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Chez Ikea, le mari est un meuble comme les autres.

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Ikea est une marque suédoise, et la Suède, c’est le progrès. C’est en tout cas ce que nous assènent régulièrement nos amis sociaux-démocrates, excipant plus volontiers du modèle nord-européen que de l’œuvre de John Rawls lorsqu’il s’agit de nous rappeler ce que signifie « l’égalité ».

Dans une de leurs succursales australiennes, les magasins Ikea viennent de pousser à son comble la mise en œuvre de la néo-égalité femme-homme. Si l’on accepte bien sûr de considérer qu’« égalité » et « universalisme » sont totalement étranger l’un à l’autre, et que le bonheur parfait ne nécessite qu’un simple renversement des mécanismes de domination. Le collectif Osez le féminisme aurait tôt fait de beugler « on a gagné ! » s’il venait à découvrir la création d’un Luna-Park matriarco-expérimental au sein même de l’Ikea de Sydney.

Les spécialistes de meubles en kit viennent en effet de créer la première garderie…pour hommes. Désormais, Madame peut aller acheter tranquillement le sèche-linge que, bien évidemment, elle utilisera seule, après avoir rangé Monsieur dans une salle « aménagée avec des baby-foot, des flippers, des écrans de télévision et de confortables canapés pour les regarder ».

Les usagers mâles de ce concept révolutionnaire doivent être ravis, notamment les passionnés de baby-foot, qui représentent 99,9% de la population masculine mondiale, comme chacun sait. Il ne manque finalement à ces crèches pour mecs que quelques jeunes suédoises aux jambes interminables et juchées sur patins à roulettes pour venir leur enfourner dans le bec quelques biberons de Kanterbräu.

Par ailleurs, que Madame se rassure. Si le sèche-linge qu’elle convoite semble présenter quelque malfaçon d’ordre mécanique, elle pourra aisément siffler Monsieur pour qu’il vole à son secours. En effet, dans ce Mänland, « chaque femme est équipée d’un bipeur » lui permettant de sonner son Jules si nécessaire.

D’après nos sources, les boutiquiers suédois ne savent pas encore s’ils vont généraliser leur délicieuse invention. Pour notre part, nous ne saurions trop leur conseiller de travailler sur le concept de « kit romance », au cas où quelque client-e rétrograde viendrait à se languir du temps fort lointain où l’amour, c’était poétique.

Et pourquoi pas, bientôt, l’avènement de l’homme lyophilisé, à ne déstocker qu’en cas d’urgence reproductrice ? Après tout, le mâle est un meuble comme les autres.

Autodafé à Paris : c’est la faute à Voltaire !

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Photo : Amnesty.

Parfois, il faut savoir aller contre l’avis de ses amis. Surtout quand ils s’égarent du côté de l’opinion dominante. N’en déplaise à Marc Cohen, il fallait que la vérité fût dite et grâce à Pascal Boniface, c’est chose faite. Oui, si Charlie Hebdo caricature l’islam, c’est parce que c’est vendeur et que les musulmans ne peuvent pas se défendre : mercantiles et en plus lâches, les confrères ! Qu’ils ne nous racontent pas d’histoires, ils le savaient bien, que ce Charia Hebdo allait hérisser les poils de nombreuses barbes. Peut-être même espéraient-ils qu’un dingue ferait ce qu’il a fait. En tout cas, leur petit numéro était un véritable appel à la violence. On pourrait même parler d’une escroquerie idéologique à l’assurance. Au cas où ça vous aurait échappé, ils ont profité de ce microscopique incident pour faire le coup des sans-papiers. Et le résultat, c’est qu’ils sont en train de se goberger à Libé en stigmatisant des musulmans sans défense. Bien joué les gars ! En tout cas, les copains de Libé ne sont pas prêts de se débarrasser de ces invités. Ça leur apprendra à jouer les belles âmes.

Pour ceux qui ignorent encore l’œuvre de ce penseur magistral, rappelons qu’il y a quelques années, Boniface s’est attiré la vindicte du politiquement correct et du lobby que l’on sait en rappelant qu’il y avait en France beaucoup plus de musulmans que de juifs et que le PS devait adapter sa politique proche orientale en conséquence. « Combien de divisions ? », ce respect scrupuleux de la loi du nombre ne devrait-il pas dicter sa conduite à tout démocrate conséquent ? Le même souci de vérité lui fait écrire dans son dernier livre que le Hezbollah est un parti athée – ah non, on m’informe qu’il s’agissait d’une coquille.
Boniface est cohérent. Puisqu’il aime les peuples de Tunisie et de Libye et que les peuples de Tunisie et de Libye aiment la charia, il aime la charia. C’est son droit, non ? La différence entre les démocraties impies et les théocraties éclairées, c’est qu’en démocratie, on a le droit de préférer la théocratie et de l’exprimer librement. C’est aussi un droit – et peut-être un devoir – de dévoiler l’islamophobie qui se cache derrière toute critique de l’islam.

La fin justifie les moyens. Il faut être mesquin comme Richard Malka pour expliquer que Boniface raconte n’importe quoi pour faire passer son point de vue, par exemple que Charlie Hebdo concentre ses attaques sur l’islam. Au moins cela prouve-t-il qu’il ne s’adonne pas en secret à la lecture de ce journal de mécréants. Et qu’il ne fréquente pas de cathos intégristes, lesquels font à peu près un procès par mois à Charlie. Ni de catholiques tout court, ces chochottes n’appréciant pas toujours les « unes » représentant le pape voire le Christ dans des positions embarrassantes.

Pour l’ami Marc Cohen, Boniface et tous ceux qui se sont relayés pour condamner la violence, d’accord, mais plus encore l’irrespect font penser à ces gens qui, quand une femme se fait violer, se demandent si ce n’est pas un peu de sa faute. Eh bien oui, cher Marc, n’est-ce pas un peu de leur faute, à ces gourgandines qui chatouillent la bête en se baladant à peine vêtues, si elles finissent par la réveiller ? De même les confrères qui ont demandé à Charb si ce Charia Hebdo n’était pas la « provoc de trop » ont eu bien raison. C’est vrai, après tout, ils l’ont bien cherché: à jouer avec le feu, on récolte un incendie.

Alors si vous voulez, vous aussi, engueuler ces rigolos qui ne respectent rien, rendez-vous ce dimanche à 15 heures sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris. Au passage, il faudra aussi leur dire qu’une manif le dimanche, c’est pas chrétien.

Je pense donc je twitte

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« Thailande : le twitter du 1er ministre piraté. » Frédéric Mitterrand dément toute implication.

« 600 Nigériens expulsés d’Algérie.» Le ministre de l’Intérieur algérien, M. Ibrahim Guéant, s’estime satisfait.

« Arc de Triomphe : victoire de Danedream. » En même temps, courir contre le Soldat inconnu, c’est pas vraiment du jeu…

« Canada : une femme à la tête de l’Alberta » Paritarisme oblige, la province prend désormais le nom d’Alberto. Elle est bizarre Marie-Paule Belle depuis qu’elle fait de la politique…

Charon guidait nos âmes autrefois en enfer. De la mort aujourd’hui, l’antichambre il conquiert.

Le PS veut nettoyer le Sénat à coup de Lärcher ![access capability= »lire_inedits »]

Grande victoire de l’UMP ! (Dans le canton de Corrèze.)

24 sénateurs de gauche supplémentaires ? Parti de vieux, va !

La différence entre Bush et Obama ? Les injections létales sont prises en charge par l’assurance-maladie.

« Nicolas Sarkozy propose un calendrier à l’État palestinien. » Celui avec les jolis petits chats ou celui avec le canard ?

Journées du Patrimoine. L’INSEE refuse de faire visiter la Pyramide des âges.

« Eva Joly : l’équipe dévoilée en novembre. » Pour l’instant, ils ont encore trop honte.

Dimanche soir, sur TF1, DSK devrait vraisemblablement présenter sa vision offensive du libre échangisme.

Primaires. Sarkozy a mis 6 mois à libérer la Libye, les socialistes 3 heures à libérer l’antenne.

François Hollande menace : « Si je sors pas vainqueur des primaires, je fais animatrice Weight Watcher. »

Arnaud Montebourg, c’est un Mélenchon de droite, mais de gauche quand même. J’ai juste ?

Amis poivrots, méfiez-vous : Jean-Michel Baylet n’est pas l’inventeur du Bailey’s !

Si j’ai bien tout suivi, DSK ne sera pas candidat aux primaires…

Société générale. Banquier, un métier dégradant !

« Kennedy plaisantait sur son assassinat. » Beaucoup plus avant qu’après.

On a retrouvé le gagnant de l’Euromillion. Il s’appelle Geórgios Papandréou et il n’habite pas Caen.

« Raffarin au petit-déjeuner de la majorité » Ils l’ont beurré, trempé dans le café et bouffé.

« Ben Laden voulait perturber la présidentielle de 2007. » Mais Ségolène Royal l’a pris de court.

Dis, toi, t’emmènerais tes gosses dans un parc à thème dont l’attraction principale serait Jean-Pierre Raffarin ?

« Kadhafi serait cerné, selon le CNT. » Je lui conseillerais bien un petit soin reliftant contour de l’oeil, mais ça va faire chochotte…

Leur théorie des gendres, c’est un truc de belles-mères !

« Thibault : “triple zéro” au gouvernement.» Il a été nommé ministre ?

« Delanöe : “printemps arabe en Chine”. » Et un nems-couscous pour la 10, un !

« Homo erectus cuisait déjà ses repas. » Il a tous les talents, DSK.[/access]

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Rendez-vous en terre inconnue

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Grâce à la complicité d’un technicien de la société de production de la célèbre émission de France 2, Rendez-vous en terre inconnue, j’ai pu assister incognito à l’enregistrement de la prochaine émission dont la guest star est le journaliste Jean Quatremer, correspondant de Libération auprès de l’Union européenne , à moins que ce ne soit l’inverse. Frédéric Lopez a souhaité extraire son invité de son bureau bruxellois pour l’amener dans une contrée qui lui est inconnue : la démocratie.

J’ai décidé, en avant-première, de réserver les moments les plus forts de l’émission aux lecteurs de Causeur, un peu comme un journal livre les bonnes feuilles d’un livre.

