Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne
Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »
Ère lacrymale et victimaire
Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.
Sixième roman pour Emma Becker
Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir uneœuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménageà trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »
La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade !
Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !
Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.) « L’autricenous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, lesbrisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’unefemme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo. Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.
Nouveaux départs ?
En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.
Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vied’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.
Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.
L’entrisme et le séparatisme islamistes à l’hôpital progressent. Enquête sur le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza », la nouvelle alliance des soignants et des Frères Musulmans.
Le mercredi 3 juillet 2024, le parvis du Sacré-Cœur de Montmartre est occupé par un rassemblement de soignants revêtus de blouses médicales et de keffiehs. C’est le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza » (BBG pour les intimes) qui manifeste.
Ce phénomène est inédit à plus d’un titre : dans un pied-de-nez à l’Église de France, des soignants choisissent d’occuper l’esplanade d’un lieu de culte catholique. Ils descendent dans la rue, non pas pour alerter l’opinion publique sur la condition de nos hôpitaux, mais pour s’exprimer politiquement sur un conflit qui se joue à 3000 kilomètres de la France. Jamais des blouses blanches ne sont descendues manifester pour les victimes de la guerre du Kosovo, de l’Arménie ou du Congo… mais passons. Enfin, face au micro du média turc TRT, ces mêmes soignants sortent du principe de neutralité de la fonction publique, et revendiquent être également venus « pour faire barrage à l’extrême-droite »[1]. Quelle analyse tirer de ce gloubi-boulga idéologique ?
La création de ce collectif répond à des critères parfaitement légaux, et il nous apparaît légitime que des soignants puissent s’émouvoir de la condition de blessés de guerre ou des difficultés d’exercice du personnel médical humanitaire. À notre tour, nous sommes dans le droit de nous interroger sur l’objectif réel des BBG et d’analyser leurs discours. Nous avons décidé de participer à leurs manifestations dans le but de côtoyer leurs membres et d’écouter leurs revendications. Quel est le vrai message porté par les « Blouses Blanches pour Gaza » ?
Chez les BBG, le fréro-salafisme est administré en perfusion
Le collectif des BBG s’est constitué au lendemain de la riposte israélienne sur la bande de Gaza, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. L’opacité règne sur les membres fondateurs de ce collectif : à peine sait-on que plusieurs soignants proviennent de l’entité PalMed (un réseau de soignants issus des Frères Musulmans[2]) ; que leur canal de discussion est un groupe interne WhatsApp (« Il ne faudrait pas que la police tombe dessus, car il y aurait de quoi nous faire tomber » s’inquiète un membre des BBG, quelques semaines avant l’arrestation d’Imane Maarifi[3]) ; et que leur seule vitrine est un compte Instagram tenu par la fille d’un des médecins du collectif, étudiante en communication.
Si les membres des BBG privilégient l’anonymat, dans une stratégie de dissimulation, dans les manifestations pro-palestiniennes, deux infirmiers s’expriment en revanche publiquement et de façon récurrente au micro d’Euro-Palestine ou d’Urgence-Palestine : Sébastien Wildemann, ex-infirmier libéral et actuel directeur des soins dans une antenne de soins à domicile d’Île-de-France ; mais, surtout, Imane Maarifi, infirmière libérale à Plaisir (78). Elle se revendique comme infirmière du réseau frériste PalMed et membre active des BBG.
Le 5 septembre, le député LFI Thomas Portes annonce sur X qu’Imane Maarifi vient d’être arrêtée à son domicile pour faire l’objet d’une garde-à-vue[4]. Relâchée dès l’après-midi, elle brandit un drapeau palestinien dans une posture victorieuse et s’exprime en story sur Instagram, en s’assurant que le commissariat soit filmé en arrière-plan. Imane Maarifi nous apprend qu’elle aurait été placée en garde-à-vue pour avoir menacé de mort des Juifs – les propriétaires des Salons Hoche (Paris 8ème), dont les lieux accueillaient un salon de l’immobilier israélien – et se réjouit que les charges aient été abandonnées, ayant pu prouver sa bonne foi. Depuis sa convocation, Imane Maarifi est célébrée comme une héroïne de guerre. Invitée sur les médias pro-palestiniens (Le Media, Paroles d’Honneur etc.), elle livre les détails de sa convocation. Nous y apprenons que les Salons Hoche auraient reçu près de 300 appels de menaces et d’apologie du terrorisme (« On va vous faire comme le Bataclan ») et que le contenu du téléphone d’Imane Maarifi serait en cours d’analyse (« Ils ont extrait ce qu’ils avaient à extraire », relate-t-elle platement. Dont le groupe WhatsApp des BBG, s’interroge-t-on ?). Enfin, Imane Maarifi s’épanche longuement sur son douloureux vécu de mère courage. Au cours de son interrogatoire, elle affirme avoir été heurtée par des questions autour de ses enfants (« Ils m’ont demandé, qu’est-ce que j’explique à mes enfants sur mon militantisme ? Qu’est-ce que je leur dis sur ce qui se passe à Gaza ? Je leur ai dit, je ne comprends pas le lien »[5]). Le lien est pourtant simple : en évoluant dans un milieu fréro-salafiste tel que celui d’Urgence Palestine, Imane Maarifi – ainsi que les autres membres des BBG – ne risque-t-elle pas de se radicaliser et d’exposer ses enfants mineurs à cette même idéologie ?
Imane Maarifi
L’étroitesse des liens entre les BBG et Urgence Palestine
Le collectif d’Urgence Palestine s’est créé, lui aussi, à la suite du 7 octobre. En se baladant sur leur site, on y découvre parmi leurs principales revendications : « Cessez-le-feu et fin du blocus immédiats », « La fin de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid », « Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël », « Soutien à la résistance du peuple Palestinien ». Nous sommes donc bien loin des aspirations supposées médicales des BBG. Pourtant, ces derniers ont un lien très fort avec ce collectif et principalement avec son leader, Omar Alsoumi, qui était à leurs côtés lors d’un rassemblement le 8 septembre sur la Place de la Nation, pour le retour du Drapeau de la Libération. De quelle libération parle-t-on ? Pas de celle des Gazaouis sous la coupe de l’organisation terroriste du Hamas. Ni de celles des otages israéliens. Depuis son départ de la Place de la République à Paris le 14 août, le drapeau palestinien en question traverse des grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg…) pour appeler à la libération de la Palestine de l’Etat sioniste !
Omar Alsoumi est né d’un père palestinien, diplômé de Sciences-Po, porte-parole de PYM (Palestian Youth Movement) : mouvement affilé au FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), classé depuis plus de vingt ans sur la liste des organisations terroristes par l’Union Européenne. Omar Alsoumi est également le fondateur de « Boussole Palestine » qui, entre autres, fait pression pour le port de l’abaya à l’école. Il était présent à la marche du 8 mars pour la journée internationale des Droits des Femmes, au cours de laquelle les femmes du collectif « Nous Vivrons » ne furent pas les bienvenues et se retrouvèrent bousculées, huées et insultées par les activistes du collectif Urgence Palestine : « Sales putes ! », « Sionistes, fascistes, vous n’êtes pas féministes » ! On a compris ce jour-là que nos BBG, dont la majorité est pourtant composée de femmes, pouvaient apparemment frayer avec des individus ayant une conception bien particulière de la cause féminine et du viol, selon que l’on soit juive ou palestinienne.
Notre enquête nous a également amené à croiser sur les publications Instagram des BBG une figure incontournable du salafisme : le Frère Élias d’Imzalène (Eli Yess Zareli, de son vrai nom), également membre actif d’Urgence Palestine. Cheveux longs souvent attachés, barbe fournie, dominant de sa hauteur la foule, Élias d’Imzalène a un sacré CV. Fiché S par les services de renseignements, prédicateur salafiste à la mosquée de Torcy – fermée en 2017 – où il appelait les fidèles à arrêter d’être « des Français légalistes, républicains et patriotes », fondateur du média « Islam et Info », co-organisateur de la Marche contre l’islamophobie en 2019 au cours de laquelle la foule avait scandé « Allah Akbar » devant le Bataclan, on a pu l’apercevoir proche de membres de La France Insoumise comme Thomas Portes, Rima Hassan, ou Ersilia Soudais, en conférence ou en manifestation. Gardons le meilleur pour la fin : dimanche 8 septembre – le fameux jour du retour du Drapeau de la Libération – il lance carrément un appel à mener l’« Intifada » (« Révolte ») : « Est-ce qu’on est prêts à mener l’Intifada dans Paris ? Pour nos banlieues, dans nos quartiers, pour leur montrer que la voie de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris, qu’elle passera par Marseille ». Ce même jour, nous le voyons remettre le drapeau palestinien à une soignante des BBG. Elle-même le remettra à Rima Hassan, la députée européenne qui avait participé le 16 août à une manifestation à Amman, en Jordanie, dans laquelle des manifestants portaient le bandeau vert de l’organisation terroriste et brandissaient des pancartes rendant hommage au chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran.
Si Urgence Palestine a tout du réseau pro-Hamas, qui réunit à la fois antisémites et islamistes, qu’en est-il alors des BBG ? Nos Blouses Blanches ont des étranges fréquentations – Élias d’Imzalène, Omar Alsouni, Rima Hassan – qui ne peuvent que nous interroger sur la vraie nature de leurs revendications.
Si tu suis l’Esprit Soumoud, les fers à lisser et Freud tu boudes !
Dans un live diffusé en août sur le compte Instagram des BBG, Imane Maarifi présente le podcast « Esprit Soumoud ». Ce podcast présente le travail de deux psychologues voilées et membres des BBG : Najat Najari-Balhag et Ismahene Laidaoui. Abdelghani Boudik, créateur du podcast « Ramadan », s’occupe de la technique. Par le passé, Ismahene Laidaoui est intervenue à l’Institut D’Clic de Bobigny, fief du salafiste Nader Abou Anas, lui-même disciple d’Yves Leseur, aujourd’hui appelé Cheikh Ayoub, Français converti au Pakistan et figure de proue du salafisme français[6]. Le podcast d’« Esprit Soumoud » est la mise en lumière de l’UESCP des BBG, à savoir l’Unité d’Écoute de la Souffrance Coloniale en Palestine.
Au micro d’« Esprit Soumoud »[7], les deux psychologues rejettent « le fantasme de la neutralité du psychologue » et appellent leurs confrères à une posture militante « avant-gardiste et anticoloniale ». La lutte de Najat Najari-Balhag et d’Ismahene Laidaoui tient de ce qu’elles appellent « la décolonisation des esprits », car – en s’appuyant sur leur propre interprétation du livre de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre – elles estiment que la santé mentale ne peut être dissociée du combat politique. L’une d’entre elles, issue d’une famille militante du FLN, explique la continuité qu’elle voit entre la guerre d’indépendance algérienne et celle qui se déroule sur la bande de Gaza. Dans une posture de rejet de toute influence coloniale, les deux femmes expliquent avoir arrêté de se lisser les cheveux (cette pratique étant perçue comme un « signe de beauté caucasienne » : « Je me blanchisais dans mon identité », dit l’une d’elle), revendiquent le port du voile (verbalisé comme un outil de lutte contre l’assimilation française), le retour à la religion, la lutte contre les violences policières et le port de signes distinctifs pro-palestiniens, tels que la pastèque ou le keffieh. À leurs patients pro-palestiniens, elles se présentent « comme une alliée » ; de leur identité, elles affirment qu’elle est « arabo-musulmane » ; de leur difficulté à porter le voile dans la fonction publique, elles se disent « salies par un extérieur qui a tort ». Plus inquiétant, elles remettent en question leur socle de formation universitaire (« La psychologie clinique, la psychanalyse, les concepts tels que le complexe d’Œdipe, ça ne pouvait pas faire sens avec ma culture ») ; elles rejettent les théories de Freud, vues comme une lecture occidentale de l’esprit qui ne concernerait pas la psyché et donc les problématiques des patients de culture arabo-musulmane. Elles concluent : « La colonisation des esprits, c’est nier les différences de cultures comme d’autres nient la différence des couleurs ». Placé sous de tels auspices, l’avenir de la santé mentale en France s’annonce préoccupant.
Imane Maarifi et Ismahene Laidaoui
Les BBG sous tension : la crainte de l’AMIF
L’AMIF. L’Association des Médecins Israélites de France. Ces quatre lettres reviennent en boucle dans les rangs des membres des BBG. Lorsqu’elles sont évoquées dans les manifestations pro-palestiniennes, les nuques se raidissent, et le ton monte. Pour nos militants, le projet est clair : pour pouvoir perdurer, l’objectif premier est d’abattre l’AMIF. Pourquoi ?
