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Le crucifix aux orties

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Crucifixion, Elisabeth Frink
Crucifixion, Elisabeth Frink

Le crucifix dans les salles de classe : perturbant émotionnellement pour les enfants des minorités religieuses ou non-croyantes. C’est le jugement implacable de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans une affaire qui oppose l’Etat italien à l’une de ses ressortissantes d’origine finlandaise. Celle-ci estime que son droit à « une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques » pour ses enfants est remis en cause par la présence de crucifix dans les salles de classe. Elle insiste en outre sur la discrimination entre les religions que cette présence instaurerait. La Cour lui a donné raison sur tous ces points, condamnant même l’Italie à verser à la plaignante 5000 euros pour « dommage moral ». L’Italie a fait appel.

Perturbation émotionnelle des enfants, violation du libre-choix et discrimination : tel l’antique bouc émissaire en route pour Azazel, voilà le crucifix chargé de tous les crimes de la communauté par cette parfaite incarnation de la morale contemporaine qu’est la CEDH. Mais après tout, n’est-ce pas le sens même du succès planétaire du crucifix – celui qu’on y cloue prend sur lui les fautes de tous ? « Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde. » C’est merveille de constater comme les rites les plus laïcs savent parfois réinterpréter pour notre profit à tous les cultes les plus archaïques. Une fois la Croix chargée de tous les péchés, qui pourrait contester le jugement de la CEDH ?

Le gouvernement italien a essayé. Il a expliqué que l’enseignement était bien sûr laïc en Italie et qu’il n’y était pas question pour les profs d’évangéliser en classe. Il précisa encore que dans cette affaire nul ne défendait une antique croyance religieuse, mais bien la culture et des valeurs démocratiques les plus contemporaines qui, selon son défenseur, plongent leurs racines « dans un passé plus lointain, celui du message évangélique. Le message de la croix serait donc un message humaniste, pouvant être lu de manière indépendante de sa dimension religieuse, constitué d’un ensemble de principes et de valeurs formant la base de nos démocraties ». Bref, l’Italie n’hésita pas à mettre en avant d’hypothétiques racines chrétiennes du Bien contemporain ralliant ainsi la religion catholique à la bandiera rosa de la tolérance et du bien-être des petits enfants. Pour justifier la persistance d’une tradition séculaire il faut obligatoirement mobiliser les valeurs les plus au goût du jour. Rien n’y fit. C’est en vain que nos amis transalpins tentèrent de noyer le poisson christique dans la vague de l’intransigeant tolérantisme contemporain.

N’est pas admis dans le nouveau Saint des Saints qui veut, à commencer par l’ancien: exit donc le crucifix qui perturbe émotionnellement les enfants, comme il perturbait autrefois les vampires. Il faut dire qu’avec la mode du gothique chez les moins de seize ans, les premiers ressemblent aujourd’hui parfois aux seconds. Ceci expliquant peut-être cela.

Mais trêve de plaisanterie et revenons à nos brebis égarées.

La Cour rappelle aussi complaisamment que la loi qui prévoit l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe italiennes date du concordat de 1929, c’est-à-dire de la période fasciste. Belle reductio ad benitum. Ce que Benito a voulu ne peut être bon. Dans ces conditions, on aura toujours raison de s’opposer au crucifix. La Résistance, même à une loi qui a presque l’âge de ma grand-mère, est à jamais d’actualité, surtout en ces périodes sarko-berlusconiennes.

Le problème c’est que cette origine mussolinienne du crucifix dans les salles de classe est elle-même contestée. Le Conseil d’Etat italien notait en 2006, dans le cadre de cette affaire, que « la prescription des crucifix dans les salles de classes » datait non pas du concordat de 1929 mais de la loi Casati, adoptée par un Etat [le Royaume de Sardaigne] qui nourrissait bien peu de sympathie pour l’Eglise catholique », loi qui fut ensuite étendue à toute l’Italie après l’unification. Mais ne pinaillons pas : la cause des enfants, qui est celle de tous les Résistants, mérite bien quelques libertés avec l’exactitude historique.

Le plus rassurant est que la décision de la Cour énerve les Italiens. Il existe aujourd’hui dans ce pays un quasi-consensus sur l’apport culturel du christianisme à la modernité italienne (la filiation est plus embarrassante pour le christianisme que pour l’Italie berlusconienne). De quel droit un Tribunal situé à l’étranger s’immisce-t-il dans ce consensus ? La merveilleuse Europe serait-elle cette abstraction idéologico-technocratique qui affirme tranquillement qu’un pays perturbe ses enfants parce qu’un bout de bois est accroché au mur de ses salles de classes ?

Le secrétaire d’Etat du Vatican, Tarcisio Bertone, bête noire des « catholiques progressistes » et qui a ce titre ne peut pas être tout à fait mauvais – et ce malgré son attachement à un objet aussi perturbant pour les enfants que le crucifix – a fait de cette décision un commentaire plaisant: « l’Europe du troisième millénaire nous laisse avec les seules citrouilles des fêtes récemment célébrées et a éliminé nos symboles les plus chers ». En tant que catholique, je ne peux que trouver intéressant un monde dans lequel les prélats de l’Eglise catholique en arrivent à stigmatiser sur un ton badin la bêtise officielle. En tenant bien sûr compte du fait que personne ne songe aujourd’hui en Europe à reprendre les persécutions antichrétiennes du début de l’Empire romain, je me prends à penser qu’il va faire bon être catholique dans les années qui viennent. Nous autres catholiques allons enfin goûter au confort de la position minoritaire : la religion d’Etat qui s’impose aujourd’hui en Europe, en rejetant le catholicisme dans les ténèbres extérieures de ce qui « perturbe les enfants » rend un fier service à ceux qui, appartenant encore bêtement à l’ex-majorité catholico-franco-franchouillarde des Français, n’ont jamais eu l’occasion de prendre la pose du maudit ou du proscrit. Grâce à la CEDH, cette discrimination insupportable est sur le point d’être abolie. Il suffira bientôt d’aller à la messe le dimanche pour pouvoir candidater comme tout le monde au statut de minorité opprimée : merci l’Europe !

Un monde intéressant certes, mais aussi un peu effrayant. Mon fils fréquente aujourd’hui l’école publique. Avant les vacances scolaires, il a activement préparé Halloween. C’était très drôle tous ces monstres et citrouilles que l’on dessinait et affichait au mur que nul crucifix n’entachait. Et c’est tant mieux, nous sommes en France, et il n’y aucune raison de remettre en cause la stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat qui s’est imposée il y a plus d’un siècle, au corps défendant de l’Eglise.

Mais en écoutant Mgr Bertone, j’ai repensé à ces citrouilles évidées, posées là, avec leurs yeux triangulaires et inquiétants, tristes fenêtres donnant sur le rien de l’absence d’âme. Et j’y ai vu pour finir le symbole parfait de ce que sera la tête de nos enfants une fois que l’institution toute entière se sera convertie à ce culte de l’égalité de traitement de toutes les cultures et toutes les croyances. Lorsqu’il ne sera plus question de rien distinguer, pour ne plus offenser personne.

Mode vibreur

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La Suède, qui garde de vieux réflexes du Welfare State a décidé de financer une douzaine de courts métrages pornos tournés par des réalisatrices féminines à l’aide d’un téléphone portable. Le but du projet, financé par l’équivalent de notre CNC, est d’offrir aux femmes un porno qui leur convienne, loin des stéréotypes machos. Par exemple, une certaine Asa Standen, qui se revendique lesbienne, a réalisé un film où le client masculin d’un club se retrouve transformé en godemichet géant avec les aventures subséquentes. On aura beau dire, dans le genre subversion féministe du fantasme, c’est un peu léger et pas très original. Au bout du compte, c’est rassurant : en matière de sexe, la femme est un homme comme les autres.

Dans les brumes de Tavernier

In the electric mist

Vous connaissez certainement ce mot de Sacha Guitry : « Le silence qui suit une œuvre de Mozart est encore de Mozart ». Eh bien, les quelques minutes d’obscurité qui suivent certains films de Bertrand Tavernier sont encore de Tavernier. Et même les heures ou les semaines durant lesquelles ses films continuent à nous hanter. Noir c’est noir. L’empreinte de son univers est toujours forte. Parfois indélébile. Au fil de ses trente-cinq ans de carrière et de ses vingt-six films, le réalisateur de L’horloger de Saint-Paul a cultivé et approfondi, au travers d’un nombre impressionnant de genres (polar, film de guerre, comédie de mœurs, etc.), toujours la même noirceur lyrique, le même humanisme désespéré et cafardeux, qui semble demander des comptes au monde comme il va. Qui semble psalmodier timidement des hymnes ambigus aux humains – ni plus ni moins détestables – que le monde qui les broie. In the electric mist (Dans la brume électrique), le dernier film – en date – de Tavernier (qui est encore sur certains grands écrans et sort en DVD/Blue Ray ces jours-ci) porte cette noirceur profonde – mais jamais nihiliste – à un paroxysme jubilatoire.

