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Laurent Fignon, le cannibale de 1984


Laurent Fignon, le cannibale de 1984

Laurent Fignon

Un immense champion nous a quittés cet été. Dans un film états-unien, American Flyers (en VF, Le Prix de l’exploit), on aperçoit, dans la maison du personnage principal, incarné par Kevin Costner, un poster de Laurent Fignon sur le réfrigérateur. Le tournage a eu lieu en 1985 dans l’Amérique profonde, non loin des Rocheuses, et il y est question d’une course cycliste, l’« Enfer de l’Ouest ».

L’année précédente, Fignon avait gagné son deuxième tour de France. Un chef-d’œuvre. La plupart des observateurs ont attribué cette victoire à la faible performance de Bernard Hinault, alors diminué par les suites de l’opération chirurgicale qui l’avait empêché de prendre le départ du Tour 1983. C’était oublier que le « Blaireau », quelques semaines après avoir fini le Tour 1984 à plus de 10 minutes derrière Fignon, gagna le Grand prix des nations en battant le record de l’épreuve − son propre record : cela signifie qu’il n’était pas, cet été-là, si loin de son meilleur niveau.[access capability= »lire_inedits »]

Le Tour maudit de 1989

« Eddy Fignon » : c’est ainsi que L’Equipe célébra, durant cet été 1984, l’une des cinq victoires d’étape de Laurent Fignon. Comme Merckx, Fignon avait joué les « cannibales », dévorant impitoyablement tous ses adversaires : deux étapes de montagne en ligne[1. Pour ceux qui ne suivent pas particulièrement le sport cycliste − et pour Elisabeth Lévy, sans vouloir dénoncer −, une étape en ligne est une étape où le classement est dressé en fonction de l’ordre de passage sur la ligne d’arrivée. Alors que dans un « chrono » ou « contre-la-montre », les coureurs partent chacun leur tour et sont classés en fonction de leur temps.]
, deux chronos sur le plat, un chrono en montagne, et un autre par équipe ! De plus, les trois quarts des membres de son équipe, Renault-Gitanes, remportèrent aussi une étape en ligne. Le maillot jaune resta chez Renault de la cinquième à la dernière étape. C’est son ami Vincent Barteau, qui fut l’un des derniers à son chevet, qui le lui céda à l’Alpe d’Huez.

Cette année-là, Fignon démontra qu’il était le meilleur coureur cycliste de la planète. Les réalisateurs du film cité plus haut l’avaient bien compris. D’ailleurs, les Américains ne célèbrent que les vainqueurs. Tel n’est pas notre cas. Il ne se fit une place dans le cœur des Français que cinq ans plus tard, lorsqu’il dût céder le paletot jaune à Greg LeMond pour huit petites secondes lors de la dernière étape. D’ailleurs, lorsque des fans l’abordaient, ce n’était jamais pour lui parler de 1984 mais de cet autre Tour, maudit entre tous.

Si j’ai préféré évoquer 1984 plutôt que 1989, si j’ai choisi, pour rendre hommage à ce grand champion, de parler de ce poster sur un frigo américain en privilégiant l’image du vainqueur sans partage plutôt que du vaincu magnifique, c’est que jamais il ne me serait venu à l’idée de prendre le départ de courses cyclistes sans les victoires de Fignon sur les hauteurs de La Plagne, Crans-Montana ou La Ruchère. Cet été, un immense champion nous a quittés et, avec lui, une partie de mon adolescence.[/access]

Octobre 2010 · N° 28

Article extrait du Magazine Causeur



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