L’Afghanistan a exporté 14 tonnes de pommes vers l’Inde et le ministre de l’agriculture, Mohammad Asif Rahimi, fier comme un Artaban pachtoun, espère même atteindre le chiffre colossal de 400 tonnes pour la saison. C’est à ce genre d’admirables résultats que l’on comprend que le sacrifice de nos soldats et de ceux de l’Otan n’est pas vain. La pomme afghane, c’est tout un symbole, un peu comme celle du président Chirac pour sa campagne de 1995. Bon, les esprits chagrins rappelleront que l’Afghanistan est essentiellement contrôlé par les talibans qui sont en position de quasi-monopole pour l’exportation du pavot avec 8000 tonnes annuelles. Mais ne boudons pas notre plaisir : à nous les bonnes tartes tatin de Kandahar et le cidre de Kaboul ! Et le premier qui osera dire, comme Francis Blanche, dans la célèbre scène des Tontons Flingueurs, « T’auras beau dire, y a pas que de la pomme ! », celui-là sera privé de défonce… Euh, de dessert.
Marre du Prolétairement correct

Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : si ma mémoire est bonne, c’est à peu près en ces termes que Smerdiakov, dans Les Frères Karamazov, répond à Ivan, juste avant d’accomplir une sale, sale besogne : tuer cet affreux père Karamazov, dont l’assassin semble être aussi un fils, illégitime. Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : Dostoïevski, le Grand subtil, ne dit jamais, notez-le, que Smerdiakov est le criminel d’un père dont tous les enfants pourraient souhaiter la mort. Il le suggère, par cette petite phrase. C’est Ivan qui, à demi-mots, commandite le crime et Smerdiakov qui se charge de l’exécuter, fasciné qu’il est par un frère affichant l’aura de l’Idée.
Ce que Dostoïevski veut, entre autre, nous signifier, c’est que les passions les plus fortes sont celles de l’intellect, de l’Idée fixe. Ivan s’est engouffré dans sa théorie pré-révolutionnaire, il a quitté le terrain du réel et annonce à qui veut l’entendre que désormais, si on le veut bien, tout est permis. Près d’un demi-siècle plus tard, Georg Orwell reprendra à son compte le message dostoïevskien et soutiendra également que les régimes totalitaires sont les conséquences de psychoses intellectuelles et les dictateurs, des théoriciens.
Je vois d’ici la tête du lecteur : ai-je bien lu le titre ou le sous-titre de cet article ? Suis-je bien en train de lire une réponse, amicale, à un précédent article de Jérôme Leroy, consacré à une banale affaire de « trafic de toponymie », dans la bonne ville de Montreuil sous bois ? C’est sûr, Causeur a dû se tromper : confusion, aléa du copier-coller, enfin, je ne sais quoi…
Lecteur, rassure-toi, mon propos, j’y viens, j’y viens. « Dieu écrit droit par des lignes courbes », tu sais bien, toi qui comme Badiou a lu Claudel et l’épigraphe choisie par le poète pour habiller son Soulier de satin.
Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit, donc. Dans cette histoire de Montreuil, il n’y a pas mort d’homme – à part le pauvre Frachon, ma foi : il y a peut-être simplement, tout d’abord, que notre ami Jérôme Leroy, s’est glissé, – qu’il me pardonne, – dans la peau d’un Smerdiakov, écoutant le commanditaire d’une fausse information dont par la plume il s’est fait l’exécuteur. Quel homme d’esprit – quel communiste, de Montreuil ou d’ailleurs ? – a-t-il écouté, qui lui a glissé à l’oreille, sournoisement, qu’il pouvait y aller ? Va, cours, vole, à la défense de la mémoire prolétaire, bafouée à Montreuil ! Mais parfois, on le sait aussi, l’homme d’esprit on se le façonne, pour soi seul.
Le premier hic, donc, c’est que le plaisant commanditaire, s’il existe et si j’ose ainsi parler, a pris un malin plaisir à ce que Leroy soit la main littéraire d’une rumeur, infondée : non, non, il n’est pas vrai, camarade Jérôme, que le Maire de Montreuil, Dominique Voynet, ait pris la décision de rayer de la liste des noms de rues et places, le nom de Benoît Frachon. La place en question, cela fait des années qu’elle n’existe plus, enterrée, par les pelleteuses de l’ancien maire, dans un trou béant, qu’on peut venir voir.
Non, et non, il n’est pas vrai non plus que le supposé perfide maire montreuillois ait décidé d’ « amputer la mémoire ouvrière à coups de hachoir » : non seulement il y aura quoi qu’il arrive, une place Frachon à Montreuil, mais, comble de bonne volonté, l’équipe municipale est en voie de transformer l’actuel musée d’Histoire vivante de cette bonne ville en une « Cité nationale du mouvement ouvrier ». Avouer que comme amputation, on a fait mieux, – ou pire, c’est à voir !
Mais je me rends compte, soudain, que beaucoup de nos lecteurs ne sont sans doute pas montreuillois, contrairement à moi, qui fréquente ses sous-bois depuis une quinzaine d’années. À défaut d’un dessin, je m’en vais donc leur faire une petite visite touristique des lieux du trafic patronymique supposé, du carnage local, avec pour objectif d’expliquer à nos causeurs comment on en est arrivé à cette rumeur d’une profanation fâcheuse. Suivez le guide.
L’actuelle place Frachon, celle donc qui – ô horreur – va être rebaptisée, le nom de Frachon s’en trouvant alors fâcheusement déplacé, je vous demande de l’imaginer, voyageurs de la Toile, fait partie d’une vaste esplanade, située face à la mairie des lieux. Vaste esplanade disais-je, divisée en trois places édifiantes. De l’une d’elles, ceux qui ont suivi connaissent déjà le nom ; quant aux deux autres places, elles ont pour noms jolis et bien réglementaires Jaurès et Guernica.
Mais, – Lénine m’empale ! – pourquoi diable ce projet soudain de débaptiser à tour de bras ? Il n’est pas bien, Frachon, à sa place ? Ce qu’il me faut ajouter, pour compléter le tableau, c’est que ce vaste ensemble municipal est au cœur d’un projet de rénovation urbaine, entamé, pour ceux qui s’en souviennent, par l’ancien édile des lieux, Jean-Pierre Brard. Le nom de ce projet, du temps de notre communiste élu, qui n’était pas gris, je le concède, qui arborait même souvent des costumes jaunes, un peu ridicules ? Cœur de ville, justement. Cœur de ville, c’est joli, n’est-ce pas ? Autant dire que les élus communistes n’ont pas attendu Voynet pour faire dans la Novlangue consensuelle, le moderne lissage. Cœur de ville, répétez après moi, la bouche en cul de poule, mais fleurie. Au lieu de cela, Dominique Voynet et son équipe, préfèrent revenir en arrière et parler, pour nommer cette place rouge centrale, ce trou encore béant, de …centre-ville. C’est d’un banal…
Je résume, pour ceux qui n’écoutent pas. Loin de « se faire l’allié objectif de la droite libérale », l’équipe Voynet, si je compte bien : 1. conservera, pour une de ses places, le nom de Frachon ; 2. transformera un vieillot musée à l’agonie en « Cité nationale du mouvement ouvrier » ; 3. conservera encore, pour deux des places situées en « cœur de ville » des patronymes fleurant bon le communisme conforme. Quant à la troisième place, il n’est pas certain du tout, contrairement à ce que prétend le camarade Leroy, qu’elle soit rebaptisée place Aimé Césaire. Dans l’entourage du maire, on me souffle que le nom du poète martiniquais circule, parmi d’autres, et de ce remue-méninges, rien encore n’est encore définitivement sorti.
A ce propos, si je voulais faire le malin – ce dont Staline ou ses suppôts me gardent – et puisque rien n’est définitif, chère Dominique, je te soufflerais volontiers quelques noms, pour renommer l’actuel trou à pelleteuse qui portait jadis le nom de Benoît Frachon. Et ils ne seraient pas consensuels, ceux-là, crois-moi. Tiens, tu pourrais par exemple, ce fichu terre-plein central, le nommer… Mais mon épouse me chatouille et me supplie déjà, s’il te pôlait, dit-elle, en imitant la mère Deume, arrête, arrête, mon chéri, tu te fais du mal, et tu vas encore passer pour un vieux réac !
Je passe donc, par amour pour ma moitié. Mais je n’en pense pas moins. Et qu’on se le dise, s’il ne tenait qu’à moi, on sabrerait dans l’annuaire municipal ; pire, on nettoierait ce prolétairement correct, obligatoire, dans toutes les villes de la petite couronne parisienne : prolétairement correct qui fait que, si de ces villes on consulte simplement la liste des rues, on éprouve la sensation inquiétante de lire dix fois le même annuaire municipal, résultat de la folie mégalomane d’un totalitaire magna : Jaurès, Gambetta, Frachon, j’en passe : qu’on soit à Pantin, Saint-Denis, Montreuil, toujours les mêmes rues, les mêmes places ! Et pour les noms cités, encore ça va ; mais nos causeurs savent bien que, dans chacune des villes nommées, on trouve par exemple une avenue, que sais-je, un boulevard Lénine. Tiens, tout près de chez moi, Vladimir Ilitch a droit à un square. Si encore, il s’agissait d’une impasse… Passons.
Je sais bien, je m’égare, comme vous vous égarâtes, camarade Jérôme, et fûtes mal inspiré, dans votre article récent, en laissant entendre, encore, que Dominique Voynet choisit Montreuil par stratégie politique. Apprenez qu’elle s’est installée dans notre bonne ville il y a de cela quelques années déjà, quatre ou cinq ans au moins, avant de présenter sa candidature. Or, vous laissez entendre qu’elle fut comme parachutée, selon l’expression consacrée. Autre chose encore : j’en ai un peu ras la casquette, et j’en perds alors ma langue, je dois dire, qu’on moque les bobos, à Montreuil ou ailleurs. De ces bobos, je ne crois pas faire partie ; mais si par bobos, au sens large, on désigne tous ces couples, toutes ces familles qui, bien qu’ayant les moyens de s’installer ailleurs, ont néanmoins choisi de vivre à Montreuil, pour vivre dans une ville où règne un minimum de mixité sociale, – c’est comme ça qu’on dit ? -, alors, je veux bien passer pour un bobo. Car, que voudrait-on, enfin, que Montreuil, et toutes les cités modestes de la petite couronne ne soient habitées que par des familles à faible revenu social ? Voudrait-on qu’elles soient réservées à des Français pour qui le vote communiste serait obligatoire ? Ce qu’on voudrait donc, et pour aller vite, c’est que les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches, avec les riches ? Dois-je déménager, cher Jérôme, à Vincennes, la voisine, la mignonne ? Par pitié, que ceux qui vivent bien à l’abri dans une résidence cossue, située dans leur ville jolie, ne viennent pas, en plus, nous faire la leçon, à nous qui avons choisi de vivre – ô disgrâce ! – et qui nous en portons bien, ma foi, dans des communes modestes, à côté des chômeurs, des pauvres, – pardon, des personnes à revenus réduits, doux euphémisme, lissage joli -, des étrangers, que sais-je, des…communistes !
