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Touche pas à mon Chirac !

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Jacques Chirac, trésor national vivant.
Jacques Chirac, trésor national vivant.

Si on m’avait dit un jour que je regretterais Chirac, j’aurais bien ri. Tout de même, Chirac… Le parangon du politique ambitieux, du technocrate à sang froid avec suffisamment d’instinct populiste pour donner l’illusion de l’amour du peuple. La France des DS et du SAC, des films d’Yves Boisset ou de L’Horloger de Saint-Paul de Tavernier, une France dans notre naïveté que l’on croyait vraiment de droite, alors qu’on le sait, maintenant que on est devenu de grands garçons, il s’agissait de conservateurs sociaux bon teint avec, chez la plupart d’entre eux, des anticorps venus de la Résistance ou de la lutte à mort contre l’OAS. Certes, on peut penser que Michelle Alliot-Marie ou Brice Hortefeux sont des Raymond Marcellin assistés par ordinateurs, mais, malgré tout, il y avait tout de même quelque chose de moins glaçant, de moins posthumain dans cette droite-là.

Et pourtant, qu’est-ce qu’il nous faisait peur, Chirac… C’était le serial killer sans pitié, l’homme des basses œuvres qui préféra le gaullisme immobilier de Pompidou au gaullisme gaulliste de De Gaulle, et le libéralisme avancé de Giscard à la nouvelle société de Chaban. Puis à partir de 1976, la volte-face et le travail à son compte : la guerre d’usure contre Giscard jusqu’à jouer en sous-main Mitterrand au second tour de 1981, le mitraillage continu de Raymond Barre en 1988, l’exécution en masse des quadra rénovateurs l’année suivante (Ô, combien de Michèle Barzach, de Michel Noir…) et enfin l’admirable redressement contre Balladur en 1995 et la vengeance sans pitié dans les années qui suivirent, genre massacre des conjurés de Catilina dans une grotte et au lacet. En plus, le seul que l’on aurait aimé que Chirac réussisse à faire exploser en plein vol, c’était Sarkozy mais hélas, comme Henry Fonda dans Mon nom est personne, il commençait à voir de plus en plus trouble et mettre un temps fou à recharger sa winchester.

Et puis les choses ont changé en 2003. Nous n’osions pas forcément nous l’avouer mais on se disait déjà plus ou moins consciemment que des choses ne nous déplaisaient pas au fond, chez Chirac. L’appel de Cochin, tiens, depuis un hôpital, contre le Parti de l’étranger. Ce côté « la république est en danger mais je suis là », comité de salut public, Robespierre en béquilles.

Alors là, pour éviter la séduction, on se rappelle décembre 1986, la nuit où les pelotons de motards voltigeurs tuèrent Malik Oussekine et où les CRS nous chargeaient sur le pont Alexandre III. Et pourtant : près d’un quart de siècle après, si on se souvient encore de la trouille et de la colère éprouvées à ce moment-là, on ne peut s’empêcher de penser en frissonnant ce qu’aurait donné un Sarkozy aux commandes à l’époque… Si un mort et plusieurs blessés graves lui auraient suffi à lui faire retirer le projet dès le lendemain, au louable prétexte qu’aucune réforme ne justifie la mort d’un jeune homme.

Oui, décidément, Chirac, ça devenait plus compliqué que ça n’en avait l’air. Sa campagne de 1995, par exemple, sur la fracture sociale, il a vraiment fallu que l’on se force, au second tour pour aller voter pour le très social-libéral candidat à tête de prof de maths contre celui qui disait que l’emploi n’était pas l’ennemi de la fiche de paie. Et puis, on ne s’en est pas vanté, sur le moment, mais la reprise des essais nucléaires dans la foulée, histoire de montrer qu’il n’y avait pas que les Amerloques, les Australiens et les Japonais pour faire la loi dans le Pacifique sud, on avait plutôt aimé la beauté du geste. Ce n’était pas une décision franchement pacifiste ni écologiste, mais malgré tout presque poétique dans ce désir de montrer que l’on était toujours une grande puissance, avec nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

En 2002, évidemment, nous n’avons pas voté pour lui. Il était tout de même largement responsable de ce qui lui arrivait. Notre idée, c’était plutôt de le laisser en tête à tête avec Le Pen, gagner par 65 % contre 35 % avec un taux de vote blancs bien significatif. Les arguments de mes camarades antifascistes qui me parlaient  de l’ »image de la France à l’étranger » me semblaient un peu étonnants tout de même : d’abord, c’était bien la première fois qu’ils s’occupaient de l’image de la France à l’étranger et, ensuite, de toute manière, avec Le Pen au second tour le mal était déjà fait.

Et puis après, bien sûr, la guerre en Irak. Alors là, il faut bien reconnaître que ça a été la très grande classe. Villepin à l’ONU retournant les éructations de Rumsfeld sur la « vielle Europe », l’impression d’être les seuls au monde à ne pas perdre nos nerfs dans cette affaire, on ne s’est jamais senti aussi proche de lui.

Alors, maintenant que l’on vient le chercher pour le traduire en correctionnelle, on trouve ça franchement inélégant. Il fallait soutenir Montebourg à la fin des années 1990 quand il cherchait à réunir suffisamment de députés pour amener le Président devant la Haute cour. Là, on était dans un duel à la loyale, puissance contre puissance.

Mais aujourd’hui, sérieusement… Quand c’est plus l’heure, c’est plus l’heure. À part vouloir rabaisser le dernier président qui donna quelques orgasmes à l’histoire de France alors que l’actuel locataire de l’Elysée la confond avec une société anonyme ou une maison de disques, je ne vois pas le but de la manœuvre.

Jacques Chirac, pour qui je n’ai jamais voté, c’est aussi, à sa manière, une partie de mon identité nationale. Alors, on n’y touche pas, s’il vous plait.

Les loups sont entrés dans la Poste

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L’ineffable Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, dont le monde entier nous envie les aptitudes motocyclistes, néologise à tout va pour rassurer ma mémé de Lozère inquiète pour ses cartes de vœux de 2010 en déclarant : « Il faut rendre la Poste imprivatisable. Dans le même temps, on apprend que la société Alternative Post pénètre déjà le marché, sans attendre la date officielle de la libéralisation en 2011 et, depuis deux ans déjà, s’occupe de la distribution du courrier de moins de 50 grammes. L’Arcep, théoriquement chargée de surveiller la concurrence, semble frappée d’une étrange langueur. Il ne reste donc plus à Christian Estrosi qu’à chevaucher sa Kawa et à aller porter lui-même le courrier à ma mémé. Merci pour elle, Christian.

Ma France à moi

diams

En ce moment, vous le savez chers compatriotes, c’est le grand débat sur l’identité nationale, organisé pour nous par le ministre. M. Besson avait sans doute peur qu’on s’ennuie en attendant de pouvoir siffler l’équipe de France au cours du match retour de barrage contre l’Eire, il nous a trouvé pour patienter une activité d’éveil : débat collectif sur l’identité nationale. « C’est quoi, pour vous, concrètement, au jour d’aujourd’hui, être français ? » Ainsi interpellé, nous voici bientôt, dociles administrés, qui nous penchons sur nos copies pour répondre comme il se doit un truc à la fois cool et original au ministre. « Ma France à moi, c koi ? »
 
C’est sympatoche comme débat, il y en aura à coup sûr pour tous et pour tous les goûts, la France n’est pas le pays des mille fromages pour rien. Dans le lot, il y en a quelques uns qui sont battus, débattus et rebattus. Il faut que chacun parle, et soit bien consulté jusqu’au bout pour que ça fermente. Après, un bureaucrate fera une synthèse, je lui souhaite bon courage. Espérons que le produit fini ne sera pas trop fade. Mais vu la quantité de harissa, de piment antillais, et pourquoi pas d’épices du Sichuan que d’aucuns veulent y introduire, j’en doute.

Est-ce qu’on nous dira après dans le poste ce que devra être notre identité toute  neuve et métissée, fruit de milliers de débats citoyens, et approuvée par le ministre? La France, cette ex-grande nation industrielle qui ne produit plus rien, peut-être pourra-t-elle au moins produire ex nihilo sa propre identité. Comme c’est hype et moderne, très américain au fond, s’inventer soi-même, à coup de débat citoyen, sa propre identité. L’identité reçue du fond des âges, c’était bon pour nos vieux pères, ces aliénés. L’identité nationale, y’a pas de raison, c’est comme l’orientation ou même l’identité sexuelles, choisi, pas imposé. Je fais ce que je veux avec ma France. Peut-être, in fine, pour rendre tout cela plus proche des gens, un projet de loi sera-t-il adopté pour nous expliquer à tous « c’est quoi, concrètement, être Français aujourd’hui ». Et on devra se le tenir pour dit, puisque c’est nous qu’on l’aura choisie notre France à nous…
 
À ce propos, chacun se souvient certainement de la contribution prophétique de l’immense artiste française qu’est Diam’s à ce débat sur l’identité nationale, contribution qui a provoqué il y a quelques années un vif enthousiasme et des cris d’admiration jusque dans les plus hautes sphères de notre vieille nation. Ainsi Ségolène Royal, après avoir affirmé qu’elle n’aimait rien tant que la musique, déclarait, au cours du journal de la France profonde présenté par Jean-Pierre Pernaud sur TF1 à la mi-journée, préférer Diam’s à Piaf parce que la première « dit beaucoup de choses sur ma France à moi », et aussi parce qu’elle « s’est engagée pour la citoyenneté », et qu’elle « transmet des valeurs », alors que la seconde, cette distraite, se contentait de chanter divinement.
 
