Accueil Site Page 2731

Sept milliards, émoi, émoi…

16

Ça a commencé par un chiffre. Sept milliards. La douche couvrait un peu trop le son de la radio. Je me suis demandé sept milliards de quoi. Par les temps qui courent, sept milliards d’euros, sûrement.

Mais pourquoi faire ? Une rallonge pour le gouvernement grec, histoire qu’il renonce à son référendum? Les bénéfices de Total qui n’accordera cependant zéro euro zéro centime de « prime dividendes » à ses salariés?

Ou un de ces chiffrages du programme socialiste par l’UMP qui relèvent de la poésie pure, genre 7 milliards d’euros si Hollande avait par hasard le malheur de créer 60 000 postes d’enseignants quand le quinquennat Sarkozy en aura vu disparaître plus de 80 000 ?

Sept milliards? Le coût des opérations militaires en Lybie qui se sont brillamment conclues par le massacre du dictateur et l’installation de démocrates tendance charia qui sont en train de choisir, grâce aux bombardements de l’Otan, leur deuxième et troisième femme?

Non, ce ne pouvait pas être ça.

Les commentaires se précisaient. Certains parlaient d’un problème, d’autres préféraient parler de chance. Et j’ai compris quand l’eau a cessé de couler. Depuis que mes amis catholiques et anarchristes sont devenus décroissants, je fais des gestes simples pour sauver la Terre quand tant d’autres en font de très élaborés pour la détruire. Surtout depuis qu’elle a une sept milliardième habitante, une petite fille adorable, née aux Philippines. Une certaine Danica arrivée parmi nous, le 30 octobre peu avant minuit. Bienvenue à toi, Danica. Tu verras, ce n’est pas évident, toutes ces guerres, cette pollution, la famine, le recul général de la civilisation, y en compris dans son berceau d’Europe. En plus, il y aura toujours des malthusiens pour chercher des poux dans ta petite tête qui ne compte encore que peu de cheveux. D’après eux, nous sommes trop nombreux. Si tu as la chance d’échapper à tout ça et de faire des études, tu pourras toujours leur rétorquer que cette planète n’a jamais autant produit de richesses, mais que ces dernières n’ont jamais été aussi mal redistribuées.

Je compte sur toi pour tout cela, Danica, et t’embrasse bien fort. Parce que parfois, moi, je fatigue…

Ce que lisait Breivik

99

On évoque enfin, depuis un mois, les livres de l’historienne anglaise, d’origine juive égyptienne, Bat Ye’or, mais c’est malheureusement seulement, en général, pour en faire, bien à tort, l’inspiratrice d’Anders Behring Breivik. Ses livres sont en effet cités plus d’une soixantaine de fois dans les 1500 pages délirantes du manifeste du tueur d’Oslo, qui mélange le « marxisme culturel » de l’École de Francfort, Lukacs et Marcuse avec Lady Gaga et Scarlett Johansson ou l’herpès génital de sa belle-mère pour prouver la décadence de la civilisation occidentale. Il serait pourtant bon, comme le proposait ici même Roland Jaccard, de joindre les livres de Bat Ye’or au « dossier inextricable de la guerre des civilisations ».

Bat Ye’or dut quitter l’Égypte en 1957, et l’expérience de cette expulsion quasi-complète, en quelques mois, d’une communauté juive vieille de trois mille ans fut sans doute déterminante dans son œuvre ultérieure. Les travaux de Bat Ye’or tournent autour de deux questions principales : la naissance de ce qu’elle nomme « Eurabia », dans son livre Eurabia : l’axe euro-arabe (Jean-Cyrille Godefroy, 2007) et ce qu’elle qualifie de « dhimmitude »[access capability= »lire_inedits »], à partir d’une étude du statut des dhimmis, c’est-à-dire des non-musulmans dans les pays conquis par le djihad, dans son livre Juifs et chrétiens sous l’islam. Face au danger intégriste (Berg, 2005).

Eurabia était le titre de la revue publiée par le Comité européen de coordination des associations d’amitié avec le monde arabe à partir de 1973, sous la direction du gaulliste Lucien Bitterlin, grand représentant de la « politique arabe » de la France. Mais Bat Ye’or désigne, sous ce terme, une bien plus large entreprise de rapprochement euro-arabe, notamment au sein du « dialogue euro-arabe » lancé depuis 1973 par la Lybie et la France, puis élargi à la Communauté européenne et à la Ligue arabe. Il va de soi que le succès de ce terme d’« Eurabia », notamment auprès des néo-conservateurs américains, tient à l’inquiétude ressentie face à une « islamisation » de l’Europe par des auteurs que l’on ne s’empresse pas de traduire en français, comme Christopher Caldwell (Reflections on the Revolution In Europe: Immigration, Islam, and the West, 2009) ou Walter Laqueur (The Last Days of Europe: Epitaph for an Old Continent, 2007). Bat Ye’or résume très bien ce sentiment qu’il nous est possible de partager : « Quand les synagogues et les cimetières juifs nécessitent une protection, comme l’exigent les églises dans les pays musulmans, c’est Eurabia. Quand des musulmans apostats ou libres-penseurs et des intellectuels ou des politiciens doivent se cacher ou vivre avec des gardes du corps parce qu’ils offensent l’islam, ce n’est plus l’Europe des droits de l’homme, mais Eurabia. »

Le « dialogue euro-arabe », qui est l’ancêtre de l’« Alliance des civilisations » proposée par José Luis Zapatero et Recep Tayyip Erdogan à la suite des attentats de Madrid, vise à un rapprochement des civilisations européenne et arabe. Le modèle du califat andalou du Moyen Âge serait un exemple pour la construction d’une « Eurabia » du XXIe siècle. Jusqu’ici, rien que de très louable mais, là où les choses se gâtent, c’est lorsque Bat Ye’or cite longuement les textes produits par ces diverses officines : il y est toujours question que l’Europe reconnaisse la grandeur de la civilisation arabe et facilite l’installation d’immigrants musulmans et leur accès à leur « culture d’origine ». Il faut également « traduire les livres arabes dans les principales langues européennes ». Ainsi, en juin 2002, lors d’une réunion du « Dialogue parlementaire euro-arabe », la délégation arabe propose : « Chaque partie combattra dans sa société les courants hostiles à l’autre partie. Il convient de noter à ce sujet que la partie arabe souffre davantage du fait d’une augmentation de l’islamophobie et de l’arabophobie, de l’augmentation du racisme et de la xénophobie en Europe et des attaques contre les migrants arabes en particulier. Ces tendances ont augmenté depuis les événements du 11 septembre aux USA. » Les Européens s’alignent sur une politique pro-palestinienne et anti-israélienne très déterminée.

Mais aucune réciprocité n’est prévue : comment faire mieux connaître, dans les pays musulmans, la culture européenne ? Comment éviter ce qui est plus que des préjugés contre les religions non musulmanes et la culture occidentale dans les pays musulmans ? Comment favoriser l’immigration européenne vers ces pays ? Que traduire, alors que seulement 10 000 livres ont été traduits en arabe en mille deux cents ans, selon un rapport des Nations unies, le même nombre qui est traduit en espagnol en une année ? Comme le note Bat Ye’or : « On est frappé par la différence de discours entre les deux parties. Les Européens adoptent un langage prudent, admiratif et flatteur envers l’islam (…) De plates et humbles excuses sont formulées pour la colonisation et les préjugés européens anti-arabes. Du côté arabe, en revanche, le ton est celui d’un maître qui fustige et enseigne, sûr de la tolérance, de l’humanisme et de la grandeur de sa civilisation, source spirituelle et scientifique de l’Europe » (Eurabia, p.118). Quant aux Européens ils s’alignent sur une politique anti-israélienne en échange de plus importantes livraisons de pétrole.

Comment expliquer une telle attitude ? Sans doute y a-t-il une part d’intérêt et la politique pro-palestinienne des Européens sera récompensée par quelques livraisons de pétrole supplémentaires. Il y a aussi une part d’angélisme, lorsque Romano Prodi, en 2003, affirme que « les peuples d’Europe ne croient dans aucun conflit de civilisations ». Mais cet angélisme est aussi gouverné par la peur, dans des pays rongés par le doute, qui ne savent plus comment se comporter face à une religion dynamique et conquérante. Comment expliquer autrement qu’il ne soit pas possible de simplement faire respecter l’ordre public en empêchant le prières illégales dans les rues des villes françaises ? Le problème n’est pas tant du côté de l’islam, qui persévère simplement dans son être, que du côté d’une Europe qui n’ose plus se réclamer de ses valeurs.

On a souvent tenté de discréditer le livre de Bat Ye’or en le traitant de « conspirationniste », car il laisserait entendre que ce seraient ces organisations euro-arabes qui auraient programmé une augmentation de l’immigration en Europe et une inféodation de l’Europe à l’islam. Il faut dire que Bat Ye’or est assez sévère avec ces officines non démocratiques qui gravitent autour d’une Union européenne qu’elle nomme, à la suite du dissident soviétique Vladimir Boukovski, l’« UERSS ». Mais ce qu’il faut surtout retenir ici est son sentiment de la totale dissymétrie qui gouverne les relations entre l’Europe et le monde arabo-musulman.