– Frédéric Lopez : « Jean, avant de prendre l’avion, nous allons nous déplacer pas très loin d’ici, à Bruxelles, dans une grande brasserie, pour assister ensemble à une scène qui constituera pour vous une grande expérience. »

Arrivés à la brasserie, Frédéric et Jean rencontrent un groupe d’une trentaine de convives dont on devine très vite qu’ils sont ici en séminaire et que les frais de restauration sont pris en charge par leur entreprise. Le serveur leur signale que la formule choisie leur donne droit à de l’eau plate ou de l’eau gazeuse au choix, sachant que leur décision s’imposera à tout le groupe. Très vite, un débat s’engage entre les partisans de l’eau plate et ceux de l’eau gazeuse. Jean regarde, interloqué et légèrement amusé. C’est au moment où l’un des convives décide de soumettre la décision aux vote des convives que des perles de transpiration commencent à couler sur ses tempes.

– Jean Quatremer : Un vote ? Mais l’entreprise qui paie le repas n’a pas édicté de directive pour éviter une telle perte de temps ?

– Frédéric Lopez : Non. Ils votent. Et ensuite, la décision s’impose à tous.

– Comme c’est curieux !

– Je suis très fier de vous, Jean. Nous avons tenté ce genre d’expérience avec Dominique Reynié. Nous avons dû l’évacuer très rapidement. Il est entré dans une crise de convulsions grave. Il criait : « Populisme, populisme ». Et il a vite perdu connaissance.

– Quand même, il n’y a pas de quoi. C’est vrai que c’est très étonnant, cette méthode mais il n’y a pas de quoi en être malade.

Ensuite, Jean et Frédéric prennent l’avion. Ils arrivent très vite en Islande où un nouveau référendum est organisé sur un projet de modification de la loi bancaire. Un parlementaire explique les tenants et aboutissants du projet et lui dit sa foi dans le fier peuple islandais, libre et souverain. Malgré la faible température règnant à Reykjavik à cette époque de l’année, Jean transpire à grosses gouttes. Il est pris de tremblements.

– Quelle peuplade curieuse ! Comment peut-on avoir une telle confiance dans la population ? C’est dangereux quand même ! Vous n’avez pas peur que le peuple cède à la démagogie, qu’il plonge le pays dans les heures les plus sombres de son Histoire ?

– Tout se passe bien, vous savez. Les Islandais ont déjà pris des décisions importantes. Notre pays s’en sort plutôt bien.

– Mais s’ils prennent la mauvaise décision ?

– Le peuple prendra la bonne décision car cela le concerne au premier chef.

Jean, qui n’est pas la moitié d’un con, a remarqué le caractère insulaire de la fière Islande. Il met sur le compte de cette particularité le fait que des hommes en uniforme munis de brassards ne défilent pas au pas de l’oie dans les rues de la capitale.

– En Europe, ce ne serait pas possible, Frédéric, ce serait inimaginable !

– Détrompe-toi, Jean. Nous partons pour un pays d’Europe.

Après quelques heures de vol et un atterrissage à Zurich, puis quelques autres en voiture, c’est dans une vallée de Suisse alémanique que Jean retire de ses yeux le traditionnel bandeau de l’émission. Tous les citoyens sont réunis sur une place pour une votation d’initiative populaire. La question porte sur le rétablissement des notes à l’école primaire, que le gouvernement cantonal avait supprimées il y a quelques années. Jean interroge le président de l’association de parents d’élèves qui a lancé la pétition d’initiative populaire.

– Ce sont eux qui ont décidé de la question ? Ils proposent de censurer l’avis des spécialistes ?

– Oui, les gens trouvaient que leurs enfants travaillaient moins. Alors ils ont lancé la pétition. Ils ont obtenu beaucoup de signatures et aujourd’hui on vote. C’est la Suisse. C’est la démocratie.

– Mais, c’est du fascisme. C’est la prime à la démagogie.

Jean perd son sang-froid. Sa respiration se fait plus haletante. Devant ses yeux, un brouillard. Il s’évanouit dans les bras de Frédéric Lopez après avoir avoir murmuré :« ce sont des nazis, ramène moi à Bruxelles… ». La boîte de production avait prévu ce malaise. Pendant tout l’enregistrement, une assistance médicale se tenait prête. C’est sous assistance cardiaque et respiratoire que Jean Quatremer a retrouvé Bruxelles.

Requinqué par l’audition d’un représentant la task-force venu indiquer les dernières mesures prises à Athènes sous l’égide de l’Union européenne, il a retrouvé -je tiens à rassurer les lecteurs- un très bon état de santé.

Un « malentendu » entre Marine Le Pen et Israël ?

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Avant-hier soir, Marine Le Pen peaufinait ses public relations à New York. Après une entrevue éclair[1. Dix minutes montre en main, soit à peine le temps d’une incartade extraconjugale dans la suite d’un Sofitel !] avec Ron Paul, leader du très libertarien Tea Party, dont on se demande d’ailleurs ce qu’il a de commun avec le nouveau programme économique du Front National, la candidate à la présidentielle cherchait à soigner son carnet d’adresses diplomatique.

Pour ne rien gâcher, une petite opération « dédiabolisation » était au menu, avec une conversation impromptue de vingt minutes en compagnie de l’ambassadeur d’Israël à l’ONU. Ron Prosor affirme aujourd’hui avoir rencontré Marine Le Pen « par inadvertance » au cours d’un déjeuner qui réunissait des dizaines d’invités à la mission française des Nations-Unies, ce qui ne l’a néanmoins pas empêché de « beaucoup appréci(er) » ses conciliabules avec son hôte du jour. Du côté de la chancellerie israélienne, on a parlé de « malentendu » avant de carrément dénoncer la « bourde » de Prosor. La faute au fameux « point de détail de l’histoire » de Le Pen père, toujours pas passé au pays de Yad Vashem. Une déclaration fort malheureuse qui hante encore la mémoire de sa fille, en témoigne son acharnement à dénoncer l’antisémitisme dans nos banlieues, mais aussi ses prises de position géopolitiques qui se démarquent nettement des tropismes arabo-iraniens de son paternel.

En Israël et ailleurs, certains expliquent que la distraction de Ron Prosor ne serait pas sans rapport avec un autre « malentendu » : celui qui a poussé la France à voter l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO…

Le sourire de l’enfant mort

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Photo : uncultured.

On ne devrait jamais se réjouir trop vite à la lecture des gazettes. A peine apprenait-on que le gouvernement grec se rappelait avec Aristote que la finalité de la politique, c’est quand même le bien commun et décidait de demander son avis au peuple par voie référendaire, qu’on lisait dans la rubrique des faits divers qu’une femme de 38 ans, SDF vivant sous une tente dans le XIVème arrondissement, accouchait d’un bébé mort-né.

Devant une telle horreur, il est hors de question de se livrer à quelque récupération politique que ce soit. Quand bien même pourrait être mise en cause la politique du ministre Benoist Apparu qui préfère le logement social durable à l’hébergement d’urgence mais sans aucun moyen réel[1. On se souvient de la démission récente de Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, devant l’absence de perspective pour résoudre ce scandale durable], je ne suis pas naïf : j’ entends parler, depuis des décennies, tous gouvernements confondus, et en général au moment des élections, de l’ardente obligation de trouver un logement digne de ce nom pour tous. Et depuis des décennies, je sais qu’on crève de froid dans les portes cochères ou qu’on grille brûlés vif dans les hôtels pourris des marchands de sommeil.

De toute façon, dans la meilleure des sociétés possibles, celle qui assurerait à tous pain, logement, santé et éducation, il se trouverait toujours des malheureux pour passer aux travers des mailles du filet de toutes les protections et mourir dans la rue. Patrick Declerck dans Les naufragés, livre magnifique de colère et de désespoir écrit par ce médecin qui s’est occupé d’eux jusqu’à ne plus savoir s’il les détestait ou s’il les aimait, ne dit pas autre chose. Tout juste peut-on remarquer que l’on meurt moins de cette façon dans ces social-démocraties si décriées aujourd’hui et que les premiers SDF sont apparus massivement sur les trottoirs new-yorkais au début du reaganisme avant d’être chassés loin du centre par Giulani, moderne Tartuffe qui voulait cacher ces mourants qu’il ne saurait voir.

Mais revenons à ce bébé mort, ici et maintenant, dans la France de 2011. Pourquoi, comme tant d’autres je pense, me suis-je senti partagé entre désespoir et colère à la lecture de ce « fait divers » ?
Parce qu’il y a dans cette mort l’idée d’une profanation symbolique, d’un véritable déni métaphysique. Je m’explique. Noël n’est pas très loin, dans quelques semaines. La Nativité. La venue du divin enfant, du sauveur. Et que s’est-il passé, mardi 1er novembre, sinon une anti-Nativité ?

Il n’y a eu ni rois mages, ni crèche, ni âne, ni bœuf. Je n’invoque pas Marx pour alimenter ma rage mais l’autre rameau de mon éducation, l’autre grande émancipation qui m’a formé, celle de l’Evangile. Je n’ai pas la Foi ? Hélas pour moi. Il n’empêche que je sais comme quelques milliards d’hommes que la naissance du Christ est la promesse d’une rédemption et qu’il y a plus de deux mille ans, un enfant apportait un message d’amour et de libération.

Soit dit en passant, les intégristes catholiques ont bien tort d’avoir manifesté contre une pièce de théâtre ces derniers jours. Croire qu’il y a une blessure supplémentaire pour le Christ aux outrages à cause d’une œuvre d’art, c’est oublier ce que Bernanos faisait dire à son Curé de campagne à propos des offenses faites à Jésus : « Vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe ? Cela est déjà fait. »

Sauf, peut-être, cet enfant mort qui ne pourra annoncer aucune bonne nouvelle. Sa mort nous renvoie à notre faillite à tous, à nos lâchetés, à nos égoïsmes, à notre immense inattention aux plus faibles qui signe notre arrêt de mort, un arrêt de mort qui arrivera un jour où l’autre.

Il existe un très beau mystère dans la religion catholique qui explique un peu cela, c’est celui de la communion des saints. Léon Bloy, chrétien flamboyant et brutal qui a écrit dans Le sang des pauvres des phrases contre les bourgeois qui feraient passer L’insurrection qui vient pour un libelle quasi inoffensif, la définit ainsi : « Il y a une loi d’équilibre divin, appelée la Communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le démérite d’une âme, d’une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolument des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. »

Cela veut dire que nous sommes tous responsables de tous, qu’il n’y a pas de balance commerciale entre nos bonnes et nos mauvaises actions et que l’on pourrait espérer s’en tirer en présentant des comptes légèrement excédentaires en faveur du Bien.