Et puis, je termine : n’y a-t-il pas quelque chose de cocasse, cher Jérôme, à venir reprocher à des élus verts de débaptiser des noms de places, quand on sait que cette auguste tradition, nous la devons principalement à des communistes, justement ? Falsifier le passé, ils s’y connaissent, non ? Et si on les laissait faire, ils continueraient, eux, bien moins timides que nos élus verts, à débaptiser et rebaptiser à tour de bras, toutes les rues, les places, les villes même, qui évoquent par exemple, le nom de saints ?
Mais, camarade Jérôme, que dites-vous encore ? Que « les Verts qui se veulent la gauche ouverte et moderne de demain ont décidé d’en finir avec un mauvais rêve qui est celui de l’hypothèse communiste et de sa mémoire. Ils mettront, à les détruire, autant d’acharnement que la droite la plus libérale. » Rassurez-vous, l’hypothèse communiste, la grande Histoire s’est chargée elle-même de lui faire un sort ; et pour ce qui est de se détruire, les communistes s’en chargent bien tout seuls, comme des grands : c’est pas joli joli, d’accuser les Verts, ma foi. Voyez-vous, camarade, moi je crois plutôt, comme Gatignon, le maire communiste de Sevran, que « depuis trente ans, la direction du PCF a mis tous ses dissidents dans un ghetto intellectuel et l’extrême gauche s’est enfermée dans la pureté révolutionnaire ». Et d’ajouter : « Nous n’avons jamais travaillé sur ce qu’a représenté pour nous l’écroulement du monde soviétique »[1. « Le maire communiste de Sevran sous la bannière d’Europe Ecologie », Le Monde, 09/11/2009]. Voilà, pas besoin de verts boucs émissaires, c’est par là qu’il faut chercher des raisons à la déroute électorale. Du côté de la psychose intellectuelle, dirait Orwell.
Mais je vous vois sourire, cher Jérôme, avouez-le. Preuve que j’ai vu un peu juste. Preuve, s’il en fallait une, qu’il y a plaisir à causer avec un homme d’esprit, va.
Encore une minute, monsieur le bourreau
John Allen Muhamad, ancien soldat de l’armée américaine et tireur d’élite, a été exécuté hier à 2h11 GMT par injection mortelle dans le pénitencier de Greenville, en Virginie (USA). Il avait participé à la guerre du Golfe en 1991, le premier conflit post-guerre froide et la première ratonnade pétrolière assistée par ordinateur. En 2002, John Allen Muhamad, avait tué une dizaine de personnes au hasard en une semaine, terrorisant la capitale fédérale et gagnant le surnom de « sniper de Washington ». Il promettait d’arrêter le massacre par lettres anonymes en échange d’une rançon de plusieurs millions de dollars. On félicitera la rigueur des autorités de Virginie qui, pour mettre à mort ce tireur fou, ont attendu que celui-ci puisse assister aux fêtes célébrant la chute du Mur de Berlin et se rendre compte ainsi quel monde de paix et d’harmonie, il allait laisser derrière lui. Le bourreau assure, contrairement à ce que laisseraient entendre de mauvaises langues, que le dernier soupir de John Allen Muhamad n’était pas un soupir de soulagement.
Polanski, Finkielkraut et l’internet

Depuis que le « scandale » Polanski a été détrôné par d’autres scandales, il est désolant de constater que l’affaire, momentanément enterrée, a fini par graver dans le marbre des informations fallacieuses qui s’amplifient sur le net, et obligent à rappeler quelques vérités de base.
Oui, tolérer le viol d’une jeune fille sous prétexte qu’elle fait des photos déshabillée est bien sûr inadmissible. Et excuser le viol d’une jeune fille sous prétexte que le violeur serait un grand cinéaste est plus inique encore. La plupart des Français ont (ré-)entendu parler de l’affaire Polanski après de son arrestation en Suisse comme l’histoire d’un homme qui a fui la justice après avoir commis un viol sur une jeune fille de 13 ans. Face à ces accusations inexactes, les Français ont trouvé bien faibles les arguments de la défense, évoquant un droit de prescription (qui n’existe pas aux Etats Unis) et la partialité du juge de Californie (qui a renié sa parole, faute pour laquelle l’affaire lui a été retirée). Et cette défense est passée comme une argutie juridique masquant la terrible réalité.
Le tollé est devenu si considérable que la seule interrogation des faits passe aujourd’hui pour une justification du viol et de la pédophilie. Or, si ce sont les faits qui comptent, rappelons que la Cour de Californie a jugé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre Roman Polanski pour viol, mais pour unlawful sexual intercourse (relation sexuelle illicite). Donc, les faits sont les faits et les mots ont un sens: le détournement de mineur n’est pas un viol. On peut bien sûr estimer que le consentement d’une jeune fille n’a aucune valeur dès lors qu’elle n’a pas atteint sa majorité sexuelle (décrétée aujourd’hui à 15 ans, hier à 18 ans, avant-hier à 21 ans). On peut aussi penser que Polanski a néanmoins commis une faute morale et que, sans employer la force, il a abusé de sa notoriété et son aura. Mais il est en revanche scandaleux que dans cette affaire de « détournement de mineur » ou « d’abus de pouvoir », l’accusé continue d’être présenté comme coupable de « viol », comme l’a affirmé Daniel Cohn-Bendit, et comme ne cesse de le répéter la foule des internautes — scandalisés qu’on puisse laisser ce « viol de pédophile » impuni.
Ajoutons que l’affaire Polanski n’a rien à voir avec la pédophilie, puisque celle-ci, tous les juristes le savent, ne concerne que les enfants, c’est-à-dire les mineurs pré-pubères. Mais son sens est suffisamment flou (puisqu’il est passé de « avoir du désir pour les enfants » à « avoir des relations sexuelles avec eux ») et les crimes si odieux (depuis l’affaire Dutroux) que la Calomnie en fait aisément son miel. Ne s’intéressant pas aux faits, elle préfère ourdir des procès d’intention sur des citations fallacieuses, dont Alain Finkielkraut a été récemment l’étonnante victime. Répondant à l’accusation de pédophilie contre Polanski, il a précisé au micro de France Inter que la plaignante « n’était pas une enfant au moment des faits. C’était une adolescente qui posait dénudée pour Vogue Hommes qui n’est pas un journal pédophile.» Répondant à l’accusation de viol, il a rappelé que «Polanski a toujours nié le viol, ne nous exemptons pas de notre devoir de réserve». Voilà qui suffisait pour que, dans son éditorial du journal Elle[1. Hector Obalk collabore régulièrement à Elle.] du 23 octobre 2009, intitulé « déni de viol », Marie-Françoise Colombani réécrive le texte ainsi: «Pas question de parler de viol pour Monsieur Finkielkraut puisque « la jeune fille avait déjà eu des relations sexuelles » (sic) et qu’elle « posait dénudée dans les journaux » (re-sic) » — les « sic » indignés et grotesques sont de l’éditorialiste. Voilà comment avec deux citations exactes et un « puisque », on fait passer n’importe qui pour un défenseur du viol… Afin que nul n’en doute, dois-je préciser : je m’appelle Hector Obalk et je suis contre le viol, que rien ne saurait justifier. Sic.
Droit dans le Mur
Après les mille conjectures, témoignages, invectives, photomontages et autres figures obligées ayant souillé la commémoration de la fin inopinée de la frontière minérale de Berlin, quelques mises au point s’imposent. Premièrement la plupart des éléments du Facebook présidentiel sont aisément vérifiables. Par exemple, il est indubitable qu’il était bien maire de Neuilly et responsable du RPR lors de la chute du Mur. Voilà qui devrait mettre fin à une polémique indigne, d’autant plus qu’il n’est pas exclu qu’Angela Merkel, dont nul n’osera nier la présence à Berlin en ce jour fondateur, rédige, à l’issue des cérémonies parisiennes du 11 novembre, une attestation écrite comme quoi elle a bien vu notre futur président manier le marteau-piqueur à Check Point Charlie le neuf novembre 1989. Rideau ! (de fer, faut-il le dire ?)
Les palinodies d’Attali
Jacques Attali est un homme constamment en colère. La semaine dernière, il morigénait un journaliste de Haaretz qui voulait le faire parler de l’antisémitisme en France, inexistant à son avis. Lundi 9 novembre, il monte sur ses grands chevaux pour fustiger son ex-collègue élyséen Jean Louis Bianco qui l’accuse d’avoir été réticent devant la réunification allemade en raison de ses origines juives. « C’est bien évidemment de l’antisémitisme », fulmine Attali. Faudrait savoir.
Voynet vomit

C’était hier soir, sur France 2. Yves Calvi avait eu la bonne idée d’inviter Dominique Voynet à son émission « Mots Croisés ». Le sénateur et maire de Montreuil[1. Désolé, mais sénatrice n’est admise par l’Académie française que par la femme d’un sénateur polonais ou suédois. Eric Besson veille. Faudrait pas charrier quand même.] fut le temps d’une saison l’égérie des Verts français. C’était au siècle dernier, ce siècle maudit où Cécile Duflot n’existait pas encore et où il était permis à une ministresse de l’Ecologie de déclarer que « le naufrage de l’Erika n’était pas la catastrophe du siècle ». Bref, un siècle loué entre tous où les marées noires invitaient le passant aussi écologiste fût-il à circuler, puisqu’il n’y a jamais rien à voir.
Donc, Dominique Voynet était l’invitée d’Yves Calvi. Et comme Yves Calvi, qui est l’un des meilleurs journalistes français, n’est pas méchant garçon, il a convié à son émission l’un et l’autre commensal pour passer le sénateur-maire de Montreuil sur le gril d’une toute petite chose sans importance qu’on appelle la liberté de la presse. Comme Yves Calvi n’est pas méchant garçon, mais un garçon tout de même, il avait invité Yvan Rioufol et Elisabeth Lévy à débattre avec le sénateur-maire de Montreuil.
Bon, Yvan Rioufol, c’est pas pour cancaner, mais il n’y a plus rien à faire pour lui : le paradis écologique, celui où Yann Arthus-Bertrand vient éliminer chérubins et séraphins à coups de pale d’hélicoptère (Le Ciel vu du Ciel), lui est définitivement interdit. Il est journaliste au Figaro. Quant à Elisabeth Lévy, elle qui n’a jamais déforesté l’Amazonie pour imprimer un quotidien vespéral (il n’est même pas dit qu’elle soit d’une exemplaire assiduité aux vêpres, fussent-elles siciliennes), elle ne présentait a priori aucun dangereux antécédent pour subir l’avoinée de Voynet.