C’est ici que sont également éclairantes les réflexions de Bat Ye’or sur la « dhimmitude », appréciées en leur temps par le philosophe et théologien protestant Jacques Ellul, qui préfaça en 1980 l’édition anglaise du livre sur les dhimmis. Ce terme de « dhimmitude » est emprunté au phalangiste et président chrétien libanais Béchir Gemayel, qui l’utilisa pour la première fois en 1982, peu avant son assassinat. Bat Ye’or montre que le statut des juifs et des chrétiens, mais aussi des autres non musulmans en terre d’islam, n’est pas du tout conforme à la légende dorée popularisée par le mythe andalou. Le dhimmi est constamment avili : « L’infériorisation de la personne humaine érigée en un principe théologique et politique constitue un aspect majeur de la civilisation de la dhimmitude » (Juifs et chrétiens, p.86). Lorsqu’il paie le tribut qui est censé le protéger, le dhimmi est humilié ou frappé ; des obligations vestimentaires et des corvées, de nombreux interdits professionnels lui sont imposés ; la pratique de sa religion est strictement réglementée et limitée. La dhimmitude, pire à certains égards que la servitude, est le résultat de siècles d’imposition de ces pratiques auxquelles seule la colonisation européenne a mis fin. Elles ont développé, selon Bat Ye’or, une mentalité très particulière : « Vulnérabilité et gratitude développent chez le dhimmi le langage de la servilité, de la flatterie et de la reconnaissance. » Sans doute sommes-nous déjà des dhimmis lorsque nous n’osons même plus faire mention des évidentes « racines chrétiennes » de l’Europe ?

Bat Ye’or offre enfin une perspective très éclairante sur la sempiternelle et curieuse « humiliation » arabe, toujours à fleur de peau. Omniprésente dans le discours militant pro-palestinien, on la fait en général remonter à l’issue de la Guerre de six jours, ou quelquefois plus avant, jusqu’à l’expédition de Bonaparte en Égypte, qui auraient rendu évidente la supériorité de l’Occident sur le monde musulman. Ce n’est en fait pas de cela qu’il s’agit. Bat Ye’or l’explique de manière lumineuse : « Est humiliante la relation d’égalité avec l’homme méprisé » (Juifs et chrétiens, p.222). C’est le fait que l’autre, l’ancien dhimmi, s’affirme comme un égal qui est la principale cause d’humiliation : plus le non-musulman traite le musulman pratiquant comme son égal, avec humanité, plus en fait il l’humilie puisque, du point de vue de celui-ci, il est son inférieur. Inquiétante leçon. [/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Dette, crise, euro, etc : la méthode estonienne

13

Aux exemples de l’Argentine et de l’Irlande analysés ici même par Gil Milhaely, il faudrait ajouter celui de l’Estonie, tout aussi significatif. Et qu’il ne serait pas inutile de méditer en France et d’appliquer en Grèce.

L’Estonie est le seul pays de la zone euro qui puisse se targuer cet automne d’être en situation de surchauffe conjoncturelle. Refusant l’accumulation des déficits publics, le gouvernement a fait entièrement confiance à l’initiative privée pour sortir d’une crise gravissime. Refusant de céder au mythe keynésien, il a réduit le nombre de fonctionnaires (il n’en compte que 28.000) et maintenu un taux d’imposition unique (flat tax). Selon la Banque Mondiale, l’Estonie est quatorzième au classement des économies les plus libres et l’Argentine cent-trente-huitième, ce qui laisse présager qu’une prochaine crise est d’ores et déjà programmée, alors que grâce à sa politique ultra-libérale, l’Estonie devrait croître pendant de longues années à un rythme supérieur à trois pour cent.

L’Estonie, pour mémoire, sortait d’une récession et a brisé par sa politique le mythe selon lequel il faudrait une cure drastique d’austérité sur plusieurs années pour rétablir une économie. Mais sans doute faut-il pour cela croire un peu moins en un État protecteur et un peu plus en des citoyens libres et responsables. S’il y a une révolution à opérer, c’est bien celle-là. Gageons que les Français et les Grecs s’y opposeront avec une inébranlable détermination.

Lettre à Christian Estrosi

13

Monsieur le Ministre,

Hier matin, réagissant à l’annonce de l’organisation d’un référendum en Grèce, berceau de la Démocratie, vous avez fustigé cette décision « totalement irresponsable » du Premier Ministre grec, Georges Papandreou. A vrai dire, je m’attendais à entendre de tels reproches à l’encontre d’Athènes. Et d’ailleurs, vous n’êtes pas le seul à tirer à boulets rouges sur ces mauvais coucheurs héllènes. Ce qui m’étonne, en revanche, c’est que cela vienne de vous.

Il y a près de vingt ans, François Mitterrand décidait lui aussi, le lendemain de la victoire du Non au Danemark, de consulter le peuple français à l’occasion de la ratification du Traité de Maastricht créant une union monétaire en Europe. Derrière Philippe Séguin et Charles Pasqua, duquel vous fûtes proche, vous vous engageâtes dans la campagne pour le Non. Vous souvenez-vous de l’affiche que nous collâmes alors sur tous les murs de France dans la chaleur de l’été ? Il claquait, ce slogan, inspiré de Paul Eluard : « Liberté, je chéris ton NON ». Cette bataille, nous la perdîmes ensemble. Et nous le fîmes avec d’autant plus d’élégance que nous ne fûmes pas épargnés pendant la campagne. Tel président de la Commission Européenne nous intima de « changer d’attitude ou de quitter la politique » ; tel autre, directeur d’un grand journal du soir, nous menaça, au cas où le oui ne l’emporterait pas, « de la pire catastrophe depuis l’accession au pouvoir du chancelier Hitler » ; tel chroniqueur et éditorialiste en place depuis vingt ans, et toujours de service le matin sur RTL, expliqua que le référendum était dangereux en ce sens qu’il donne, sur des sujets aussi complexes, la même voix aux non-diplômés -le monsieur est poli, il ne prononce pas le mot « cons »- qu’aux classes éclairées. Ainsi, vous retrouver aujourd’hui sur la même ligne ne laisse pas de décevoir.

Consulter le Peuple, donner l’occasion au Peuple français de se prononcer sur son destin, c’était ainsi déjà irresponsable. Le refaire, en 2005, l’était donc tout autant. C’est l’avis de Nicolas Sarkozy qui goûte moins le recours à la démocratie directe que Charles Pasqua et Philippe Séguin hier, Charles de Gaulle avant-hier. Il est vrai que l’actuel président conserve un mauvais souvenir de ce genre de consultation. En 2003, il organisa un référendum sur l’évolution institutionnelle de la Corse. Alors que son projet était soutenu par l’UMP, le PS et les séparatistes, il vécut un cuisant échec. Ainsi, passer sur l’avis de ce foutu suffrage universel est devenu une ardente obligation : le traité de Lisbonne qui reprend 95 % de la substance d’un texte refusé par la majorité du Peuple français, ainsi que l’a reconnu l’auteur dudit texte, l’ancien président Giscard d’Estaing, fut donc approuvé par les parlementaires réunis en congrès, avec votre bénédiction. Et vous continuez pourtant à vous auto-proclamer gaulliste et, pis, gaulliste social, alors que le respect des décisions référendaires constituait l’alpha et l’oméga de toute la pratique institutionnelle du Général de Gaulle.

On a ainsi passé outre les résultats du Peuple -ou on l’a fait revoter jusqu’à ce qu’il finisse, lassé, par répondre oui, comme en Irlande- et il était bien entendu qu’il éviter le recours à ce dangereux suffrage universel. Populiste, le référendum, pleure de rage ce matin le constitutionnaliste Dominique Reynié. Que cela vienne de lui, on le comprend. Il s’enorgueillit de faire partie des « sachants ». Mais de vous, Christian Estrosi ? Vous vous plaignez assez des sarcasmes dont vous êtes victime à propos de votre manque de diplômes, du mépris qui vous frappe lorsqu’on vous surnomme le « motodidacte ». La démocratie, le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, suppose que notre voix à tous, pèse du même poids, que nous soyons polytechnicien ou technicien de surface. Le suffrage universel, indissociable de la démocratie, suppose que le plus humble d’entre nous puisse accéder aux plus hautes fonctions. Ce miracle de la Démocratie a notamment permis à un homme, ne sortant d’aucune grande école puisqu’il avait quitté le lycée pour s’adonner à sa passion motocycliste, de devenir Ministre de l’Industrie de son pays ou de diriger la cinquième ville de France.

C’est ce miracle, Christian Estrosi, que vous refusez lorsque vous qualifiez d’irresponsable le recours aux suffrages du peuple grec, tournant ainsi le dos non seulement au militant que vous avez été, mais à l’homme que vous êtes.

Charlie hebdo puni pour avoir charrié la charia

418

Tout avait commencé lundi dans la joie, la transgression et la meilleure tradition chansonnière, avec ce communiqué de Charlie Hebdo: « Afin de fêter dignement la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie et la promesse du président du CNT (Conseil national de transition) que la charia serait la principale source de législation de la Libye, Charlie Hebdo a proposé à Mahomet d’être le rédacteur en chef exceptionnel de son prochain numéro. Le prophète de l’islam ne s’est pas fait prier pour accepter et nous l’en remercions ». Pour parfaire la provoc, Charb et ses potes avaient choisi comme slogan: « 100 coups de fouet, si vous n’êtes pas morts de rire ! »

Force est de constater que sur ce coup-là, l’ami Charb s’est mis le doigt dans l’œil : ceux qui n’ont pas souri n’ont pas été fouettés. Au contraire, conformément à ce qu’ils estiment être leur foi et leurs valeurs, ceux qui ne rigolent pas avec ces choses-là ont estimé que c’est à eux et à eux seuls que revenait d’exercer le droit au châtiment et que seul le feu pouvait purifier Paris de l’offense faite au Prophète, prenant au passage le risque de faire périr tous les habitants de l’immeuble dans l’incendie qu’ils ont provoqué en pleine nuit.