Depuis le 7 octobre, des soignants pro-palestiniens peuvent faire la propagande de leurs opinions antisionistes sur les réseaux sociaux. Ces dérives sont signalées à l’AMIF, qui porte plainte et envoie les brebis galeuses au Conseil de l’Ordre pour y être sanctionnées. Depuis, la menace que représente l’AMIF est prise très au sérieux, et les BBG ont donc décidé d’agir. On tente d’approcher des membres du Conseil de l’Ordre pour adoucir la situation, valoriser l’engagement pro-palestinien, expliquer que les Gazaouis sont des victimes et les Israéliens des génocidaires… Une tentative d’influence courtoise, toujours avec sourire et bienveillance, bien sûr. Rappelons que les Facultés de Médecine sont déjà prises d’assaut par un syndicat frériste[8], l’OMAS, qui s’évertue à placer ses pions sous la forme d’étudiants radicalisés. Plus que jamais, le Conseil de l’Ordre doit donc rester vigilant pour ne pas basculer, lui aussi, sous l’influence des Frères Musulmans ou de soignants acquis à la cause du Hamas. Une chose est sûre : avec l’augmentation croissante des propos antisionistes voire antisémites dans le corps (para)médical, la lutte ne fait que commencer. Et la Chambre Disciplinaire du Conseil de l’Ordre risque bien de devoir recruter…
Panique morale dans la presse ce matin, où l’on feint de croire que le gouvernement de Michel Barnier est affreusement conservateur
À peine nommé, le gouvernement Barnier provoque la polémique. La chasse aux sorcières réacs est ouverte. C’est l’acte II de la comédie antifasciste. Il y a deux mois, on luttait contre le fascisme imaginaire du Rassemblement national. Aujourd’hui, la gauche et le centre hurlent au retour de l’ordre moral. Dans leur ligne de mire, une dizaine de ministres trop conservateurs, c’est-à-dire trop cathos, en particulier Bruno Retailleau (lequel, entre autres crimes, a été autrefois proche de Philippe De Villiers). Les médias de gauche, toujours prompts à assurer la police de la pensée, dressent la liste noire : il y a ceux qui ont voté contre le mariage pour tous, ceux qui étaient contre la constitutionnalisation de l’IVG, ceux qui ont signé une tribune favorable à l’école privée (il va falloir dénoncer tous les Français qui y inscrivent leurs mômes). Il ne manque qu’un ministre amateur de corrida ! Libération, organe central de la gauche culturelle, titre ce matin sur le « pacte réac ».
Le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure dénonce un gouvernement réactionnaire en forme d’ « insulte à la démocratie ». Quant aux néo-féministes, elles sont déchaînées. Selon la militante Caroline De Haas, « Macron donne le pouvoir à des anti-IVG, des homophobes et des transphobes ». Plus étonnant, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal somme le nouveau de s’engager à ne pas toucher à la PMA et aux droits des LGBT. Ce que Michel Barnier a d’ailleurs fait sans barguigner sur France 2 hier soir.
Peut-on comprendre ces inquiétudes ?
Non. Je ne les comprends pas et je ne les crois pas parce qu’eux-mêmes n’y croient pas. Cette question sociétale est un leurre, une diversion. Personne n’a l’intention de revenir sur le mariage pour tous ou de restreindre le droit à l’IVG. Et tout le monde le sait. Mais pour tous ces beaux esprits, la liberté de pensée, c’est quand on pense comme eux. Tous ceux qui osent afficher des opinions conservatrices devraient être éliminés de la vie publique. Précisons par ailleurs qu’on pouvait être contre le mariage pour tous sans une once d’homophobie. Qu’on a le droit d’être personnellement hostile à l’IVG, sans vouloir la remettre en cause. Qu’on a le droit d’être pour la prudence s’agissant de changement de sexe d’adolescents. Et enfin qu’on devrait avoir le droit d’être catho sans se faire traiter de noms d’oiseau. On ne sait pas qui la gauche et l’Attalie comptent mobiliser avec ces sujets dont la majorité des Français se fiche éperdument. Gabriel Attal veut-il se poser en patron des futurs frondeurs qui entendent mener la vie dure à Barnier ? Peut-être veut-il rappeler que, s’il s’apprête à soutenir un gouvernement de droite, et probablement à voter un budget d’austérité, il est toujours dans le bon camp, le camp progressiste. Pour l’intérêt du pays, on repassera.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin
Michel Barnier a formé son gouvernement. La gauche protestataire continue de prétendre qu’on lui a volé l’élection. La droite récupère d’intéressants ministères dont l’Intérieur. Le bloc macroniste se révèle de plus en plus fissuré.
La formation du gouvernement Barnier ne s’est pas faite sans difficulté. A l’heure où celui-ci est enfin connu, rares sont ceux qui parient sur sa longévité. Non que Michel Barnier soit un mauvais choix. Au contraire. En des circonstances aussi critiques, sa désignation relève d’une forme de sagesse. Il laisse le psychodrame permanent à LFI et à la gauche, le rôle de la drama queen à Jean-Luc Mélenchon. Lui réinstalle une image plus « vieille France » de l’incarnation politique, et nous lui en sommes tous gré. C’est un homme de devoir qui se tient devant nous et cela nous change. Pour autant, si les Français ont applaudi ce choix, le Premier ministre devenant dès sa nomination « personnalité politique préférée des Français », tous les comportements de la classe politique montrent qu’ils en sont déjà au coup d’après et même au coup d’après le coup d’après…
Le palais de l'@Elysee a annoncé, samedi 21 septembre 2024, la nomination du Gouvernement de @MichelBarnier.
En effet, l’épisode de la composition du gouvernement prouve bien que nos politiques n’ont pas conscience de notre situation collective. Les appels à la responsabilité des uns et des autres ne sont que des postures. Personne n’est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l’avenir du pays. Voilà pourquoi aucun poids lourds de la politique n’est venu. Pour donner le coup de talon qui fait remonter à la surface, encore faut-il avoir touché le fond. La conscience de ce qui nous menace et la réalité de notre déclin n’est pas encore suffisamment forte pour déplacer les lignes de force, rendre possible ce qui ne l’était pas, pensable ce qui paraissait inatteignable. C’est peut-être au pied du mur qu’on voit le maçon, mais c’est quand ils sont incrustés dans les briques que les politiques se révèlent. Nous n’y sommes pas encore, ce qui signifie que les ambitions personnelles des uns et des autres sont plus fortes que l’appel à un hypothétique sens des responsabilités. En politique, on voit souvent les catastrophes venir de loin mais on n’opère les changements nécessaires qu’après l’effondrement. Car c’est souvent seulement à ce moment-là que les gens acceptent de prendre leur perte. Il faut dire que c’est souvent parce qu’elle s’est réalisée. La nécessité du changement de logiciel se fait sentir bien avant l’impact, mais la réalité du changement dans l’action arrive en général après.
Ainsi ce gouvernement n’offre quasiment aucune grille de lecture. On se rapproche du mur mais on ne mange pas encore les briques. Ceux qui le composent ont des histoires trop légères et pas assez signifiantes pour transmettre un quelconque message à la nation. Ils sont pour la plupart des inconnus, ce qui ne présage pas de leur capacité, mais ne donne pas une idée très claire de ce que porte ce collectif gouvernemental. A force de ne vouloir heurter personne, il est pour l’heure dépourvu de ligne de force et les soupçons de la gauche lui tiennent lieu de capacité de fermeté.
Le résultat de 15 jours de tractation est d’ailleurs conforme à la feuille de route fixée : ne pas trop crisper la diversité des alliés. Michel Barnier, expérimenté et capable de trouver des compromis dans la tension, comme il l’a prouvé avec le Brexit, possède les qualités nécessaires, mais il va falloir compter avec un président sans colonne vertébrale ni vision, susceptible de tout et surtout de n’importe quoi et un Gabriel Attal qui pense le pouvoir suprême à sa portée et attend que la décomposition du PS lui permette d’arrondir sa pelote En marche. Bien sûr, il est de bon ton dans la période d’insister sur la nécessité d’un gouvernement de large rassemblement, d’union nationale.
Mais pour cela encore faut-il savoir pour quoi ou contre quoi se fait cette union. Contre le RN, selon la logique du front républicain ? Il aurait alors fallu porter au pouvoir un parti, LFI, qui a remis la dynamique antisémite au cœur de la constitution de son électorat et fait de la haine des Juifs un levier politique. Il aurait alors fallu porter au pouvoir une gauche qui a fermé les yeux sur la trahison de son histoire et de son honneur, une gauche qui surtout n’a pas gagné les élections. Et puis quid du RN. A côté de LFI et de ses outrances, le parti parait très assagi, mais comment justifier une participation ou un soutien quand on a mobilisé tout l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Français à « faire barrage » au fascisme, comme si on assistait au retour d’Hitler à travers les succès du parti de Marine Le Pen. Quand un pays est aussi divisé et que les clivages ont été exacerbés, seul le sentiment à la fois de la menace et de la nécessité peut faire retrouver le chemin du commun. Nous sommes tombés bas, mais nous n’en sommes pas là.
Vieux réflexes
Les vieux réflexes politiciens sont donc revenus. D’un côté, à droite de l’échiquier, on a l’habitude de gouverner. Lorsqu’on lui confie les rênes, sa logique n’est pas forcément le partage, elle lui préfère la cohésion politique. De l’autre, la macronie, n’est jamais parvenue à incarner un courant de pensée défini. La désormais très grande faiblesse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron a fait ressurgir les rivalités et l’expression très diverse de sa majorité, chaque élément du puzzle se projetant déjà vers la présidentielle.
Le nouveau gouvernement se retrouve donc en situation extrêmement précaire car à sa majorité très relative s’ajoute une pression constante en son sein et autour de lui. La gauche, de façon assez ridicule, ne cesse de hurler au déni de démocratie. Alors que non seulement elle n’a pas de majorité, mais surtout qu’elle n’a pas su se mettre en ordre de marche. Elle s’est même ridiculisée en allant chercher une parfaite inconnue pour une fonction aussi importante dans un temps si particulier. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle n’aura de cesse de protester, installant un (très) mauvais climat au parlement. « L’heure est grave, l’extrême droite est aux portes du pouvoir » nous dit-elle, mais ça ne la contraint aucunement à la retenue, sans parler de tenue. Elle hurle aussi à la « droitisation », laissant entendre un recul sociétal généralisé sur les droits des homosexuels, l’IVG, la PMA… Or, aucun de ces droits n’est menacé. Alors, pourquoi ce jeu malsain ?
Parce que quand vous n’avez ni projet, ni idée, ni même une direction, résoudre des problèmes qui n’existent pas ou que vous créez pour l’occasion est une des meilleures méthodes pour mobiliser des militants et vous targuer d’immenses succès. Succès d’autant plus appréciables qu’ils ne vous ont rien coûté, puisqu’ils sont en trompe-l’œil. Le meilleur exemple récent de cela est la constitutionnalisation de l’IVG. Le droit n’était pas menacé, la constitution n’est pas le catalogue du désirable mais la référence en matière d’organisation des pouvoirs, donc n’est pas faite pour sanctuariser ce type de droit, mais qu’importe, l’essentiel est que l’on a fait croire aux Français qu’il venait là de s’accomplir un grand geste politique. Alors que le seul vrai grand geste politique revient à Simone Veil. C’est cette tactique à la Gribouille qui est mise en œuvre par la gauche. Cela consiste à hystériser certains dossiers en faisant croire aux groupes concernés que leurs droits sont menacés : droits des homosexuels, accès à la PMA. Puis on hurle que l’on ne laissera rien passer. Ce qui est facile puisque rien n’est en route. Et enfin on explique que l’on a écarté le danger, grâce à sa mobilisation. Cela permet d’occuper le terrain, sans travailler, sans réfléchir, sans agir réellement, mais on marque des points auprès de ses groupes cibles, tout en travaillant à instituer une méfiance généralisée et à distiller un sentiment de menace dans les groupes minoritaires. Le sociétal se prête parfaitement à ce genre de manipulation.
Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont plutôt discrets
Michel Barnier, en plus de gérer une majorité éruptive et une gauche protestataire stérile, doit également faire avec les grands vainqueurs des Européennes et des législatives, le Rassemblement national. Lui n’a qu’à regarder les choses se déliter en évitant les erreurs. Il sait qu’il est potentiellement le prochain vainqueur. Son mauvais score au second tour des législatives n’est dû qu’à un nouvel et ultime (?) réflexe de barrage construit sur la culpabilisation. Mais lutter contre le soi-disant fascisme auprès d’authentiques antisémites a porté un vrai coup à un dispositif fondé sur une certaine idée du bien en politique. Idée qui a été durablement piétinée.