Produit aux États-Unis, par des américains, pour un public américain, dans la langue de G.W. Bush, avec des billets verts, dans un somptueux cinémascope, In the electric mist est la concrétisation d’un rêve de gosse pour Tavernier, qui est un cinéphile expert et certainement le meilleur spécialiste français du cinéma américain[1. cf. sa somme (très lourde et malheureusement onéreuse) Cinquante ans de cinéma américain, (co-écrite avec Jean-Pierre Coursodon), Omnibus Press, 1995.]. En réalisant un long-métrage aux USA, il s’inscrit – contre toute attente – dans une tradition qui n’avait pas été la sienne jusque-là. Par ce film à l’accent outrageusement américain, il s’offre ce luxe raffiné : organiser la rencontre de sa cinématographie et de sa cinéphilie. Et cela sans aucune caricature ni accumulation de « citations » visuelles. Ce qui est certainement le privilège d’un réalisateur au plus profond de sa maturité.

Tavernier décroche donc « sa » lune. C’est l’Amérique ! Plus précisément la Louisiane poisseuse et entêtante de l’après-Katrina[2. Cet ouragan qui a traumatisé l’Amérique en 2005, et occasionné près de 2000 morts…], univers du romancier James Lee Burke, auquel il emprunte au roman Dans la brume électrique avec les morts confédérés (1993) l’intrigue et les principaux personnages de son film. Dave Robicheaux, interprété par un Tommy Lee Jones au sommet de son art, vieux policier chrétien marqué par l’alcool et une vie provinciale routinière, s’investit simultanément dans deux enquêtes, qui vont peu à peu l’envahir complètement… comme la brume mange littéralement les paysages de la Louisiane endormie des bayous et des marais. La première, très officielle, concerne une série d’assassinats atroces commis sur de très jeunes femmes par un criminel désaxé. La seconde, aux marges de la loi, ramène Dave Robicheaux à sa jeunesse : il mène des investigations solitaires, presque méditatives ou introspectives, sur des ossements retrouvés durant le tournage d’un film, aux alentours de la petite ville de New Iberia, où se déroule toute l’action. Ce sont les restes d’un esclave noir assassiné plusieurs décennies auparavant, lors de sa fuite, les pieds entravés, dont le cadavre a été littéralement « régurgité » par le bayou suite au passage de Katrina.

Alcoolique abstinent, Robicheaux est plongé dans un univers parallèle peuplé de fantômes et d’images parasitaires. Dans le cours de ses quêtes en forme d’enquêtes, il croise les ombres de soldats confédérés dont celle du Général John Bell Hood, incarné par un Levon Helm qui parvient à paraître plus mort que vivant. La guerre de Sécession revient sauter au visage de l’Amérique d’aujourd’hui.

Rythmé comme un thriller, Dans la brume électrique n’en reste pas moins un sublime film de genre, plus noir encore que le regard vague et hanté de Dave Robicheaux sur l’horreur des choses de ce monde. Tavernier livre là une synthèse de son œuvre : le « western » symbolique et son shérif « mou » affrontant l’adversité avec mélancolie (la figure de Lucien Cordier de Coup de torchon), le tueur en série terrorisant une région (le Bouvier du Juge et l’assassin), le parcours initiatique d’un homme secrètement bouleversé par les événements et changeant peu à peu de philosophie de vie (Michel Descombes, L’horloger de Saint-Paul), et finalement – parmi tant d’autres éléments – la noirceur du cinéma de Tavernier éclate superbement dans cet opus. Le cinéma d’un homme qui n’a certes pas totalement perdu espoir, qui s’accroche, mais déroule depuis plus de trente ans de sérieux doutes quant à l’homme et sa façon d’organiser sa relation à l’autre…

Alors qu’il vient tout juste de commencer le tournage, dans le Centre de la France, de son prochain long-métrage (adapté d’une nouvelle de Madame de La Fayette, auteur de la Princesse de Clèves), In the electric mist est une excellente occasion de se confronter à l’esthétique de Tavernier.

Ce Tavernier brillamment tragique n’est pas vraiment raccord avec l’autre, l’homme « de gauche », pétitionnaire de concours, indigné compulsif, gros ours lyonnais jamais avare d’un coup de gueule et d’un « ça ne peut pas durer ! ». Heureusement, dans son cinéma, ses préoccupations pétitionnaires sont bien moins présentes que l’humain et les sociétés de paille qu’il construit. Ce n’est pas l’intellectuel de gauche qui restera mais l’artiste et son point de vue mélancolique sur les choses[3. Signalons pour les fans le Bertrand Tavernier de Jean-Dominique Nuttens, Gremese (2009). Sans dégager véritablement les grandes obsessions du cinéma de Tavernier, ce livre offre une très riche analyse documentée, film par film, de l’œuvre du réalisateur lyonnais bougon. Le tout complété d’une riche bibliographie et d’une iconographie soignée. ]. Heureusement.

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L’amour, cette vieille lune ?

Le philosophe Alain Badiou publie <em>Eloge de l'amour</em>, chez Flammarion.
Le philosophe Alain Badiou publie Eloge de l'amour, chez Flammarion.

Il n’est rien de plus réactionnaire qu’un ancien révolutionnaire. D’abord parce qu’il a déjà voulu tout casser et que le résultat n’est pas forcément satisfaisant. Ensuite parce que la révolution fait aujourd’hui figure de réaction face au rouleau compresseur de la libre société de marché, dans laquelle la liberté de consommer sans fin absorbe peu à peu toutes les autres.

Marcel Gauchet a bien expliqué cet effet de ciseaux entre la gauche et la droite : aujourd’hui la gauche aspire à conserver les restes de vieux monde que la droite s’empresse de liquider avec une frénésie « modernisatrice » – on l’a vu encore récemment avec la loi sur le travail le dimanche. Et, à la lumière de cette image, tout, soudain, s’éclaire : Debray est devenu péguyste, Gallo est catho, et Badiou est claudélien. En l’occurrence, il l’a toujours été, car j’ai découvert dans ce très beau livre d’entretiens qu’il avait étroitement collaboré à la mythique mise en scène du Soulier de Satin par Vitez. Tout cela fait sens, donc, comme on dit dans le jargon psy, qui ne manque pas non plus (mais sans excès) dans cet ouvrage, où il est question de sentiments et de désir, en passant par la case Lacan, c’était inévitable – Badiou rappelle fort à propos que le fameux « il n’y a pas de rapport sexuel » n’était pas seulement une provocation, mais une vision très profonde et très juste de l’impossible rencontre réelle des individus dans la jouissance.

Mais il est aussi question de durée et de conservation. Et c’est là que ça devient intéressant. L’amour n’est franchement pas moderne, nous dit-il, parce que l’amour n’est ni confortable, ni commode, ni prévisible, ni optionnel, ni jetable. Il est un risque à prendre et, à ce titre, il fait partie du vieux monde : comme jadis la culture, il est ce qui nous reste quand on a tout oublié, ou plus exactement, tout consommé.

Tel Caliban dans la caverne de La Tempête, Badiou rappelle donc aux jeunes princes et princesses modernes de notre brave new world, émerveillés par les infinies possibilités de Meetic et autres sites de rencontre, que l’amour est un risque, un beau risque, un risque à prendre absolument. Parce qu’il reste peut-être le dernier moyen de nous extorquer hors de notre moi en ces temps où tout nous pousse au confort narcissique et à la satisfaction immédiate de nos désirs.

Aller au devant d’autrui, terre inconnue, imprévisible, difficile, nous force à déployer nos ressources et notre énergie dans un but extérieur : comprendre l’autre, vouloir le changer, se découvrir capable d’attention, de prévenance, de tendresse, de violence. C’est toute la beauté de la rencontre. « Que d’enfants si le regard pouvaient féconder ! Et que de morts s’ils pouvaient tuer ! Les rues seraient pleines de cadavres et de femmes grosses ! », écrivait Paul Valéry. Encore faut-il, pour aimer, sortir de soi-même.

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Campagne anti-blanchiment

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SOS racisme accuse le parc Eurodisney de pratiquer une préférence ethnique dans le recrutement de son personnel. Il est vrai que ça manque de diversité parmi les figurants dans les attractions proposées. Dans « La belle au bois dormant » : des blancs. Dans « Cendrillon » : des blancs. Dans « Blanche-neige », des blancs. Dans « Bernard et Bianca », des souris blanches. Craignant d’être trainé en justice dans la même charrette, le parc Astérix réagit et crée coup sur coup deux nouveaux manèges pour rompre avec une politique raciste à l’embauche et éviter les ennuis : « Le voleur de Bagdad » et « La case de l’oncle Tom ».

