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Army Pride en Amérique

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Les soldats gays américains vont enfin pouvoir sortir du placard. En effet, c’est assez peu connu, mais il arrive que des homosexuels cherchent leur épanouissement professionnels en dehors du salon de coiffure, du ministère de la Culture, de livres publiés aux éditions P.O.L, des techno-parades et des bars du Marais.

Le précédent Lyautey

Certains aiment, par exemple, le commerce des armes. Et ils y réussissent brillamment. On se souviendra ainsi avec émotion de Lyautey, qui conquit le Maroc en s’enfonçant dans l’arrière-pays et dont le goût pour les sous-lieutenants n’était un mystère pour personne. Son meilleur historien, Douglas Porch, dans The conquest of Morocco, précise néanmoins qu’il ne fut jamais pour autant un partisan de la promotion tente comme il y a des promotions canapés et respectait une déontologie très stricte quand il s’agissait d’en accorder. Comme quoi, même un homosexuel peut faire la part des choses.

Que les homophobes français, et par exemple Sexion d’Assaut, se rassurent. Ce n’est pas de nous qu’il s’agit aujourd’hui, uniquement de l’armée étatsunienne. Alors, on respire un grand coup et on écoute. Un juge fédéral de Los Angeles vient d’invalider la loi qui forçait les gays à se cacher. Cette loi, pétrie d’hypocrisie protestante, était appelée loi DADT : Don’t ask, don’t tell, c’est-à-dire ne rien demander, ne rien dire. La juge Virginia Philips a ainsi estimé que ce texte était en contradiction avec les premier et cinquième amendements de la Constitution des USA qui garantissent, notamment, la liberté d’expression. La première réaction à cette remise en question de la DADT a été celle Lady Gaga qui a applaudi de ses deux mains manucurées. On n’est pas certain que ce soit la meilleure publicité dont aient pu rêver les GI gay qui, désormais, n’auront plus à se cacher des GI Joe – ou peut-être que si, justement ?

Plus prévisible, en revanche, l’extrême réserve exprimée par l’ancien candidat républicain John Mc Cain, héros de la guerre du Vietnam, qui avait bataillé ferme sur le sujet, se livrant à un baroud parlementaire sans parvenir à interdire la réintégration d’une infirmière lesbienne. Je sais, dit comme ça, infirmière lesbienne, ça fait un peu titre de film porno des années 1970…

Pour le reste, on passera assez vite sur les probables réactions de quelques brutes galonnées qui vont se désoler à l’idée d’aligner sur le terrain des sections de tafioles face aux Talibans aujourd’hui et aux Syriens ou aux Iraniens demain. Un homo dans l’armée, ça va, mais c’est quand il y en a beaucoup que ça pose des problèmes, doivent-il se dire.

Le précédent thébain

Ils ont tort. La fin de la loi DADT est une chance si on envisage les choses de manière beaucoup plus pragmatique, en se dépouillant de tout préjugé. Un constat, d’abord : l’armée américaine, officiellement hétérosexuelle, a pris branlée sur branlée ces dernières années. La seconde guerre du Golfe lui a coûté des milliers de morts et elle s’apprête à un départ la queue entre les jambes des derniers secteurs du pays qu’elle contrôle plutôt mal : Zone verte de Bagdad et quelques points ultra-fortifiés et sécurisés, vivant en autarcie comme l’a si bien décrit le reporter Adrien Jaulmes dans Amerak (éditions des Equateurs). Comment éviter à l’avenir de telles déconvenues ? En se rappelant qu’on se bat mieux quand on se bat pour ce qu’on aime. Etre commandé par un petit sergent latino à l’haleine aillée alors que vous ne flashez que sur les grands blonds aux noms suédois du Minnesota aurait plutôt tendance à achever de vous déprimer quand vous êtes cernés par des sunnites énervés du côté de Falloudja. Ou avoir pour compagnon de chambrée un puceau blanc de la Bible Belt confit en dévotion alors que vous adorez les grands Blacks de South Central, cela rend encore plus fraîches les nuits kabouliotes.

Les Grecs, et la ville de Thèbes, l’avaient compris parfaitement. L’homosexualité, non seulement n’est pas un inconvénient au combat mais un avantage. Le Bataillon Sacré, nous rapporte Plutarque et Polybe était considéré comme une des meilleures unités opérationnelles de l’Antiquité et elle était, comme l’infanterie française, constituée de binômes, mais de binômes dont chaque membre était amant de l’autre, ce qui leur donnait une motivation supplémentaire au combat. C’est Flaubert, qui montre dans Salammbô lors de la déroute des mercenaires assiégés et affamés dans le défilé de la Hache à quel point les Thébains étaient reconnaissables entre mille : « On s’endormait, côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles.(…)Il s’était formé d’étranges amours, unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des batailles […] et l’autre payait ces dévouements par mille soins délicats et des complaisances d’épouse. »

Il ne reste donc plus désormais à l’armée étatsunienne qu’à accorder les mêmes droits aux militaires hétérosexuels. C’est vrai, quoi, je ne vois pas pourquoi on devrait aller au trou sous prétexte qu’on a eu envie d’offrir une bière, et plus si affinités, à sa capitaine sexy, véritable sosie de Sarah Palin.

T’as voulu voir Bruxelles et t’as vu les bouchons

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L’actualité ayant depuis quelques mois braqué ses feux sur la Belgique – offrant ainsi l’occasion à Israël de souffler –, intéressons-nous un instant à Bruxelles. Tom-Tom, fabriquant de GPS a livré ses statistiques satellitaires et nous apprend que cette minuscule Cité-Région est, au prorata du kilomètre de voirie, la ville la plus embouteillée au monde.

Chacun à son idée quant aux solutions à apporter. Du côté de la place Jourdan, on croise les eurocrates qui se dorent au soleil – si, si, il fait beau, parfois – et proposent doctement des solutions. « L’inscription en sous-commission d’étude d’un projet de taxe aux entrées de la ville permettrait un désengorgement de celle-ci profitable à la mobilité. » On évitera de leur faire de la peine en leur disant que c’est juste un retour à l’octroi.

A Uccle, les BCBG de retour du tennis se penchent également sur la question. « Ce qu’il faudrait, voyez-vous, mon ami, c’est multiplier les bandes de roulages aux sorties de la ville, et particulièrement à Uccle, huhuhu, afin de limiter l’encombrement de nos paisibles quartiers. »

Mais la première chose qui vient à l’esprit du moins dégourdi des citadins, c’est naturellement d’enfouir les lignes de trams, bouffeuses d’espace et ultra-protégées par divers sites propres, chicanes et autres édicules urbains. Pour des trams par ailleurs perpétuellement en retard ! Un désir nommé tramway ! Ce serait le bon sens, soupirent les Bruxellois, exceptionnellement d’accord entre eux. Mais le bon sens n’est pas également partagé et semble faire cruellement défaut aux écolos.

Vous me direz qu’on s’en fout un peu des écolos, de leur coton bio, leurs savonnettes équitables et leur végétalisme livide. Et bien non ! Parce que les bouffeurs de tofu font partie du gouvernement de la région bruxelloise. Et ils ont tranché la question avec le sérieux qui les caractérise. « Pour améliorer la mobilité. Il faut rendre le plus infernal possible le recours à la voiture. Cela, et cela seul, permettra de contraindre les habitants à utiliser les transports en commun. Et alors les routes seront désengorgées. »

Je les trouve un peu mous du genou, les écolos en cette saison. Aux grands maux, les grands remèdes : criminalisons la conduite automobile et laissons les agents tirer à vue sur les conducteurs !

Laurent Fignon, le cannibale de 1984

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Laurent Fignon

Un immense champion nous a quittés cet été. Dans un film états-unien, American Flyers (en VF, Le Prix de l’exploit), on aperçoit, dans la maison du personnage principal, incarné par Kevin Costner, un poster de Laurent Fignon sur le réfrigérateur. Le tournage a eu lieu en 1985 dans l’Amérique profonde, non loin des Rocheuses, et il y est question d’une course cycliste, l’« Enfer de l’Ouest ».

L’année précédente, Fignon avait gagné son deuxième tour de France. Un chef-d’œuvre. La plupart des observateurs ont attribué cette victoire à la faible performance de Bernard Hinault, alors diminué par les suites de l’opération chirurgicale qui l’avait empêché de prendre le départ du Tour 1983. C’était oublier que le « Blaireau », quelques semaines après avoir fini le Tour 1984 à plus de 10 minutes derrière Fignon, gagna le Grand prix des nations en battant le record de l’épreuve − son propre record : cela signifie qu’il n’était pas, cet été-là, si loin de son meilleur niveau.[access capability= »lire_inedits »]

Le Tour maudit de 1989

« Eddy Fignon » : c’est ainsi que L’Equipe célébra, durant cet été 1984, l’une des cinq victoires d’étape de Laurent Fignon. Comme Merckx, Fignon avait joué les « cannibales », dévorant impitoyablement tous ses adversaires : deux étapes de montagne en ligne[1. Pour ceux qui ne suivent pas particulièrement le sport cycliste − et pour Elisabeth Lévy, sans vouloir dénoncer −, une étape en ligne est une étape où le classement est dressé en fonction de l’ordre de passage sur la ligne d’arrivée. Alors que dans un « chrono » ou « contre-la-montre », les coureurs partent chacun leur tour et sont classés en fonction de leur temps.]
, deux chronos sur le plat, un chrono en montagne, et un autre par équipe ! De plus, les trois quarts des membres de son équipe, Renault-Gitanes, remportèrent aussi une étape en ligne. Le maillot jaune resta chez Renault de la cinquième à la dernière étape. C’est son ami Vincent Barteau, qui fut l’un des derniers à son chevet, qui le lui céda à l’Alpe d’Huez.

