Premier acte, ce dimanche, au Journal de la mi-journée de France 3 Basse-Normandie : l’énième ultimatum d’Eva Joly à François Hollande, un peu plus circonstancié, et aussi un plus menaçant que les précédents : « Si François Hollande dit non pour arrêter le chantier de Flamanville, il n’y aura pas d’accord. Si nous achevons cet EPR-là, nous aurons de l’énergie nucléaire pour les 50 prochaines années, ce qui rend la sortie du nucléaire impossible. Nous voulons sortir du nucléaire » avant de conclure »Nous ne cèderons pas sur ce qui est notre combat historique et très légitime pour quelques circonscriptions ».
Deuxième acte ce lundi, au JT de France 2, réponse du berger à la bergère : Hollande envoie Joly se faire voir chez les merkélo-décroissants : « 75% de nucléaire, c’est trop élevé par rapport à ce que nous devons faire en matière de diversification des sources d’énergie mais je préserverai la construction d’un EPR, à la condition bien sûr que toutes les règles de sécurité soient respectées ».
Troisième acte ce matin: l’annonce unilatérale par EELV de la rupture des négociations avec le Parti Socialiste, suite au bras d’honneur télévisé de François. Il ne reste plus qu’à attendre la réaction de la douzaine de dirigeants écolos à qui le PS avait réservé « quelques circonscriptions ». On sait qu’après une courte semaine d’état de grâce, le caporalisme d’Eva a de plus en plus de mal à passer chez les Verts. D’ici à ce que certains pensent à rappeler Hulot…
L’an 2012 devrait être décrété « année Stefan Zweig » par l’Unesco ou autre bidule habilité à promouvoir les valeurs universelles. Pourquoi ? Hormis le fait que l’on commémorera, en février, le 70e anniversaire du suicide de Zweig à Petrópolis, au Brésil, cela nous rappellera qu’il est grand temps qu’un géant de notre littérature d’aujourd’hui se penche sur notre « monde d’hier » à nous avant qu’il ne soit complètement submergé.
En prélude à cette année Zweig, on pourra se mettre dans l’ambiance en allant voir au Théâtre des Variétés, à Paris, Collaboration, pièce de théâtre de Ronald Harwood mise en scène par Georges Werler, dont les principaux rôles sont tenus par Michel Aumont (Richard Strauss), Didier Sandre (Stefan Zweig), Christiane Cohendy (Pauline Strauss) et Stéphanie Pasquet (Charlotte Altmann). On ne s’embarrassera pas de circonvolutions ni de chochotteries pour affirmer que tous sont excellents et même plus, et que les petits rôles sont tenus avec le soin et le talent nécessaires.[access capability= »lire_inedits »]
L’argument repose sur l’histoire réelle de la collaboration entre le compositeur allemand Richard Strauss et l’écrivain juif autrichien Stefan Zweig, pour l’écriture d’un opéra, La Femme silencieuse, d’après une comédie de Ben Jonson, dramaturge anglais de la Renaissance.
Cette collaboration se noue en 1931, alors que Strauss vient de perdre son librettiste attitré, Hugo von Hofmannstahl (« Quelle idée a-t-il eu de mourir ! », se lamente-t-il). Les notes de musique se bousculent dans sa tête, à le rendre presque fou : il lui faut absolument une histoire pour transformer ce torrent musical en œuvre lyrique. Producteurs et éditeurs, soucieux de donner les plus grandes chances de succès à ce nouvel opéra de Strauss, organisent la rencontre de ce dernier avec l’écrivain de langue allemande qui est alors le plus connu et le plus apprécié du public, Stefan Zweig. Les deux hommes sont d’ailleurs voisins, Strauss résidant près de Munich, et Zweig à Salzbourg.
En plusieurs tableaux, la pièce retrace l’histoire de cette collaboration et de l’amitié entre les deux artistes de 1931 à 1935, date de la première de La Femme silencieuse à l’opéra de Dresde. Entre ces deux dates, un événement politique relativement important vient s’immiscer dans la vie de ce couple créatif : l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’Adolf Hitler et des nazis. Importance relative, au moins pour les deux hommes qui professent un mépris souverain pour tout ce qui n’est pas de l’art et considèrent, au début, tout ce tapage extérieur comme un bruit, un peu gênant, certes, mais qui devrait bientôt se calmer.
Néanmoins, à mesure que l’étau se resserre sur la vie culturelle du IIIe Reich, la relation entre Strauss et Zweig est soumise à des épreuves de plus en plus rudes.
Strauss se croit plus fort que les nazis et pense pouvoir imposer son librettiste juif à Joseph Goebbels, le tout-puissant ministre de la Culture et de la Propagande. Il ira de compromissions en compromissions avec le régime pour protéger Zweig, mais aussi sa belle-fille, marié à un juif allemand.
Pendant ce temps, Zweig, « mauvais juif » de son propre aveu, retrouve le chemin de son peuple persécuté qu’il avait abandonné au nom d’une « européanité » transcendant les appartenances nationales et religieuses. Le texte de Harwood, très bien traduit, permet aux spectateurs non familiers de cette période d’entrer sans difficulté dans cette histoire. La mise en scène et les décors sont ce qu’ils devraient toujours être : discrets, mais efficaces au service du texte et des acteurs, et non pas de l’ego de leurs concepteurs.
Remarque finale et désolée : pourquoi les Anglais sont-ils à peu près les seuls, aujourd’hui, à nous fournir un théâtre et une dramaturgie susceptibles d’offrir au plus grand nombre un bonheur esthétique de qualité ?[/access]
Collaboration, jusqu’au 01/01/2012, Théâtre des Variétés, 7 Boulevard Montmartre 75002 PARIS ; tel : 01 42 33 11 41.
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C’était en décembre 2001, autant dire une éternité. Un dîner, à l’Automobile Club, avait réuni les principaux soutiens de Jean-Pierre Chevènement dans le monde des arts, des lettres et du journalisme. Juste avant de m’y rendre et de retrouver celle qui n’était pas encore ma bien-aimée rédactrice en chef, avec laquelle j’étais à l’époque d’accord sur tout ou presque[1. O tempora ! O mores !], j’avais lu Le Monde dans le TGV Lille-Paris. Pour la première fois, le quotidien du soir était bien obligé de donner des sondages faisant figurer l’hypothèse Chevènement au second tour de la présidentielle, soit contre Chirac, soit contre Jospin. Comme l’avait annoncé le « Ché », le système « turbulait » enfin. Un troisième homme crédible, c’est-à-dire ni Jean-Marie Le Pen ni Arlette Laguiller, que la presse s’efforçait pourtant de faire monter avec force reportages.
C’était début 2002, à l’initiative d’Elisabeth Levy, toujours. Aux éditions Mille et Une nuits venait de paraître Contes de Campagne. Un « mélange », comme on disait autrefois, de textes politico-littéraires écrits par des femmes et des hommes venus de tous les horizons et racontant par le biais de fictions pourquoi ils soutenaient la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Je me souviens, parmi d’autres, de Régis Debray, Catherine Clément, Max Gallo, Houellebecq, Besson (Patrick) et même d’un poème de Philippe Muray. Je me souviens aussi que j’avais été très fier d’avoir été sollicité. Je n’ai jamais eu de problème avec cette idée de l’engagement de l’écrivain ou de l’intellectuel, si décriée. Mettre ma plume au service d’idées auxquelles je crois me semble plutôt un acte responsable qu’une quelconque inféodation. Et il y avait un certain bonheur à soutenir cet homme-là, surtout pour un communiste en rupture de ban. Pour une fois, j’allais peut-être me retrouver dans le camp des vainqueurs, voir des idées auxquelles je croyais arriver au pouvoir. Parce que les causes perdues, ça va cinq minutes.
C’était début 2002, toujours. Le meeting de Chevènement au Zénith de Lille. Salle comble. Les sondages sont toujours bons, très bons. A la tribune, avant que Chevènement ne prenne la parole, je retrouve unie la France que j’aime, telle qu’en elle-même l’éternité la change. Il y a eu d’abord Pierre Lefranc, beau grand vieillard droit, ancien aide de camp du Général de Gaulle. Et puis Rémi Auchedé, député PCF du pas de Calais.
Il y a dix ans. Ce qu’ils disaient, pourtant, pourrait se redire aujourd’hui, mot pour mot. Ils annonçaient que l’Union Européenne ne pourrait jamais vivre sereinement avec l’euro. Que les inégalités sociales et les atteintes aux indépendances nationales iraient en grandissant. Que ce serait un cauchemar. Le gaulliste et le communiste, la main dans la main. Un homme qui avait connu la seconde guerre mondiale et un autre qui représentait à l’Assemblée Nationale toute la détresse d’un bassin minier désindustrialisé où la misère se concentrait comme jamais. A vrai dire, la présence d’Auchedé me rassurait. Je n’étais pas le seul communiste en rupture de ban, à trouver que Robert Hue transformait la vieille maison en une annexe vaguement branchouille avec défilés Prada place du Colonel Fabien.
Et puis, il y a eu le 21 avril 2002 et les résultats que l’on connaît. La chasse au Chevènement est devenue le sport préféré de la gauche. La calamiteuse campagne de Jospin, son « Etat ne peut pas tout », son « Mon programme n’est pas essentiellement socialiste », c’était notre faute. La multiplication des candidatures à gauche avec chaque leader de la majorité plurielle qui voulait tenter sa chance, même les radicaux de gauche avec Taubira, c’était notre faute. On avait beau objecter que Chevènement, ministre de l’Intérieur, était le seul à avoir selon sa belle habitude claqué la porte du gouvernement sur la question corse, si mes souvenirs sont bons, et que sa candidature était légitime à gauche puisque réellement alternative, rien n’y faisait. On était devenu tricards. Le Pen au deuxième tour, c’était la faute à Chevènement et aux chevènementistes…
Ce qui est drôle, c’est que l’annonce de sa candidature, ce week-end, a provoqué les mêmes réactions. 21 avril 2002, encore une fois, si Chevènement persistait. Sa candidature pourrait faire du mal à Hollande dont on m’explique pourtant que l’avance dans les sondages est incommensurable.
