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Le bouclier et la burqa


Le bouclier et la burqa

Il est des juxtapositions douloureuses. Celle qui voit se télescoper dans les JT la sanctuarisation du bouclier fiscal et l’enterrement de la loi anti-burqa relève du cas d’école.

Il est bien évident que l’opération poudre aux yeux mise en place pour hâter et célébrer le déculottage sarkozyste sur le « voile intégral » se solde par un fiasco non moins intégral. Pourtant, le Monde, le Figaro et Libé, dans un chœur touchant de vierges au Dalloz entre les dents, ont tenté, tout comme la gauche mainstream, de nous faire avaler le canular du Mais malgré les efforts des uns et des autres, il n’aura pas échappé à grand monde que ce refilage de mistigri au Conseil d’Etat était cousu de fil à plomb. D’autant plus qu’une semaine avant, on nous avait servi le même gag avec la taxe carbone et que la Belgique, c’est-à-dire l’État le plus impuissant – et le plus eurocompatible – de l’Union, n’a pas gobé, elle, le fabliau du Palais Royal selon lequel une bonne grosse interdiction de derrière les fagots nous exposait « à de sérieux risques au regard de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Donc on se fout du peuple, ce qui après tout n’est pas très grave en soi : c’est même le plus commun des modes de gouvernement, à Paris comme à Pékin, Londres ou Bamako. Le petit problème, c’est que tout le monde s’en aperçoit. Un peu comme avec la taxe carbone, donc. Mais aussi comme avec le Traité de Lisbonne, ou les aventures de Jean Sarkozy à l’EPAD et quelques autres faits d’armes élyséens. Le petit problème, c’est que mis bout à bout, ce qu’on a sous le nez n’est plus du simple foutage de gueule, c’est un 26 octobre postmoderne, dilué dans l’espace et le temps. Pour ceux qui n’étaient pas nés, on rappellera que le 26 octobre 1995, Jacques Chirac, élu cinq mois plus tôt dans l’enthousiasme sur le thème de la fracture sociale, avait expliqué aux Français que la résorption d’icelle était reportée sine die pour cause – déjà ! – d’Union Européenne.

Chiraquisation donc, mais hypocrite : l’actuel président n’a pas le courage de nous dire en face que son triptyque gagnant de 2007 populisme/réactivité/volontarisme était désormais bon pour les Archives nationales et qu’il avait rompu avec l’idée même de rupture. Et c’est pile à ce moment-là que déboule sur les plateaux la noria ministérielle de seconds couteaux prêts à se faire tuer sur place pour défendre le bouclier fiscal. Mettez-vous à la place d’un agriculteur, d’un délocalisé, d’un surendetté, ou plus banalement d’un électeur lambda. Ils n’ont pas forcément cru que le président irait chercher les points de croissance avec les dents. Mais ils ont cru qu’il se donnerait du mal. Et voilà qu’ils constatent aujourd’hui que les canines présidentielles s’en prennent surtout aux mollets de ceux qui contestent son bouclier fiscal. Or chacun sent bien qu’il existait douze mille façons raisonnables d’expédier ce gadget pour rentiers à la trappe. La crise mondiale blabla, la solidarité nationale taratata, les équilibres budgétaires et patati et patata…

C’est d’autant plus désolant que je ne suis pas moi-même accro au bouclier fiscal, pas plus qu’à l’ISF ou aux droits de succession. Et dans les deux sens. J’ai pas de religion, comme dirait l’autre, ou, plus précisément, je n’ai pas l’impression que leur maintien, leur suspension, ou leur suppression créerait un seul emploi supplémentaire. Parce qu’économiquement tout cela se passe à la marge de la marge. On est dans l’opérette économique. Une fiction qui arrange beaucoup de monde, à gauche comme à droite. Qui permet de faire croire qu’on est pour l’entreprise ou bien pour les travailleurs, alors qu’on a cédé à d’autres, sans discontinuer depuis trente ans, toutes les clefs et tous les leviers. Que toutes les politiques industrielles, économiques et sociales relèvent de l’accompagnement et de l’ajustement. Ce fut la force de Sarkozy d’avoir fait croire qu’on allait sortir de ce destin de nation-caniche : les sondages actuels sont à la hauteur de la déception. Certes, il n’est écrit nulle part que le constat de divorce acté aux régionales entre le président et son peuple de droite soit éternel. Mais on voit mal comment il va recoller les morceaux. Et ce n’est sûrement pas avec des messages tels que le bouclier ou la burqa que ses électeurs vont avoir envie de rentrer dormir à la maison…

Rupture, vous avez dit rupture ?



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