Cette année-là, Fignon démontra qu’il était le meilleur coureur cycliste de la planète. Les réalisateurs du film cité plus haut l’avaient bien compris. D’ailleurs, les Américains ne célèbrent que les vainqueurs. Tel n’est pas notre cas. Il ne se fit une place dans le cœur des Français que cinq ans plus tard, lorsqu’il dût céder le paletot jaune à Greg LeMond pour huit petites secondes lors de la dernière étape. D’ailleurs, lorsque des fans l’abordaient, ce n’était jamais pour lui parler de 1984 mais de cet autre Tour, maudit entre tous.

Si j’ai préféré évoquer 1984 plutôt que 1989, si j’ai choisi, pour rendre hommage à ce grand champion, de parler de ce poster sur un frigo américain en privilégiant l’image du vainqueur sans partage plutôt que du vaincu magnifique, c’est que jamais il ne me serait venu à l’idée de prendre le départ de courses cyclistes sans les victoires de Fignon sur les hauteurs de La Plagne, Crans-Montana ou La Ruchère. Cet été, un immense champion nous a quittés et, avec lui, une partie de mon adolescence.[/access]

La carte de la révolte

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Le Monde a dressé une cartographie des mouvements syndicaux.

Le Monde vient de publier une carte très intéressante : c’est celle des manifestations du 19 octobre contre le projet de retraite. Il s’agit des manifestations qui interviennent au moment où la crise devient paroxystique, c’est-à-dire au moment où les personnes les plus engagées sont prêtes à aller jusqu’au bout. Et que voit-on ? Qu’il s’agit principalement des villes situées dans la Bretagne maritime, dans le sud-ouest et la région lyonnaise.

Cette carte calque étonnamment avec les zones de « familles souches » de la carte qu’Emmanuel Todd a dressé des structures anthropologiques des familles françaises. Rappelons-le, elles sont au nombre de 4 :

– la famille nucléaire absolue, qui est à la fois libertaire et inégalitaire ;
– la famille communautaire, qui est autoritaire et égalitaire ;
– la famille souche, qui est autoritaire et inégalitaire ;
– la famille nucléaire, qui est libertaire et égalitaire.

Les manifestations les plus fortes ont donc lieu dans les zones à « familles souche », où prédominent des comportements inégalitaires et autoritaires. Ces structures anthropologiques sont aussi présentes en Allemagne (elles y prédominent), en Suède, en Corée et au Japon. On comprend bien que c’est le vieux capitalisme qui craque. Le capitalisme autoritaire et paternaliste (celui du XIXe siècle) qui cède le pas au capitalisme financier et « libéral ». Qui est désarmé face à lui.

Qu’en est-il du reste de la France ? Il s’agit principalement d’une zone englobant le Bassin parisien élargi. Elle est à structure « nucléaire » (égalitaire et libertaire) et non pas « nucléaire absolue » (libertaire et inégalitaire), comme le sont les pays anglo-saxons qui se sont donnés à fond au libéralisme économique. En France, seule la Bretagne intérieure est de structure « nucléaire absolue » et ne joue qu’un rôle économique mineur. Il va donc falloir observer comment réagit le pays « nucléaire » en France dans l’évolution de la crise. Car s’il emboîte le pas au pays « souche », s’il y a une alliance (contre nature) entre les égalitaires et les autoritaires pour rejeter le libertarisme économique attaché à l’idéologie sarkoziste, alors le gouvernement a du souci à se faire. Et nous entrerons dans une crise dure comme la France en connaît tous les trente ans.

Et mes écolos de droite, tu les aimes ?

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À 76 ans, Brigitte Bardot fait vraiment beaucoup pour les espèces menacées. Grâce à elle, on vient en effet d’apprendre que l’Alliance Ecologiste Indépendante existait encore. Ce conglomérat d’organisations de masse comme le Mouvement Ecologiste Indépendant d’Antoine Waechter, Génération Ecologie ou encore le Parti Fédéraliste avait été créé en 2009 en vue des élections européennes dans une tentative désespérée pour que les écologistes de droite puissent garder un espace politique. Afin de donner une idée de leur désarroi, on rappellera que l’Alliance Ecologiste Indépendante avait présenté comme tête de liste de la région Sud-Est le chanteur Francis Lalanne. Eh bien, cette AEI vient de démentir Brigitte Bardot qui affirmait avoir son soutien dans une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2012. BB a en effet envoyé à l’AFP et à Nicolas Sarkozy une lettre où elle indique qu’elle est prête à se présenter si la cause animale (chiens, chats, poulets) n’est pas davantage prise en compte et s’est revendiquée du soutien d’un des big boss de l’AEI, Antoine Waechter qui a aussitôt déclaré : « L’action de Madame Bardot est respectable, mais elle ne peut suffire à valider une campagne présidentielle. » Autrement dit, il lui a refait le coup du mépris.

Paco Sanmentor

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[access capability= »lire_inedits »]Paco Sanmentor

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Jean Auguste Dominique Ingres fut, de loin, le plus mauvais peintre de sa génération à l’exception de tous les autres : depuis Lascaux, il n’y a plus de bons peintres. Quand il ne jouait pas du violon, Ingres avait, très tôt, pris la fâcheuse habitude de portraiturer ses contemporains en habits de Premier consul.[access capability= »lire_inedits »]

Tout le monde y passa à l’époque, y compris Paco Sanmentor, le fameux révolutionnaire vénézuélien, dont les historiens ne savent rien sinon qu’il fut chassé de Caracas en 1813 par Simón Bolívar, quelque temps seulement après la Campagne Admirable. Bolívar voulait, en effet, démanteler les camps espagnols du Vénézuela occidental, tandis que Paco Sanmentor y était farouchement opposé. Paco Sanmentor trouva alors exil en France, au Mans, où il consacra ses jours à rédiger une méthode espagnol/sarthois, qui n’est malheureusement plus guère usitée de nos jours. En même temps, quand on vit dans la Sarthe, on n’a pas besoin de comprendre toutes les subtilités des discours de Hugo Chávez.

Jean Auguste Dominique Ingres, Portrait de Paco Sanmentor en Premier consul, musée Remanier, Paris.

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Marcel Lapierre, mort d’un vigneron français

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Dans le milieu du vin naturel, sur le zinc des comptoirs et au cœur des vignobles, une triste nouvelle a causé un émoi considérable, ce lundi 11 octobre. Marcel Lapierre, vigneron d’exception établi à Villié-Morgon, où il avait pris la direction du domaine familial en 1973, est mort à l’âge de 60 ans. On en a parlé partout dans le monde, à New York, Cologne, Berlin, Bruxelles, Tokyo, São Paulo.

Bouteilles capsulées à la cire rouge

Comme nul n’est prophète en son pays, surtout dans la France de la techno-agriculture productiviste, la démarche révolutionnaire de Marcel Lapierre, qui avait laissé de côté les produits phytosanitaires et repris le labour de ses vignes à la fin des années 1970, a été bien souvent mieux comprise au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Italie où les amateurs de vins placent très haut les élégantes bouteilles capsulées à la cire rouge de son morgon « nature », un vin ni chaptalisé, ni filtré, ni sulfité. Elle ne se donne même plus la peine, cette internationale des buveurs de choses vraies, de faire la comparaison avec les vins boisés et bodybuildés défendus par Robert Parker et ses petits clowns snobinards buveurs d’étiquette du Wine Spectator, consommateurs de vins cimentés qui vous tapissent le palais d’un jus épais et sucré.

Une certaine idée du vin

Encore une fois, on n’est pas étonné d’observer que les Français des temps qui sont les nôtres, en cette matière comme dans d’autres, ne savent plus au juste ce qu’est la France. La France, ce n’est pas les vignerons hommes d’affaires vedettes des foires aux vins falsifiés. La France, ce n’est pas les vins modelés par des fermenteurs à rotors, de l’osmose inverse, de la micro-oxygénation, des ajouts de tanins, des enzymes ou des levures synthétiques.

La France de Marcel Lapierre, du vin de Marcel Lapierre, c’est l’esprit rebelle, la fraternité bruyante, la subtile gourmandise, le goût délicat et l’anarchisme foncier qu’il aura incarné mieux que personne durant trois décennies, en gros en 1980 et 2010, dont on se souviendra longtemps.