Pourtant, lorsque Elisabeth Lévy osa la référence à l’article que Jérôme Leroy avait publié le jour-même sur Benoît Frachon, Dominique Voynet sortit (j’hésite, mais je mettrais bien « sorta », histoire de féminiser un peu le propos) de ses gonds. Pour celles et ceusses qui n’ont pas le temps de lire, Jérôme Leroy évoquait dans son papier la décision de Mme Voynet de débaptiser la place de Montreuil qui portait le nom du leader historique de la CGT, Benoît Frachon, pour lui donner le nom d’Aimé Césaire. Mémoire contre mémoire : ça se discute.
Eh bien, non. Mme Voynet ne discute pas. Mme Voynet ne veut pas discuter. Mme Voynet n’aime pas la discussion. Vous savez, la discussion, ça lui donne envie de vomir. Et d’étendre son propos en proclamant en guise de seul argument : « Le site causeur.fr est à vomir. »
Nous vous faisons vomir ? Madame le sénateur, je vais vous apprendre deux ou trois choses que vous semblez ignorer et qui sont, peut-être, à l’origine de tous les échecs politiques de votre vie.
La première, c’est qu’en politique, même empreint de contrariété, on ne vomit pas. Spinoza (polisseur de lentilles à Amsterdam, même pas fumeur de Marie-Jeanne et, pourtant, un tantinet philosophe à ses heures) écrivait que l’ordre politique substituait à l’ennemi, celui qu’il s’agit de faire passer au fil de son épée, l’adversaire, celui qu’il s’agit de contrer par des arguments raisonnés.
Et la politique, depuis son invention par des Grecs qui n’éprouvaient même pas le besoin de se pacser pour être ce qu’ils étaient, c’est cela : la substitution du dialogue au meurtre. En employant le terme « vomir » pour disqualifier ceux avec lesquels vous êtes en désaccord, vous niez jusqu’à la possibilité-même d’échanger des arguments et vous placez dans le champ organique.
Mon dictionnaire, Madame, qui ne me fait jamais défaut, m’apprend que vomir consiste à « rejeter par la bouche, spasmodiquement, des matières contenues dans l’estomac ». Vos spasmes ne sont pas les arguments propres à l’ordre juridico-politique, mais les borborygmes inarticulés dont Rousseau parle au début de son Essai sur l’origine des langues.
La politique, pour vous résumer les vingt derniers siècles qui vous ont précédée et qui lentement ont doté l’homme d’un esprit, cela consiste à ar-ti-cu-ler la pensée, c’est-à-dire à exposer ses arguments, à faire suffisamment confiance à la raison pour que celle-ci ne soit pas engloutie sous les vagues naturelles du vomi. Ce que l’on appelle même l’Humanité – avec un grand H, eh oui, comme le journal –, cela consiste à user de sa glotte pour prononcer des sons audibles et réfréner les matières contenues dans l’estomac. Libres aventures de la raison humaine qui auront eu raison de la barbarie émétique pour asseoir l’homme autour d’une table et le faire dialoguer avec ses semblables. Convenablement, sans vomir.
Je vous prends au mot, Madame, puisque le mot « vomir » vous l’avez prononcé. Votre politique n’est plus aujourd’hui une conversation, mais un jet de matières contenues dans votre estomac. De quoi se composera-t-elle demain ? De déjections ou d’excréments ? Peut-être de merde ! Prenez garde : Céline vous a déjà à l’oeil. Et l’Aragon du Traité du Style ne serait pas loin de vous si, précisément, du style vous en aviez. Elevez-vous un peu. Arrêtez de renifler l’odeur si agréable des merguez – j’aime aussi, quand j’ai faim – et plongez-vous dans le Neveu de Rameau, de Diderot : vous vous apercevrez que votre vomissure est le stade ultime du nihilisme.
Il n’y a pas de nourritures spirituelles, dites-vous. Il faut que ça vomisse ou que ça sente la merguez. Nous ne le croyons pas ici, à Causeur. Nous sommes comme les vieux popes orthodoxes de la Sainte Montagne, qui professent que les mots valent quelque chose et peuvent soutenir le monde. A défaut de le sauver.
Madame, je vous le dis comme je le pense : vous êtes une nihiliste. Vous ne vous contentez pas de nier qu’il puisse y avoir, pour faire une société politique, un échange d’arguments, vous les régurgitez, les conchiez de la bouche, les vomissez. Vous ne croyez pas que l’homme soit un être doué de parole ou de raison, quand il est, pour vous, seulement doué de vomi.
Vomir, Madame, quand on n’est pas d’accord, ça ne se fait pas en politique. Ça ne se fait pas en démocratie. Ça ne se fait pas, tout court, en société. Vous a-t-on appris les bonnes manières ?
Auriez-vous pris, d’ailleurs, un peu plus de temps que vous vous seriez aperçue qu’il y a de tout sur Causeur. Surtout des gens qui ne sont pas d’accord entre eux : staliniens, trotsko, socialistes, centristes, gaullistes, polanskistes, hétérotes de gauche, pédettes de droite, libéraux du milieu, ultragauchistes de droite, ultradroitistes de gauche qui fraternisent sur le forum et vous bousillent le moindre caténaire qui passe à leur portée. Rien que de la contradiction. Des athées et des cathos ; on me signale même un juif au fond de la salle, j’ai de la peine à y croire : pas ça, pas nous !
Mais personne ici ne se vomit les uns les autres, parce que chacun croit que rien n’importe plus, en douce France, que le désaccord et l’échange passionné d’arguments. La castagne républicaine : voilà ce que nous préférons à toute démocratie participative. Le champ des idées plutôt que les champs de Beauce ou de Brie, où vos bobos de Montreuil viennent couper l’OGM en familles monoparentales entières, parce qu’ils n’ont jamais appris et ne connaîtront jamais le geste auguste du faucheur.
Mais que diable prendre le temps de vous écrire ! Vous ne pouvez pas comprendre. Vous vous en foutez, puisque vous êtes occupée, de tout votre être, à vomir. Vous nous vomissez, dites-vous. Soyez en sûre alors, votre vomi, plus belle flétrissure apportée ces dernières années à l’idée-même de débat contradictoire, je me le mets là où je le peux, avec orgueil, ostentation, comme le ferait un vertueux adolescent d’un accroche-coeur.
Rachel, la couronne et le bourre-pif
Rachel Christie n’a aucun rapport de famille avec la célèbre reine du crime Agatha. Néanmoins, elle aussi aurait pu devenir célèbre. Belle comme un cœur, elle a été élue Miss Angleterre 2009 et, par la même occasion, a été la première black à remporter ce titre. Seulement voilà, il semblerait que la belle, par ailleurs nièce de Lindford Christie, le champion du 100 m, ait aussi la tête près de la couronne : dans un bar de Manchester, elle se serait battue contre une fille de 24 ans qui a porté plainte. Rachel, devant le scandale, a décidé de se retirer de la compétition pour l’élection de Miss Monde et de préparer les JO de Londres en 2012, où elle est sélectionnée pour l’épreuve d’heptathlon. Ecoute, Rachel, ne pleure pas : de toute manière, Miss Monde, c’est toujours une Vénézuélienne qui gagne à la fin et puis tu sais, à mon avis, une belle fille athlétique qui picole sec et se bastonne dans les bars, ça ne reste jamais longtemps toute seule. D’ailleurs, j’autorise la rédaction de Causeur à te communiquer mes coordonnées. See you soon, Rachel.
Réunification allemande

La furie commémoratrice s’est déployée sans retenue dans les médias et l’édition à l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, au risque de provoquer dans le public une sensation de gavage. Cette surenchère médiatique part cependant d’un bon sentiment : comme il ne fait pas de doute que le 9 novembre 1989 marque symboliquement l’écroulement des régimes communistes en Europe et l’ouverture d’une nouvelle séquence historique, on doit faire le nécessaire pour marquer le coup.
Mais l’histoire ne se confond pas avec la mémoire, et cette dernière varie selon les peuples. Ainsi les Polonais éprouvent quelque frustration en constatant que l’on crédite leurs voisins allemands d’avoir infligé la blessure décisive au communisme soviétique, alors qu’ils peuvent faire valoir, à juste titre, qu’ils furent les premiers à avoir chassé le PC du pouvoir par des élections libres en avril 1989.
La mémoire populaire française de cet événement est celle de spectateurs et non pas d’acteurs de ce bouleversement historique. On avait bien conscience que la chute du mur allait tout changer en Europe, mais cela ne nous concernait, en tant que Français, qu’indirectement. A l’empathie spontanée ressentie pour des voisins qui se retrouvent rassemblés après des décennies de séparation succède une inquiétude relative aux conséquences d’une modification radicale de l’équilibre européen. L’Allemagne verrait sa puissance économique confortée par une prédominance démographique, avec 80 millions d’habitants alors que ses principaux partenaires au sein de l’Union européenne en comptaient entre 50 et 60 millions.
La suite a montré que ces craintes étaient pour le moins exagérées : l’intégration de la RDA au sein de la République Fédérale a plutôt été, dans un premier temps, un poids pour une Allemagne qui devait donner à ses nouveaux citoyens de l’Est un niveau de vie comparable à celui de ceux de l’Ouest.
Cette commémoration a fait ressurgir en France une polémique sur l’attitude de François Mitterrand dans la période cruciale qui va du 9 novembre 1989 jusqu’au 3 octobre 1990, date à laquelle fut solennellement proclamée, à Berlin, la réunification de l’Allemagne.
Pour les uns, il serait passé à côté de l’histoire en se montrant réticent, sinon plus, devant la perspective de la réunification allemande. Pour les autres, au contraire, son comportement pendant cette période a permis de faire en sorte qu’elle se réalise dans les meilleures conditions possibles pour l’avenir de l’Europe.
Il se trouve que j’ai été un observateur salarié de tous ces événements, comme correspondant du Monde en Allemagne entre 1987 et 1991. Cela m’autorise à formuler un jugement fondé non pas sur la mise en exergue d’un ou deux « malentendus » entre Mitterrand et Kohl entre novembre 1989 et janvier 1990, mais sur l’analyse d’une séquence un peu plus longue, qui commence par la visite d’Erich Honecker en RFA en novembre 1987 pour aboutir à ce fameux 9 novembre 1989.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1982, le chrétien-démocrate Helmut Kohl s’est bien gardé de remettre en cause l’Ostpolitik de ses prédécesseurs sociaux-démocrates Willy Brandt et Helmut Schmidt : celle-ci consiste à nouer des liens économiques et culturels toujours plus étroits avec les pays de l’Est en général, et la RDA en particulier. C’est la théorie du Wandel durch Annäherung (le changement par le rapprochement) qui doit amener pas à pas les deux blocs à mettre fin à la guerre froide.