Autumnus horribilis

Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin

On ne va pas vous refaire tout le film plan par plan. À moins de n’être abonné qu’à Disney Channel ou d’avoir emménagé sur l’atoll de Clipperton, vous le connaissez aussi bien que nous. N’empêche, le pitch, à lui seul est impressionnant. C’est l’histoire d’un indestructible que mêmes ses pires ennemis voyaient, il y a trois mois à peine, déjà réélu les doigts dans le nez en 2012 et qui se met soudain à douter de tout. Le casting, lui aussi est redoutable: outre le héros, on voit aussi défiler au fil des rushes son propre fils, la plupart de ses ministres (Frédéric Mitterrand, Rama Yade, Roselyne Bachelot, Brice Hortefeux, Patrick Devedjian, sans oublier le come-back de François Fillon après deux ans de congé sabbatique). On n’omettra pas de citer quelques guest-stars (DDV, Raffarin, Guaino). Du lourd, quoi. Du si lourd que chacun se demande, à commencer par le principal intéressé, si on n’a pas un peu trop chargé la barque, si l’indestructible était réellement insubmersible.

Oui vraiment tout ça c’est beaucoup trop. Sauf qu’en vrai, non, tout ça c’est peanuts. Aucune des avanies advenues durant cet autumnus horribilis n’était ingérable et même leur conjonction dans un si bref délai n’était pas en soi apocalyptique. Pendant deux ans, la machine sarkozyste en a vu d’autres, et des vraiment archipires, et ce, dès ses balbutiements aux affaires. Dans le seul registre du symbolique pur, il y a eu le Fouquet’s, le yacht Bolloré, les vacances américaines. Dans le registre contigu du symbolico-politique, le quinquennat a débuté en fanfare avec le bouclier fiscal, massivement perçu par l’opinion comme un cadeau fait aux plus riches. Et pourtant, malgré les tollés, les sondages, les Guignols, les « unes » sur le bling-bling ou les livres de Badiou, tout ça avait été admirablement aplani par un Sarkozy comme thaumaturge.

Alors qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi celui qui pouvait le plus ne peut-il plus le moins ? Pourquoi se sent-il même obligé d’user de modes de communication semi-rocambolesques pour expliquer, sans l’expliquer, à l’heure du thé qu’il s’est planté? Il y a bien sûr un coup de com’. Le président veut plaider sa totale sincérité ; hélas, pour en donner la preuve scientifique, il ne peut tout de même pas pleurer en public façon Annie Girardot ou Thierry Ardisson, alors il dramatise à l’Elysée et méaculpise à gogo avec l’aimable complicité de ses mystérieux visiteurs du soir.

Mais, à propos, que faut-il penser quand le président affirme s’être trompé, par exemple sur l’affaire Jean S. ? Eh bien qu’il a raison de le dire, mais qu’il aurait bien tort de le penser, si tel est le cas. Car en amont, il n’y a pas eu d’erreur technique dans l’affaire de l’EPAD : pris isolément, le coup-là était archi-jouable, cent fois plus jouable en tout cas que le travail du dimanche ou la nomination d’un patron du CAC 40 à la tête d’EDF. D’ailleurs la tempête précédente (Polanski-Mitterrand) avait été, in fine, résorbée sans casse, dans la fermeté et la lucidité. Faut croire que ça ne marche pas à tous les coups, et qu’un truc s’était cassé.

On conviendra donc, pour une fois en accord avec le reste de la profession, que l’EPAD a fait déborder le vase. Là où, fort vite, nous divergerons de la meute des collègues, c’est sur la nature de ce vase. Parce qu’il n’était pas trop plein, mais trop vide. Et nous insisterons sur une donnée dont tout le monde parle, sans jamais s’y intéresser vraiment : la spécificité du sarkozysme. Nous avons déjà évoqué ici même la novation communicationnelle du phénomène, on n’y reviendra donc pas chaque semaine, on n’est quand même pas Alain Duhamel. Mais l’autre spécificité du sarkozysme, pour n’être pas absolue, n’en est pas moins spectaculaire. C’est la première fois, depuis 1981, qu’un président est élu par des Français qui croyaient que les choses allaient changer vraiment , ou plus exactement, pour s’approcher du leitmotiv rimbaldo-mitterrandien des belles années, que le président élu allait changer la vie, donc changer leur vie. Ceux de 81 avaient déchanté au bout de deux ans et se jurèrent qu’on ne les y prendrait plus. Il aura fallu attendre qu’une génération passe pour que le serment soit à nouveau viable, pour qu’un candidat éligible fasse à nouveau rêver la politique.
Ce rêve incarné, ce fut la force de Nicolas Sarkozy il y a deux ans, c’est aujourd’hui son drame.

Disons-le sans détour : ce n’est pas le Nicolas Sarkozy père de son fils, mari de sa femme, ou protecteur de Frédéric Mitterrand qui est aujourd’hui dans le rouge, c’est celui qui allait s’occuper personnellement de votre feuille de paye, de votre emploi, chercher la croissance avec les dents et, en prime, renvoyer à la niche les petits morveux qui parfument votre cage d’escalier au chichon libanais

Manque de bol, le vase est vide. Emploi, salaire, retraites, école, rien n’a changé, si ce n’est en pire, et il en va de même sur ce qui fût autrefois le créneau porteur de la sécurité. Quand rien de tout cela ne bougeait du temps de Chirac, tout le monde s’en foutait, parce qu’on l’avait élu sans illusion, ce brave Jacques. Là, ça tangue très fort parce que précisément, Nicolas Sarkozy a été élu avec illusions.

Paradoxalement, la crise mondiale lui aura offert un sursis, durant lequel il aura pu chanter sur tous les tons J’voudrais bien, mais j’peux point. Mais l’éloignement plus rapide d’un scénario catastrophe type 1929 est une vraie mauvaise surprise pour Nicolas Sarkozy. Remis de leurs paniques, rendus à des préoccupations plus ordinaires, ses chers électeurs se regardent au fond de leurs propres yeux et constatent que contrairement à ce qu’ils avaient cru en 2007, ils ne sont pas plus riches, ni plus en sécurité, ni même plus minces (quand on commence à rêver, on sait jamais où ça va s’arrêter). Non, ils se trouvent juste un peu plus cons d’y avoir cru.

Deux ans après avoir été élu le drame de Nicolas Sarkozy est le même que celui de François Mitterrand en 1983 : ce n’est pas l’omni-présidence mais l’omni-impuissance.

Causeur, c’est coton !

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T-shirt classique, coupe sportive, gris souris, 100% coton

Pour le deuxième anniversaire de Causeur – le temps passe si vite quand on s’amuse si bien – nous proposons à nos lecteurs non pas un gros gâteau, mais des fabuleux T-shirts. Si vous cherchez à surprendre un ami, à flatter un supérieur ou à combler une conquête, voire à vous faire égoïstement plaisir avec un cadeau original mais trop chic, n’hésitez pas à acheter ces produits dérivés d’excellente qualité qui portent l’inscription “Un t-shirt, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” Et justement, nous en avons beaucoup…
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La grippe ? Ni chaud, ni froid

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vaccin

Je dois l’avouer, cette histoire de grippe machin nin nin ne m’intéresse que de très loin. Cette dernière pandémie en date et en tournée mondiale, enfin sur tous les écrans pour l’instant, me laisse froid. On a un peu trop crié au loup ces dernières années et je ne marche pas.

Souvenez-vous de la vache folle. Au départ la promesse d’une hécatombe qui pourrait bien régler les problèmes du chômage, des retraites et des embouteillages sur lesquels butent toutes les politiques. A l’arrivée, des milliers d’animaux abattus, plus de rognons, de tripes et de cervelles sur les marchés (ce qui est pour les fins gourmets une catastrophe en soi) et des mesures protectionnistes contre la perfide Albion à cornes. Evidemment, avec cette politique sanitaire, on n’a plus entendu les enfants pleurer dans les cantines et avec cette politique agricole, on n’a plus entendu les paysans pleurnicher pendant une bonne semaine mais on attend encore la vague de décès spongiformes promise. Aujourd’hui, tout le monde vous le dira, Kreutzfeld-Jakob, c’est très surfait.

