cours particuliers.
Mais mes besoins financiers ne cessaient d’augmenter, à tel point que j’ai finalement été contraint d’enseigner aussi des matières que je n’avais jamais apprises, comme par exemple l’allemand.
Bien sûr, je m’étais fixé quelques règles déontologiques de base. Je n’acceptais comme élèves que des débutants de 6ème, et jamais plus intelligents que moi.
Dans ces conditions, ça ne pouvait que marcher ; même les parents s’extasiaient sur cette pédagogie subtile : se mettre au niveau de l’élève, pour mieux l’accompagner dans sa découverte de la langue de Goethe et de Tokio Hotel.
Un peu plus tard, j’ai décroché mon premier vrai boulot : professeur d’histoire-géographie dans une école d’électronique.
L’histoire était pourtant la seule matière où je n’avais pas eu la moyenne au bac, et pour cause : j’avais fait l’impasse sur la Révolution française !
Mais il y a des grâces d’Etat : dans cette école d’électronique, l’histoire-géo ne comptait pas pour passer dans la classe supérieure, et mes élèves n’ont pas tardé à me le faire savoir par tous moyens. Bref, ils s’en foutaient, mais pas autant que moi – et sur ces bases on n’a pas eu trop de mal à s’entendre.
Et puis j’ai fait mes premières armes en tant que nègre d’hommes politiques avec le regretté Raymond Barre. En ce temps-là, Raymond était Premier ministre, et il devait prendre la parole dans, je cite, « un grand meeting des Jeunes Centristes ». J’ai tout de suite senti qu’il y avait un loup.
En fait, ces gens-là ne se faisaient guère d’illusion sur leurs capacités de mobilisation : dans toute la France, ils avaient affrété des cars pour faire monter des jeunes à Paris, en leur promettant un bon repas chaud et un concert gratuit de Chuck Berry !
Mais là encore, problème d’inculture : Raymond n’avait jamais entendu parler de Chuck ! On a eu beau essayer de le raisonner, rien à faire… Pas question pour lui de se produire en première partie : Raymond voulait la vedette !
Alors, ce qui devait arriver arriva. Après le set de Chuck Berry, les gradins se sont vidés en moins de temps qu’il ne faut pour chanter « Johnny B. Goode ». Et c’est devant une salle aux trois quarts vide que Barre a lancé son Appel à la jeunesse de France.
Puisque j’en suis aux révélations, allons-y ! Au fil de ma carrière, peu de gens le savent, j’ai aussi été amené à travailler, entre autres, pour un certain Charles P… au ministère de l’I…
Là-bas, il arrivait parfois qu’on me cherche – notamment le matin. Ma secrétaire avait alors pour consigne de répondre que j’étais à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, en train de ciseler un discours pour le ministre. En fait bien sûr je dormais profondément, après une dure nuit de sociologie du nightclubbing.
C’est de cette riche expérience en matière d’inculture générale que j’ai souhaité faire profiter aujourd’hui mes contemporains. Une démarche humaniste au sens plein du terme, puisqu’elle n’a d’autre but que l’élévation de l’homme.
Elévation spirituelle bien sûr, comme l’ensemble de mon œuvre. Mais élévation sociale aussi : grâce à ce petit livre vert, plus jamais vous n’aurez l’air ridicule en société. « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », disait Édouard Herriot. Eh bien, avec moi, vous pourrez faire mine d’avoir oublié tout ce qu’en fait vous n’avez jamais su !
Causeur mis en boite!
Nous commençons à boucler le numéro de novembre et c’est le moment de vous rappeler que primo, Causeur n’est pas seulement un excellent site internet, mais aussi un mensuel imprimé comme dans le monde d’avant et que, secundo, vous aussi pouvez le recevoir tous les mois dans votre boîte aux lettres, si vous en avez une, et si vous vous abonnez, ce que vous pouvez faire illico du bout du doigt. Sinon, vous pouvez aussi acheter Causeur au numéro en cliquant ici. Ceux qui préfèrent toucher la marchandise avant de passer à la caisse sont cordialement invités à le faire à la librairie Kléber à Strasbourg ou au Seuil du Jardin chez l’excellent Michel Kessler à Metz. Je n’ai rien oublié ? Et bien alors, tout va bien, je peux signer et aller regarder le match.