Rappelons pour le plaisir des sens et pour celui de notre intelligence, et aussi pour féconder notre déjà riche débat identitaire, une petite partie seulement de ce que ce sont ce « beaucoup de choses » sur « ma France à moi » que nous apprenait alors Diam’s, et ce que sont aussi ces chouettes valeurs qu’elle nous transmettait alors:
 
« Ma France à moi, c’est pas la leur, celle qui vote extrême,
Celle qui bannit les jeunes, anti-rap sur la FM,
Celle qui s’croit au Texas, celle qui a peur de nos bandes,
Celle qui vénère Sarko, intolérante et gênante.
Celle qui regarde Julie Lescaut et regrette le temps des Choristes,
Qui laisse crever les pauvres, et met ses propres parents à l’hospice,
Non, ma France à moi c’est pas la leur qui fête le Beaujolais,
Et qui prétend s’être fait baiser par l’arrivée des immigrés,
Celle qui pue le racisme mais qui fait semblant d’être ouverte,
Cette France hypocrite qui est peut être sous ma fenêtre,
Celle qui pense que la police a toujours bien fait son travail,
Celle qui se gratte les couilles à table en regardant Laurent Gerra,
Non, c’est pas ma France à moi, cette France profonde…
Alors peut être qu’on dérange mais nos valeurs vaincront…
Et si on est des citoyens, alors aux armes la jeunesse,
Ma France à moi leur tiendra tête, jusqu’à ce qu’ils nous respectent. »

 
Depuis 2007 Diam’s a fait des émules. Car voilà qu’un ami me fait parvenir une contribution anonyme à la manière de Diam’s, et adressée à la grande prophétesse elle-même, à notre beau débat sur l’identité nationale.
 
« C’est vrai, Diam’s, t’as raison, moi le vieux beauf,
Qui regarde Julie Lescaut, et l’été fait du pédalof,

Je te l’écris

Ma France à moi, c’est pas la tienne, celle des jeunes qui s’aiment,
Celle qui bannit les vieux, anticlassique sur la FM,
Celle qui s’croit à Vegas, celle qui jamais ne débande,
Celle qui vénère Dieudo et fait de la France sa prébende,
Celle qui s’gave d’Virgin 17 et de coca-cola,
Qui chante le bled et crèverait pour rester là.
Non, ma France à moi c’est pas la tienne qui fête l’Aïd,
Et qui ne cesse de gémir malgré ses airs de caïd,
Celle qui dénonce le racisme mais qui toujours sort couverte,
Cette France qui joue la proscrite et parade sous ma fenêtre,
Celle qui pense que les keufs c’est tous des enculés,
Celle qui se gratte les couilles à table en regardant ses couilles,
Non, c’est pas ma France à moi, cette France du cybermonde,
Alors peut-être qu’on te dérange, excuse-moi d’être là
Depuis quelques siècles parfois…
Et si on est des souchiens, alors à la niche la vieillesse,
Ma France à moi baissera la tête, jusqu’à ce… »

 
La contribution au débat s’arrête là, brutalement, sans un mot d’explication, je sais, c’est pas très citoyen comme façon de procéder.
 
Mais au fait, Ségolène Royal pense-t-elle que cet anonyme contributeur « transmet des valeurs » aussi bien que Diam’s en transmettait elle-même en 2007 ? Et ces éventuelles valeurs doivent-elles être constitutives de notre nouvelle identité en gestation ? Personnellement, mon attachement à la République m’amène à penser que non. Cet affreux anonyme ne devrait pas avoir voix au chapitre. Qu’il se taise à jamais. Son laïus est infâme, et parfaitement antifrançais.
 
Mais si l’on en juge par l’accueil triomphal réservé naguère à Diam’s par Ségolène Royal, et par le public aussi d’ailleurs, je dirais qu’il ne faut préjuger de rien.
 
D’ailleurs, les préjugés, c’est mal, c’est pas national.

McDo, c’est fini

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Il y avait la queue, ce 31 octobre, en Islande, devant tous les McDo de l’ile. Sortie d’un nouveau bigmac à la sauce Björk ? Concert gratuit de Sigur Rós entre les milkshakes et les frites ? Que nenni ! Ronald Mc Donald n’est pas si clown qu’il n’y paraît : ayant eu vent de la crise économique qui sévissait en Islande, il a décidé d’y fermer le jour-même tous ses établissements. Mais la raison invoquée vaut son pesant de cacahuètes, pardon de harðfiskur : si McDo plie boutique en Islande c’est qu’il importait toutes ses matières premières de la zone euro. Non seulement les Islandais n’ont jamais rien vendu à McDo, mais en plus, dès la première avanie venue, McDo se casse et ne veut plus d’eux. Ça valait bien de faire la queue tout le 31 octobre, non ?

Le niveau baisse

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C’est Alain Finkielkraut qui va être content : l’actualité nous apporte une nouvelle preuve, s’il en était besoin, que le niveau d’instruction des Français n’est vraiment plus ce qu’il était. Le Figaro rapporte, en effet, que le corps sans vie d’un alpiniste français a été retrouvé aujourd’hui sous le pic d’Esparrets, à 2200 mètres d’altitude. Il faut vraiment être nul en géographie pour être alpiniste et mourir dans les Pyrénées espagnoles !

France-Allemagne, pour mémoire

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François Mitterrand et Helmut Kohl, le 11 novembre 1984, à Verdun.
François Mitterrand et Helmut Kohl, le 11 novembre 1984, à Verdun.

J’ai fait Verdun, la Voie sacrée, le Chemin des Dames. D’accord, ce n’était pas en 1916, et cela même eût-il été, je serais dans l’incapacité de dire sous quel uniforme j’aurais figuré dans la boue des tranchées et dans les assauts furieux sous la mitraille. Ceux qui ont engendré mes géniteurs se partagent équitablement en porteurs de bleu horizon et de feldgrau.

J’étais donc le 11 novembre 1984, devant l’ossuaire de Douaumont. J’avais été dépêché par mon employeur de l’époque, Serge July, pour rendre compte dans Libération de la première célébration franco-allemande du 70e anniversaire de l’armistice mettant fin à la première guerre mondiale. Il faisait un temps de chien. La petite troupe des journalistes couvrant l’événement devait être acheminée par hélicoptère de la base aérienne de Toul jusqu’à Douaumont. Peu avant le départ, une certaine agitation était perceptible au sein des équipages et des propos, sans doutes vifs, s’échangeaient entre la tour de contrôle et les pilotes, dont les passagers ne pouvaient percevoir la teneur en raison du bruit assourdissant des rotors. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’évaluer le danger de ce vol dans une météo déchaînée : les rafales de vent avoisinaient les 100 km heure.

L’ordre tomba d’en haut, de très haut : on décolle ! Mieux valait risquer la vie de quelques plumitifs que de voir un moment historique soigneusement mis au point à Paris et à Bonn se dérouler en catimini. La canaille étant l’enfant chéri de la chance, nous arrivâmes sans pertes devant l’imposant monument funéraire.

Plus prévoyant que moi, mon confrère Jean-Yves Lhomeau, du Monde, s’était muni d’un parapluie format escouade, dont il fit profiter quelques amis et concurrents. C’est donc ainsi, sous les rafales de vent mêlées de pluie, que nous assistâmes au geste à vocation historique : François Mitterrand et Helmut Kohl, pendant la traditionnelle minute de silence en mémoire des soldats tombés au champ d’honneur, se prirent mutuellement la main.

Par-delà deux guerres mondiales, deux peuples, par l’intermédiaire de leurs plus hauts dirigeants scellaient leur réconciliation devant un monument érigé en mémoire des victimes de la déraison de leurs prédécesseurs.

Personne n’était d’humeur à ironiser sur ce geste mis au point par des « communicants » – à l’époque Colé et Pilhan – qui visait à faire remonter dans l’opinion une cote présidentielle mise à mal par les errances économiques du début du septennat. Nous étions émus malgré notre cuir de journaleux réputé épais et rugueux.

Pour le retour, on jugea qu’il était préférable de transporter ces messieurs-dames de la presse et les invités officiels en autobus jusqu’à l’aéroport où les attendait l’avion présidentiel pour le retour à Paris.
Je me retrouvais donc assis dans un bus à côté de Pierre Bertaux, grand germaniste et non moins grand résistant, qui fut commissaire de la République à Toulouse en 1944. Quelques rangs plus loin était assis le presque centenaire Ernst Jünger, invité personnel de François Mitterrand à la cérémonie (jamais Helmut Kohl n’eût oser emmener dans sa suite cet écrivain sulfureux, dont les écrits magnifiques sur la
guerre de 14-18 ne peuvent totalement faire oublier son adhésion esthétique au nationalisme extrême entre les deux guerres et sa présence dans l’état major des forces d’occupation à Paris entre 1940 et 1944). 

« Je ne lui serrerai pas la main, ah ça non ! » A mi-voix, mais sincèrement offusqué, Pierre Bertaux me prenait à témoin de son courroux de se voir embarqué dans le même carrosse que l’auteur d’Orages d’acier. Il n’avait pas le jugement plus nuancé sur Jünger des actuels historiens de la littérature, qui le créditent d’un mépris aristocratique vis-à-vis d’Hitler et du nazisme. Son activité à l’Hôtel Majestic, siège de l’occupant nazi à Paris, suffisait à le disqualifier au yeux du résistant Bertaux. Deux mains s’étaient donc amicalement serrées alors que deux autres s’étaient soigneusement évitées.

Naturellement, l’Histoire ne retint que les première, les secondes relevant de l’anecdote. Sur le moment, on ne vit dans le geste symbolique que le parachèvement de cette réconciliation franco-allemande construite pierre par pierre depuis la signature en 1962, du traité de l’Elysée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. L’alliance franco-allemande fondée sur l’acceptation, par l’Allemagne d’un statut de géant économique doublé d’un nain politique semblait être coulée dans le bronze, vu de Paris, bien sûr. Quelque mois plus tôt, dans un discours devant le Bundestag, François Mitterrand avait soutenu l’installation, en Allemagne, des missiles de croisières américains, réponse aux SS20 soviétiques positionnés en RDA. Cela avait mis en fureur les « camarades » du SPD allemand, fer de lance de la contestation pacifiste.