Ce n’est pourtant pas ce qui me gêne ou me rend un peu triste dans l’annonce de la candidature de Chevènement. Je suis davantage troublé par cette ressemblance avec un boxeur qui va mener le combat de trop et par cette fameuse phrase de Marx citant Hegel au début du 18 brumaire de Louis-Napoléon sur l’histoire qui se répète : la première fois, c’est une tragédie, la seconde, une farce. Voilà bien une candidature inutile, surtout pour les idées qu’elle prétend défendre. Le souverainisme, de gauche ou de droite, dont Chevènement représentait la synthèse miraculeuse quand, pendant quelques mois, il était parvenu à réunir sur son nom des républicains des deux rives, n’est plus incarné par lui. C’est la grandeur et l’injustice de la vie politique. Les idées survivent aux hommes qui les ont portées et vivent sans eux, parfois malgré eux. L’offre électorale souverainiste, on peut la trouver à droite chez Nicolas Dupont-Aignan et son mouvement DLR et à gauche chez Mélenchon qui a fait retrouver à la gauche de la gauche une sensibilité républicaine.
Comme le gaullisme n’était pas la propriété de De Gaulle ou le séguinisme celle de Seguin, le chevènementisme n’est pas l’apanage de Chevènement. En voulant à nouveau représenter des idées qui n’ont jamais été autant d’actualité, il risque de les éparpiller façon puzzle, ce qui n’est pas la meilleure façon de sortir en beauté et de laisser une trace dans l’Histoire.
Les paris sont ouverts : la Grèce quittera-t-elle l’euro avant le 31 décembre ? Le bookmaker anglais William Hill propose une cote de 4 contre 6, ce qui correspond à un gain de quatre livres pour une mise de six livres si ce scénario se réalise. Il est beaucoup plus risqué, et par conséquent rémunérateur, de miser sur le maintien de la Grèce dans l’euro.
Les parieurs, et incidemment les politiques qui sont à leur manière des joueurs, auraient cependant intérêt à se souvenir que la Grèce a toujours été au bord de la faillite, dès sa création en 1832 comme État après sept années de guerre contre l’Empire ottoman où Byron joua avec panache le rôle de Bernard-Henri Lévy en Libye.
En 1854, dans son essai sur la Grèce, Edmond About écrivait : « La Grèce est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance ». Placée sous le protectorat du roi bavarois Otton 1er, la Grèce sera considérée comme une propriété des Allemands. Déjà….
En 1897, après avoir récupéré la Crête dans une guerre ruineuse contre l’empire ottoman, la Grèce est à nouveau au bord de la banqueroute. Il lui faut trente millions d’urgence. Le directeur de l’agence Havas en Orient, Georges Vayssié, dans un rapport estime qu’une seule solution s’impose : créer des impôts et faire des économies : « La Grèce souffre d’elle-même, ajoute-t-il, elle se meurt de politique ». Un an plus tard, l’Europe renfloue la Grèce et la met sous tutelle….On attend d’elle qu’elle renonce à l’inconsistance de ses rêves et que, dressée à bonne école, elle apprenne enfin l’économie.
Rien de cela ne se produira et les Grecs, avec une constance qui force le respect, continueront à vivre comme ils ont toujours vécu : en pleine banqueroute. Ce qui devrait alerter les parieurs: il est peu probable que la Grèce abandonne l’euro et fort vraisemblable qu’elle se retrouve à la case départ : sous protectorat allemand. Évidemment, on peut aussi parier sur l’effondrement total de l’euro avant la fin de l’année : la cote est de 33 contre 1.
"Le paradis existe : il est fiscal". Manifestant à Barcelone, 2011. Photo : matilde.m.s
En ce moment sur toutes les radios, passe une publicité qui me donne envie de casser mon poste : on y entend un mauvais comédien crier les souffrances du bon argent coincé dans les paradis fiscaux et qui ne demanderait qu’à en être délivré pour aider les pauvres qui crèvent de faim dans des pays minés par la corruption. Cette pauvre campagne du CCFD, encore plus irritante que les aventures de Cerise de Groupamachin, a néanmoins un mérite : elle nous rappelle les objectifs originels de ce G20 azuréen.
Si, si, souvenez-vous : avant de remettre la Grèce, l’Italie et d’autres Etats-cossards dans le droit chemin, le raout de Cannes devait régler des problèmes quand même plus structurels : la sous-évaluation chronique du yuan et du dollar et le scandale des paradis fiscaux qui, depuis, au moins dix ans, font un tort considérable aux finances publiques des Etats, y compris démocratiques[1. Au bas mot 580 milliard d’euros soustraits aux économies des Etats selon l’OCDE]. Car il ne faudrait pas croire que seul le pognon des potentats assis sur des mines de cobalt ou des nappes de pétrole file à Guernesey, au Panama ou à Saint Martin.
Non, non, non. Le paradis fiscal n’est pas sectaire : il accepte tout le bon argent, y compris celui des multinationales françaises ou celui des grands contribuables qui mettent leur patrimoine à l’abri de « l’impôt confiscatoire ». Tout est bon dans le cochon, surtout quand on le mélange joyeusement avec les milliards de la drogue, de la corruption ou du trafic d’êtres humains.
Le G20, donc, avait cette mission : pour rétablir la confiance et la stabilité de l’économie mondiale, il fallait faire le ménage dans « ces trous noirs » de la finance et faire pression sur les micro-Etats qui vivent de ce commerce. Au G20 de Londres en 2009, les participants s’étaient accordés pour arrêter de se planquer derrière le secret bancaire, et notamment pour (faire) respecter les standards de l’OCDE en matière d’information financière. En fin de sommet, notre président de la République lui-même s’était félicité du résultat, concluant les travaux par une déclaration sans appel : « Les paradis fiscaux, c’est fini !». Comme disait Georges, la suite lui prouva que non…
Certes, depuis Londres, 14 milliards d’euros auraient été récupérés par les Etats, dont 1,2 rien qu’en France. Mais en regardant les chiffres de près, on se rend compte que c’est surtout parce qu’au ministère des Finances, on a dit aux contrevenants : « Dénoncez-vous, rapatriez votre fric et on fera une ristourne sur ce que vous nous devez en impôts plus amende.» C’est toujours ça de pris, me direz-vous quand on gratte les fonds de tiroir pour boucler des budgets dont on sait qu’ils sont caducs à peine sortis de l’imprimante. Mais m’est avis qu’on peut faire mieux. J’irai même jusqu’à dire que jusqu’ici rien de sérieux rien n’a été fait.
La preuve c’est que dans son interview avec Barack -Maître du monde- Obama, le président n’a parlé que de ça. Et dans son discours de clôture du sommet (de Cannes, cette fois), il a aligné la Suisse en une phrase : « La Suisse et le Liechtenstein ne se qualifieront pas pour la phase deux de l’examen de transparence fiscale tant qu’ils ne remédieront pas à certaines déficiences qui sont identifiées. » Diantre, comme c’est dit poliment !
En clair, le G20 parle de sanctionner le refus de la Suisse de procéder à l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales nationales. Suisse et Liechtenstein sont ainsi retournés sur la liste dite « grise » des paradis fiscaux de l’OCDE, alors qu’ils avaient juré la main sur le cœur qu’ils collaboreraient. Bilan des G20 en matière de paradis fiscaux : nul.
Pourtant, je n’imagine pas qu’on soit sans moyens. Juste un exemple, aux Etats-Unis, si une banque étrangère veut bosser à Wall Street, elle est contrainte de déclarer les informations qu’elle détient sur les comptes de citoyens américains qu’elle aiderait à camoufler aux Seychelles, par exemple. Sous peine de rétorsions financières maousses. En France, bien sûr, rien d’aussi bolchévik…
Pourquoi, en contrepartie, ne pas avoir contraint les banques – renflouées façon blitzkrieg avec votre argent en 2009 – à fermer leurs filiales aux Bahamas ? Trop autoritaire sans doute… Et puis, avant d’envoyer par FedEx des bonnets d’âne à Berne ou Vaduz, pourquoi ne pas moraliser nos propres paradis fiscaux : la France est semble-t-il, très gentille et très souple avec Monaco. La Grande-Bretagne avec Jersey et Guernesey. Et chez nos amis luxembourgeois, les pères fondateurs de l’Europe, l’opacité est restée une seconde nature. Un petit coup de balai chez soi ne ferait donc pas de mal.
Et puis tant qu’à faire, pourquoi ne pas demander aux entreprises dont l’Etat est actionnaire de référence (Renault, France Télécom Areva, EDF et j’en oublie) de ne plus fricoter avec des banques qui multiplient les succursales à Antigua, Anguilla ou Aruba avec d’autres objectifs que la conquête des marchés sud-caribéens?
Pourquoi ne pas sanctionner plus ? Les accords commerciaux, les accords douaniers et plus si affinités, ça se module quand on n’est pas gentil. A fortiori lorsqu’on ne joue pas le jeu de la règle numéro un de la concurrence libre et non faussée : la transparence.
La presse nous explique que les Suisses ne sont pas contents d’être qualifiés de voyous fiscaux. Les Suisses, nous dit-on, font désormais de réels efforts quand un juge demande un listing bancaire. Mais il faut croire que ces efforts ne vont pas les tuer, ni même les essouffler quinze secondes : selon les estimations de l’OCDE, 28 % de la fortune mondiale offshore prospère dans les coffres des banques helvètes. Offshore, c’est-à-dire soustraite à la légalité et à l’impôt, je me répète. Et la crise de l’Euro n’a semble-t-il rien arrangé, puisque les transactions se sont accélérées ces derniers mois en direction de Zurich, de Vaduz, de Berne. Ou encore de Luxembourg (oui, oui, chez Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe !).
Je pense donc à ce bon argent à l’abri dans les chambres fortes, je pense à ce plan d’austérité et à la TVA qui va grimper. Et je fais des rapprochements simplistes sans aucun scrupule. Gouverner, c’est choisir. Gouverner, c’est surtout contraindre. Il y avait la semaine dernière à Cannes une belle occasion de montrer que la politique, ce n’est pas que de la com’ et des numéros de duettistes vides de sens sur TF1 et France2. Encore une fois, je me suis bien fait avoir.