L’analyse qui prévaut à Bonn à la fin des années 80 est la suivante : l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à Moscou va provoquer une mutation interne radicale en URSS. On part du principe que le communisme ne va pas s’écrouler, mais qu’il aura la capacité de se réformer suffisamment pour se régénérer en se démocratisant de l’intérieur. Dans ce contexte, la RDA, que l’on crédite toujours de performances économiques supérieures à celles des autres pays communistes, devrait suivre le mouvement impulsé par Moscou, et se mettre au diapason d’une libéralisation politique et économique qui favorisera le rapprochement entre les deux Allemagnes.
Cette analyse est « vendue » par Bonn à tous ses partenaires, avec en prime l’affirmation que le régime de Berlin-Est est stable, en dépit des quelques mouvements dissidents qui se sont manifesté autours des églises protestantes de Berlin ou de Leipzig. On fait valoir que même ces petits groupes d’opposants ne demandent pas la disparition de la RDA, mais sa démocratisation.
Le BND, le service ouest-allemand de renseignements dispose bien d’enquêtes montrant que 75% des Allemands de l’Est interrogés lors d’un voyage en RFA étaient favorables à la réunification (ces voyages s’étaient multipliés après les accords Brandt-Honecker de 1971), mais ces informations ne sont pas divulguées aux partenaires occidentaux de l’Allemagne « pour ne pas les inquiéter » avoue aujourd’hui Hans Georg Wieck, le patron du BND de l’époque. Après la visite d’Erich Honecker à Bonn, le secrétaire général de la CDU, Heiner Geissler, évoque même l’idée d’une reconnaissance réciproque de la RDA et de la RFA comme états souverains.
Comme toujours, le réel refuse de se soumettre aux théories, mêmes les plus subtiles élaborées par les esprits les plus brillants. Celle des petits pas imaginée par les dirigeants ouest-allemands fut balayée en l’espace de quinze jours, entre le 9 novembre 1989 et la mi-décembre, où les manifestants de Leipzig, de Dresde et de Berlin-est sont passés du slogan « Wir sind das Volk ! » (nous sommes le peuple) « Wir sind ein Volk »(nous sommes un peuple).
Kohl comprend alors que le mouvement vers l’unification est irrépressible, soutenu dans cette idée par Willy Brandt, qui s’oppose en cela à Oskar Lafontaine, le chef du SPD.
Le 28 novembre 1989, sans en aviser Paris ni Londres, Kohl présente au Bundestag un plan en dix points qui prévoit la constitution, à brève échéance d’une » confédération » entre la RFA et la RDA, euphémisme pour annoncer une prochaine réunification.
George Bush père, bien briefé par l’ambassadeur américain à Bonn Vernon Walters[1. Vernon Walters, ancien sous-directeur de la CIA, est tout de suite persuadé que la réunification est inéluctable.] donne son feu vert, à la grande fureur de Margaret Thatcher qui sera jusqu’au bout les deux pieds sur le frein de la réunification allemande. François Mitterrand, comme vont le révéler les archives du quai d’Orsay bientôt déclassifiées sur cette période, ne saute pas de joie devant cette accélération de l’histoire. Il préférerait en ralentir le rythme pour pouvoir influer sur son cours. Il est obsédé par la crainte de voir l’Allemagne réunifiée remettre en cause les frontières établies en 1945 (celles ci n’ont jamais été avalisées officiellement par la RFA). Kohl, au fond, n’est pas mécontent de ces réticences : cela lui permet de faire valoir auprès de la droite de son parti, celle qui réclame le retour à la mère patrie des territoires cédés à la Pologne, que sans une renonciation à ces prétentions, jamais les alliés de l’Allemagne ne consentiraient à l’unification du pays.
François Mitterrand n’a pas fait, comme certains l’y incitaient, le grand discours où il aurait donné sa bénédiction enthousiaste à l’unité allemande. Cette affaire, au fond, ne lui disait rien qui vaille, mais son réalisme lui dictait de ne pas s’opposer frontalement à une évolution qu’il n’était pas en mesure d’empêcher. Cela n’empêcha pas Helmut Kohl de verser une larme bien réelle lors des obsèques de Tonton à Notre-Dame de Paris.
Le crucifix aux orties

Le crucifix dans les salles de classe : perturbant émotionnellement pour les enfants des minorités religieuses ou non-croyantes. C’est le jugement implacable de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans une affaire qui oppose l’Etat italien à l’une de ses ressortissantes d’origine finlandaise. Celle-ci estime que son droit à « une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques » pour ses enfants est remis en cause par la présence de crucifix dans les salles de classe. Elle insiste en outre sur la discrimination entre les religions que cette présence instaurerait. La Cour lui a donné raison sur tous ces points, condamnant même l’Italie à verser à la plaignante 5000 euros pour « dommage moral ». L’Italie a fait appel.
Perturbation émotionnelle des enfants, violation du libre-choix et discrimination : tel l’antique bouc émissaire en route pour Azazel, voilà le crucifix chargé de tous les crimes de la communauté par cette parfaite incarnation de la morale contemporaine qu’est la CEDH. Mais après tout, n’est-ce pas le sens même du succès planétaire du crucifix – celui qu’on y cloue prend sur lui les fautes de tous ? « Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde. » C’est merveille de constater comme les rites les plus laïcs savent parfois réinterpréter pour notre profit à tous les cultes les plus archaïques. Une fois la Croix chargée de tous les péchés, qui pourrait contester le jugement de la CEDH ?
Le gouvernement italien a essayé. Il a expliqué que l’enseignement était bien sûr laïc en Italie et qu’il n’y était pas question pour les profs d’évangéliser en classe. Il précisa encore que dans cette affaire nul ne défendait une antique croyance religieuse, mais bien la culture et des valeurs démocratiques les plus contemporaines qui, selon son défenseur, plongent leurs racines « dans un passé plus lointain, celui du message évangélique. Le message de la croix serait donc un message humaniste, pouvant être lu de manière indépendante de sa dimension religieuse, constitué d’un ensemble de principes et de valeurs formant la base de nos démocraties ». Bref, l’Italie n’hésita pas à mettre en avant d’hypothétiques racines chrétiennes du Bien contemporain ralliant ainsi la religion catholique à la bandiera rosa de la tolérance et du bien-être des petits enfants. Pour justifier la persistance d’une tradition séculaire il faut obligatoirement mobiliser les valeurs les plus au goût du jour. Rien n’y fit. C’est en vain que nos amis transalpins tentèrent de noyer le poisson christique dans la vague de l’intransigeant tolérantisme contemporain.
N’est pas admis dans le nouveau Saint des Saints qui veut, à commencer par l’ancien: exit donc le crucifix qui perturbe émotionnellement les enfants, comme il perturbait autrefois les vampires. Il faut dire qu’avec la mode du gothique chez les moins de seize ans, les premiers ressemblent aujourd’hui parfois aux seconds. Ceci expliquant peut-être cela.
Mais trêve de plaisanterie et revenons à nos brebis égarées.
La Cour rappelle aussi complaisamment que la loi qui prévoit l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe italiennes date du concordat de 1929, c’est-à-dire de la période fasciste. Belle reductio ad benitum. Ce que Benito a voulu ne peut être bon. Dans ces conditions, on aura toujours raison de s’opposer au crucifix. La Résistance, même à une loi qui a presque l’âge de ma grand-mère, est à jamais d’actualité, surtout en ces périodes sarko-berlusconiennes.
Le problème c’est que cette origine mussolinienne du crucifix dans les salles de classe est elle-même contestée. Le Conseil d’Etat italien notait en 2006, dans le cadre de cette affaire, que « la prescription des crucifix dans les salles de classes » datait non pas du concordat de 1929 mais de la loi Casati, adoptée par un Etat [le Royaume de Sardaigne] qui nourrissait bien peu de sympathie pour l’Eglise catholique », loi qui fut ensuite étendue à toute l’Italie après l’unification. Mais ne pinaillons pas : la cause des enfants, qui est celle de tous les Résistants, mérite bien quelques libertés avec l’exactitude historique.
Le plus rassurant est que la décision de la Cour énerve les Italiens. Il existe aujourd’hui dans ce pays un quasi-consensus sur l’apport culturel du christianisme à la modernité italienne (la filiation est plus embarrassante pour le christianisme que pour l’Italie berlusconienne). De quel droit un Tribunal situé à l’étranger s’immisce-t-il dans ce consensus ? La merveilleuse Europe serait-elle cette abstraction idéologico-technocratique qui affirme tranquillement qu’un pays perturbe ses enfants parce qu’un bout de bois est accroché au mur de ses salles de classes ?
Le secrétaire d’Etat du Vatican, Tarcisio Bertone, bête noire des « catholiques progressistes » et qui a ce titre ne peut pas être tout à fait mauvais – et ce malgré son attachement à un objet aussi perturbant pour les enfants que le crucifix – a fait de cette décision un commentaire plaisant: « l’Europe du troisième millénaire nous laisse avec les seules citrouilles des fêtes récemment célébrées et a éliminé nos symboles les plus chers ». En tant que catholique, je ne peux que trouver intéressant un monde dans lequel les prélats de l’Eglise catholique en arrivent à stigmatiser sur un ton badin la bêtise officielle. En tenant bien sûr compte du fait que personne ne songe aujourd’hui en Europe à reprendre les persécutions antichrétiennes du début de l’Empire romain, je me prends à penser qu’il va faire bon être catholique dans les années qui viennent. Nous autres catholiques allons enfin goûter au confort de la position minoritaire : la religion d’Etat qui s’impose aujourd’hui en Europe, en rejetant le catholicisme dans les ténèbres extérieures de ce qui « perturbe les enfants » rend un fier service à ceux qui, appartenant encore bêtement à l’ex-majorité catholico-franco-franchouillarde des Français, n’ont jamais eu l’occasion de prendre la pose du maudit ou du proscrit. Grâce à la CEDH, cette discrimination insupportable est sur le point d’être abolie. Il suffira bientôt d’aller à la messe le dimanche pour pouvoir candidater comme tout le monde au statut de minorité opprimée : merci l’Europe !
Un monde intéressant certes, mais aussi un peu effrayant. Mon fils fréquente aujourd’hui l’école publique. Avant les vacances scolaires, il a activement préparé Halloween. C’était très drôle tous ces monstres et citrouilles que l’on dessinait et affichait au mur que nul crucifix n’entachait. Et c’est tant mieux, nous sommes en France, et il n’y aucune raison de remettre en cause la stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat qui s’est imposée il y a plus d’un siècle, au corps défendant de l’Eglise.
Mais en écoutant Mgr Bertone, j’ai repensé à ces citrouilles évidées, posées là, avec leurs yeux triangulaires et inquiétants, tristes fenêtres donnant sur le rien de l’absence d’âme. Et j’y ai vu pour finir le symbole parfait de ce que sera la tête de nos enfants une fois que l’institution toute entière se sera convertie à ce culte de l’égalité de traitement de toutes les cultures et toutes les croyances. Lorsqu’il ne sera plus question de rien distinguer, pour ne plus offenser personne.