La faiblesse de la majorité relative à droite, voulue par le président de la République, est aussi liée à cette donnée de départ qu’est l’exclusion, voire la stigmatisation de 11 millions d’électeurs ayant porté leur choix sur des élus du RN. Le Premier ministre n’est pas non plus aidé par une Assemblée nationale qui, au lieu de prendre acte du poids démocratique des élus du RN, a préféré largement l’exclure des distributions de postes à responsabilité.
En résumé, tout le monde explique que la crise démocratique traversée, voire institutionnelle, oblige à la responsabilité, mais en réalité personne ne prend réellement les mesures en rapport. Ce tableau laisse penser que la bonne volonté du Premier ministre ne sera pas suffisante, mais nul ne lui en voudra de ne pas réussir là où il ne pouvait qu’échouer. Le seul point qui mette tout le monde d’accord est que le responsable de tout cela est un président qui n’a jamais réellement su se mettre au diapason d’une fonction qui, en concentrant tant de pouvoirs, dirige toutes les flèches contre elle en cas de difficultés. Pire, à chaque fois que crise il y eut, il a donné le sentiment que lui seul pouvait comprendre et apporter une réponse appropriée. De ce constat découle une conséquence naturelle : il est le problème. Dans ces conditions il est très probable que le Premier ministre ne soit que l’un des derniers éléments du chemin à parcourir pour faire décanter la situation. Il s’agit d’accumuler les échecs pour que les cartes puissent être totalement rebattues et redonnent ainsi à un nouvel élu, la légitimité d’agir. Tout le monde parie donc que le président démonétisé sera contraint de redonner la parole au peuple. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’autre du gouvernement Barnier que l’établissement d’un budget et la gestion des affaires courantes. Espérons néanmoins qu’il conserve ce style plus apaisé qui évitera que la prochain épisode ne se déroule dans un trop grand tumulte.
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis quarante ans. L’homme est aussi un pionnier: il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Après deux mois d’exil sur l’île de Ré, j’ai hâte de retrouver « mon » Paris, celui des bistrots, des petits commerces et des marchés en plein air. Dès mon retour, j’irai ainsi déjeuner au Bistrot du Sommelier, boulevard Haussmann, en face duquel vivait Marcel Proust il y a un siècle. Cette institution parisienne a été créée il y a quarante ans par Philippe Faure-Brac, un sommelier de 24 ans né à Marseille. Sacré meilleur sommelier du monde à Rio en 1992, Philippe est un grand monsieur du vin unanimement respecté et qui, en plus, ne joue pas « perso », mais aide et encourage les futurs jeunes sommeliers.
À l’époque, les grands crus n’intéressaient pas grand monde, on buvait du « pinard » en carafe, surtout du rouge, et l’image du sommelier était vieillotte. En créant son bistrot, Philippe Faure-Brac a voulu rendre le monde du vin plus accessible et stimulant. Il était un pionnier : « Rendez-vous compte, je servais le soir de la Romanée-Conti au verre, à 50 francs le verre ! Avec mon chef Laurent Petit (futur trois étoiles Michelin à Annecy), nous avons été les premiers à proposer des menus dégustation autour du vin, c’était vraiment nouveau à l’époque. »
Filet mignon de cochon en croûte de chorizo, chou rouge aux épices et nuage de persil, servi avec une Romanée-Conti 1971.
En ce temps-là, les sommeliers parisiens n’allaient pas dans le vignoble mais se contentaient de bien gérer leurs caves. « Pour moi, aller à la rencontre des vignerons a toujours été une source d’inspiration. On ne buvait que du Bordeaux, du Bourgogne et un peu de Champagne… »
Aujourd’hui, un sommelier digne de ce nom se doit de faire le tour du monde et de tout connaître. Son cerveau a mémorisé des milliers d’informations aussi bien théoriques que sensorielles.
Ces connaissances, Philippe Faure-Brac les a, plus que tout autre, mais c’est avant tout un homme qui sait faire du vin un objet de partage et d’union, loin des modes et des querelles de chapelles. Je vous recommande ainsi d’aller chez lui le vendredi soir : à la fin du dîner, vous le verrez entonner a capella Brel, Bécaud, Nougaro et Lama, face à des clients ahuris et enchantés.
On va aussi au Bistrot du Sommelier pour découvrir les pépites qu’il sait chiner, comme ce somptueux Pouilly-Fumé de la vigneronne Marielle Michot, un vin exceptionnel, salin et tranchant, élevé « à l’ancienne » dans des fûts de chêne de 500 litres, qu’il propose par exemple pour déguster un lieu jaune juteux parfumé à la citronnelle et accompagné d’un risotto de courgettes aux gambas.
Charles Aznavour venait souvent le voir. « Un jour, dans ma cave, il me dit : “De toute façon, il n’y a pas meilleur que Château Pétrus” (il ne buvait que ça). Je lui dis : “Monsieur Charles, vous pourriez boire autre chose”, et je lui sers un verre à l’aveugle. Il le hume, le goûte, prend la bouteille et regarde l’étiquette, c’était une Côte Rôtie de Guigal cuvée “La Turque”… En voyant ce mot, il me foudroie du regard, quelle gaffe je venais de faire, lui, l’Arménien d’origine, je ne savais plus où me mettre ! Aznavour part dans un coin, prend le temps de goûter, puis il revient vers moi, l’œil brillant : “C’est tellement bon qu’on peut oublier l’Histoire !” »
Malgré sa célébrité, Philippe Faure-Brac continue de servir lui-même les vins et les plats, toujours au taquet… il est là, présent en salle, comme l’étaient ses parents et ses grands-parents restaurateurs à Briançon. Il a gardé intact en lui l’amour de ce métier si dénigré.
Dans les années 1980, les œnologues étaient tout-puissants, on croyait que l’on pouvait faire de grands vins en cave grâce à la technologie, mais on a très vite pris conscience que c’était une illusion : « Le grand vin résulte d’une somme de détails : le soin apporté à l’environnement, à la vie des sols, au végétal, à la cueillette manuelle, au tri des raisins… On a compris que les grands vignerons étaient des paysans, des gens de la terre qui savent observer la nature. »
Je m’ouvre à lui sur ces jeunes sommeliers qui ont si souvent tenté de me fourguer du jus de raisin fermenté en guise de vin. « En effet, les vins d’aujourd’hui sont faits pour être bus jeunes. 90 % des vins produits sont consommés dans l’année. La vérité est que les grands vins ont besoin de temps pour se complexifier, pour digérer ce qu’ils ont reçu de leur terroir, l’ivresse qu’ils procurent au bout de quinze ans est extraordinaire. Je pense par exemple aux vins de Jean-Louis Chave, sur l’appellation Hermitage, dans la vallée du Rhône. »
Et la rivalité Bordeaux-Bourgogne ? « La Bourgogne triomphe depuis 2005. Elle a su affirmer une vision. Les Bordelais, eux, ont un problème : c’est le négoce chargé de distribuer leurs vins, ils se sont coupés du goût des consommateurs. En Bourgogne, le vigneron vous accueille alors qu’il est sur son tracteur… Clairement, à Bordeaux, la qualité technique est au rendez-vous, mais il faut aller au-delà, il faut retrouver de l’émotion, être plus à l’écoute du terroir, préférer l’infusion à l’extraction, donner une touche humaine. J’aime bien les vins du Domaine de l’A de Christine et Stéphane Derenoncourt en Côtes de Castillon. J’aime aussi les Pomerol de Jean-Marie Bouldy à Pomerol. »
Au Bistrot du Sommelier, les plats sont superbes, à l’image du poulpe confit au safran ou du veau taillé dans le quasi nappé d’un jus à la truffe… Une vraie leçon de gastronomie car, selon Faure-Brac, les chefs amoureux du vin sont devenus très rares : « Autrefois il y avait Alain Senderens, un génie des accords avec qui j’ai beaucoup travaillé. Très peu de cuisiniers ont encore cette sensibilité. »
Alors autant en profiter. Les grands vins sont essentiellement mystérieux et laissent un intarissable souvenir.
Le Bistrot du Sommelier 97, bd Haussmann, 75008 Paris Menu à 41 euros. Dégustation de deux vins surprises : 18 euros. www.bistrotdusommelier.eu
Singulier roman que signe Christine Barthe qui fut psychothérapeute. Ce que dit Lucie nous plonge dans le monde de deux nageuses amies, Lucie et Anaïs.
Lucie, 6 ans à peine, se laisse entraîner vers le fond d’un bassin, avant d’être sauvée in extremis par une main d’adulte. Elle pourrait avoir la phobie de l’eau. Mais non, à 9 ans, elle est repérée comme une nageuse d’exception par sa professeure de gymnastique. Mais au même âge, ce n’est pas la seule chose qui lui arrive – on l’apprendra au cours du récit tout en subtilité. À 11 ans, elle s’inscrit dans un club et découvre la compétition. Elle rencontre Anaïs, c’est une « tigresse », une crawleuse qui ignore les limites ; elle ne conçoit pas de perdre. Lucie est une dossiste ; fascinée par l’eau, son approche est davantage esthétique, voire métaphysique. La mer, la rivière, le fleuve sont bienveillants. Raisonnement peu conforme à la réalité ? Sûrement. Mais la réalité n’est pas toujours la réalité. Voyez le phénomène de réfraction. Le bâton dans l’eau, on jurerait qu’il est tordu. Or, il ne l’est pas.
Un été, les deux jeunes filles se retrouvent dans un centre de préparation pour les championnats de France. Avant la compétition, Lucie chute dans un couloir. Entorse à la cheville. Elle finit dans le lointain. Carrière terminée. Anaïs se trouvait derrière Lucie quand elle est tombée. Soudain, le doute s’immisce : et si sa « sœur de cœur » l’avait poussée ? L’engrenage commence. Le roman bascule dans l’enquête policière. En effet, quelques années plus tard, les deux amies séjournent sur la côte atlantique, à Hendaye. L’eau est à 14 degrés. Elles se baignent quand même. Lucie décide de sortir, tandis qu’Anaïs s’y refuse. Le drame surgit. Elle se noie. Que s’est-il réellement passé ? Une enquête est ouverte. Lucie est convoquée par l’inspecteur Aulnes. C’est le roi de l’interrogatoire. La confrontation est rude. Durant la garde à vue, Lucie ne se laisse pas faire, mais l’inspecteur ne la lâche pas.
La structure narrative est originale : les scènes d’interrogatoire sont entrecoupées d’extraits du journal intime de Lucie. Ainsi le lecteur se trouve-t-il dérouté par sa personnalité duale. Est-elle manipulatrice ou à l’image de l’eau ? Extrait du journal : « L’eau prend la forme de toute entité qui s’y plonge, elle l’accueille, l’accompagne, ne l’oblige à rien, la laisse se mouvoir, lui offre la possibilité d’apprendre quelque chose sur elle-même et sur cet héritage qui l’entoure, dans le silence et l’ondulation de sa source. »
En tout cas, Ce que dit Lucie est aussi hypnotique que les tourbillons de l’eau qu’on contemple du bord de la rive.
Christine Barthe, Ce que dit Lucie, Seuil / Fiction & Cie 176 pages
Ce dimanche, sans raison particulière, juste pour se souvenir, Monsieur Nostalgie nous parle du regretté Pierre Bachelet…
Il n’y a pas de date anniversaire en ce dimanche de septembre. Aucune stèle à l’horizon. Je pourrais biaiser, inventer un lien avec l’actualité, raccrocher le wagon de ma chronique à la cohorte des temps tristes. Vous dire, par exemple, qu’en 2024, Pierre Bachelet aurait eu 80 ans et qu’au début de l’année prochaine, nous célèbrerons les vingt ans de sa disparition. Feindre d’être offusqué par le silence médiatique qui entoure cette figure de la variété française, oubliée comme d’autres stars du microsillon. Il était jadis invité à Aujourd’hui Madame et à Champs Élysées. Il avait commencé dans la pub et rêvait de cinéma. Tailleur sonore sur mesure, il habillait indifféremment LesBronzés et Emmanuelle. Il portait une veste trop large comme le président Chirac et des cheveux mi-longs à la manière postrévolutionnaire de ces vieux étudiants, pions éternels des collèges périphériques. Il ressemblait à un instituteur ou à un facteur en milieu de carrière, syndiqué et humaniste, qui se serait habillé pour la noce d’un cousin de province.