Oyez braves gens, après une trêve de plusieurs mois, le Cercle Cosaque reprend ses droits. Pour leur sixième round, jeudi 10 novembre, Olivier Maulin et Romaric Sangars invoquent les mânes du regretté Philippe Muray, dont il serait inutile de faire l’éloge ici.
Au programme de ce Cercle, donc, un hommage au mécontemporain à l’éternelle chemise bleue, à l’occasion de la parution de l’ouvrage collectif Philippe Muray. Dirigée par Maxence Caron et Jacques de Guillebon[1. Philippe Muray, sous la direction de Maxence Caron et Jacques de Guillebon (2011, édition du Cerf)], cette somme que tout causeur normalement constitué rêve d’avoir entre les mains, rassemble une quarantaine de contributions (mazette, la confusion festiviste n’en méritait pas moins !). Pour ne rien gâcher, Alexandre de Vitry, l’auteur de L’invention de Philippe Muray, sera également de la partie.
Comme d’habitude, le tout est organisé Chez Barak, au 29 rue Sambre et Meuse (Paris Xe). Après avoir slalomé entre les prostituées chinoises qui habillent le boulevard de Belleville, vous pourrez y déguster des douceurs ottomanes avec la bravoure d’un Cosaque. Et converser jusqu’au bout de la nuit avec le public interlope qui hante ces soirées : anarchristes, libertaires, enfants d’Hyperborée et simples curieux, tous pétris de « l’aristocratique plaisir de déplaire » qu’exaltait Dominique de Roux.
Attendrissant mais déconcertant, drôle mais angoissant, Habemus papam, le dernier film de Nanni Moretti, est délicieusement ambivalent.
Par charité païenne, Moretti nous a fait grâce de la sempiternelle critique des abus de pouvoir du Vatican ou de la résistance rétrograde de l’Église rétrograde à l’évolution des mœurs. Pour autant, le cinéaste ne s’est pas converti en saint Nanni bienveillant. C’est avec un regard non pas moqueur mais amusé que le cinéaste observe l’envers humain, trop humain, du sacro-saint décor de cette institution vieille de plus de deux mille ans. Et derrière cette légèreté drolatique se loge une désacralisation du pouvoir pontifical et une démystification du Vicaire du Christ.
Moretti joue sur le décalage entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel et allège par le burlesque la tension que cristallise le vote des cardinaux pour l’élection d’un nouveau pape. De fait, cette élection, qui ne s’appuie sur aucune candidature, aucun programme et aucune campagne, prête à sourire. Elle suscite pourtant humilité et crainte chez les cardinaux qui prient tous pour ne pas être élus − on est loin des ambitions que suscitent nos scrutins « profanes ».[access capability= »lire_inedits »]
Et puis le rire se crispe devant cette Église qui s’abîme dans l’espace vide et noir du siège de Pierre laissé vacant. Le « oui » du consentement prononcé par le cardinal Melville (Michel Piccoli) après son élection fait vite place au cri de renoncement et à la fuite devant l’immense responsabilité à endosser. Comme l’énigmatique Bartelby, de Melville, il « préférerait ne pas ». Ne pas être le successeur de saint Pierre. Ne pas hériter d’une croix apostolique trop lourde à porter. Ne pas devenir une icône mondialisée.
Moretti dédramatise la situation en faisant entrer un personnage inattendu qu’il joue lui-même, un brillant psychanalyste, retenu en otage par le conclave qui ne sait plus quoi faire de ce pape dévasté par le doute. Il montre l’humanité des cardinaux qui, derrière le drapé solennel de leurs soutanes, sont voués, comme leurs ouailles, aux inéluctables péchés de gourmandise, de tricherie, de couardise… Et la confession sur le divan est remplacée par un tournoi de volley où les bienfaits cathartiques du sport collectif sont mis en valeur par des ralentis peut-être un peu trop appuyés.
Freud contre Pascal
Mais les piques de la satire selon Moretti, d’abord rendues indolores grâce à aux effets comiques dignes de la commedia dell’arte, se font peu à peu sentir. Moretti choisit Freud contre Pascal et file la métaphore théâtrale pour mieux réduire la religion à une illusion consolatrice. Le coup de tonnerre provoqué par l’absence du nouveau pape au balcon avait donné le la de sa vision des choses. L’interrègne est un entr’acte, le Vatican une scène de théâtre et les cardinaux des fantoches inconscients d’un simulacre destiné à dissimuler la vacance du pouvoir pontifical. Le rideau bouge, une ombre passe, et cela suffit pour simuler la présence factice du futur Saint-Père. Et c’est l’intéressé lui-même qui déchire le voile de l’illusion. À travers l’aveu de son désir refoulé de devenir acteur de théâtre, le nouveau pape révèle combien sa foi s’est fendillée.
Il quitte alors le Vatican et va traîner sa confiance ébranlée dans une Rome désemparée et lointaine qu’on a peine à reconnaître. Égaré parmi les égarés, il erre à la recherche d’une Parole qui alimenterait son âme anémique. En vain. Il ne sera pas sauvé par la Grâce comme Paul sur le chemin de Damas. Impuissant et absolument seul, il assiste au désolant spectacle d’un monde de confusion, de narcissisme et de désespoir.
Après la mascarade qui fait sourire, voilà la déroutante Tour de Babel qui inquiète. En prophète du vide, Moretti prêche, avec des accents dantesques, le retrait de Dieu et porte le coup de grâce en détournant les scènes bibliques de leur sens. C’est ainsi que les paroles unificatrices du Christ prononcées lors de la Cène se renversent dans un imbroglio incompréhensible lors du repas que Piccoli prend avec la troupe de théâtre rencontrée lors de son séjour dans un hôtel miteux de la capitale. Au milieu de ces automates qui récitent leurs rôles, le spectateur comprend qu’il n’a personne à qui parler. Tous s’enivrent de mots et personne ne veut échanger.
Qu’elles soient théoriques, médiatiques, médicales ou théâtrales, ces paroles se heurtent les unes contre les autres et ne se comprennent plus Elles ne peuvent ni expliquer, ni guérir, ni révéler et encore moins relier. Elles enferment celui qui les prononce dans une solitude artificielle qui flirte avec la folie.
Pour le meilleur et pour le pire, Habemus papam amuse et désabuse. Quant à Nanni Moretti, il ne semble pas trouver réjouissants ce monde désuni qui tourne à vide, ni cette Église sans pape qui ne sait plus transmettre un héritage allant de saint Pierre jusqu’à Benoît XVI.
Cet évangile funeste ne dévoilerait-il pas en Nanni Moretti, cinéaste athée, un chrétien romantique refoulé ?[/access]
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Tout récemment, sur France Inter, Pascal Lamy, actuel secrétaire général de l’OMC, ancien commissaire européen, faisait un aveu sincère, quoique tardif : « Tout le monde savait, à Bruxelles, que la Grèce maquillait ses statistiques… ». Ah bon ? Et quelles conséquences les diverses institutions de l’UE (Conseil européen, Commission, Parlement) en ont-elles tirées ? Strictement aucune, sinon un délai de deux ans imposé en 1999 à Athènes pour son entrée dans la zone euro, censé être mis à profit par le gouvernement du socialiste Costas Simitis pour faire entrer les comptes du pays dans les clous de Maastricht. Avec l’aide de Goldman-Sachs, les Hellènes réussirent à présenter à Bruxelles une copie économique et financière si parfaite qu’ils furent admis dans le club. On avait bien un peu toussé du côté de Berlin, où les dirigeants allemands n’étaient pas dupes des manipulations comptables des Grecs. Mais on était entre socialistes : avec Schröder chancelier d’Allemagne, Jospin premier ministre de la France, et Romano Prodi à la tête de la Commission, Simitis avait trouvé une conjoncture politique favorable pour que l’on n’aille pas regarder de trop près ce qu’il y avait réellement dans l’arrière-cuisine de sa boutique grecque[1. Il est rare que dans les restaurants grecs de la capitale française, la nourriture servie en salle soit de la même qualité et fraîcheur que celle exposée en vitrine. Une exception : Mavrommatis, mais il est chypriote…]. De plus – on a aujourd’hui du mal à s’en souvenir – les indicateurs économiques européens étaient au beau fixe, la Bourse gonflait sa bulle internet et le ministre français des finances, un certain DSK, se faisait interpeller sur l’usage qu’il comptait faire de la « cagnotte » accumulée en ces années de vaches grasses… Alors, quelle importance qu’un petit pays ensoleillé s’amuse à faire les poches d’une Europe qui ne pensait qu’à son élargissement vers l’Est et le Sud-Est ?
Cela fit vivre le peuple grec dans une douce euphorie : même si les salaires n’étaient pas au niveau de ceux des Allemands ou des Français, il faisait bon vivre à Athènes. Les infrastructures (routes, chemins de fer, aménagements touristiques) étaient financées par les fonds structurels. On distribuait allègrement les postes de fonctionnaires aux amis politiques, avec des horaires de travail assez élastiques pour pouvoir exercer une seconde activité dans l’économie parallèle. Quelques petits malins montraient une habileté particulière à se faire payer de luxueuses villas en les faisant passer pour des étables à vaches auprès des fonctionnaires de Bruxelles, et les « familles » dominant la vie politique et économique du pays depuis plusieurs générations[2. Les Papandréou, Caramanlis, Venizélos en sont à la troisième génération de politiciens de premier plan.] en profitaient largement pour accroître leur patrimoine. Pendant ce temps là, la compétitivité de l’industrie locale était mise à mal par l’euro fort, et ses attraits touristiques étaient fortement concurrencés par des pays ensoleillés moins chers et plus dynamiques, comme la Turquie ou la Tunisie. Les Grecs vivaient dans un tel monde d’irréalité qu’ils se firent une grosse frayeur lors de l’entrée en vigueur des accords de Schengen : beaucoup d’entre eux étaient persuadés que des vagues d’immigrants venus d’Allemagne, de France ou d’Italie allaient déferler sur leur pays, car c’était là qu’en Europe la vie était la plus belle ! Bien entendu, il n’en fut rien, et les seuls immigrés qui ont afflué en Grèce sont venus de l’Albanie voisine ou du Moyen Orient en franchissant illégalement la frontière turque.