Il ne venait pas de n’importe où, en même temps, Marcel Lapierre. Dans Avec Marcel Lapierre, le beau livre définitif dont la réédition toute récente se révèle tristement opportune que Sébastien Lapaque, subtil docteur en flacons non trafiqués par les convenances du marché, lui a consacré, il est rappelé que Marcel Lapierre aurait pu être qualifié de vigneron situationniste. Sa rencontre dans les années 1970 avec Guy Debord, lui-même amateur de vins naturels à la fois par goût et par attachement au monde d’avant, aura été l’occasion de quelques longues dérives psycho-géographiques dans Paris.

On aurait aimé assister à ces conversations. C’était, comme nous le rappelle Lapaque, à l’époque où Debord, dans La planète malade, écrivait ce qui résumait parfaitement le sens du travail de Marcel Lapierre : « Le capitalisme a enfin apporté la preuve, par son propre mouvement, qu’il ne peut plus développer les forces productives  et ceci non pas quantitativement, comme beaucoup avaient cru le comprendre, mais qualitativement. » Ou pour dire les choses autrement, il était hors de question, pour Marcel Lapierre, de faire pisser la vigne.

Mémoire du goût, goût de la mémoire

Oui, décidément, il y a quelque chose de très français dans la guérilla qu’il aura menée contre l’effacement de la mémoire du goût. Car le goût a une mémoire et la mémoire a un goût.

Comment oublier le choc de la première rencontre ? On était heureux, comme avec une femme. Comment oublier l’émotion causée par la première gorgée de son vin à la robe de belle intensité, au nez frais et pur, aux arômes soutenus de framboise et de violette, aux tanins soyeux, à la bouche longue et souple ? Même pour les tard-venus, abusés par les bordeaux aux noms ronflants avant de prêter attention aux vins vivants et naturels, il y a un avant et un après Marcel Lapierre. En buvant son Morgon, on se souvenait que le vin était fait avec du raisin et l’on ne voulait plus l’entendre autrement. « Il faut faire attention à ce qu’on met dans les cuves, parce que le vin, c’est quand même une boisson », répétait Jules Chauvet, négociant établi à la Chapelle-de-Guinchay, chimiste distingué et dégustateur d’exception qui a permis à Marcel Lapierre de trouver le secret d’un vin tout raisin au moment où le monde subissait le deuxième choc pétrolier.

De même qu’un célèbre général, amateur de champagne Drappier, qui se faisait servir le beaujolais de Jules Chauvet à son ordinaire à l’Elysée, se faisait une certaine idée de la France, Marcel Lapierre se faisait une certaine idée du vin. Cette idée ne s’est pas perdue avec sa mort. Car Marcel Lapierre a toujours eu la volonté de la transmettre. À ses copains du Beaujolais pour commencer : Guy Breton, Jean Foillard, Jean-Paul Thévenet. À son fils Mathieu et à ses neveux Philippe et Christophe Pacalet. Mais aussi à des vignerons rebelles de la Loire, tels que les frères Puzelat, Hervé Villemade, Catherine et Pierre Breton, Christian Chaussard, René Mosse ; dans le Roussillon, où l’excellent Jean-François Nicq s’illustre à la tête du domaine Les Foulards rouges, beau comme un roman de Frédéric Fajardie ; dans Vallée du Rhône où Eric Pfifferling a porté très haut l’art de la macération carbonique par grappes entières. En quelques années, cette « génération Lapierre » a dessiné en France une nouvelle géographie de la résistance viticole et sentimentale.

Marcel Lapierre est mort mais il aura peut-être réussi à faire mentir son ami Guy Debord qui écrivait dans Panégyrique : « Au banquet de la vie, au moins là bons convives, nous étions assis sans avoir pensé un seul instant que tout ce que nous buvions avec une telle prodigalité ne serait pas ultérieurement remplacé pour ceux qui viendraient après nous. De mémoire d’ivrogne, on n’avait jamais imaginé que l’on pourrait voir des boissons disparaître du monde avant le buveur. »

Trinch, buvez toujours et ne mourrez jamais !

Chez Marcel Lapierre

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Ni pantins, ni bambins ?

À chaque fois, c’est le même scénario. Dès que lycéens et étudiants manifestent dans la rue, on en conclut à la politisation de la jeunesse et on invoque l’incontournable référence à mai 68, le modèle indépassable de toute révolte.
Il suffit que les jeunes scandent mécaniquement « Ni bambins, ni pantins ! » ou « Sarko t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ! » pour que les éditorialistes nous assènent que la jeunesse s’est politisée.

Donc un jeune mobilisé est un jeune politisé. Quel extraordinaire raccourci ! Le critère ultime pour juger de la politisation de la jeunesse résiderait plus dans la forme contestatrice que prend la mobilisation que dans l’esprit qui l’anime. La politisation se réduirait à une expression négative dépourvue de contenu. Être politisé correspondrait finalement à être contre sans la possibilité d’être pour autre chose.

Aucun projet alternatif, aucune solution positive. Mais si les jeunes, pour changer un peu, manifestaient pour faire entendre une proposition novatrice au contenu positif qui viserait à améliorer la situation actuelle plutôt que de la maintenir dans un statu quo mortifère, vanterait-on leur sens du devoir citoyen ? Pourtant, ce serait dommage de ne pas le faire.

Une manif pour et non plus systématiquement contre, voilà qui serait éminemment politique et qui serait un véritable événement. Mais ça, même les adultes en semblent incapables…

Angela pas angélique

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En décrétant l’échec total de l’utopie multikulti, cette vision idyllique de la cohabitation, sur le sol allemand, de modes de vie et de pensée issus de traditions culturelles différentes, la chancelière Angela Merkel a surpris ses voisins, mais s’est fait parfaitement comprendre de ses concitoyens. Les étrangers vivant en Allemagne sont instamment priés par elle de faire quelques efforts pour s’exprimer dans la langue locale, accepter que les jeunes filles fréquentant les établissements scolaires participent à l’enseignement mixte de la natation et pratiquent leur religion sans entraves mais sans ostentation.

Au début des années 1980, Dany Cohn-Bendit entamait sa carrière politique en devenant délégué de la mairie de Francfort aux  affaires multiculturelles dans une coalition municipale composée des Verts et des sociaux-démocrates. C’était l’époque où la presse internationale convergeait vers la ville natale de Goethe pour chanter les louanges d’un modèle de cohabitation urbaine entre les « yuppies » de la capitale financière de l’Allemagne, les vieilles familles hessoises et les travailleurs turcs d’une industrie en plein essor.

Ni l’intégration à la française, ni le communautarisme à l’anglaise

En fait, cela se traduisait par quelques fêtes de quartier où l’on dégustait les spécialités culinaires des uns et des autres (surtout des autres, vu que la saucisse de Francfort était délaissée par les Gastarbeiter[1. Travailleur-hôte. Ce vocable qui désigne les immigrés voulait souligner le caractère passager de la présence de ces travailleurs sur le sol allemand.] et leurs familles). C’était cela, le « multikulti », vocable typiquement gauchiste, qui se voulait une alternative moderne et humaniste à l’intégration réputée répressive du modèle français, et au communautarisme étanche de la société britannique. Pour l’anecdote, on notera que cela a contribué au succès chez les jeunes allemandes branchées, des cours de danse du ventre (Bauchtanz) destinés à éveiller la libido de leurs compagnons un peu trop portés sur la bière.

En regardant cela d’un peu loin, on aurait pu penser que ce modèle ne fonctionnait pas si mal : l’Allemagne n’a jamais connu d’émeutes urbaines à caractère ethnique, comme la France et la Grande-Bretagne et s’était jusque-là épargné les débats passionnels autour de l’identité nationale. On n’avait pas non plus, ces derniers temps, observé l’émergence d’un parti d’extrême droite faisant sa pelote électorale sur le dos de l’immigration comme en Autriche, aux Pays-Bas, ou au Danemark. Certes, quelques manifestations agressives contre les foyers de demandeurs d’asile avaient défrayé la chronique au début des années 1990, mais elles s’étaient produites dans l’ex-RDA. La jeunesse est-allemande n’avait pas encore acquis les réflexes imprimés dans la conscience nationale par quatre décennies de repentance imposée – à juste titre – aux citoyens de la République Fédérale.

Si le « multikulti restait, pour l’essentiel, un gimmick électoral des Verts sans conséquence notable sur la société, on constatait cependant une certaine tolérance des autorités à des pratiques comme le port du foulard islamique par les jeunes filles turques dans les écoles. De toute façons, jusqu’au changement de la loi sur la nationalité par le gouvernement Schröder-Fischer, il était bien entendu qu’aucun de ces Gastarbeiter n’avait vocation à intégrer la communauté des Allemands, pas plus que leur enfants nés et éduqués dans la patrie de Kant et Hegel. On voyait même des juges faisant preuve d’une coupable clémence contre des maris musulmans cogneurs en invoquant les traditions culturelles des prévenus.