Deux suspects auraient été aperçus sur les lieux de l’attentat, mais ils avaient disparu bien avant l’arrivée des forces de l’ordre. A l’heure où nous écrivons ces lignes les coupables courent donc toujours.

Mais on ne devrait pas avoir trop de mal à les identifier, puisque certains spécialistes ont déjà nommé les coupables : dès ce matin, par exemple sur iTélé, on pouvait entendre un certain Hassan Moussaoui[1. A ne pas confondre avec Mohamed Moussaoui, président en exercice du Conseil Français du Culte Musulman.], présenté à l’antenne comme responsable pour l’Ile-de-France du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) – et semble-t-il, haut dirigeant du Rassemblement des Musulmans de France. Que nous dit Hassan Moussaoui : il expédie en deux secondes une condamnation du bout des lèvres des incendiaires, pour dénoncer durant tout le reste de l’interview les vrais coupables, à savoir la rédaction de Charlie Hebdo : « Nous condamnons aussi la publication de ces caricatures, l’humour a des limites, la liberté d’expression a des limites, etc.» .

Ce genre d’argumentaire, nous le connaissons bien : c’est celui qu’on utilise depuis la nuit des temps contre les femmes violées « qui l’avaient bien cherché ».

Ce genre d’argumentaire encourage tous les ennemis de la liberté, de la laïcité et des droits constitutionnels à réagir violemment au nom d’une fantasmatique légitime défense des victimes de l’ « islamophobie ». Vous croyez que j’exagère ? Regardez plutôt l’affiche du colloque tenu ce week-end à Nanterre. On y présente les musulmans de France comme étant dans le collimateur. Toutes les réactions d’autodéfense, tous les appels à l’autodafé, tous les cocktails molotov ne sont-elles pas légitimes dans de telles circonstances ?

Peu introduit dans les arcanes des institutions musulmanes de la République, je ne sais pas si M. Moussaoui (si c’est bien lui qu’a interviewé iTélé) est habilité à parler au nom du CFCM. Si tel est le cas, et face au trouble patent à l’ordre public que constituent ses déclarations incendiaires, il n’y a à mes yeux que deux solutions : la rétractation ou la dissolution.

Référendum grec : si tu y vas, les potes iront

73

J’ai toujours pensé que la fête d’Halloween était une funeste importation en provenance des Etats-Unis d’Amérique. Tant qu’à s’imprégner de la « culture US », je considère qu’il vaut mieux lire William Faulkner que d’apprendre à introduire des bougies à l’intérieur de cucurbitacées évidées. Enfin, c’était mon avis…jusqu’à avant-hier.

Parce qu’avant-hier, un heureux alignement des astres semble avoir permis une belle coïncidence. Le petit pays du Sud de l’Europe qui a inventé la démocratie a rendu un hommage singulier au grand pays d’outre-Atlantique qui aime à l’exporter par les armes. De fait, après l’annonce par Georges Papandréou d’un référendum sur le nouveau plan européen, certains ont dû passer une nuit d’Halloween plus terrifiante que nature, entre stupeur, tremblements, et sueurs froides.

Hier matin, le réveil a été douloureux pour ceux qui considèrent le peuple comme un horrible monstre et la démocratie comme l’incarnation du mauvais œil. Le politologue Dominique Reynié, par exemple, semble avoir eu le sabbat difficile, qui nous annonçait dès pot(i)ron-minet sur Twitter un déferlement de sorcières sur l’Europe : « Papandreou vient de rendre un immense service à tous les populistes européens et au FN en particulier à quelques mois de 2012 ».

Il est vrai que Georges Papandréou n’a guère songé au Front National ni à l’élection présidentielle française lorsqu’il a annoncé sa stupide intention de consulter son peuple souverain. C’est dire s’il est mauvais camarade !

D’aucuns saisissent immédiatement l’occasion pour nous rappeler que la Grèce, en plus d’être peuplée de feignants et de fraudeurs, n’aurait jamais dû entrer dans l’euro. Ah ! Si Mario Draghi, le directeur flambant neuf de la BCE, ne l’avait pas aidée à maquiller ses comptes quand il officiait chez Goldman Sachs !

En tout cas, et puisque qu’il est question de l’euro, risquons-nous à pronostiquer qu’il est désormais sous respiration artificielle. Ce qui tombe plutôt bien : aujourd’hui, c’est la fête des morts.

Apocalypse Hitler : parlons-en !

122

Causeur m’a demandé de répondre aux interrogations et remarques de ses abonnés, que je remercie, d’avoir regardé, comme plus de six millions de personnes, Apocalypse Hitler sur France2 le mardi 25 octobre. Le débat fait débat, certainement, et je ne peux moi-même m’associer aux critiques sans me désolidariser des efforts de la chaîne, qui a dû l’organiser dans des contraintes de durée, ce que je regrette.

Je dirai que ces remarques, ainsi que celles de Patrick Mandon, sont de trois ordres.
Goebbels arrive en deuxième position dans les interrogations de nos amis (ils le sont vraiment, puisqu’ils lisent Causeur). En fait, ces questions renvoient à ce qui reste un mystère, contourné ou affronté par les historiens, sur le nazisme et Hitler. C’est la fameuse question de la poule et de l’œuf. Hitler a-t-il fait Goebbels (et le nazisme) ou est-ce l’inverse ? J’ai tendance à penser que les esprits mauvais se sont rencontrés et que de cette rencontre sont nés un régime et un chef (Führer) qui n’étaient, ni l’un ni l’autre, à la hauteur de la situation. Goebbels a d’abord compris tout le profit de l’utilisation de l’antisémitisme, la force obscure d’Hitler dans ses discours, comme il a sans doute, après, senti que tout cela allait mal tourner et que l’essentiel était alors de se servir de sa provisoire toute-puissance pour imposer sa frénésie sexuelle aux plus mignonnes actrices du cinéma allemand[1. Mais c’est un autre sujet…]. Il y a aussi chez tous ces types un penchant à croire leurs propres mensonges, jusqu’à la mort. Pour y voir plus clair, je conseille vivement de lire Kershaw, auteur de Le Mythe Hitler.

Les Allemands ont-ils été complices ? Mais peut-on être complice quand la Gestapo rôde ? Au début, beaucoup ont été dupés par la démagogie, ils ont voté pour lui et certainement apprécié le retour au calme, puisque le pompier pyromane étant au pouvoir, l’ordre a régné. Au départ, l’extravagance du régime, ses discours et ses oriflammes les ont plutôt fait sourire : les Berlinois, d’esprit caustique, disaient : « Nous serons bientôt tous sveltes comme Goering, sportifs comme Goebbels et blonds comme Hitler ».

Je crois que la troisième interrogation est la plus importante parce qu’elle porte sur la question finale : «  Sommes-nous à l’abri d’un nouveau Hitler ? ». D’abord, les Hitler n’ont pas manqué, après 1945. Ils ont régné sur la malheureuse Russie, sur la Corée du Nord, sur le Vietnam ou le Cambodge. Ils sont toujours au pouvoir quelque part, massacrant comme au Rwanda ou opprimant avec toutes les Charia possibles. Mais les messages d’Isa et de Saul renvoient à une seule et même question : la peur. Peur de ce siècle qui vient, avec ses Hitler.

Je voudrais leur répondre en citant celui qui fut mon maître, et que je continue, trente ans après sa mort, de considérer comme l’esprit le plus important du XXème siècle : Gaston Bouthoul[2. Ses ouvrages les plus importants, dont je recommande la lecture urgente sont Traité de polémologie. Sociologie des guerres; L’infanticide différé; Le Phénomène-Guerre, Payot, Petite bibliothèque Payot, 1962, 283 p. (adaptation résumée du précédent).]. Quand je l’ai connu, et souvent filmé, il était l’un des patrons de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, et son analyse sociologique des guerres est toujours d’actualité. Bouthoul a dit : « La civilisation est une lutte contre la peur ».

En deux mots, Bouthoul est à l’opposé de Clausewitz, pour qui, on le sait, « La guerre est la continuation de la politique, par d’autres moyens ». Non, dit Bouthoul, la guerre est le produit de l’agressivité collective et des situations dites « belligènes » et s’invente des raisons a posteriori pour justifier les massacres.

J’ajouterais, pour simplifier, que l’homme des cavernes pour protéger sa famille serrée, terrorisée, autour d’un maigre feu, mais aussi pour se revêtir de sa fourrure, devait affronter l’ours un silex à la main. Essayez donc de tuer un monstre de deux tonnes avec un silex. Il vous faudrait une dose d’agressivité qui s’est transmise dans les gênes de toute l’humanité et qui vous fait injurier les autres conducteurs. Cette agressivité devient collective dans toutes les situations de surpopulation et de crises. C’est pourquoi Bouthoul considère la guerre comme une maladie, la maladie mortelle de l’humanité. Le seul remède, c’est la non-violence. Aucune raison, aucune, ne justifie une violence, qu’elle soit verbale ou criminelle comme celle dont nous menacent tous les Robespierre « révolutionnaires » c’est-à-dire, assassins.

