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Didier Kaminka, compagnon de route du parti d’en rire!

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Monsieur Nostalgie nous parle de Didier Kaminka, acteur, dialoguiste, scénariste et réalisateur disparu en septembre dernier qui fit les grands soirs de la comédie française à la télévision et au cinéma.


La comédie est le parent pauvre du cinéma. C’est elle qui fait bouillir la marmite et lorsqu’il s’agit de lui rendre hommage, ne serait-ce qu’un billet doux en remerciement pour le travail effectué, plus personne ne répond à l’appel. La reconnaissance du ventre est bien timide dans notre pays. On lui tourne le dos par peur de se salir l’esprit. Sans gêne, les médias prescripteurs préféreront toujours encenser un obscur réalisateur des nouvelles vagues successives, au néo-réalisme poisseux et victimaire, le genre donneur de leçons et terreur des studios, financé par nos impôts pour mieux caricaturer notre populisme franchouillard. Le masochisme de l’exception culturelle ne connaît pas de limite en France. Et pourtant, quand on interroge le public sur ses goûts profonds et ses souvenirs de longs métrages, il ne puise pas sa réflexion dans une encyclopédie pesante mais dans les classiques du dimanche soir.

L’humour d’antan

Tout de go, il se rappelle des Ripoux et des Sous-doués avec une certaine volupté et malice. Son visage s’illumine, la gaudriole et la farce ne lui déplaisent pas, la tradition vient de loin, de Rabelais et de Molière. L’absence de sérieux est encore la plus belle marque que peut montrer un peuple civilisé à la face du monde. C’est là, dans la débandade des deux branques encagoulés (Jugnot et Auteuil) de l’inénarrable Pour cent briques, t’as plus rien que se niche cette satanée identité française et non sur le fronton des Hôtels de ville. Le creuset de notre nation se trouve dans Philippe Noiret se « prenant » une balle dans le bide pour sauver la mise à son collègue ou dans Guy Marchand chantant Destiné dans un « love-computer » de stations balnéaires.

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Si les élites sont incapables de comprendre cet élan salvateur vers le divertissement, elles ne peuvent plus rien pour nous. Le lien est définitivement rompu. Il y eut, par le passé, La Grande Vadrouille et Le Corniaud, ces deux bornes tutélaires ont plus soudé les familles dysfonctionnelles que les déclarations d’un sous-secrétaire d’État à la cohésion sociale. Puis dans les années 1980, il y eut la patte Didier Kaminka (1943-2024). Il fut de toutes les aventures comiques de la décennie, dans l’ombre de Claude Zidi, Édouard Molinaro, François Leterrier, Christian Gion ou Pierre Richard. À la manœuvre, en tant qu’acteur ou réalisateur, complice de Georges Beller et de Luis Rego, il avait gagné la bataille idéologique chez les adolescents de ma génération en imposant un humour décomplexé et bon enfant qui avait vocation à faire marrer, sans se soucier des différences, sans la peur de blesser ou d’outrager l’Autre. Le drame de notre époque où la moindre remarque est perçue comme une remise en cause de la personne humaine. Cette liberté d’expression qui n’était aucunement revendiquée comme un acte militant ou politique paraît aujourd’hui un asile lointain. Nous avons la nostalgie de cette déconne qui était un bien commun partagé par tous et où le second degré était inhérent à l’art de la conversation et l’autodérision, une forme avancée de politesse. Tout n’était pas pris au drame et au larmoyant.

Un artiste tout terrain

Coluche en roublard de « Planète assistance » ou en inspecteur catastrophe serait perçu seulement par nos effarouchés du moment comme un grossier personnage, alors qu’il était un clown à deux faces, à la fois hilarant de veulerie et ultra-sensible dans sa solitude.

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Didier Kaminka, yeux bleus et cheveux ébouriffés, était un acteur lunaire et un artiste tout-terrain, avec une large palette allant de l’emmerdeur irrésistible sur grand écran à l’artiste contemporain. L’un de ses touche-à-tout, pouvant jouer la comédie, réaliser un film, écrire sur commande et peindre un tableau « pop déstructuré ». Parmi sa filmographie, j’ai un faible pour Association de malfaiteurs et cette réplique magique de François Cluzet : « Je gagne 10 briques par mois, qu’est-ce que j’irai voler une mob pourrie ? ». En passant derrière la caméra, il réalisa notamment Promotion canapé qui mérite d’être réhaussé par la critique, avec la très talentueuse actrice Margot Abascal et A quoi tu penses-tu ? avec Richard Anconina dont la bande-annonce est absolument à voir sur YouTube. Et si ça ne suffisait pas de vous convaincre, Kaminka a été au générique d’un épisode (Week-end à Deauville) de la série Sam et Sally avec Georges Descrières et Corinne le Poulain. Il est donc intouchable !