Féminisme anti-fromager

L’ami blogueur Max-la-Terreur au détour d’un article m’a appris l’existence du dernier communiqué des fameuses Chiennes de garde. On se souvient qu’il y a quelques années, une crème[1. Alimentaire. Pas une crème de beauté.] avait fait l’objet d’une protestation vigoureuse de la part de la même association, toujours prête à traquer la publicité sexiste. Il me semble qu’on y vantait sur des affiches et dans des spots la possibilité de la battre, de la fouetter et de la passer à la casserole. Les chiennes de garde, Isabelle Alonso en tête, avaient fustigé la pub, laquelle pouvait banaliser la violence conjugale. Cette dernière, nous ne le nions pas, fait des victimes chaque année au point qu’une femme meurt tous les deux jours des coups de son compagnon.
Déjà à l’époque, j’avais trouvé que l’association féministe pouvait avoir un léger problème avec le second degré. On ne voit pas en quoi un homme pourrait être incité par cette publicité à frapper sa compagne. Cette violence conjugale semble davantage provoquée par l’alcoolisme ou les gros connards, et assez souvent les deux à la fois. On m’objectera que les mots « battre » et « fouetter » peuvent tout de même prêter à confusion. Admettons.
Mais pour les spots du Comité interprofessionnel du Cantal, rien ne prête à confusion. Les situations – abandonner Chantal au bord de la route, lui dire non devant monsieur le maire, ou se désolidariser d’elle dans une escalade, parce qu’elle a, à chaque fois, oublié le Cantal – sont volontairement irréalistes. Le second degré, l’humour, c’est marqué dessus, comme pour un autre fromage. Je me souviens d’avoir été agoni d’injures lorsque j’avais commis au mois de janvier dernier un texte, très second degré aussi, sur la fille de Rachida Dati. Et je m’étais aperçu alors combien certaines féministes pouvaient manquer d’humour en certaines occasions. Avec cette histoire de fromage du Cantal, qu’elles appellent d’ailleurs à boycotter, on atteint des sommets assurément plus hauts que ceux du Massif Central.
À quand l’interdiction totale, sous peine de tribunal correctionnel, des blagues sur les blondes[2. Ces histoires, qui viennent du Québec, concernent toutes les femmes. Au pays de Gilles Vigneault, une “blonde”, c’est une femme, quelle que soit sa couleur de cheveux.] ? Peut-on continuer à tolérer des titres de journaux ainsi écrits les lendemains d’élections : « 3e circonscription du Loir-et-Cher : Gisèle Dugenou battue » ? Les publicités pour les sites sado-masochistes ont-elles encore leur place dans les journaux de petites annonces ? Si on n’a plus le droit de plaisanter sur tel ou tel sujet à partir du moment où existent des victimes, si on ne peut plus citer certains mots quel que soit le contexte, on n’a pas fini. J’ai revu récemment Le dîner de cons[3. Au passage, ce film ne respecte guère la parité puisque tous les cons sont des hommes. Très sexiste, ce film.] et je connais des amateurs de boomerangs et de maquettes qui auraient pu, à bon droit, faire interdire le film ou demander des dommages et intérêts pour être ainsi honteusement stigmatisés.
En mesure de rétorsion contre les chiennes de garde qui, je le sais, ne représentent qu’une minorité de femmes non dotées d’humour et de recul, j’incite tous mes lectrices et lecteurs à consommer sans modération ce produit du terroir fort excellent que constitue le fromage du Cantal.
Castration : on n’y coupera pas

Triste suite française que celle que nous venons de vivre avec son lot d’intensités et ressacs, qui, de Polanski à Frédéric Mitterrand en passant par Jean Sarkozy, égrène ses séquences sulfureuses pour s’achever – juste avant l’hymne à la castration physique de Mme Alliot-Marie par la béatification de Dame Royal, sacre télévisuel de la vacuité.
Le lien entre ces deux séquences mettant en jeu deux femmes politiques d’envergure, a été peu perçu par les commentateurs.
Il est vrai qu’il est difficile, a priori, d’associer ces deux estimables figures de la vie politique française tant leurs styles divergent.