Libye : nouveau gouvernement, vieilles habitudes

19

Tandis que la nomination du nouveau Premier Ministre, l’universitaire Abdel Rahim Al-Kib, monopolise l’attention, les règlements de compte continuent sur le terrain libyen. De nouveau, ce sont les milices de Misrata qui se montrent particulièrement actives. Ainsi, les habitants d’Al Djemel, ville située à 120 km au sud-ouest de Tripoli, ont rapporté qu’il y a une semaine, des combattants misrati avaient fait irruption dans leur cité pour y « rechercher des fidèles de Kadhafi ». Pendant cette opération – dont personne ne connaît le commanditaire- des dizaines de jeunes en âge de combattre auraient disparu et quatre auraient été tués. Selon le parent de l’une des victimes leurs corps étaient mutilés, la langue et les parties génitales coupées.

Les milices de Misrata qui sont déjà « intervenues » à Syrte et dans d’autres localités considérées comme kadhafistes commencent à poser un problème au nouveau gouvernement libyen. La vendetta des Misratis nourrit, forcement, une volonté de vengeance au sein des familles, clans et tribus victimes et contribue à la nostalgie de l’ancien régime.

Pour une fois, un pays qui émerge de la guerre et de la révolution n’a pas à craindre de problèmes économiques risquant de créer une déception populaire. Le nouveau gouvernement dispose en effet de plusieurs dizaines de milliards prêts à être dépensés, de quoi transformer la Libye – au moins pour quelques années – en eldorado.

Sauf bien sûr si la spirale des règlements de comptes s’installe : Misrata semble être aujourd’hui le problème le plus urgent de la nouvelle Libye.

Israël est il l’opium de la gauche ?

Par deux fois, les Français (de gauche et les autres), ont pu apprendre que si Martine Aubry était élue présidente, elle « reconnaîtrait la Palestine ». Dans son avant-dernière profession de foi, face à ses cinq concurrents, sur BFM TV le 5 octobre, Martine Aubry, pour dénoncer la politique de l’actuel Président de la République, avait fustigé cette « France qui ne reconnaît pas la Palestine ». Dans son ultime face à face avec son rival, François Hollande, Martine Aubry, a ajouté une précision : elle « reconnaîtrait » aussi, Israël. Ce fut le seul point de politique étrangère évoqué dans ces débats des primaires.

Des autres peuples en lutte, celui du Darfour napalmisé par l’armée soudanaise, le peuple tibétain écrasé par la Chine, les Kurdes massacrés par l’Iran et la Turquie, les Birmans sous le joug de la junte, les Bahaïs persécutés, les Kabyles muselés, les Chrétiens menacés dans le monde musulman, les Coptes mitraillés au Caire, les six postulants à l’investiture socialiste ne dirent rien.

Des guerres déclarées ou des conflits non déclarés dans lesquels la France a engagé ses forces, du positionnement de la France dans la lutte contre le terrorisme, de la Libye, de l’Irak, de l’Afghanistan, il ne fut pas plus question dans ces débats. De la même manière, les six candidats ont soigneusement évité d’aborder les questions fondamentales qui touchent à l’émigration, au progrès de l’islamisme dans les cités, ou aux violences urbaines croissantes, ce qui augure mal de leur capacité à affronter l’avenir. Ne pas voir, ne pas entendre et ne rien dire pour ne pas désespérer le 9-3, semble être une règle de conduite pour ceux et celles qui ont fait de la bonne conscience l’ossature de leur programme électoral. De cet évitement le FN fait son miel électoral.

Le positionnement déclaré de la candidate Aubry en faveur de la Palestine n’avait d’ailleurs pas pour objet la politique étrangère de la France. Il visait en deçà des rives du Jourdain. Ce clin d’œil appuyé, en direction des banlieues, contredisait en outre la précédente dénonciation du boycott d’Israël par Martine Aubry. Quand on connaît la part de schizophrénie identitaire qui affecte de nombreux « jeunes-des-banlieues » cette déclaration ne favorisait guère leur intégration dans l’histoire de la République. La maire de Lille connaît bien la question. Elle sait combien, dans les « quartiers », la Palestine agit comme un fantasme symbolique collectif, comme représentant la cause, sinon la patrie, de ceux qui n’ont pas de patrie. En faisant de la Palestine la seule noble cause à défendre, la socialiste ajoute, ici, du malheur identitaire au malaise social. Elle aggrave les ruptures culturelles au sein de la société. Une récente enquête met à jour le poids de plus en plus important de l’islam en France et les séductions politiques qui lui sont liées. Tout ceci tisse un système compliqué dont toutes les pièces sont liées; Martine Aubry devrait se souvenir des manifestations de refus d’un concert d’Enrico Macias à Roubaix en 2000 au prétexte qu’un « juif ne pouvait pas chanter en arabe ».

En contrepoint, la seule contrepartie qu’elle exige, la « reconnaissance d’Israël », est stupéfiante : le peuple de gauche vient donc d’apprendre, par défaut, que jusqu’à ce jour, pour Martine Aubry, Israël n’était pas encore reconnu. Qu’est ce que veut bien dire « reconnaître Israël » ?

Reconnaître le fait ou reconnaître aussi le droit ? Quel droit ? Le droit pour le peuple juif d’avoir un Etat sur l’espace de sa terre historique. Il est navrant de constater qu’à gauche aujourd’hui, on ne soit désormais sensible qu’à l’écume de cette pensée unique qui fait d’Israël le fautif, le coupable, le criminel et la Palestine LA juste cause. Faut il rappeler aux socialistes cette réflexion de François Mitterrand, en novembre 1975, quand une motion de l’ONU avait assimilé le sionisme au racisme : « Je savais déjà que le fanatisme était un attribut de la sottise. J’ai envie d’écrire ce matin qu’il est la sottise même (…) Economisons les grands mots et n’en gardons qu’un, le mépris (…) Frank, Anne Frank, merveilleuse et déchirante, fleur de vie, pauvre morte, c’est à toi que je pense au moment de dire pardon ». Puisse la gauche ne pas tomber dans les ornières du gauchisme dont l’obsession anti israélienne tient lieu de matrice intellectuelle.

Etre de gauche, c’est d’abord être pédagogue en expliquant aux « jeunes-des-banlieues » que la source de leur malheur existentiel ne se nomme pas Israël et qu’ils ne trouveront pas la réponse à leur ressentiment dans la haine antijuive. C’est aussi dire, en tant que Président de la République, aux autres peuples arabes que la source de leur malheur ne se nomme pas non plus Israël. Qui opprime qui dans le monde arabo-musulman ? Qui sont les dictateurs, les potentats, les corrompus ? Qui menace la liberté fraichement acquise en Tunisie ? C’est au prix de ce courage politique qu’un président de gauche pourrait s’adresser à Israël en « ami et en allié » afin de reconnaître aux palestiniens la légitimité de leur aspiration nationale et de favoriser la solution de deux Etats pour deux peuples.

Etre de gauche, en France, c’est enfin déconstruire ce cliché qui identifie, depuis la guerre d’Algérie la cause et les moyens de la cause. Ce n’est pas aider à la compréhension du conflit israélo-arabe que de vouloir obstinément le lire dans les catégories de la guerre d’Algérie. Nous rêvons de dire bienvenue à la Palestine si elle reconnaît à Israël son droit à être l’Etat du peuple juif ! Bienvenue à la Palestine si elle reconnaît leurs droits aux femmes ! Bienvenue à la Palestine si elle proscrit de ses moyens de lutte la bombe humaine !

La France est le pays européen qui a la plus grande communauté juive et la plus grande part de population musulmane. Notre pays a donc un rôle à jouer, plus noble que sa seule « politique arabe ». Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est peut-être ce choc des civilisations, sinistre corollaire de la mondialisation, qu’une gauche intelligente, imaginative et honnête pourrait conjurer.

Lamoureux du peuple

21

Robert Lamoureux nous a quittés samedi. Né en 1920, chansonnier, acteur de théâtre et de cinéma, scénariste et réalisateur, on peut qualifier ce conservateur de précurseur. Sa Chasse au canard demeure un chef d’œuvre d’humour « en cascade », qui inspire encore nos meilleurs comiques d’aujourd’hui. Avec Mais où est donc passé la septième compagnie ?, premier et meilleur épisode d’une trilogie multirediffusée par la télévision, on peut dire qu’il inventa le docu-fiction tant ce film raconte avec justesse la débâcle de mai 40.

En plus d’être un héros du peuple, et donc un immortel, Lamoureux était aussi une icône du Monde d’Avant. De l’époque où les Français formaient un peuple trousseur et buveur, et disons-le, dominateur et sûr de lui -y compris dans la débâcle, quand tout, mais alors tout, fout le camp.

A défaut de savoir faire la guerre aux Alboches, en ce temps-là nos élites excellaient dans la guerre déclarée aux patois. A Paris, la peur des pauvres (classes laborieuses, classes dangereuses) s’est traduite par une tentative d’éradiquer leurs argots. Le poissard, l’argot des Halles, de ports et du « peuple » parisien des faubourgs s’est mué en « parigot », charmant parler devenu objet folklorique au même titre que l’habit provincial, une fois la menace sur l’indivisibilité de la république levée.

Le cinéma et la culture populaire de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre nous ont laissé quelques vestiges comme le célèbre « atmosphère » de l’Hôtel du Nord ou le moins éternel « rififi ». Robert Lamoureux était le dernier vestige de cette époque révolue, le dernier chaînon fragile d’une tradition remontant au XVIIIème siècle. Les cabarets des années 1940 où Lamoureux a débuté sa carrière gardaient encore quelque chose de ce monde déjà menacé d’extinction par la TSF. La Première Chaine et la Nouvelle Vague lui auront donné le coup de grâce. Quand tout le monde devient un petit bourgeois diplômé, ne subsiste plus ni peuple ni parler populaire subversif et authentique.

Ne reste que le folklore, façon Pierre Perret ou Joey Starr.