Des pommes, des Pachtouns et des scoubidous
L’Afghanistan a exporté 14 tonnes de pommes vers l’Inde et le ministre de l’agriculture, Mohammad Asif Rahimi, fier comme un Artaban pachtoun, espère même atteindre le chiffre colossal de 400 tonnes pour la saison. C’est à ce genre d’admirables résultats que l’on comprend que le sacrifice de nos soldats et de ceux de l’Otan n’est pas vain. La pomme afghane, c’est tout un symbole, un peu comme celle du président Chirac pour sa campagne de 1995. Bon, les esprits chagrins rappelleront que l’Afghanistan est essentiellement contrôlé par les talibans qui sont en position de quasi-monopole pour l’exportation du pavot avec 8000 tonnes annuelles. Mais ne boudons pas notre plaisir : à nous les bonnes tartes tatin de Kandahar et le cidre de Kaboul ! Et le premier qui osera dire, comme Francis Blanche, dans la célèbre scène des Tontons Flingueurs, « T’auras beau dire, y a pas que de la pomme ! », celui-là sera privé de défonce… Euh, de dessert.
Marre du Prolétairement correct

Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : si ma mémoire est bonne, c’est à peu près en ces termes que Smerdiakov, dans Les Frères Karamazov, répond à Ivan, juste avant d’accomplir une sale, sale besogne : tuer cet affreux père Karamazov, dont l’assassin semble être aussi un fils, illégitime. Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : Dostoïevski, le Grand subtil, ne dit jamais, notez-le, que Smerdiakov est le criminel d’un père dont tous les enfants pourraient souhaiter la mort. Il le suggère, par cette petite phrase. C’est Ivan qui, à demi-mots, commandite le crime et Smerdiakov qui se charge de l’exécuter, fasciné qu’il est par un frère affichant l’aura de l’Idée.
Ce que Dostoïevski veut, entre autre, nous signifier, c’est que les passions les plus fortes sont celles de l’intellect, de l’Idée fixe. Ivan s’est engouffré dans sa théorie pré-révolutionnaire, il a quitté le terrain du réel et annonce à qui veut l’entendre que désormais, si on le veut bien, tout est permis. Près d’un demi-siècle plus tard, Georg Orwell reprendra à son compte le message dostoïevskien et soutiendra également que les régimes totalitaires sont les conséquences de psychoses intellectuelles et les dictateurs, des théoriciens.
Je vois d’ici la tête du lecteur : ai-je bien lu le titre ou le sous-titre de cet article ? Suis-je bien en train de lire une réponse, amicale, à un précédent article de Jérôme Leroy, consacré à une banale affaire de « trafic de toponymie », dans la bonne ville de Montreuil sous bois ? C’est sûr, Causeur a dû se tromper : confusion, aléa du copier-coller, enfin, je ne sais quoi…
Lecteur, rassure-toi, mon propos, j’y viens, j’y viens. « Dieu écrit droit par des lignes courbes », tu sais bien, toi qui comme Badiou a lu Claudel et l’épigraphe choisie par le poète pour habiller son Soulier de satin.
Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit, donc. Dans cette histoire de Montreuil, il n’y a pas mort d’homme – à part le pauvre Frachon, ma foi : il y a peut-être simplement, tout d’abord, que notre ami Jérôme Leroy, s’est glissé, – qu’il me pardonne, – dans la peau d’un Smerdiakov, écoutant le commanditaire d’une fausse information dont par la plume il s’est fait l’exécuteur. Quel homme d’esprit – quel communiste, de Montreuil ou d’ailleurs ? – a-t-il écouté, qui lui a glissé à l’oreille, sournoisement, qu’il pouvait y aller ? Va, cours, vole, à la défense de la mémoire prolétaire, bafouée à Montreuil ! Mais parfois, on le sait aussi, l’homme d’esprit on se le façonne, pour soi seul.
Le premier hic, donc, c’est que le plaisant commanditaire, s’il existe et si j’ose ainsi parler, a pris un malin plaisir à ce que Leroy soit la main littéraire d’une rumeur, infondée : non, non, il n’est pas vrai, camarade Jérôme, que le Maire de Montreuil, Dominique Voynet, ait pris la décision de rayer de la liste des noms de rues et places, le nom de Benoît Frachon. La place en question, cela fait des années qu’elle n’existe plus, enterrée, par les pelleteuses de l’ancien maire, dans un trou béant, qu’on peut venir voir.
Non, et non, il n’est pas vrai non plus que le supposé perfide maire montreuillois ait décidé d’ « amputer la mémoire ouvrière à coups de hachoir » : non seulement il y aura quoi qu’il arrive, une place Frachon à Montreuil, mais, comble de bonne volonté, l’équipe municipale est en voie de transformer l’actuel musée d’Histoire vivante de cette bonne ville en une « Cité nationale du mouvement ouvrier ». Avouer que comme amputation, on a fait mieux, – ou pire, c’est à voir !
Mais je me rends compte, soudain, que beaucoup de nos lecteurs ne sont sans doute pas montreuillois, contrairement à moi, qui fréquente ses sous-bois depuis une quinzaine d’années. À défaut d’un dessin, je m’en vais donc leur faire une petite visite touristique des lieux du trafic patronymique supposé, du carnage local, avec pour objectif d’expliquer à nos causeurs comment on en est arrivé à cette rumeur d’une profanation fâcheuse. Suivez le guide.
L’actuelle place Frachon, celle donc qui – ô horreur – va être rebaptisée, le nom de Frachon s’en trouvant alors fâcheusement déplacé, je vous demande de l’imaginer, voyageurs de la Toile, fait partie d’une vaste esplanade, située face à la mairie des lieux. Vaste esplanade disais-je, divisée en trois places édifiantes. De l’une d’elles, ceux qui ont suivi connaissent déjà le nom ; quant aux deux autres places, elles ont pour noms jolis et bien réglementaires Jaurès et Guernica.
Mais, – Lénine m’empale ! – pourquoi diable ce projet soudain de débaptiser à tour de bras ? Il n’est pas bien, Frachon, à sa place ? Ce qu’il me faut ajouter, pour compléter le tableau, c’est que ce vaste ensemble municipal est au cœur d’un projet de rénovation urbaine, entamé, pour ceux qui s’en souviennent, par l’ancien édile des lieux, Jean-Pierre Brard. Le nom de ce projet, du temps de notre communiste élu, qui n’était pas gris, je le concède, qui arborait même souvent des costumes jaunes, un peu ridicules ? Cœur de ville, justement. Cœur de ville, c’est joli, n’est-ce pas ? Autant dire que les élus communistes n’ont pas attendu Voynet pour faire dans la Novlangue consensuelle, le moderne lissage. Cœur de ville, répétez après moi, la bouche en cul de poule, mais fleurie. Au lieu de cela, Dominique Voynet et son équipe, préfèrent revenir en arrière et parler, pour nommer cette place rouge centrale, ce trou encore béant, de …centre-ville. C’est d’un banal…
Je résume, pour ceux qui n’écoutent pas. Loin de « se faire l’allié objectif de la droite libérale », l’équipe Voynet, si je compte bien : 1. conservera, pour une de ses places, le nom de Frachon ; 2. transformera un vieillot musée à l’agonie en « Cité nationale du mouvement ouvrier » ; 3. conservera encore, pour deux des places situées en « cœur de ville » des patronymes fleurant bon le communisme conforme. Quant à la troisième place, il n’est pas certain du tout, contrairement à ce que prétend le camarade Leroy, qu’elle soit rebaptisée place Aimé Césaire. Dans l’entourage du maire, on me souffle que le nom du poète martiniquais circule, parmi d’autres, et de ce remue-méninges, rien encore n’est encore définitivement sorti.
A ce propos, si je voulais faire le malin – ce dont Staline ou ses suppôts me gardent – et puisque rien n’est définitif, chère Dominique, je te soufflerais volontiers quelques noms, pour renommer l’actuel trou à pelleteuse qui portait jadis le nom de Benoît Frachon. Et ils ne seraient pas consensuels, ceux-là, crois-moi. Tiens, tu pourrais par exemple, ce fichu terre-plein central, le nommer… Mais mon épouse me chatouille et me supplie déjà, s’il te pôlait, dit-elle, en imitant la mère Deume, arrête, arrête, mon chéri, tu te fais du mal, et tu vas encore passer pour un vieux réac !
Je passe donc, par amour pour ma moitié. Mais je n’en pense pas moins. Et qu’on se le dise, s’il ne tenait qu’à moi, on sabrerait dans l’annuaire municipal ; pire, on nettoierait ce prolétairement correct, obligatoire, dans toutes les villes de la petite couronne parisienne : prolétairement correct qui fait que, si de ces villes on consulte simplement la liste des rues, on éprouve la sensation inquiétante de lire dix fois le même annuaire municipal, résultat de la folie mégalomane d’un totalitaire magna : Jaurès, Gambetta, Frachon, j’en passe : qu’on soit à Pantin, Saint-Denis, Montreuil, toujours les mêmes rues, les mêmes places ! Et pour les noms cités, encore ça va ; mais nos causeurs savent bien que, dans chacune des villes nommées, on trouve par exemple une avenue, que sais-je, un boulevard Lénine. Tiens, tout près de chez moi, Vladimir Ilitch a droit à un square. Si encore, il s’agissait d’une impasse… Passons.
Je sais bien, je m’égare, comme vous vous égarâtes, camarade Jérôme, et fûtes mal inspiré, dans votre article récent, en laissant entendre, encore, que Dominique Voynet choisit Montreuil par stratégie politique. Apprenez qu’elle s’est installée dans notre bonne ville il y a de cela quelques années déjà, quatre ou cinq ans au moins, avant de présenter sa candidature. Or, vous laissez entendre qu’elle fut comme parachutée, selon l’expression consacrée. Autre chose encore : j’en ai un peu ras la casquette, et j’en perds alors ma langue, je dois dire, qu’on moque les bobos, à Montreuil ou ailleurs. De ces bobos, je ne crois pas faire partie ; mais si par bobos, au sens large, on désigne tous ces couples, toutes ces familles qui, bien qu’ayant les moyens de s’installer ailleurs, ont néanmoins choisi de vivre à Montreuil, pour vivre dans une ville où règne un minimum de mixité sociale, – c’est comme ça qu’on dit ? -, alors, je veux bien passer pour un bobo. Car, que voudrait-on, enfin, que Montreuil, et toutes les cités modestes de la petite couronne ne soient habitées que par des familles à faible revenu social ? Voudrait-on qu’elles soient réservées à des Français pour qui le vote communiste serait obligatoire ? Ce qu’on voudrait donc, et pour aller vite, c’est que les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches, avec les riches ? Dois-je déménager, cher Jérôme, à Vincennes, la voisine, la mignonne ? Par pitié, que ceux qui vivent bien à l’abri dans une résidence cossue, située dans leur ville jolie, ne viennent pas, en plus, nous faire la leçon, à nous qui avons choisi de vivre – ô disgrâce ! – et qui nous en portons bien, ma foi, dans des communes modestes, à côté des chômeurs, des pauvres, – pardon, des personnes à revenus réduits, doux euphémisme, lissage joli -, des étrangers, que sais-je, des…communistes !