Qui aurait pu penser que cinq ans plus tard, la donne aurait totalement changée et que cette poignée de main clôturait une époque plutôt qu’elle ne marquait l’avènement d’une autre ?

La relation franco-allemande n’est plus le socle incontournable de la construction européenne. Elle ne s’active que lorsque les intérêts des deux pays convergent, ce qui est de plus en plus rarement le cas. Les dernières péripéties de la coopération industrielle (turbulences chez EADS, divorce Siemens-Areva), le tropisme russe qui se manifeste aussi bien chez un social-démocrate comme Gerhrard Schröder que chez la chrétienne-démocrate Angela Merkel, les réponses pour le moins divergentes au défi posé par la crise économique par Berlin et Paris ne sont pas compensées par des convergences politiques et stratégiques aussi fortes que jadis…

En Allemagne, au moins dans les contrées catholiques, le 11 novembre est la date traditionnelle de la première réunion des sociétés de carnaval pour préparer la mi-carême. On ne commémore pas plus cette journée qu’ils ne célèbrent la capitulation française de Sedan…

Angela Merkel, protestante austère, ne sera pas privée d’une participation à une quelconque assemblée de bouffons en venant à Paris ranimer la flamme de la tombe du soldat inconnu aux côtés de Nicolas Sarkozy. Mais quel sens aura ce geste ? Si l’on s’en réfère à Verdun 84, il est peut-être prématuré d’en donner une interprétation trop hâtive. Si c’est pour faire savoir au peuple qu’il n’est pas question de recommencer les folies du siècle dernier, pourquoi pas ? Les piqures de rappel ont leur utilité. Pour le reste, rendez vous, mettons, dans vingt-cinq ans…

Orages d'acier

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Le sourire à visage posthumain

Réalité virtuelle ?
Réalité virtuelle ?

Kikou31, tel fut le pseudonyme anodin que j’improvisai lorsque, à 11 ans, en cachette de mes parents comme il se doit, mes parents qui dormaient, fébrilement j’ouvris une nuit leur minitel, et tout aussi fébrilement composai le numéro rose dérobé au dos d’un des magazines gratuits que nous recevions déjà dans notre boite à lettres. Ca n’est pas d’aujourd’hui, comme on voit, que le journalisme nous veut du bien. Kikou31 je devenais, Kikou31 j’étais, naïf, au milieu de plus entreprenants et suggestifs Poufiasse75, Tbm22, Orgasmik ou encore, Soumisôtalons, parmi bien d’autres.

J’ai beaucoup ri, cette nuit-là, index gauche index droit, entrant à deux doigts dans l’âge des adultes et leur bonheur de conversation. J‘ai ri beaucoup moins, je l’avoue, lorsque, à un mois de cette première communion, mes parents me convoquèrent un jour, m’accueillant avec les lampions de leur joviale humeur – nous approchions de la saint Nicolas, mais c’est à moi qu’on voulut faire la fête : Kikou, me dit papa, Kikou et ça commençait mal, mon surnom enfantin, dans la bouche du père, signant, je le savais, les prémices faussement tranquilles d’une imminente engueulade.

2217 francs. Le chiffre ne tournait pas rond et je m’en souviens encore. 2217 francs, annonça papa, le fruit de vingt longues connexions nocturnes, à répondre d’abord maladroitement, puis de plus en plus tranquille, doué que j’étais pour la parodie du langage, à Poufiasse75, Tbm22 et dix autres satires turgescents. France Telecom, qui veut la paix des familles, avait justifié le chiffre astronomique en entrant dans les détails.

Il fallut faire un mea culpa.

Mon père ne m’en voulut pas, enfin pas longtemps. Seulement, il joua comme il se doit le père la morale, m’expliquant que ces nocturnes conversations, si elles avaient débouché sur des rencontres, auraient peu me coûter bien plus qu’un mois de ses émoluments.

Il va sans dire que je ne recommençai pas.

Enfin, c’est à voir : Kikou31, c’est le surnom toujours anodin que je n’eus pas de mal à trouver lorsque, à 18 ans, l’empire du Bien ayant rangé le minitel au placard et m’assurant désormais de la grâce internet immédiate, j’entrai le pseudonyme qu’on me demandait, tandis que je me connectai à mon premier site de jeu en ligne, et me voilà parti pour de virtuels combats.

J’ai beaucoup ri, cette nuit-là, index gauche index droit, bombardant à deux doigts, caché sous mon pseudonyme létal. Un Russe et un Autrichien furent mes adversaires d’un soir. J‘ai ri beaucoup moins, je l’avoue, lorsque, à un mois de ce premier Austerlitz, mon père m’a convoqué – je vivais encore sous son toit. Je n’avais pas dormi de la nuit et de son prêche matinal je retins que le bac, à ce jeu-là, serait pour moi un Trafalgar.

Il va sans dire que je promis de ne recommencer pas. Et que ma promesse, je ne la tins pas. J’étais en âge adulte, papa, ton autorité peu à peu remisée au placard. Je me mettais sous la protection de l’empire du Bien, qui ne pouvait pas me vouloir du mal. La preuve, chaque jour davantage, il encourageait mon pseudonymat . À 20 ans, bac en poche, depuis un an parti pour la fac, je quittai la cellule familiale. Je m’approchais d’une vie de travail : la journée, les bancs de la fac, le soir, mes premiers jobs d’étudiant et la nuit, la nuit… Kikou31 en ligne, pour de nouvelles batailles ; Kikou31 en ligne, pour consulter mon premier compte en banque, Kikou31 encore, pour m’inscrire sur un, deux, dix forums, où je pouvais désormais laisser les commentaires que je voulais, en réponse à un article de journal.

Cela me faisait beaucoup rire, je l’avoue, de me moquer en quelques clics d’un internaute qui ouvrait son article aux commentaires. Bien à l’abri sous mon pseudonyme, je pouvais faire le malin, pavoiser, l’insulter, c’était selon. L’empire du Bien me le permettait, n’est-ce pas, il m’admonestait de loin, souriant paternellement.

Aujourd’hui, j’ai 43 ans et l’empire du Bien veille toujours mieux sur moi. Chaque nuit, lorsque j’ai couché les enfants, lorsque ma femme elle aussi dort, main gauche main droite, avec mes dix doigts je frappe frénétiquement sur les touches du clavier de mon ordinateur portable. Avec ce sourire du Bien au dessus de moi, qui veille comme un ange, je commence mon rituel nocturne, invariable : Kikou31 je suis et j’ouvre une première fenêtre, rejoins la communauté en ligne qui se livre d’amicaux combats ; Kikou31 je suis et j’ouvre une seconde fenêtre, consulte mon quotidien favori : tiens, un article sur l’islam, un autre sur l’affaire Polanski, ce soir, c’est fête sur la Toile, Kikou va pouvoir se lâcher, laisser un premier commentaire, attendre une réponse, et puis voilà la chaîne démocratique partie ! Cela fait tellement de bien, cette communauté virtuelle, la nuit, après une dure journée de labeur ; quel plaisir de lyncher tous ensemble, de compagnie ! Mais Kikou n’en a pas fini : une autre fenêtre, et mon compte bancaire apparaît, en ligne, histoire de savoir quelle somme, sur un site de poker, je pourrai me permettre de parier.

Hier, j’ai perdu 300 euros, en ligne. Cela m’a énervé, on comprend. Du coup, pour me calmer, j’ai entré à nouveau mon pseudo, et me suis défoulé, je l’avoue, sur un site pornographique. L’œil du Bien, au dessus de moi, s’est plissé d’un sourire coquin. On est des hommes, semblait-il me dire, ou on ne l’est pas.

Papa, lui, est malade. J’ai appris sa maladie le jour même où mon quotidien favori m’annonçait que la Française des jeux ouvrait ses paris en ligne. Ca m’a fait drôle, on comprend. Il va falloir quand même faire attention. J’ai eu une admonestation de ma banque. J’ai 43 ans, et mon père ne pense même plus à me faire la morale. Mon pseudo, pour ces futurs paris, je le connais d’avance. Je suis libre, libre ! La liberté est en ligne ! L’empire du Bien est toujours là, je le sais. Cela me rassure cet œil, ce sourire, vigilants et tranquilles.

Papa est triste, de plus en plus triste. C’est un vieil homme. Un homme obsolète, voilà ce qu’il disait de lui-même, lorsque je suis allé le voir, à l’hôpital. L’empire du Bien, lui, garde son sourire, invariable.

Vive la French pride !

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Eugène Delacroix, <em>La liberté guidant le peuple</em>.
Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple.

C’est parti. Depuis que Nicolas Sarkozy et Eric Besson se sont mis en mouvement pour lancer le « grand débat » sur l’identité nationale et l’immigration, les commentateurs habituels se sont mis en ordre de bataille. Les premières salves on été tirées depuis les tranchées idéologiques d’où les soldats de la pensée politique de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs s’observaient en attendant le meilleur moment pour en découdre.

Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que ce début d’affrontement sur le thème du « qui sommes-nous ? » ait apporté de nouvelles lumières permettant de faire de chacun d’entre nous un Français à l’aise dans ses baskets.

Passons rapidement sur la réaction des antisarkozystes systématiques qui ne voient dans ce surgissement du thème de la Nation dans le débat public qu’une manœuvre politique destinée à faire oublier les dernières polémiques publiques autour des affaires Clearstream, Polanski-Mitterrand et Jean Sarkozy. L’affaire était planifiée par les stratèges élyséens bien avant que n’éclatent les affaires susnommées. Avec la complicité active d’un think tank proche du Medef, l’institut Montaigne[1. L’Institut Montaigne est à l’origine de la publication, le 17 novembre prochain, d’un ouvrage collectif Qu’est-ce qu’être français ? où interviennent, au côté d’universitaires de renom, des personnalités françaises d’origine étrangère.], le parti présidentiel avait décidé de lancer le premier étage de la fusée destinée à propulser Nicolas Sarkozy vers un second quinquennat. S’inspirant de la méthode Mitterrand (François, pas Fred), le président de la République fait l’analyse qu’un premier mandat s’obtient en réussissant à incarner la rupture, alors que pour être réélu, il est nécessaire de se présenter comme un rassembleur. Pour Mitterrand c’était « la force tranquille » en 1981 et « la France unie » en 1988.