Bon et honnête
Le public le trouvait bon et honnête ; d’instinct, il avait adopté cet échalas calaisien né dans le douzième arrondissement. Le public était touché par ces mélodies d’amour et le ravivage de la flamme ouvrière, toutes ces identités occultées. Mais, a-t-on vraiment besoin de s’appuyer sur un calendrier pour évoquer ce chanteur à l’écho entêtant ? Il n’est pas nécessaire non plus d’être un supporter des « sang et or » ou d’avoir eu un grand-père mineur pour aimer l’onde de Bachelet. Elle se propage bien au-delà des corons, elle vogue au-dessus des océans. Car il s’agit là, d’une vibration venue de loin, du mitan des années 1970, des programmes communs et des trains à grande vitesse. Il est cette voix d’ailleurs qui souffle dans l’autoradio d’une Renault 5 vert pomme, à l’entrée de l’automne. Il ramasse à la pelle les feuilles de nos errances, de nos tâtonnements et de nos amours déçues ; il est l’archiviste de nos constructions malhabiles. Comment peut-on être insensible à sa puissance d’évocation du passé ? Il parle plus qu’il ne chante. Son timbre retient tous les chaos de notre existence. Il n’est pas de la race de ces interprètes implorants qui charment leur auditoire par un déballage des sentiments et un excès de sueur. Il ne salit pas les élans sincères, il ne moque pas les imperfections des vies privées de lumière. Il serait plutôt tapisserie de l’Apocalypse, cette tenture inestimable réfugiée au château d’Angers, indéchiffrable pour le béotien et cependant, si proche, si « parlante » pour le visiteur d’un jour.
Proustien populaire
Les chansons de Pierre Bachelet, sans éclat ou artifice, parfois même dans leur simplicité fort honorable, nous transportent toujours plus loin. Il est le phrasé de nos cinq ans. Il est le kaléidoscope de Denise Fabre, le charme sauvage de Flo et le béguin adolescent pour le minois de Véronique Jannot. Bachelet réussit à ouvrir des brèches, là où l’on ne voyait que des plaines infertiles. Il me fait penser au poète André Hardellet qui, à la vue d’une friche de banlieue, inerte et obsolète, la pare, sous sa plume, de mille joliesses et mystères historiques. Bachelet est un compositeur de l’infiniment petit qui, grâce à son talent de transformateur, fait déborder le réel, le bascule dans une adorable rêverie. En l’écoutant, par les hasards de la programmation de la bande FM, le paysage de notre enfance ou plutôt les traces de son imaginaire se dessine. Sa musique remet en mouvement et en sentiment des images effacées. Il restitue le grain des rues grises et des lendemains qui déchantent. Il est un proustien populaire. Quand je l’entends, je ne pourrais vous expliquer pourquoi, les couleurs de ma prime enfance se mettent à danser ; je vois une Lancia Gamma garée Place de la Madeleine, le dernier roman de Georges Conchon dans une librairie près de la Cathédrale de Bourges, des œufs en meurette sur une table en formica et Isabelle Adjani dans L’Année prochaine si tout va bien, le film de Jean-Loup Hubert où elle travaille dans un bureau de l’INSEE. C’est bête, la mémoire.
La découverte du probable sarcophage de Joachim du Bellay à Notre-Dame est une extraordinaire nouvelle si elle est confirmée
La nouvelle n’aura été l’objet que de quelques malheureuses lignes sur les sites d’information, plus affairés à esquisser la composition du nouveau gouvernement ou à trouver de nouveaux péchés à ajouter à la liste de l’Abbé Pierre. Après tout, l’époque n’est plus à la célébration du passé, encore moins lorsque celui-ci fut brillant, ni à la culture générale, dont l’acquisition nécessite curiosité et effort. « Joachim qui ? », entendrait-on presque marmonner Sébastien Delogu. Et pourtant, la découverte probable de la tombe de Joachim Du Bellay est un plaisir de fin cultivé.
Un beau voyage dans le temps
Le poète reposait donc depuis presque un demi-millénaire, dans un cercueil fait de plomb, sous la croisée du transept de Notre-Dame, cathédrale qui ne cessera jamais de révéler ses secrets. Pendant quatre siècles, nombre d’hommes d’églises et quelques illustres inconnus y furent enterrés. Avouons qu’il y a repos éternel plus désagréable : malheureux, Richard III, dont le squelette fut retrouvé dans le sous-sol d’un parking de Leicester, dans le centre de la pluvieuse Angleterre ; malheureux aussi les hommes et femmes célèbres enterrés dans des cimetières devenus des lieux touristiques ; malheureux, enfin, la plupart d’entre nous, dont les cendres seront répandues sur les pelouses de crématoriums.
La découverte de Du Bellay aurait dû être l’occasion de célébrer et de redécouvrir le fondateur, avec Pierre Ronsard, de la Pléiade, et auteur des Regrets, dont le poème inspiré par le héros de l’Odyssée : « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ». La courte élégie évoque le déchirement entre le voyage et le village, le « marbre dur » et l’ « ardoise fine », l’exil et le retour. Y a-t-il d’ailleurs, dans la langue française, un « hélas » plus essentiel et plus chargé de mélancolie que celui qui apparaît dans la deuxième strophe : « Quand verrai-je, hélas, de mon petit village, Fumer la cheminée, et en quelle saison, Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ? »
Le lettré angevin est également l’auteur de La Défense et illustration de la langue française, qui eut pour vocation d’asseoir définitivement le français quelques années après la promulgation, par François Ier, de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui l’imposa dans les usages de l’administration. Mais un idiome ne pourrait s’imposer sur une base seulement juridique. Et Du Bellay s’escrima donc à élever en noblesse une langue qui n’était alors pas encore celle de Molière. Si l’on a retrouvé sa tombe, il doit pourtant aujourd’hui s’y retourner bien des fois, en entendant le français si souvent malmené, maltraité, bafoué à coups d’anglicismes, de barbarismes ou d’absurdités postmodernes.
Tant que l’oiseau de Jupiter vola…
Dans Les antiquités de Rome, petit chef-d’œuvre pour celui qui prend la peine de s’y plonger, Joachim du Bellay, songe au sort d’une civilisation réduite en ruines, comme le feront tant d’auteurs des siècles qui adviendraient. On y retrouve, prise au hasard de la lecture, cette strophe : « Tant que l’oiseau de Jupiter vola, Portant le feu dont le ciel nous menace, Le ciel n’eut peur de l’effroyable audace. Qui des Géants le courage affola ». ll n’est guère besoin de préciser que le Jupiter dont il est question n’est évidemment pas celui qui entreprend aujourd’hui, par vanité, de changer les vitraux de Notre-Dame.
Contrairement aux apparences, Jacaranda n’est pas vraiment un livre sur le génocide rwandais.
Les seconds romans sont souvent attendus au tournant. Ce d’autant plus que les premiers ont connu le succès. En 2016 Petit pays, premier roman de l’auteur-compositeur-interprète Gaël Faye a remporté le prix Goncourt des lycéens, reçu un excellent accueil critique et s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France. Huit ans après, l’auteur de l’album de rap Pili pili sur un croissant au beurre revient sur le devant de la scène avec Jacaranda. C’est peu de dire que les attentes sont grandes. Qu’en est-il donc vraiment ? Milan, son personnage principal, est métis comme lui. Rwandais par sa mère. Français par son père. Le Rwanda, il le découvre en 1994. « Le Rwanda est arrivé dans ma vie par la télévision que nous regardions religieusement à l’heure du dîner » confesse-t-il. « La première fois que le présentateur en avait parlé, je m’étais tourné instinctivement vers ma mère, tout excité, presque content qu’il soit enfin question de son pays natal au journal télévisé ». Mais la mère ne réagit pas. Du Rwanda, il n’a jamais été question à la maison. A tel point que le fils a fini par oublier qu’elle est née et a grandi sous d’autres cieux. Au mois d’avril de la même année commence ce qui va être le dernier génocide du XXème siècle : celui des Tutsi. Huit cent mille morts en trois mois. Milan, s’il est affecté par les images – comment pourrait-il en être autrement ? – ne parvient pas à s’expliquer son émotion concernant ce conflit qu’il considère alors comme une « barbarie lointaine ». Jusqu’au jour où arrive dans sa famille un petit garçon portant un bandage à la tête. On le lui présente comme étant son neveu. Il est Tutsi lui aussi. A perdu ses parents. A été blessé. Entre les deux enfants l’affection est immédiate même si le petit Claude porte en lui les stigmates de la guerre. Puis, aussi subitement qu’il est apparu dans sa vie, le jeune garçon est renvoyé dans son pays. Milan n’aura alors de cesse de le retrouver et se rendra lui aussi, plus tard, au Pays des mille collines en quête de ses origines. Là-bas il découvrira sa famille de cœur dont sa mère ne lui a jamais parlé. Rosalie l’arrière-grand-mère mais aussi Eusébie la tante et Stella la petite-fille. Ce retour aux sources va être l’occasion pour l’écrivain de déployer l’histoire de son pays et de sa famille sur quatre générations. Une histoire faite de larmes et de sang, de violence extrême et de sauvagerie, dont il met en lumière l’extraordinaire complexité : « Ceux qui nous tuaient étaient des gens que l’on connaissait, nos voisins, nos amis, nos collègues, nos élus ». Comment survivre à la barbarie ? Telle est la question que pose ce roman bouleversant. Contrairement aux apparences Jacaranda n’est pas un livre sur le génocide rwandais mais sur l’après. Sur la reconstruction et le pardon. Sur l’importance du lien qui seul permet d’avancer. « L’indicible ce n’est pas la violence du génocide – rappelle Stella, l’ange du roman- c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout ». Gael Faye a pourtant su trouver les mots avec la douceur qu’on lui connait, la force qu’on lui découvre, sa simplicité et sa poésie.
Les bouquinistes ne sont pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc fouiner dans leurs boîtes à vieux livres.
Jean Dutourd aima, par-dessus tout, la langue française. Il la défendit bec et ongles, tout au long de sa vie. « Je l’aime comme un artiste aime la matière de son art. Comme un homme aime l’âme que Dieu lui a donnée. » Deux ans après les événements de Mai 68, exaspéré entre autres par les « poncifs sur la jeunesseéprise d’idéal », Dutourd décide de dire leurs quatre vérités à ses contemporains : « Je pense que la jeunesse est un néant, que la révolte est une blague, que le progrès est mort vers 1925, que la culture est une imposture, que la liberté est la chose que les hommes haïssent le plus au monde en dépit de leurs discours, que la patrie est le seul bien des pauvres et que les peuples heureux ont un destin atroce », peut-on lire sur la quatrième de couverture de L’École des jocrisses. Un chapitre intitulé « Langage et Bêtise », qui fait plus de la moitié du livre, décrit la dégradation d’une langue française qui « s’appauvrit et s’alourdit » dans le même temps.
Ce texte percutant se propose d’être un antidote au crétinisme que Dutourd décèle dans les rébellions surjouées par des fils de bourgeois vociférant de laborieuses harangues. Quelle est la plus grande victoire du révolutionnaire estudiantin ? Être parvenu à esquiver l’examen et à camoufler qu’il est un individu inconsistant et ignare, pratiquant une « langue débilitée ». En plus de se désoler de la présence de plus en plus envahissante du sabir « des camelots », ce volapük commercial imprégné d’expressions américaines, Dutourd dénonce le baragouin des sociologues de bazar et des agitateurs d’amphi. Malheureusement, les moyens de diffusion modernes amplifient la contagion langagière : « On entend des horreurs du soir au matin. L’employé de guichet, à la poste, vous entretient de ses “options idéologiques”. Ces vilains mots-là, sortant d’honnêtes bouches populaires, choquent plus que des grossièretés. »
Le jocrisse moderne, écrit Dutourd, recourt à un galimatias truffé de barbarismes savants, d’anglicismes, d’expressions affectées et de « termes fabriqués par les pédants » – le soixante-huitard ambitionnant une carrière politique ou journalistique excellera dans ce domaine. Le futur académicien prévoit qu’il fera des petits, encore plus sots que lui – ce qui adviendra. Il nous lègue, à la fin de son ouvrage, un court glossaire mêlant le sérieux, l’ironie et la manière toute flaubertienne de « faire la bête ». La Culture y est décrite comme une « activité encouragée par le gouvernement, ayant pour but de faire connaître les sculptures de M. Calder et les drames de M. Gatti à des gens qui ne savent pas qui sont Michel-Ange et Molière », tandis que la Sociologie y est définie comme un « objet d’études pour les jeunes gens peu désireux d’apprendre un métier et, consécutivement, de travailler ». Nous étions au début de la dégringolade. Depuis, elle n’a fait que s’accélérer. Mort en 2011, Jean Dutourd a échappé de justesse à l’avènement du wokisme universitaire, à l’effondrement terminal de la langue française et, finalement, au triomphe des jocrisses qu’il redoutait tant.
L’École des jocrisses, Jean Dutourd, Flammarion, 1970. 224 pages
Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne
Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »
Ère lacrymale et victimaire
Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.