Pour les médias, un clou du spectacle chasse l’autre et quand les moutons et les vaches épargnés sont retournés paître, ce sont les volailles qu’on a prises en grippe. Quelques milliers de poulets refroidis, quelques centaines de canards assignés à résidence et quelques dizaines de crétins masqués dans la rue mais la grippe aviaire ne s’est pas envolée comme prévu. Les soupçons se sont alors portés sur les Mexicains mais ceux-ci ont des ambassadeurs dans le monde entier contrairement aux cochons, vous connaissez la suite, la grippe est devenue porcine. Les pauvres n’ont pas eu le temps de faire nouf nouf qu’ils étaient à leur tour abattus en masse. Particulièrement dans l’un de ces pays du soleil moyennement levé où l’islam et son rapport aux porcs à quatre pattes a encore prouvé au monde son caractère visionnaire.

À l’époque, si j’avais été guide suprême du monde libre, j’aurais volontiers levé une armée pour faire payer leur crime aux islamistes qui ont sauté sur l’occasion pour régler des comptes anciens en obtenant la tête de nos frères porcins car je me sens plus d’affinités avec mes cousins à la queue en tire-bouchon qu’avec les obscurantistes qui leur font la peau. Mais je ne suis guide de rien et c’est sûrement une chance pour la paix mondiale.

Voilà pourquoi cette nouvelle forme de grippe apocalyptique qui ressemble surtout à l’Arlésienne, je m’en fous, je l’ignore, je la méprise. Pas de quoi justifier les salaires des pontes de l’OMS ni l’armée de fonctionnaires que la peur entretient.

Pour tout dire, la chin et nin, je l’avais presque oubliée quand je suis tombé sur une affiche qui en traitait et dont le slogan était : « VACCIN = GENOCIDE ». Comme on dit, ça m’a interpellé. Mais comment peut-on être aussi contre ? J’ai beau savoir depuis Julien Coupat que les contres, ça ose tout et que c’est même à ça qu’on les reconnaît, je suis toujours surpris quand le grotesque rejoint à ce point l’indécence.

Les antis-vaccins, groupuscule parti en croisade pour nous convaincre que les laboratoires nous empoisonnent pour arrondir leurs fins de mois avec la complicité de l’Eétat et de tous les médias à part peut-être Daniel Mermet, quoique, n’ont pas l’air vaccinés contre le ridicule. De rage, je serais presque allé me faire vacciner. Après m’être un peu emporté contre ces enfants gâtés de la société industrielle, je me suis revu en guide suprême de ce monde où la science et le médicament ont eu raison de l’offrande et de la prière aux dieux des maladies mortelles et je me suis mis à rêver que du haut de mon pouvoir absolu, je pourrais prendre ces imbéciles au mot.

Je commencerai par leur interdire l’accès à tous les vaccins et, avec l’assurance que donne l’exercice de la dictature, je les regarderai crever doucement de toutes ces affections dont ils ont oublié jusqu’à l’existence. Quand leurs enfants commenceront à s’éteindre de la rougeole comme c’est le cas en Afrique faute de vaccins, et que ces militants viendront demander pardon à plat ventre, je me montrerai clément et les ferai interner dans l’hôpital psychiatrique de leur choix.

Mais tout ça n’arrivera pas. D’abord parce que la dictature est un rêve que je caresse souvent mais qui ne me tente pas vraiment. Je suis sûr que commander absolument, à part pour quelques pervers, doit être aussi ennuyeux qu’obéir absolument. Ensuite parce que je connais un peu ces ingrats que la société du progrès médical inquiète. En pleine santé, ils alarment, pétitionnent, affichent et propagent les rumeurs les plus absurdes mais dans la souffrance, font table rase de l’idéologie paranoïaque qui les nourrit et courent à l’hôpital pour exiger le droit à la morphine pour tous. Et c’est tant mieux. Quand le bon sens l’emporte sur la peur, ça me rassure. Même chez le roi des contres.

Roselyne : et ta sœur ?

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On pourrait banalement archiver dans le rayon « Je me fous du monde et tant pis pour ceux qui croient à mes pignolades » la déclaration faite ce matin sur RTL par Roselyne Bachelot concernant ses relations avec Rama Yade : « Je me considère comme une grande soeur. » Sans vouloir m’exprimer sur le fond du désaccord (si tant est qu’il y en ait un), je me permettrais de rappeler à Roselyne que cette sortie paternaliste (à moins qu’il faille dire maternaliste, fraternaliste ou sororitaliste, faudra que je consulte la Halde) a déjà servi à une autre ministre de tutelle, confrontée aux ruades d’une supposée féale, et qu’elle ne lui a pas porté bonheur. C’était il y a environ un an et ce même argument massue avait été utilisé par Christine Boutin pour remettre à sa place Fadela Amara. Devinez qui est resté dans le bateau ?

Un ministre…

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rama

Depuis plusieurs jours, Rama Yade fait l’objet de tirs nourris de la part de la plupart des chevau-(pas très)légers de la Sarkozie. Nadine Morano et Frédéric Lefebvre, avec leur finesse habituelle, avaient ouvert le feu. Il semble bien que François Fillon, dont le boulot semble bien de se débarrasser des importuns[1. Spéciale dédicace à Dame Christine Boutin.], leur ait emboîté le pas ce matin.

Rama Yade agace le président depuis plusieurs mois. Sa sortie lors de la venue du Guide libyen fin 2007, son refus de mener la liste francilienne aux élections européennes, ses déclarations en pleine affaire « Jean de l’EPAD » ont déplu, doux euphémisme, à Nicolas Sarkozy. Et, malgré le fait qu’elle soit dans le collimateur, alors qu’un vent de révolte souffle parmi sénateurs et députés, voilà la secrétaire d’Etat au sport qui se désolidarise de sa ministre de tutelle sur la suppression du droit collectif à l’image, niche fiscale permettant aux clubs professionnels de mieux rémunérer leur joueurs.

Sur ce dossier, Rama Yade a, à la fois, tort et raison. Tort parce qu’il est absolument indigne en cette période de crise que subsiste ce genre d’avantage. On aimerait d’ailleurs que le bouclier fiscal fasse l’objet de la même indignation. Raison parce qu’il ne faudra pas s’étonner que les championnats nationaux, et notamment celui de football, redeviennent encore moins attractifs qu’auparavant pour les meilleurs joueurs, nos clubs étant particulièrement désavantagés par rapport à l’Angleterre et l’Espagne. Que l’on sache, ce n’est pas Rama Yade qui s’est couchée à Biarritz l’an dernier lorsqu’il s’agissait de vendre à la Commission de Bruxelles un retour au quota de joueurs nationaux[2. Le fameux 6+5 cher à Joseph Blatter, président de la FIFA.] dans les équipes. C’est son prédécesseur Bernard Laporte et… Nicolas Sarkozy lui-même qui se faisait pourtant fort d’imposer une spécificité sportive et qui, disait-il, avait convaincu son collègue Gordon Brown. Devant l’idéologie de la concurrence libre et non faussée, tout ce joli monde a cédé et a renoncé à la seule solution qui permettrait un rééquilibre dans les championnats, quelle que soit la fiscalité des pays.

Depuis quelques jours, donc, les appels à la démission de Rama Yade n’ont pas porté leur fruit tant désiré. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », disait Jean-Pierre Chevènement, qui s’y connaît puisqu’il a quitté trois gouvernements[3. En 1983, sur le tournant de la rigueur, en 1991 à propos de la guerre en Irak puis en 2000 sur un projet portant atteinte à l’indivisibilité de la République. Admettons qu’à chaque fois, le panache ne manquait pas.]. Mais cette jurisprudence n’est plus de saison. D’abord, parce que les Chevènement ne courent plus les rues désormais. Ensuite, parce que la nature d’un gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy relève davantage aujourd’hui du casting, comme dirait Eric Zemmour. Dans ce schéma, ce n’est pas aux acteurs de démissionner, mais au metteur en scène de virer ceux qui ne lui conviennent plus. Enfin, Rama Yade est la personnalité du gouvernement la plus haute dans les sondages de popularité. Son intérêt n’est pas de démissionner, surtout sur un sujet aussi mineur qu’une niche fiscale pour sportifs pros, mais plutôt de se faire virer pour indiscipline, laquelle s’avère la composante essentielle de sa bonne image dans le pays.

A l’heure où j’écris ses lignes, on ne peut évidemment pas savoir qui gagnera le bras de fer. Si Rama Yade, finalement, ne résiste pas à la pression – et démissionne -, ou si Nicolas Sarkozy et François Fillon doivent se résoudre à en faire une martyre ou, pis encore, passer l’éponge. Cette dernière solution ne semble pas idéale pour calmer les ardeurs des parlementaires qui pourrissent actuellement la vie du gouvernement.