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Les violences barbares contre les femmes ne connaissent pas de frontières

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Le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, devrait être un jour d’union mondiale contre toutes les violences faites aux femmes. Pourtant, alors que des femmes juives, israéliennes, afghanes, iraniennes et d’autres subissent des actes barbares motivés par des idéologies extrémistes et violentes, le silence de nombreuses voix résonne étrangement et signe de toute évidence un manque de soutien face à ces oppressions.


Les attaques contre les femmes, qu’il s’agisse des crimes du Hamas en Israël ou de la répression brutale en Afghanistan et en Iran, témoignent de la volonté de certains, notamment parmi les mouvements islamistes radicaux, de nier les droits fondamentaux et la dignité des femmes. Ces violences sont souvent marquées par une cruauté extrême : viols, enlèvements, interdictions de parole ou d’éducation, et punitions impitoyables pour celles qui osent revendiquer leurs droits.

En Iran, le viol comme arme de répression du régime

Le régime iranien a été dénoncé pour l’utilisation systématique du viol contre les femmes arrêtées lors de manifestations. Le viol est ici instrumentalisé comme un outil de terreur et de châtiment pour briser la résistance de celles qui osent s’opposer au régime ou revendiquer leurs droits. Près d’un an et demi après la mort de Mahsa Amini et la répression du mouvement « Femme, Vie, Liberté », l’étudiante qui a manifesté en sous-vêtements le 2 novembre 2024 aurait été transférée dans un hôpital psychiatrique.

Attaque contre Israël : le viol, arme de guerre du Hamas

Les violences perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël ont montré une violence inouïe, dans laquelle des femmes ont été violées et tuées. Le viol a été utilisé comme une arme de guerre, un moyen de détruire des familles et de terroriser la population. 

Ces actes montrent la violence extrême que le Hamas n’hésite pas à exercer contre des civils, et notamment des femmes, pour tenter d’imposer sa vision de la société.

À ce propos, la comparaison de Rima Hassan entre les otages israéliens et les prisonniers palestiniens est indécente. La comparaison osée par l’eurodéputée entre les otages israéliens et les prisonniers palestiniens ignore la réalité des violences spécifiques subies par des femmes otages, détournant ainsi l’attention de leur souffrance et de la nature ciblée de ces agressions.

Les femmes afghanes, une discrimination et une violence extrêmes

Sous le régime des Talibans, les femmes afghanes n’ont plus le droit d’étudier, de travailler, de se déplacer sans être accompagnées d’un homme, ni de s’exprimer librement ou même de se parler entre elles. Toute tentative de résistance est réprimée, réduisant ces femmes à un isolement imposé par l’idéologie islamiste.

Violences sexuelles en République Démocratique du Congo : après le traumatisme vient la stigmatisation

En République Démocratique du Congo, les violences sexuelles perpétrées dans les zones de conflit laissent des femmes profondément traumatisées et stigmatisées par leur communauté, sans accès aux soins ou à la justice, aggravant leur souffrance et leur isolement.

Le viol, tabou suprême de la guerre en Ukraine

Des femmes ont été exposées à des actes de violences sexuelles, utilisés comme des armes de guerre et de terreur dans les zones de combat. Ces agressions rappellent la brutalité qui sévit dans des conflits où les femmes sont souvent des victimes impuissantes.

Des exemples de violences contre les femmes en France dont les féministes ne parlent pas

En France, les meurtres de Mireille Knoll et Sarah Halimi, deux femmes juives assassinées en 2018 et 2017 lors de crimes antisémites, soulignent l’ampleur de ces violences.

1. Mireille Knoll, survivante de la Shoah, est poignardée et partiellement brûlée dans son appartement. Ses meurtriers, Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, sont mis en examen pour meurtre antisémite.

2. Sarah Halimi est battue et défenestrée par Kobili Traoré, jugé pénalement irresponsable en raison de l’usage de drogue. La polémique autour de cette affaire a suscité une indignation nationale.

3. À Courbevoie, le viol antisémite d’une enfant de 12 ans par trois adolescents, dans des conditions rappelant la barbarie du massacre du 7-Octobre, incarne l’horreur absolue et souligne le besoin urgent de pédagogie et de fermeté envers une partie de la jeunesse.

Un jour pour l’union

Pour ce 25 novembre, rappelons-nous qu’aucune cause ne doit être laissée de côté dans cette lutte universelle. La solidarité entre les femmes doit être inconditionnelle : c’est l’union qui permettra d’éradiquer ces oppressions, et de bâtir un monde de dignité, de progrès et de justice pour toutes. Les violences barbares contre les femmes à travers le monde, souvent exercées par l’islamisme radical, pourraient bien demain se manifester en France sous différentes formes si nous ne faisons rien.

Face aux violences barbares contre les femmes, qui malheureusement ne connaissent aucune frontière, il est urgent d’agir, mais aussi de rêver. En ces temps troublés, ayons l’audace d’un espoir universel, porté par tous, hommes et femmes ensemble : “Faisons de chaque femme sur Terre une Lady, libre et respectée.” Ce rêve dépasse les frontières, tout comme les souffrances que subissent des millions de femmes à travers le monde. Ensemble, en unissant nos forces, faisons de ce rêve une réalité où chaque femme peut vivre dans la dignité, la sécurité, et la liberté qu’elle mérite.