Un jour ou l’autre, le sourire qu’on ne verra jamais de cet enfant mort de misère pourrait bien faire s’écrouler tous nos empires dans un effondrement dont on cherchera vainement les causes. L’on pensera à tout, absolument à tout, sauf à un petit cadavre froid dans la rue d’un pays riche qui ne savait plus partager.

Pétanque à Kandahar

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Province de Kandahar. Photo : lafrancevi.

Voilà que vient de paraître un livre de plus, que vous ne lirez sans doute jamais, sur la guerre en Afghanistan : Les brouillards de la guerre. Dernière mission en Afghanistan. Vous ne le lirez pas parce que la guerre en Afghanistan ne vous intéresse pas. Faisant preuve d’une grande lucidité, son auteur, Anne Nivat, remarque : « Tout conflit qui dure finit par lasser et on préfère finalement l’oublier ». En effet, hormis une brève période de « grâce médiatique » à son déclenchement à l’automne 2001, la guerre en Afghanistan avait presque réussi à se faire oublier. Jusqu’au 18 août 2008 au moins, date à laquelle une section de parachutistes du 8e RPIMa et un élément du régiment de marche du Tchad (RMT) sont tombés dans une embuscade dans la vallée d’Uzbin, les Français faisaient semblant d’ignorer qu’ils avaient des soldats engagés en Afghanistan. Mais il est difficile d’ignorer la mort au combat de dix hommes. S’est alors produit ce que Jean-Dominique Merchet appelle « l’effet Palestro » en référence aux gorges de Palestro en Kabylie où un groupe de soldats français s’était fait décimer, le 20 mai 1956. Le choc de l’opinion publique à l’annonce de leur mort avait provoqué la prise de conscience collective de la participation de la France à une guerre atroce. Comme cela avait été le cas pour la guerre d’Algérie, il a fallu attendre un événement dramatique pour que l’opinion se « réveille » et reconnaisse, nonens volens, que la France était activement engagé dans une guerre en Afghanistan. Et Jean-Dominique Merchet en spécialiste des questions militaires de noter : « Le temps de l’opinion publique n’est pas celui des historiens ni celui des acteurs politiques. Il n’est même pas celui des journalistes. ». Un constat qui n’est que partiellement juste…

Car il y a encore quelques journalistes qui, comme Anne Nivat, revendiquent le droit à « la lenteur » et s’octroient le luxe de pratiquer le reportage « à l’ancienne ». Cela suppose une présence quasi continue sur le terrain, une considérable prise de risques, un mélange de patience, d’abnégation, et d’humilité afin de nouer un réseau de contacts locaux sans chercher à séduire les lecteurs. Anne Nivat se consacre au journalisme anti-scoop. Cela force le respect. Mais cela peut également agacer… Car dans l’idée du « reportage à l’ancienne » il y a une promesse, sinon une prétention, à présenter « tous » les points de vue, une pléthore d’opinions diverses pour ne pas dire contradictoires. De fait, Les brouillards de la guerre décrit la guerre telle qu’elle est vécue des deux côtés : par les soldats de l’OTAN comme par la population afghane.
L’immense mérite de cette approche est de restituer la complexité de la situation, analysant minutieusement les us et coutumes des militaires d’une part, des civils afghans d’autre part, révélant le décalage entre les intentions des premiers et le ressenti des seconds.

Cependant, cette méthode fait de l’Afghanistan d’Anne Nivat un pays dilué dans l’objectivité journalistique. Un pays où tout le monde a quelque part raison, ce qui revient à dire que personne n’a complètement tort, que tout le monde est d’une manière ou d’une autre responsable du regain de violence et donc que personne n’est entièrement responsable. Mais le souci d’impartialité de l’auteur semble aussi lui interdire tout sens de l’humour. Anne Nivat remet à ses lecteurs un document sérieux, un témoignage prude et sans la moindre concession à toute ironie ou persiflage aussi innocents qu’ils puissent être. Comme si l’absurdité de la guerre en général, et de cette guerre en particulier, interdisait tout rire ou sourire.

Un exemple parmi d’autres : à l’hiver 2010-2011, Anne Nivat fait un passage à Kandahar Airfield, dite KAF, deuxième base militaire alliée en Afghanistan après celle de Bagram. L’extravagance louftingue des lieux n’échappe pas au regard du grand reporter : les promenades baptisées du noms de grandes villes américaines, les salons de massage, les centres de récréation, les pancartes plus hilarantes les unes que les autres, comme celle avertissant le personnel féminin du risque d’ « assauts sexuels » ou telle autre incitant les soldats français à s’inscrire à un concours de pétanque. Bref, c’est savoureux. Reste que le style choisi pour la narration n’a pas assez de fougue pour libérer un fou rire cathartique chez le lecteur.

Cette insipidité stylistique, volontaire ou non, n’est pas sans intérêt lorsque Anne Nivat s’attaque aux questions tactiques de la chose militaire. La sacro-sainte stratégie de la contre-insurrection (COIN), défendue successivement par le général Stanley McChrystal, ancien commandant des forces de la coalition, puis par son successeur, David Petraeus, est ainsi examinée à l’épreuve du terrain pour conduire au décevant constat de son inadéquation quasi totale au caractère du conflit. Trop coûteuse et trop exigeante en termes de durée de l’engagement (il faudrait au moins vingt ans pour instaurer une confiance mutuelle entre les militaires et la population), elle s’avère aussi trop contraignante pour être efficace. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les « règles d’engagement » ou, autrement dit, le corpus des droits en matière d’ouverture du feu. La COIN, dans l’objectif est de protéger les civils, impose des restrictions tellement sévères que les insurgés peuvent in fine agir sans être trop inquiétés. Embarquée avec une compagnie de parachutistes québécois, Anne Nivat recueille en outre les paroles de soldats frustrés et désorientés qui lui confient leurs difficultés à accomplir un travail humanitaire pour lequel ils n’ont été aucunement préparés.

En dépit d’efforts de compréhension et de cohabitation pacifique, sans parler des liasses de billets verts distribuées à gogo, les soldats de l’OTAN restent des étrangers aux yeux des Afghans. Ceux avec lesquels la journaliste, dissimulée sous son châdri bleu, partage son quotidien, comparent la situation actuelle avec l’époque de l’invasion soviétique et qualifient les soldats alliés d’« occupants ». Détrompez-vous, il ne s’agit pas uniquement d’insurgés ou de primitifs barbus. D’ailleurs, Anne Nivat répète à qui veut l’entendre que les talibans constituent « une émanation de la population et pas son élément extérieur ». Le problème est que la majeure partie de la population afghane aspire à vivre en dehors du diktat des occidentaux, dans la paix, certes, mais selon ses propres lois et traditions. Que faire des enquêtes indiquant que les Afghans appuient le retour de la charia et les exécutions publiques ? Que dire aux 80 % de parents afghans qui refusent à laisser leurs filles aller à l’école quand bien même les occidentaux passent leur temps à construire des bâtiments scolaires dans les zones les plus reculées d’Afghanistan ? Comment s’en sortir ?

Bien sûr, Anne Nivat évoque la solution dont tout le monde parle depuis un moment : « l’afghanisation ». Cette appellation désigne le transfert progressif des responsabilités politiques et militaires des forces de l’OTAN aux forces afghanes. En théorie, ça sonne bien. En réalité, il n’y a personne vers qui transférer les responsabilités de quoi que ce soit, étant donné l’extrême faiblesse du pouvoir politique, à commencer par la présidence contestée de Hamid Karzaï et l’incompétence de la jeune police afghane. Quant au niveau d’entraînement de l’armée nationale afghane (ANA) il est facile de se le représenter dès qu’on réalise que les soldats onusiens craignent, plus que toute autre chose, les tirs accidentels de leurs camarades de l’ANA.

Que reste-il donc à faire ? Le livre d’Anne Nivat n’apporte pas de réponse à cette question. Il serait bien de débattre, dit l’auteur, sur l’engagement de la France en Afghanistan, comme d’autres pays européens engouffrés dans le même pétrin l’ont déjà fait. 56 % des Français souhaitent le retour de leurs soldats. Mais sur quels arguments et quelle connaissance de la situation se basent-ils ? Il est sain et sensé de s’opposer à une guerre, surtout lorsqu’on ignore sa raison d’être, son déroulement, ses tenants et ses aboutissants. Certes, l’incompétence de la société française en la matière ne résulte pas uniquement de son très faible intérêt pour les problèmes géopolitiques en général et la situation afghane en particulier. Les Français, dont 50 000 soldats sont passés par l’Afghanistan depuis 2002, ont du mal à se représenter une guerre qu’on ne leur montre ni ne leur explique qu’à de rares occasions, souvent liées à des événements tragiques. La responsabilité de cet état de fait revient autant à l’armée qui communique mal et se méfie des journalistes, qu’aux journalistes qui se focalisent sur les événements spectaculaires mais pas nécessairement représentatifs de processus plus généraux.

En ce sens, contrairement aux souhaits d’Anne Nivat, il paraît peu probable que la campagne présidentielle de 2012 se saisisse rationnellement du sujet. On peut le regretter mais sans doute assisterons-nous à un échange d’arguments politico-politiciens, en total décalage avec la réalité de la situation vécue sur place. Les brouillards de la guerre sur la table de chevet d’un Nicolas Sarkozy ou d’un François Hollande… Vous y croyez, vous ?

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Faire campagne sur les chiffres, un mauvais calcul pour le PS

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Couverture de Paris-Match 17 mars 2005

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pierre Haski débattent du programme du PS.

Six mois avant l’élection présidentielle, une chose est déjà certaine : pour le PS, c’est raté. Si Nicolas Sarkozy n’est pas assuré d’être réélu − tant s’en faut −, le Parti socialiste a en tout cas raté l’occasion de proposer un véritable choix aux électeurs. Certes, François Hollande pourrait être le prochain président de la République, mais s’il est élu, ce ne sera pas pour son « programme ».

Sur les questions de fond, c’est-à-dire l’Europe et la dette, les propositions de François Hollande ne diffèrent guère de celles de Sarkozy. Tous deux entendent accélérer l’intégration européenne d’un côté, réduire la dette sans casser la croissance de l’autre. En clair, ils proposent d’avancer vers un ministère européen des Finances qui disposerait d’un droit de regard sur les budgets des États-membres, afin de pouvoir réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts. Tout cela, bien sûr, sans casser une croissance déjà moribonde.