Et puis, je termine : n’y a-t-il pas quelque chose de cocasse, cher Jérôme, à venir reprocher à des élus verts de débaptiser des noms de places, quand on sait que cette auguste tradition, nous la devons principalement à des communistes, justement ? Falsifier le passé, ils s’y connaissent, non ? Et si on les laissait faire, ils continueraient, eux, bien moins timides que nos élus verts, à débaptiser et rebaptiser à tour de bras, toutes les rues, les places, les villes même, qui évoquent par exemple, le nom de saints ?
Mais, camarade Jérôme, que dites-vous encore ? Que « les Verts qui se veulent la gauche ouverte et moderne de demain ont décidé d’en finir avec un mauvais rêve qui est celui de l’hypothèse communiste et de sa mémoire. Ils mettront, à les détruire, autant d’acharnement que la droite la plus libérale. » Rassurez-vous, l’hypothèse communiste, la grande Histoire s’est chargée elle-même de lui faire un sort ; et pour ce qui est de se détruire, les communistes s’en chargent bien tout seuls, comme des grands : c’est pas joli joli, d’accuser les Verts, ma foi. Voyez-vous, camarade, moi je crois plutôt, comme Gatignon, le maire communiste de Sevran, que « depuis trente ans, la direction du PCF a mis tous ses dissidents dans un ghetto intellectuel et l’extrême gauche s’est enfermée dans la pureté révolutionnaire ». Et d’ajouter : « Nous n’avons jamais travaillé sur ce qu’a représenté pour nous l’écroulement du monde soviétique »[1. « Le maire communiste de Sevran sous la bannière d’Europe Ecologie », Le Monde, 09/11/2009]. Voilà, pas besoin de verts boucs émissaires, c’est par là qu’il faut chercher des raisons à la déroute électorale. Du côté de la psychose intellectuelle, dirait Orwell.
Mais je vous vois sourire, cher Jérôme, avouez-le. Preuve que j’ai vu un peu juste. Preuve, s’il en fallait une, qu’il y a plaisir à causer avec un homme d’esprit, va.
Encore une minute, monsieur le bourreau
John Allen Muhamad, ancien soldat de l’armée américaine et tireur d’élite, a été exécuté hier à 2h11 GMT par injection mortelle dans le pénitencier de Greenville, en Virginie (USA). Il avait participé à la guerre du Golfe en 1991, le premier conflit post-guerre froide et la première ratonnade pétrolière assistée par ordinateur. En 2002, John Allen Muhamad, avait tué une dizaine de personnes au hasard en une semaine, terrorisant la capitale fédérale et gagnant le surnom de « sniper de Washington ». Il promettait d’arrêter le massacre par lettres anonymes en échange d’une rançon de plusieurs millions de dollars. On félicitera la rigueur des autorités de Virginie qui, pour mettre à mort ce tireur fou, ont attendu que celui-ci puisse assister aux fêtes célébrant la chute du Mur de Berlin et se rendre compte ainsi quel monde de paix et d’harmonie, il allait laisser derrière lui. Le bourreau assure, contrairement à ce que laisseraient entendre de mauvaises langues, que le dernier soupir de John Allen Muhamad n’était pas un soupir de soulagement.
Polanski, Finkielkraut et l’internet

Depuis que le « scandale » Polanski a été détrôné par d’autres scandales, il est désolant de constater que l’affaire, momentanément enterrée, a fini par graver dans le marbre des informations fallacieuses qui s’amplifient sur le net, et obligent à rappeler quelques vérités de base.
Oui, tolérer le viol d’une jeune fille sous prétexte qu’elle fait des photos déshabillée est bien sûr inadmissible. Et excuser le viol d’une jeune fille sous prétexte que le violeur serait un grand cinéaste est plus inique encore. La plupart des Français ont (ré-)entendu parler de l’affaire Polanski après de son arrestation en Suisse comme l’histoire d’un homme qui a fui la justice après avoir commis un viol sur une jeune fille de 13 ans. Face à ces accusations inexactes, les Français ont trouvé bien faibles les arguments de la défense, évoquant un droit de prescription (qui n’existe pas aux Etats Unis) et la partialité du juge de Californie (qui a renié sa parole, faute pour laquelle l’affaire lui a été retirée). Et cette défense est passée comme une argutie juridique masquant la terrible réalité.
Le tollé est devenu si considérable que la seule interrogation des faits passe aujourd’hui pour une justification du viol et de la pédophilie. Or, si ce sont les faits qui comptent, rappelons que la Cour de Californie a jugé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre Roman Polanski pour viol, mais pour unlawful sexual intercourse (relation sexuelle illicite). Donc, les faits sont les faits et les mots ont un sens: le détournement de mineur n’est pas un viol. On peut bien sûr estimer que le consentement d’une jeune fille n’a aucune valeur dès lors qu’elle n’a pas atteint sa majorité sexuelle (décrétée aujourd’hui à 15 ans, hier à 18 ans, avant-hier à 21 ans). On peut aussi penser que Polanski a néanmoins commis une faute morale et que, sans employer la force, il a abusé de sa notoriété et son aura. Mais il est en revanche scandaleux que dans cette affaire de « détournement de mineur » ou « d’abus de pouvoir », l’accusé continue d’être présenté comme coupable de « viol », comme l’a affirmé Daniel Cohn-Bendit, et comme ne cesse de le répéter la foule des internautes — scandalisés qu’on puisse laisser ce « viol de pédophile » impuni.
Ajoutons que l’affaire Polanski n’a rien à voir avec la pédophilie, puisque celle-ci, tous les juristes le savent, ne concerne que les enfants, c’est-à-dire les mineurs pré-pubères. Mais son sens est suffisamment flou (puisqu’il est passé de « avoir du désir pour les enfants » à « avoir des relations sexuelles avec eux ») et les crimes si odieux (depuis l’affaire Dutroux) que la Calomnie en fait aisément son miel. Ne s’intéressant pas aux faits, elle préfère ourdir des procès d’intention sur des citations fallacieuses, dont Alain Finkielkraut a été récemment l’étonnante victime. Répondant à l’accusation de pédophilie contre Polanski, il a précisé au micro de France Inter que la plaignante « n’était pas une enfant au moment des faits. C’était une adolescente qui posait dénudée pour Vogue Hommes qui n’est pas un journal pédophile.» Répondant à l’accusation de viol, il a rappelé que «Polanski a toujours nié le viol, ne nous exemptons pas de notre devoir de réserve». Voilà qui suffisait pour que, dans son éditorial du journal Elle[1. Hector Obalk collabore régulièrement à Elle.] du 23 octobre 2009, intitulé « déni de viol », Marie-Françoise Colombani réécrive le texte ainsi: «Pas question de parler de viol pour Monsieur Finkielkraut puisque « la jeune fille avait déjà eu des relations sexuelles » (sic) et qu’elle « posait dénudée dans les journaux » (re-sic) » — les « sic » indignés et grotesques sont de l’éditorialiste. Voilà comment avec deux citations exactes et un « puisque », on fait passer n’importe qui pour un défenseur du viol… Afin que nul n’en doute, dois-je préciser : je m’appelle Hector Obalk et je suis contre le viol, que rien ne saurait justifier. Sic.
Droit dans le Mur
Après les mille conjectures, témoignages, invectives, photomontages et autres figures obligées ayant souillé la commémoration de la fin inopinée de la frontière minérale de Berlin, quelques mises au point s’imposent. Premièrement la plupart des éléments du Facebook présidentiel sont aisément vérifiables. Par exemple, il est indubitable qu’il était bien maire de Neuilly et responsable du RPR lors de la chute du Mur. Voilà qui devrait mettre fin à une polémique indigne, d’autant plus qu’il n’est pas exclu qu’Angela Merkel, dont nul n’osera nier la présence à Berlin en ce jour fondateur, rédige, à l’issue des cérémonies parisiennes du 11 novembre, une attestation écrite comme quoi elle a bien vu notre futur président manier le marteau-piqueur à Check Point Charlie le neuf novembre 1989. Rideau ! (de fer, faut-il le dire ?)
Les palinodies d’Attali
Jacques Attali est un homme constamment en colère. La semaine dernière, il morigénait un journaliste de Haaretz qui voulait le faire parler de l’antisémitisme en France, inexistant à son avis. Lundi 9 novembre, il monte sur ses grands chevaux pour fustiger son ex-collègue élyséen Jean Louis Bianco qui l’accuse d’avoir été réticent devant la réunification allemade en raison de ses origines juives. « C’est bien évidemment de l’antisémitisme », fulmine Attali. Faudrait savoir.
Voynet vomit

C’était hier soir, sur France 2. Yves Calvi avait eu la bonne idée d’inviter Dominique Voynet à son émission « Mots Croisés ». Le sénateur et maire de Montreuil[1. Désolé, mais sénatrice n’est admise par l’Académie française que par la femme d’un sénateur polonais ou suédois. Eric Besson veille. Faudrait pas charrier quand même.] fut le temps d’une saison l’égérie des Verts français. C’était au siècle dernier, ce siècle maudit où Cécile Duflot n’existait pas encore et où il était permis à une ministresse de l’Ecologie de déclarer que « le naufrage de l’Erika n’était pas la catastrophe du siècle ». Bref, un siècle loué entre tous où les marées noires invitaient le passant aussi écologiste fût-il à circuler, puisqu’il n’y a jamais rien à voir.
Donc, Dominique Voynet était l’invitée d’Yves Calvi. Et comme Yves Calvi, qui est l’un des meilleurs journalistes français, n’est pas méchant garçon, il a convié à son émission l’un et l’autre commensal pour passer le sénateur-maire de Montreuil sur le gril d’une toute petite chose sans importance qu’on appelle la liberté de la presse. Comme Yves Calvi n’est pas méchant garçon, mais un garçon tout de même, il avait invité Yvan Rioufol et Elisabeth Lévy à débattre avec le sénateur-maire de Montreuil.
Bon, Yvan Rioufol, c’est pas pour cancaner, mais il n’y a plus rien à faire pour lui : le paradis écologique, celui où Yann Arthus-Bertrand vient éliminer chérubins et séraphins à coups de pale d’hélicoptère (Le Ciel vu du Ciel), lui est définitivement interdit. Il est journaliste au Figaro. Quant à Elisabeth Lévy, elle qui n’a jamais déforesté l’Amazonie pour imprimer un quotidien vespéral (il n’est même pas dit qu’elle soit d’une exemplaire assiduité aux vêpres, fussent-elles siciliennes), elle ne présentait a priori aucun dangereux antécédent pour subir l’avoinée de Voynet.
