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Le journalisme est-il un « métier pourri » ?


Le journalisme est-il un « métier pourri » ?

Jean-Luc Mélenchon

D’accord, Jean-Luc Mélenchon est mal tombé. Tant qu’à s’attaquer aux journalistes, mieux aurait valu choisir un puissant, une star de la profession. Affronter Apathie, Demorand ou Pujadas, ça aurait eu plus d’allure que de tomber à bras raccourcis sur un étudiant de l’école de journalisme de Sciences Po. Enfin, le jeune Félix Briaud aura ainsi eu droit à son quart d’heure de célébrité et, sans doute, aux félicitations de ses professeurs tous soigneusement recrutés dans les médias où on pense bien.

D’autre part, si le patron du Front de Gauche a bien raison de s’en prendre au goût des médias – y compris des plus sérieux – pour l’insignifiant et le people, il a mal choisi son terrain. En effet, la réouverture des maisons closes serait assurément un progrès, à la fois pour la paix des familles et pour les dames qui y officieraient. C’est donc un sujet d’intérêt général– même si le patron du Front de Gauche considère la sexualité comme une affaire bourgeoise…

Pour finir, c’est très mal de traiter de « petite cervelle » quelqu’un dont, à l’évidence, on n’a pas eu le temps de mesurer le tour de crane. Et puis, au lieu de parler de notre « métier pourri », Mélenchon aurait pu dire qu’il était « mal parti » ou se lamenter sur notre « profession sinistrée » – intellectuellement et socialement, ce qui devrait d’ailleurs susciter l’intérêt de ce bon marxiste.

Si toutefois on consent à mettre ce vocabulaire, un peu excessif et somme toute négligé pour un homme qui brandit la dignitas, sur le compte de la colère, il faut admettre que ses propos relèvent du bon sens. Qu’un homme politique veuille être interrogé sur son programme plutôt que sur sa vie privée ou l’élection de Miss France, cela devrait être une évidence.

Je n’en suis pas très fière, mais ça me réjouit toujours qu’un politique se permette d’engueuler un journaliste. Rien n’est pire que le spectacle de ces élus acceptant de se faire maltraiter en direct par des interviewers qui se croient rebelles parce qu’ils jouent les flics ou insulter par des pseudo-comiques qui, comme le résume notre ami Alain Finkielkraut, réclament la liberté quand ils veulent l’impunité. Ou plutôt si, il y a pire : les politiques qui, depuis la fameuse question posée par Ardisson à Michel Rocard, acceptent n’importe quoi pour passer à la télé, y compris les questions et les voisinages les plus dégradants.

Seulement, il ne suffit pas de s’en prendre aux journalistes. Dans le trio que forment journalistes, politiques et public, tout le monde conspire dans le même sens, celui de l’indigence et de l’insignifiance quand ce n’est pas celui de la vulgarité. Si des journalistes ou des amuseurs faisant office de journalistes exercent aujourd’hui un pouvoir exorbitant quoi qu’en disent ceux qui hurlent tous les quatre matins à la  liberté menacée, c’est bien parce que les politiques ont accepté de se dessaisir du leur. « On ne gouverne pas contre Le Monde », disait Jospin, officialisant la transformation des contre-pouvoirs en pouvoir. On aimerait convaincre ses successeurs que gouverner, c’est aussi et peut-être d’abord être capable de s’opposer au Monde – et aux autres.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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