Au lieu d’une véritable alternative politique, le PS a concocté un paquet de « mesures concrètes ». Tellement concrètes qu’à l’instar des 60 000 postes dans l’enseignement et des 300 000 emplois jeunes/seniors, elles ont été sérieusement déplumées par le feu croisé des candidats aux primaires. Mais les socialistes ne se sont pas contentés d’être concrets ; ils ont aussi voulu paraître sérieux. Ils ont donc chiffré leurs projets, offrant ainsi une cible facile à leurs adversaires. Un projet doit certes être crédible, mais avant tout défendre une vision du monde au lieu de présenter des tableaux Excel en guise de manifeste politique.

Le lâchage pur et simple du projet par Jérôme Cahuzac, président PS de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, révèle les limites de ce « programme ». Adopté en mai sur la base d’une prévision de croissance fantaisiste, le projet PS ne pouvait qu’être caduc quelques mois plus tard. Du coup, les dirigeants du parti doivent admettre que leur programme est irréaliste et qu’ils n’en appliqueront qu’une partie, sans préciser quelles mesures seront privilégiées. Mais ce n’est pas tout. Au lieu de s’assumer et de proposer une réforme fiscale digne de ce nom qui augmenterait les impôts dans le but de réduire massivement les écarts de richesse, le PS cherche à financer son budget fantôme et tombe dans un deuxième piège : les niches fiscales et sociales. Voilà où se cacheraient les milliards ! Raté : les niches sont un mirage financier !

Commençons par les niches sociales. Ces allègements du coût du travail − comme la réduction des charges sociales sur les bas salaires, qui représente à elle seule un manque à gagner annuel de 21 milliards − sont jugées (très) efficaces par la Cour des comptes. Leur suppression coûtera donc plus cher que leur maintien… Quant aux niches fiscales, elles agissent comme des opérations de discount. Vous vendez un produit 20 euros avec 50% de remise, vous en écoulez 10 exemplaires et votre chiffre d’affaires atteint 100 euros. Comme vous subissez un manque à gagner théorique de 100 euros, vous décidez de mettre fin au scandale en rétablissant le prix d’origine. Sauf qu’à 20 euros le produit, vous en vendez moins et votre chiffre d’affaires s’effondre. Or, dans son projet, le PS a compté les 100 euros de manque à gagner comme de l’argent frais qui entrera en caisse dès que la remise sera annulée. Ainsi, la suppression de la niche la plus décriée, dite « Copé », qui aurait coûté 22 milliards d’euros à l’État en trois ans, ne rapportera pas 22 milliards, ni même 9 ou 10 (le coût de cette niche selon la Cour des comptes). Et voilà que s’évanouissent les moyens qui devaient financer les « mesures concrètes »…

Mais le pire est le fiasco de la « règle d’or ». Dans leur obsession de garder leur « triple A », les socialistes se sont joints à une initiative absurde de l’UMP : interdire la dette par la Constitution ou, a minima, par la Loi. Quelle absurdité ! S’il en a la volonté politique, rien n’empêche en effet un gouvernement démocratiquement élu d’abaisser le niveau de la dette. Dans le cas contraire, rien ne l’empêchera de s’endetter jusqu’au cou. Ne serait-ce que pour cette faute politique, les socialistes méritent de perdre l’AOC « Gauche ».

Niveau calendrier, le PS a mis la charrue avant les bœufs, l’élaboration du programme ayant précédé le choix du candidat. Pas fou, le vainqueur des primaires s’est débarrassé de la camisole du projet socialiste sans même laisser aux militants le temps de faire leur deuil. Enfin, il faut se rendre à l’évidence : durant les primaires, les électeurs de gauche ont massivement voté pour le candidat qui, après Valls, était perçu comme le moins à gauche (on exclura du champ le fantôme Baylet) et le plus pragmatique, bref, le plus capable, comme son modèle François Mitterrand, de faire une chose et son contraire. Autrement dit, ils ont privilégié la personnalité du candidat au détriment des idées. Puisqu’on reproche à Sarkozy son comportement pendant la première moitié de son mandat, les électeurs socialistes ont choisi un autre homme − à défaut d’une autre voie. De ce point de vue, François Hollande représente bel et bien une alternative au Président de la République : difficile de trouver une personnalité plus différente de celle de l’homme du Fouquet’s et du bouclier fiscal que celle du député de Corrèze. C’est un choix légitime qu’il faut tout simplement avouer et assumer au lieu de faire semblant d’avoir un « programme ».

En face, Nicolas Sarkozy a intériorisé ces critiques et joue désormais l’homme d’État pragmatique, discret et pédagogue. L’ennui, c’est que, grâce aux socialistes, les deux candidats majeurs à l’élection présidentielle de 2012 se font réellement concurrence non pas sur des idées et des projets mais sur une seule et unique question : qui ressemble le moins au Nicolas Sarkozy de 2007 ?

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Causeur Magazine numéro 41 : Vivre ensemble, la leçon d’Alain Finkielkraut

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« Je suis né à Paris le 30 juin 1949. J’ai donc grandi et passé une partie de ma vie d’adulte, personnelle et professionnelle, dans une France bien différente de celle que nous habitons aujourd’hui. Dans cette France de naguère, on croyait à la politique, c’est-à-dire à la force de la volonté collective, on avait foi dans le pouvoir des hommes de façonner leur destin. Dans cette France d’autrefois, l’Histoire semblait porteuse de sens. »

Ainsi commence le texte long, dense et cristallin qu’Alain Finkielkraut a confié à son amie Elisabeth Lévy pour les lecteurs de Causeur. Ces 20 pages, directement issues de sa leçon à la nouvelle promotion de l’Ecole Polytechnique portent sur un sujet délicat entre tous, la crise du «vivre-ensemble». Un texte comme il est l’un des rares dans ce pays à savoir en faire, personnel et universel. N’étant pas sot au point de tenter de vous résumer son propos, je laisse la parole à Elisabeth, qui en fait une description inspirée dans son texte introductif: « Il ne suffisait pas de déjouer les pièges du politiquement correct pour percer la vérité profonde d’un phénomène qui se déploie dans la grammaire fragmentée de l’actualité. Cheminant à travers les événements du présent en compagnie des auteurs du passé, explorant les soubassements, repérant les minuscules fissures qui deviendront des lézardes béantes, Alain Finkielkraut expose la généalogie cachée de ce qui nous arrive ».

Vous l’aurez compris, avec cet incroyable cadeau, et tout le dossier qui l’entoure (on y retrouvera notamment l’essayiste américain Christopher Caldwell, qui vient de publier Une Révolution sous nos yeux. Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe), ce quarante et unième numéro s’est donc métamorphosé en numéro spécial de 64 pages, toujours 100% inédites.

Qui dit numéro spécial dit tarif ad hoc, exceptionnellement ce numéro sera vendu, à l’unité 6,50 € au lieu de 5,50 €. Vous échapperez bien sûr à cette spirale inflationniste si vous êtes déjà abonné, ou si vous profitez de l’occasion pour le faire, ou encore, si besoin est, si vous vous réabonnez.

Rappelons en outre qu’il est désormais possible de s’abonner uniquement à l’édition en ligne (34,90 € pour accéder à tous les articles verrouillés pendant 1 an) ou pour ceux qui ne connaissent pas encore le magazine, de le découvrir grâce à notre formule Découverte (12,90 € le numéro en cours + les 2 prochains).

Si vous n’êtes pas content avec tout ça, je peux plus rien pour vous, les amis !


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Vive la contre-révolution sexuelle !

Richard Allan et Brigitte Lahaie dans « Brigitte et moi »

Laurent de Sutter, ce jeune philosophe belge qui partit d’un si bon pas en déclarant à la face du monde son Indifférence à la politique (PUF, 2008) nous revient aujourd’hui avec Contre l’érotisme, un petit livre sur l’orgasme (La Musardine, 2011). Mais le lecteur salace sera déçu. Ici, nul éloge des seins mûrs ou des jeunes filles. Ce petit opuscule se veut intégralement philosophique.

Il faut dire que Laurent de Sutter jouit d’une perversion très rare : c’est un fétichiste des chevilles logiques. Rien ne l’excite comme une proposition métaphysique si ce n’est, peut-être, la possibilité de lier deux propositions métaphysiques. Appliqué au plaisir, le résultat est étonnant. Il y avait un empirisme logique, il y aura désormais une pornographie logique[access capability= »lire_inedits »], ce qui constitue une excellente nouvelle pour la pensée.

En chercheur appliqué (on ne saurait trop recommander sa reconstitution du système juridique de Gilles Deleuze, un chef-d’œuvre), Sutter commence par se faire l’archiviste d’une sorte de bêtise propre à une époque qui confond émancipation politique et révolution sexuelle. Certes, cette confusion est moderne, sympathique, charmante, engageante, mais elle est encore pire que le règne de la technique à laquelle nous devons la destruction irréversible de la mince couche d’ozone qui devait nous protéger du soleil, c’est-à-dire de la mort. Depuis que Reich a lancé sa fatwa contre les frustrés, la révolution du bonheur génital est en marche et rien ne l’arrêtera, pas même la dépression des pauvres âmes qu’elle devait libérer. La gymnastique au pieu est devenue l’horizon indépassable de la modernité. La question angoissante du contemporain épanoui n’est pas: « Qu’est-ce que la vie bonne ? », mais « Et pour toi, c’était bon ? » La misère sexuelle est devenue notre hantise. Exploiter ses contemporains, passe encore, mais ne pas jouir de son petit organe, voilà le crime.

Comment sortir de cette jouissance obligatoire pour tous ? Comment sortir de cette obsession du sexe ? Mais par la pornographie, voyons ! Telle est la thèse, il est vrai paradoxale, de ce tractatus plein d’allant qui revisite complètement le lien entre érotisme et pornographie.

Vous pensiez que la pornographie banalise ce que l’érotisme transgresse intelligemment ? Vous aviez tort. La transgression n’est qu’une ressource érotique parmi d’autres, et pas nécessairement la plus intelligente. Quant à l’amour, il est une perversion parmi d’autres, et pas toujours la plus jolie-jolie.

C’est dire si la pornographie exerce une fonction de désublimation du plus grand intérêt. Si l’amour prétend jouir de l’unique sous l’espèce de la totalité (tu es tout pour moi), la pornographie est le mouvement qui nous permet de nous défaire de cette prétention stupide au bonheur qui est une prétention stupide à l’unité. À l’unité rêvée des amants, Laurent de Sutter oppose la pratique concrète des plaisirs au regard de laquelle l’identité, au bout du compte, n’a aucune importance. S’il fallait résumer sa philosophie, on dirait que, si on ne peut pas jouir du tout, on peut jouir de tout. Mais, bien sûr, pas avec n’importe qui.[/access]

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Chez Ikea, le mari est un meuble comme les autres.