Pourtant, lorsque Elisabeth Lévy osa la référence à l’article que Jérôme Leroy avait publié le jour-même sur Benoît Frachon, Dominique Voynet sortit (j’hésite, mais je mettrais bien « sorta », histoire de féminiser un peu le propos) de ses gonds. Pour celles et ceusses qui n’ont pas le temps de lire, Jérôme Leroy évoquait dans son papier la décision de Mme Voynet de débaptiser la place de Montreuil qui portait le nom du leader historique de la CGT, Benoît Frachon, pour lui donner le nom d’Aimé Césaire. Mémoire contre mémoire : ça se discute.
Eh bien, non. Mme Voynet ne discute pas. Mme Voynet ne veut pas discuter. Mme Voynet n’aime pas la discussion. Vous savez, la discussion, ça lui donne envie de vomir. Et d’étendre son propos en proclamant en guise de seul argument : « Le site causeur.fr est à vomir. »
Nous vous faisons vomir ? Madame le sénateur, je vais vous apprendre deux ou trois choses que vous semblez ignorer et qui sont, peut-être, à l’origine de tous les échecs politiques de votre vie.
La première, c’est qu’en politique, même empreint de contrariété, on ne vomit pas. Spinoza (polisseur de lentilles à Amsterdam, même pas fumeur de Marie-Jeanne et, pourtant, un tantinet philosophe à ses heures) écrivait que l’ordre politique substituait à l’ennemi, celui qu’il s’agit de faire passer au fil de son épée, l’adversaire, celui qu’il s’agit de contrer par des arguments raisonnés.
Et la politique, depuis son invention par des Grecs qui n’éprouvaient même pas le besoin de se pacser pour être ce qu’ils étaient, c’est cela : la substitution du dialogue au meurtre. En employant le terme « vomir » pour disqualifier ceux avec lesquels vous êtes en désaccord, vous niez jusqu’à la possibilité-même d’échanger des arguments et vous placez dans le champ organique.
Mon dictionnaire, Madame, qui ne me fait jamais défaut, m’apprend que vomir consiste à « rejeter par la bouche, spasmodiquement, des matières contenues dans l’estomac ». Vos spasmes ne sont pas les arguments propres à l’ordre juridico-politique, mais les borborygmes inarticulés dont Rousseau parle au début de son Essai sur l’origine des langues.
La politique, pour vous résumer les vingt derniers siècles qui vous ont précédée et qui lentement ont doté l’homme d’un esprit, cela consiste à ar-ti-cu-ler la pensée, c’est-à-dire à exposer ses arguments, à faire suffisamment confiance à la raison pour que celle-ci ne soit pas engloutie sous les vagues naturelles du vomi. Ce que l’on appelle même l’Humanité – avec un grand H, eh oui, comme le journal –, cela consiste à user de sa glotte pour prononcer des sons audibles et réfréner les matières contenues dans l’estomac. Libres aventures de la raison humaine qui auront eu raison de la barbarie émétique pour asseoir l’homme autour d’une table et le faire dialoguer avec ses semblables. Convenablement, sans vomir.
Je vous prends au mot, Madame, puisque le mot « vomir » vous l’avez prononcé. Votre politique n’est plus aujourd’hui une conversation, mais un jet de matières contenues dans votre estomac. De quoi se composera-t-elle demain ? De déjections ou d’excréments ? Peut-être de merde ! Prenez garde : Céline vous a déjà à l’oeil. Et l’Aragon du Traité du Style ne serait pas loin de vous si, précisément, du style vous en aviez. Elevez-vous un peu. Arrêtez de renifler l’odeur si agréable des merguez – j’aime aussi, quand j’ai faim – et plongez-vous dans le Neveu de Rameau, de Diderot : vous vous apercevrez que votre vomissure est le stade ultime du nihilisme.
Il n’y a pas de nourritures spirituelles, dites-vous. Il faut que ça vomisse ou que ça sente la merguez. Nous ne le croyons pas ici, à Causeur. Nous sommes comme les vieux popes orthodoxes de la Sainte Montagne, qui professent que les mots valent quelque chose et peuvent soutenir le monde. A défaut de le sauver.
Madame, je vous le dis comme je le pense : vous êtes une nihiliste. Vous ne vous contentez pas de nier qu’il puisse y avoir, pour faire une société politique, un échange d’arguments, vous les régurgitez, les conchiez de la bouche, les vomissez. Vous ne croyez pas que l’homme soit un être doué de parole ou de raison, quand il est, pour vous, seulement doué de vomi.
Vomir, Madame, quand on n’est pas d’accord, ça ne se fait pas en politique. Ça ne se fait pas en démocratie. Ça ne se fait pas, tout court, en société. Vous a-t-on appris les bonnes manières ?
Auriez-vous pris, d’ailleurs, un peu plus de temps que vous vous seriez aperçue qu’il y a de tout sur Causeur. Surtout des gens qui ne sont pas d’accord entre eux : staliniens, trotsko, socialistes, centristes, gaullistes, polanskistes, hétérotes de gauche, pédettes de droite, libéraux du milieu, ultragauchistes de droite, ultradroitistes de gauche qui fraternisent sur le forum et vous bousillent le moindre caténaire qui passe à leur portée. Rien que de la contradiction. Des athées et des cathos ; on me signale même un juif au fond de la salle, j’ai de la peine à y croire : pas ça, pas nous !
Mais personne ici ne se vomit les uns les autres, parce que chacun croit que rien n’importe plus, en douce France, que le désaccord et l’échange passionné d’arguments. La castagne républicaine : voilà ce que nous préférons à toute démocratie participative. Le champ des idées plutôt que les champs de Beauce ou de Brie, où vos bobos de Montreuil viennent couper l’OGM en familles monoparentales entières, parce qu’ils n’ont jamais appris et ne connaîtront jamais le geste auguste du faucheur.
Mais que diable prendre le temps de vous écrire ! Vous ne pouvez pas comprendre. Vous vous en foutez, puisque vous êtes occupée, de tout votre être, à vomir. Vous nous vomissez, dites-vous. Soyez en sûre alors, votre vomi, plus belle flétrissure apportée ces dernières années à l’idée-même de débat contradictoire, je me le mets là où je le peux, avec orgueil, ostentation, comme le ferait un vertueux adolescent d’un accroche-coeur.
Rachel, la couronne et le bourre-pif
Rachel Christie n’a aucun rapport de famille avec la célèbre reine du crime Agatha. Néanmoins, elle aussi aurait pu devenir célèbre. Belle comme un cœur, elle a été élue Miss Angleterre 2009 et, par la même occasion, a été la première black à remporter ce titre. Seulement voilà, il semblerait que la belle, par ailleurs nièce de Lindford Christie, le champion du 100 m, ait aussi la tête près de la couronne : dans un bar de Manchester, elle se serait battue contre une fille de 24 ans qui a porté plainte. Rachel, devant le scandale, a décidé de se retirer de la compétition pour l’élection de Miss Monde et de préparer les JO de Londres en 2012, où elle est sélectionnée pour l’épreuve d’heptathlon. Ecoute, Rachel, ne pleure pas : de toute manière, Miss Monde, c’est toujours une Vénézuélienne qui gagne à la fin et puis tu sais, à mon avis, une belle fille athlétique qui picole sec et se bastonne dans les bars, ça ne reste jamais longtemps toute seule. D’ailleurs, j’autorise la rédaction de Causeur à te communiquer mes coordonnées. See you soon, Rachel.
Réunification allemande

La furie commémoratrice s’est déployée sans retenue dans les médias et l’édition à l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, au risque de provoquer dans le public une sensation de gavage. Cette surenchère médiatique part cependant d’un bon sentiment : comme il ne fait pas de doute que le 9 novembre 1989 marque symboliquement l’écroulement des régimes communistes en Europe et l’ouverture d’une nouvelle séquence historique, on doit faire le nécessaire pour marquer le coup.
Mais l’histoire ne se confond pas avec la mémoire, et cette dernière varie selon les peuples. Ainsi les Polonais éprouvent quelque frustration en constatant que l’on crédite leurs voisins allemands d’avoir infligé la blessure décisive au communisme soviétique, alors qu’ils peuvent faire valoir, à juste titre, qu’ils furent les premiers à avoir chassé le PC du pouvoir par des élections libres en avril 1989.
La mémoire populaire française de cet événement est celle de spectateurs et non pas d’acteurs de ce bouleversement historique. On avait bien conscience que la chute du mur allait tout changer en Europe, mais cela ne nous concernait, en tant que Français, qu’indirectement. A l’empathie spontanée ressentie pour des voisins qui se retrouvent rassemblés après des décennies de séparation succède une inquiétude relative aux conséquences d’une modification radicale de l’équilibre européen. L’Allemagne verrait sa puissance économique confortée par une prédominance démographique, avec 80 millions d’habitants alors que ses principaux partenaires au sein de l’Union européenne en comptaient entre 50 et 60 millions.
La suite a montré que ces craintes étaient pour le moins exagérées : l’intégration de la RDA au sein de la République Fédérale a plutôt été, dans un premier temps, un poids pour une Allemagne qui devait donner à ses nouveaux citoyens de l’Est un niveau de vie comparable à celui de ceux de l’Ouest.
Cette commémoration a fait ressurgir en France une polémique sur l’attitude de François Mitterrand dans la période cruciale qui va du 9 novembre 1989 jusqu’au 3 octobre 1990, date à laquelle fut solennellement proclamée, à Berlin, la réunification de l’Allemagne.
Pour les uns, il serait passé à côté de l’histoire en se montrant réticent, sinon plus, devant la perspective de la réunification allemande. Pour les autres, au contraire, son comportement pendant cette période a permis de faire en sorte qu’elle se réalise dans les meilleures conditions possibles pour l’avenir de l’Europe.
Il se trouve que j’ai été un observateur salarié de tous ces événements, comme correspondant du Monde en Allemagne entre 1987 et 1991. Cela m’autorise à formuler un jugement fondé non pas sur la mise en exergue d’un ou deux « malentendus » entre Mitterrand et Kohl entre novembre 1989 et janvier 1990, mais sur l’analyse d’une séquence un peu plus longue, qui commence par la visite d’Erich Honecker en RFA en novembre 1987 pour aboutir à ce fameux 9 novembre 1989.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1982, le chrétien-démocrate Helmut Kohl s’est bien gardé de remettre en cause l’Ostpolitik de ses prédécesseurs sociaux-démocrates Willy Brandt et Helmut Schmidt : celle-ci consiste à nouer des liens économiques et culturels toujours plus étroits avec les pays de l’Est en général, et la RDA en particulier. C’est la théorie du Wandel durch Annäherung (le changement par le rapprochement) qui doit amener pas à pas les deux blocs à mettre fin à la guerre froide.