Le crucifix aux orties

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Crucifixion, Elisabeth Frink
Crucifixion, Elisabeth Frink
Crucifixion, Elisabeth Frink

Le crucifix dans les salles de classe : perturbant émotionnellement pour les enfants des minorités religieuses ou non-croyantes. C’est le jugement implacable de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans une affaire qui oppose l’Etat italien à l’une de ses ressortissantes d’origine finlandaise. Celle-ci estime que son droit à « une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques » pour ses enfants est remis en cause par la présence de crucifix dans les salles de classe. Elle insiste en outre sur la discrimination entre les religions que cette présence instaurerait. La Cour lui a donné raison sur tous ces points, condamnant même l’Italie à verser à la plaignante 5000 euros pour « dommage moral ». L’Italie a fait appel.

Perturbation émotionnelle des enfants, violation du libre-choix et discrimination : tel l’antique bouc émissaire en route pour Azazel, voilà le crucifix chargé de tous les crimes de la communauté par cette parfaite incarnation de la morale contemporaine qu’est la CEDH. Mais après tout, n’est-ce pas le sens même du succès planétaire du crucifix – celui qu’on y cloue prend sur lui les fautes de tous ? « Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde. » C’est merveille de constater comme les rites les plus laïcs savent parfois réinterpréter pour notre profit à tous les cultes les plus archaïques. Une fois la Croix chargée de tous les péchés, qui pourrait contester le jugement de la CEDH ?

Le gouvernement italien a essayé. Il a expliqué que l’enseignement était bien sûr laïc en Italie et qu’il n’y était pas question pour les profs d’évangéliser en classe. Il précisa encore que dans cette affaire nul ne défendait une antique croyance religieuse, mais bien la culture et des valeurs démocratiques les plus contemporaines qui, selon son défenseur, plongent leurs racines « dans un passé plus lointain, celui du message évangélique. Le message de la croix serait donc un message humaniste, pouvant être lu de manière indépendante de sa dimension religieuse, constitué d’un ensemble de principes et de valeurs formant la base de nos démocraties ». Bref, l’Italie n’hésita pas à mettre en avant d’hypothétiques racines chrétiennes du Bien contemporain ralliant ainsi la religion catholique à la bandiera rosa de la tolérance et du bien-être des petits enfants. Pour justifier la persistance d’une tradition séculaire il faut obligatoirement mobiliser les valeurs les plus au goût du jour. Rien n’y fit. C’est en vain que nos amis transalpins tentèrent de noyer le poisson christique dans la vague de l’intransigeant tolérantisme contemporain.

N’est pas admis dans le nouveau Saint des Saints qui veut, à commencer par l’ancien: exit donc le crucifix qui perturbe émotionnellement les enfants, comme il perturbait autrefois les vampires. Il faut dire qu’avec la mode du gothique chez les moins de seize ans, les premiers ressemblent aujourd’hui parfois aux seconds. Ceci expliquant peut-être cela.

Mais trêve de plaisanterie et revenons à nos brebis égarées.

La Cour rappelle aussi complaisamment que la loi qui prévoit l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe italiennes date du concordat de 1929, c’est-à-dire de la période fasciste. Belle reductio ad benitum. Ce que Benito a voulu ne peut être bon. Dans ces conditions, on aura toujours raison de s’opposer au crucifix. La Résistance, même à une loi qui a presque l’âge de ma grand-mère, est à jamais d’actualité, surtout en ces périodes sarko-berlusconiennes.

Le problème c’est que cette origine mussolinienne du crucifix dans les salles de classe est elle-même contestée. Le Conseil d’Etat italien notait en 2006, dans le cadre de cette affaire, que « la prescription des crucifix dans les salles de classes » datait non pas du concordat de 1929 mais de la loi Casati, adoptée par un Etat [le Royaume de Sardaigne] qui nourrissait bien peu de sympathie pour l’Eglise catholique », loi qui fut ensuite étendue à toute l’Italie après l’unification. Mais ne pinaillons pas : la cause des enfants, qui est celle de tous les Résistants, mérite bien quelques libertés avec l’exactitude historique.

Le plus rassurant est que la décision de la Cour énerve les Italiens. Il existe aujourd’hui dans ce pays un quasi-consensus sur l’apport culturel du christianisme à la modernité italienne (la filiation est plus embarrassante pour le christianisme que pour l’Italie berlusconienne). De quel droit un Tribunal situé à l’étranger s’immisce-t-il dans ce consensus ? La merveilleuse Europe serait-elle cette abstraction idéologico-technocratique qui affirme tranquillement qu’un pays perturbe ses enfants parce qu’un bout de bois est accroché au mur de ses salles de classes ?

Le secrétaire d’Etat du Vatican, Tarcisio Bertone, bête noire des « catholiques progressistes » et qui a ce titre ne peut pas être tout à fait mauvais – et ce malgré son attachement à un objet aussi perturbant pour les enfants que le crucifix – a fait de cette décision un commentaire plaisant: « l’Europe du troisième millénaire nous laisse avec les seules citrouilles des fêtes récemment célébrées et a éliminé nos symboles les plus chers ». En tant que catholique, je ne peux que trouver intéressant un monde dans lequel les prélats de l’Eglise catholique en arrivent à stigmatiser sur un ton badin la bêtise officielle. En tenant bien sûr compte du fait que personne ne songe aujourd’hui en Europe à reprendre les persécutions antichrétiennes du début de l’Empire romain, je me prends à penser qu’il va faire bon être catholique dans les années qui viennent. Nous autres catholiques allons enfin goûter au confort de la position minoritaire : la religion d’Etat qui s’impose aujourd’hui en Europe, en rejetant le catholicisme dans les ténèbres extérieures de ce qui « perturbe les enfants » rend un fier service à ceux qui, appartenant encore bêtement à l’ex-majorité catholico-franco-franchouillarde des Français, n’ont jamais eu l’occasion de prendre la pose du maudit ou du proscrit. Grâce à la CEDH, cette discrimination insupportable est sur le point d’être abolie. Il suffira bientôt d’aller à la messe le dimanche pour pouvoir candidater comme tout le monde au statut de minorité opprimée : merci l’Europe !

Un monde intéressant certes, mais aussi un peu effrayant. Mon fils fréquente aujourd’hui l’école publique. Avant les vacances scolaires, il a activement préparé Halloween. C’était très drôle tous ces monstres et citrouilles que l’on dessinait et affichait au mur que nul crucifix n’entachait. Et c’est tant mieux, nous sommes en France, et il n’y aucune raison de remettre en cause la stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat qui s’est imposée il y a plus d’un siècle, au corps défendant de l’Eglise.

Mais en écoutant Mgr Bertone, j’ai repensé à ces citrouilles évidées, posées là, avec leurs yeux triangulaires et inquiétants, tristes fenêtres donnant sur le rien de l’absence d’âme. Et j’y ai vu pour finir le symbole parfait de ce que sera la tête de nos enfants une fois que l’institution toute entière se sera convertie à ce culte de l’égalité de traitement de toutes les cultures et toutes les croyances. Lorsqu’il ne sera plus question de rien distinguer, pour ne plus offenser personne.

Mode vibreur

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La Suède, qui garde de vieux réflexes du Welfare State a décidé de financer une douzaine de courts métrages pornos tournés par des réalisatrices féminines à l’aide d’un téléphone portable. Le but du projet, financé par l’équivalent de notre CNC, est d’offrir aux femmes un porno qui leur convienne, loin des stéréotypes machos. Par exemple, une certaine Asa Standen, qui se revendique lesbienne, a réalisé un film où le client masculin d’un club se retrouve transformé en godemichet géant avec les aventures subséquentes. On aura beau dire, dans le genre subversion féministe du fantasme, c’est un peu léger et pas très original. Au bout du compte, c’est rassurant : en matière de sexe, la femme est un homme comme les autres.

Dans les brumes de Tavernier

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In the electric mist

Vous connaissez certainement ce mot de Sacha Guitry : « Le silence qui suit une œuvre de Mozart est encore de Mozart ». Eh bien, les quelques minutes d’obscurité qui suivent certains films de Bertrand Tavernier sont encore de Tavernier. Et même les heures ou les semaines durant lesquelles ses films continuent à nous hanter. Noir c’est noir. L’empreinte de son univers est toujours forte. Parfois indélébile. Au fil de ses trente-cinq ans de carrière et de ses vingt-six films, le réalisateur de L’horloger de Saint-Paul a cultivé et approfondi, au travers d’un nombre impressionnant de genres (polar, film de guerre, comédie de mœurs, etc.), toujours la même noirceur lyrique, le même humanisme désespéré et cafardeux, qui semble demander des comptes au monde comme il va. Qui semble psalmodier timidement des hymnes ambigus aux humains – ni plus ni moins détestables – que le monde qui les broie. In the electric mist (Dans la brume électrique), le dernier film – en date – de Tavernier (qui est encore sur certains grands écrans et sort en DVD/Blue Ray ces jours-ci) porte cette noirceur profonde – mais jamais nihiliste – à un paroxysme jubilatoire.

