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Dix ans après…


C’était en décembre 2001, autant dire une éternité. Un dîner, à l’Automobile Club, avait réuni les principaux soutiens de Jean-Pierre Chevènement dans le monde des arts, des lettres et du journalisme. Juste avant de m’y rendre et de retrouver celle qui n’était pas encore ma bien-aimée rédactrice en chef, avec laquelle j’étais à l’époque d’accord sur tout ou presque[1. O tempora ! O mores !], j’avais lu Le Monde dans le TGV Lille-Paris. Pour la première fois, le quotidien du soir était bien obligé de donner des sondages faisant figurer l’hypothèse Chevènement au second tour de la présidentielle, soit contre Chirac, soit contre Jospin. Comme l’avait annoncé le « Ché », le système « turbulait » enfin. Un troisième homme crédible, c’est-à-dire ni Jean-Marie Le Pen ni Arlette Laguiller, que la presse s’efforçait pourtant de faire monter avec force reportages.

C’était début 2002, à l’initiative d’Elisabeth Levy, toujours. Aux éditions Mille et Une nuits venait de paraître Contes de Campagne. Un « mélange », comme on disait autrefois, de textes politico-littéraires écrits par des femmes et des hommes venus de tous les horizons et racontant par le biais de fictions pourquoi ils soutenaient la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Je me souviens, parmi d’autres, de Régis Debray, Catherine Clément, Max Gallo, Houellebecq, Besson (Patrick) et même d’un poème de Philippe Muray. Je me souviens aussi que j’avais été très fier d’avoir été sollicité. Je n’ai jamais eu de problème avec cette idée de l’engagement de l’écrivain ou de l’intellectuel, si décriée. Mettre ma plume au service d’idées auxquelles je crois me semble plutôt un acte responsable qu’une quelconque inféodation. Et il y avait un certain bonheur à soutenir cet homme-là, surtout pour un communiste en rupture de ban. Pour une fois, j’allais peut-être me retrouver dans le camp des vainqueurs, voir des idées auxquelles je croyais arriver au pouvoir. Parce que les causes perdues, ça va cinq minutes.

C’était début 2002, toujours. Le meeting de Chevènement au Zénith de Lille. Salle comble. Les sondages sont toujours bons, très bons. A la tribune, avant que Chevènement ne prenne la parole, je retrouve unie la France que j’aime, telle qu’en elle-même l’éternité la change. Il y a eu d’abord Pierre Lefranc, beau grand vieillard droit, ancien aide de camp du Général de Gaulle. Et puis Rémi Auchedé, député PCF du pas de Calais.

Il y a dix ans. Ce qu’ils disaient, pourtant, pourrait se redire aujourd’hui, mot pour mot. Ils annonçaient que l’Union Européenne ne pourrait jamais vivre sereinement avec l’euro. Que les inégalités sociales et les atteintes aux indépendances nationales iraient en grandissant. Que ce serait un cauchemar. Le gaulliste et le communiste, la main dans la main. Un homme qui avait connu la seconde guerre mondiale et un autre qui représentait à l’Assemblée Nationale toute la détresse d’un bassin minier désindustrialisé où la misère se concentrait comme jamais. A vrai dire, la présence d’Auchedé me rassurait. Je n’étais pas le seul communiste en rupture de ban, à trouver que Robert Hue transformait la vieille maison en une annexe vaguement branchouille avec défilés Prada place du Colonel Fabien.

Et puis, il y a eu le 21 avril 2002 et les résultats que l’on connaît. La chasse au Chevènement est devenue le sport préféré de la gauche. La calamiteuse campagne de Jospin, son « Etat ne peut pas tout », son « Mon programme n’est pas essentiellement socialiste », c’était notre faute. La multiplication des candidatures à gauche avec chaque leader de la majorité plurielle qui voulait tenter sa chance, même les radicaux de gauche avec Taubira, c’était notre faute. On avait beau objecter que Chevènement, ministre de l’Intérieur, était le seul à avoir selon sa belle habitude claqué la porte du gouvernement sur la question corse, si mes souvenirs sont bons, et que sa candidature était légitime à gauche puisque réellement alternative, rien n’y faisait. On était devenu tricards. Le Pen au deuxième tour, c’était la faute à Chevènement et aux chevènementistes…

Ce qui est drôle, c’est que l’annonce de sa candidature, ce week-end, a provoqué les mêmes réactions. 21 avril 2002, encore une fois, si Chevènement persistait. Sa candidature pourrait faire du mal à Hollande dont on m’explique pourtant que l’avance dans les sondages est incommensurable.

Ce n’est pourtant pas ce qui me gêne ou me rend un peu triste dans l’annonce de la candidature de Chevènement. Je suis davantage troublé par cette ressemblance avec un boxeur qui va mener le combat de trop et par cette fameuse phrase de Marx citant Hegel au début du 18 brumaire de Louis-Napoléon sur l’histoire qui se répète : la première fois, c’est une tragédie, la seconde, une farce. Voilà bien une candidature inutile, surtout pour les idées qu’elle prétend défendre. Le souverainisme, de gauche ou de droite, dont Chevènement représentait la synthèse miraculeuse quand, pendant quelques mois, il était parvenu à réunir sur son nom des républicains des deux rives, n’est plus incarné par lui. C’est la grandeur et l’injustice de la vie politique. Les idées survivent aux hommes qui les ont portées et vivent sans eux, parfois malgré eux. L’offre électorale souverainiste, on peut la trouver à droite chez Nicolas Dupont-Aignan et son mouvement DLR et à gauche chez Mélenchon qui a fait retrouver à la gauche de la gauche une sensibilité républicaine.

Comme le gaullisme n’était pas la propriété de De Gaulle ou le séguinisme celle de Seguin, le chevènementisme n’est pas l’apanage de Chevènement. En voulant à nouveau représenter des idées qui n’ont jamais été autant d’actualité, il risque de les éparpiller façon puzzle, ce qui n’est pas la meilleure façon de sortir en beauté et de laisser une trace dans l’Histoire.



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