Si l’on remonte un peu plus dans le temps, et si l’on se penche sur les circonstances de l’adhésion de la Grèce à l’UE, devenue effective le 1er janvier 1981, on pourra découvrir des choses étonnantes. Les négociations préalables à son entrée dans l’Union Européenne ont duré moins de cinq ans, alors que l’Espagne et le Portugal ont dû attendre presque dix ans pour rejoindre le club. De plus, des exemptions et dérogations aux réglementations communautaires lui furent largement concédées, alors que Bruxelles fut très pointilleux avec Lisbonne et Madrid. Pourquoi ce traitement de faveur ? A l’époque, les « hommes forts » de l’Europe communautaire, comme l’Allemand Helmut Schmidt et le Français Valéry Giscard d’Estaing étaient encore pétris de culture classique. Que pesaient ces petits arrangements face aux mérites de la Grèce dans l’Histoire de l’humanité ? « On ne rejette pas Platon ! » tranchait abruptement Giscard face à ceux qui, comme le ministre des Affaires Etrangères allemand Hans-Dietrich Genscher, objectaient timidement que l’admission de la Grèce « ne présentait pas que des avantages ». C’était oublier qu’entre Platon et Constantin Caramanlis, le premier ministre grec de l’époque, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. La Grèce, libérée du joug ottoman en 1830 grâce à l’appui de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, est restée très longtemps une province arriérée des Balkans, à l’écart des évolutions économiques de l’Europe occidentale.
Sa vie politique fut marquée par une alternance de régimes dictatoriaux (comme ceux du général Metaxas (1936-1941) et celui dit des colonels entre 1967 et 1974), et d’une démocratie fondée sur le clientélisme et la domination d’oligarchies familiales. Sa situation géopolitique en faisait cependant un enjeu important dans l’affrontement planétaire entre l’Occident et l’Union Soviétique, ce qui provoqua une sanglante guerre civile entre 1945 et 1947. Entrée dans l’OTAN en 1952, en même temps que l’ennemi héréditaire turc, la Grèce faisait figure de poste avancé de l’UE en Méditerranée orientale. C’était l’époque où la France rêvait encore d’une « Europe puissance », autonome vis-à-vis des deux empires dominés par les Etats-Unis et l’URSS. Ce rêve s’est écroulé après la chute du communisme et la victoire du concept d’Europe grand marché patiemment et efficacement promu par Londres.
Dès lors, les Grecs perdent une carte majeure dans leur petit jeu avec l’UE. Leurs frasques économiques deviennent insupportables, surtout à Berlin. On connaît la suite, mais pas encore la fin.
La morale de l’histoire ? C’est que tout le monde a eu tout faux : l’UE qui a fermé les yeux, le peuple grec qui s’est laissé bercer par les démagogues de droite comme de gauche. Les responsables de ces errements sont soit morts, soit à la retraite. Il est maintenant temps de laisser les Grecs, qui ne manquent pas de courage, se sortir par eux-mêmes du guêpier où on les a fourré…car il n’y a pas de morale en Histoire.
Ainsi donc, il sera candidat : Jean Pierre Chevènement l’a dit samedi soir sur France2 et redit hier matin à nos confrères du Parisien.
Et en plus, il a même dit pourquoi : « J’ai beaucoup réfléchi, écouté. Et je suis candidat à l’élection présidentielle pour faire bouger les lignes. Ma candidature se veut pédagogique à l’égard des citoyens mais aussi des autres candidats. Ceux qui nous dirigent ne sont malheureusement pas préparés à faire face aux secousses très fortes qui sont devant nous »
Vous n’avez pas tout compris ? Alors Tonton Jean-Pierre, pédagogue en diable vous fait un dessin : « Nicolas Sarkozy ne nous offre qu’une austérité à perte de vue : son horizon est le maintien du triple A. La souveraineté populaire a été transférée aux agences de notation ! Quant à François Hollande, il promet de réduire le déficit budgétaire à 3 % du PIB en 2013 sans remettre en cause la logique actuelle de la monnaie unique. »
Et voilà pour les deux favoris, rhabillés pour l’hiver. Mais les autres candidats n’ont pas été oubliés : JPC veut faire barrage à Marine en se posant en candidat authentiquement patriote : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres. La nation est le cadre irremplaçable de la démocratie et de la souveraineté. Je suis un candidat patriote, ce qui ne m’empêche pas de vouloir redresser l’Europe ». On s’en doute, Eva Joly n’est pas oubliée non plus dans la distribution des prix : « Qui sait que la fermeture du tiers de notre parc nucléaire coûterait 250 Mds€ et renchérirait de 40 % la facture d’électricité pour les Français ? »
Faute de place, sans doute, rien dans cette interview sur ses deux concurrents en apparence les plus proches, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon. Rien non plus sur Bayrou, qui lui avait un peu fait les poches sur la fin de la campagne en 2002, qui avait récupéré nombre de ses électeurs en 2007 et qui pour 2012 a choisi un slogan de campagne méchamment chevènementiste « Produire et instruire ». Ce qui n’empêchera le Che, rassurez-vous, de faire campagne sur les thèmes qui lui sont chers depuis toujours et qui firent aux primaires le succès inattendu d’Arnaud Montebourg : démondialisation et réindustrialisation : « J’irai dans les usines. L’avenir de la France passe par sa réindustrialisation. La reconquête de l’électorat ouvrier, cela me paraît essentiel. Les couches populaires se reconnaîtront dans ma campagne »
Donc, les amis, si comme moi vous voulez aller écouter, voire applaudir, Jean-Pierre, rendez-vous à l’usine la plus proche. Avant d’entrer, faites néanmoins gaffe qu’elle n’ait pas été transformée en spa, en loft ou en bar à soupes bio…
Dans Malevil, ce superbe roman de légère anticipation où une poignée d’hommes tente de survivre après une explosion nucléaire, le narrateur principal évoque, au milieu du désastre général, certaines sensations nouvelles par rapport à la vie d’avant : les émotions sont plus vives, les journées plus longues, le temps s’écoule moins vite, les gestes se font plus lents, si bien qu’il estime que la baisse de l’espérance de vie due à la disparition de la technologie est précisément compensée par la disparition de celle-ci et de l’esclavage qu’elle induit. Afin de se préparer à cette perspective, l’urbain résolu à rompre avec la « terre infestée d’hommes » (pour reprendre le titre d’un roman de Marcel Moreau) en est réduit à des simulations plus ou moins satisfaisantes. C’est l’expérience que relate Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie (Gallimard) : six mois sur les bords du lac Baïkal dans une cabane, situation déjà évoquée dans une de ses nouvelles, « Le Lac », dans le recueil Une Vie à coucher dehors.
Les écrivains qui voyagent ont beaucoup changé depuis Barnabooth : ils dédaignent les palaces − qui n’existent plus de toute manière sous leur forme de l’époque − mais Sylvain Tesson maintient le lien avec certains acquis indiscutables de la civilisation, le cigare par exemple, et teste l’efficacité mitigée d’un humidificateur artisanal. Il a aussi la mauvaise idée de conserver un téléphone, ce dont il sera puni.[access capability= »lire_inedits »]
L’auteur ne s’attendait sans doute pas à ce que son roman (c’est bien un roman puisque la couverture ne le précise pas) décourage de tenter l’expérience. La grande loi de la vie que ce livre confirme malgré lui, en effet, c’est qu’on peut aller n’importe où, il y aura toujours un con pour planter un clou. En l’espèce, le narrateur n’a pas de voisin et échappe donc à l’atroce bricoleur dominical, mais il n’en est pas tranquille pour autant : des pêcheurs rentrent brutalement dans sa cabane, lui faisant renverser, de stupeur, son bol de thé sur une page de Michel Déon où celui-ci constate que « la solitude est la chose la plus difficile à protéger », de riches abrutis en 4×4 chahutent devant ses fenêtres, des ouvriers d’une usine hydroélectrique viennent en vélo pour manger du saucisson à la mayonnaise, des contraintes administratives l’obligent à interrompre son séjour, sans parler de la menace des tronçonneuses chinoises à quelques centaines de kilomètres (la menace est toujours plus forte que son exécution), bref on est à peine plus tranquille sur les rives du Baïkal que dans un Paris dévasté par les vélib’. À ceci près que le Russe n’est guère cérémonieux : on échappe à l’entrelacs compliqué des invitations réelles ou formelles et des nuances de politesse qui font le charme compliqué et fastidieux des pays latins. Sans qu’une parole soit échangée, les mets apparaissent en abondance. Même lorsqu’on se rencontre dans la neige au milieu de nulle part : « En quelques secondes, Natalia étend une couverture sur le linoléum noir et blanc et y dispose du cognac, une tourte au poisson et une thermos de café. Nous nous allongeons autour. Les Russes ont le génie de créer dans l’instant les conditions d’un festin. » Le narrateur se contente, lors des visites qu’il reçoit, de « trouver les bons gestes : couper des lamelles du saucisson qu’ils ont déposé sur la table, ouvrir une bouteille et disposer les verres ». Les contraintes sociales demeurent donc modestes, simples à comprendre et peu coercitives.
Quel que soit le jugement que l’on porte sur cette tentative d’échapper au monde et de retrouver le goût des choses utiles à la survie pour le jour où la civilisation de la bureaucratie se sera écroulée sur elle-même − tentation que l’on retrouve dans Les Lumières du ciel d’Olivier Maulin − , le livre de Tesson fourmille de détails amusants, comme ces 4×4 munis de gyrophares « au cas où il y aurait un embouteillage » et de conseils utiles : « Il ne faut jamais voyager avec des livres évoquant sa destination. À Venise, lire Lermontov, mais au Baïkal, Byron. » Il est surtout plein de vie, d’une joie de vie toute païenne.[/access]
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Premier acte, ce dimanche, au Journal de la mi-journée de France 3 Basse-Normandie : l’énième ultimatum d’Eva Joly à François Hollande, un peu plus circonstancié, et aussi un plus menaçant que les précédents : « Si François Hollande dit non pour arrêter le chantier de Flamanville, il n’y aura pas d’accord. Si nous achevons cet EPR-là, nous aurons de l’énergie nucléaire pour les 50 prochaines années, ce qui rend la sortie du nucléaire impossible. Nous voulons sortir du nucléaire » avant de conclure »Nous ne cèderons pas sur ce qui est notre combat historique et très légitime pour quelques circonscriptions ».