Produit aux États-Unis, par des américains, pour un public américain, dans la langue de G.W. Bush, avec des billets verts, dans un somptueux cinémascope, In the electric mist est la concrétisation d’un rêve de gosse pour Tavernier, qui est un cinéphile expert et certainement le meilleur spécialiste français du cinéma américain[1. cf. sa somme (très lourde et malheureusement onéreuse) Cinquante ans de cinéma américain, (co-écrite avec Jean-Pierre Coursodon), Omnibus Press, 1995.]. En réalisant un long-métrage aux USA, il s’inscrit – contre toute attente – dans une tradition qui n’avait pas été la sienne jusque-là. Par ce film à l’accent outrageusement américain, il s’offre ce luxe raffiné : organiser la rencontre de sa cinématographie et de sa cinéphilie. Et cela sans aucune caricature ni accumulation de « citations » visuelles. Ce qui est certainement le privilège d’un réalisateur au plus profond de sa maturité.

Tavernier décroche donc « sa » lune. C’est l’Amérique ! Plus précisément la Louisiane poisseuse et entêtante de l’après-Katrina[2. Cet ouragan qui a traumatisé l’Amérique en 2005, et occasionné près de 2000 morts…], univers du romancier James Lee Burke, auquel il emprunte au roman Dans la brume électrique avec les morts confédérés (1993) l’intrigue et les principaux personnages de son film. Dave Robicheaux, interprété par un Tommy Lee Jones au sommet de son art, vieux policier chrétien marqué par l’alcool et une vie provinciale routinière, s’investit simultanément dans deux enquêtes, qui vont peu à peu l’envahir complètement… comme la brume mange littéralement les paysages de la Louisiane endormie des bayous et des marais. La première, très officielle, concerne une série d’assassinats atroces commis sur de très jeunes femmes par un criminel désaxé. La seconde, aux marges de la loi, ramène Dave Robicheaux à sa jeunesse : il mène des investigations solitaires, presque méditatives ou introspectives, sur des ossements retrouvés durant le tournage d’un film, aux alentours de la petite ville de New Iberia, où se déroule toute l’action. Ce sont les restes d’un esclave noir assassiné plusieurs décennies auparavant, lors de sa fuite, les pieds entravés, dont le cadavre a été littéralement « régurgité » par le bayou suite au passage de Katrina.

Alcoolique abstinent, Robicheaux est plongé dans un univers parallèle peuplé de fantômes et d’images parasitaires. Dans le cours de ses quêtes en forme d’enquêtes, il croise les ombres de soldats confédérés dont celle du Général John Bell Hood, incarné par un Levon Helm qui parvient à paraître plus mort que vivant. La guerre de Sécession revient sauter au visage de l’Amérique d’aujourd’hui.

Rythmé comme un thriller, Dans la brume électrique n’en reste pas moins un sublime film de genre, plus noir encore que le regard vague et hanté de Dave Robicheaux sur l’horreur des choses de ce monde. Tavernier livre là une synthèse de son œuvre : le « western » symbolique et son shérif « mou » affrontant l’adversité avec mélancolie (la figure de Lucien Cordier de Coup de torchon), le tueur en série terrorisant une région (le Bouvier du Juge et l’assassin), le parcours initiatique d’un homme secrètement bouleversé par les événements et changeant peu à peu de philosophie de vie (Michel Descombes, L’horloger de Saint-Paul), et finalement – parmi tant d’autres éléments – la noirceur du cinéma de Tavernier éclate superbement dans cet opus. Le cinéma d’un homme qui n’a certes pas totalement perdu espoir, qui s’accroche, mais déroule depuis plus de trente ans de sérieux doutes quant à l’homme et sa façon d’organiser sa relation à l’autre…

Alors qu’il vient tout juste de commencer le tournage, dans le Centre de la France, de son prochain long-métrage (adapté d’une nouvelle de Madame de La Fayette, auteur de la Princesse de Clèves), In the electric mist est une excellente occasion de se confronter à l’esthétique de Tavernier.

Ce Tavernier brillamment tragique n’est pas vraiment raccord avec l’autre, l’homme « de gauche », pétitionnaire de concours, indigné compulsif, gros ours lyonnais jamais avare d’un coup de gueule et d’un « ça ne peut pas durer ! ». Heureusement, dans son cinéma, ses préoccupations pétitionnaires sont bien moins présentes que l’humain et les sociétés de paille qu’il construit. Ce n’est pas l’intellectuel de gauche qui restera mais l’artiste et son point de vue mélancolique sur les choses[3. Signalons pour les fans le Bertrand Tavernier de Jean-Dominique Nuttens, Gremese (2009). Sans dégager véritablement les grandes obsessions du cinéma de Tavernier, ce livre offre une très riche analyse documentée, film par film, de l’œuvre du réalisateur lyonnais bougon. Le tout complété d’une riche bibliographie et d’une iconographie soignée. ]. Heureusement.

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L’amour, cette vieille lune ?

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Le philosophe Alain Badiou publie Eloge de l'amour, chez Flammarion.
Le philosophe Alain Badiou publie <em>Eloge de l'amour</em>, chez Flammarion.
Le philosophe Alain Badiou publie Eloge de l'amour, chez Flammarion.

Il n’est rien de plus réactionnaire qu’un ancien révolutionnaire. D’abord parce qu’il a déjà voulu tout casser et que le résultat n’est pas forcément satisfaisant. Ensuite parce que la révolution fait aujourd’hui figure de réaction face au rouleau compresseur de la libre société de marché, dans laquelle la liberté de consommer sans fin absorbe peu à peu toutes les autres.

Marcel Gauchet a bien expliqué cet effet de ciseaux entre la gauche et la droite : aujourd’hui la gauche aspire à conserver les restes de vieux monde que la droite s’empresse de liquider avec une frénésie « modernisatrice » – on l’a vu encore récemment avec la loi sur le travail le dimanche. Et, à la lumière de cette image, tout, soudain, s’éclaire : Debray est devenu péguyste, Gallo est catho, et Badiou est claudélien. En l’occurrence, il l’a toujours été, car j’ai découvert dans ce très beau livre d’entretiens qu’il avait étroitement collaboré à la mythique mise en scène du Soulier de Satin par Vitez. Tout cela fait sens, donc, comme on dit dans le jargon psy, qui ne manque pas non plus (mais sans excès) dans cet ouvrage, où il est question de sentiments et de désir, en passant par la case Lacan, c’était inévitable – Badiou rappelle fort à propos que le fameux « il n’y a pas de rapport sexuel » n’était pas seulement une provocation, mais une vision très profonde et très juste de l’impossible rencontre réelle des individus dans la jouissance.

Mais il est aussi question de durée et de conservation. Et c’est là que ça devient intéressant. L’amour n’est franchement pas moderne, nous dit-il, parce que l’amour n’est ni confortable, ni commode, ni prévisible, ni optionnel, ni jetable. Il est un risque à prendre et, à ce titre, il fait partie du vieux monde : comme jadis la culture, il est ce qui nous reste quand on a tout oublié, ou plus exactement, tout consommé.

Tel Caliban dans la caverne de La Tempête, Badiou rappelle donc aux jeunes princes et princesses modernes de notre brave new world, émerveillés par les infinies possibilités de Meetic et autres sites de rencontre, que l’amour est un risque, un beau risque, un risque à prendre absolument. Parce qu’il reste peut-être le dernier moyen de nous extorquer hors de notre moi en ces temps où tout nous pousse au confort narcissique et à la satisfaction immédiate de nos désirs.

Aller au devant d’autrui, terre inconnue, imprévisible, difficile, nous force à déployer nos ressources et notre énergie dans un but extérieur : comprendre l’autre, vouloir le changer, se découvrir capable d’attention, de prévenance, de tendresse, de violence. C’est toute la beauté de la rencontre. « Que d’enfants si le regard pouvaient féconder ! Et que de morts s’ils pouvaient tuer ! Les rues seraient pleines de cadavres et de femmes grosses ! », écrivait Paul Valéry. Encore faut-il, pour aimer, sortir de soi-même.