Sept milliards, émoi, émoi…

16

Ça a commencé par un chiffre. Sept milliards. La douche couvrait un peu trop le son de la radio. Je me suis demandé sept milliards de quoi. Par les temps qui courent, sept milliards d’euros, sûrement.

Mais pourquoi faire ? Une rallonge pour le gouvernement grec, histoire qu’il renonce à son référendum? Les bénéfices de Total qui n’accordera cependant zéro euro zéro centime de « prime dividendes » à ses salariés?

Ou un de ces chiffrages du programme socialiste par l’UMP qui relèvent de la poésie pure, genre 7 milliards d’euros si Hollande avait par hasard le malheur de créer 60 000 postes d’enseignants quand le quinquennat Sarkozy en aura vu disparaître plus de 80 000 ?

Sept milliards? Le coût des opérations militaires en Lybie qui se sont brillamment conclues par le massacre du dictateur et l’installation de démocrates tendance charia qui sont en train de choisir, grâce aux bombardements de l’Otan, leur deuxième et troisième femme?

Non, ce ne pouvait pas être ça.

Les commentaires se précisaient. Certains parlaient d’un problème, d’autres préféraient parler de chance. Et j’ai compris quand l’eau a cessé de couler. Depuis que mes amis catholiques et anarchristes sont devenus décroissants, je fais des gestes simples pour sauver la Terre quand tant d’autres en font de très élaborés pour la détruire. Surtout depuis qu’elle a une sept milliardième habitante, une petite fille adorable, née aux Philippines. Une certaine Danica arrivée parmi nous, le 30 octobre peu avant minuit. Bienvenue à toi, Danica. Tu verras, ce n’est pas évident, toutes ces guerres, cette pollution, la famine, le recul général de la civilisation, y en compris dans son berceau d’Europe. En plus, il y aura toujours des malthusiens pour chercher des poux dans ta petite tête qui ne compte encore que peu de cheveux. D’après eux, nous sommes trop nombreux. Si tu as la chance d’échapper à tout ça et de faire des études, tu pourras toujours leur rétorquer que cette planète n’a jamais autant produit de richesses, mais que ces dernières n’ont jamais été aussi mal redistribuées.

Je compte sur toi pour tout cela, Danica, et t’embrasse bien fort. Parce que parfois, moi, je fatigue…

Ce que lisait Breivik

99

On évoque enfin, depuis un mois, les livres de l’historienne anglaise, d’origine juive égyptienne, Bat Ye’or, mais c’est malheureusement seulement, en général, pour en faire, bien à tort, l’inspiratrice d’Anders Behring Breivik. Ses livres sont en effet cités plus d’une soixantaine de fois dans les 1500 pages délirantes du manifeste du tueur d’Oslo, qui mélange le « marxisme culturel » de l’École de Francfort, Lukacs et Marcuse avec Lady Gaga et Scarlett Johansson ou l’herpès génital de sa belle-mère pour prouver la décadence de la civilisation occidentale. Il serait pourtant bon, comme le proposait ici même Roland Jaccard, de joindre les livres de Bat Ye’or au « dossier inextricable de la guerre des civilisations ».

Bat Ye’or dut quitter l’Égypte en 1957, et l’expérience de cette expulsion quasi-complète, en quelques mois, d’une communauté juive vieille de trois mille ans fut sans doute déterminante dans son œuvre ultérieure. Les travaux de Bat Ye’or tournent autour de deux questions principales : la naissance de ce qu’elle nomme « Eurabia », dans son livre Eurabia : l’axe euro-arabe (Jean-Cyrille Godefroy, 2007) et ce qu’elle qualifie de « dhimmitude »[access capability= »lire_inedits »], à partir d’une étude du statut des dhimmis, c’est-à-dire des non-musulmans dans les pays conquis par le djihad, dans son livre Juifs et chrétiens sous l’islam. Face au danger intégriste (Berg, 2005).

Eurabia était le titre de la revue publiée par le Comité européen de coordination des associations d’amitié avec le monde arabe à partir de 1973, sous la direction du gaulliste Lucien Bitterlin, grand représentant de la « politique arabe » de la France. Mais Bat Ye’or désigne, sous ce terme, une bien plus large entreprise de rapprochement euro-arabe, notamment au sein du « dialogue euro-arabe » lancé depuis 1973 par la Lybie et la France, puis élargi à la Communauté européenne et à la Ligue arabe. Il va de soi que le succès de ce terme d’« Eurabia », notamment auprès des néo-conservateurs américains, tient à l’inquiétude ressentie face à une « islamisation » de l’Europe par des auteurs que l’on ne s’empresse pas de traduire en français, comme Christopher Caldwell (Reflections on the Revolution In Europe: Immigration, Islam, and the West, 2009) ou Walter Laqueur (The Last Days of Europe: Epitaph for an Old Continent, 2007). Bat Ye’or résume très bien ce sentiment qu’il nous est possible de partager : « Quand les synagogues et les cimetières juifs nécessitent une protection, comme l’exigent les églises dans les pays musulmans, c’est Eurabia. Quand des musulmans apostats ou libres-penseurs et des intellectuels ou des politiciens doivent se cacher ou vivre avec des gardes du corps parce qu’ils offensent l’islam, ce n’est plus l’Europe des droits de l’homme, mais Eurabia. »

Le « dialogue euro-arabe », qui est l’ancêtre de l’« Alliance des civilisations » proposée par José Luis Zapatero et Recep Tayyip Erdogan à la suite des attentats de Madrid, vise à un rapprochement des civilisations européenne et arabe. Le modèle du califat andalou du Moyen Âge serait un exemple pour la construction d’une « Eurabia » du XXIe siècle. Jusqu’ici, rien que de très louable mais, là où les choses se gâtent, c’est lorsque Bat Ye’or cite longuement les textes produits par ces diverses officines : il y est toujours question que l’Europe reconnaisse la grandeur de la civilisation arabe et facilite l’installation d’immigrants musulmans et leur accès à leur « culture d’origine ». Il faut également « traduire les livres arabes dans les principales langues européennes ». Ainsi, en juin 2002, lors d’une réunion du « Dialogue parlementaire euro-arabe », la délégation arabe propose : « Chaque partie combattra dans sa société les courants hostiles à l’autre partie. Il convient de noter à ce sujet que la partie arabe souffre davantage du fait d’une augmentation de l’islamophobie et de l’arabophobie, de l’augmentation du racisme et de la xénophobie en Europe et des attaques contre les migrants arabes en particulier. Ces tendances ont augmenté depuis les événements du 11 septembre aux USA. » Les Européens s’alignent sur une politique pro-palestinienne et anti-israélienne très déterminée.

Mais aucune réciprocité n’est prévue : comment faire mieux connaître, dans les pays musulmans, la culture européenne ? Comment éviter ce qui est plus que des préjugés contre les religions non musulmanes et la culture occidentale dans les pays musulmans ? Comment favoriser l’immigration européenne vers ces pays ? Que traduire, alors que seulement 10 000 livres ont été traduits en arabe en mille deux cents ans, selon un rapport des Nations unies, le même nombre qui est traduit en espagnol en une année ? Comme le note Bat Ye’or : « On est frappé par la différence de discours entre les deux parties. Les Européens adoptent un langage prudent, admiratif et flatteur envers l’islam (…) De plates et humbles excuses sont formulées pour la colonisation et les préjugés européens anti-arabes. Du côté arabe, en revanche, le ton est celui d’un maître qui fustige et enseigne, sûr de la tolérance, de l’humanisme et de la grandeur de sa civilisation, source spirituelle et scientifique de l’Europe » (Eurabia, p.118). Quant aux Européens ils s’alignent sur une politique anti-israélienne en échange de plus importantes livraisons de pétrole.

Comment expliquer une telle attitude ? Sans doute y a-t-il une part d’intérêt et la politique pro-palestinienne des Européens sera récompensée par quelques livraisons de pétrole supplémentaires. Il y a aussi une part d’angélisme, lorsque Romano Prodi, en 2003, affirme que « les peuples d’Europe ne croient dans aucun conflit de civilisations ». Mais cet angélisme est aussi gouverné par la peur, dans des pays rongés par le doute, qui ne savent plus comment se comporter face à une religion dynamique et conquérante. Comment expliquer autrement qu’il ne soit pas possible de simplement faire respecter l’ordre public en empêchant le prières illégales dans les rues des villes françaises ? Le problème n’est pas tant du côté de l’islam, qui persévère simplement dans son être, que du côté d’une Europe qui n’ose plus se réclamer de ses valeurs.

On a souvent tenté de discréditer le livre de Bat Ye’or en le traitant de « conspirationniste », car il laisserait entendre que ce seraient ces organisations euro-arabes qui auraient programmé une augmentation de l’immigration en Europe et une inféodation de l’Europe à l’islam. Il faut dire que Bat Ye’or est assez sévère avec ces officines non démocratiques qui gravitent autour d’une Union européenne qu’elle nomme, à la suite du dissident soviétique Vladimir Boukovski, l’« UERSS ». Mais ce qu’il faut surtout retenir ici est son sentiment de la totale dissymétrie qui gouverne les relations entre l’Europe et le monde arabo-musulman.