La méthode Sarkozy exige que l’on soit constamment à l’offensive dans la bataille des idées, sans laisser à l’adversaire le loisir de proposer son ordre du jour au peuple considéré comme l’arbitre de ces joutes intellectuelles.

Cette question de l’identité nationale ne surgit pas du néant : ceux qui sont chargés d’ausculter le cœur, les reins et l’âme de la nation pour le compte du pouvoir ont perçu comme un flottement dans l’image d’eux-mêmes des Français.

Ces derniers ont fini par se rendre compte que notre pays n’était plus la « Grande nation » qu’elle prétendait encore être au milieu du siècle dernier. Ils ont fait savoir, par divers canaux, dont le suffrage universel, qu’ils n’étaient pas disposés à substituer une conscience européenne à une identité nationale, même en crise.

Le repli sur la sphère individuelle, familiale, locale, régionale ou communautaire n’a pas aboli ce « besoin de France », dont chacun sent plus ou moins confusément qu’il est nécessaire à la survie matérielle et morale des citoyens de ce pays dans ce monde de brutes mondialisées.

Ce n’est donc pas une mauvaise idée que de lancer nos meilleurs esprits dans une stimulante compétition visant à refonder théoriquement la Nation, pour que le pouvoir puisse mettre en œuvre les moyens de la consolider dans le cœur et l’esprit de ses citoyens.

C’est ainsi que l’on a procédé à l’époque des Lumières : les académies, nationales ou provinciales, lançaient des concours pour que les philosophes proposent leurs solutions aux problèmes du moment.

C’est ainsi, peut-être, que l’on parviendra à sortir des oppositions stériles entre eux qui veulent à tout prix maintenir en l’état le vieux paradigme (France-république-une et indivisible-laïque-assimilationniste) en dépit des changement démographiques et sociologiques intervenus dans le pays, et ceux qui se font les chantres du métissage généralisé des individus et des cultures.

Mais il n’appartient pas au pouvoir, où à ceux qui l’incarnent, de définir l’identité nationale par décret. Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy ne s’y étaient pas risqués. Cette « certaine idée de la France », dont Charles de Gaulle s’honorait d’être habité n’a jamais été exposée dans les détails pour que le peuple l’adopte telle quelle. Elle se lisait dans l’action du général, qui se contentait de l’évoquer dans ses discours par des tautologies ronflantes. La France de Mitterrand n’était pas moins ambiguë, mêlant celle de Jacques Chardonne à celle de Jean Jaurès.
Ce qui revient, en revanche, au pouvoir, c’est de créer les conditions pour qu’une expression collective de cette identité nationale soit possible, ouverte et accueillante à ceux qui veulent en faire partie.

On pourrait, par exemple, organiser chaque année une French pride ou chacun, comme lors de la fête de la musique, viendrait manifester publiquement de cette « certaine idée de la France » qu’il porte en lui. L’identité nationale ne doit pas être une prise de tête, mais un jour de fête. Par exemple le 14 juillet.

Chacun son tour

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election

La réforme territoriale, présentée la semaine dernière par le président Sarkozy, s’accompagne d’une révolution. Celle-ci ne porte ni sur les structures, ni sur les enchevêtrements de compétences, ni même sur le nombre réduit des élus. Tous ces problèmes constituent d’aimables broutilles par rapport au changement de mode de scrutin.

Qu’il me soit permis de battre ma coulpe : comme la plupart des médias, j’ai tu ce sujet. Alors que la presse commentait encore les déclarations de Jean Sarkozy, mon attention se portait sur un communiqué des Chiennes de garde, la lettre de Guy Môquet et l’annulation d’OM-PSG. Pourtant, dès le début, j’aurais dû ici évoquer le scandale que constitue l’établissement d’un scrutin uninominal à un seul tour pour l’élection de nos élus territoriaux à compter de 2014.

Un scandale, parce qu’il raye, d’un trait de plume, cent cinquante ans de démocratie à deux tours pour les scrutins uninominaux. La France, pays aux plus de trois cents façons de faire du fromage, est aussi une nation qui génère de nombreux partis politiques. Le scrutin à deux tours, qui tend non au bipartisme mais à la bipolarisation, a permis, tout au long de notre histoire démocratique, de combiner richesse et diversité des courants politiques avec efficacité de gouvernement.

Promouvoir un scrutin à un seul tour, c’est prendre le risque de voir la très grande majorité d’élus minoritaires. Cela constitue également un pari ignoble : celui d’accoucher aux forceps – le fameux « vote utile » – du bipartisme. On m’objectera que les Etats-Unis et le Royaume-Uni constituent des démocraties en fonctionnant avec deux grands partis[2. Encore que la lecture des taux de participation aux élections américaines ne m’ont pas fait m’esbaudir lors des trente dernières années.]. Certes. Mais ce bipartisme avait été constitué avec leur démocratie, à leurs débuts, et se trouve donc consubstantiel de leur culture politique. Telle n’a jamais été la nôtre, profondément attachée au multipartisme. Ce dernier doit d’ailleurs être rationnalisé, en évitant la proportionnelle intégrale, laquelle peut aboutir à la paralysie. L’équilibre a finalement toujours pu être trouvé avec ce scrutin à deux tours, uninominal ou de liste. Au premier tour, on choisit ; au second, on élimine. Avec le futur scrutin territorial, il nous sera demandé d’éliminer tout de suite.

Evidemment, on ne peut s’empêcher de penser que la situation de l’UMP d’aujourd’hui, souvent en tête au premier tour mais avec peu de réserves pour le second, motive quelque peu l’opération. On aurait sans doute tort puisque la première expérience aura lieu dans cinq ans, c’est-à-dire à une date à laquelle bien malin peut aujourd’hui prévoir l’état des forces politiques. A part la maigre concession d’un cinquième des sièges accordés à la proportionnelle, il faut davantage y voir la volonté présidentielle de nier, une fois de plus, la culture politique du pays qu’il a pourtant en charge de perpétrer, en copiant, toujours aussi connement que d’habitude, le modèle chéri anglo-saxon. D’autant que, ne nous y trompons pas, les élections locales de 2014 constitueront un galop d’essai pour les futures législatives de 2017. Les promoteurs du nouveau scrutin ne le cachent même pas. Quant à la présidentielle de la même année, pourquoi ne pas non plus faire confiance aux primaires organisées par les grands partis pour suppléer l’habituel premier tour, comme je l’avais déjà expliqué il y a quelques semaines ?

Que Benoît Hamon me pardonne, mais on l’a entendu ces derniers temps sur des sujets beaucoup moins décisifs. Le parti socialiste, en demeurant extrêmement discret sur le futur mode de scrutin à tour unique, croit servir ses intérêts. Il pense que ses positions actuelles lui permettront d’être le gagnant, avec l’UMP, de l’opération. Tout cela rappelle étrangement les lois sur le financement public de la vie politique, « loterie pour les organisateurs de la loterie[3. Droits réservés Chez Alfred. Comprenne qui pourra.] », où les principaux partis s’étaient entendus comme de vulgaires opérateurs de téléphonie, afin qu’aucun nouveau venu ne vienne bouleverser la donne et leur abus de position. Le PS est, à cet égard, aussi coupable que le président de la République. Qu’il se méfie par ailleurs que les Verts ne viennent pas, entretemps, lui souffler la première place de l’opposition.

Car les changements de scrutin n’ont pas toujours profité à ceux qui les initiaient ou les soutenaient, ainsi que le faisait justement remarquer Luc Rosenzweig. Souvenons nous que le PS était en meilleure forme que l’UMP d’aujourd’hui en 2000 soit deux ans avant qu’il ne se fasse chasser du second tour par le Front National. Si un candidat, voire deux, venaient troubler les plans de l’UMPS en 2012, Sarkozy et les socialistes pourraient bien se mordre les doigts d’avoir initié un tel scrutin pour 2014. Il me prend à espérer que les vainqueurs reviendraient, contre leurs intérêts électoraux immédiats, sur cette réforme en rétablissant le scrutin à deux tours. Je rêve ?

Fils à baba

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Au bord du Nil tout comme sur les rives de Seine, les mêmes questions se posent. Au même moment où feue la candidature de Jean Sarkozy à la présidence de l’EPAD faisait débat ici, la presse égyptienne était fort préoccupée par l’avenir professionnel du « fils de » national, Gamal Moubarak. Ce dernier est lui aussi candidat à une présidence, mais, dans son cas, il s’agit de celle de la République arabe d’Egypte. Sinon, les deux débats se ressemblent à s’y méprendre. Ainsi Mohamed Heikal, ancien rédac’ chef de Al Ahram et proche de Nasser, a jugé la candidature de Moubarak Jr inadmissible. Grâce à Zvi Barel de Haaretz nous pouvons vous citer cet extrait aux airs de déjà vu d’un entretien donné par Heikal au quotidien Al-Masri al-Youm : « Même s’il est l’homme le plus qualifié en Egypte pour ce poste [..] être candidat n’est pas son droit parce que précisément il n’est pas un citoyen comme les autres, parce qu’ils lui donnent ce qui n’est pas donné aux autres. » Malgré toutes les médisances, force est de reconnaitre que, dans certains domaines, l’Union pour la Méditerranée avance à grands pas.

Touche pas à mon Chirac !