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Campagne anti-blanchiment

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SOS racisme accuse le parc Eurodisney de pratiquer une préférence ethnique dans le recrutement de son personnel. Il est vrai que ça manque de diversité parmi les figurants dans les attractions proposées. Dans « La belle au bois dormant » : des blancs. Dans « Cendrillon » : des blancs. Dans « Blanche-neige », des blancs. Dans « Bernard et Bianca », des souris blanches. Craignant d’être trainé en justice dans la même charrette, le parc Astérix réagit et crée coup sur coup deux nouveaux manèges pour rompre avec une politique raciste à l’embauche et éviter les ennuis : « Le voleur de Bagdad » et « La case de l’oncle Tom ».

Autumnus horribilis

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Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin

On ne va pas vous refaire tout le film plan par plan. À moins de n’être abonné qu’à Disney Channel ou d’avoir emménagé sur l’atoll de Clipperton, vous le connaissez aussi bien que nous. N’empêche, le pitch, à lui seul est impressionnant. C’est l’histoire d’un indestructible que mêmes ses pires ennemis voyaient, il y a trois mois à peine, déjà réélu les doigts dans le nez en 2012 et qui se met soudain à douter de tout. Le casting, lui aussi est redoutable: outre le héros, on voit aussi défiler au fil des rushes son propre fils, la plupart de ses ministres (Frédéric Mitterrand, Rama Yade, Roselyne Bachelot, Brice Hortefeux, Patrick Devedjian, sans oublier le come-back de François Fillon après deux ans de congé sabbatique). On n’omettra pas de citer quelques guest-stars (DDV, Raffarin, Guaino). Du lourd, quoi. Du si lourd que chacun se demande, à commencer par le principal intéressé, si on n’a pas un peu trop chargé la barque, si l’indestructible était réellement insubmersible.

Oui vraiment tout ça c’est beaucoup trop. Sauf qu’en vrai, non, tout ça c’est peanuts. Aucune des avanies advenues durant cet autumnus horribilis n’était ingérable et même leur conjonction dans un si bref délai n’était pas en soi apocalyptique. Pendant deux ans, la machine sarkozyste en a vu d’autres, et des vraiment archipires, et ce, dès ses balbutiements aux affaires. Dans le seul registre du symbolique pur, il y a eu le Fouquet’s, le yacht Bolloré, les vacances américaines. Dans le registre contigu du symbolico-politique, le quinquennat a débuté en fanfare avec le bouclier fiscal, massivement perçu par l’opinion comme un cadeau fait aux plus riches. Et pourtant, malgré les tollés, les sondages, les Guignols, les « unes » sur le bling-bling ou les livres de Badiou, tout ça avait été admirablement aplani par un Sarkozy comme thaumaturge.

Alors qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi celui qui pouvait le plus ne peut-il plus le moins ? Pourquoi se sent-il même obligé d’user de modes de communication semi-rocambolesques pour expliquer, sans l’expliquer, à l’heure du thé qu’il s’est planté? Il y a bien sûr un coup de com’. Le président veut plaider sa totale sincérité ; hélas, pour en donner la preuve scientifique, il ne peut tout de même pas pleurer en public façon Annie Girardot ou Thierry Ardisson, alors il dramatise à l’Elysée et méaculpise à gogo avec l’aimable complicité de ses mystérieux visiteurs du soir.

Mais, à propos, que faut-il penser quand le président affirme s’être trompé, par exemple sur l’affaire Jean S. ? Eh bien qu’il a raison de le dire, mais qu’il aurait bien tort de le penser, si tel est le cas. Car en amont, il n’y a pas eu d’erreur technique dans l’affaire de l’EPAD : pris isolément, le coup-là était archi-jouable, cent fois plus jouable en tout cas que le travail du dimanche ou la nomination d’un patron du CAC 40 à la tête d’EDF. D’ailleurs la tempête précédente (Polanski-Mitterrand) avait été, in fine, résorbée sans casse, dans la fermeté et la lucidité. Faut croire que ça ne marche pas à tous les coups, et qu’un truc s’était cassé.

On conviendra donc, pour une fois en accord avec le reste de la profession, que l’EPAD a fait déborder le vase. Là où, fort vite, nous divergerons de la meute des collègues, c’est sur la nature de ce vase. Parce qu’il n’était pas trop plein, mais trop vide. Et nous insisterons sur une donnée dont tout le monde parle, sans jamais s’y intéresser vraiment : la spécificité du sarkozysme. Nous avons déjà évoqué ici même la novation communicationnelle du phénomène, on n’y reviendra donc pas chaque semaine, on n’est quand même pas Alain Duhamel. Mais l’autre spécificité du sarkozysme, pour n’être pas absolue, n’en est pas moins spectaculaire. C’est la première fois, depuis 1981, qu’un président est élu par des Français qui croyaient que les choses allaient changer vraiment , ou plus exactement, pour s’approcher du leitmotiv rimbaldo-mitterrandien des belles années, que le président élu allait changer la vie, donc changer leur vie. Ceux de 81 avaient déchanté au bout de deux ans et se jurèrent qu’on ne les y prendrait plus. Il aura fallu attendre qu’une génération passe pour que le serment soit à nouveau viable, pour qu’un candidat éligible fasse à nouveau rêver la politique.
Ce rêve incarné, ce fut la force de Nicolas Sarkozy il y a deux ans, c’est aujourd’hui son drame.

Disons-le sans détour : ce n’est pas le Nicolas Sarkozy père de son fils, mari de sa femme, ou protecteur de Frédéric Mitterrand qui est aujourd’hui dans le rouge, c’est celui qui allait s’occuper personnellement de votre feuille de paye, de votre emploi, chercher la croissance avec les dents et, en prime, renvoyer à la niche les petits morveux qui parfument votre cage d’escalier au chichon libanais

Manque de bol, le vase est vide. Emploi, salaire, retraites, école, rien n’a changé, si ce n’est en pire, et il en va de même sur ce qui fût autrefois le créneau porteur de la sécurité. Quand rien de tout cela ne bougeait du temps de Chirac, tout le monde s’en foutait, parce qu’on l’avait élu sans illusion, ce brave Jacques. Là, ça tangue très fort parce que précisément, Nicolas Sarkozy a été élu avec illusions.

Paradoxalement, la crise mondiale lui aura offert un sursis, durant lequel il aura pu chanter sur tous les tons J’voudrais bien, mais j’peux point. Mais l’éloignement plus rapide d’un scénario catastrophe type 1929 est une vraie mauvaise surprise pour Nicolas Sarkozy. Remis de leurs paniques, rendus à des préoccupations plus ordinaires, ses chers électeurs se regardent au fond de leurs propres yeux et constatent que contrairement à ce qu’ils avaient cru en 2007, ils ne sont pas plus riches, ni plus en sécurité, ni même plus minces (quand on commence à rêver, on sait jamais où ça va s’arrêter). Non, ils se trouvent juste un peu plus cons d’y avoir cru.

Deux ans après avoir été élu le drame de Nicolas Sarkozy est le même que celui de François Mitterrand en 1983 : ce n’est pas l’omni-présidence mais l’omni-impuissance.

Causeur, c’est coton !

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T-shirt classique, coupe sportive, gris souris, 100% coton

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Pour le deuxième anniversaire de Causeur – le temps passe si vite quand on s’amuse si bien – nous proposons à nos lecteurs non pas un gros gâteau, mais des fabuleux T-shirts. Si vous cherchez à surprendre un ami, à flatter un supérieur ou à combler une conquête, voire à vous faire égoïstement plaisir avec un cadeau original mais trop chic, n’hésitez pas à acheter ces produits dérivés d’excellente qualité qui portent l’inscription “Un t-shirt, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” Et justement, nous en avons beaucoup…
Pour se les procurer, c’est ici que ça se passe.

La grippe ? Ni chaud, ni froid

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vaccin

Je dois l’avouer, cette histoire de grippe machin nin nin ne m’intéresse que de très loin. Cette dernière pandémie en date et en tournée mondiale, enfin sur tous les écrans pour l’instant, me laisse froid. On a un peu trop crié au loup ces dernières années et je ne marche pas.

Souvenez-vous de la vache folle. Au départ la promesse d’une hécatombe qui pourrait bien régler les problèmes du chômage, des retraites et des embouteillages sur lesquels butent toutes les politiques. A l’arrivée, des milliers d’animaux abattus, plus de rognons, de tripes et de cervelles sur les marchés (ce qui est pour les fins gourmets une catastrophe en soi) et des mesures protectionnistes contre la perfide Albion à cornes. Evidemment, avec cette politique sanitaire, on n’a plus entendu les enfants pleurer dans les cantines et avec cette politique agricole, on n’a plus entendu les paysans pleurnicher pendant une bonne semaine mais on attend encore la vague de décès spongiformes promise. Aujourd’hui, tout le monde vous le dira, Kreutzfeld-Jakob, c’est très surfait.