L’introduction du droit du sol au début des années 2000, la levée des multiples obstacles à la naturalisation et la réislamisation de la société turque allaient bouleverser cet équilibre qui se fondait sur un contrat tacite : « On a besoin de toi pour faire tourner nos usines, donc tu seras bien payé, convenablement logé, éduqué et soigné, mais tu te fais discret et ne te mêle pas de nos affaires. Moyennant quoi, tu peux faire ce que tu veux dans ta famille, pour autant que cela ne viole pas les lois du pays. »

Le best-seller de Günter Walraff, Tête de turc[2. Au début des années 1980, le journaliste Günter Walraff s’était grimé et avait adopté un accent turc pour décrire les conditions de vie des immigrés.], avait bien montré que la discrimination, le racisme et autre vilenies n’étaient pas absentes de la relation entre les Turcs et les Allemands, ce qui donnait l’occasion aux belles âmes d’outre-Rhin de battre à nouveau leur coulpe et d’évoquer, avec des sanglots dans la voix, ce ventre encore fécond dont était sorti la bête immonde.

Une tradition de relativisme culturel issue de l’ethnographie allemande du XIXe siècle exonérait ce pays de la « mission civilisatrice » par laquelle se justifiait l’impérialisme colonial français. La brève histoire des colonies allemandes ne révèle aucune tendance à vouloir bâtir une « Allemagne d’outre-mer ».

Dans certains quartiers, la terreur islamiste

Aujourd’hui, cet équilibre s’est rompu, et Angela Merkel n’a pu faire autrement que d’en prendre acte. Les Gastarbeiter ne sont pas rentrés chez eux, l’islam turc s’est radicalisé, et une partie de plus en plus importante de la société allemande voit avec effarement se multiplier les crimes d’honneur dont sont victimes des jeunes femmes de cette communauté de 2,5 millions de personnes, les mariages forcés et précoces, les violences intrafamiliales. Les écoles des quartiers populaires où la présence des Turcs est importante, comme Kreutzberg ou Neukölln à Berlin, sont désertées par les blond(e)s aux yeux bleus. D’anciens adeptes du « multikulti », issus de la gauche alternative, des féministes au grand cœur dénoncent aujourd’hui la terreur islamiste qui règne aujourd’hui dans ces quartiers. Des mots naguère tabous comme Leitkultur ou Überfremdung (culture dirigeante et surpopulation étrangère) reviennent en force, y compris dans une partie de la gauche.

Le brulot anti-islamiste du social-démocrate Thilo Sarrazin, L’Allemagne s’autodétruit, vient de dépasser les 650 000 exemplaires vendus. Contrairement à Nicolas Sarkozy en France, ce n’est pas Angela Merkel qui a initié et encouragé le surgissement au premier plan du débat politique d’une question qui travaille l’ensemble des sociétés occidentales. Il lui a été imposé par un réel qui risquait de lui échapper. Que n’aurait-on d’ailleurs entendu si cela avait été le cas, alors qu’aujourd’hui les commentateurs sarkophobes sont plutôt désarçonnés par cette prise de position d’une Angela Merkel jusque-là présentée comme un anti-modèle vertueux du président français ! Pour ce qui la concerne, une reductio ad hitlerum serait aussi stupide qu’inefficace : elle a grandi dans une autre dictature, celles des communistes de la RDA sous l’abri précaire de l’église protestante.

Son rappel à l’ordre allemand d’une Kulturnation[3. Contrairement à ce qui s’est passé en France, la nation, en Allemagne, n’est pas née de l’Etat : c’est la culture et la langue allemande qui ont forgé la conscience nationale dans un pays émietté jusqu’en 1870.] qui n’entend pas laisser piétiner sur son sol les valeurs judéo-chrétiennes qui la fondent était indispensable pour faire accepter à ses électeurs une autre réalité : dans les années qui viennent, en raison de son déclin démographique, l’Allemagne devra accueillir plusieurs centaines de milliers de nouveaux Gastarbeiter. Dans ces conditions, l’exercice auquel doit se livrer la chancelière est à la politique ce que le grand écart est à la danse classique, une figure à hauts risques.

Facebook, réseau antisocial ?

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Photo : Spencer E Holtaway

La sortie du film The social network[1. Qui m’a l’air d’être un sacré navet si j’en crois David Abiker à qui j’ai tendance à faire confiance] a donné lieu à des tonnes de chroniques et débats à propos du réseau Facebook. Et j’ai pu mesurer à quel point je me trouvais éloigné de certains de mes amis sur le sujet.

J’ai ainsi pu entendre Elisabeth Lévy et Eric Zemmour dire tout le mal qu’ils pensent du réseau sur l’antenne de RTL. Quant au camarade-compagnon Jérôme Leroy, il en fait l’un des symboles de ce « monde d’après » qu’il exècre et moque. Big Brother pour Jérôme ! Espace de délation pour Elisabeth ! Instrument de la dictature de la transparence pour Eric ! Mazette ! Et dire que je participe à tout cela…

Puis-je, mes chers amis, vous faire part de ma modeste expérience ? Voilà à peu près deux ans que j’ai un profil Facebook. Je compte 386 contacts. Pourquoi ai-je écrit « contacts » et pas « amis » ? Parce que – évidemment – l’amitié, c’est autre chose. Non pas que parmi les 386, il n’y en ait pas de véritables, mais ils constituent évidemment une minorité. Facebook me sert principalement à promouvoir ma modeste production éditoriale et à faire partager à tout mon réseau tous les liens que d’autres m’ont signalés et auxquels je trouve de l’intérêt. C’est ainsi qu’il m’est arrivé de faire profiter à tous mes contacts d’un texte d’Elisabeth Lévy sur Causeur, une chronique d’Eric Zemmour en vidéo ou d’un billet de Jérôme Leroy sur Causeur ou Feu sur le quartier général. Parfois, je me laisse aussi aller à des considérations sur l’actualité, une émission télé ou radio ou sur le match de la veille. En vue du présent billet, j’ai regardé si j’avais donné des éléments de vie privée à mes contacts. Il est vrai que j’ai retrouvé quelques petites choses, faute avouée à moitié pardonnée ! Ainsi, je dois vous le confesser, j’ai pu dire en juillet dernier que j’étais « en mode cartons », parce que je préparais mon déménagement ou que je partais faire une sortie en vélo par ce si beau temps[2. En ajoutant à mon retour, le chronométrage de ma performance sportive, ce qui ajoute à ma faute egotico-exhibitionniste]. A part ça, rien du tout. Mais je suis certain que vous pensez que c’est déjà trop !

En vrai, Facebook est comme le téléphone, la plume d’oie ou le pigeon voyageur, ce que l’on en fait. Parmi mes contacts, il n’y a qu’une infime minorité – cela doit se compter sur les doigts d’une main – qui fait part de considérations vraiment privées et intimes. Je dois reconnaître que ce genre de débordement était plus fréquent il y a deux ans. Mais les gens finissent par apprivoiser le médium. Ils ont, pour la plupart, compris ce que vous pointiez du doigt. Vous me direz que je choisis certainement bien mes contacts. C’est une remarque de bon sens et je vous remercie par avance de la formuler. Car, vous répondrai-je, qu’est ce qui vous empêche d’en faire autant?

Le problème, c’est le cerveau, pas le serveur !

Comme toute technologie nouvelle, Internet en général et Facebook en particulier nécessitent un cerveau en bon état de marche pour être utilisés à bon escient. Un cerveau en bon état de marche réclame maturité, me répondrez-vous, attirant mon attention sur les enfants et adolescents, les plus présents sur le réseau. Ce n’est pas le moindre des arguments que vous pourriez avancer. Mais là encore, Facebook et son utilisation demeurent à l’image de tout le reste. Il revient aux parents d’expliquer à leurs enfants quels risques ils prennent en faisant n’importe quoi. On leur explique bien qu’il faut regarder à droite et à gauche avant de traverser, que le respect des règles grammaticales reste important en 2010, que Secret Story est une émission de merde ou qu’il vaut mieux appeler ses parents à trois heures du matin que de revenir dans la voiture d’un pote aviné. Je ne vois pas pourquoi il serait plus difficile de démontrer qu’il est très sot de faire savoir ses moindres faits et gestes à la moitié de son collège.

Comme le disait, toujours sur RTL, Rodolphe Bosselut à Elisabeth mercredi soir, nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec ce genre de technologie. Et il importe de la connaître au mieux pour faire adopter un comportement responsable à ceux dont nous avons la charge. Et, voyez-vous, mes amis amoureux du « monde d’avant », Facebook n’a pas que des inconvénients. Sans Facebook, François Miclo et moi ne nous serions pas retrouvés. Sans Facebook, donc, pas de David Desgouilles dans Causeur ! Vous n’avez pas tort d’avancer que cela peut bouleverser des vies. La mienne a bien changé. Pour le meilleur.