Deuxième acte ce lundi, au JT de France 2, réponse du berger à la bergère : Hollande envoie Joly se faire voir chez les merkélo-décroissants : « 75% de nucléaire, c’est trop élevé par rapport à ce que nous devons faire en matière de diversification des sources d’énergie mais je préserverai la construction d’un EPR, à la condition bien sûr que toutes les règles de sécurité soient respectées ».
Troisième acte ce matin: l’annonce unilatérale par EELV de la rupture des négociations avec le Parti Socialiste, suite au bras d’honneur télévisé de François. Il ne reste plus qu’à attendre la réaction de la douzaine de dirigeants écolos à qui le PS avait réservé « quelques circonscriptions ». On sait qu’après une courte semaine d’état de grâce, le caporalisme d’Eva a de plus en plus de mal à passer chez les Verts. D’ici à ce que certains pensent à rappeler Hulot…
L’an 2012 devrait être décrété « année Stefan Zweig » par l’Unesco ou autre bidule habilité à promouvoir les valeurs universelles. Pourquoi ? Hormis le fait que l’on commémorera, en février, le 70e anniversaire du suicide de Zweig à Petrópolis, au Brésil, cela nous rappellera qu’il est grand temps qu’un géant de notre littérature d’aujourd’hui se penche sur notre « monde d’hier » à nous avant qu’il ne soit complètement submergé.
En prélude à cette année Zweig, on pourra se mettre dans l’ambiance en allant voir au Théâtre des Variétés, à Paris, Collaboration, pièce de théâtre de Ronald Harwood mise en scène par Georges Werler, dont les principaux rôles sont tenus par Michel Aumont (Richard Strauss), Didier Sandre (Stefan Zweig), Christiane Cohendy (Pauline Strauss) et Stéphanie Pasquet (Charlotte Altmann). On ne s’embarrassera pas de circonvolutions ni de chochotteries pour affirmer que tous sont excellents et même plus, et que les petits rôles sont tenus avec le soin et le talent nécessaires.[access capability= »lire_inedits »]
L’argument repose sur l’histoire réelle de la collaboration entre le compositeur allemand Richard Strauss et l’écrivain juif autrichien Stefan Zweig, pour l’écriture d’un opéra, La Femme silencieuse, d’après une comédie de Ben Jonson, dramaturge anglais de la Renaissance.
Cette collaboration se noue en 1931, alors que Strauss vient de perdre son librettiste attitré, Hugo von Hofmannstahl (« Quelle idée a-t-il eu de mourir ! », se lamente-t-il). Les notes de musique se bousculent dans sa tête, à le rendre presque fou : il lui faut absolument une histoire pour transformer ce torrent musical en œuvre lyrique. Producteurs et éditeurs, soucieux de donner les plus grandes chances de succès à ce nouvel opéra de Strauss, organisent la rencontre de ce dernier avec l’écrivain de langue allemande qui est alors le plus connu et le plus apprécié du public, Stefan Zweig. Les deux hommes sont d’ailleurs voisins, Strauss résidant près de Munich, et Zweig à Salzbourg.
En plusieurs tableaux, la pièce retrace l’histoire de cette collaboration et de l’amitié entre les deux artistes de 1931 à 1935, date de la première de La Femme silencieuse à l’opéra de Dresde. Entre ces deux dates, un événement politique relativement important vient s’immiscer dans la vie de ce couple créatif : l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’Adolf Hitler et des nazis. Importance relative, au moins pour les deux hommes qui professent un mépris souverain pour tout ce qui n’est pas de l’art et considèrent, au début, tout ce tapage extérieur comme un bruit, un peu gênant, certes, mais qui devrait bientôt se calmer.
Néanmoins, à mesure que l’étau se resserre sur la vie culturelle du IIIe Reich, la relation entre Strauss et Zweig est soumise à des épreuves de plus en plus rudes.
Strauss se croit plus fort que les nazis et pense pouvoir imposer son librettiste juif à Joseph Goebbels, le tout-puissant ministre de la Culture et de la Propagande. Il ira de compromissions en compromissions avec le régime pour protéger Zweig, mais aussi sa belle-fille, marié à un juif allemand.
Pendant ce temps, Zweig, « mauvais juif » de son propre aveu, retrouve le chemin de son peuple persécuté qu’il avait abandonné au nom d’une « européanité » transcendant les appartenances nationales et religieuses. Le texte de Harwood, très bien traduit, permet aux spectateurs non familiers de cette période d’entrer sans difficulté dans cette histoire. La mise en scène et les décors sont ce qu’ils devraient toujours être : discrets, mais efficaces au service du texte et des acteurs, et non pas de l’ego de leurs concepteurs.
Remarque finale et désolée : pourquoi les Anglais sont-ils à peu près les seuls, aujourd’hui, à nous fournir un théâtre et une dramaturgie susceptibles d’offrir au plus grand nombre un bonheur esthétique de qualité ?[/access]
Collaboration, jusqu’au 01/01/2012, Théâtre des Variétés, 7 Boulevard Montmartre 75002 PARIS ; tel : 01 42 33 11 41.
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C’était en décembre 2001, autant dire une éternité. Un dîner, à l’Automobile Club, avait réuni les principaux soutiens de Jean-Pierre Chevènement dans le monde des arts, des lettres et du journalisme. Juste avant de m’y rendre et de retrouver celle qui n’était pas encore ma bien-aimée rédactrice en chef, avec laquelle j’étais à l’époque d’accord sur tout ou presque[1. O tempora ! O mores !], j’avais lu Le Monde dans le TGV Lille-Paris. Pour la première fois, le quotidien du soir était bien obligé de donner des sondages faisant figurer l’hypothèse Chevènement au second tour de la présidentielle, soit contre Chirac, soit contre Jospin. Comme l’avait annoncé le « Ché », le système « turbulait » enfin. Un troisième homme crédible, c’est-à-dire ni Jean-Marie Le Pen ni Arlette Laguiller, que la presse s’efforçait pourtant de faire monter avec force reportages.
C’était début 2002, à l’initiative d’Elisabeth Levy, toujours. Aux éditions Mille et Une nuits venait de paraître Contes de Campagne. Un « mélange », comme on disait autrefois, de textes politico-littéraires écrits par des femmes et des hommes venus de tous les horizons et racontant par le biais de fictions pourquoi ils soutenaient la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Je me souviens, parmi d’autres, de Régis Debray, Catherine Clément, Max Gallo, Houellebecq, Besson (Patrick) et même d’un poème de Philippe Muray. Je me souviens aussi que j’avais été très fier d’avoir été sollicité. Je n’ai jamais eu de problème avec cette idée de l’engagement de l’écrivain ou de l’intellectuel, si décriée. Mettre ma plume au service d’idées auxquelles je crois me semble plutôt un acte responsable qu’une quelconque inféodation. Et il y avait un certain bonheur à soutenir cet homme-là, surtout pour un communiste en rupture de ban. Pour une fois, j’allais peut-être me retrouver dans le camp des vainqueurs, voir des idées auxquelles je croyais arriver au pouvoir. Parce que les causes perdues, ça va cinq minutes.
C’était début 2002, toujours. Le meeting de Chevènement au Zénith de Lille. Salle comble. Les sondages sont toujours bons, très bons. A la tribune, avant que Chevènement ne prenne la parole, je retrouve unie la France que j’aime, telle qu’en elle-même l’éternité la change. Il y a eu d’abord Pierre Lefranc, beau grand vieillard droit, ancien aide de camp du Général de Gaulle. Et puis Rémi Auchedé, député PCF du pas de Calais.
Il y a dix ans. Ce qu’ils disaient, pourtant, pourrait se redire aujourd’hui, mot pour mot. Ils annonçaient que l’Union Européenne ne pourrait jamais vivre sereinement avec l’euro. Que les inégalités sociales et les atteintes aux indépendances nationales iraient en grandissant. Que ce serait un cauchemar. Le gaulliste et le communiste, la main dans la main. Un homme qui avait connu la seconde guerre mondiale et un autre qui représentait à l’Assemblée Nationale toute la détresse d’un bassin minier désindustrialisé où la misère se concentrait comme jamais. A vrai dire, la présence d’Auchedé me rassurait. Je n’étais pas le seul communiste en rupture de ban, à trouver que Robert Hue transformait la vieille maison en une annexe vaguement branchouille avec défilés Prada place du Colonel Fabien.
Et puis, il y a eu le 21 avril 2002 et les résultats que l’on connaît. La chasse au Chevènement est devenue le sport préféré de la gauche. La calamiteuse campagne de Jospin, son « Etat ne peut pas tout », son « Mon programme n’est pas essentiellement socialiste », c’était notre faute. La multiplication des candidatures à gauche avec chaque leader de la majorité plurielle qui voulait tenter sa chance, même les radicaux de gauche avec Taubira, c’était notre faute. On avait beau objecter que Chevènement, ministre de l’Intérieur, était le seul à avoir selon sa belle habitude claqué la porte du gouvernement sur la question corse, si mes souvenirs sont bons, et que sa candidature était légitime à gauche puisque réellement alternative, rien n’y faisait. On était devenu tricards. Le Pen au deuxième tour, c’était la faute à Chevènement et aux chevènementistes…
Ce qui est drôle, c’est que l’annonce de sa candidature, ce week-end, a provoqué les mêmes réactions. 21 avril 2002, encore une fois, si Chevènement persistait. Sa candidature pourrait faire du mal à Hollande dont on m’explique pourtant que l’avance dans les sondages est incommensurable.