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Ikea est une marque suédoise, et la Suède, c’est le progrès. C’est en tout cas ce que nous assènent régulièrement nos amis sociaux-démocrates, excipant plus volontiers du modèle nord-européen que de l’œuvre de John Rawls lorsqu’il s’agit de nous rappeler ce que signifie « l’égalité ».

Dans une de leurs succursales australiennes, les magasins Ikea viennent de pousser à son comble la mise en œuvre de la néo-égalité femme-homme. Si l’on accepte bien sûr de considérer qu’« égalité » et « universalisme » sont totalement étranger l’un à l’autre, et que le bonheur parfait ne nécessite qu’un simple renversement des mécanismes de domination. Le collectif Osez le féminisme aurait tôt fait de beugler « on a gagné ! » s’il venait à découvrir la création d’un Luna-Park matriarco-expérimental au sein même de l’Ikea de Sydney.

Les spécialistes de meubles en kit viennent en effet de créer la première garderie…pour hommes. Désormais, Madame peut aller acheter tranquillement le sèche-linge que, bien évidemment, elle utilisera seule, après avoir rangé Monsieur dans une salle « aménagée avec des baby-foot, des flippers, des écrans de télévision et de confortables canapés pour les regarder ».

Les usagers mâles de ce concept révolutionnaire doivent être ravis, notamment les passionnés de baby-foot, qui représentent 99,9% de la population masculine mondiale, comme chacun sait. Il ne manque finalement à ces crèches pour mecs que quelques jeunes suédoises aux jambes interminables et juchées sur patins à roulettes pour venir leur enfourner dans le bec quelques biberons de Kanterbräu.

Par ailleurs, que Madame se rassure. Si le sèche-linge qu’elle convoite semble présenter quelque malfaçon d’ordre mécanique, elle pourra aisément siffler Monsieur pour qu’il vole à son secours. En effet, dans ce Mänland, « chaque femme est équipée d’un bipeur » lui permettant de sonner son Jules si nécessaire.

D’après nos sources, les boutiquiers suédois ne savent pas encore s’ils vont généraliser leur délicieuse invention. Pour notre part, nous ne saurions trop leur conseiller de travailler sur le concept de « kit romance », au cas où quelque client-e rétrograde viendrait à se languir du temps fort lointain où l’amour, c’était poétique.

Et pourquoi pas, bientôt, l’avènement de l’homme lyophilisé, à ne déstocker qu’en cas d’urgence reproductrice ? Après tout, le mâle est un meuble comme les autres.

Autodafé à Paris : c’est la faute à Voltaire !

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Photo : Amnesty.

Parfois, il faut savoir aller contre l’avis de ses amis. Surtout quand ils s’égarent du côté de l’opinion dominante. N’en déplaise à Marc Cohen, il fallait que la vérité fût dite et grâce à Pascal Boniface, c’est chose faite. Oui, si Charlie Hebdo caricature l’islam, c’est parce que c’est vendeur et que les musulmans ne peuvent pas se défendre : mercantiles et en plus lâches, les confrères ! Qu’ils ne nous racontent pas d’histoires, ils le savaient bien, que ce Charia Hebdo allait hérisser les poils de nombreuses barbes. Peut-être même espéraient-ils qu’un dingue ferait ce qu’il a fait. En tout cas, leur petit numéro était un véritable appel à la violence. On pourrait même parler d’une escroquerie idéologique à l’assurance. Au cas où ça vous aurait échappé, ils ont profité de ce microscopique incident pour faire le coup des sans-papiers. Et le résultat, c’est qu’ils sont en train de se goberger à Libé en stigmatisant des musulmans sans défense. Bien joué les gars ! En tout cas, les copains de Libé ne sont pas prêts de se débarrasser de ces invités. Ça leur apprendra à jouer les belles âmes.

Pour ceux qui ignorent encore l’œuvre de ce penseur magistral, rappelons qu’il y a quelques années, Boniface s’est attiré la vindicte du politiquement correct et du lobby que l’on sait en rappelant qu’il y avait en France beaucoup plus de musulmans que de juifs et que le PS devait adapter sa politique proche orientale en conséquence. « Combien de divisions ? », ce respect scrupuleux de la loi du nombre ne devrait-il pas dicter sa conduite à tout démocrate conséquent ? Le même souci de vérité lui fait écrire dans son dernier livre que le Hezbollah est un parti athée – ah non, on m’informe qu’il s’agissait d’une coquille.
Boniface est cohérent. Puisqu’il aime les peuples de Tunisie et de Libye et que les peuples de Tunisie et de Libye aiment la charia, il aime la charia. C’est son droit, non ? La différence entre les démocraties impies et les théocraties éclairées, c’est qu’en démocratie, on a le droit de préférer la théocratie et de l’exprimer librement. C’est aussi un droit – et peut-être un devoir – de dévoiler l’islamophobie qui se cache derrière toute critique de l’islam.

La fin justifie les moyens. Il faut être mesquin comme Richard Malka pour expliquer que Boniface raconte n’importe quoi pour faire passer son point de vue, par exemple que Charlie Hebdo concentre ses attaques sur l’islam. Au moins cela prouve-t-il qu’il ne s’adonne pas en secret à la lecture de ce journal de mécréants. Et qu’il ne fréquente pas de cathos intégristes, lesquels font à peu près un procès par mois à Charlie. Ni de catholiques tout court, ces chochottes n’appréciant pas toujours les « unes » représentant le pape voire le Christ dans des positions embarrassantes.

Pour l’ami Marc Cohen, Boniface et tous ceux qui se sont relayés pour condamner la violence, d’accord, mais plus encore l’irrespect font penser à ces gens qui, quand une femme se fait violer, se demandent si ce n’est pas un peu de sa faute. Eh bien oui, cher Marc, n’est-ce pas un peu de leur faute, à ces gourgandines qui chatouillent la bête en se baladant à peine vêtues, si elles finissent par la réveiller ? De même les confrères qui ont demandé à Charb si ce Charia Hebdo n’était pas la « provoc de trop » ont eu bien raison. C’est vrai, après tout, ils l’ont bien cherché: à jouer avec le feu, on récolte un incendie.

Alors si vous voulez, vous aussi, engueuler ces rigolos qui ne respectent rien, rendez-vous ce dimanche à 15 heures sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris. Au passage, il faudra aussi leur dire qu’une manif le dimanche, c’est pas chrétien.

Je pense donc je twitte

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« Thailande : le twitter du 1er ministre piraté. » Frédéric Mitterrand dément toute implication.

« 600 Nigériens expulsés d’Algérie.» Le ministre de l’Intérieur algérien, M. Ibrahim Guéant, s’estime satisfait.

« Arc de Triomphe : victoire de Danedream. » En même temps, courir contre le Soldat inconnu, c’est pas vraiment du jeu…

« Canada : une femme à la tête de l’Alberta » Paritarisme oblige, la province prend désormais le nom d’Alberto. Elle est bizarre Marie-Paule Belle depuis qu’elle fait de la politique…

Charon guidait nos âmes autrefois en enfer. De la mort aujourd’hui, l’antichambre il conquiert.

Le PS veut nettoyer le Sénat à coup de Lärcher ![access capability= »lire_inedits »]

Grande victoire de l’UMP ! (Dans le canton de Corrèze.)

24 sénateurs de gauche supplémentaires ? Parti de vieux, va !

La différence entre Bush et Obama ? Les injections létales sont prises en charge par l’assurance-maladie.

« Nicolas Sarkozy propose un calendrier à l’État palestinien. » Celui avec les jolis petits chats ou celui avec le canard ?

Journées du Patrimoine. L’INSEE refuse de faire visiter la Pyramide des âges.

« Eva Joly : l’équipe dévoilée en novembre. » Pour l’instant, ils ont encore trop honte.

Dimanche soir, sur TF1, DSK devrait vraisemblablement présenter sa vision offensive du libre échangisme.

Primaires. Sarkozy a mis 6 mois à libérer la Libye, les socialistes 3 heures à libérer l’antenne.

François Hollande menace : « Si je sors pas vainqueur des primaires, je fais animatrice Weight Watcher. »

Arnaud Montebourg, c’est un Mélenchon de droite, mais de gauche quand même. J’ai juste ?

Amis poivrots, méfiez-vous : Jean-Michel Baylet n’est pas l’inventeur du Bailey’s !

Si j’ai bien tout suivi, DSK ne sera pas candidat aux primaires…

Société générale. Banquier, un métier dégradant !

« Kennedy plaisantait sur son assassinat. » Beaucoup plus avant qu’après.

On a retrouvé le gagnant de l’Euromillion. Il s’appelle Geórgios Papandréou et il n’habite pas Caen.

« Raffarin au petit-déjeuner de la majorité » Ils l’ont beurré, trempé dans le café et bouffé.

« Ben Laden voulait perturber la présidentielle de 2007. » Mais Ségolène Royal l’a pris de court.

Dis, toi, t’emmènerais tes gosses dans un parc à thème dont l’attraction principale serait Jean-Pierre Raffarin ?

« Kadhafi serait cerné, selon le CNT. » Je lui conseillerais bien un petit soin reliftant contour de l’oeil, mais ça va faire chochotte…

Leur théorie des gendres, c’est un truc de belles-mères !

« Thibault : “triple zéro” au gouvernement.» Il a été nommé ministre ?

« Delanöe : “printemps arabe en Chine”. » Et un nems-couscous pour la 10, un !

« Homo erectus cuisait déjà ses repas. » Il a tous les talents, DSK.[/access]

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Rendez-vous en terre inconnue

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Grâce à la complicité d’un technicien de la société de production de la célèbre émission de France 2, Rendez-vous en terre inconnue, j’ai pu assister incognito à l’enregistrement de la prochaine émission dont la guest star est le journaliste Jean Quatremer, correspondant de Libération auprès de l’Union européenne , à moins que ce ne soit l’inverse. Frédéric Lopez a souhaité extraire son invité de son bureau bruxellois pour l’amener dans une contrée qui lui est inconnue : la démocratie.

J’ai décidé, en avant-première, de réserver les moments les plus forts de l’émission aux lecteurs de Causeur, un peu comme un journal livre les bonnes feuilles d’un livre.