Army Pride en Amérique

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Les soldats gays américains vont enfin pouvoir sortir du placard. En effet, c’est assez peu connu, mais il arrive que des homosexuels cherchent leur épanouissement professionnels en dehors du salon de coiffure, du ministère de la Culture, de livres publiés aux éditions P.O.L, des techno-parades et des bars du Marais.

Le précédent Lyautey

Certains aiment, par exemple, le commerce des armes. Et ils y réussissent brillamment. On se souviendra ainsi avec émotion de Lyautey, qui conquit le Maroc en s’enfonçant dans l’arrière-pays et dont le goût pour les sous-lieutenants n’était un mystère pour personne. Son meilleur historien, Douglas Porch, dans The conquest of Morocco, précise néanmoins qu’il ne fut jamais pour autant un partisan de la promotion tente comme il y a des promotions canapés et respectait une déontologie très stricte quand il s’agissait d’en accorder. Comme quoi, même un homosexuel peut faire la part des choses.

Que les homophobes français, et par exemple Sexion d’Assaut, se rassurent. Ce n’est pas de nous qu’il s’agit aujourd’hui, uniquement de l’armée étatsunienne. Alors, on respire un grand coup et on écoute. Un juge fédéral de Los Angeles vient d’invalider la loi qui forçait les gays à se cacher. Cette loi, pétrie d’hypocrisie protestante, était appelée loi DADT : Don’t ask, don’t tell, c’est-à-dire ne rien demander, ne rien dire. La juge Virginia Philips a ainsi estimé que ce texte était en contradiction avec les premier et cinquième amendements de la Constitution des USA qui garantissent, notamment, la liberté d’expression. La première réaction à cette remise en question de la DADT a été celle Lady Gaga qui a applaudi de ses deux mains manucurées. On n’est pas certain que ce soit la meilleure publicité dont aient pu rêver les GI gay qui, désormais, n’auront plus à se cacher des GI Joe – ou peut-être que si, justement ?

Plus prévisible, en revanche, l’extrême réserve exprimée par l’ancien candidat républicain John Mc Cain, héros de la guerre du Vietnam, qui avait bataillé ferme sur le sujet, se livrant à un baroud parlementaire sans parvenir à interdire la réintégration d’une infirmière lesbienne. Je sais, dit comme ça, infirmière lesbienne, ça fait un peu titre de film porno des années 1970…

Pour le reste, on passera assez vite sur les probables réactions de quelques brutes galonnées qui vont se désoler à l’idée d’aligner sur le terrain des sections de tafioles face aux Talibans aujourd’hui et aux Syriens ou aux Iraniens demain. Un homo dans l’armée, ça va, mais c’est quand il y en a beaucoup que ça pose des problèmes, doivent-il se dire.

Le précédent thébain

Ils ont tort. La fin de la loi DADT est une chance si on envisage les choses de manière beaucoup plus pragmatique, en se dépouillant de tout préjugé. Un constat, d’abord : l’armée américaine, officiellement hétérosexuelle, a pris branlée sur branlée ces dernières années. La seconde guerre du Golfe lui a coûté des milliers de morts et elle s’apprête à un départ la queue entre les jambes des derniers secteurs du pays qu’elle contrôle plutôt mal : Zone verte de Bagdad et quelques points ultra-fortifiés et sécurisés, vivant en autarcie comme l’a si bien décrit le reporter Adrien Jaulmes dans Amerak (éditions des Equateurs). Comment éviter à l’avenir de telles déconvenues ? En se rappelant qu’on se bat mieux quand on se bat pour ce qu’on aime. Etre commandé par un petit sergent latino à l’haleine aillée alors que vous ne flashez que sur les grands blonds aux noms suédois du Minnesota aurait plutôt tendance à achever de vous déprimer quand vous êtes cernés par des sunnites énervés du côté de Falloudja. Ou avoir pour compagnon de chambrée un puceau blanc de la Bible Belt confit en dévotion alors que vous adorez les grands Blacks de South Central, cela rend encore plus fraîches les nuits kabouliotes.

Les Grecs, et la ville de Thèbes, l’avaient compris parfaitement. L’homosexualité, non seulement n’est pas un inconvénient au combat mais un avantage. Le Bataillon Sacré, nous rapporte Plutarque et Polybe était considéré comme une des meilleures unités opérationnelles de l’Antiquité et elle était, comme l’infanterie française, constituée de binômes, mais de binômes dont chaque membre était amant de l’autre, ce qui leur donnait une motivation supplémentaire au combat. C’est Flaubert, qui montre dans Salammbô lors de la déroute des mercenaires assiégés et affamés dans le défilé de la Hache à quel point les Thébains étaient reconnaissables entre mille : « On s’endormait, côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles.(…)Il s’était formé d’étranges amours, unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des batailles […] et l’autre payait ces dévouements par mille soins délicats et des complaisances d’épouse. »

Il ne reste donc plus désormais à l’armée étatsunienne qu’à accorder les mêmes droits aux militaires hétérosexuels. C’est vrai, quoi, je ne vois pas pourquoi on devrait aller au trou sous prétexte qu’on a eu envie d’offrir une bière, et plus si affinités, à sa capitaine sexy, véritable sosie de Sarah Palin.

T’as voulu voir Bruxelles et t’as vu les bouchons

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L’actualité ayant depuis quelques mois braqué ses feux sur la Belgique – offrant ainsi l’occasion à Israël de souffler –, intéressons-nous un instant à Bruxelles. Tom-Tom, fabriquant de GPS a livré ses statistiques satellitaires et nous apprend que cette minuscule Cité-Région est, au prorata du kilomètre de voirie, la ville la plus embouteillée au monde.

Chacun à son idée quant aux solutions à apporter. Du côté de la place Jourdan, on croise les eurocrates qui se dorent au soleil – si, si, il fait beau, parfois – et proposent doctement des solutions. « L’inscription en sous-commission d’étude d’un projet de taxe aux entrées de la ville permettrait un désengorgement de celle-ci profitable à la mobilité. » On évitera de leur faire de la peine en leur disant que c’est juste un retour à l’octroi.

A Uccle, les BCBG de retour du tennis se penchent également sur la question. « Ce qu’il faudrait, voyez-vous, mon ami, c’est multiplier les bandes de roulages aux sorties de la ville, et particulièrement à Uccle, huhuhu, afin de limiter l’encombrement de nos paisibles quartiers. »

Mais la première chose qui vient à l’esprit du moins dégourdi des citadins, c’est naturellement d’enfouir les lignes de trams, bouffeuses d’espace et ultra-protégées par divers sites propres, chicanes et autres édicules urbains. Pour des trams par ailleurs perpétuellement en retard ! Un désir nommé tramway ! Ce serait le bon sens, soupirent les Bruxellois, exceptionnellement d’accord entre eux. Mais le bon sens n’est pas également partagé et semble faire cruellement défaut aux écolos.

Vous me direz qu’on s’en fout un peu des écolos, de leur coton bio, leurs savonnettes équitables et leur végétalisme livide. Et bien non ! Parce que les bouffeurs de tofu font partie du gouvernement de la région bruxelloise. Et ils ont tranché la question avec le sérieux qui les caractérise. « Pour améliorer la mobilité. Il faut rendre le plus infernal possible le recours à la voiture. Cela, et cela seul, permettra de contraindre les habitants à utiliser les transports en commun. Et alors les routes seront désengorgées. »

Je les trouve un peu mous du genou, les écolos en cette saison. Aux grands maux, les grands remèdes : criminalisons la conduite automobile et laissons les agents tirer à vue sur les conducteurs !

Laurent Fignon, le cannibale de 1984

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Laurent Fignon

Laurent Fignon

Un immense champion nous a quittés cet été. Dans un film états-unien, American Flyers (en VF, Le Prix de l’exploit), on aperçoit, dans la maison du personnage principal, incarné par Kevin Costner, un poster de Laurent Fignon sur le réfrigérateur. Le tournage a eu lieu en 1985 dans l’Amérique profonde, non loin des Rocheuses, et il y est question d’une course cycliste, l’« Enfer de l’Ouest ».

L’année précédente, Fignon avait gagné son deuxième tour de France. Un chef-d’œuvre. La plupart des observateurs ont attribué cette victoire à la faible performance de Bernard Hinault, alors diminué par les suites de l’opération chirurgicale qui l’avait empêché de prendre le départ du Tour 1983. C’était oublier que le « Blaireau », quelques semaines après avoir fini le Tour 1984 à plus de 10 minutes derrière Fignon, gagna le Grand prix des nations en battant le record de l’épreuve − son propre record : cela signifie qu’il n’était pas, cet été-là, si loin de son meilleur niveau.[access capability= »lire_inedits »]

Le Tour maudit de 1989

« Eddy Fignon » : c’est ainsi que L’Equipe célébra, durant cet été 1984, l’une des cinq victoires d’étape de Laurent Fignon. Comme Merckx, Fignon avait joué les « cannibales », dévorant impitoyablement tous ses adversaires : deux étapes de montagne en ligne[1. Pour ceux qui ne suivent pas particulièrement le sport cycliste − et pour Elisabeth Lévy, sans vouloir dénoncer −, une étape en ligne est une étape où le classement est dressé en fonction de l’ordre de passage sur la ligne d’arrivée. Alors que dans un « chrono » ou « contre-la-montre », les coureurs partent chacun leur tour et sont classés en fonction de leur temps.]
, deux chronos sur le plat, un chrono en montagne, et un autre par équipe ! De plus, les trois quarts des membres de son équipe, Renault-Gitanes, remportèrent aussi une étape en ligne. Le maillot jaune resta chez Renault de la cinquième à la dernière étape. C’est son ami Vincent Barteau, qui fut l’un des derniers à son chevet, qui le lui céda à l’Alpe d’Huez.