Ce n’est pourtant pas ce qui me gêne ou me rend un peu triste dans l’annonce de la candidature de Chevènement. Je suis davantage troublé par cette ressemblance avec un boxeur qui va mener le combat de trop et par cette fameuse phrase de Marx citant Hegel au début du 18 brumaire de Louis-Napoléon sur l’histoire qui se répète : la première fois, c’est une tragédie, la seconde, une farce. Voilà bien une candidature inutile, surtout pour les idées qu’elle prétend défendre. Le souverainisme, de gauche ou de droite, dont Chevènement représentait la synthèse miraculeuse quand, pendant quelques mois, il était parvenu à réunir sur son nom des républicains des deux rives, n’est plus incarné par lui. C’est la grandeur et l’injustice de la vie politique. Les idées survivent aux hommes qui les ont portées et vivent sans eux, parfois malgré eux. L’offre électorale souverainiste, on peut la trouver à droite chez Nicolas Dupont-Aignan et son mouvement DLR et à gauche chez Mélenchon qui a fait retrouver à la gauche de la gauche une sensibilité républicaine.
Comme le gaullisme n’était pas la propriété de De Gaulle ou le séguinisme celle de Seguin, le chevènementisme n’est pas l’apanage de Chevènement. En voulant à nouveau représenter des idées qui n’ont jamais été autant d’actualité, il risque de les éparpiller façon puzzle, ce qui n’est pas la meilleure façon de sortir en beauté et de laisser une trace dans l’Histoire.
Les paris sont ouverts : la Grèce quittera-t-elle l’euro avant le 31 décembre ? Le bookmaker anglais William Hill propose une cote de 4 contre 6, ce qui correspond à un gain de quatre livres pour une mise de six livres si ce scénario se réalise. Il est beaucoup plus risqué, et par conséquent rémunérateur, de miser sur le maintien de la Grèce dans l’euro.
Les parieurs, et incidemment les politiques qui sont à leur manière des joueurs, auraient cependant intérêt à se souvenir que la Grèce a toujours été au bord de la faillite, dès sa création en 1832 comme État après sept années de guerre contre l’Empire ottoman où Byron joua avec panache le rôle de Bernard-Henri Lévy en Libye.
En 1854, dans son essai sur la Grèce, Edmond About écrivait : « La Grèce est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance ». Placée sous le protectorat du roi bavarois Otton 1er, la Grèce sera considérée comme une propriété des Allemands. Déjà….
En 1897, après avoir récupéré la Crête dans une guerre ruineuse contre l’empire ottoman, la Grèce est à nouveau au bord de la banqueroute. Il lui faut trente millions d’urgence. Le directeur de l’agence Havas en Orient, Georges Vayssié, dans un rapport estime qu’une seule solution s’impose : créer des impôts et faire des économies : « La Grèce souffre d’elle-même, ajoute-t-il, elle se meurt de politique ». Un an plus tard, l’Europe renfloue la Grèce et la met sous tutelle….On attend d’elle qu’elle renonce à l’inconsistance de ses rêves et que, dressée à bonne école, elle apprenne enfin l’économie.
Rien de cela ne se produira et les Grecs, avec une constance qui force le respect, continueront à vivre comme ils ont toujours vécu : en pleine banqueroute. Ce qui devrait alerter les parieurs: il est peu probable que la Grèce abandonne l’euro et fort vraisemblable qu’elle se retrouve à la case départ : sous protectorat allemand. Évidemment, on peut aussi parier sur l’effondrement total de l’euro avant la fin de l’année : la cote est de 33 contre 1.
"Le paradis existe : il est fiscal". Manifestant à Barcelone, 2011. Photo : matilde.m.s
En ce moment sur toutes les radios, passe une publicité qui me donne envie de casser mon poste : on y entend un mauvais comédien crier les souffrances du bon argent coincé dans les paradis fiscaux et qui ne demanderait qu’à en être délivré pour aider les pauvres qui crèvent de faim dans des pays minés par la corruption. Cette pauvre campagne du CCFD, encore plus irritante que les aventures de Cerise de Groupamachin, a néanmoins un mérite : elle nous rappelle les objectifs originels de ce G20 azuréen.
Si, si, souvenez-vous : avant de remettre la Grèce, l’Italie et d’autres Etats-cossards dans le droit chemin, le raout de Cannes devait régler des problèmes quand même plus structurels : la sous-évaluation chronique du yuan et du dollar et le scandale des paradis fiscaux qui, depuis, au moins dix ans, font un tort considérable aux finances publiques des Etats, y compris démocratiques[1. Au bas mot 580 milliard d’euros soustraits aux économies des Etats selon l’OCDE]. Car il ne faudrait pas croire que seul le pognon des potentats assis sur des mines de cobalt ou des nappes de pétrole file à Guernesey, au Panama ou à Saint Martin.
Non, non, non. Le paradis fiscal n’est pas sectaire : il accepte tout le bon argent, y compris celui des multinationales françaises ou celui des grands contribuables qui mettent leur patrimoine à l’abri de « l’impôt confiscatoire ». Tout est bon dans le cochon, surtout quand on le mélange joyeusement avec les milliards de la drogue, de la corruption ou du trafic d’êtres humains.
Le G20, donc, avait cette mission : pour rétablir la confiance et la stabilité de l’économie mondiale, il fallait faire le ménage dans « ces trous noirs » de la finance et faire pression sur les micro-Etats qui vivent de ce commerce. Au G20 de Londres en 2009, les participants s’étaient accordés pour arrêter de se planquer derrière le secret bancaire, et notamment pour (faire) respecter les standards de l’OCDE en matière d’information financière. En fin de sommet, notre président de la République lui-même s’était félicité du résultat, concluant les travaux par une déclaration sans appel : « Les paradis fiscaux, c’est fini !». Comme disait Georges, la suite lui prouva que non…
Certes, depuis Londres, 14 milliards d’euros auraient été récupérés par les Etats, dont 1,2 rien qu’en France. Mais en regardant les chiffres de près, on se rend compte que c’est surtout parce qu’au ministère des Finances, on a dit aux contrevenants : « Dénoncez-vous, rapatriez votre fric et on fera une ristourne sur ce que vous nous devez en impôts plus amende.» C’est toujours ça de pris, me direz-vous quand on gratte les fonds de tiroir pour boucler des budgets dont on sait qu’ils sont caducs à peine sortis de l’imprimante. Mais m’est avis qu’on peut faire mieux. J’irai même jusqu’à dire que jusqu’ici rien de sérieux rien n’a été fait.
La preuve c’est que dans son interview avec Barack -Maître du monde- Obama, le président n’a parlé que de ça. Et dans son discours de clôture du sommet (de Cannes, cette fois), il a aligné la Suisse en une phrase : « La Suisse et le Liechtenstein ne se qualifieront pas pour la phase deux de l’examen de transparence fiscale tant qu’ils ne remédieront pas à certaines déficiences qui sont identifiées. » Diantre, comme c’est dit poliment !
En clair, le G20 parle de sanctionner le refus de la Suisse de procéder à l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales nationales. Suisse et Liechtenstein sont ainsi retournés sur la liste dite « grise » des paradis fiscaux de l’OCDE, alors qu’ils avaient juré la main sur le cœur qu’ils collaboreraient. Bilan des G20 en matière de paradis fiscaux : nul.
Pourtant, je n’imagine pas qu’on soit sans moyens. Juste un exemple, aux Etats-Unis, si une banque étrangère veut bosser à Wall Street, elle est contrainte de déclarer les informations qu’elle détient sur les comptes de citoyens américains qu’elle aiderait à camoufler aux Seychelles, par exemple. Sous peine de rétorsions financières maousses. En France, bien sûr, rien d’aussi bolchévik…
Pourquoi, en contrepartie, ne pas avoir contraint les banques – renflouées façon blitzkrieg avec votre argent en 2009 – à fermer leurs filiales aux Bahamas ? Trop autoritaire sans doute… Et puis, avant d’envoyer par FedEx des bonnets d’âne à Berne ou Vaduz, pourquoi ne pas moraliser nos propres paradis fiscaux : la France est semble-t-il, très gentille et très souple avec Monaco. La Grande-Bretagne avec Jersey et Guernesey. Et chez nos amis luxembourgeois, les pères fondateurs de l’Europe, l’opacité est restée une seconde nature. Un petit coup de balai chez soi ne ferait donc pas de mal.
Et puis tant qu’à faire, pourquoi ne pas demander aux entreprises dont l’Etat est actionnaire de référence (Renault, France Télécom Areva, EDF et j’en oublie) de ne plus fricoter avec des banques qui multiplient les succursales à Antigua, Anguilla ou Aruba avec d’autres objectifs que la conquête des marchés sud-caribéens?
Pourquoi ne pas sanctionner plus ? Les accords commerciaux, les accords douaniers et plus si affinités, ça se module quand on n’est pas gentil. A fortiori lorsqu’on ne joue pas le jeu de la règle numéro un de la concurrence libre et non faussée : la transparence.
La presse nous explique que les Suisses ne sont pas contents d’être qualifiés de voyous fiscaux. Les Suisses, nous dit-on, font désormais de réels efforts quand un juge demande un listing bancaire. Mais il faut croire que ces efforts ne vont pas les tuer, ni même les essouffler quinze secondes : selon les estimations de l’OCDE, 28 % de la fortune mondiale offshore prospère dans les coffres des banques helvètes. Offshore, c’est-à-dire soustraite à la légalité et à l’impôt, je me répète. Et la crise de l’Euro n’a semble-t-il rien arrangé, puisque les transactions se sont accélérées ces derniers mois en direction de Zurich, de Vaduz, de Berne. Ou encore de Luxembourg (oui, oui, chez Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe !).
Je pense donc à ce bon argent à l’abri dans les chambres fortes, je pense à ce plan d’austérité et à la TVA qui va grimper. Et je fais des rapprochements simplistes sans aucun scrupule. Gouverner, c’est choisir. Gouverner, c’est surtout contraindre. Il y avait la semaine dernière à Cannes une belle occasion de montrer que la politique, ce n’est pas que de la com’ et des numéros de duettistes vides de sens sur TF1 et France2. Encore une fois, je me suis bien fait avoir.