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Jacques Chirac, trésor national vivant.
Jacques Chirac, trésor national vivant.
Jacques Chirac, trésor national vivant.

Si on m’avait dit un jour que je regretterais Chirac, j’aurais bien ri. Tout de même, Chirac… Le parangon du politique ambitieux, du technocrate à sang froid avec suffisamment d’instinct populiste pour donner l’illusion de l’amour du peuple. La France des DS et du SAC, des films d’Yves Boisset ou de L’Horloger de Saint-Paul de Tavernier, une France dans notre naïveté que l’on croyait vraiment de droite, alors qu’on le sait, maintenant que on est devenu de grands garçons, il s’agissait de conservateurs sociaux bon teint avec, chez la plupart d’entre eux, des anticorps venus de la Résistance ou de la lutte à mort contre l’OAS. Certes, on peut penser que Michelle Alliot-Marie ou Brice Hortefeux sont des Raymond Marcellin assistés par ordinateurs, mais, malgré tout, il y avait tout de même quelque chose de moins glaçant, de moins posthumain dans cette droite-là.

Et pourtant, qu’est-ce qu’il nous faisait peur, Chirac… C’était le serial killer sans pitié, l’homme des basses œuvres qui préféra le gaullisme immobilier de Pompidou au gaullisme gaulliste de De Gaulle, et le libéralisme avancé de Giscard à la nouvelle société de Chaban. Puis à partir de 1976, la volte-face et le travail à son compte : la guerre d’usure contre Giscard jusqu’à jouer en sous-main Mitterrand au second tour de 1981, le mitraillage continu de Raymond Barre en 1988, l’exécution en masse des quadra rénovateurs l’année suivante (Ô, combien de Michèle Barzach, de Michel Noir…) et enfin l’admirable redressement contre Balladur en 1995 et la vengeance sans pitié dans les années qui suivirent, genre massacre des conjurés de Catilina dans une grotte et au lacet. En plus, le seul que l’on aurait aimé que Chirac réussisse à faire exploser en plein vol, c’était Sarkozy mais hélas, comme Henry Fonda dans Mon nom est personne, il commençait à voir de plus en plus trouble et mettre un temps fou à recharger sa winchester.

Et puis les choses ont changé en 2003. Nous n’osions pas forcément nous l’avouer mais on se disait déjà plus ou moins consciemment que des choses ne nous déplaisaient pas au fond, chez Chirac. L’appel de Cochin, tiens, depuis un hôpital, contre le Parti de l’étranger. Ce côté « la république est en danger mais je suis là », comité de salut public, Robespierre en béquilles.

Alors là, pour éviter la séduction, on se rappelle décembre 1986, la nuit où les pelotons de motards voltigeurs tuèrent Malik Oussekine et où les CRS nous chargeaient sur le pont Alexandre III. Et pourtant : près d’un quart de siècle après, si on se souvient encore de la trouille et de la colère éprouvées à ce moment-là, on ne peut s’empêcher de penser en frissonnant ce qu’aurait donné un Sarkozy aux commandes à l’époque… Si un mort et plusieurs blessés graves lui auraient suffi à lui faire retirer le projet dès le lendemain, au louable prétexte qu’aucune réforme ne justifie la mort d’un jeune homme.

Oui, décidément, Chirac, ça devenait plus compliqué que ça n’en avait l’air. Sa campagne de 1995, par exemple, sur la fracture sociale, il a vraiment fallu que l’on se force, au second tour pour aller voter pour le très social-libéral candidat à tête de prof de maths contre celui qui disait que l’emploi n’était pas l’ennemi de la fiche de paie. Et puis, on ne s’en est pas vanté, sur le moment, mais la reprise des essais nucléaires dans la foulée, histoire de montrer qu’il n’y avait pas que les Amerloques, les Australiens et les Japonais pour faire la loi dans le Pacifique sud, on avait plutôt aimé la beauté du geste. Ce n’était pas une décision franchement pacifiste ni écologiste, mais malgré tout presque poétique dans ce désir de montrer que l’on était toujours une grande puissance, avec nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

En 2002, évidemment, nous n’avons pas voté pour lui. Il était tout de même largement responsable de ce qui lui arrivait. Notre idée, c’était plutôt de le laisser en tête à tête avec Le Pen, gagner par 65 % contre 35 % avec un taux de vote blancs bien significatif. Les arguments de mes camarades antifascistes qui me parlaient  de l’ »image de la France à l’étranger » me semblaient un peu étonnants tout de même : d’abord, c’était bien la première fois qu’ils s’occupaient de l’image de la France à l’étranger et, ensuite, de toute manière, avec Le Pen au second tour le mal était déjà fait.

Et puis après, bien sûr, la guerre en Irak. Alors là, il faut bien reconnaître que ça a été la très grande classe. Villepin à l’ONU retournant les éructations de Rumsfeld sur la « vielle Europe », l’impression d’être les seuls au monde à ne pas perdre nos nerfs dans cette affaire, on ne s’est jamais senti aussi proche de lui.

Alors, maintenant que l’on vient le chercher pour le traduire en correctionnelle, on trouve ça franchement inélégant. Il fallait soutenir Montebourg à la fin des années 1990 quand il cherchait à réunir suffisamment de députés pour amener le Président devant la Haute cour. Là, on était dans un duel à la loyale, puissance contre puissance.

Mais aujourd’hui, sérieusement… Quand c’est plus l’heure, c’est plus l’heure. À part vouloir rabaisser le dernier président qui donna quelques orgasmes à l’histoire de France alors que l’actuel locataire de l’Elysée la confond avec une société anonyme ou une maison de disques, je ne vois pas le but de la manœuvre.

Jacques Chirac, pour qui je n’ai jamais voté, c’est aussi, à sa manière, une partie de mon identité nationale. Alors, on n’y touche pas, s’il vous plait.

Les loups sont entrés dans la Poste

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L’ineffable Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, dont le monde entier nous envie les aptitudes motocyclistes, néologise à tout va pour rassurer ma mémé de Lozère inquiète pour ses cartes de vœux de 2010 en déclarant : « Il faut rendre la Poste imprivatisable. Dans le même temps, on apprend que la société Alternative Post pénètre déjà le marché, sans attendre la date officielle de la libéralisation en 2011 et, depuis deux ans déjà, s’occupe de la distribution du courrier de moins de 50 grammes. L’Arcep, théoriquement chargée de surveiller la concurrence, semble frappée d’une étrange langueur. Il ne reste donc plus à Christian Estrosi qu’à chevaucher sa Kawa et à aller porter lui-même le courrier à ma mémé. Merci pour elle, Christian.

Ma France à moi

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diams

En ce moment, vous le savez chers compatriotes, c’est le grand débat sur l’identité nationale, organisé pour nous par le ministre. M. Besson avait sans doute peur qu’on s’ennuie en attendant de pouvoir siffler l’équipe de France au cours du match retour de barrage contre l’Eire, il nous a trouvé pour patienter une activité d’éveil : débat collectif sur l’identité nationale. « C’est quoi, pour vous, concrètement, au jour d’aujourd’hui, être français ? » Ainsi interpellé, nous voici bientôt, dociles administrés, qui nous penchons sur nos copies pour répondre comme il se doit un truc à la fois cool et original au ministre. « Ma France à moi, c koi ? »
 
C’est sympatoche comme débat, il y en aura à coup sûr pour tous et pour tous les goûts, la France n’est pas le pays des mille fromages pour rien. Dans le lot, il y en a quelques uns qui sont battus, débattus et rebattus. Il faut que chacun parle, et soit bien consulté jusqu’au bout pour que ça fermente. Après, un bureaucrate fera une synthèse, je lui souhaite bon courage. Espérons que le produit fini ne sera pas trop fade. Mais vu la quantité de harissa, de piment antillais, et pourquoi pas d’épices du Sichuan que d’aucuns veulent y introduire, j’en doute.

Est-ce qu’on nous dira après dans le poste ce que devra être notre identité toute  neuve et métissée, fruit de milliers de débats citoyens, et approuvée par le ministre? La France, cette ex-grande nation industrielle qui ne produit plus rien, peut-être pourra-t-elle au moins produire ex nihilo sa propre identité. Comme c’est hype et moderne, très américain au fond, s’inventer soi-même, à coup de débat citoyen, sa propre identité. L’identité reçue du fond des âges, c’était bon pour nos vieux pères, ces aliénés. L’identité nationale, y’a pas de raison, c’est comme l’orientation ou même l’identité sexuelles, choisi, pas imposé. Je fais ce que je veux avec ma France. Peut-être, in fine, pour rendre tout cela plus proche des gens, un projet de loi sera-t-il adopté pour nous expliquer à tous « c’est quoi, concrètement, être Français aujourd’hui ». Et on devra se le tenir pour dit, puisque c’est nous qu’on l’aura choisie notre France à nous…
 
À ce propos, chacun se souvient certainement de la contribution prophétique de l’immense artiste française qu’est Diam’s à ce débat sur l’identité nationale, contribution qui a provoqué il y a quelques années un vif enthousiasme et des cris d’admiration jusque dans les plus hautes sphères de notre vieille nation. Ainsi Ségolène Royal, après avoir affirmé qu’elle n’aimait rien tant que la musique, déclarait, au cours du journal de la France profonde présenté par Jean-Pierre Pernaud sur TF1 à la mi-journée, préférer Diam’s à Piaf parce que la première « dit beaucoup de choses sur ma France à moi », et aussi parce qu’elle « s’est engagée pour la citoyenneté », et qu’elle « transmet des valeurs », alors que la seconde, cette distraite, se contentait de chanter divinement.
 