Cette année-là, Fignon démontra qu’il était le meilleur coureur cycliste de la planète. Les réalisateurs du film cité plus haut l’avaient bien compris. D’ailleurs, les Américains ne célèbrent que les vainqueurs. Tel n’est pas notre cas. Il ne se fit une place dans le cœur des Français que cinq ans plus tard, lorsqu’il dût céder le paletot jaune à Greg LeMond pour huit petites secondes lors de la dernière étape. D’ailleurs, lorsque des fans l’abordaient, ce n’était jamais pour lui parler de 1984 mais de cet autre Tour, maudit entre tous.

Si j’ai préféré évoquer 1984 plutôt que 1989, si j’ai choisi, pour rendre hommage à ce grand champion, de parler de ce poster sur un frigo américain en privilégiant l’image du vainqueur sans partage plutôt que du vaincu magnifique, c’est que jamais il ne me serait venu à l’idée de prendre le départ de courses cyclistes sans les victoires de Fignon sur les hauteurs de La Plagne, Crans-Montana ou La Ruchère. Cet été, un immense champion nous a quittés et, avec lui, une partie de mon adolescence.[/access]

La carte de la révolte

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Le Monde a dressé une cartographie des mouvements syndicaux.
Le Monde a dressé une cartographie des mouvements syndicaux.

Le Monde vient de publier une carte très intéressante : c’est celle des manifestations du 19 octobre contre le projet de retraite. Il s’agit des manifestations qui interviennent au moment où la crise devient paroxystique, c’est-à-dire au moment où les personnes les plus engagées sont prêtes à aller jusqu’au bout. Et que voit-on ? Qu’il s’agit principalement des villes situées dans la Bretagne maritime, dans le sud-ouest et la région lyonnaise.

Cette carte calque étonnamment avec les zones de « familles souches » de la carte qu’Emmanuel Todd a dressé des structures anthropologiques des familles françaises. Rappelons-le, elles sont au nombre de 4 :

– la famille nucléaire absolue, qui est à la fois libertaire et inégalitaire ;
– la famille communautaire, qui est autoritaire et égalitaire ;
– la famille souche, qui est autoritaire et inégalitaire ;
– la famille nucléaire, qui est libertaire et égalitaire.

Les manifestations les plus fortes ont donc lieu dans les zones à « familles souche », où prédominent des comportements inégalitaires et autoritaires. Ces structures anthropologiques sont aussi présentes en Allemagne (elles y prédominent), en Suède, en Corée et au Japon. On comprend bien que c’est le vieux capitalisme qui craque. Le capitalisme autoritaire et paternaliste (celui du XIXe siècle) qui cède le pas au capitalisme financier et « libéral ». Qui est désarmé face à lui.

Qu’en est-il du reste de la France ? Il s’agit principalement d’une zone englobant le Bassin parisien élargi. Elle est à structure « nucléaire » (égalitaire et libertaire) et non pas « nucléaire absolue » (libertaire et inégalitaire), comme le sont les pays anglo-saxons qui se sont donnés à fond au libéralisme économique. En France, seule la Bretagne intérieure est de structure « nucléaire absolue » et ne joue qu’un rôle économique mineur. Il va donc falloir observer comment réagit le pays « nucléaire » en France dans l’évolution de la crise. Car s’il emboîte le pas au pays « souche », s’il y a une alliance (contre nature) entre les égalitaires et les autoritaires pour rejeter le libertarisme économique attaché à l’idéologie sarkoziste, alors le gouvernement a du souci à se faire. Et nous entrerons dans une crise dure comme la France en connaît tous les trente ans.

Et mes écolos de droite, tu les aimes ?

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À 76 ans, Brigitte Bardot fait vraiment beaucoup pour les espèces menacées. Grâce à elle, on vient en effet d’apprendre que l’Alliance Ecologiste Indépendante existait encore. Ce conglomérat d’organisations de masse comme le Mouvement Ecologiste Indépendant d’Antoine Waechter, Génération Ecologie ou encore le Parti Fédéraliste avait été créé en 2009 en vue des élections européennes dans une tentative désespérée pour que les écologistes de droite puissent garder un espace politique. Afin de donner une idée de leur désarroi, on rappellera que l’Alliance Ecologiste Indépendante avait présenté comme tête de liste de la région Sud-Est le chanteur Francis Lalanne. Eh bien, cette AEI vient de démentir Brigitte Bardot qui affirmait avoir son soutien dans une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2012. BB a en effet envoyé à l’AFP et à Nicolas Sarkozy une lettre où elle indique qu’elle est prête à se présenter si la cause animale (chiens, chats, poulets) n’est pas davantage prise en compte et s’est revendiquée du soutien d’un des big boss de l’AEI, Antoine Waechter qui a aussitôt déclaré : « L’action de Madame Bardot est respectable, mais elle ne peut suffire à valider une campagne présidentielle. » Autrement dit, il lui a refait le coup du mépris.

Paco Sanmentor

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[access capability= »lire_inedits »]Paco Sanmentor

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Jean Auguste Dominique Ingres fut, de loin, le plus mauvais peintre de sa génération à l’exception de tous les autres : depuis Lascaux, il n’y a plus de bons peintres. Quand il ne jouait pas du violon, Ingres avait, très tôt, pris la fâcheuse habitude de portraiturer ses contemporains en habits de Premier consul.[access capability= »lire_inedits »]

Tout le monde y passa à l’époque, y compris Paco Sanmentor, le fameux révolutionnaire vénézuélien, dont les historiens ne savent rien sinon qu’il fut chassé de Caracas en 1813 par Simón Bolívar, quelque temps seulement après la Campagne Admirable. Bolívar voulait, en effet, démanteler les camps espagnols du Vénézuela occidental, tandis que Paco Sanmentor y était farouchement opposé. Paco Sanmentor trouva alors exil en France, au Mans, où il consacra ses jours à rédiger une méthode espagnol/sarthois, qui n’est malheureusement plus guère usitée de nos jours. En même temps, quand on vit dans la Sarthe, on n’a pas besoin de comprendre toutes les subtilités des discours de Hugo Chávez.

Jean Auguste Dominique Ingres, Portrait de Paco Sanmentor en Premier consul, musée Remanier, Paris.

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Marcel Lapierre, mort d’un vigneron français

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Dans le milieu du vin naturel, sur le zinc des comptoirs et au cœur des vignobles, une triste nouvelle a causé un émoi considérable, ce lundi 11 octobre. Marcel Lapierre, vigneron d’exception établi à Villié-Morgon, où il avait pris la direction du domaine familial en 1973, est mort à l’âge de 60 ans. On en a parlé partout dans le monde, à New York, Cologne, Berlin, Bruxelles, Tokyo, São Paulo.

Bouteilles capsulées à la cire rouge

Comme nul n’est prophète en son pays, surtout dans la France de la techno-agriculture productiviste, la démarche révolutionnaire de Marcel Lapierre, qui avait laissé de côté les produits phytosanitaires et repris le labour de ses vignes à la fin des années 1970, a été bien souvent mieux comprise au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Italie où les amateurs de vins placent très haut les élégantes bouteilles capsulées à la cire rouge de son morgon « nature », un vin ni chaptalisé, ni filtré, ni sulfité. Elle ne se donne même plus la peine, cette internationale des buveurs de choses vraies, de faire la comparaison avec les vins boisés et bodybuildés défendus par Robert Parker et ses petits clowns snobinards buveurs d’étiquette du Wine Spectator, consommateurs de vins cimentés qui vous tapissent le palais d’un jus épais et sucré.

Une certaine idée du vin

Encore une fois, on n’est pas étonné d’observer que les Français des temps qui sont les nôtres, en cette matière comme dans d’autres, ne savent plus au juste ce qu’est la France. La France, ce n’est pas les vignerons hommes d’affaires vedettes des foires aux vins falsifiés. La France, ce n’est pas les vins modelés par des fermenteurs à rotors, de l’osmose inverse, de la micro-oxygénation, des ajouts de tanins, des enzymes ou des levures synthétiques.

La France de Marcel Lapierre, du vin de Marcel Lapierre, c’est l’esprit rebelle, la fraternité bruyante, la subtile gourmandise, le goût délicat et l’anarchisme foncier qu’il aura incarné mieux que personne durant trois décennies, en gros en 1980 et 2010, dont on se souviendra longtemps.