Oyez braves gens, après une trêve de plusieurs mois, le Cercle Cosaque reprend ses droits. Pour leur sixième round, jeudi 10 novembre, Olivier Maulin et Romaric Sangars invoquent les mânes du regretté Philippe Muray, dont il serait inutile de faire l’éloge ici.
Au programme de ce Cercle, donc, un hommage au mécontemporain à l’éternelle chemise bleue, à l’occasion de la parution de l’ouvrage collectif Philippe Muray. Dirigée par Maxence Caron et Jacques de Guillebon[1. Philippe Muray, sous la direction de Maxence Caron et Jacques de Guillebon (2011, édition du Cerf)], cette somme que tout causeur normalement constitué rêve d’avoir entre les mains, rassemble une quarantaine de contributions (mazette, la confusion festiviste n’en méritait pas moins !). Pour ne rien gâcher, Alexandre de Vitry, l’auteur de L’invention de Philippe Muray, sera également de la partie.
Comme d’habitude, le tout est organisé Chez Barak, au 29 rue Sambre et Meuse (Paris Xe). Après avoir slalomé entre les prostituées chinoises qui habillent le boulevard de Belleville, vous pourrez y déguster des douceurs ottomanes avec la bravoure d’un Cosaque. Et converser jusqu’au bout de la nuit avec le public interlope qui hante ces soirées : anarchristes, libertaires, enfants d’Hyperborée et simples curieux, tous pétris de « l’aristocratique plaisir de déplaire » qu’exaltait Dominique de Roux.
Attendrissant mais déconcertant, drôle mais angoissant, Habemus papam, le dernier film de Nanni Moretti, est délicieusement ambivalent.
Par charité païenne, Moretti nous a fait grâce de la sempiternelle critique des abus de pouvoir du Vatican ou de la résistance rétrograde de l’Église rétrograde à l’évolution des mœurs. Pour autant, le cinéaste ne s’est pas converti en saint Nanni bienveillant. C’est avec un regard non pas moqueur mais amusé que le cinéaste observe l’envers humain, trop humain, du sacro-saint décor de cette institution vieille de plus de deux mille ans. Et derrière cette légèreté drolatique se loge une désacralisation du pouvoir pontifical et une démystification du Vicaire du Christ.
Moretti joue sur le décalage entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel et allège par le burlesque la tension que cristallise le vote des cardinaux pour l’élection d’un nouveau pape. De fait, cette élection, qui ne s’appuie sur aucune candidature, aucun programme et aucune campagne, prête à sourire. Elle suscite pourtant humilité et crainte chez les cardinaux qui prient tous pour ne pas être élus − on est loin des ambitions que suscitent nos scrutins « profanes ».[access capability= »lire_inedits »]
Et puis le rire se crispe devant cette Église qui s’abîme dans l’espace vide et noir du siège de Pierre laissé vacant. Le « oui » du consentement prononcé par le cardinal Melville (Michel Piccoli) après son élection fait vite place au cri de renoncement et à la fuite devant l’immense responsabilité à endosser. Comme l’énigmatique Bartelby, de Melville, il « préférerait ne pas ». Ne pas être le successeur de saint Pierre. Ne pas hériter d’une croix apostolique trop lourde à porter. Ne pas devenir une icône mondialisée.
Moretti dédramatise la situation en faisant entrer un personnage inattendu qu’il joue lui-même, un brillant psychanalyste, retenu en otage par le conclave qui ne sait plus quoi faire de ce pape dévasté par le doute. Il montre l’humanité des cardinaux qui, derrière le drapé solennel de leurs soutanes, sont voués, comme leurs ouailles, aux inéluctables péchés de gourmandise, de tricherie, de couardise… Et la confession sur le divan est remplacée par un tournoi de volley où les bienfaits cathartiques du sport collectif sont mis en valeur par des ralentis peut-être un peu trop appuyés.
Freud contre Pascal
Mais les piques de la satire selon Moretti, d’abord rendues indolores grâce à aux effets comiques dignes de la commedia dell’arte, se font peu à peu sentir. Moretti choisit Freud contre Pascal et file la métaphore théâtrale pour mieux réduire la religion à une illusion consolatrice. Le coup de tonnerre provoqué par l’absence du nouveau pape au balcon avait donné le la de sa vision des choses. L’interrègne est un entr’acte, le Vatican une scène de théâtre et les cardinaux des fantoches inconscients d’un simulacre destiné à dissimuler la vacance du pouvoir pontifical. Le rideau bouge, une ombre passe, et cela suffit pour simuler la présence factice du futur Saint-Père. Et c’est l’intéressé lui-même qui déchire le voile de l’illusion. À travers l’aveu de son désir refoulé de devenir acteur de théâtre, le nouveau pape révèle combien sa foi s’est fendillée.
Il quitte alors le Vatican et va traîner sa confiance ébranlée dans une Rome désemparée et lointaine qu’on a peine à reconnaître. Égaré parmi les égarés, il erre à la recherche d’une Parole qui alimenterait son âme anémique. En vain. Il ne sera pas sauvé par la Grâce comme Paul sur le chemin de Damas. Impuissant et absolument seul, il assiste au désolant spectacle d’un monde de confusion, de narcissisme et de désespoir.
Après la mascarade qui fait sourire, voilà la déroutante Tour de Babel qui inquiète. En prophète du vide, Moretti prêche, avec des accents dantesques, le retrait de Dieu et porte le coup de grâce en détournant les scènes bibliques de leur sens. C’est ainsi que les paroles unificatrices du Christ prononcées lors de la Cène se renversent dans un imbroglio incompréhensible lors du repas que Piccoli prend avec la troupe de théâtre rencontrée lors de son séjour dans un hôtel miteux de la capitale. Au milieu de ces automates qui récitent leurs rôles, le spectateur comprend qu’il n’a personne à qui parler. Tous s’enivrent de mots et personne ne veut échanger.
Qu’elles soient théoriques, médiatiques, médicales ou théâtrales, ces paroles se heurtent les unes contre les autres et ne se comprennent plus Elles ne peuvent ni expliquer, ni guérir, ni révéler et encore moins relier. Elles enferment celui qui les prononce dans une solitude artificielle qui flirte avec la folie.
Pour le meilleur et pour le pire, Habemus papam amuse et désabuse. Quant à Nanni Moretti, il ne semble pas trouver réjouissants ce monde désuni qui tourne à vide, ni cette Église sans pape qui ne sait plus transmettre un héritage allant de saint Pierre jusqu’à Benoît XVI.
Cet évangile funeste ne dévoilerait-il pas en Nanni Moretti, cinéaste athée, un chrétien romantique refoulé ?[/access]
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Tout récemment, sur France Inter, Pascal Lamy, actuel secrétaire général de l’OMC, ancien commissaire européen, faisait un aveu sincère, quoique tardif : « Tout le monde savait, à Bruxelles, que la Grèce maquillait ses statistiques… ». Ah bon ? Et quelles conséquences les diverses institutions de l’UE (Conseil européen, Commission, Parlement) en ont-elles tirées ? Strictement aucune, sinon un délai de deux ans imposé en 1999 à Athènes pour son entrée dans la zone euro, censé être mis à profit par le gouvernement du socialiste Costas Simitis pour faire entrer les comptes du pays dans les clous de Maastricht. Avec l’aide de Goldman-Sachs, les Hellènes réussirent à présenter à Bruxelles une copie économique et financière si parfaite qu’ils furent admis dans le club. On avait bien un peu toussé du côté de Berlin, où les dirigeants allemands n’étaient pas dupes des manipulations comptables des Grecs. Mais on était entre socialistes : avec Schröder chancelier d’Allemagne, Jospin premier ministre de la France, et Romano Prodi à la tête de la Commission, Simitis avait trouvé une conjoncture politique favorable pour que l’on n’aille pas regarder de trop près ce qu’il y avait réellement dans l’arrière-cuisine de sa boutique grecque[1. Il est rare que dans les restaurants grecs de la capitale française, la nourriture servie en salle soit de la même qualité et fraîcheur que celle exposée en vitrine. Une exception : Mavrommatis, mais il est chypriote…]. De plus – on a aujourd’hui du mal à s’en souvenir – les indicateurs économiques européens étaient au beau fixe, la Bourse gonflait sa bulle internet et le ministre français des finances, un certain DSK, se faisait interpeller sur l’usage qu’il comptait faire de la « cagnotte » accumulée en ces années de vaches grasses… Alors, quelle importance qu’un petit pays ensoleillé s’amuse à faire les poches d’une Europe qui ne pensait qu’à son élargissement vers l’Est et le Sud-Est ?
Cela fit vivre le peuple grec dans une douce euphorie : même si les salaires n’étaient pas au niveau de ceux des Allemands ou des Français, il faisait bon vivre à Athènes. Les infrastructures (routes, chemins de fer, aménagements touristiques) étaient financées par les fonds structurels. On distribuait allègrement les postes de fonctionnaires aux amis politiques, avec des horaires de travail assez élastiques pour pouvoir exercer une seconde activité dans l’économie parallèle. Quelques petits malins montraient une habileté particulière à se faire payer de luxueuses villas en les faisant passer pour des étables à vaches auprès des fonctionnaires de Bruxelles, et les « familles » dominant la vie politique et économique du pays depuis plusieurs générations[2. Les Papandréou, Caramanlis, Venizélos en sont à la troisième génération de politiciens de premier plan.] en profitaient largement pour accroître leur patrimoine. Pendant ce temps là, la compétitivité de l’industrie locale était mise à mal par l’euro fort, et ses attraits touristiques étaient fortement concurrencés par des pays ensoleillés moins chers et plus dynamiques, comme la Turquie ou la Tunisie. Les Grecs vivaient dans un tel monde d’irréalité qu’ils se firent une grosse frayeur lors de l’entrée en vigueur des accords de Schengen : beaucoup d’entre eux étaient persuadés que des vagues d’immigrants venus d’Allemagne, de France ou d’Italie allaient déferler sur leur pays, car c’était là qu’en Europe la vie était la plus belle ! Bien entendu, il n’en fut rien, et les seuls immigrés qui ont afflué en Grèce sont venus de l’Albanie voisine ou du Moyen Orient en franchissant illégalement la frontière turque.