– Frédéric Lopez : « Jean, avant de prendre l’avion, nous allons nous déplacer pas très loin d’ici, à Bruxelles, dans une grande brasserie, pour assister ensemble à une scène qui constituera pour vous une grande expérience. »

Arrivés à la brasserie, Frédéric et Jean rencontrent un groupe d’une trentaine de convives dont on devine très vite qu’ils sont ici en séminaire et que les frais de restauration sont pris en charge par leur entreprise. Le serveur leur signale que la formule choisie leur donne droit à de l’eau plate ou de l’eau gazeuse au choix, sachant que leur décision s’imposera à tout le groupe. Très vite, un débat s’engage entre les partisans de l’eau plate et ceux de l’eau gazeuse. Jean regarde, interloqué et légèrement amusé. C’est au moment où l’un des convives décide de soumettre la décision aux vote des convives que des perles de transpiration commencent à couler sur ses tempes.

– Jean Quatremer : Un vote ? Mais l’entreprise qui paie le repas n’a pas édicté de directive pour éviter une telle perte de temps ?

– Frédéric Lopez : Non. Ils votent. Et ensuite, la décision s’impose à tous.

– Comme c’est curieux !

– Je suis très fier de vous, Jean. Nous avons tenté ce genre d’expérience avec Dominique Reynié. Nous avons dû l’évacuer très rapidement. Il est entré dans une crise de convulsions grave. Il criait : « Populisme, populisme ». Et il a vite perdu connaissance.

– Quand même, il n’y a pas de quoi. C’est vrai que c’est très étonnant, cette méthode mais il n’y a pas de quoi en être malade.

Ensuite, Jean et Frédéric prennent l’avion. Ils arrivent très vite en Islande où un nouveau référendum est organisé sur un projet de modification de la loi bancaire. Un parlementaire explique les tenants et aboutissants du projet et lui dit sa foi dans le fier peuple islandais, libre et souverain. Malgré la faible température règnant à Reykjavik à cette époque de l’année, Jean transpire à grosses gouttes. Il est pris de tremblements.

– Quelle peuplade curieuse ! Comment peut-on avoir une telle confiance dans la population ? C’est dangereux quand même ! Vous n’avez pas peur que le peuple cède à la démagogie, qu’il plonge le pays dans les heures les plus sombres de son Histoire ?

– Tout se passe bien, vous savez. Les Islandais ont déjà pris des décisions importantes. Notre pays s’en sort plutôt bien.

– Mais s’ils prennent la mauvaise décision ?

– Le peuple prendra la bonne décision car cela le concerne au premier chef.

Jean, qui n’est pas la moitié d’un con, a remarqué le caractère insulaire de la fière Islande. Il met sur le compte de cette particularité le fait que des hommes en uniforme munis de brassards ne défilent pas au pas de l’oie dans les rues de la capitale.

– En Europe, ce ne serait pas possible, Frédéric, ce serait inimaginable !

– Détrompe-toi, Jean. Nous partons pour un pays d’Europe.

Après quelques heures de vol et un atterrissage à Zurich, puis quelques autres en voiture, c’est dans une vallée de Suisse alémanique que Jean retire de ses yeux le traditionnel bandeau de l’émission. Tous les citoyens sont réunis sur une place pour une votation d’initiative populaire. La question porte sur le rétablissement des notes à l’école primaire, que le gouvernement cantonal avait supprimées il y a quelques années. Jean interroge le président de l’association de parents d’élèves qui a lancé la pétition d’initiative populaire.

– Ce sont eux qui ont décidé de la question ? Ils proposent de censurer l’avis des spécialistes ?

– Oui, les gens trouvaient que leurs enfants travaillaient moins. Alors ils ont lancé la pétition. Ils ont obtenu beaucoup de signatures et aujourd’hui on vote. C’est la Suisse. C’est la démocratie.

– Mais, c’est du fascisme. C’est la prime à la démagogie.

Jean perd son sang-froid. Sa respiration se fait plus haletante. Devant ses yeux, un brouillard. Il s’évanouit dans les bras de Frédéric Lopez après avoir avoir murmuré :« ce sont des nazis, ramène moi à Bruxelles… ». La boîte de production avait prévu ce malaise. Pendant tout l’enregistrement, une assistance médicale se tenait prête. C’est sous assistance cardiaque et respiratoire que Jean Quatremer a retrouvé Bruxelles.

Requinqué par l’audition d’un représentant la task-force venu indiquer les dernières mesures prises à Athènes sous l’égide de l’Union européenne, il a retrouvé -je tiens à rassurer les lecteurs- un très bon état de santé.

Un « malentendu » entre Marine Le Pen et Israël ?

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Avant-hier soir, Marine Le Pen peaufinait ses public relations à New York. Après une entrevue éclair[1. Dix minutes montre en main, soit à peine le temps d’une incartade extraconjugale dans la suite d’un Sofitel !] avec Ron Paul, leader du très libertarien Tea Party, dont on se demande d’ailleurs ce qu’il a de commun avec le nouveau programme économique du Front National, la candidate à la présidentielle cherchait à soigner son carnet d’adresses diplomatique.

Pour ne rien gâcher, une petite opération « dédiabolisation » était au menu, avec une conversation impromptue de vingt minutes en compagnie de l’ambassadeur d’Israël à l’ONU. Ron Prosor affirme aujourd’hui avoir rencontré Marine Le Pen « par inadvertance » au cours d’un déjeuner qui réunissait des dizaines d’invités à la mission française des Nations-Unies, ce qui ne l’a néanmoins pas empêché de « beaucoup appréci(er) » ses conciliabules avec son hôte du jour. Du côté de la chancellerie israélienne, on a parlé de « malentendu » avant de carrément dénoncer la « bourde » de Prosor. La faute au fameux « point de détail de l’histoire » de Le Pen père, toujours pas passé au pays de Yad Vashem. Une déclaration fort malheureuse qui hante encore la mémoire de sa fille, en témoigne son acharnement à dénoncer l’antisémitisme dans nos banlieues, mais aussi ses prises de position géopolitiques qui se démarquent nettement des tropismes arabo-iraniens de son paternel.

En Israël et ailleurs, certains expliquent que la distraction de Ron Prosor ne serait pas sans rapport avec un autre « malentendu » : celui qui a poussé la France à voter l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO…

Le sourire de l’enfant mort

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Photo : uncultured.

On ne devrait jamais se réjouir trop vite à la lecture des gazettes. A peine apprenait-on que le gouvernement grec se rappelait avec Aristote que la finalité de la politique, c’est quand même le bien commun et décidait de demander son avis au peuple par voie référendaire, qu’on lisait dans la rubrique des faits divers qu’une femme de 38 ans, SDF vivant sous une tente dans le XIVème arrondissement, accouchait d’un bébé mort-né.

Devant une telle horreur, il est hors de question de se livrer à quelque récupération politique que ce soit. Quand bien même pourrait être mise en cause la politique du ministre Benoist Apparu qui préfère le logement social durable à l’hébergement d’urgence mais sans aucun moyen réel[1. On se souvient de la démission récente de Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, devant l’absence de perspective pour résoudre ce scandale durable], je ne suis pas naïf : j’ entends parler, depuis des décennies, tous gouvernements confondus, et en général au moment des élections, de l’ardente obligation de trouver un logement digne de ce nom pour tous. Et depuis des décennies, je sais qu’on crève de froid dans les portes cochères ou qu’on grille brûlés vif dans les hôtels pourris des marchands de sommeil.

De toute façon, dans la meilleure des sociétés possibles, celle qui assurerait à tous pain, logement, santé et éducation, il se trouverait toujours des malheureux pour passer aux travers des mailles du filet de toutes les protections et mourir dans la rue. Patrick Declerck dans Les naufragés, livre magnifique de colère et de désespoir écrit par ce médecin qui s’est occupé d’eux jusqu’à ne plus savoir s’il les détestait ou s’il les aimait, ne dit pas autre chose. Tout juste peut-on remarquer que l’on meurt moins de cette façon dans ces social-démocraties si décriées aujourd’hui et que les premiers SDF sont apparus massivement sur les trottoirs new-yorkais au début du reaganisme avant d’être chassés loin du centre par Giulani, moderne Tartuffe qui voulait cacher ces mourants qu’il ne saurait voir.

Mais revenons à ce bébé mort, ici et maintenant, dans la France de 2011. Pourquoi, comme tant d’autres je pense, me suis-je senti partagé entre désespoir et colère à la lecture de ce « fait divers » ?
Parce qu’il y a dans cette mort l’idée d’une profanation symbolique, d’un véritable déni métaphysique. Je m’explique. Noël n’est pas très loin, dans quelques semaines. La Nativité. La venue du divin enfant, du sauveur. Et que s’est-il passé, mardi 1er novembre, sinon une anti-Nativité ?

Il n’y a eu ni rois mages, ni crèche, ni âne, ni bœuf. Je n’invoque pas Marx pour alimenter ma rage mais l’autre rameau de mon éducation, l’autre grande émancipation qui m’a formé, celle de l’Evangile. Je n’ai pas la Foi ? Hélas pour moi. Il n’empêche que je sais comme quelques milliards d’hommes que la naissance du Christ est la promesse d’une rédemption et qu’il y a plus de deux mille ans, un enfant apportait un message d’amour et de libération.

Soit dit en passant, les intégristes catholiques ont bien tort d’avoir manifesté contre une pièce de théâtre ces derniers jours. Croire qu’il y a une blessure supplémentaire pour le Christ aux outrages à cause d’une œuvre d’art, c’est oublier ce que Bernanos faisait dire à son Curé de campagne à propos des offenses faites à Jésus : « Vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe ? Cela est déjà fait. »

Sauf, peut-être, cet enfant mort qui ne pourra annoncer aucune bonne nouvelle. Sa mort nous renvoie à notre faillite à tous, à nos lâchetés, à nos égoïsmes, à notre immense inattention aux plus faibles qui signe notre arrêt de mort, un arrêt de mort qui arrivera un jour où l’autre.

Il existe un très beau mystère dans la religion catholique qui explique un peu cela, c’est celui de la communion des saints. Léon Bloy, chrétien flamboyant et brutal qui a écrit dans Le sang des pauvres des phrases contre les bourgeois qui feraient passer L’insurrection qui vient pour un libelle quasi inoffensif, la définit ainsi : « Il y a une loi d’équilibre divin, appelée la Communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le démérite d’une âme, d’une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolument des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. »

Cela veut dire que nous sommes tous responsables de tous, qu’il n’y a pas de balance commerciale entre nos bonnes et nos mauvaises actions et que l’on pourrait espérer s’en tirer en présentant des comptes légèrement excédentaires en faveur du Bien.

Un jour ou l’autre, le sourire qu’on ne verra jamais de cet enfant mort de misère pourrait bien faire s’écrouler tous nos empires dans un effondrement dont on cherchera vainement les causes. L’on pensera à tout, absolument à tout, sauf à un petit cadavre froid dans la rue d’un pays riche qui ne savait plus partager.