Il ne venait pas de n’importe où, en même temps, Marcel Lapierre. Dans Avec Marcel Lapierre, le beau livre définitif dont la réédition toute récente se révèle tristement opportune que Sébastien Lapaque, subtil docteur en flacons non trafiqués par les convenances du marché, lui a consacré, il est rappelé que Marcel Lapierre aurait pu être qualifié de vigneron situationniste. Sa rencontre dans les années 1970 avec Guy Debord, lui-même amateur de vins naturels à la fois par goût et par attachement au monde d’avant, aura été l’occasion de quelques longues dérives psycho-géographiques dans Paris.

On aurait aimé assister à ces conversations. C’était, comme nous le rappelle Lapaque, à l’époque où Debord, dans La planète malade, écrivait ce qui résumait parfaitement le sens du travail de Marcel Lapierre : « Le capitalisme a enfin apporté la preuve, par son propre mouvement, qu’il ne peut plus développer les forces productives  et ceci non pas quantitativement, comme beaucoup avaient cru le comprendre, mais qualitativement. » Ou pour dire les choses autrement, il était hors de question, pour Marcel Lapierre, de faire pisser la vigne.

Mémoire du goût, goût de la mémoire

Oui, décidément, il y a quelque chose de très français dans la guérilla qu’il aura menée contre l’effacement de la mémoire du goût. Car le goût a une mémoire et la mémoire a un goût.

Comment oublier le choc de la première rencontre ? On était heureux, comme avec une femme. Comment oublier l’émotion causée par la première gorgée de son vin à la robe de belle intensité, au nez frais et pur, aux arômes soutenus de framboise et de violette, aux tanins soyeux, à la bouche longue et souple ? Même pour les tard-venus, abusés par les bordeaux aux noms ronflants avant de prêter attention aux vins vivants et naturels, il y a un avant et un après Marcel Lapierre. En buvant son Morgon, on se souvenait que le vin était fait avec du raisin et l’on ne voulait plus l’entendre autrement. « Il faut faire attention à ce qu’on met dans les cuves, parce que le vin, c’est quand même une boisson », répétait Jules Chauvet, négociant établi à la Chapelle-de-Guinchay, chimiste distingué et dégustateur d’exception qui a permis à Marcel Lapierre de trouver le secret d’un vin tout raisin au moment où le monde subissait le deuxième choc pétrolier.

De même qu’un célèbre général, amateur de champagne Drappier, qui se faisait servir le beaujolais de Jules Chauvet à son ordinaire à l’Elysée, se faisait une certaine idée de la France, Marcel Lapierre se faisait une certaine idée du vin. Cette idée ne s’est pas perdue avec sa mort. Car Marcel Lapierre a toujours eu la volonté de la transmettre. À ses copains du Beaujolais pour commencer : Guy Breton, Jean Foillard, Jean-Paul Thévenet. À son fils Mathieu et à ses neveux Philippe et Christophe Pacalet. Mais aussi à des vignerons rebelles de la Loire, tels que les frères Puzelat, Hervé Villemade, Catherine et Pierre Breton, Christian Chaussard, René Mosse ; dans le Roussillon, où l’excellent Jean-François Nicq s’illustre à la tête du domaine Les Foulards rouges, beau comme un roman de Frédéric Fajardie ; dans Vallée du Rhône où Eric Pfifferling a porté très haut l’art de la macération carbonique par grappes entières. En quelques années, cette « génération Lapierre » a dessiné en France une nouvelle géographie de la résistance viticole et sentimentale.

Marcel Lapierre est mort mais il aura peut-être réussi à faire mentir son ami Guy Debord qui écrivait dans Panégyrique : « Au banquet de la vie, au moins là bons convives, nous étions assis sans avoir pensé un seul instant que tout ce que nous buvions avec une telle prodigalité ne serait pas ultérieurement remplacé pour ceux qui viendraient après nous. De mémoire d’ivrogne, on n’avait jamais imaginé que l’on pourrait voir des boissons disparaître du monde avant le buveur. »

Trinch, buvez toujours et ne mourrez jamais !

Chez Marcel Lapierre

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Ni pantins, ni bambins ?

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À chaque fois, c’est le même scénario. Dès que lycéens et étudiants manifestent dans la rue, on en conclut à la politisation de la jeunesse et on invoque l’incontournable référence à mai 68, le modèle indépassable de toute révolte.
Il suffit que les jeunes scandent mécaniquement « Ni bambins, ni pantins ! » ou « Sarko t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ! » pour que les éditorialistes nous assènent que la jeunesse s’est politisée.

Donc un jeune mobilisé est un jeune politisé. Quel extraordinaire raccourci ! Le critère ultime pour juger de la politisation de la jeunesse résiderait plus dans la forme contestatrice que prend la mobilisation que dans l’esprit qui l’anime. La politisation se réduirait à une expression négative dépourvue de contenu. Être politisé correspondrait finalement à être contre sans la possibilité d’être pour autre chose.

Aucun projet alternatif, aucune solution positive. Mais si les jeunes, pour changer un peu, manifestaient pour faire entendre une proposition novatrice au contenu positif qui viserait à améliorer la situation actuelle plutôt que de la maintenir dans un statu quo mortifère, vanterait-on leur sens du devoir citoyen ? Pourtant, ce serait dommage de ne pas le faire.

Une manif pour et non plus systématiquement contre, voilà qui serait éminemment politique et qui serait un véritable événement. Mais ça, même les adultes en semblent incapables…

Angela pas angélique

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En décrétant l’échec total de l’utopie multikulti, cette vision idyllique de la cohabitation, sur le sol allemand, de modes de vie et de pensée issus de traditions culturelles différentes, la chancelière Angela Merkel a surpris ses voisins, mais s’est fait parfaitement comprendre de ses concitoyens. Les étrangers vivant en Allemagne sont instamment priés par elle de faire quelques efforts pour s’exprimer dans la langue locale, accepter que les jeunes filles fréquentant les établissements scolaires participent à l’enseignement mixte de la natation et pratiquent leur religion sans entraves mais sans ostentation.

Au début des années 1980, Dany Cohn-Bendit entamait sa carrière politique en devenant délégué de la mairie de Francfort aux  affaires multiculturelles dans une coalition municipale composée des Verts et des sociaux-démocrates. C’était l’époque où la presse internationale convergeait vers la ville natale de Goethe pour chanter les louanges d’un modèle de cohabitation urbaine entre les « yuppies » de la capitale financière de l’Allemagne, les vieilles familles hessoises et les travailleurs turcs d’une industrie en plein essor.

Ni l’intégration à la française, ni le communautarisme à l’anglaise

En fait, cela se traduisait par quelques fêtes de quartier où l’on dégustait les spécialités culinaires des uns et des autres (surtout des autres, vu que la saucisse de Francfort était délaissée par les Gastarbeiter[1. Travailleur-hôte. Ce vocable qui désigne les immigrés voulait souligner le caractère passager de la présence de ces travailleurs sur le sol allemand.] et leurs familles). C’était cela, le « multikulti », vocable typiquement gauchiste, qui se voulait une alternative moderne et humaniste à l’intégration réputée répressive du modèle français, et au communautarisme étanche de la société britannique. Pour l’anecdote, on notera que cela a contribué au succès chez les jeunes allemandes branchées, des cours de danse du ventre (Bauchtanz) destinés à éveiller la libido de leurs compagnons un peu trop portés sur la bière.

En regardant cela d’un peu loin, on aurait pu penser que ce modèle ne fonctionnait pas si mal : l’Allemagne n’a jamais connu d’émeutes urbaines à caractère ethnique, comme la France et la Grande-Bretagne et s’était jusque-là épargné les débats passionnels autour de l’identité nationale. On n’avait pas non plus, ces derniers temps, observé l’émergence d’un parti d’extrême droite faisant sa pelote électorale sur le dos de l’immigration comme en Autriche, aux Pays-Bas, ou au Danemark. Certes, quelques manifestations agressives contre les foyers de demandeurs d’asile avaient défrayé la chronique au début des années 1990, mais elles s’étaient produites dans l’ex-RDA. La jeunesse est-allemande n’avait pas encore acquis les réflexes imprimés dans la conscience nationale par quatre décennies de repentance imposée – à juste titre – aux citoyens de la République Fédérale.

Si le « multikulti restait, pour l’essentiel, un gimmick électoral des Verts sans conséquence notable sur la société, on constatait cependant une certaine tolérance des autorités à des pratiques comme le port du foulard islamique par les jeunes filles turques dans les écoles. De toute façons, jusqu’au changement de la loi sur la nationalité par le gouvernement Schröder-Fischer, il était bien entendu qu’aucun de ces Gastarbeiter n’avait vocation à intégrer la communauté des Allemands, pas plus que leur enfants nés et éduqués dans la patrie de Kant et Hegel. On voyait même des juges faisant preuve d’une coupable clémence contre des maris musulmans cogneurs en invoquant les traditions culturelles des prévenus.