Rappelons pour le plaisir des sens et pour celui de notre intelligence, et aussi pour féconder notre déjà riche débat identitaire, une petite partie seulement de ce que ce sont ce « beaucoup de choses » sur « ma France à moi » que nous apprenait alors Diam’s, et ce que sont aussi ces chouettes valeurs qu’elle nous transmettait alors:
 
« Ma France à moi, c’est pas la leur, celle qui vote extrême,
Celle qui bannit les jeunes, anti-rap sur la FM,
Celle qui s’croit au Texas, celle qui a peur de nos bandes,
Celle qui vénère Sarko, intolérante et gênante.
Celle qui regarde Julie Lescaut et regrette le temps des Choristes,
Qui laisse crever les pauvres, et met ses propres parents à l’hospice,
Non, ma France à moi c’est pas la leur qui fête le Beaujolais,
Et qui prétend s’être fait baiser par l’arrivée des immigrés,
Celle qui pue le racisme mais qui fait semblant d’être ouverte,
Cette France hypocrite qui est peut être sous ma fenêtre,
Celle qui pense que la police a toujours bien fait son travail,
Celle qui se gratte les couilles à table en regardant Laurent Gerra,
Non, c’est pas ma France à moi, cette France profonde…
Alors peut être qu’on dérange mais nos valeurs vaincront…
Et si on est des citoyens, alors aux armes la jeunesse,
Ma France à moi leur tiendra tête, jusqu’à ce qu’ils nous respectent. »

 
Depuis 2007 Diam’s a fait des émules. Car voilà qu’un ami me fait parvenir une contribution anonyme à la manière de Diam’s, et adressée à la grande prophétesse elle-même, à notre beau débat sur l’identité nationale.
 
« C’est vrai, Diam’s, t’as raison, moi le vieux beauf,
Qui regarde Julie Lescaut, et l’été fait du pédalof,

Je te l’écris

Ma France à moi, c’est pas la tienne, celle des jeunes qui s’aiment,
Celle qui bannit les vieux, anticlassique sur la FM,
Celle qui s’croit à Vegas, celle qui jamais ne débande,
Celle qui vénère Dieudo et fait de la France sa prébende,
Celle qui s’gave d’Virgin 17 et de coca-cola,
Qui chante le bled et crèverait pour rester là.
Non, ma France à moi c’est pas la tienne qui fête l’Aïd,
Et qui ne cesse de gémir malgré ses airs de caïd,
Celle qui dénonce le racisme mais qui toujours sort couverte,
Cette France qui joue la proscrite et parade sous ma fenêtre,
Celle qui pense que les keufs c’est tous des enculés,
Celle qui se gratte les couilles à table en regardant ses couilles,
Non, c’est pas ma France à moi, cette France du cybermonde,
Alors peut-être qu’on te dérange, excuse-moi d’être là
Depuis quelques siècles parfois…
Et si on est des souchiens, alors à la niche la vieillesse,
Ma France à moi baissera la tête, jusqu’à ce… »

 
La contribution au débat s’arrête là, brutalement, sans un mot d’explication, je sais, c’est pas très citoyen comme façon de procéder.
 
Mais au fait, Ségolène Royal pense-t-elle que cet anonyme contributeur « transmet des valeurs » aussi bien que Diam’s en transmettait elle-même en 2007 ? Et ces éventuelles valeurs doivent-elles être constitutives de notre nouvelle identité en gestation ? Personnellement, mon attachement à la République m’amène à penser que non. Cet affreux anonyme ne devrait pas avoir voix au chapitre. Qu’il se taise à jamais. Son laïus est infâme, et parfaitement antifrançais.
 
Mais si l’on en juge par l’accueil triomphal réservé naguère à Diam’s par Ségolène Royal, et par le public aussi d’ailleurs, je dirais qu’il ne faut préjuger de rien.
 
D’ailleurs, les préjugés, c’est mal, c’est pas national.

McDo, c’est fini

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Il y avait la queue, ce 31 octobre, en Islande, devant tous les McDo de l’ile. Sortie d’un nouveau bigmac à la sauce Björk ? Concert gratuit de Sigur Rós entre les milkshakes et les frites ? Que nenni ! Ronald Mc Donald n’est pas si clown qu’il n’y paraît : ayant eu vent de la crise économique qui sévissait en Islande, il a décidé d’y fermer le jour-même tous ses établissements. Mais la raison invoquée vaut son pesant de cacahuètes, pardon de harðfiskur : si McDo plie boutique en Islande c’est qu’il importait toutes ses matières premières de la zone euro. Non seulement les Islandais n’ont jamais rien vendu à McDo, mais en plus, dès la première avanie venue, McDo se casse et ne veut plus d’eux. Ça valait bien de faire la queue tout le 31 octobre, non ?

Le niveau baisse

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C’est Alain Finkielkraut qui va être content : l’actualité nous apporte une nouvelle preuve, s’il en était besoin, que le niveau d’instruction des Français n’est vraiment plus ce qu’il était. Le Figaro rapporte, en effet, que le corps sans vie d’un alpiniste français a été retrouvé aujourd’hui sous le pic d’Esparrets, à 2200 mètres d’altitude. Il faut vraiment être nul en géographie pour être alpiniste et mourir dans les Pyrénées espagnoles !

France-Allemagne, pour mémoire

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François Mitterrand et Helmut Kohl, le 11 novembre 1984, à Verdun.
François Mitterrand et Helmut Kohl, le 11 novembre 1984, à Verdun.
François Mitterrand et Helmut Kohl, le 11 novembre 1984, à Verdun.

J’ai fait Verdun, la Voie sacrée, le Chemin des Dames. D’accord, ce n’était pas en 1916, et cela même eût-il été, je serais dans l’incapacité de dire sous quel uniforme j’aurais figuré dans la boue des tranchées et dans les assauts furieux sous la mitraille. Ceux qui ont engendré mes géniteurs se partagent équitablement en porteurs de bleu horizon et de feldgrau.

J’étais donc le 11 novembre 1984, devant l’ossuaire de Douaumont. J’avais été dépêché par mon employeur de l’époque, Serge July, pour rendre compte dans Libération de la première célébration franco-allemande du 70e anniversaire de l’armistice mettant fin à la première guerre mondiale. Il faisait un temps de chien. La petite troupe des journalistes couvrant l’événement devait être acheminée par hélicoptère de la base aérienne de Toul jusqu’à Douaumont. Peu avant le départ, une certaine agitation était perceptible au sein des équipages et des propos, sans doutes vifs, s’échangeaient entre la tour de contrôle et les pilotes, dont les passagers ne pouvaient percevoir la teneur en raison du bruit assourdissant des rotors. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’évaluer le danger de ce vol dans une météo déchaînée : les rafales de vent avoisinaient les 100 km heure.

L’ordre tomba d’en haut, de très haut : on décolle ! Mieux valait risquer la vie de quelques plumitifs que de voir un moment historique soigneusement mis au point à Paris et à Bonn se dérouler en catimini. La canaille étant l’enfant chéri de la chance, nous arrivâmes sans pertes devant l’imposant monument funéraire.

Plus prévoyant que moi, mon confrère Jean-Yves Lhomeau, du Monde, s’était muni d’un parapluie format escouade, dont il fit profiter quelques amis et concurrents. C’est donc ainsi, sous les rafales de vent mêlées de pluie, que nous assistâmes au geste à vocation historique : François Mitterrand et Helmut Kohl, pendant la traditionnelle minute de silence en mémoire des soldats tombés au champ d’honneur, se prirent mutuellement la main.

Par-delà deux guerres mondiales, deux peuples, par l’intermédiaire de leurs plus hauts dirigeants scellaient leur réconciliation devant un monument érigé en mémoire des victimes de la déraison de leurs prédécesseurs.

Personne n’était d’humeur à ironiser sur ce geste mis au point par des « communicants » – à l’époque Colé et Pilhan – qui visait à faire remonter dans l’opinion une cote présidentielle mise à mal par les errances économiques du début du septennat. Nous étions émus malgré notre cuir de journaleux réputé épais et rugueux.

Pour le retour, on jugea qu’il était préférable de transporter ces messieurs-dames de la presse et les invités officiels en autobus jusqu’à l’aéroport où les attendait l’avion présidentiel pour le retour à Paris.
Je me retrouvais donc assis dans un bus à côté de Pierre Bertaux, grand germaniste et non moins grand résistant, qui fut commissaire de la République à Toulouse en 1944. Quelques rangs plus loin était assis le presque centenaire Ernst Jünger, invité personnel de François Mitterrand à la cérémonie (jamais Helmut Kohl n’eût oser emmener dans sa suite cet écrivain sulfureux, dont les écrits magnifiques sur la
guerre de 14-18 ne peuvent totalement faire oublier son adhésion esthétique au nationalisme extrême entre les deux guerres et sa présence dans l’état major des forces d’occupation à Paris entre 1940 et 1944). 

« Je ne lui serrerai pas la main, ah ça non ! » A mi-voix, mais sincèrement offusqué, Pierre Bertaux me prenait à témoin de son courroux de se voir embarqué dans le même carrosse que l’auteur d’Orages d’acier. Il n’avait pas le jugement plus nuancé sur Jünger des actuels historiens de la littérature, qui le créditent d’un mépris aristocratique vis-à-vis d’Hitler et du nazisme. Son activité à l’Hôtel Majestic, siège de l’occupant nazi à Paris, suffisait à le disqualifier au yeux du résistant Bertaux. Deux mains s’étaient donc amicalement serrées alors que deux autres s’étaient soigneusement évitées.

Naturellement, l’Histoire ne retint que les première, les secondes relevant de l’anecdote. Sur le moment, on ne vit dans le geste symbolique que le parachèvement de cette réconciliation franco-allemande construite pierre par pierre depuis la signature en 1962, du traité de l’Elysée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. L’alliance franco-allemande fondée sur l’acceptation, par l’Allemagne d’un statut de géant économique doublé d’un nain politique semblait être coulée dans le bronze, vu de Paris, bien sûr. Quelque mois plus tôt, dans un discours devant le Bundestag, François Mitterrand avait soutenu l’installation, en Allemagne, des missiles de croisières américains, réponse aux SS20 soviétiques positionnés en RDA. Cela avait mis en fureur les « camarades » du SPD allemand, fer de lance de la contestation pacifiste.