Pétanque à Kandahar

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Province de Kandahar. Photo : lafrancevi.

Voilà que vient de paraître un livre de plus, que vous ne lirez sans doute jamais, sur la guerre en Afghanistan : Les brouillards de la guerre. Dernière mission en Afghanistan. Vous ne le lirez pas parce que la guerre en Afghanistan ne vous intéresse pas. Faisant preuve d’une grande lucidité, son auteur, Anne Nivat, remarque : « Tout conflit qui dure finit par lasser et on préfère finalement l’oublier ». En effet, hormis une brève période de « grâce médiatique » à son déclenchement à l’automne 2001, la guerre en Afghanistan avait presque réussi à se faire oublier. Jusqu’au 18 août 2008 au moins, date à laquelle une section de parachutistes du 8e RPIMa et un élément du régiment de marche du Tchad (RMT) sont tombés dans une embuscade dans la vallée d’Uzbin, les Français faisaient semblant d’ignorer qu’ils avaient des soldats engagés en Afghanistan. Mais il est difficile d’ignorer la mort au combat de dix hommes. S’est alors produit ce que Jean-Dominique Merchet appelle « l’effet Palestro » en référence aux gorges de Palestro en Kabylie où un groupe de soldats français s’était fait décimer, le 20 mai 1956. Le choc de l’opinion publique à l’annonce de leur mort avait provoqué la prise de conscience collective de la participation de la France à une guerre atroce. Comme cela avait été le cas pour la guerre d’Algérie, il a fallu attendre un événement dramatique pour que l’opinion se « réveille » et reconnaisse, nonens volens, que la France était activement engagé dans une guerre en Afghanistan. Et Jean-Dominique Merchet en spécialiste des questions militaires de noter : « Le temps de l’opinion publique n’est pas celui des historiens ni celui des acteurs politiques. Il n’est même pas celui des journalistes. ». Un constat qui n’est que partiellement juste…

Car il y a encore quelques journalistes qui, comme Anne Nivat, revendiquent le droit à « la lenteur » et s’octroient le luxe de pratiquer le reportage « à l’ancienne ». Cela suppose une présence quasi continue sur le terrain, une considérable prise de risques, un mélange de patience, d’abnégation, et d’humilité afin de nouer un réseau de contacts locaux sans chercher à séduire les lecteurs. Anne Nivat se consacre au journalisme anti-scoop. Cela force le respect. Mais cela peut également agacer… Car dans l’idée du « reportage à l’ancienne » il y a une promesse, sinon une prétention, à présenter « tous » les points de vue, une pléthore d’opinions diverses pour ne pas dire contradictoires. De fait, Les brouillards de la guerre décrit la guerre telle qu’elle est vécue des deux côtés : par les soldats de l’OTAN comme par la population afghane.
L’immense mérite de cette approche est de restituer la complexité de la situation, analysant minutieusement les us et coutumes des militaires d’une part, des civils afghans d’autre part, révélant le décalage entre les intentions des premiers et le ressenti des seconds.

Cependant, cette méthode fait de l’Afghanistan d’Anne Nivat un pays dilué dans l’objectivité journalistique. Un pays où tout le monde a quelque part raison, ce qui revient à dire que personne n’a complètement tort, que tout le monde est d’une manière ou d’une autre responsable du regain de violence et donc que personne n’est entièrement responsable. Mais le souci d’impartialité de l’auteur semble aussi lui interdire tout sens de l’humour. Anne Nivat remet à ses lecteurs un document sérieux, un témoignage prude et sans la moindre concession à toute ironie ou persiflage aussi innocents qu’ils puissent être. Comme si l’absurdité de la guerre en général, et de cette guerre en particulier, interdisait tout rire ou sourire.

Un exemple parmi d’autres : à l’hiver 2010-2011, Anne Nivat fait un passage à Kandahar Airfield, dite KAF, deuxième base militaire alliée en Afghanistan après celle de Bagram. L’extravagance louftingue des lieux n’échappe pas au regard du grand reporter : les promenades baptisées du noms de grandes villes américaines, les salons de massage, les centres de récréation, les pancartes plus hilarantes les unes que les autres, comme celle avertissant le personnel féminin du risque d’ « assauts sexuels » ou telle autre incitant les soldats français à s’inscrire à un concours de pétanque. Bref, c’est savoureux. Reste que le style choisi pour la narration n’a pas assez de fougue pour libérer un fou rire cathartique chez le lecteur.

Cette insipidité stylistique, volontaire ou non, n’est pas sans intérêt lorsque Anne Nivat s’attaque aux questions tactiques de la chose militaire. La sacro-sainte stratégie de la contre-insurrection (COIN), défendue successivement par le général Stanley McChrystal, ancien commandant des forces de la coalition, puis par son successeur, David Petraeus, est ainsi examinée à l’épreuve du terrain pour conduire au décevant constat de son inadéquation quasi totale au caractère du conflit. Trop coûteuse et trop exigeante en termes de durée de l’engagement (il faudrait au moins vingt ans pour instaurer une confiance mutuelle entre les militaires et la population), elle s’avère aussi trop contraignante pour être efficace. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les « règles d’engagement » ou, autrement dit, le corpus des droits en matière d’ouverture du feu. La COIN, dans l’objectif est de protéger les civils, impose des restrictions tellement sévères que les insurgés peuvent in fine agir sans être trop inquiétés. Embarquée avec une compagnie de parachutistes québécois, Anne Nivat recueille en outre les paroles de soldats frustrés et désorientés qui lui confient leurs difficultés à accomplir un travail humanitaire pour lequel ils n’ont été aucunement préparés.

En dépit d’efforts de compréhension et de cohabitation pacifique, sans parler des liasses de billets verts distribuées à gogo, les soldats de l’OTAN restent des étrangers aux yeux des Afghans. Ceux avec lesquels la journaliste, dissimulée sous son châdri bleu, partage son quotidien, comparent la situation actuelle avec l’époque de l’invasion soviétique et qualifient les soldats alliés d’« occupants ». Détrompez-vous, il ne s’agit pas uniquement d’insurgés ou de primitifs barbus. D’ailleurs, Anne Nivat répète à qui veut l’entendre que les talibans constituent « une émanation de la population et pas son élément extérieur ». Le problème est que la majeure partie de la population afghane aspire à vivre en dehors du diktat des occidentaux, dans la paix, certes, mais selon ses propres lois et traditions. Que faire des enquêtes indiquant que les Afghans appuient le retour de la charia et les exécutions publiques ? Que dire aux 80 % de parents afghans qui refusent à laisser leurs filles aller à l’école quand bien même les occidentaux passent leur temps à construire des bâtiments scolaires dans les zones les plus reculées d’Afghanistan ? Comment s’en sortir ?

Bien sûr, Anne Nivat évoque la solution dont tout le monde parle depuis un moment : « l’afghanisation ». Cette appellation désigne le transfert progressif des responsabilités politiques et militaires des forces de l’OTAN aux forces afghanes. En théorie, ça sonne bien. En réalité, il n’y a personne vers qui transférer les responsabilités de quoi que ce soit, étant donné l’extrême faiblesse du pouvoir politique, à commencer par la présidence contestée de Hamid Karzaï et l’incompétence de la jeune police afghane. Quant au niveau d’entraînement de l’armée nationale afghane (ANA) il est facile de se le représenter dès qu’on réalise que les soldats onusiens craignent, plus que toute autre chose, les tirs accidentels de leurs camarades de l’ANA.

Que reste-il donc à faire ? Le livre d’Anne Nivat n’apporte pas de réponse à cette question. Il serait bien de débattre, dit l’auteur, sur l’engagement de la France en Afghanistan, comme d’autres pays européens engouffrés dans le même pétrin l’ont déjà fait. 56 % des Français souhaitent le retour de leurs soldats. Mais sur quels arguments et quelle connaissance de la situation se basent-ils ? Il est sain et sensé de s’opposer à une guerre, surtout lorsqu’on ignore sa raison d’être, son déroulement, ses tenants et ses aboutissants. Certes, l’incompétence de la société française en la matière ne résulte pas uniquement de son très faible intérêt pour les problèmes géopolitiques en général et la situation afghane en particulier. Les Français, dont 50 000 soldats sont passés par l’Afghanistan depuis 2002, ont du mal à se représenter une guerre qu’on ne leur montre ni ne leur explique qu’à de rares occasions, souvent liées à des événements tragiques. La responsabilité de cet état de fait revient autant à l’armée qui communique mal et se méfie des journalistes, qu’aux journalistes qui se focalisent sur les événements spectaculaires mais pas nécessairement représentatifs de processus plus généraux.

En ce sens, contrairement aux souhaits d’Anne Nivat, il paraît peu probable que la campagne présidentielle de 2012 se saisisse rationnellement du sujet. On peut le regretter mais sans doute assisterons-nous à un échange d’arguments politico-politiciens, en total décalage avec la réalité de la situation vécue sur place. Les brouillards de la guerre sur la table de chevet d’un Nicolas Sarkozy ou d’un François Hollande… Vous y croyez, vous ?

Les brouillards de la guerre: Dernière mission en Afghanistan

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Faire campagne sur les chiffres, un mauvais calcul pour le PS

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Couverture de Paris-Match 17 mars 2005

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pierre Haski débattent du programme du PS.

Six mois avant l’élection présidentielle, une chose est déjà certaine : pour le PS, c’est raté. Si Nicolas Sarkozy n’est pas assuré d’être réélu − tant s’en faut −, le Parti socialiste a en tout cas raté l’occasion de proposer un véritable choix aux électeurs. Certes, François Hollande pourrait être le prochain président de la République, mais s’il est élu, ce ne sera pas pour son « programme ».

Sur les questions de fond, c’est-à-dire l’Europe et la dette, les propositions de François Hollande ne diffèrent guère de celles de Sarkozy. Tous deux entendent accélérer l’intégration européenne d’un côté, réduire la dette sans casser la croissance de l’autre. En clair, ils proposent d’avancer vers un ministère européen des Finances qui disposerait d’un droit de regard sur les budgets des États-membres, afin de pouvoir réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts. Tout cela, bien sûr, sans casser une croissance déjà moribonde.