Sixième roman pour Emma Becker
Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir uneœuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménageà trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »
La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade !
Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !
Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.) « L’autricenous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, lesbrisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’unefemme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo. Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.
Nouveaux départs ?
En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.
Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vied’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.
Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.
De gauche à droite, Omar Alsoumi, Sébastien Wildemann et Élias d’Imzalène. Réseaux sociaux.
L’entrisme et le séparatisme islamistes à l’hôpital progressent. Enquête sur le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza », la nouvelle alliance des soignants et des Frères Musulmans.
Le mercredi 3 juillet 2024, le parvis du Sacré-Cœur de Montmartre est occupé par un rassemblement de soignants revêtus de blouses médicales et de keffiehs. C’est le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza » (BBG pour les intimes) qui manifeste.
Ce phénomène est inédit à plus d’un titre : dans un pied-de-nez à l’Église de France, des soignants choisissent d’occuper l’esplanade d’un lieu de culte catholique. Ils descendent dans la rue, non pas pour alerter l’opinion publique sur la condition de nos hôpitaux, mais pour s’exprimer politiquement sur un conflit qui se joue à 3000 kilomètres de la France. Jamais des blouses blanches ne sont descendues manifester pour les victimes de la guerre du Kosovo, de l’Arménie ou du Congo… mais passons. Enfin, face au micro du média turc TRT, ces mêmes soignants sortent du principe de neutralité de la fonction publique, et revendiquent être également venus « pour faire barrage à l’extrême-droite »[1]. Quelle analyse tirer de ce gloubi-boulga idéologique ?
La création de ce collectif répond à des critères parfaitement légaux, et il nous apparaît légitime que des soignants puissent s’émouvoir de la condition de blessés de guerre ou des difficultés d’exercice du personnel médical humanitaire. À notre tour, nous sommes dans le droit de nous interroger sur l’objectif réel des BBG et d’analyser leurs discours. Nous avons décidé de participer à leurs manifestations dans le but de côtoyer leurs membres et d’écouter leurs revendications. Quel est le vrai message porté par les « Blouses Blanches pour Gaza » ?
Chez les BBG, le fréro-salafisme est administré en perfusion
Le collectif des BBG s’est constitué au lendemain de la riposte israélienne sur la bande de Gaza, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. L’opacité règne sur les membres fondateurs de ce collectif : à peine sait-on que plusieurs soignants proviennent de l’entité PalMed (un réseau de soignants issus des Frères Musulmans[2]) ; que leur canal de discussion est un groupe interne WhatsApp (« Il ne faudrait pas que la police tombe dessus, car il y aurait de quoi nous faire tomber » s’inquiète un membre des BBG, quelques semaines avant l’arrestation d’Imane Maarifi[3]) ; et que leur seule vitrine est un compte Instagram tenu par la fille d’un des médecins du collectif, étudiante en communication.
Si les membres des BBG privilégient l’anonymat, dans une stratégie de dissimulation, dans les manifestations pro-palestiniennes, deux infirmiers s’expriment en revanche publiquement et de façon récurrente au micro d’Euro-Palestine ou d’Urgence-Palestine : Sébastien Wildemann, ex-infirmier libéral et actuel directeur des soins dans une antenne de soins à domicile d’Île-de-France ; mais, surtout, Imane Maarifi, infirmière libérale à Plaisir (78). Elle se revendique comme infirmière du réseau frériste PalMed et membre active des BBG.
Le 5 septembre, le député LFI Thomas Portes annonce sur X qu’Imane Maarifi vient d’être arrêtée à son domicile pour faire l’objet d’une garde-à-vue[4]. Relâchée dès l’après-midi, elle brandit un drapeau palestinien dans une posture victorieuse et s’exprime en story sur Instagram, en s’assurant que le commissariat soit filmé en arrière-plan. Imane Maarifi nous apprend qu’elle aurait été placée en garde-à-vue pour avoir menacé de mort des Juifs – les propriétaires des Salons Hoche (Paris 8ème), dont les lieux accueillaient un salon de l’immobilier israélien – et se réjouit que les charges aient été abandonnées, ayant pu prouver sa bonne foi. Depuis sa convocation, Imane Maarifi est célébrée comme une héroïne de guerre. Invitée sur les médias pro-palestiniens (Le Media, Paroles d’Honneur etc.), elle livre les détails de sa convocation. Nous y apprenons que les Salons Hoche auraient reçu près de 300 appels de menaces et d’apologie du terrorisme (« On va vous faire comme le Bataclan ») et que le contenu du téléphone d’Imane Maarifi serait en cours d’analyse (« Ils ont extrait ce qu’ils avaient à extraire », relate-t-elle platement. Dont le groupe WhatsApp des BBG, s’interroge-t-on ?). Enfin, Imane Maarifi s’épanche longuement sur son douloureux vécu de mère courage. Au cours de son interrogatoire, elle affirme avoir été heurtée par des questions autour de ses enfants (« Ils m’ont demandé, qu’est-ce que j’explique à mes enfants sur mon militantisme ? Qu’est-ce que je leur dis sur ce qui se passe à Gaza ? Je leur ai dit, je ne comprends pas le lien »[5]). Le lien est pourtant simple : en évoluant dans un milieu fréro-salafiste tel que celui d’Urgence Palestine, Imane Maarifi – ainsi que les autres membres des BBG – ne risque-t-elle pas de se radicaliser et d’exposer ses enfants mineurs à cette même idéologie ?
Imane Maarifi
L’étroitesse des liens entre les BBG et Urgence Palestine
Le collectif d’Urgence Palestine s’est créé, lui aussi, à la suite du 7 octobre. En se baladant sur leur site, on y découvre parmi leurs principales revendications : « Cessez-le-feu et fin du blocus immédiats », « La fin de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid », « Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël », « Soutien à la résistance du peuple Palestinien ». Nous sommes donc bien loin des aspirations supposées médicales des BBG. Pourtant, ces derniers ont un lien très fort avec ce collectif et principalement avec son leader, Omar Alsoumi, qui était à leurs côtés lors d’un rassemblement le 8 septembre sur la Place de la Nation, pour le retour du Drapeau de la Libération. De quelle libération parle-t-on ? Pas de celle des Gazaouis sous la coupe de l’organisation terroriste du Hamas. Ni de celles des otages israéliens. Depuis son départ de la Place de la République à Paris le 14 août, le drapeau palestinien en question traverse des grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg…) pour appeler à la libération de la Palestine de l’Etat sioniste !
Omar Alsoumi est né d’un père palestinien, diplômé de Sciences-Po, porte-parole de PYM (Palestian Youth Movement) : mouvement affilé au FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), classé depuis plus de vingt ans sur la liste des organisations terroristes par l’Union Européenne. Omar Alsoumi est également le fondateur de « Boussole Palestine » qui, entre autres, fait pression pour le port de l’abaya à l’école. Il était présent à la marche du 8 mars pour la journée internationale des Droits des Femmes, au cours de laquelle les femmes du collectif « Nous Vivrons » ne furent pas les bienvenues et se retrouvèrent bousculées, huées et insultées par les activistes du collectif Urgence Palestine : « Sales putes ! », « Sionistes, fascistes, vous n’êtes pas féministes » ! On a compris ce jour-là que nos BBG, dont la majorité est pourtant composée de femmes, pouvaient apparemment frayer avec des individus ayant une conception bien particulière de la cause féminine et du viol, selon que l’on soit juive ou palestinienne.
Notre enquête nous a également amené à croiser sur les publications Instagram des BBG une figure incontournable du salafisme : le Frère Élias d’Imzalène (Eli Yess Zareli, de son vrai nom), également membre actif d’Urgence Palestine. Cheveux longs souvent attachés, barbe fournie, dominant de sa hauteur la foule, Élias d’Imzalène a un sacré CV. Fiché S par les services de renseignements, prédicateur salafiste à la mosquée de Torcy – fermée en 2017 – où il appelait les fidèles à arrêter d’être « des Français légalistes, républicains et patriotes », fondateur du média « Islam et Info », co-organisateur de la Marche contre l’islamophobie en 2019 au cours de laquelle la foule avait scandé « Allah Akbar » devant le Bataclan, on a pu l’apercevoir proche de membres de La France Insoumise comme Thomas Portes, Rima Hassan, ou Ersilia Soudais, en conférence ou en manifestation. Gardons le meilleur pour la fin : dimanche 8 septembre – le fameux jour du retour du Drapeau de la Libération – il lance carrément un appel à mener l’« Intifada » (« Révolte ») : « Est-ce qu’on est prêts à mener l’Intifada dans Paris ? Pour nos banlieues, dans nos quartiers, pour leur montrer que la voie de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris, qu’elle passera par Marseille ». Ce même jour, nous le voyons remettre le drapeau palestinien à une soignante des BBG. Elle-même le remettra à Rima Hassan, la députée européenne qui avait participé le 16 août à une manifestation à Amman, en Jordanie, dans laquelle des manifestants portaient le bandeau vert de l’organisation terroriste et brandissaient des pancartes rendant hommage au chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran.
Si Urgence Palestine a tout du réseau pro-Hamas, qui réunit à la fois antisémites et islamistes, qu’en est-il alors des BBG ? Nos Blouses Blanches ont des étranges fréquentations – Élias d’Imzalène, Omar Alsouni, Rima Hassan – qui ne peuvent que nous interroger sur la vraie nature de leurs revendications.
Si tu suis l’Esprit Soumoud, les fers à lisser et Freud tu boudes !
Dans un live diffusé en août sur le compte Instagram des BBG, Imane Maarifi présente le podcast « Esprit Soumoud ». Ce podcast présente le travail de deux psychologues voilées et membres des BBG : Najat Najari-Balhag et Ismahene Laidaoui. Abdelghani Boudik, créateur du podcast « Ramadan », s’occupe de la technique. Par le passé, Ismahene Laidaoui est intervenue à l’Institut D’Clic de Bobigny, fief du salafiste Nader Abou Anas, lui-même disciple d’Yves Leseur, aujourd’hui appelé Cheikh Ayoub, Français converti au Pakistan et figure de proue du salafisme français[6]. Le podcast d’« Esprit Soumoud » est la mise en lumière de l’UESCP des BBG, à savoir l’Unité d’Écoute de la Souffrance Coloniale en Palestine.
Au micro d’« Esprit Soumoud »[7], les deux psychologues rejettent « le fantasme de la neutralité du psychologue » et appellent leurs confrères à une posture militante « avant-gardiste et anticoloniale ». La lutte de Najat Najari-Balhag et d’Ismahene Laidaoui tient de ce qu’elles appellent « la décolonisation des esprits », car – en s’appuyant sur leur propre interprétation du livre de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre – elles estiment que la santé mentale ne peut être dissociée du combat politique. L’une d’entre elles, issue d’une famille militante du FLN, explique la continuité qu’elle voit entre la guerre d’indépendance algérienne et celle qui se déroule sur la bande de Gaza. Dans une posture de rejet de toute influence coloniale, les deux femmes expliquent avoir arrêté de se lisser les cheveux (cette pratique étant perçue comme un « signe de beauté caucasienne » : « Je me blanchisais dans mon identité », dit l’une d’elle), revendiquent le port du voile (verbalisé comme un outil de lutte contre l’assimilation française), le retour à la religion, la lutte contre les violences policières et le port de signes distinctifs pro-palestiniens, tels que la pastèque ou le keffieh. À leurs patients pro-palestiniens, elles se présentent « comme une alliée » ; de leur identité, elles affirment qu’elle est « arabo-musulmane » ; de leur difficulté à porter le voile dans la fonction publique, elles se disent « salies par un extérieur qui a tort ». Plus inquiétant, elles remettent en question leur socle de formation universitaire (« La psychologie clinique, la psychanalyse, les concepts tels que le complexe d’Œdipe, ça ne pouvait pas faire sens avec ma culture ») ; elles rejettent les théories de Freud, vues comme une lecture occidentale de l’esprit qui ne concernerait pas la psyché et donc les problématiques des patients de culture arabo-musulmane. Elles concluent : « La colonisation des esprits, c’est nier les différences de cultures comme d’autres nient la différence des couleurs ». Placé sous de tels auspices, l’avenir de la santé mentale en France s’annonce préoccupant.
Imane Maarifi et Ismahene Laidaoui
Les BBG sous tension : la crainte de l’AMIF
L’AMIF. L’Association des Médecins Israélites de France. Ces quatre lettres reviennent en boucle dans les rangs des membres des BBG. Lorsqu’elles sont évoquées dans les manifestations pro-palestiniennes, les nuques se raidissent, et le ton monte. Pour nos militants, le projet est clair : pour pouvoir perdurer, l’objectif premier est d’abattre l’AMIF. Pourquoi ?