Qui aurait pu penser que cinq ans plus tard, la donne aurait totalement changée et que cette poignée de main clôturait une époque plutôt qu’elle ne marquait l’avènement d’une autre ?

La relation franco-allemande n’est plus le socle incontournable de la construction européenne. Elle ne s’active que lorsque les intérêts des deux pays convergent, ce qui est de plus en plus rarement le cas. Les dernières péripéties de la coopération industrielle (turbulences chez EADS, divorce Siemens-Areva), le tropisme russe qui se manifeste aussi bien chez un social-démocrate comme Gerhrard Schröder que chez la chrétienne-démocrate Angela Merkel, les réponses pour le moins divergentes au défi posé par la crise économique par Berlin et Paris ne sont pas compensées par des convergences politiques et stratégiques aussi fortes que jadis…

En Allemagne, au moins dans les contrées catholiques, le 11 novembre est la date traditionnelle de la première réunion des sociétés de carnaval pour préparer la mi-carême. On ne commémore pas plus cette journée qu’ils ne célèbrent la capitulation française de Sedan…

Angela Merkel, protestante austère, ne sera pas privée d’une participation à une quelconque assemblée de bouffons en venant à Paris ranimer la flamme de la tombe du soldat inconnu aux côtés de Nicolas Sarkozy. Mais quel sens aura ce geste ? Si l’on s’en réfère à Verdun 84, il est peut-être prématuré d’en donner une interprétation trop hâtive. Si c’est pour faire savoir au peuple qu’il n’est pas question de recommencer les folies du siècle dernier, pourquoi pas ? Les piqures de rappel ont leur utilité. Pour le reste, rendez vous, mettons, dans vingt-cinq ans…

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Le sourire à visage posthumain

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Réalité virtuelle ?
Réalité virtuelle ?
Réalité virtuelle ?

Kikou31, tel fut le pseudonyme anodin que j’improvisai lorsque, à 11 ans, en cachette de mes parents comme il se doit, mes parents qui dormaient, fébrilement j’ouvris une nuit leur minitel, et tout aussi fébrilement composai le numéro rose dérobé au dos d’un des magazines gratuits que nous recevions déjà dans notre boite à lettres. Ca n’est pas d’aujourd’hui, comme on voit, que le journalisme nous veut du bien. Kikou31 je devenais, Kikou31 j’étais, naïf, au milieu de plus entreprenants et suggestifs Poufiasse75, Tbm22, Orgasmik ou encore, Soumisôtalons, parmi bien d’autres.

J’ai beaucoup ri, cette nuit-là, index gauche index droit, entrant à deux doigts dans l’âge des adultes et leur bonheur de conversation. J‘ai ri beaucoup moins, je l’avoue, lorsque, à un mois de cette première communion, mes parents me convoquèrent un jour, m’accueillant avec les lampions de leur joviale humeur – nous approchions de la saint Nicolas, mais c’est à moi qu’on voulut faire la fête : Kikou, me dit papa, Kikou et ça commençait mal, mon surnom enfantin, dans la bouche du père, signant, je le savais, les prémices faussement tranquilles d’une imminente engueulade.

2217 francs. Le chiffre ne tournait pas rond et je m’en souviens encore. 2217 francs, annonça papa, le fruit de vingt longues connexions nocturnes, à répondre d’abord maladroitement, puis de plus en plus tranquille, doué que j’étais pour la parodie du langage, à Poufiasse75, Tbm22 et dix autres satires turgescents. France Telecom, qui veut la paix des familles, avait justifié le chiffre astronomique en entrant dans les détails.

Il fallut faire un mea culpa.

Mon père ne m’en voulut pas, enfin pas longtemps. Seulement, il joua comme il se doit le père la morale, m’expliquant que ces nocturnes conversations, si elles avaient débouché sur des rencontres, auraient peu me coûter bien plus qu’un mois de ses émoluments.

Il va sans dire que je ne recommençai pas.

Enfin, c’est à voir : Kikou31, c’est le surnom toujours anodin que je n’eus pas de mal à trouver lorsque, à 18 ans, l’empire du Bien ayant rangé le minitel au placard et m’assurant désormais de la grâce internet immédiate, j’entrai le pseudonyme qu’on me demandait, tandis que je me connectai à mon premier site de jeu en ligne, et me voilà parti pour de virtuels combats.

J’ai beaucoup ri, cette nuit-là, index gauche index droit, bombardant à deux doigts, caché sous mon pseudonyme létal. Un Russe et un Autrichien furent mes adversaires d’un soir. J‘ai ri beaucoup moins, je l’avoue, lorsque, à un mois de ce premier Austerlitz, mon père m’a convoqué – je vivais encore sous son toit. Je n’avais pas dormi de la nuit et de son prêche matinal je retins que le bac, à ce jeu-là, serait pour moi un Trafalgar.

Il va sans dire que je promis de ne recommencer pas. Et que ma promesse, je ne la tins pas. J’étais en âge adulte, papa, ton autorité peu à peu remisée au placard. Je me mettais sous la protection de l’empire du Bien, qui ne pouvait pas me vouloir du mal. La preuve, chaque jour davantage, il encourageait mon pseudonymat . À 20 ans, bac en poche, depuis un an parti pour la fac, je quittai la cellule familiale. Je m’approchais d’une vie de travail : la journée, les bancs de la fac, le soir, mes premiers jobs d’étudiant et la nuit, la nuit… Kikou31 en ligne, pour de nouvelles batailles ; Kikou31 en ligne, pour consulter mon premier compte en banque, Kikou31 encore, pour m’inscrire sur un, deux, dix forums, où je pouvais désormais laisser les commentaires que je voulais, en réponse à un article de journal.

Cela me faisait beaucoup rire, je l’avoue, de me moquer en quelques clics d’un internaute qui ouvrait son article aux commentaires. Bien à l’abri sous mon pseudonyme, je pouvais faire le malin, pavoiser, l’insulter, c’était selon. L’empire du Bien me le permettait, n’est-ce pas, il m’admonestait de loin, souriant paternellement.

Aujourd’hui, j’ai 43 ans et l’empire du Bien veille toujours mieux sur moi. Chaque nuit, lorsque j’ai couché les enfants, lorsque ma femme elle aussi dort, main gauche main droite, avec mes dix doigts je frappe frénétiquement sur les touches du clavier de mon ordinateur portable. Avec ce sourire du Bien au dessus de moi, qui veille comme un ange, je commence mon rituel nocturne, invariable : Kikou31 je suis et j’ouvre une première fenêtre, rejoins la communauté en ligne qui se livre d’amicaux combats ; Kikou31 je suis et j’ouvre une seconde fenêtre, consulte mon quotidien favori : tiens, un article sur l’islam, un autre sur l’affaire Polanski, ce soir, c’est fête sur la Toile, Kikou va pouvoir se lâcher, laisser un premier commentaire, attendre une réponse, et puis voilà la chaîne démocratique partie ! Cela fait tellement de bien, cette communauté virtuelle, la nuit, après une dure journée de labeur ; quel plaisir de lyncher tous ensemble, de compagnie ! Mais Kikou n’en a pas fini : une autre fenêtre, et mon compte bancaire apparaît, en ligne, histoire de savoir quelle somme, sur un site de poker, je pourrai me permettre de parier.

Hier, j’ai perdu 300 euros, en ligne. Cela m’a énervé, on comprend. Du coup, pour me calmer, j’ai entré à nouveau mon pseudo, et me suis défoulé, je l’avoue, sur un site pornographique. L’œil du Bien, au dessus de moi, s’est plissé d’un sourire coquin. On est des hommes, semblait-il me dire, ou on ne l’est pas.

Papa, lui, est malade. J’ai appris sa maladie le jour même où mon quotidien favori m’annonçait que la Française des jeux ouvrait ses paris en ligne. Ca m’a fait drôle, on comprend. Il va falloir quand même faire attention. J’ai eu une admonestation de ma banque. J’ai 43 ans, et mon père ne pense même plus à me faire la morale. Mon pseudo, pour ces futurs paris, je le connais d’avance. Je suis libre, libre ! La liberté est en ligne ! L’empire du Bien est toujours là, je le sais. Cela me rassure cet œil, ce sourire, vigilants et tranquilles.

Papa est triste, de plus en plus triste. C’est un vieil homme. Un homme obsolète, voilà ce qu’il disait de lui-même, lorsque je suis allé le voir, à l’hôpital. L’empire du Bien, lui, garde son sourire, invariable.

Vive la French pride !

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Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple.
Eugène Delacroix, <em>La liberté guidant le peuple</em>.
Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple.

C’est parti. Depuis que Nicolas Sarkozy et Eric Besson se sont mis en mouvement pour lancer le « grand débat » sur l’identité nationale et l’immigration, les commentateurs habituels se sont mis en ordre de bataille. Les premières salves on été tirées depuis les tranchées idéologiques d’où les soldats de la pensée politique de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs s’observaient en attendant le meilleur moment pour en découdre.

Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que ce début d’affrontement sur le thème du « qui sommes-nous ? » ait apporté de nouvelles lumières permettant de faire de chacun d’entre nous un Français à l’aise dans ses baskets.