L’introduction du droit du sol au début des années 2000, la levée des multiples obstacles à la naturalisation et la réislamisation de la société turque allaient bouleverser cet équilibre qui se fondait sur un contrat tacite : « On a besoin de toi pour faire tourner nos usines, donc tu seras bien payé, convenablement logé, éduqué et soigné, mais tu te fais discret et ne te mêle pas de nos affaires. Moyennant quoi, tu peux faire ce que tu veux dans ta famille, pour autant que cela ne viole pas les lois du pays. »

Le best-seller de Günter Walraff, Tête de turc[2. Au début des années 1980, le journaliste Günter Walraff s’était grimé et avait adopté un accent turc pour décrire les conditions de vie des immigrés.], avait bien montré que la discrimination, le racisme et autre vilenies n’étaient pas absentes de la relation entre les Turcs et les Allemands, ce qui donnait l’occasion aux belles âmes d’outre-Rhin de battre à nouveau leur coulpe et d’évoquer, avec des sanglots dans la voix, ce ventre encore fécond dont était sorti la bête immonde.

Une tradition de relativisme culturel issue de l’ethnographie allemande du XIXe siècle exonérait ce pays de la « mission civilisatrice » par laquelle se justifiait l’impérialisme colonial français. La brève histoire des colonies allemandes ne révèle aucune tendance à vouloir bâtir une « Allemagne d’outre-mer ».

Dans certains quartiers, la terreur islamiste

Aujourd’hui, cet équilibre s’est rompu, et Angela Merkel n’a pu faire autrement que d’en prendre acte. Les Gastarbeiter ne sont pas rentrés chez eux, l’islam turc s’est radicalisé, et une partie de plus en plus importante de la société allemande voit avec effarement se multiplier les crimes d’honneur dont sont victimes des jeunes femmes de cette communauté de 2,5 millions de personnes, les mariages forcés et précoces, les violences intrafamiliales. Les écoles des quartiers populaires où la présence des Turcs est importante, comme Kreutzberg ou Neukölln à Berlin, sont désertées par les blond(e)s aux yeux bleus. D’anciens adeptes du « multikulti », issus de la gauche alternative, des féministes au grand cœur dénoncent aujourd’hui la terreur islamiste qui règne aujourd’hui dans ces quartiers. Des mots naguère tabous comme Leitkultur ou Überfremdung (culture dirigeante et surpopulation étrangère) reviennent en force, y compris dans une partie de la gauche.

Le brulot anti-islamiste du social-démocrate Thilo Sarrazin, L’Allemagne s’autodétruit, vient de dépasser les 650 000 exemplaires vendus. Contrairement à Nicolas Sarkozy en France, ce n’est pas Angela Merkel qui a initié et encouragé le surgissement au premier plan du débat politique d’une question qui travaille l’ensemble des sociétés occidentales. Il lui a été imposé par un réel qui risquait de lui échapper. Que n’aurait-on d’ailleurs entendu si cela avait été le cas, alors qu’aujourd’hui les commentateurs sarkophobes sont plutôt désarçonnés par cette prise de position d’une Angela Merkel jusque-là présentée comme un anti-modèle vertueux du président français ! Pour ce qui la concerne, une reductio ad hitlerum serait aussi stupide qu’inefficace : elle a grandi dans une autre dictature, celles des communistes de la RDA sous l’abri précaire de l’église protestante.

Son rappel à l’ordre allemand d’une Kulturnation[3. Contrairement à ce qui s’est passé en France, la nation, en Allemagne, n’est pas née de l’Etat : c’est la culture et la langue allemande qui ont forgé la conscience nationale dans un pays émietté jusqu’en 1870.] qui n’entend pas laisser piétiner sur son sol les valeurs judéo-chrétiennes qui la fondent était indispensable pour faire accepter à ses électeurs une autre réalité : dans les années qui viennent, en raison de son déclin démographique, l’Allemagne devra accueillir plusieurs centaines de milliers de nouveaux Gastarbeiter. Dans ces conditions, l’exercice auquel doit se livrer la chancelière est à la politique ce que le grand écart est à la danse classique, une figure à hauts risques.

Facebook, réseau antisocial ?

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Photo : Spencer E Holtaway
Photo : Spencer E Holtaway

La sortie du film The social network[1. Qui m’a l’air d’être un sacré navet si j’en crois David Abiker à qui j’ai tendance à faire confiance] a donné lieu à des tonnes de chroniques et débats à propos du réseau Facebook. Et j’ai pu mesurer à quel point je me trouvais éloigné de certains de mes amis sur le sujet.

J’ai ainsi pu entendre Elisabeth Lévy et Eric Zemmour dire tout le mal qu’ils pensent du réseau sur l’antenne de RTL. Quant au camarade-compagnon Jérôme Leroy, il en fait l’un des symboles de ce « monde d’après » qu’il exècre et moque. Big Brother pour Jérôme ! Espace de délation pour Elisabeth ! Instrument de la dictature de la transparence pour Eric ! Mazette ! Et dire que je participe à tout cela…

Puis-je, mes chers amis, vous faire part de ma modeste expérience ? Voilà à peu près deux ans que j’ai un profil Facebook. Je compte 386 contacts. Pourquoi ai-je écrit « contacts » et pas « amis » ? Parce que – évidemment – l’amitié, c’est autre chose. Non pas que parmi les 386, il n’y en ait pas de véritables, mais ils constituent évidemment une minorité. Facebook me sert principalement à promouvoir ma modeste production éditoriale et à faire partager à tout mon réseau tous les liens que d’autres m’ont signalés et auxquels je trouve de l’intérêt. C’est ainsi qu’il m’est arrivé de faire profiter à tous mes contacts d’un texte d’Elisabeth Lévy sur Causeur, une chronique d’Eric Zemmour en vidéo ou d’un billet de Jérôme Leroy sur Causeur ou Feu sur le quartier général. Parfois, je me laisse aussi aller à des considérations sur l’actualité, une émission télé ou radio ou sur le match de la veille. En vue du présent billet, j’ai regardé si j’avais donné des éléments de vie privée à mes contacts. Il est vrai que j’ai retrouvé quelques petites choses, faute avouée à moitié pardonnée ! Ainsi, je dois vous le confesser, j’ai pu dire en juillet dernier que j’étais « en mode cartons », parce que je préparais mon déménagement ou que je partais faire une sortie en vélo par ce si beau temps[2. En ajoutant à mon retour, le chronométrage de ma performance sportive, ce qui ajoute à ma faute egotico-exhibitionniste]. A part ça, rien du tout. Mais je suis certain que vous pensez que c’est déjà trop !

En vrai, Facebook est comme le téléphone, la plume d’oie ou le pigeon voyageur, ce que l’on en fait. Parmi mes contacts, il n’y a qu’une infime minorité – cela doit se compter sur les doigts d’une main – qui fait part de considérations vraiment privées et intimes. Je dois reconnaître que ce genre de débordement était plus fréquent il y a deux ans. Mais les gens finissent par apprivoiser le médium. Ils ont, pour la plupart, compris ce que vous pointiez du doigt. Vous me direz que je choisis certainement bien mes contacts. C’est une remarque de bon sens et je vous remercie par avance de la formuler. Car, vous répondrai-je, qu’est ce qui vous empêche d’en faire autant?

Le problème, c’est le cerveau, pas le serveur !

Comme toute technologie nouvelle, Internet en général et Facebook en particulier nécessitent un cerveau en bon état de marche pour être utilisés à bon escient. Un cerveau en bon état de marche réclame maturité, me répondrez-vous, attirant mon attention sur les enfants et adolescents, les plus présents sur le réseau. Ce n’est pas le moindre des arguments que vous pourriez avancer. Mais là encore, Facebook et son utilisation demeurent à l’image de tout le reste. Il revient aux parents d’expliquer à leurs enfants quels risques ils prennent en faisant n’importe quoi. On leur explique bien qu’il faut regarder à droite et à gauche avant de traverser, que le respect des règles grammaticales reste important en 2010, que Secret Story est une émission de merde ou qu’il vaut mieux appeler ses parents à trois heures du matin que de revenir dans la voiture d’un pote aviné. Je ne vois pas pourquoi il serait plus difficile de démontrer qu’il est très sot de faire savoir ses moindres faits et gestes à la moitié de son collège.

Comme le disait, toujours sur RTL, Rodolphe Bosselut à Elisabeth mercredi soir, nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec ce genre de technologie. Et il importe de la connaître au mieux pour faire adopter un comportement responsable à ceux dont nous avons la charge. Et, voyez-vous, mes amis amoureux du « monde d’avant », Facebook n’a pas que des inconvénients. Sans Facebook, François Miclo et moi ne nous serions pas retrouvés. Sans Facebook, donc, pas de David Desgouilles dans Causeur ! Vous n’avez pas tort d’avancer que cela peut bouleverser des vies. La mienne a bien changé. Pour le meilleur.