L’une confesse un féminisme provincial relooké en un singulier composé de mère courage et de grande prêtresse glamour. L’autre qui se fait appeler Madame le Ministre et arbore de sages tailleurs s’est imposée comme un pur chef d’œuvre de rectitude dépouillée et de sens du labeur et semble peu encline aux illuminations ou aux débordements extatiques, contrairement à sa consœur poitevine qui allie à une sophistication chichiteuse un talent de prédicatrice ambulante assez proche de celui des télévangélistes étatsuniens.
Et pourtant, l’une et l’autre ont en commun, quoique de manière fort différente de raviver en nous l’angoisse de la castration, l’une de manière métaphorique, l’autre-fidèle à son style de façon beaucoup plus cash, voire dans le cas qui nous (pré)-occupe nettement trash.
Revêtue de sa tenue de lin d’une blancheur immaculée, la reine thaumaturge du Poitou semble en, effet toujours prompte à en découdre avec la rouerie et la perversité – attributs d’une vile masculinité assujettie aux caprices de la pulsion et de la cupidité et à porter ainsi l’ultime estocade au politique au nom de la supériorité d’une morale résolument sexuée.
Ségolène surgit tel un agent purificateur très concentré qui nous lave des péchés d’une masculinité cynique et dominatrice.
Armée d’un sourire immuable, nous l’avons vu se faire l’exégète de ses propres gloires et de ses déconvenues avec cette pudeur de femme blessée dans sa vie de couple, bafouée dans sa vie publique par des hiérarques socialistes ventripotents et infidèles, mauvais pères et mauvais maris.
Bravoure d’une féminitude mère de toutes les rébellions.
Cette fièvre éradicatrice doit être rapprochée des propos ébouriffants récemment tenus par Mme le Garde des Sceaux, considérant dans un entretien au Figaro Magazine, que la castration physique, « ablation des testicules par chirurgie » courtoisement réclamée en ces termes cliniques au président de la République pour lui-même par le pédophile Francis Evrard, « peut se poser et être débattue, y compris au Parlement ».
N’est-ce pas là le point d’orgue de la séquence ? Si le pervers ou cliniquement supposé tel – qui, dans le cas présent, serait atteint de troubles de l’érection, le conduisant à violer ses victimes à l’aide d’objets de substitution – fait la demande d’une castration réelle, il conviendrait que le souverain songe à lui donner satisfaction. Si la loi de la castration n’a pas été symbolisée, si s’est opéré ce que Freud appelait la Verleugnung, le démenti ou désaveu de la castration, qu’Octave Mannoni a explicité sous la formule « je sais bien, mais quand même », Michèle Alliot-Marie nous invite sans délai à convoquer ladite castration dans le réel. Le garde des Sceaux prend ainsi la demande de castration physique, adressée par le titulaire de la supposée perversion à une version du Père – pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du présidentiel destinataire de la missive – au pied de la lettre.
Or, ce que nous savons du pervers, outre que le mécanisme fondateur de l’inconscient est pour lui la dénégation qui commande et maintient le refoulement, c’est qu’à la différence du psychotique, il reconnaît parfaitement le Père en tant qu’instance symbolique, dépositaire en titre de la loi.
C’est dans l’ordre du réel que le pervers destitue le père. Exilé par le discours maternel, celui-ci est un monarque tenu en échec dans son propre palais, d’où une destitution de l’interdit ramené à une convention de façade. Ce qu’entend démontrer le pervers, ce n’est pas seulement l’existence der la jouissance, c’est sa prédominance sur le désir.
Si le pervers met la loi des hommes au défi, c’est au nom d’une autre loi bien plus tyrannique que celle de la société, une loi par essence non-humaine puisqu’elle prescrit l’obligation de jouir.
Nul doute qu’un passage à l’acte aussi tranchant en réponse à la demande complexe énoncée par M. Francis Evrard consacrerait la défaite du symbolique en rase campagne. Si l’auteur de la requête n’est pas psychotique, cette sorte d’acquiescement du Garde des Sceaux à l’idée d’une possible castration physique ne peut qu’avoir pour lui un effet de jouissance non négligeable.
Lacan nous a posé la loi comme ce qui barre la jouissance incestueuse et permet l’instauration du désir.
Il a défini le phallus comme signifiant d’une jouissance mythique impossible et d’une loi qui en interdit l’accès y inscrivant une perte.