Depuis le 7 octobre, des soignants pro-palestiniens peuvent faire la propagande de leurs opinions antisionistes sur les réseaux sociaux. Ces dérives sont signalées à l’AMIF, qui porte plainte et envoie les brebis galeuses au Conseil de l’Ordre pour y être sanctionnées. Depuis, la menace que représente l’AMIF est prise très au sérieux, et les BBG ont donc décidé d’agir. On tente d’approcher des membres du Conseil de l’Ordre pour adoucir la situation, valoriser l’engagement pro-palestinien, expliquer que les Gazaouis sont des victimes et les Israéliens des génocidaires… Une tentative d’influence courtoise, toujours avec sourire et bienveillance, bien sûr. Rappelons que les Facultés de Médecine sont déjà prises d’assaut par un syndicat frériste[8], l’OMAS, qui s’évertue à placer ses pions sous la forme d’étudiants radicalisés. Plus que jamais, le Conseil de l’Ordre doit donc rester vigilant pour ne pas basculer, lui aussi, sous l’influence des Frères Musulmans ou de soignants acquis à la cause du Hamas. Une chose est sûre : avec l’augmentation croissante des propos antisionistes voire antisémites dans le corps (para)médical, la lutte ne fait que commencer. Et la Chambre Disciplinaire du Conseil de l’Ordre risque bien de devoir recruter…
Panique morale dans la presse ce matin, où l’on feint de croire que le gouvernement de Michel Barnier est affreusement conservateur
À peine nommé, le gouvernement Barnier provoque la polémique. La chasse aux sorcières réacs est ouverte. C’est l’acte II de la comédie antifasciste. Il y a deux mois, on luttait contre le fascisme imaginaire du Rassemblement national. Aujourd’hui, la gauche et le centre hurlent au retour de l’ordre moral. Dans leur ligne de mire, une dizaine de ministres trop conservateurs, c’est-à-dire trop cathos, en particulier Bruno Retailleau (lequel, entre autres crimes, a été autrefois proche de Philippe De Villiers). Les médias de gauche, toujours prompts à assurer la police de la pensée, dressent la liste noire : il y a ceux qui ont voté contre le mariage pour tous, ceux qui étaient contre la constitutionnalisation de l’IVG, ceux qui ont signé une tribune favorable à l’école privée (il va falloir dénoncer tous les Français qui y inscrivent leurs mômes). Il ne manque qu’un ministre amateur de corrida ! Libération, organe central de la gauche culturelle, titre ce matin sur le « pacte réac ».
Le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure dénonce un gouvernement réactionnaire en forme d’ « insulte à la démocratie ». Quant aux néo-féministes, elles sont déchaînées. Selon la militante Caroline De Haas, « Macron donne le pouvoir à des anti-IVG, des homophobes et des transphobes ». Plus étonnant, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal somme le nouveau de s’engager à ne pas toucher à la PMA et aux droits des LGBT. Ce que Michel Barnier a d’ailleurs fait sans barguigner sur France 2 hier soir.
Peut-on comprendre ces inquiétudes ?
Non. Je ne les comprends pas et je ne les crois pas parce qu’eux-mêmes n’y croient pas. Cette question sociétale est un leurre, une diversion. Personne n’a l’intention de revenir sur le mariage pour tous ou de restreindre le droit à l’IVG. Et tout le monde le sait. Mais pour tous ces beaux esprits, la liberté de pensée, c’est quand on pense comme eux. Tous ceux qui osent afficher des opinions conservatrices devraient être éliminés de la vie publique. Précisons par ailleurs qu’on pouvait être contre le mariage pour tous sans une once d’homophobie. Qu’on a le droit d’être personnellement hostile à l’IVG, sans vouloir la remettre en cause. Qu’on a le droit d’être pour la prudence s’agissant de changement de sexe d’adolescents. Et enfin qu’on devrait avoir le droit d’être catho sans se faire traiter de noms d’oiseau. On ne sait pas qui la gauche et l’Attalie comptent mobiliser avec ces sujets dont la majorité des Français se fiche éperdument. Gabriel Attal veut-il se poser en patron des futurs frondeurs qui entendent mener la vie dure à Barnier ? Peut-être veut-il rappeler que, s’il s’apprête à soutenir un gouvernement de droite, et probablement à voter un budget d’austérité, il est toujours dans le bon camp, le camp progressiste. Pour l’intérêt du pays, on repassera.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin
Michel Barnier a formé son gouvernement. La gauche protestataire continue de prétendre qu’on lui a volé l’élection. La droite récupère d’intéressants ministères dont l’Intérieur. Le bloc macroniste se révèle de plus en plus fissuré.
La formation du gouvernement Barnier ne s’est pas faite sans difficulté. A l’heure où celui-ci est enfin connu, rares sont ceux qui parient sur sa longévité. Non que Michel Barnier soit un mauvais choix. Au contraire. En des circonstances aussi critiques, sa désignation relève d’une forme de sagesse. Il laisse le psychodrame permanent à LFI et à la gauche, le rôle de la drama queen à Jean-Luc Mélenchon. Lui réinstalle une image plus « vieille France » de l’incarnation politique, et nous lui en sommes tous gré. C’est un homme de devoir qui se tient devant nous et cela nous change. Pour autant, si les Français ont applaudi ce choix, le Premier ministre devenant dès sa nomination « personnalité politique préférée des Français », tous les comportements de la classe politique montrent qu’ils en sont déjà au coup d’après et même au coup d’après le coup d’après…
Le palais de l'@Elysee a annoncé, samedi 21 septembre 2024, la nomination du Gouvernement de @MichelBarnier.
En effet, l’épisode de la composition du gouvernement prouve bien que nos politiques n’ont pas conscience de notre situation collective. Les appels à la responsabilité des uns et des autres ne sont que des postures. Personne n’est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l’avenir du pays. Voilà pourquoi aucun poids lourds de la politique n’est venu. Pour donner le coup de talon qui fait remonter à la surface, encore faut-il avoir touché le fond. La conscience de ce qui nous menace et la réalité de notre déclin n’est pas encore suffisamment forte pour déplacer les lignes de force, rendre possible ce qui ne l’était pas, pensable ce qui paraissait inatteignable. C’est peut-être au pied du mur qu’on voit le maçon, mais c’est quand ils sont incrustés dans les briques que les politiques se révèlent. Nous n’y sommes pas encore, ce qui signifie que les ambitions personnelles des uns et des autres sont plus fortes que l’appel à un hypothétique sens des responsabilités. En politique, on voit souvent les catastrophes venir de loin mais on n’opère les changements nécessaires qu’après l’effondrement. Car c’est souvent seulement à ce moment-là que les gens acceptent de prendre leur perte. Il faut dire que c’est souvent parce qu’elle s’est réalisée. La nécessité du changement de logiciel se fait sentir bien avant l’impact, mais la réalité du changement dans l’action arrive en général après.
Ainsi ce gouvernement n’offre quasiment aucune grille de lecture. On se rapproche du mur mais on ne mange pas encore les briques. Ceux qui le composent ont des histoires trop légères et pas assez signifiantes pour transmettre un quelconque message à la nation. Ils sont pour la plupart des inconnus, ce qui ne présage pas de leur capacité, mais ne donne pas une idée très claire de ce que porte ce collectif gouvernemental. A force de ne vouloir heurter personne, il est pour l’heure dépourvu de ligne de force et les soupçons de la gauche lui tiennent lieu de capacité de fermeté.
Le résultat de 15 jours de tractation est d’ailleurs conforme à la feuille de route fixée : ne pas trop crisper la diversité des alliés. Michel Barnier, expérimenté et capable de trouver des compromis dans la tension, comme il l’a prouvé avec le Brexit, possède les qualités nécessaires, mais il va falloir compter avec un président sans colonne vertébrale ni vision, susceptible de tout et surtout de n’importe quoi et un Gabriel Attal qui pense le pouvoir suprême à sa portée et attend que la décomposition du PS lui permette d’arrondir sa pelote En marche. Bien sûr, il est de bon ton dans la période d’insister sur la nécessité d’un gouvernement de large rassemblement, d’union nationale.
Mais pour cela encore faut-il savoir pour quoi ou contre quoi se fait cette union. Contre le RN, selon la logique du front républicain ? Il aurait alors fallu porter au pouvoir un parti, LFI, qui a remis la dynamique antisémite au cœur de la constitution de son électorat et fait de la haine des Juifs un levier politique. Il aurait alors fallu porter au pouvoir une gauche qui a fermé les yeux sur la trahison de son histoire et de son honneur, une gauche qui surtout n’a pas gagné les élections. Et puis quid du RN. A côté de LFI et de ses outrances, le parti parait très assagi, mais comment justifier une participation ou un soutien quand on a mobilisé tout l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Français à « faire barrage » au fascisme, comme si on assistait au retour d’Hitler à travers les succès du parti de Marine Le Pen. Quand un pays est aussi divisé et que les clivages ont été exacerbés, seul le sentiment à la fois de la menace et de la nécessité peut faire retrouver le chemin du commun. Nous sommes tombés bas, mais nous n’en sommes pas là.
Vieux réflexes
Les vieux réflexes politiciens sont donc revenus. D’un côté, à droite de l’échiquier, on a l’habitude de gouverner. Lorsqu’on lui confie les rênes, sa logique n’est pas forcément le partage, elle lui préfère la cohésion politique. De l’autre, la macronie, n’est jamais parvenue à incarner un courant de pensée défini. La désormais très grande faiblesse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron a fait ressurgir les rivalités et l’expression très diverse de sa majorité, chaque élément du puzzle se projetant déjà vers la présidentielle.
Le nouveau gouvernement se retrouve donc en situation extrêmement précaire car à sa majorité très relative s’ajoute une pression constante en son sein et autour de lui. La gauche, de façon assez ridicule, ne cesse de hurler au déni de démocratie. Alors que non seulement elle n’a pas de majorité, mais surtout qu’elle n’a pas su se mettre en ordre de marche. Elle s’est même ridiculisée en allant chercher une parfaite inconnue pour une fonction aussi importante dans un temps si particulier. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle n’aura de cesse de protester, installant un (très) mauvais climat au parlement. « L’heure est grave, l’extrême droite est aux portes du pouvoir » nous dit-elle, mais ça ne la contraint aucunement à la retenue, sans parler de tenue. Elle hurle aussi à la « droitisation », laissant entendre un recul sociétal généralisé sur les droits des homosexuels, l’IVG, la PMA… Or, aucun de ces droits n’est menacé. Alors, pourquoi ce jeu malsain ?
Parce que quand vous n’avez ni projet, ni idée, ni même une direction, résoudre des problèmes qui n’existent pas ou que vous créez pour l’occasion est une des meilleures méthodes pour mobiliser des militants et vous targuer d’immenses succès. Succès d’autant plus appréciables qu’ils ne vous ont rien coûté, puisqu’ils sont en trompe-l’œil. Le meilleur exemple récent de cela est la constitutionnalisation de l’IVG. Le droit n’était pas menacé, la constitution n’est pas le catalogue du désirable mais la référence en matière d’organisation des pouvoirs, donc n’est pas faite pour sanctuariser ce type de droit, mais qu’importe, l’essentiel est que l’on a fait croire aux Français qu’il venait là de s’accomplir un grand geste politique. Alors que le seul vrai grand geste politique revient à Simone Veil. C’est cette tactique à la Gribouille qui est mise en œuvre par la gauche. Cela consiste à hystériser certains dossiers en faisant croire aux groupes concernés que leurs droits sont menacés : droits des homosexuels, accès à la PMA. Puis on hurle que l’on ne laissera rien passer. Ce qui est facile puisque rien n’est en route. Et enfin on explique que l’on a écarté le danger, grâce à sa mobilisation. Cela permet d’occuper le terrain, sans travailler, sans réfléchir, sans agir réellement, mais on marque des points auprès de ses groupes cibles, tout en travaillant à instituer une méfiance généralisée et à distiller un sentiment de menace dans les groupes minoritaires. Le sociétal se prête parfaitement à ce genre de manipulation.
Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont plutôt discrets
Michel Barnier, en plus de gérer une majorité éruptive et une gauche protestataire stérile, doit également faire avec les grands vainqueurs des Européennes et des législatives, le Rassemblement national. Lui n’a qu’à regarder les choses se déliter en évitant les erreurs. Il sait qu’il est potentiellement le prochain vainqueur. Son mauvais score au second tour des législatives n’est dû qu’à un nouvel et ultime (?) réflexe de barrage construit sur la culpabilisation. Mais lutter contre le soi-disant fascisme auprès d’authentiques antisémites a porté un vrai coup à un dispositif fondé sur une certaine idée du bien en politique. Idée qui a été durablement piétinée.