Au lieu d’une véritable alternative politique, le PS a concocté un paquet de « mesures concrètes ». Tellement concrètes qu’à l’instar des 60 000 postes dans l’enseignement et des 300 000 emplois jeunes/seniors, elles ont été sérieusement déplumées par le feu croisé des candidats aux primaires. Mais les socialistes ne se sont pas contentés d’être concrets ; ils ont aussi voulu paraître sérieux. Ils ont donc chiffré leurs projets, offrant ainsi une cible facile à leurs adversaires. Un projet doit certes être crédible, mais avant tout défendre une vision du monde au lieu de présenter des tableaux Excel en guise de manifeste politique.

Le lâchage pur et simple du projet par Jérôme Cahuzac, président PS de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, révèle les limites de ce « programme ». Adopté en mai sur la base d’une prévision de croissance fantaisiste, le projet PS ne pouvait qu’être caduc quelques mois plus tard. Du coup, les dirigeants du parti doivent admettre que leur programme est irréaliste et qu’ils n’en appliqueront qu’une partie, sans préciser quelles mesures seront privilégiées. Mais ce n’est pas tout. Au lieu de s’assumer et de proposer une réforme fiscale digne de ce nom qui augmenterait les impôts dans le but de réduire massivement les écarts de richesse, le PS cherche à financer son budget fantôme et tombe dans un deuxième piège : les niches fiscales et sociales. Voilà où se cacheraient les milliards ! Raté : les niches sont un mirage financier !

Commençons par les niches sociales. Ces allègements du coût du travail − comme la réduction des charges sociales sur les bas salaires, qui représente à elle seule un manque à gagner annuel de 21 milliards − sont jugées (très) efficaces par la Cour des comptes. Leur suppression coûtera donc plus cher que leur maintien… Quant aux niches fiscales, elles agissent comme des opérations de discount. Vous vendez un produit 20 euros avec 50% de remise, vous en écoulez 10 exemplaires et votre chiffre d’affaires atteint 100 euros. Comme vous subissez un manque à gagner théorique de 100 euros, vous décidez de mettre fin au scandale en rétablissant le prix d’origine. Sauf qu’à 20 euros le produit, vous en vendez moins et votre chiffre d’affaires s’effondre. Or, dans son projet, le PS a compté les 100 euros de manque à gagner comme de l’argent frais qui entrera en caisse dès que la remise sera annulée. Ainsi, la suppression de la niche la plus décriée, dite « Copé », qui aurait coûté 22 milliards d’euros à l’État en trois ans, ne rapportera pas 22 milliards, ni même 9 ou 10 (le coût de cette niche selon la Cour des comptes). Et voilà que s’évanouissent les moyens qui devaient financer les « mesures concrètes »…

Mais le pire est le fiasco de la « règle d’or ». Dans leur obsession de garder leur « triple A », les socialistes se sont joints à une initiative absurde de l’UMP : interdire la dette par la Constitution ou, a minima, par la Loi. Quelle absurdité ! S’il en a la volonté politique, rien n’empêche en effet un gouvernement démocratiquement élu d’abaisser le niveau de la dette. Dans le cas contraire, rien ne l’empêchera de s’endetter jusqu’au cou. Ne serait-ce que pour cette faute politique, les socialistes méritent de perdre l’AOC « Gauche ».

Niveau calendrier, le PS a mis la charrue avant les bœufs, l’élaboration du programme ayant précédé le choix du candidat. Pas fou, le vainqueur des primaires s’est débarrassé de la camisole du projet socialiste sans même laisser aux militants le temps de faire leur deuil. Enfin, il faut se rendre à l’évidence : durant les primaires, les électeurs de gauche ont massivement voté pour le candidat qui, après Valls, était perçu comme le moins à gauche (on exclura du champ le fantôme Baylet) et le plus pragmatique, bref, le plus capable, comme son modèle François Mitterrand, de faire une chose et son contraire. Autrement dit, ils ont privilégié la personnalité du candidat au détriment des idées. Puisqu’on reproche à Sarkozy son comportement pendant la première moitié de son mandat, les électeurs socialistes ont choisi un autre homme − à défaut d’une autre voie. De ce point de vue, François Hollande représente bel et bien une alternative au Président de la République : difficile de trouver une personnalité plus différente de celle de l’homme du Fouquet’s et du bouclier fiscal que celle du député de Corrèze. C’est un choix légitime qu’il faut tout simplement avouer et assumer au lieu de faire semblant d’avoir un « programme ».

En face, Nicolas Sarkozy a intériorisé ces critiques et joue désormais l’homme d’État pragmatique, discret et pédagogue. L’ennui, c’est que, grâce aux socialistes, les deux candidats majeurs à l’élection présidentielle de 2012 se font réellement concurrence non pas sur des idées et des projets mais sur une seule et unique question : qui ressemble le moins au Nicolas Sarkozy de 2007 ?

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Causeur Magazine numéro 41 : Vivre ensemble, la leçon d’Alain Finkielkraut

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« Je suis né à Paris le 30 juin 1949. J’ai donc grandi et passé une partie de ma vie d’adulte, personnelle et professionnelle, dans une France bien différente de celle que nous habitons aujourd’hui. Dans cette France de naguère, on croyait à la politique, c’est-à-dire à la force de la volonté collective, on avait foi dans le pouvoir des hommes de façonner leur destin. Dans cette France d’autrefois, l’Histoire semblait porteuse de sens. »

Ainsi commence le texte long, dense et cristallin qu’Alain Finkielkraut a confié à son amie Elisabeth Lévy pour les lecteurs de Causeur. Ces 20 pages, directement issues de sa leçon à la nouvelle promotion de l’Ecole Polytechnique portent sur un sujet délicat entre tous, la crise du «vivre-ensemble». Un texte comme il est l’un des rares dans ce pays à savoir en faire, personnel et universel. N’étant pas sot au point de tenter de vous résumer son propos, je laisse la parole à Elisabeth, qui en fait une description inspirée dans son texte introductif: « Il ne suffisait pas de déjouer les pièges du politiquement correct pour percer la vérité profonde d’un phénomène qui se déploie dans la grammaire fragmentée de l’actualité. Cheminant à travers les événements du présent en compagnie des auteurs du passé, explorant les soubassements, repérant les minuscules fissures qui deviendront des lézardes béantes, Alain Finkielkraut expose la généalogie cachée de ce qui nous arrive ».

Vous l’aurez compris, avec cet incroyable cadeau, et tout le dossier qui l’entoure (on y retrouvera notamment l’essayiste américain Christopher Caldwell, qui vient de publier Une Révolution sous nos yeux. Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe), ce quarante et unième numéro s’est donc métamorphosé en numéro spécial de 64 pages, toujours 100% inédites.

Qui dit numéro spécial dit tarif ad hoc, exceptionnellement ce numéro sera vendu, à l’unité 6,50 € au lieu de 5,50 €. Vous échapperez bien sûr à cette spirale inflationniste si vous êtes déjà abonné, ou si vous profitez de l’occasion pour le faire, ou encore, si besoin est, si vous vous réabonnez.

Rappelons en outre qu’il est désormais possible de s’abonner uniquement à l’édition en ligne (34,90 € pour accéder à tous les articles verrouillés pendant 1 an) ou pour ceux qui ne connaissent pas encore le magazine, de le découvrir grâce à notre formule Découverte (12,90 € le numéro en cours + les 2 prochains).

Si vous n’êtes pas content avec tout ça, je peux plus rien pour vous, les amis !


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Vive la contre-révolution sexuelle !

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Richard Allan et Brigitte Lahaie dans « Brigitte et moi »

Laurent de Sutter, ce jeune philosophe belge qui partit d’un si bon pas en déclarant à la face du monde son Indifférence à la politique (PUF, 2008) nous revient aujourd’hui avec Contre l’érotisme, un petit livre sur l’orgasme (La Musardine, 2011). Mais le lecteur salace sera déçu. Ici, nul éloge des seins mûrs ou des jeunes filles. Ce petit opuscule se veut intégralement philosophique.

Il faut dire que Laurent de Sutter jouit d’une perversion très rare : c’est un fétichiste des chevilles logiques. Rien ne l’excite comme une proposition métaphysique si ce n’est, peut-être, la possibilité de lier deux propositions métaphysiques. Appliqué au plaisir, le résultat est étonnant. Il y avait un empirisme logique, il y aura désormais une pornographie logique[access capability= »lire_inedits »], ce qui constitue une excellente nouvelle pour la pensée.

En chercheur appliqué (on ne saurait trop recommander sa reconstitution du système juridique de Gilles Deleuze, un chef-d’œuvre), Sutter commence par se faire l’archiviste d’une sorte de bêtise propre à une époque qui confond émancipation politique et révolution sexuelle. Certes, cette confusion est moderne, sympathique, charmante, engageante, mais elle est encore pire que le règne de la technique à laquelle nous devons la destruction irréversible de la mince couche d’ozone qui devait nous protéger du soleil, c’est-à-dire de la mort. Depuis que Reich a lancé sa fatwa contre les frustrés, la révolution du bonheur génital est en marche et rien ne l’arrêtera, pas même la dépression des pauvres âmes qu’elle devait libérer. La gymnastique au pieu est devenue l’horizon indépassable de la modernité. La question angoissante du contemporain épanoui n’est pas: « Qu’est-ce que la vie bonne ? », mais « Et pour toi, c’était bon ? » La misère sexuelle est devenue notre hantise. Exploiter ses contemporains, passe encore, mais ne pas jouir de son petit organe, voilà le crime.

Comment sortir de cette jouissance obligatoire pour tous ? Comment sortir de cette obsession du sexe ? Mais par la pornographie, voyons ! Telle est la thèse, il est vrai paradoxale, de ce tractatus plein d’allant qui revisite complètement le lien entre érotisme et pornographie.

Vous pensiez que la pornographie banalise ce que l’érotisme transgresse intelligemment ? Vous aviez tort. La transgression n’est qu’une ressource érotique parmi d’autres, et pas nécessairement la plus intelligente. Quant à l’amour, il est une perversion parmi d’autres, et pas toujours la plus jolie-jolie.

C’est dire si la pornographie exerce une fonction de désublimation du plus grand intérêt. Si l’amour prétend jouir de l’unique sous l’espèce de la totalité (tu es tout pour moi), la pornographie est le mouvement qui nous permet de nous défaire de cette prétention stupide au bonheur qui est une prétention stupide à l’unité. À l’unité rêvée des amants, Laurent de Sutter oppose la pratique concrète des plaisirs au regard de laquelle l’identité, au bout du compte, n’a aucune importance. S’il fallait résumer sa philosophie, on dirait que, si on ne peut pas jouir du tout, on peut jouir de tout. Mais, bien sûr, pas avec n’importe qui.[/access]

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