C’est ici que sont également éclairantes les réflexions de Bat Ye’or sur la « dhimmitude », appréciées en leur temps par le philosophe et théologien protestant Jacques Ellul, qui préfaça en 1980 l’édition anglaise du livre sur les dhimmis. Ce terme de « dhimmitude » est emprunté au phalangiste et président chrétien libanais Béchir Gemayel, qui l’utilisa pour la première fois en 1982, peu avant son assassinat. Bat Ye’or montre que le statut des juifs et des chrétiens, mais aussi des autres non musulmans en terre d’islam, n’est pas du tout conforme à la légende dorée popularisée par le mythe andalou. Le dhimmi est constamment avili : « L’infériorisation de la personne humaine érigée en un principe théologique et politique constitue un aspect majeur de la civilisation de la dhimmitude » (Juifs et chrétiens, p.86). Lorsqu’il paie le tribut qui est censé le protéger, le dhimmi est humilié ou frappé ; des obligations vestimentaires et des corvées, de nombreux interdits professionnels lui sont imposés ; la pratique de sa religion est strictement réglementée et limitée. La dhimmitude, pire à certains égards que la servitude, est le résultat de siècles d’imposition de ces pratiques auxquelles seule la colonisation européenne a mis fin. Elles ont développé, selon Bat Ye’or, une mentalité très particulière : « Vulnérabilité et gratitude développent chez le dhimmi le langage de la servilité, de la flatterie et de la reconnaissance. » Sans doute sommes-nous déjà des dhimmis lorsque nous n’osons même plus faire mention des évidentes « racines chrétiennes » de l’Europe ?

Bat Ye’or offre enfin une perspective très éclairante sur la sempiternelle et curieuse « humiliation » arabe, toujours à fleur de peau. Omniprésente dans le discours militant pro-palestinien, on la fait en général remonter à l’issue de la Guerre de six jours, ou quelquefois plus avant, jusqu’à l’expédition de Bonaparte en Égypte, qui auraient rendu évidente la supériorité de l’Occident sur le monde musulman. Ce n’est en fait pas de cela qu’il s’agit. Bat Ye’or l’explique de manière lumineuse : « Est humiliante la relation d’égalité avec l’homme méprisé » (Juifs et chrétiens, p.222). C’est le fait que l’autre, l’ancien dhimmi, s’affirme comme un égal qui est la principale cause d’humiliation : plus le non-musulman traite le musulman pratiquant comme son égal, avec humanité, plus en fait il l’humilie puisque, du point de vue de celui-ci, il est son inférieur. Inquiétante leçon. [/access]

Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici

Dette, crise, euro, etc : la méthode estonienne

13

Aux exemples de l’Argentine et de l’Irlande analysés ici même par Gil Milhaely, il faudrait ajouter celui de l’Estonie, tout aussi significatif. Et qu’il ne serait pas inutile de méditer en France et d’appliquer en Grèce.

L’Estonie est le seul pays de la zone euro qui puisse se targuer cet automne d’être en situation de surchauffe conjoncturelle. Refusant l’accumulation des déficits publics, le gouvernement a fait entièrement confiance à l’initiative privée pour sortir d’une crise gravissime. Refusant de céder au mythe keynésien, il a réduit le nombre de fonctionnaires (il n’en compte que 28.000) et maintenu un taux d’imposition unique (flat tax). Selon la Banque Mondiale, l’Estonie est quatorzième au classement des économies les plus libres et l’Argentine cent-trente-huitième, ce qui laisse présager qu’une prochaine crise est d’ores et déjà programmée, alors que grâce à sa politique ultra-libérale, l’Estonie devrait croître pendant de longues années à un rythme supérieur à trois pour cent.

L’Estonie, pour mémoire, sortait d’une récession et a brisé par sa politique le mythe selon lequel il faudrait une cure drastique d’austérité sur plusieurs années pour rétablir une économie. Mais sans doute faut-il pour cela croire un peu moins en un État protecteur et un peu plus en des citoyens libres et responsables. S’il y a une révolution à opérer, c’est bien celle-là. Gageons que les Français et les Grecs s’y opposeront avec une inébranlable détermination.

Lettre à Christian Estrosi

13

Monsieur le Ministre,

Hier matin, réagissant à l’annonce de l’organisation d’un référendum en Grèce, berceau de la Démocratie, vous avez fustigé cette décision « totalement irresponsable » du Premier Ministre grec, Georges Papandreou. A vrai dire, je m’attendais à entendre de tels reproches à l’encontre d’Athènes. Et d’ailleurs, vous n’êtes pas le seul à tirer à boulets rouges sur ces mauvais coucheurs héllènes. Ce qui m’étonne, en revanche, c’est que cela vienne de vous.

Il y a près de vingt ans, François Mitterrand décidait lui aussi, le lendemain de la victoire du Non au Danemark, de consulter le peuple français à l’occasion de la ratification du Traité de Maastricht créant une union monétaire en Europe. Derrière Philippe Séguin et Charles Pasqua, duquel vous fûtes proche, vous vous engageâtes dans la campagne pour le Non. Vous souvenez-vous de l’affiche que nous collâmes alors sur tous les murs de France dans la chaleur de l’été ? Il claquait, ce slogan, inspiré de Paul Eluard : « Liberté, je chéris ton NON ». Cette bataille, nous la perdîmes ensemble. Et nous le fîmes avec d’autant plus d’élégance que nous ne fûmes pas épargnés pendant la campagne. Tel président de la Commission Européenne nous intima de « changer d’attitude ou de quitter la politique » ; tel autre, directeur d’un grand journal du soir, nous menaça, au cas où le oui ne l’emporterait pas, « de la pire catastrophe depuis l’accession au pouvoir du chancelier Hitler » ; tel chroniqueur et éditorialiste en place depuis vingt ans, et toujours de service le matin sur RTL, expliqua que le référendum était dangereux en ce sens qu’il donne, sur des sujets aussi complexes, la même voix aux non-diplômés -le monsieur est poli, il ne prononce pas le mot « cons »- qu’aux classes éclairées. Ainsi, vous retrouver aujourd’hui sur la même ligne ne laisse pas de décevoir.

Consulter le Peuple, donner l’occasion au Peuple français de se prononcer sur son destin, c’était ainsi déjà irresponsable. Le refaire, en 2005, l’était donc tout autant. C’est l’avis de Nicolas Sarkozy qui goûte moins le recours à la démocratie directe que Charles Pasqua et Philippe Séguin hier, Charles de Gaulle avant-hier. Il est vrai que l’actuel président conserve un mauvais souvenir de ce genre de consultation. En 2003, il organisa un référendum sur l’évolution institutionnelle de la Corse. Alors que son projet était soutenu par l’UMP, le PS et les séparatistes, il vécut un cuisant échec. Ainsi, passer sur l’avis de ce foutu suffrage universel est devenu une ardente obligation : le traité de Lisbonne qui reprend 95 % de la substance d’un texte refusé par la majorité du Peuple français, ainsi que l’a reconnu l’auteur dudit texte, l’ancien président Giscard d’Estaing, fut donc approuvé par les parlementaires réunis en congrès, avec votre bénédiction. Et vous continuez pourtant à vous auto-proclamer gaulliste et, pis, gaulliste social, alors que le respect des décisions référendaires constituait l’alpha et l’oméga de toute la pratique institutionnelle du Général de Gaulle.

On a ainsi passé outre les résultats du Peuple -ou on l’a fait revoter jusqu’à ce qu’il finisse, lassé, par répondre oui, comme en Irlande- et il était bien entendu qu’il éviter le recours à ce dangereux suffrage universel. Populiste, le référendum, pleure de rage ce matin le constitutionnaliste Dominique Reynié. Que cela vienne de lui, on le comprend. Il s’enorgueillit de faire partie des « sachants ». Mais de vous, Christian Estrosi ? Vous vous plaignez assez des sarcasmes dont vous êtes victime à propos de votre manque de diplômes, du mépris qui vous frappe lorsqu’on vous surnomme le « motodidacte ». La démocratie, le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, suppose que notre voix à tous, pèse du même poids, que nous soyons polytechnicien ou technicien de surface. Le suffrage universel, indissociable de la démocratie, suppose que le plus humble d’entre nous puisse accéder aux plus hautes fonctions. Ce miracle de la Démocratie a notamment permis à un homme, ne sortant d’aucune grande école puisqu’il avait quitté le lycée pour s’adonner à sa passion motocycliste, de devenir Ministre de l’Industrie de son pays ou de diriger la cinquième ville de France.

C’est ce miracle, Christian Estrosi, que vous refusez lorsque vous qualifiez d’irresponsable le recours aux suffrages du peuple grec, tournant ainsi le dos non seulement au militant que vous avez été, mais à l’homme que vous êtes.

Charlie hebdo puni pour avoir charrié la charia

418

Tout avait commencé lundi dans la joie, la transgression et la meilleure tradition chansonnière, avec ce communiqué de Charlie Hebdo: « Afin de fêter dignement la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie et la promesse du président du CNT (Conseil national de transition) que la charia serait la principale source de législation de la Libye, Charlie Hebdo a proposé à Mahomet d’être le rédacteur en chef exceptionnel de son prochain numéro. Le prophète de l’islam ne s’est pas fait prier pour accepter et nous l’en remercions ». Pour parfaire la provoc, Charb et ses potes avaient choisi comme slogan: « 100 coups de fouet, si vous n’êtes pas morts de rire ! »

Force est de constater que sur ce coup-là, l’ami Charb s’est mis le doigt dans l’œil : ceux qui n’ont pas souri n’ont pas été fouettés. Au contraire, conformément à ce qu’ils estiment être leur foi et leurs valeurs, ceux qui ne rigolent pas avec ces choses-là ont estimé que c’est à eux et à eux seuls que revenait d’exercer le droit au châtiment et que seul le feu pouvait purifier Paris de l’offense faite au Prophète, prenant au passage le risque de faire périr tous les habitants de l’immeuble dans l’incendie qu’ils ont provoqué en pleine nuit.