La faiblesse de la majorité relative à droite, voulue par le président de la République, est aussi liée à cette donnée de départ qu’est l’exclusion, voire la stigmatisation de 11 millions d’électeurs ayant porté leur choix sur des élus du RN. Le Premier ministre n’est pas non plus aidé par une Assemblée nationale qui, au lieu de prendre acte du poids démocratique des élus du RN, a préféré largement l’exclure des distributions de postes à responsabilité.
En résumé, tout le monde explique que la crise démocratique traversée, voire institutionnelle, oblige à la responsabilité, mais en réalité personne ne prend réellement les mesures en rapport. Ce tableau laisse penser que la bonne volonté du Premier ministre ne sera pas suffisante, mais nul ne lui en voudra de ne pas réussir là où il ne pouvait qu’échouer. Le seul point qui mette tout le monde d’accord est que le responsable de tout cela est un président qui n’a jamais réellement su se mettre au diapason d’une fonction qui, en concentrant tant de pouvoirs, dirige toutes les flèches contre elle en cas de difficultés. Pire, à chaque fois que crise il y eut, il a donné le sentiment que lui seul pouvait comprendre et apporter une réponse appropriée. De ce constat découle une conséquence naturelle : il est le problème. Dans ces conditions il est très probable que le Premier ministre ne soit que l’un des derniers éléments du chemin à parcourir pour faire décanter la situation. Il s’agit d’accumuler les échecs pour que les cartes puissent être totalement rebattues et redonnent ainsi à un nouvel élu, la légitimité d’agir. Tout le monde parie donc que le président démonétisé sera contraint de redonner la parole au peuple. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’autre du gouvernement Barnier que l’établissement d’un budget et la gestion des affaires courantes. Espérons néanmoins qu’il conserve ce style plus apaisé qui évitera que la prochain épisode ne se déroule dans un trop grand tumulte.
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis quarante ans. L’homme est aussi un pionnier: il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Après deux mois d’exil sur l’île de Ré, j’ai hâte de retrouver « mon » Paris, celui des bistrots, des petits commerces et des marchés en plein air. Dès mon retour, j’irai ainsi déjeuner au Bistrot du Sommelier, boulevard Haussmann, en face duquel vivait Marcel Proust il y a un siècle. Cette institution parisienne a été créée il y a quarante ans par Philippe Faure-Brac, un sommelier de 24 ans né à Marseille. Sacré meilleur sommelier du monde à Rio en 1992, Philippe est un grand monsieur du vin unanimement respecté et qui, en plus, ne joue pas « perso », mais aide et encourage les futurs jeunes sommeliers.
À l’époque, les grands crus n’intéressaient pas grand monde, on buvait du « pinard » en carafe, surtout du rouge, et l’image du sommelier était vieillotte. En créant son bistrot, Philippe Faure-Brac a voulu rendre le monde du vin plus accessible et stimulant. Il était un pionnier : « Rendez-vous compte, je servais le soir de la Romanée-Conti au verre, à 50 francs le verre ! Avec mon chef Laurent Petit (futur trois étoiles Michelin à Annecy), nous avons été les premiers à proposer des menus dégustation autour du vin, c’était vraiment nouveau à l’époque. »
Filet mignon de cochon en croûte de chorizo, chou rouge aux épices et nuage de persil, servi avec une Romanée-Conti 1971.
En ce temps-là, les sommeliers parisiens n’allaient pas dans le vignoble mais se contentaient de bien gérer leurs caves. « Pour moi, aller à la rencontre des vignerons a toujours été une source d’inspiration. On ne buvait que du Bordeaux, du Bourgogne et un peu de Champagne… »
Aujourd’hui, un sommelier digne de ce nom se doit de faire le tour du monde et de tout connaître. Son cerveau a mémorisé des milliers d’informations aussi bien théoriques que sensorielles.
Ces connaissances, Philippe Faure-Brac les a, plus que tout autre, mais c’est avant tout un homme qui sait faire du vin un objet de partage et d’union, loin des modes et des querelles de chapelles. Je vous recommande ainsi d’aller chez lui le vendredi soir : à la fin du dîner, vous le verrez entonner a capella Brel, Bécaud, Nougaro et Lama, face à des clients ahuris et enchantés.
On va aussi au Bistrot du Sommelier pour découvrir les pépites qu’il sait chiner, comme ce somptueux Pouilly-Fumé de la vigneronne Marielle Michot, un vin exceptionnel, salin et tranchant, élevé « à l’ancienne » dans des fûts de chêne de 500 litres, qu’il propose par exemple pour déguster un lieu jaune juteux parfumé à la citronnelle et accompagné d’un risotto de courgettes aux gambas.
Charles Aznavour venait souvent le voir. « Un jour, dans ma cave, il me dit : “De toute façon, il n’y a pas meilleur que Château Pétrus” (il ne buvait que ça). Je lui dis : “Monsieur Charles, vous pourriez boire autre chose”, et je lui sers un verre à l’aveugle. Il le hume, le goûte, prend la bouteille et regarde l’étiquette, c’était une Côte Rôtie de Guigal cuvée “La Turque”… En voyant ce mot, il me foudroie du regard, quelle gaffe je venais de faire, lui, l’Arménien d’origine, je ne savais plus où me mettre ! Aznavour part dans un coin, prend le temps de goûter, puis il revient vers moi, l’œil brillant : “C’est tellement bon qu’on peut oublier l’Histoire !” »
Malgré sa célébrité, Philippe Faure-Brac continue de servir lui-même les vins et les plats, toujours au taquet… il est là, présent en salle, comme l’étaient ses parents et ses grands-parents restaurateurs à Briançon. Il a gardé intact en lui l’amour de ce métier si dénigré.
Dans les années 1980, les œnologues étaient tout-puissants, on croyait que l’on pouvait faire de grands vins en cave grâce à la technologie, mais on a très vite pris conscience que c’était une illusion : « Le grand vin résulte d’une somme de détails : le soin apporté à l’environnement, à la vie des sols, au végétal, à la cueillette manuelle, au tri des raisins… On a compris que les grands vignerons étaient des paysans, des gens de la terre qui savent observer la nature. »
Je m’ouvre à lui sur ces jeunes sommeliers qui ont si souvent tenté de me fourguer du jus de raisin fermenté en guise de vin. « En effet, les vins d’aujourd’hui sont faits pour être bus jeunes. 90 % des vins produits sont consommés dans l’année. La vérité est que les grands vins ont besoin de temps pour se complexifier, pour digérer ce qu’ils ont reçu de leur terroir, l’ivresse qu’ils procurent au bout de quinze ans est extraordinaire. Je pense par exemple aux vins de Jean-Louis Chave, sur l’appellation Hermitage, dans la vallée du Rhône. »
Et la rivalité Bordeaux-Bourgogne ? « La Bourgogne triomphe depuis 2005. Elle a su affirmer une vision. Les Bordelais, eux, ont un problème : c’est le négoce chargé de distribuer leurs vins, ils se sont coupés du goût des consommateurs. En Bourgogne, le vigneron vous accueille alors qu’il est sur son tracteur… Clairement, à Bordeaux, la qualité technique est au rendez-vous, mais il faut aller au-delà, il faut retrouver de l’émotion, être plus à l’écoute du terroir, préférer l’infusion à l’extraction, donner une touche humaine. J’aime bien les vins du Domaine de l’A de Christine et Stéphane Derenoncourt en Côtes de Castillon. J’aime aussi les Pomerol de Jean-Marie Bouldy à Pomerol. »
Au Bistrot du Sommelier, les plats sont superbes, à l’image du poulpe confit au safran ou du veau taillé dans le quasi nappé d’un jus à la truffe… Une vraie leçon de gastronomie car, selon Faure-Brac, les chefs amoureux du vin sont devenus très rares : « Autrefois il y avait Alain Senderens, un génie des accords avec qui j’ai beaucoup travaillé. Très peu de cuisiniers ont encore cette sensibilité. »
Alors autant en profiter. Les grands vins sont essentiellement mystérieux et laissent un intarissable souvenir.
Le Bistrot du Sommelier 97, bd Haussmann, 75008 Paris Menu à 41 euros. Dégustation de deux vins surprises : 18 euros. www.bistrotdusommelier.eu
Singulier roman que signe Christine Barthe qui fut psychothérapeute. Ce que dit Lucie nous plonge dans le monde de deux nageuses amies, Lucie et Anaïs.
Lucie, 6 ans à peine, se laisse entraîner vers le fond d’un bassin, avant d’être sauvée in extremis par une main d’adulte. Elle pourrait avoir la phobie de l’eau. Mais non, à 9 ans, elle est repérée comme une nageuse d’exception par sa professeure de gymnastique. Mais au même âge, ce n’est pas la seule chose qui lui arrive – on l’apprendra au cours du récit tout en subtilité. À 11 ans, elle s’inscrit dans un club et découvre la compétition. Elle rencontre Anaïs, c’est une « tigresse », une crawleuse qui ignore les limites ; elle ne conçoit pas de perdre. Lucie est une dossiste ; fascinée par l’eau, son approche est davantage esthétique, voire métaphysique. La mer, la rivière, le fleuve sont bienveillants. Raisonnement peu conforme à la réalité ? Sûrement. Mais la réalité n’est pas toujours la réalité. Voyez le phénomène de réfraction. Le bâton dans l’eau, on jurerait qu’il est tordu. Or, il ne l’est pas.
Un été, les deux jeunes filles se retrouvent dans un centre de préparation pour les championnats de France. Avant la compétition, Lucie chute dans un couloir. Entorse à la cheville. Elle finit dans le lointain. Carrière terminée. Anaïs se trouvait derrière Lucie quand elle est tombée. Soudain, le doute s’immisce : et si sa « sœur de cœur » l’avait poussée ? L’engrenage commence. Le roman bascule dans l’enquête policière. En effet, quelques années plus tard, les deux amies séjournent sur la côte atlantique, à Hendaye. L’eau est à 14 degrés. Elles se baignent quand même. Lucie décide de sortir, tandis qu’Anaïs s’y refuse. Le drame surgit. Elle se noie. Que s’est-il réellement passé ? Une enquête est ouverte. Lucie est convoquée par l’inspecteur Aulnes. C’est le roi de l’interrogatoire. La confrontation est rude. Durant la garde à vue, Lucie ne se laisse pas faire, mais l’inspecteur ne la lâche pas.
La structure narrative est originale : les scènes d’interrogatoire sont entrecoupées d’extraits du journal intime de Lucie. Ainsi le lecteur se trouve-t-il dérouté par sa personnalité duale. Est-elle manipulatrice ou à l’image de l’eau ? Extrait du journal : « L’eau prend la forme de toute entité qui s’y plonge, elle l’accueille, l’accompagne, ne l’oblige à rien, la laisse se mouvoir, lui offre la possibilité d’apprendre quelque chose sur elle-même et sur cet héritage qui l’entoure, dans le silence et l’ondulation de sa source. »
En tout cas, Ce que dit Lucie est aussi hypnotique que les tourbillons de l’eau qu’on contemple du bord de la rive.
Christine Barthe, Ce que dit Lucie, Seuil / Fiction & Cie 176 pages
Ce dimanche, sans raison particulière, juste pour se souvenir, Monsieur Nostalgie nous parle du regretté Pierre Bachelet…
Il n’y a pas de date anniversaire en ce dimanche de septembre. Aucune stèle à l’horizon. Je pourrais biaiser, inventer un lien avec l’actualité, raccrocher le wagon de ma chronique à la cohorte des temps tristes. Vous dire, par exemple, qu’en 2024, Pierre Bachelet aurait eu 80 ans et qu’au début de l’année prochaine, nous célèbrerons les vingt ans de sa disparition. Feindre d’être offusqué par le silence médiatique qui entoure cette figure de la variété française, oubliée comme d’autres stars du microsillon. Il était jadis invité à Aujourd’hui Madame et à Champs Élysées. Il avait commencé dans la pub et rêvait de cinéma. Tailleur sonore sur mesure, il habillait indifféremment LesBronzés et Emmanuelle. Il portait une veste trop large comme le président Chirac et des cheveux mi-longs à la manière postrévolutionnaire de ces vieux étudiants, pions éternels des collèges périphériques. Il ressemblait à un instituteur ou à un facteur en milieu de carrière, syndiqué et humaniste, qui se serait habillé pour la noce d’un cousin de province.