Même si le complexe de castration évoque l’idée d’une mutilation ou d’une menace liée à la découverte de la différence anatomique des sexes, il doit d’abord être entendu comme une limite imposée par la société à la jouissance de l’individu. Et c’est parce que la jouissance absolue est impossible, que toute satisfaction laisse un manque-à-jouir, qu’il y aura là un espace possible pour le désir.
Digression lacanienne ? Ca vous paraît jargonnant, daté, ésotérique. Peut-être, mais faites un effort.
Je résume. La castration correspond au renoncement du sujet à s’assurer en l’Autre la garantie d’une jouissance, car celle-ci est réservée au père, en raison de sa préséance symbolique auprès de la mère. C’est pourquoi le père symbolique est réputé être l’agent de la castration dont l’objet serait le phallus imaginaire. En clair, la castration, c’est du symbolique, et ça doit le rester. Si elle fait irruption dans le réel, sachez qu’on entre dans la psychose. Et c’est grave, surtout quand celle qui sonne le clairon délirant en proposant d’inscrire à l’agenda de la nation la pulpectomie testiculaire est supposée soutenir la fonction symbolique, en sa qualité de Garde des Sceaux – gardienne des symboles vous entendez !
En France, donc, on ne couperait plus les têtes, mais on pourrait délester le pervers, à sa « demande », de ses attributs, – ce qui dénote convenons-en un louable sens du service public – tout en continuant à condamner pénalement l’excision. À ce point d’affolement, de déraison, le retour au symbolique s’impose et d’urgence, un article 16 devrait être invoqué, afin de former sans tarder un comité de salut psychique. Car là, il y a vraiment malaise dans la civilisation, et si le Garde des Sceaux fait défaut, il convient de recruter en urgence un garde-fou.
Digression dites-vous. Oui, mille fois oui, mais reconnaissez chers causeuses et causeurs, que c’est une digression qui s’impose, après cette folle semaine qui s’achève de la pire des manières.
Peut-on critiquer la critique des médias ?
D’habitude, quand on manque à la solidarité professionnelle entre journalistes (bien connue de tous ceux qui fréquentent les rédactions concrètes), on est au mieux caricaturé, le plus souvent purement et simplement ignoré. La « critique des médias », ce truc de procureurs et de gens qui crachent dans la soupe, a mauvaise réputation dans les médias. Il est rarissime que les gens concernés y répondent et plus rare encore qu’un média fasse état de celles qui lui sont adressées. J’avoue donc avoir été déçue en bien comme on dit en Suisse par Jean-Michel Aphatie[1. Un commentateur me dit que c’est raciste de l’appeler éditorialiste-cassoulet. Franchement, c’était plutôt affectueux et j’espère qu’il ne l’a pas pris autrement. J’adore son accent…et le cassoulet !] qui m’a répondu (pas mal d’ailleurs) en direct sur RTL avant de le faire sur son blog, puis par Bruno Duvic qui a cité jeudi dans sa revue de presse sur France Inter mon article sur « l’affaire Lefebvre ». Que l’un et l’autre en soient remerciés – rien n’est plus agréable que le désaccord intelligent. Duvic, cependant, remarque que France Inter « en prend plein la figure ». C’est un peu exagéré, cher confrère. Il est vrai que je cite très souvent France Inter et qu’elle m’énerve souvent, mais c’est pas de ma faute : le matin, je n’écoute que ça. C’est ma dose d’adrénaline.
Le coup de vice électoral de Sarkozy

À première vue, la réforme des collectivités territoriales présentée en cette fin octobre par Nicolas Sarkozy semble frappée au coin du bon sens : pour la première fois depuis la création de la Ve République, on essaie de mettre un peu d’ordre et de rationalité dans l’empilement séculaire des structures de la démocratie locale. Communes, intercommunalités, cantons, communautés urbaines, départements, régions, tout cela avait un urgent besoin d’être simplifié et adapté à l’évolution démographique et sociologique de notre beau pays.
La méthode pour faire avancer le schmilblick était aussi respectable qu’habile : on envoie tout d’abord un chevau-léger, en l’occurrence Jacques Attali, à l’assaut des conservatismes provinciaux. L’ancien conseiller de François Mitterrand, missionné par l’Elysée pour imaginer des réformes permettant de relancer la croissance économique, propose, entre autres, la suppression des départements.
