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Autumnus horribilis


Autumnus horribilis
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin
Mannequin de cire, Madame Tussauds, Berlin

On ne va pas vous refaire tout le film plan par plan. À moins de n’être abonné qu’à Disney Channel ou d’avoir emménagé sur l’atoll de Clipperton, vous le connaissez aussi bien que nous. N’empêche, le pitch, à lui seul est impressionnant. C’est l’histoire d’un indestructible que mêmes ses pires ennemis voyaient, il y a trois mois à peine, déjà réélu les doigts dans le nez en 2012 et qui se met soudain à douter de tout. Le casting, lui aussi est redoutable: outre le héros, on voit aussi défiler au fil des rushes son propre fils, la plupart de ses ministres (Frédéric Mitterrand, Rama Yade, Roselyne Bachelot, Brice Hortefeux, Patrick Devedjian, sans oublier le come-back de François Fillon après deux ans de congé sabbatique). On n’omettra pas de citer quelques guest-stars (DDV, Raffarin, Guaino). Du lourd, quoi. Du si lourd que chacun se demande, à commencer par le principal intéressé, si on n’a pas un peu trop chargé la barque, si l’indestructible était réellement insubmersible.

Oui vraiment tout ça c’est beaucoup trop. Sauf qu’en vrai, non, tout ça c’est peanuts. Aucune des avanies advenues durant cet autumnus horribilis n’était ingérable et même leur conjonction dans un si bref délai n’était pas en soi apocalyptique. Pendant deux ans, la machine sarkozyste en a vu d’autres, et des vraiment archipires, et ce, dès ses balbutiements aux affaires. Dans le seul registre du symbolique pur, il y a eu le Fouquet’s, le yacht Bolloré, les vacances américaines. Dans le registre contigu du symbolico-politique, le quinquennat a débuté en fanfare avec le bouclier fiscal, massivement perçu par l’opinion comme un cadeau fait aux plus riches. Et pourtant, malgré les tollés, les sondages, les Guignols, les « unes » sur le bling-bling ou les livres de Badiou, tout ça avait été admirablement aplani par un Sarkozy comme thaumaturge.

Alors qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi celui qui pouvait le plus ne peut-il plus le moins ? Pourquoi se sent-il même obligé d’user de modes de communication semi-rocambolesques pour expliquer, sans l’expliquer, à l’heure du thé qu’il s’est planté? Il y a bien sûr un coup de com’. Le président veut plaider sa totale sincérité ; hélas, pour en donner la preuve scientifique, il ne peut tout de même pas pleurer en public façon Annie Girardot ou Thierry Ardisson, alors il dramatise à l’Elysée et méaculpise à gogo avec l’aimable complicité de ses mystérieux visiteurs du soir.

Mais, à propos, que faut-il penser quand le président affirme s’être trompé, par exemple sur l’affaire Jean S. ? Eh bien qu’il a raison de le dire, mais qu’il aurait bien tort de le penser, si tel est le cas. Car en amont, il n’y a pas eu d’erreur technique dans l’affaire de l’EPAD : pris isolément, le coup-là était archi-jouable, cent fois plus jouable en tout cas que le travail du dimanche ou la nomination d’un patron du CAC 40 à la tête d’EDF. D’ailleurs la tempête précédente (Polanski-Mitterrand) avait été, in fine, résorbée sans casse, dans la fermeté et la lucidité. Faut croire que ça ne marche pas à tous les coups, et qu’un truc s’était cassé.

On conviendra donc, pour une fois en accord avec le reste de la profession, que l’EPAD a fait déborder le vase. Là où, fort vite, nous divergerons de la meute des collègues, c’est sur la nature de ce vase. Parce qu’il n’était pas trop plein, mais trop vide. Et nous insisterons sur une donnée dont tout le monde parle, sans jamais s’y intéresser vraiment : la spécificité du sarkozysme. Nous avons déjà évoqué ici même la novation communicationnelle du phénomène, on n’y reviendra donc pas chaque semaine, on n’est quand même pas Alain Duhamel. Mais l’autre spécificité du sarkozysme, pour n’être pas absolue, n’en est pas moins spectaculaire. C’est la première fois, depuis 1981, qu’un président est élu par des Français qui croyaient que les choses allaient changer vraiment , ou plus exactement, pour s’approcher du leitmotiv rimbaldo-mitterrandien des belles années, que le président élu allait changer la vie, donc changer leur vie. Ceux de 81 avaient déchanté au bout de deux ans et se jurèrent qu’on ne les y prendrait plus. Il aura fallu attendre qu’une génération passe pour que le serment soit à nouveau viable, pour qu’un candidat éligible fasse à nouveau rêver la politique.
Ce rêve incarné, ce fut la force de Nicolas Sarkozy il y a deux ans, c’est aujourd’hui son drame.

Disons-le sans détour : ce n’est pas le Nicolas Sarkozy père de son fils, mari de sa femme, ou protecteur de Frédéric Mitterrand qui est aujourd’hui dans le rouge, c’est celui qui allait s’occuper personnellement de votre feuille de paye, de votre emploi, chercher la croissance avec les dents et, en prime, renvoyer à la niche les petits morveux qui parfument votre cage d’escalier au chichon libanais

Manque de bol, le vase est vide. Emploi, salaire, retraites, école, rien n’a changé, si ce n’est en pire, et il en va de même sur ce qui fût autrefois le créneau porteur de la sécurité. Quand rien de tout cela ne bougeait du temps de Chirac, tout le monde s’en foutait, parce qu’on l’avait élu sans illusion, ce brave Jacques. Là, ça tangue très fort parce que précisément, Nicolas Sarkozy a été élu avec illusions.

Paradoxalement, la crise mondiale lui aura offert un sursis, durant lequel il aura pu chanter sur tous les tons J’voudrais bien, mais j’peux point. Mais l’éloignement plus rapide d’un scénario catastrophe type 1929 est une vraie mauvaise surprise pour Nicolas Sarkozy. Remis de leurs paniques, rendus à des préoccupations plus ordinaires, ses chers électeurs se regardent au fond de leurs propres yeux et constatent que contrairement à ce qu’ils avaient cru en 2007, ils ne sont pas plus riches, ni plus en sécurité, ni même plus minces (quand on commence à rêver, on sait jamais où ça va s’arrêter). Non, ils se trouvent juste un peu plus cons d’y avoir cru.

Deux ans après avoir été élu le drame de Nicolas Sarkozy est le même que celui de François Mitterrand en 1983 : ce n’est pas l’omni-présidence mais l’omni-impuissance.



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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