Passons rapidement sur la réaction des antisarkozystes systématiques qui ne voient dans ce surgissement du thème de la Nation dans le débat public qu’une manœuvre politique destinée à faire oublier les dernières polémiques publiques autour des affaires Clearstream, Polanski-Mitterrand et Jean Sarkozy. L’affaire était planifiée par les stratèges élyséens bien avant que n’éclatent les affaires susnommées. Avec la complicité active d’un think tank proche du Medef, l’institut Montaigne[1. L’Institut Montaigne est à l’origine de la publication, le 17 novembre prochain, d’un ouvrage collectif Qu’est-ce qu’être français ? où interviennent, au côté d’universitaires de renom, des personnalités françaises d’origine étrangère.], le parti présidentiel avait décidé de lancer le premier étage de la fusée destinée à propulser Nicolas Sarkozy vers un second quinquennat. S’inspirant de la méthode Mitterrand (François, pas Fred), le président de la République fait l’analyse qu’un premier mandat s’obtient en réussissant à incarner la rupture, alors que pour être réélu, il est nécessaire de se présenter comme un rassembleur. Pour Mitterrand c’était « la force tranquille » en 1981 et « la France unie » en 1988.

La méthode Sarkozy exige que l’on soit constamment à l’offensive dans la bataille des idées, sans laisser à l’adversaire le loisir de proposer son ordre du jour au peuple considéré comme l’arbitre de ces joutes intellectuelles.

Cette question de l’identité nationale ne surgit pas du néant : ceux qui sont chargés d’ausculter le cœur, les reins et l’âme de la nation pour le compte du pouvoir ont perçu comme un flottement dans l’image d’eux-mêmes des Français.

Ces derniers ont fini par se rendre compte que notre pays n’était plus la « Grande nation » qu’elle prétendait encore être au milieu du siècle dernier. Ils ont fait savoir, par divers canaux, dont le suffrage universel, qu’ils n’étaient pas disposés à substituer une conscience européenne à une identité nationale, même en crise.

Le repli sur la sphère individuelle, familiale, locale, régionale ou communautaire n’a pas aboli ce « besoin de France », dont chacun sent plus ou moins confusément qu’il est nécessaire à la survie matérielle et morale des citoyens de ce pays dans ce monde de brutes mondialisées.

Ce n’est donc pas une mauvaise idée que de lancer nos meilleurs esprits dans une stimulante compétition visant à refonder théoriquement la Nation, pour que le pouvoir puisse mettre en œuvre les moyens de la consolider dans le cœur et l’esprit de ses citoyens.

C’est ainsi que l’on a procédé à l’époque des Lumières : les académies, nationales ou provinciales, lançaient des concours pour que les philosophes proposent leurs solutions aux problèmes du moment.

C’est ainsi, peut-être, que l’on parviendra à sortir des oppositions stériles entre eux qui veulent à tout prix maintenir en l’état le vieux paradigme (France-république-une et indivisible-laïque-assimilationniste) en dépit des changement démographiques et sociologiques intervenus dans le pays, et ceux qui se font les chantres du métissage généralisé des individus et des cultures.

Mais il n’appartient pas au pouvoir, où à ceux qui l’incarnent, de définir l’identité nationale par décret. Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy ne s’y étaient pas risqués. Cette « certaine idée de la France », dont Charles de Gaulle s’honorait d’être habité n’a jamais été exposée dans les détails pour que le peuple l’adopte telle quelle. Elle se lisait dans l’action du général, qui se contentait de l’évoquer dans ses discours par des tautologies ronflantes. La France de Mitterrand n’était pas moins ambiguë, mêlant celle de Jacques Chardonne à celle de Jean Jaurès.
Ce qui revient, en revanche, au pouvoir, c’est de créer les conditions pour qu’une expression collective de cette identité nationale soit possible, ouverte et accueillante à ceux qui veulent en faire partie.

On pourrait, par exemple, organiser chaque année une French pride ou chacun, comme lors de la fête de la musique, viendrait manifester publiquement de cette « certaine idée de la France » qu’il porte en lui. L’identité nationale ne doit pas être une prise de tête, mais un jour de fête. Par exemple le 14 juillet.

Chacun son tour

25

election

La réforme territoriale, présentée la semaine dernière par le président Sarkozy, s’accompagne d’une révolution. Celle-ci ne porte ni sur les structures, ni sur les enchevêtrements de compétences, ni même sur le nombre réduit des élus. Tous ces problèmes constituent d’aimables broutilles par rapport au changement de mode de scrutin.

Qu’il me soit permis de battre ma coulpe : comme la plupart des médias, j’ai tu ce sujet. Alors que la presse commentait encore les déclarations de Jean Sarkozy, mon attention se portait sur un communiqué des Chiennes de garde, la lettre de Guy Môquet et l’annulation d’OM-PSG. Pourtant, dès le début, j’aurais dû ici évoquer le scandale que constitue l’établissement d’un scrutin uninominal à un seul tour pour l’élection de nos élus territoriaux à compter de 2014.

Un scandale, parce qu’il raye, d’un trait de plume, cent cinquante ans de démocratie à deux tours pour les scrutins uninominaux. La France, pays aux plus de trois cents façons de faire du fromage, est aussi une nation qui génère de nombreux partis politiques. Le scrutin à deux tours, qui tend non au bipartisme mais à la bipolarisation, a permis, tout au long de notre histoire démocratique, de combiner richesse et diversité des courants politiques avec efficacité de gouvernement.

Promouvoir un scrutin à un seul tour, c’est prendre le risque de voir la très grande majorité d’élus minoritaires. Cela constitue également un pari ignoble : celui d’accoucher aux forceps – le fameux « vote utile » – du bipartisme. On m’objectera que les Etats-Unis et le Royaume-Uni constituent des démocraties en fonctionnant avec deux grands partis[2. Encore que la lecture des taux de participation aux élections américaines ne m’ont pas fait m’esbaudir lors des trente dernières années.]. Certes. Mais ce bipartisme avait été constitué avec leur démocratie, à leurs débuts, et se trouve donc consubstantiel de leur culture politique. Telle n’a jamais été la nôtre, profondément attachée au multipartisme. Ce dernier doit d’ailleurs être rationnalisé, en évitant la proportionnelle intégrale, laquelle peut aboutir à la paralysie. L’équilibre a finalement toujours pu être trouvé avec ce scrutin à deux tours, uninominal ou de liste. Au premier tour, on choisit ; au second, on élimine. Avec le futur scrutin territorial, il nous sera demandé d’éliminer tout de suite.

Evidemment, on ne peut s’empêcher de penser que la situation de l’UMP d’aujourd’hui, souvent en tête au premier tour mais avec peu de réserves pour le second, motive quelque peu l’opération. On aurait sans doute tort puisque la première expérience aura lieu dans cinq ans, c’est-à-dire à une date à laquelle bien malin peut aujourd’hui prévoir l’état des forces politiques. A part la maigre concession d’un cinquième des sièges accordés à la proportionnelle, il faut davantage y voir la volonté présidentielle de nier, une fois de plus, la culture politique du pays qu’il a pourtant en charge de perpétrer, en copiant, toujours aussi connement que d’habitude, le modèle chéri anglo-saxon. D’autant que, ne nous y trompons pas, les élections locales de 2014 constitueront un galop d’essai pour les futures législatives de 2017. Les promoteurs du nouveau scrutin ne le cachent même pas. Quant à la présidentielle de la même année, pourquoi ne pas non plus faire confiance aux primaires organisées par les grands partis pour suppléer l’habituel premier tour, comme je l’avais déjà expliqué il y a quelques semaines ?

Que Benoît Hamon me pardonne, mais on l’a entendu ces derniers temps sur des sujets beaucoup moins décisifs. Le parti socialiste, en demeurant extrêmement discret sur le futur mode de scrutin à tour unique, croit servir ses intérêts. Il pense que ses positions actuelles lui permettront d’être le gagnant, avec l’UMP, de l’opération. Tout cela rappelle étrangement les lois sur le financement public de la vie politique, « loterie pour les organisateurs de la loterie[3. Droits réservés Chez Alfred. Comprenne qui pourra.] », où les principaux partis s’étaient entendus comme de vulgaires opérateurs de téléphonie, afin qu’aucun nouveau venu ne vienne bouleverser la donne et leur abus de position. Le PS est, à cet égard, aussi coupable que le président de la République. Qu’il se méfie par ailleurs que les Verts ne viennent pas, entretemps, lui souffler la première place de l’opposition.

Car les changements de scrutin n’ont pas toujours profité à ceux qui les initiaient ou les soutenaient, ainsi que le faisait justement remarquer Luc Rosenzweig. Souvenons nous que le PS était en meilleure forme que l’UMP d’aujourd’hui en 2000 soit deux ans avant qu’il ne se fasse chasser du second tour par le Front National. Si un candidat, voire deux, venaient troubler les plans de l’UMPS en 2012, Sarkozy et les socialistes pourraient bien se mordre les doigts d’avoir initié un tel scrutin pour 2014. Il me prend à espérer que les vainqueurs reviendraient, contre leurs intérêts électoraux immédiats, sur cette réforme en rétablissant le scrutin à deux tours. Je rêve ?

Fils à baba

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Au bord du Nil tout comme sur les rives de Seine, les mêmes questions se posent. Au même moment où feue la candidature de Jean Sarkozy à la présidence de l’EPAD faisait débat ici, la presse égyptienne était fort préoccupée par l’avenir professionnel du « fils de » national, Gamal Moubarak. Ce dernier est lui aussi candidat à une présidence, mais, dans son cas, il s’agit de celle de la République arabe d’Egypte. Sinon, les deux débats se ressemblent à s’y méprendre. Ainsi Mohamed Heikal, ancien rédac’ chef de Al Ahram et proche de Nasser, a jugé la candidature de Moubarak Jr inadmissible. Grâce à Zvi Barel de Haaretz nous pouvons vous citer cet extrait aux airs de déjà vu d’un entretien donné par Heikal au quotidien Al-Masri al-Youm : « Même s’il est l’homme le plus qualifié en Egypte pour ce poste [..] être candidat n’est pas son droit parce que précisément il n’est pas un citoyen comme les autres, parce qu’ils lui donnent ce qui n’est pas donné aux autres. » Malgré toutes les médisances, force est de reconnaitre que, dans certains domaines, l’Union pour la Méditerranée avance à grands pas.