Tollé dans les campagnes, car ce rejeton administratif de la Révolution française est plutôt aimé par le peuple, surtout celui qui vit hors des grandes villes, comme on a pu le constater lors de la modification des immatriculations des automobiles. Le conseiller général est un élu de proximité, qui cajole les petits maires et pratique la bobologie sociale avec les électeurs de son canton.
Pour calmer le jeu, on réunit une commission de « sages », présidée par Edouard Balladur, à laquelle participent d’éminents membres de l’opposition socialiste, Pierre Mauroy et André Vallini. Ses travaux aboutissent à la formulation de vingt propositions dont les plus importantes – suppression de la taxe professionnelle et création de « conseillers territoriaux » remplaçant les actuels conseillers régionaux et généraux pour siéger tout à la fois à l’assemblée départementale et régionale – sont reprises par Nicolas Sarkozy. C’est la « fusion douce » des départements et des régions.
Présentée ainsi, et moyennant quelques ajustements pour amadouer les sénateurs et les notables locaux, cette réforme aurait pu faire l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques, car elle répond aux préoccupations des élus locaux de toutes tendances. Elle pourrait mettre fin à l’enchevêtrement des structures, aux conflits de compétences et aux coûts inutiles engendrés par la multiplication des syndicats intercommunaux et de leurs exécutifs pléthoriques.
Mais on l’aura peut-être déjà remarqué, Nicolas Sarkozy n’est pas un homme qui recherche systématiquement l’harmonie générale, dans une République apaisée où les décisions importantes pour l’avenir de la nation sont élaborées dans un esprit de coopération avec ceux qui pensent autrement.
Il a donc fallu qu’il introduise dans la belle construction signée Balladur et Mauroy un élément qui déclenche une castagne de grande ampleur avec les socialistes : l’élection au scrutin uninominal à un tour, en 2014, de 80 % des conseillers territoriaux, les 20 % restants étant élus au scrutin de liste départemental.
Et alors, qu’est ce que ça change ? Eh bien, beaucoup de choses, car ce mode de scrutin, qui est celui des élections législatives au Royaume Uni, assure l’élection dès le premier tour du candidat ayant obtenu le plus de voix dans sa circonscription, même s’il n’a pas atteint la majorité absolue. Il favorise donc la famille politique qui est parvenue à rassembler au sein d’un même parti le plus large éventail des sensibilités existant en son sein. Le système « au premier tour on se compte, au second on se rassemble », alpha et oméga de la stratégie politique hexagonale, est balayé. C’est avant les élections qu’il faut se rassembler et non pas dans de chaleureuses retrouvailles d’entre deux tours. Dans la conjoncture politique actuelle, ce mode de scrutin favorise indubitablement la droite de gouvernement. Nicolas Sarkozy a rassemblé presque toute la droite au sein de l’UMP ou dans son orbite, alors que la gauche a beaucoup plus de mal à réunir toutes ses composantes dans un cartel électoral, surtout depuis la montée en puissance des Verts. De plus, la réduction de moitié des élus locaux provoque un assèchement notable du vivier où le PS recrute une bonne partie de ses militants…
Le coup tactique est habile, mais est-il pour autant de nature à purifier les mœurs politiques de notre pays, où le fair-play est encore insuffisamment pratiqué, comme on a pu le constater à l’occasion du procès Clearstream ? Ce mode de scrutin fonctionne à la satisfaction des Britanniques, car le bipartisme est profondément ancré dans le pays depuis très longtemps : conservateurs et travaillistes rassemblent au sein de leurs formations respectives toutes les nuances de la droite et de la gauche.
Il suppose aussi que le combat électoral se fasse à la loyale, sans manœuvres ni coup tordus : ce n’est pas en Angleterre que l’on verrait, par exemple, les conservateurs susciter en sous-main un candidat prétendument de gauche pour piquer des voix aux travaillistes, ou vice-versa. En revanche, pour qui connait un peu les pratiques politiques de notre belle démocratie, il n’est pas exclu que de subtils marchandages, manœuvres de coulisses, passages de rhubarbe et de séné viennent donner à ces élections un délicieux fumet de magouille généralisée.