Si l’on remonte un peu plus dans le temps, et si l’on se penche sur les circonstances de l’adhésion de la Grèce à l’UE, devenue effective le 1er janvier 1981, on pourra découvrir des choses étonnantes. Les négociations préalables à son entrée dans l’Union Européenne ont duré moins de cinq ans, alors que l’Espagne et le Portugal ont dû attendre presque dix ans pour rejoindre le club. De plus, des exemptions et dérogations aux réglementations communautaires lui furent largement concédées, alors que Bruxelles fut très pointilleux avec Lisbonne et Madrid. Pourquoi ce traitement de faveur ? A l’époque, les « hommes forts » de l’Europe communautaire, comme l’Allemand Helmut Schmidt et le Français Valéry Giscard d’Estaing étaient encore pétris de culture classique. Que pesaient ces petits arrangements face aux mérites de la Grèce dans l’Histoire de l’humanité ? « On ne rejette pas Platon ! » tranchait abruptement Giscard face à ceux qui, comme le ministre des Affaires Etrangères allemand Hans-Dietrich Genscher, objectaient timidement que l’admission de la Grèce « ne présentait pas que des avantages ». C’était oublier qu’entre Platon et Constantin Caramanlis, le premier ministre grec de l’époque, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. La Grèce, libérée du joug ottoman en 1830 grâce à l’appui de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, est restée très longtemps une province arriérée des Balkans, à l’écart des évolutions économiques de l’Europe occidentale.
Sa vie politique fut marquée par une alternance de régimes dictatoriaux (comme ceux du général Metaxas (1936-1941) et celui dit des colonels entre 1967 et 1974), et d’une démocratie fondée sur le clientélisme et la domination d’oligarchies familiales. Sa situation géopolitique en faisait cependant un enjeu important dans l’affrontement planétaire entre l’Occident et l’Union Soviétique, ce qui provoqua une sanglante guerre civile entre 1945 et 1947. Entrée dans l’OTAN en 1952, en même temps que l’ennemi héréditaire turc, la Grèce faisait figure de poste avancé de l’UE en Méditerranée orientale. C’était l’époque où la France rêvait encore d’une « Europe puissance », autonome vis-à-vis des deux empires dominés par les Etats-Unis et l’URSS. Ce rêve s’est écroulé après la chute du communisme et la victoire du concept d’Europe grand marché patiemment et efficacement promu par Londres.
Dès lors, les Grecs perdent une carte majeure dans leur petit jeu avec l’UE. Leurs frasques économiques deviennent insupportables, surtout à Berlin. On connaît la suite, mais pas encore la fin.
La morale de l’histoire ? C’est que tout le monde a eu tout faux : l’UE qui a fermé les yeux, le peuple grec qui s’est laissé bercer par les démagogues de droite comme de gauche. Les responsables de ces errements sont soit morts, soit à la retraite. Il est maintenant temps de laisser les Grecs, qui ne manquent pas de courage, se sortir par eux-mêmes du guêpier où on les a fourré…car il n’y a pas de morale en Histoire.
Ainsi donc, il sera candidat : Jean Pierre Chevènement l’a dit samedi soir sur France2 et redit hier matin à nos confrères du Parisien.
Et en plus, il a même dit pourquoi : « J’ai beaucoup réfléchi, écouté. Et je suis candidat à l’élection présidentielle pour faire bouger les lignes. Ma candidature se veut pédagogique à l’égard des citoyens mais aussi des autres candidats. Ceux qui nous dirigent ne sont malheureusement pas préparés à faire face aux secousses très fortes qui sont devant nous »
Vous n’avez pas tout compris ? Alors Tonton Jean-Pierre, pédagogue en diable vous fait un dessin : « Nicolas Sarkozy ne nous offre qu’une austérité à perte de vue : son horizon est le maintien du triple A. La souveraineté populaire a été transférée aux agences de notation ! Quant à François Hollande, il promet de réduire le déficit budgétaire à 3 % du PIB en 2013 sans remettre en cause la logique actuelle de la monnaie unique. »
Et voilà pour les deux favoris, rhabillés pour l’hiver. Mais les autres candidats n’ont pas été oubliés : JPC veut faire barrage à Marine en se posant en candidat authentiquement patriote : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres. La nation est le cadre irremplaçable de la démocratie et de la souveraineté. Je suis un candidat patriote, ce qui ne m’empêche pas de vouloir redresser l’Europe ». On s’en doute, Eva Joly n’est pas oubliée non plus dans la distribution des prix : « Qui sait que la fermeture du tiers de notre parc nucléaire coûterait 250 Mds€ et renchérirait de 40 % la facture d’électricité pour les Français ? »
Faute de place, sans doute, rien dans cette interview sur ses deux concurrents en apparence les plus proches, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon. Rien non plus sur Bayrou, qui lui avait un peu fait les poches sur la fin de la campagne en 2002, qui avait récupéré nombre de ses électeurs en 2007 et qui pour 2012 a choisi un slogan de campagne méchamment chevènementiste « Produire et instruire ». Ce qui n’empêchera le Che, rassurez-vous, de faire campagne sur les thèmes qui lui sont chers depuis toujours et qui firent aux primaires le succès inattendu d’Arnaud Montebourg : démondialisation et réindustrialisation : « J’irai dans les usines. L’avenir de la France passe par sa réindustrialisation. La reconquête de l’électorat ouvrier, cela me paraît essentiel. Les couches populaires se reconnaîtront dans ma campagne »
Donc, les amis, si comme moi vous voulez aller écouter, voire applaudir, Jean-Pierre, rendez-vous à l’usine la plus proche. Avant d’entrer, faites néanmoins gaffe qu’elle n’ait pas été transformée en spa, en loft ou en bar à soupes bio…
Dans Malevil, ce superbe roman de légère anticipation où une poignée d’hommes tente de survivre après une explosion nucléaire, le narrateur principal évoque, au milieu du désastre général, certaines sensations nouvelles par rapport à la vie d’avant : les émotions sont plus vives, les journées plus longues, le temps s’écoule moins vite, les gestes se font plus lents, si bien qu’il estime que la baisse de l’espérance de vie due à la disparition de la technologie est précisément compensée par la disparition de celle-ci et de l’esclavage qu’elle induit. Afin de se préparer à cette perspective, l’urbain résolu à rompre avec la « terre infestée d’hommes » (pour reprendre le titre d’un roman de Marcel Moreau) en est réduit à des simulations plus ou moins satisfaisantes. C’est l’expérience que relate Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie (Gallimard) : six mois sur les bords du lac Baïkal dans une cabane, situation déjà évoquée dans une de ses nouvelles, « Le Lac », dans le recueil Une Vie à coucher dehors.
Les écrivains qui voyagent ont beaucoup changé depuis Barnabooth : ils dédaignent les palaces − qui n’existent plus de toute manière sous leur forme de l’époque − mais Sylvain Tesson maintient le lien avec certains acquis indiscutables de la civilisation, le cigare par exemple, et teste l’efficacité mitigée d’un humidificateur artisanal. Il a aussi la mauvaise idée de conserver un téléphone, ce dont il sera puni.[access capability= »lire_inedits »]
L’auteur ne s’attendait sans doute pas à ce que son roman (c’est bien un roman puisque la couverture ne le précise pas) décourage de tenter l’expérience. La grande loi de la vie que ce livre confirme malgré lui, en effet, c’est qu’on peut aller n’importe où, il y aura toujours un con pour planter un clou. En l’espèce, le narrateur n’a pas de voisin et échappe donc à l’atroce bricoleur dominical, mais il n’en est pas tranquille pour autant : des pêcheurs rentrent brutalement dans sa cabane, lui faisant renverser, de stupeur, son bol de thé sur une page de Michel Déon où celui-ci constate que « la solitude est la chose la plus difficile à protéger », de riches abrutis en 4×4 chahutent devant ses fenêtres, des ouvriers d’une usine hydroélectrique viennent en vélo pour manger du saucisson à la mayonnaise, des contraintes administratives l’obligent à interrompre son séjour, sans parler de la menace des tronçonneuses chinoises à quelques centaines de kilomètres (la menace est toujours plus forte que son exécution), bref on est à peine plus tranquille sur les rives du Baïkal que dans un Paris dévasté par les vélib’. À ceci près que le Russe n’est guère cérémonieux : on échappe à l’entrelacs compliqué des invitations réelles ou formelles et des nuances de politesse qui font le charme compliqué et fastidieux des pays latins. Sans qu’une parole soit échangée, les mets apparaissent en abondance. Même lorsqu’on se rencontre dans la neige au milieu de nulle part : « En quelques secondes, Natalia étend une couverture sur le linoléum noir et blanc et y dispose du cognac, une tourte au poisson et une thermos de café. Nous nous allongeons autour. Les Russes ont le génie de créer dans l’instant les conditions d’un festin. » Le narrateur se contente, lors des visites qu’il reçoit, de « trouver les bons gestes : couper des lamelles du saucisson qu’ils ont déposé sur la table, ouvrir une bouteille et disposer les verres ». Les contraintes sociales demeurent donc modestes, simples à comprendre et peu coercitives.
Quel que soit le jugement que l’on porte sur cette tentative d’échapper au monde et de retrouver le goût des choses utiles à la survie pour le jour où la civilisation de la bureaucratie se sera écroulée sur elle-même − tentation que l’on retrouve dans Les Lumières du ciel d’Olivier Maulin − , le livre de Tesson fourmille de détails amusants, comme ces 4×4 munis de gyrophares « au cas où il y aurait un embouteillage » et de conseils utiles : « Il ne faut jamais voyager avec des livres évoquant sa destination. À Venise, lire Lermontov, mais au Baïkal, Byron. » Il est surtout plein de vie, d’une joie de vie toute païenne.[/access]
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