Bon et honnête
Le public le trouvait bon et honnête ; d’instinct, il avait adopté cet échalas calaisien né dans le douzième arrondissement. Le public était touché par ces mélodies d’amour et le ravivage de la flamme ouvrière, toutes ces identités occultées. Mais, a-t-on vraiment besoin de s’appuyer sur un calendrier pour évoquer ce chanteur à l’écho entêtant ? Il n’est pas nécessaire non plus d’être un supporter des « sang et or » ou d’avoir eu un grand-père mineur pour aimer l’onde de Bachelet. Elle se propage bien au-delà des corons, elle vogue au-dessus des océans. Car il s’agit là, d’une vibration venue de loin, du mitan des années 1970, des programmes communs et des trains à grande vitesse. Il est cette voix d’ailleurs qui souffle dans l’autoradio d’une Renault 5 vert pomme, à l’entrée de l’automne. Il ramasse à la pelle les feuilles de nos errances, de nos tâtonnements et de nos amours déçues ; il est l’archiviste de nos constructions malhabiles. Comment peut-on être insensible à sa puissance d’évocation du passé ? Il parle plus qu’il ne chante. Son timbre retient tous les chaos de notre existence. Il n’est pas de la race de ces interprètes implorants qui charment leur auditoire par un déballage des sentiments et un excès de sueur. Il ne salit pas les élans sincères, il ne moque pas les imperfections des vies privées de lumière. Il serait plutôt tapisserie de l’Apocalypse, cette tenture inestimable réfugiée au château d’Angers, indéchiffrable pour le béotien et cependant, si proche, si « parlante » pour le visiteur d’un jour.
Proustien populaire
Les chansons de Pierre Bachelet, sans éclat ou artifice, parfois même dans leur simplicité fort honorable, nous transportent toujours plus loin. Il est le phrasé de nos cinq ans. Il est le kaléidoscope de Denise Fabre, le charme sauvage de Flo et le béguin adolescent pour le minois de Véronique Jannot. Bachelet réussit à ouvrir des brèches, là où l’on ne voyait que des plaines infertiles. Il me fait penser au poète André Hardellet qui, à la vue d’une friche de banlieue, inerte et obsolète, la pare, sous sa plume, de mille joliesses et mystères historiques. Bachelet est un compositeur de l’infiniment petit qui, grâce à son talent de transformateur, fait déborder le réel, le bascule dans une adorable rêverie. En l’écoutant, par les hasards de la programmation de la bande FM, le paysage de notre enfance ou plutôt les traces de son imaginaire se dessine. Sa musique remet en mouvement et en sentiment des images effacées. Il restitue le grain des rues grises et des lendemains qui déchantent. Il est un proustien populaire. Quand je l’entends, je ne pourrais vous expliquer pourquoi, les couleurs de ma prime enfance se mettent à danser ; je vois une Lancia Gamma garée Place de la Madeleine, le dernier roman de Georges Conchon dans une librairie près de la Cathédrale de Bourges, des œufs en meurette sur une table en formica et Isabelle Adjani dans L’Année prochaine si tout va bien, le film de Jean-Loup Hubert où elle travaille dans un bureau de l’INSEE. C’est bête, la mémoire.
La découverte du probable sarcophage de Joachim du Bellay à Notre-Dame est une extraordinaire nouvelle si elle est confirmée
La nouvelle n’aura été l’objet que de quelques malheureuses lignes sur les sites d’information, plus affairés à esquisser la composition du nouveau gouvernement ou à trouver de nouveaux péchés à ajouter à la liste de l’Abbé Pierre. Après tout, l’époque n’est plus à la célébration du passé, encore moins lorsque celui-ci fut brillant, ni à la culture générale, dont l’acquisition nécessite curiosité et effort. « Joachim qui ? », entendrait-on presque marmonner Sébastien Delogu. Et pourtant, la découverte probable de la tombe de Joachim Du Bellay est un plaisir de fin cultivé.
Un beau voyage dans le temps
Le poète reposait donc depuis presque un demi-millénaire, dans un cercueil fait de plomb, sous la croisée du transept de Notre-Dame, cathédrale qui ne cessera jamais de révéler ses secrets. Pendant quatre siècles, nombre d’hommes d’églises et quelques illustres inconnus y furent enterrés. Avouons qu’il y a repos éternel plus désagréable : malheureux, Richard III, dont le squelette fut retrouvé dans le sous-sol d’un parking de Leicester, dans le centre de la pluvieuse Angleterre ; malheureux aussi les hommes et femmes célèbres enterrés dans des cimetières devenus des lieux touristiques ; malheureux, enfin, la plupart d’entre nous, dont les cendres seront répandues sur les pelouses de crématoriums.
La découverte de Du Bellay aurait dû être l’occasion de célébrer et de redécouvrir le fondateur, avec Pierre Ronsard, de la Pléiade, et auteur des Regrets, dont le poème inspiré par le héros de l’Odyssée : « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ». La courte élégie évoque le déchirement entre le voyage et le village, le « marbre dur » et l’ « ardoise fine », l’exil et le retour. Y a-t-il d’ailleurs, dans la langue française, un « hélas » plus essentiel et plus chargé de mélancolie que celui qui apparaît dans la deuxième strophe : « Quand verrai-je, hélas, de mon petit village, Fumer la cheminée, et en quelle saison, Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ? »
Le lettré angevin est également l’auteur de La Défense et illustration de la langue française, qui eut pour vocation d’asseoir définitivement le français quelques années après la promulgation, par François Ier, de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui l’imposa dans les usages de l’administration. Mais un idiome ne pourrait s’imposer sur une base seulement juridique. Et Du Bellay s’escrima donc à élever en noblesse une langue qui n’était alors pas encore celle de Molière. Si l’on a retrouvé sa tombe, il doit pourtant aujourd’hui s’y retourner bien des fois, en entendant le français si souvent malmené, maltraité, bafoué à coups d’anglicismes, de barbarismes ou d’absurdités postmodernes.
Tant que l’oiseau de Jupiter vola…
Dans Les antiquités de Rome, petit chef-d’œuvre pour celui qui prend la peine de s’y plonger, Joachim du Bellay, songe au sort d’une civilisation réduite en ruines, comme le feront tant d’auteurs des siècles qui adviendraient. On y retrouve, prise au hasard de la lecture, cette strophe : « Tant que l’oiseau de Jupiter vola, Portant le feu dont le ciel nous menace, Le ciel n’eut peur de l’effroyable audace. Qui des Géants le courage affola ». ll n’est guère besoin de préciser que le Jupiter dont il est question n’est évidemment pas celui qui entreprend aujourd’hui, par vanité, de changer les vitraux de Notre-Dame.
Contrairement aux apparences, Jacaranda n’est pas vraiment un livre sur le génocide rwandais.
Les seconds romans sont souvent attendus au tournant. Ce d’autant plus que les premiers ont connu le succès. En 2016 Petit pays, premier roman de l’auteur-compositeur-interprète Gaël Faye a remporté le prix Goncourt des lycéens, reçu un excellent accueil critique et s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France. Huit ans après, l’auteur de l’album de rap Pili pili sur un croissant au beurre revient sur le devant de la scène avec Jacaranda. C’est peu de dire que les attentes sont grandes. Qu’en est-il donc vraiment ? Milan, son personnage principal, est métis comme lui. Rwandais par sa mère. Français par son père. Le Rwanda, il le découvre en 1994. « Le Rwanda est arrivé dans ma vie par la télévision que nous regardions religieusement à l’heure du dîner » confesse-t-il. « La première fois que le présentateur en avait parlé, je m’étais tourné instinctivement vers ma mère, tout excité, presque content qu’il soit enfin question de son pays natal au journal télévisé ». Mais la mère ne réagit pas. Du Rwanda, il n’a jamais été question à la maison. A tel point que le fils a fini par oublier qu’elle est née et a grandi sous d’autres cieux. Au mois d’avril de la même année commence ce qui va être le dernier génocide du XXème siècle : celui des Tutsi. Huit cent mille morts en trois mois. Milan, s’il est affecté par les images – comment pourrait-il en être autrement ? – ne parvient pas à s’expliquer son émotion concernant ce conflit qu’il considère alors comme une « barbarie lointaine ». Jusqu’au jour où arrive dans sa famille un petit garçon portant un bandage à la tête. On le lui présente comme étant son neveu. Il est Tutsi lui aussi. A perdu ses parents. A été blessé. Entre les deux enfants l’affection est immédiate même si le petit Claude porte en lui les stigmates de la guerre. Puis, aussi subitement qu’il est apparu dans sa vie, le jeune garçon est renvoyé dans son pays. Milan n’aura alors de cesse de le retrouver et se rendra lui aussi, plus tard, au Pays des mille collines en quête de ses origines. Là-bas il découvrira sa famille de cœur dont sa mère ne lui a jamais parlé. Rosalie l’arrière-grand-mère mais aussi Eusébie la tante et Stella la petite-fille. Ce retour aux sources va être l’occasion pour l’écrivain de déployer l’histoire de son pays et de sa famille sur quatre générations. Une histoire faite de larmes et de sang, de violence extrême et de sauvagerie, dont il met en lumière l’extraordinaire complexité : « Ceux qui nous tuaient étaient des gens que l’on connaissait, nos voisins, nos amis, nos collègues, nos élus ». Comment survivre à la barbarie ? Telle est la question que pose ce roman bouleversant. Contrairement aux apparences Jacaranda n’est pas un livre sur le génocide rwandais mais sur l’après. Sur la reconstruction et le pardon. Sur l’importance du lien qui seul permet d’avancer. « L’indicible ce n’est pas la violence du génocide – rappelle Stella, l’ange du roman- c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout ». Gael Faye a pourtant su trouver les mots avec la douceur qu’on lui connait, la force qu’on lui découvre, sa simplicité et sa poésie.
Les bouquinistes ne sont pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc fouiner dans leurs boîtes à vieux livres.
Jean Dutourd aima, par-dessus tout, la langue française. Il la défendit bec et ongles, tout au long de sa vie. « Je l’aime comme un artiste aime la matière de son art. Comme un homme aime l’âme que Dieu lui a donnée. » Deux ans après les événements de Mai 68, exaspéré entre autres par les « poncifs sur la jeunesseéprise d’idéal », Dutourd décide de dire leurs quatre vérités à ses contemporains : « Je pense que la jeunesse est un néant, que la révolte est une blague, que le progrès est mort vers 1925, que la culture est une imposture, que la liberté est la chose que les hommes haïssent le plus au monde en dépit de leurs discours, que la patrie est le seul bien des pauvres et que les peuples heureux ont un destin atroce », peut-on lire sur la quatrième de couverture de L’École des jocrisses. Un chapitre intitulé « Langage et Bêtise », qui fait plus de la moitié du livre, décrit la dégradation d’une langue française qui « s’appauvrit et s’alourdit » dans le même temps.
Ce texte percutant se propose d’être un antidote au crétinisme que Dutourd décèle dans les rébellions surjouées par des fils de bourgeois vociférant de laborieuses harangues. Quelle est la plus grande victoire du révolutionnaire estudiantin ? Être parvenu à esquiver l’examen et à camoufler qu’il est un individu inconsistant et ignare, pratiquant une « langue débilitée ». En plus de se désoler de la présence de plus en plus envahissante du sabir « des camelots », ce volapük commercial imprégné d’expressions américaines, Dutourd dénonce le baragouin des sociologues de bazar et des agitateurs d’amphi. Malheureusement, les moyens de diffusion modernes amplifient la contagion langagière : « On entend des horreurs du soir au matin. L’employé de guichet, à la poste, vous entretient de ses “options idéologiques”. Ces vilains mots-là, sortant d’honnêtes bouches populaires, choquent plus que des grossièretés. »
Le jocrisse moderne, écrit Dutourd, recourt à un galimatias truffé de barbarismes savants, d’anglicismes, d’expressions affectées et de « termes fabriqués par les pédants » – le soixante-huitard ambitionnant une carrière politique ou journalistique excellera dans ce domaine. Le futur académicien prévoit qu’il fera des petits, encore plus sots que lui – ce qui adviendra. Il nous lègue, à la fin de son ouvrage, un court glossaire mêlant le sérieux, l’ironie et la manière toute flaubertienne de « faire la bête ». La Culture y est décrite comme une « activité encouragée par le gouvernement, ayant pour but de faire connaître les sculptures de M. Calder et les drames de M. Gatti à des gens qui ne savent pas qui sont Michel-Ange et Molière », tandis que la Sociologie y est définie comme un « objet d’études pour les jeunes gens peu désireux d’apprendre un métier et, consécutivement, de travailler ». Nous étions au début de la dégringolade. Depuis, elle n’a fait que s’accélérer. Mort en 2011, Jean Dutourd a échappé de justesse à l’avènement du wokisme universitaire, à l’effondrement terminal de la langue française et, finalement, au triomphe des jocrisses qu’il redoutait tant.
L’École des jocrisses, Jean Dutourd, Flammarion, 1970. 224 pages