Deux suspects auraient été aperçus sur les lieux de l’attentat, mais ils avaient disparu bien avant l’arrivée des forces de l’ordre. A l’heure où nous écrivons ces lignes les coupables courent donc toujours.

Mais on ne devrait pas avoir trop de mal à les identifier, puisque certains spécialistes ont déjà nommé les coupables : dès ce matin, par exemple sur iTélé, on pouvait entendre un certain Hassan Moussaoui[1. A ne pas confondre avec Mohamed Moussaoui, président en exercice du Conseil Français du Culte Musulman.], présenté à l’antenne comme responsable pour l’Ile-de-France du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) – et semble-t-il, haut dirigeant du Rassemblement des Musulmans de France. Que nous dit Hassan Moussaoui : il expédie en deux secondes une condamnation du bout des lèvres des incendiaires, pour dénoncer durant tout le reste de l’interview les vrais coupables, à savoir la rédaction de Charlie Hebdo : « Nous condamnons aussi la publication de ces caricatures, l’humour a des limites, la liberté d’expression a des limites, etc.» .

Ce genre d’argumentaire, nous le connaissons bien : c’est celui qu’on utilise depuis la nuit des temps contre les femmes violées « qui l’avaient bien cherché ».

Ce genre d’argumentaire encourage tous les ennemis de la liberté, de la laïcité et des droits constitutionnels à réagir violemment au nom d’une fantasmatique légitime défense des victimes de l’ « islamophobie ». Vous croyez que j’exagère ? Regardez plutôt l’affiche du colloque tenu ce week-end à Nanterre. On y présente les musulmans de France comme étant dans le collimateur. Toutes les réactions d’autodéfense, tous les appels à l’autodafé, tous les cocktails molotov ne sont-elles pas légitimes dans de telles circonstances ?

Peu introduit dans les arcanes des institutions musulmanes de la République, je ne sais pas si M. Moussaoui (si c’est bien lui qu’a interviewé iTélé) est habilité à parler au nom du CFCM. Si tel est le cas, et face au trouble patent à l’ordre public que constituent ses déclarations incendiaires, il n’y a à mes yeux que deux solutions : la rétractation ou la dissolution.

Référendum grec : si tu y vas, les potes iront

73

J’ai toujours pensé que la fête d’Halloween était une funeste importation en provenance des Etats-Unis d’Amérique. Tant qu’à s’imprégner de la « culture US », je considère qu’il vaut mieux lire William Faulkner que d’apprendre à introduire des bougies à l’intérieur de cucurbitacées évidées. Enfin, c’était mon avis…jusqu’à avant-hier.

Parce qu’avant-hier, un heureux alignement des astres semble avoir permis une belle coïncidence. Le petit pays du Sud de l’Europe qui a inventé la démocratie a rendu un hommage singulier au grand pays d’outre-Atlantique qui aime à l’exporter par les armes. De fait, après l’annonce par Georges Papandréou d’un référendum sur le nouveau plan européen, certains ont dû passer une nuit d’Halloween plus terrifiante que nature, entre stupeur, tremblements, et sueurs froides.

Hier matin, le réveil a été douloureux pour ceux qui considèrent le peuple comme un horrible monstre et la démocratie comme l’incarnation du mauvais œil. Le politologue Dominique Reynié, par exemple, semble avoir eu le sabbat difficile, qui nous annonçait dès pot(i)ron-minet sur Twitter un déferlement de sorcières sur l’Europe : « Papandreou vient de rendre un immense service à tous les populistes européens et au FN en particulier à quelques mois de 2012 ».

Il est vrai que Georges Papandréou n’a guère songé au Front National ni à l’élection présidentielle française lorsqu’il a annoncé sa stupide intention de consulter son peuple souverain. C’est dire s’il est mauvais camarade !

D’aucuns saisissent immédiatement l’occasion pour nous rappeler que la Grèce, en plus d’être peuplée de feignants et de fraudeurs, n’aurait jamais dû entrer dans l’euro. Ah ! Si Mario Draghi, le directeur flambant neuf de la BCE, ne l’avait pas aidée à maquiller ses comptes quand il officiait chez Goldman Sachs !

En tout cas, et puisque qu’il est question de l’euro, risquons-nous à pronostiquer qu’il est désormais sous respiration artificielle. Ce qui tombe plutôt bien : aujourd’hui, c’est la fête des morts.

Apocalypse Hitler : parlons-en !

122

Causeur m’a demandé de répondre aux interrogations et remarques de ses abonnés, que je remercie, d’avoir regardé, comme plus de six millions de personnes, Apocalypse Hitler sur France2 le mardi 25 octobre. Le débat fait débat, certainement, et je ne peux moi-même m’associer aux critiques sans me désolidariser des efforts de la chaîne, qui a dû l’organiser dans des contraintes de durée, ce que je regrette.

Je dirai que ces remarques, ainsi que celles de Patrick Mandon, sont de trois ordres.
Goebbels arrive en deuxième position dans les interrogations de nos amis (ils le sont vraiment, puisqu’ils lisent Causeur). En fait, ces questions renvoient à ce qui reste un mystère, contourné ou affronté par les historiens, sur le nazisme et Hitler. C’est la fameuse question de la poule et de l’œuf. Hitler a-t-il fait Goebbels (et le nazisme) ou est-ce l’inverse ? J’ai tendance à penser que les esprits mauvais se sont rencontrés et que de cette rencontre sont nés un régime et un chef (Führer) qui n’étaient, ni l’un ni l’autre, à la hauteur de la situation. Goebbels a d’abord compris tout le profit de l’utilisation de l’antisémitisme, la force obscure d’Hitler dans ses discours, comme il a sans doute, après, senti que tout cela allait mal tourner et que l’essentiel était alors de se servir de sa provisoire toute-puissance pour imposer sa frénésie sexuelle aux plus mignonnes actrices du cinéma allemand[1. Mais c’est un autre sujet…]. Il y a aussi chez tous ces types un penchant à croire leurs propres mensonges, jusqu’à la mort. Pour y voir plus clair, je conseille vivement de lire Kershaw, auteur de Le Mythe Hitler.

Les Allemands ont-ils été complices ? Mais peut-on être complice quand la Gestapo rôde ? Au début, beaucoup ont été dupés par la démagogie, ils ont voté pour lui et certainement apprécié le retour au calme, puisque le pompier pyromane étant au pouvoir, l’ordre a régné. Au départ, l’extravagance du régime, ses discours et ses oriflammes les ont plutôt fait sourire : les Berlinois, d’esprit caustique, disaient : « Nous serons bientôt tous sveltes comme Goering, sportifs comme Goebbels et blonds comme Hitler ».

Je crois que la troisième interrogation est la plus importante parce qu’elle porte sur la question finale : «  Sommes-nous à l’abri d’un nouveau Hitler ? ». D’abord, les Hitler n’ont pas manqué, après 1945. Ils ont régné sur la malheureuse Russie, sur la Corée du Nord, sur le Vietnam ou le Cambodge. Ils sont toujours au pouvoir quelque part, massacrant comme au Rwanda ou opprimant avec toutes les Charia possibles. Mais les messages d’Isa et de Saul renvoient à une seule et même question : la peur. Peur de ce siècle qui vient, avec ses Hitler.

Je voudrais leur répondre en citant celui qui fut mon maître, et que je continue, trente ans après sa mort, de considérer comme l’esprit le plus important du XXème siècle : Gaston Bouthoul[2. Ses ouvrages les plus importants, dont je recommande la lecture urgente sont Traité de polémologie. Sociologie des guerres; L’infanticide différé; Le Phénomène-Guerre, Payot, Petite bibliothèque Payot, 1962, 283 p. (adaptation résumée du précédent).]. Quand je l’ai connu, et souvent filmé, il était l’un des patrons de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, et son analyse sociologique des guerres est toujours d’actualité. Bouthoul a dit : « La civilisation est une lutte contre la peur ».

En deux mots, Bouthoul est à l’opposé de Clausewitz, pour qui, on le sait, « La guerre est la continuation de la politique, par d’autres moyens ». Non, dit Bouthoul, la guerre est le produit de l’agressivité collective et des situations dites « belligènes » et s’invente des raisons a posteriori pour justifier les massacres.

J’ajouterais, pour simplifier, que l’homme des cavernes pour protéger sa famille serrée, terrorisée, autour d’un maigre feu, mais aussi pour se revêtir de sa fourrure, devait affronter l’ours un silex à la main. Essayez donc de tuer un monstre de deux tonnes avec un silex. Il vous faudrait une dose d’agressivité qui s’est transmise dans les gênes de toute l’humanité et qui vous fait injurier les autres conducteurs. Cette agressivité devient collective dans toutes les situations de surpopulation et de crises. C’est pourquoi Bouthoul considère la guerre comme une maladie, la maladie mortelle de l’humanité. Le seul remède, c’est la non-violence. Aucune raison, aucune, ne justifie une violence, qu’elle soit verbale ou criminelle comme celle dont nous menacent tous les Robespierre « révolutionnaires » c’est-à-dire, assassins.