Le bipartisme n’est pas dans les gènes des Français, pas plus à droite qu’à gauche. Dans la période que nous vivons, la gauche apparaît plus fractionnée qu’une droite tenue d’une main ferme à partir de l’Elysée. Mais, comme dirait Claude François, « ça s’en va et ça revient… », et il n’est pas sûr que le coup de vice électoral de Nicolas Sarkozy ne lui revienne pas, un jour, dans les gencives.
Somalie : des militaires pas très civils
Au moins 17 civils ont été tués hier matin à Mogadiscio dans des combats à distance entre insurgés islamistes et soldats de la force de paix de l’Union africaine (l’Amisom, African Union Mission to Somalia). Selon les agences de presse, des tirs d’artillerie lourde ont visé des quartiers populaires, notamment le marché de Baraka. Les insurgés ont d’abord tiré au mortier sur l’aéroport alors que le président cheikh Sharif Ahmed prenait l’avion pour se rendre en Ouganda , et les troupes de l’Amisom ont riposté par d’intenses tirs d’artillerie lourde. S’agit-il d’un massacre d’intimidation délibérément perpétré par les militaires de la « force de paix » de l’Union africaine ? On ne saura probablement jamais la réponse pour une raison simple: l’Amisom est composée de soldats ougandais, burundais, nigérians et malawites et tout le monde s’en contrefout. Je vous laisse imaginer les commentaires de la presse occidentale avec un scénario similaire, mais, avec dans le rôle des méchants, des casques bleus Européens ou des troupes de l’OTAN…
Educ’nat point com

« L’éducation nationale doit basculer totalement dans l’ère du numérique », a déclaré récemment le tout nouveau tout beau ministre de l’Education nationale, qui voit enfin les choses en grand. Il était temps. Depuis trop longtemps les profs, ces archaïques, tournent autour du pot numérique sans oser s’y plonger tout à fait. Le journal Les Echos s’en lamentait encore cet été, Mamy éducation nationale fait de la résistance. Serait-ce une conséquence regrettable de son grand âge, elle se fait désirer avant de s’abandonner à la totale bascule que son ardent ministre lui promet. « La France ne dispose que d’un ordinateur pour 12,5 écoliers, se plaçant ainsi au 12e rang européen. » À peine passable. Et même très médiocre. D’autant plus que pour ce qui concerne l’usage des high tech (ordinateur, vidéoprojecteur, connexion Internet) la France fait carrément figure de cancre du fond de laclasse.com, puisqu’elle pointe à une piteuse 21e place européenne, selon une « enquête » de la Commission de Bruxelles, toujours d’attaque quant à elle lorsqu’il s’agit de dénoncer les obsolescences françaises. C’est la honte. Vite, vite, connectons nos têtes blondes, avant qu’elles ne se voient contraintes de redoubler en compagnie des jeunes Bulgares pour obtenir enfin leur B2i.
Comment, vous ne connaissez pas le B2i ?
Le B2i, pour Brevet Informatique et Internet, « valide les compétences informatiques acquises dans toutes les disciplines [même le sport ? Oui, même le sport] et diverses circonstances ». Bon, personnellement, j’ai deux collégiens à la maison, et je peux vous dire que ce B2i, ça les fait bien rigoler. Sans même interrompre leur session msn, les voilà qui « valident les items constitutifs des compétences attendues » sur l’ordinateur de papa-maman ! C’est ainsi qu’on prétend réduire la fracture numérique au ministère : l’ordinateur partout, tout le temps, et pour faire n’importe quoi ! Ne dites surtout pas à nos néo-pédagogues qui pensent enfin avoir trouvé l’arme fatale contre les inégalités sociales, que dans les milieux les plus culturellement favorisés on limite, ou même interdit, l’usage de l’ordinateur aux enfants ! Comment ? Certains mauvais esprits osent suggérer que les facilités de l’informatique pourraient entraver le développement des facultés de concentration et, in fine, l’accès intelligent à la culture des enfants et des adolescents? Laissons ces rabat-joies à leur obsolète « support papier » que plus personne ne lit, et hâtons tous ensemble l’avènement du grand basculement vers la « société numérique ».