Pour les médias, un clou du spectacle chasse l’autre et quand les moutons et les vaches épargnés sont retournés paître, ce sont les volailles qu’on a prises en grippe. Quelques milliers de poulets refroidis, quelques centaines de canards assignés à résidence et quelques dizaines de crétins masqués dans la rue mais la grippe aviaire ne s’est pas envolée comme prévu. Les soupçons se sont alors portés sur les Mexicains mais ceux-ci ont des ambassadeurs dans le monde entier contrairement aux cochons, vous connaissez la suite, la grippe est devenue porcine. Les pauvres n’ont pas eu le temps de faire nouf nouf qu’ils étaient à leur tour abattus en masse. Particulièrement dans l’un de ces pays du soleil moyennement levé où l’islam et son rapport aux porcs à quatre pattes a encore prouvé au monde son caractère visionnaire.

À l’époque, si j’avais été guide suprême du monde libre, j’aurais volontiers levé une armée pour faire payer leur crime aux islamistes qui ont sauté sur l’occasion pour régler des comptes anciens en obtenant la tête de nos frères porcins car je me sens plus d’affinités avec mes cousins à la queue en tire-bouchon qu’avec les obscurantistes qui leur font la peau. Mais je ne suis guide de rien et c’est sûrement une chance pour la paix mondiale.

Voilà pourquoi cette nouvelle forme de grippe apocalyptique qui ressemble surtout à l’Arlésienne, je m’en fous, je l’ignore, je la méprise. Pas de quoi justifier les salaires des pontes de l’OMS ni l’armée de fonctionnaires que la peur entretient.

Pour tout dire, la chin et nin, je l’avais presque oubliée quand je suis tombé sur une affiche qui en traitait et dont le slogan était : « VACCIN = GENOCIDE ». Comme on dit, ça m’a interpellé. Mais comment peut-on être aussi contre ? J’ai beau savoir depuis Julien Coupat que les contres, ça ose tout et que c’est même à ça qu’on les reconnaît, je suis toujours surpris quand le grotesque rejoint à ce point l’indécence.

Les antis-vaccins, groupuscule parti en croisade pour nous convaincre que les laboratoires nous empoisonnent pour arrondir leurs fins de mois avec la complicité de l’Eétat et de tous les médias à part peut-être Daniel Mermet, quoique, n’ont pas l’air vaccinés contre le ridicule. De rage, je serais presque allé me faire vacciner. Après m’être un peu emporté contre ces enfants gâtés de la société industrielle, je me suis revu en guide suprême de ce monde où la science et le médicament ont eu raison de l’offrande et de la prière aux dieux des maladies mortelles et je me suis mis à rêver que du haut de mon pouvoir absolu, je pourrais prendre ces imbéciles au mot.

Je commencerai par leur interdire l’accès à tous les vaccins et, avec l’assurance que donne l’exercice de la dictature, je les regarderai crever doucement de toutes ces affections dont ils ont oublié jusqu’à l’existence. Quand leurs enfants commenceront à s’éteindre de la rougeole comme c’est le cas en Afrique faute de vaccins, et que ces militants viendront demander pardon à plat ventre, je me montrerai clément et les ferai interner dans l’hôpital psychiatrique de leur choix.

Mais tout ça n’arrivera pas. D’abord parce que la dictature est un rêve que je caresse souvent mais qui ne me tente pas vraiment. Je suis sûr que commander absolument, à part pour quelques pervers, doit être aussi ennuyeux qu’obéir absolument. Ensuite parce que je connais un peu ces ingrats que la société du progrès médical inquiète. En pleine santé, ils alarment, pétitionnent, affichent et propagent les rumeurs les plus absurdes mais dans la souffrance, font table rase de l’idéologie paranoïaque qui les nourrit et courent à l’hôpital pour exiger le droit à la morphine pour tous. Et c’est tant mieux. Quand le bon sens l’emporte sur la peur, ça me rassure. Même chez le roi des contres.

Roselyne : et ta sœur ?

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On pourrait banalement archiver dans le rayon « Je me fous du monde et tant pis pour ceux qui croient à mes pignolades » la déclaration faite ce matin sur RTL par Roselyne Bachelot concernant ses relations avec Rama Yade : « Je me considère comme une grande soeur. » Sans vouloir m’exprimer sur le fond du désaccord (si tant est qu’il y en ait un), je me permettrais de rappeler à Roselyne que cette sortie paternaliste (à moins qu’il faille dire maternaliste, fraternaliste ou sororitaliste, faudra que je consulte la Halde) a déjà servi à une autre ministre de tutelle, confrontée aux ruades d’une supposée féale, et qu’elle ne lui a pas porté bonheur. C’était il y a environ un an et ce même argument massue avait été utilisé par Christine Boutin pour remettre à sa place Fadela Amara. Devinez qui est resté dans le bateau ?

Un ministre…

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rama

Depuis plusieurs jours, Rama Yade fait l’objet de tirs nourris de la part de la plupart des chevau-(pas très)légers de la Sarkozie. Nadine Morano et Frédéric Lefebvre, avec leur finesse habituelle, avaient ouvert le feu. Il semble bien que François Fillon, dont le boulot semble bien de se débarrasser des importuns[1. Spéciale dédicace à Dame Christine Boutin.], leur ait emboîté le pas ce matin.

Rama Yade agace le président depuis plusieurs mois. Sa sortie lors de la venue du Guide libyen fin 2007, son refus de mener la liste francilienne aux élections européennes, ses déclarations en pleine affaire « Jean de l’EPAD » ont déplu, doux euphémisme, à Nicolas Sarkozy. Et, malgré le fait qu’elle soit dans le collimateur, alors qu’un vent de révolte souffle parmi sénateurs et députés, voilà la secrétaire d’Etat au sport qui se désolidarise de sa ministre de tutelle sur la suppression du droit collectif à l’image, niche fiscale permettant aux clubs professionnels de mieux rémunérer leur joueurs.

Sur ce dossier, Rama Yade a, à la fois, tort et raison. Tort parce qu’il est absolument indigne en cette période de crise que subsiste ce genre d’avantage. On aimerait d’ailleurs que le bouclier fiscal fasse l’objet de la même indignation. Raison parce qu’il ne faudra pas s’étonner que les championnats nationaux, et notamment celui de football, redeviennent encore moins attractifs qu’auparavant pour les meilleurs joueurs, nos clubs étant particulièrement désavantagés par rapport à l’Angleterre et l’Espagne. Que l’on sache, ce n’est pas Rama Yade qui s’est couchée à Biarritz l’an dernier lorsqu’il s’agissait de vendre à la Commission de Bruxelles un retour au quota de joueurs nationaux[2. Le fameux 6+5 cher à Joseph Blatter, président de la FIFA.] dans les équipes. C’est son prédécesseur Bernard Laporte et… Nicolas Sarkozy lui-même qui se faisait pourtant fort d’imposer une spécificité sportive et qui, disait-il, avait convaincu son collègue Gordon Brown. Devant l’idéologie de la concurrence libre et non faussée, tout ce joli monde a cédé et a renoncé à la seule solution qui permettrait un rééquilibre dans les championnats, quelle que soit la fiscalité des pays.

Depuis quelques jours, donc, les appels à la démission de Rama Yade n’ont pas porté leur fruit tant désiré. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », disait Jean-Pierre Chevènement, qui s’y connaît puisqu’il a quitté trois gouvernements[3. En 1983, sur le tournant de la rigueur, en 1991 à propos de la guerre en Irak puis en 2000 sur un projet portant atteinte à l’indivisibilité de la République. Admettons qu’à chaque fois, le panache ne manquait pas.]. Mais cette jurisprudence n’est plus de saison. D’abord, parce que les Chevènement ne courent plus les rues désormais. Ensuite, parce que la nature d’un gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy relève davantage aujourd’hui du casting, comme dirait Eric Zemmour. Dans ce schéma, ce n’est pas aux acteurs de démissionner, mais au metteur en scène de virer ceux qui ne lui conviennent plus. Enfin, Rama Yade est la personnalité du gouvernement la plus haute dans les sondages de popularité. Son intérêt n’est pas de démissionner, surtout sur un sujet aussi mineur qu’une niche fiscale pour sportifs pros, mais plutôt de se faire virer pour indiscipline, laquelle s’avère la composante essentielle de sa bonne image dans le pays.

A l’heure où j’écris ses lignes, on ne peut évidemment pas savoir qui gagnera le bras de fer. Si Rama Yade, finalement, ne résiste pas à la pression – et démissionne -, ou si Nicolas Sarkozy et François Fillon doivent se résoudre à en faire une martyre ou, pis encore, passer l’éponge. Cette dernière solution ne semble pas idéale pour calmer les ardeurs des parlementaires qui pourrissent actuellement la vie du gouvernement.