Libye : nouveau gouvernement, vieilles habitudes

19

Tandis que la nomination du nouveau Premier Ministre, l’universitaire Abdel Rahim Al-Kib, monopolise l’attention, les règlements de compte continuent sur le terrain libyen. De nouveau, ce sont les milices de Misrata qui se montrent particulièrement actives. Ainsi, les habitants d’Al Djemel, ville située à 120 km au sud-ouest de Tripoli, ont rapporté qu’il y a une semaine, des combattants misrati avaient fait irruption dans leur cité pour y « rechercher des fidèles de Kadhafi ». Pendant cette opération – dont personne ne connaît le commanditaire- des dizaines de jeunes en âge de combattre auraient disparu et quatre auraient été tués. Selon le parent de l’une des victimes leurs corps étaient mutilés, la langue et les parties génitales coupées.

Les milices de Misrata qui sont déjà « intervenues » à Syrte et dans d’autres localités considérées comme kadhafistes commencent à poser un problème au nouveau gouvernement libyen. La vendetta des Misratis nourrit, forcement, une volonté de vengeance au sein des familles, clans et tribus victimes et contribue à la nostalgie de l’ancien régime.

Pour une fois, un pays qui émerge de la guerre et de la révolution n’a pas à craindre de problèmes économiques risquant de créer une déception populaire. Le nouveau gouvernement dispose en effet de plusieurs dizaines de milliards prêts à être dépensés, de quoi transformer la Libye – au moins pour quelques années – en eldorado.

Sauf bien sûr si la spirale des règlements de comptes s’installe : Misrata semble être aujourd’hui le problème le plus urgent de la nouvelle Libye.

Israël est il l’opium de la gauche ?

188

Par deux fois, les Français (de gauche et les autres), ont pu apprendre que si Martine Aubry était élue présidente, elle « reconnaîtrait la Palestine ». Dans son avant-dernière profession de foi, face à ses cinq concurrents, sur BFM TV le 5 octobre, Martine Aubry, pour dénoncer la politique de l’actuel Président de la République, avait fustigé cette « France qui ne reconnaît pas la Palestine ». Dans son ultime face à face avec son rival, François Hollande, Martine Aubry, a ajouté une précision : elle « reconnaîtrait » aussi, Israël. Ce fut le seul point de politique étrangère évoqué dans ces débats des primaires.

Des autres peuples en lutte, celui du Darfour napalmisé par l’armée soudanaise, le peuple tibétain écrasé par la Chine, les Kurdes massacrés par l’Iran et la Turquie, les Birmans sous le joug de la junte, les Bahaïs persécutés, les Kabyles muselés, les Chrétiens menacés dans le monde musulman, les Coptes mitraillés au Caire, les six postulants à l’investiture socialiste ne dirent rien.

Des guerres déclarées ou des conflits non déclarés dans lesquels la France a engagé ses forces, du positionnement de la France dans la lutte contre le terrorisme, de la Libye, de l’Irak, de l’Afghanistan, il ne fut pas plus question dans ces débats. De la même manière, les six candidats ont soigneusement évité d’aborder les questions fondamentales qui touchent à l’émigration, au progrès de l’islamisme dans les cités, ou aux violences urbaines croissantes, ce qui augure mal de leur capacité à affronter l’avenir. Ne pas voir, ne pas entendre et ne rien dire pour ne pas désespérer le 9-3, semble être une règle de conduite pour ceux et celles qui ont fait de la bonne conscience l’ossature de leur programme électoral. De cet évitement le FN fait son miel électoral.

Le positionnement déclaré de la candidate Aubry en faveur de la Palestine n’avait d’ailleurs pas pour objet la politique étrangère de la France. Il visait en deçà des rives du Jourdain. Ce clin d’œil appuyé, en direction des banlieues, contredisait en outre la précédente dénonciation du boycott d’Israël par Martine Aubry. Quand on connaît la part de schizophrénie identitaire qui affecte de nombreux « jeunes-des-banlieues » cette déclaration ne favorisait guère leur intégration dans l’histoire de la République. La maire de Lille connaît bien la question. Elle sait combien, dans les « quartiers », la Palestine agit comme un fantasme symbolique collectif, comme représentant la cause, sinon la patrie, de ceux qui n’ont pas de patrie. En faisant de la Palestine la seule noble cause à défendre, la socialiste ajoute, ici, du malheur identitaire au malaise social. Elle aggrave les ruptures culturelles au sein de la société. Une récente enquête met à jour le poids de plus en plus important de l’islam en France et les séductions politiques qui lui sont liées. Tout ceci tisse un système compliqué dont toutes les pièces sont liées; Martine Aubry devrait se souvenir des manifestations de refus d’un concert d’Enrico Macias à Roubaix en 2000 au prétexte qu’un « juif ne pouvait pas chanter en arabe ».

En contrepoint, la seule contrepartie qu’elle exige, la « reconnaissance d’Israël », est stupéfiante : le peuple de gauche vient donc d’apprendre, par défaut, que jusqu’à ce jour, pour Martine Aubry, Israël n’était pas encore reconnu. Qu’est ce que veut bien dire « reconnaître Israël » ?

Reconnaître le fait ou reconnaître aussi le droit ? Quel droit ? Le droit pour le peuple juif d’avoir un Etat sur l’espace de sa terre historique. Il est navrant de constater qu’à gauche aujourd’hui, on ne soit désormais sensible qu’à l’écume de cette pensée unique qui fait d’Israël le fautif, le coupable, le criminel et la Palestine LA juste cause. Faut il rappeler aux socialistes cette réflexion de François Mitterrand, en novembre 1975, quand une motion de l’ONU avait assimilé le sionisme au racisme : « Je savais déjà que le fanatisme était un attribut de la sottise. J’ai envie d’écrire ce matin qu’il est la sottise même (…) Economisons les grands mots et n’en gardons qu’un, le mépris (…) Frank, Anne Frank, merveilleuse et déchirante, fleur de vie, pauvre morte, c’est à toi que je pense au moment de dire pardon ». Puisse la gauche ne pas tomber dans les ornières du gauchisme dont l’obsession anti israélienne tient lieu de matrice intellectuelle.

Etre de gauche, c’est d’abord être pédagogue en expliquant aux « jeunes-des-banlieues » que la source de leur malheur existentiel ne se nomme pas Israël et qu’ils ne trouveront pas la réponse à leur ressentiment dans la haine antijuive. C’est aussi dire, en tant que Président de la République, aux autres peuples arabes que la source de leur malheur ne se nomme pas non plus Israël. Qui opprime qui dans le monde arabo-musulman ? Qui sont les dictateurs, les potentats, les corrompus ? Qui menace la liberté fraichement acquise en Tunisie ? C’est au prix de ce courage politique qu’un président de gauche pourrait s’adresser à Israël en « ami et en allié » afin de reconnaître aux palestiniens la légitimité de leur aspiration nationale et de favoriser la solution de deux Etats pour deux peuples.

Etre de gauche, en France, c’est enfin déconstruire ce cliché qui identifie, depuis la guerre d’Algérie la cause et les moyens de la cause. Ce n’est pas aider à la compréhension du conflit israélo-arabe que de vouloir obstinément le lire dans les catégories de la guerre d’Algérie. Nous rêvons de dire bienvenue à la Palestine si elle reconnaît à Israël son droit à être l’Etat du peuple juif ! Bienvenue à la Palestine si elle reconnaît leurs droits aux femmes ! Bienvenue à la Palestine si elle proscrit de ses moyens de lutte la bombe humaine !

La France est le pays européen qui a la plus grande communauté juive et la plus grande part de population musulmane. Notre pays a donc un rôle à jouer, plus noble que sa seule « politique arabe ». Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est peut-être ce choc des civilisations, sinistre corollaire de la mondialisation, qu’une gauche intelligente, imaginative et honnête pourrait conjurer.

Lamoureux du peuple

21

Robert Lamoureux nous a quittés samedi. Né en 1920, chansonnier, acteur de théâtre et de cinéma, scénariste et réalisateur, on peut qualifier ce conservateur de précurseur. Sa Chasse au canard demeure un chef d’œuvre d’humour « en cascade », qui inspire encore nos meilleurs comiques d’aujourd’hui. Avec Mais où est donc passé la septième compagnie ?, premier et meilleur épisode d’une trilogie multirediffusée par la télévision, on peut dire qu’il inventa le docu-fiction tant ce film raconte avec justesse la débâcle de mai 40.

En plus d’être un héros du peuple, et donc un immortel, Lamoureux était aussi une icône du Monde d’Avant. De l’époque où les Français formaient un peuple trousseur et buveur, et disons-le, dominateur et sûr de lui -y compris dans la débâcle, quand tout, mais alors tout, fout le camp.

A défaut de savoir faire la guerre aux Alboches, en ce temps-là nos élites excellaient dans la guerre déclarée aux patois. A Paris, la peur des pauvres (classes laborieuses, classes dangereuses) s’est traduite par une tentative d’éradiquer leurs argots. Le poissard, l’argot des Halles, de ports et du « peuple » parisien des faubourgs s’est mué en « parigot », charmant parler devenu objet folklorique au même titre que l’habit provincial, une fois la menace sur l’indivisibilité de la république levée.

Le cinéma et la culture populaire de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre nous ont laissé quelques vestiges comme le célèbre « atmosphère » de l’Hôtel du Nord ou le moins éternel « rififi ». Robert Lamoureux était le dernier vestige de cette époque révolue, le dernier chaînon fragile d’une tradition remontant au XVIIIème siècle. Les cabarets des années 1940 où Lamoureux a débuté sa carrière gardaient encore quelque chose de ce monde déjà menacé d’extinction par la TSF. La Première Chaine et la Nouvelle Vague lui auront donné le coup de grâce. Quand tout le monde devient un petit bourgeois diplômé, ne subsiste plus ni peuple ni parler populaire subversif et authentique.

Ne reste que le folklore, façon Pierre Perret ou Joey Starr.