Mais peut-être après tout est-ce moi le naïf, et nos néo-pédagogues sont-ils parfaitement conscients des dégâts opérés sur la culture des collégiens par le culte du tout numérique. Peut-être visent-ils, en rendant obligatoire et permanent l’usage de l’ordinateur non seulement à l’école mais aussi à la maison, à niveler par le bas. Ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire en interdisant les devoirs à la maison, peut-être y parviendront-ils enfin en faisant basculer totalement l’éducation dans le dépotoir numérique. Tous ensembles et qu’aucune tête ne dépasse ! Au nom, bien sûr, de l’égalité des chances.
Ne cédons pas trop vite aux douces sirènes de la théorie du complot : les intentions de nos néo-pédagogues sont certainement pures. Je suis prêt à parier mon Apple 2 contre votre iPhone qu’ils croient malheureusement dur comme fer aux vertus pédagogiques du basculement numérique total. D’ailleurs, le mouvement s’est engagé de longues années avant que le ministre ne le décrète total et obligatoire. Avec un enthousiasme terrifiant, sous la pression inquiète des parents et sur les fonds des collectivités territoriales, les collèges et lycées, et même parfois les écoles, tous soucieux d’apparaître plus modernes et performants les uns que les autres, se sont dotés à la vitesse de la lumière de multiples ordinateurs plus ou moins à la page sur lesquels élèves et professeurs de conserve passent dorénavant des cours entiers de mathématiques et de français à se « loguer sur leur compte utilisateur », afin de tracer des cercles au compas virtuel sur le site mathenpoche, ou analyser un conte africain à l’aide d’indispensables outils informatiques dispensés par un « espace numérique de travail ». C’est une merveille de constater à quel point, dans ce domaine, la contrainte budgétaire disparaît comme par magie. S’il s’agit de réduire la fracture numérique, la facture, même astronomique, sera toujours acquittée. Un prof sans « support numérique » sera bientôt le dernier des ringards, et la « pensée PowerPoint« , qui se contente de « lister des items », c’est-à-dire d’empiler des phrases ou même seulement des « mots-clés », aura bientôt raison partout de la vieille pensée analytique et discursive.
Ce n’est pas seulement pour être moderne et performant qu’il faut se hâter de basculer. C’est aussi une question urgente de santé publique. Ainsi, les cartables, qui ont depuis des lustres transformés de façon humiliante notre précieuse progéniture en portefaix, ont heureusement fait leur temps. Numérisés eux-aussi ! Transformés d’un coup de baguette numérique en clés USB de quelques grammes. Bien fait pour eux ! Et que redressent le dos, et que relèvent la tête nos marmots affranchis du poids exténuant du vieux savoir !
Il faut, dit-on encore au ministère, « inventer une nouvelle pratique numérique ». Plus interactive, plus proche de l’élève qui conquerra ainsi la terre promise de son « autonomie ». Une nouvelle pratique qui permettra à nos chers bambins de s’épanouir enfin « au centre ». Cliquant en classe comme à la maison sur son ordinateur, l’apprenant pourra royalement ignorer l’enseignant, comme le rejeton ignore déjà royalement ses géniteurs qui osent l’interrompre pour lui demander brutalement de venir mettre la table alors qu’il se livre à un paisible massacre simultané de l’orthographe, de la syntaxe, et d’autres monstrueux ennemis sur son écran. C’est que, voyez-vous, l’ordinateur c’est beaucoup moins fasciste que les gens. Moins perturbant pour les enfants. Comme le souligne un de nos néo-pédagogues parmi les plus autorisés, « l’ordinateur n’est pas perçu comme celui qui juge et qui sanctionne ». Grâce à l’ordinateur, poursuit notre technopédagogue, l’erreur disparaît « comme par enchantement », et « les contraintes « bassement matérielles » d’opérations intellectuelles essentielles » sont supprimées. Plus de vilaines ratures, plus d’écriture imparfaite. D’un doigt léger sur mon clavier je m’affranchis de mon surmoi traumatisant. Paradisiaque, vraiment ! La bascule numérique est notre chemin d’accès vers le rose paradis virtuel des lendemains qui chantent ! Exit l’autorité ! Out les corrections au stylo rouge!
Vite ! Que tout ça bascule, et qu’on n’en parle plus !