L’analyse qui prévaut à Bonn à la fin des années 80 est la suivante : l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à Moscou va provoquer une mutation interne radicale en URSS. On part du principe que le communisme ne va pas s’écrouler, mais qu’il aura la capacité de se réformer suffisamment pour se régénérer en se démocratisant de l’intérieur. Dans ce contexte, la RDA, que l’on crédite toujours de performances économiques supérieures à celles des autres pays communistes, devrait suivre le mouvement impulsé par Moscou, et se mettre au diapason d’une libéralisation politique et économique qui favorisera le rapprochement entre les deux Allemagnes.
Cette analyse est « vendue » par Bonn à tous ses partenaires, avec en prime l’affirmation que le régime de Berlin-Est est stable, en dépit des quelques mouvements dissidents qui se sont manifesté autours des églises protestantes de Berlin ou de Leipzig. On fait valoir que même ces petits groupes d’opposants ne demandent pas la disparition de la RDA, mais sa démocratisation.
Le BND, le service ouest-allemand de renseignements dispose bien d’enquêtes montrant que 75% des Allemands de l’Est interrogés lors d’un voyage en RFA étaient favorables à la réunification (ces voyages s’étaient multipliés après les accords Brandt-Honecker de 1971), mais ces informations ne sont pas divulguées aux partenaires occidentaux de l’Allemagne « pour ne pas les inquiéter » avoue aujourd’hui Hans Georg Wieck, le patron du BND de l’époque. Après la visite d’Erich Honecker à Bonn, le secrétaire général de la CDU, Heiner Geissler, évoque même l’idée d’une reconnaissance réciproque de la RDA et de la RFA comme états souverains.
Comme toujours, le réel refuse de se soumettre aux théories, mêmes les plus subtiles élaborées par les esprits les plus brillants. Celle des petits pas imaginée par les dirigeants ouest-allemands fut balayée en l’espace de quinze jours, entre le 9 novembre 1989 et la mi-décembre, où les manifestants de Leipzig, de Dresde et de Berlin-est sont passés du slogan « Wir sind das Volk ! » (nous sommes le peuple) « Wir sind ein Volk »(nous sommes un peuple).
Kohl comprend alors que le mouvement vers l’unification est irrépressible, soutenu dans cette idée par Willy Brandt, qui s’oppose en cela à Oskar Lafontaine, le chef du SPD.
Le 28 novembre 1989, sans en aviser Paris ni Londres, Kohl présente au Bundestag un plan en dix points qui prévoit la constitution, à brève échéance d’une » confédération » entre la RFA et la RDA, euphémisme pour annoncer une prochaine réunification.
George Bush père, bien briefé par l’ambassadeur américain à Bonn Vernon Walters[1. Vernon Walters, ancien sous-directeur de la CIA, est tout de suite persuadé que la réunification est inéluctable.] donne son feu vert, à la grande fureur de Margaret Thatcher qui sera jusqu’au bout les deux pieds sur le frein de la réunification allemande. François Mitterrand, comme vont le révéler les archives du quai d’Orsay bientôt déclassifiées sur cette période, ne saute pas de joie devant cette accélération de l’histoire. Il préférerait en ralentir le rythme pour pouvoir influer sur son cours. Il est obsédé par la crainte de voir l’Allemagne réunifiée remettre en cause les frontières établies en 1945 (celles ci n’ont jamais été avalisées officiellement par la RFA). Kohl, au fond, n’est pas mécontent de ces réticences : cela lui permet de faire valoir auprès de la droite de son parti, celle qui réclame le retour à la mère patrie des territoires cédés à la Pologne, que sans une renonciation à ces prétentions, jamais les alliés de l’Allemagne ne consentiraient à l’unification du pays.
François Mitterrand n’a pas fait, comme certains l’y incitaient, le grand discours où il aurait donné sa bénédiction enthousiaste à l’unité allemande. Cette affaire, au fond, ne lui disait rien qui vaille, mais son réalisme lui dictait de ne pas s’opposer frontalement à une évolution qu’il n’était pas en mesure d’empêcher. Cela n’empêcha pas Helmut Kohl de verser une larme bien réelle lors des obsèques de Tonton à Notre-Dame de Paris.
Le crucifix aux orties

Le crucifix dans les salles de classe : perturbant émotionnellement pour les enfants des minorités religieuses ou non-croyantes. C’est le jugement implacable de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans une affaire qui oppose l’Etat italien à l’une de ses ressortissantes d’origine finlandaise. Celle-ci estime que son droit à « une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques » pour ses enfants est remis en cause par la présence de crucifix dans les salles de classe. Elle insiste en outre sur la discrimination entre les religions que cette présence instaurerait. La Cour lui a donné raison sur tous ces points, condamnant même l’Italie à verser à la plaignante 5000 euros pour « dommage moral ». L’Italie a fait appel.
Perturbation émotionnelle des enfants, violation du libre-choix et discrimination : tel l’antique bouc émissaire en route pour Azazel, voilà le crucifix chargé de tous les crimes de la communauté par cette parfaite incarnation de la morale contemporaine qu’est la CEDH. Mais après tout, n’est-ce pas le sens même du succès planétaire du crucifix – celui qu’on y cloue prend sur lui les fautes de tous ? « Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde. » C’est merveille de constater comme les rites les plus laïcs savent parfois réinterpréter pour notre profit à tous les cultes les plus archaïques. Une fois la Croix chargée de tous les péchés, qui pourrait contester le jugement de la CEDH ?
Le gouvernement italien a essayé. Il a expliqué que l’enseignement était bien sûr laïc en Italie et qu’il n’y était pas question pour les profs d’évangéliser en classe. Il précisa encore que dans cette affaire nul ne défendait une antique croyance religieuse, mais bien la culture et des valeurs démocratiques les plus contemporaines qui, selon son défenseur, plongent leurs racines « dans un passé plus lointain, celui du message évangélique. Le message de la croix serait donc un message humaniste, pouvant être lu de manière indépendante de sa dimension religieuse, constitué d’un ensemble de principes et de valeurs formant la base de nos démocraties ». Bref, l’Italie n’hésita pas à mettre en avant d’hypothétiques racines chrétiennes du Bien contemporain ralliant ainsi la religion catholique à la bandiera rosa de la tolérance et du bien-être des petits enfants. Pour justifier la persistance d’une tradition séculaire il faut obligatoirement mobiliser les valeurs les plus au goût du jour. Rien n’y fit. C’est en vain que nos amis transalpins tentèrent de noyer le poisson christique dans la vague de l’intransigeant tolérantisme contemporain.
N’est pas admis dans le nouveau Saint des Saints qui veut, à commencer par l’ancien: exit donc le crucifix qui perturbe émotionnellement les enfants, comme il perturbait autrefois les vampires. Il faut dire qu’avec la mode du gothique chez les moins de seize ans, les premiers ressemblent aujourd’hui parfois aux seconds. Ceci expliquant peut-être cela.
Mais trêve de plaisanterie et revenons à nos brebis égarées.
La Cour rappelle aussi complaisamment que la loi qui prévoit l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe italiennes date du concordat de 1929, c’est-à-dire de la période fasciste. Belle reductio ad benitum. Ce que Benito a voulu ne peut être bon. Dans ces conditions, on aura toujours raison de s’opposer au crucifix. La Résistance, même à une loi qui a presque l’âge de ma grand-mère, est à jamais d’actualité, surtout en ces périodes sarko-berlusconiennes.
Le problème c’est que cette origine mussolinienne du crucifix dans les salles de classe est elle-même contestée. Le Conseil d’Etat italien notait en 2006, dans le cadre de cette affaire, que « la prescription des crucifix dans les salles de classes » datait non pas du concordat de 1929 mais de la loi Casati, adoptée par un Etat [le Royaume de Sardaigne] qui nourrissait bien peu de sympathie pour l’Eglise catholique », loi qui fut ensuite étendue à toute l’Italie après l’unification. Mais ne pinaillons pas : la cause des enfants, qui est celle de tous les Résistants, mérite bien quelques libertés avec l’exactitude historique.
Le plus rassurant est que la décision de la Cour énerve les Italiens. Il existe aujourd’hui dans ce pays un quasi-consensus sur l’apport culturel du christianisme à la modernité italienne (la filiation est plus embarrassante pour le christianisme que pour l’Italie berlusconienne). De quel droit un Tribunal situé à l’étranger s’immisce-t-il dans ce consensus ? La merveilleuse Europe serait-elle cette abstraction idéologico-technocratique qui affirme tranquillement qu’un pays perturbe ses enfants parce qu’un bout de bois est accroché au mur de ses salles de classes ?
Le secrétaire d’Etat du Vatican, Tarcisio Bertone, bête noire des « catholiques progressistes » et qui a ce titre ne peut pas être tout à fait mauvais – et ce malgré son attachement à un objet aussi perturbant pour les enfants que le crucifix – a fait de cette décision un commentaire plaisant: « l’Europe du troisième millénaire nous laisse avec les seules citrouilles des fêtes récemment célébrées et a éliminé nos symboles les plus chers ». En tant que catholique, je ne peux que trouver intéressant un monde dans lequel les prélats de l’Eglise catholique en arrivent à stigmatiser sur un ton badin la bêtise officielle. En tenant bien sûr compte du fait que personne ne songe aujourd’hui en Europe à reprendre les persécutions antichrétiennes du début de l’Empire romain, je me prends à penser qu’il va faire bon être catholique dans les années qui viennent. Nous autres catholiques allons enfin goûter au confort de la position minoritaire : la religion d’Etat qui s’impose aujourd’hui en Europe, en rejetant le catholicisme dans les ténèbres extérieures de ce qui « perturbe les enfants » rend un fier service à ceux qui, appartenant encore bêtement à l’ex-majorité catholico-franco-franchouillarde des Français, n’ont jamais eu l’occasion de prendre la pose du maudit ou du proscrit. Grâce à la CEDH, cette discrimination insupportable est sur le point d’être abolie. Il suffira bientôt d’aller à la messe le dimanche pour pouvoir candidater comme tout le monde au statut de minorité opprimée : merci l’Europe !
Un monde intéressant certes, mais aussi un peu effrayant. Mon fils fréquente aujourd’hui l’école publique. Avant les vacances scolaires, il a activement préparé Halloween. C’était très drôle tous ces monstres et citrouilles que l’on dessinait et affichait au mur que nul crucifix n’entachait. Et c’est tant mieux, nous sommes en France, et il n’y aucune raison de remettre en cause la stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat qui s’est imposée il y a plus d’un siècle, au corps défendant de l’Eglise.
Mais en écoutant Mgr Bertone, j’ai repensé à ces citrouilles évidées, posées là, avec leurs yeux triangulaires et inquiétants, tristes fenêtres donnant sur le rien de l’absence d’âme. Et j’y ai vu pour finir le symbole parfait de ce que sera la tête de nos enfants une fois que l’institution toute entière se sera convertie à ce culte de l’égalité de traitement de toutes les cultures et toutes les croyances. Lorsqu’il ne sera plus question de rien distinguer, pour ne plus offenser personne.