Une tribune libre dédiée à Naama Levy, symbole des violences faites aux femmes et encore otage du Hamas.

La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


C’est un petit ouvrage relié en plein maroquin couleur cognac, rehaussé d’une dorure au fer. Sur la page de garde de cet exemplaire chiné près du Pont-Neuf est collée une étiquette. Les mentions imprimées sont complétées à la plume : « Pensionnat de Dourdan. 2e Prix d’Analyse logique décerné à M. Henri Billard. Élève de la classe de français 1ère division. Dourdan, le 26 août 1841. Le Directeur du pensionnat : Bals. »

Son titre complet : Les petits artisans devenus hommes célèbres ; ouvrage fait pour inspirer des sentiments d’élévation aux jeunes gens des deux sexes, même dans les classes les plus inférieures de la société. C’est le parfait exemple du livre de prix, cette récompense que l’on décernait aux élèves méritants en fin d’année – la tradition perdure, si, si, dans quelques établissements. L’auteur, qui signe ici A. Antoine (de Saint-Gervais), est aussi connu sous Antoine Antoine, Antoine de Saint-Gervais ou Antoine Antoine de Saint-Gervais… coquetterie d’écrivain ou caprices d’éditeurs avares de leurs plombs, on l’ignore. On ne sait rien de sa vie, si ce n’est qu’il est né en 1776, est mort en 1836, et que sa production éditoriale, entièrement vouée à l’élévation des jeunes esprits, a traversé les bouleversements politiques du XIXe siècle – il a été longtemps réédité. Au fil de ses ouvrages, Antoine démontre un vrai talent d’historien vulgarisateur, un brin moraliste, et dans un beau français, sobre mais imagé, simple et précis (nous sommes au XIXe !), il expose ses sujets d’étude en précepteur pédagogue. Dans sa préface, il affirme : « Oui, nous pensons que présenter à la jeunesse un livre où on lui prouve, par des exemples réels, qu’il n’est point de position malheureuse d’où l’on ne puisse se tirer, point d’état si petit d’où l’on ne puisse s’élever en travaillant, en se donnant de la peine, en cherchant tous les moyens de s’instruire et de se rendre recommandable aux yeux de ses concitoyens, nous pensons que présenter à la jeunesse un tel livre, c’est lui rendre un service éminent. » Nous sommes loin du désolant discours actuel qui se contente de pointer « l’oisiveté » de nos petits anges.

A lire : Cuisine: Montmartre fait de la résistance

Cette lecture désuète n’est pas fastidieuse : ce n’est pas une compilation de notices biographiques, mais une gentille mise en scène montrant un certain M. Doutremont avec ses enfants. En promenade à la campagne ou au coin du feu à la maison, il les entretient de la grande histoire. Pour cette leçon de mérite, il ressuscite 232 personnages historiques, plus ou moins connus, de l’Antiquité, des Français et des étrangers, des hommes et des femmes (on en compte 13). On apprend que, grâce à son intelligence, Olivier Le Dain, barbier de Louis XI, a été nommé ministre ; que le forgeron Kaob est devenu prince perse ; que le peintre Gainsborough est fils d’un petit marchand de draps ; que Mme de Maintenon est née dans une prison de Niort ; que Théophanie, fille d’un cabaretier, a épousé Romain II, empereur d’Orient ; que le général Roussel, tué à Ostrowno en 1812, était fils de rémouleur…

Nul doute que cette galerie de destins ne récolterait pas beaucoup de likes et de followers sur TikTok ou Instagram, « mais du moins vous aurez la satisfaction de penser que la lecture de ce livre ne peut qu’offrir un résultat bien doux à l’humanité ».


Les petits artisans devenus hommes célèbres, de A. Antoine, Paris, F. Denn, Libraire-Éditeur, 1829.

Prêtre soldat

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Pierre Bockel (1914-1995), prêtre catholique, fut résistant. Il est célèbre pour avoir été l’aumônier de la « très chrétienne » Brigade Alsace-Lorraine, créée le 17 septembre 1944, commandée par André Malraux, le « colonel » Berger, qui préfaça L’enfant du rire, mémoires réédités en octobre 2024 dans la collection Les Cahiers Rouges (Grasset).


Dans L’enfant du rire, Pierre Bockel relate le chemin spirituel qui le mena à la prêtrise puis ses années sombres de clandestinité et de résistance où il participa, en décembre 1944, à la défense de Strasbourg pendant la contre-offensive allemande. Il évoque également son dialogue complexe mais lumineux avec l’agnostique Malraux. Dans sa longue préface, l’écrivain, antifasciste de la première heure, prix Goncourt 1933 pour La Condition humaine, écrit : « Presque toutes les civilisations qui ont précédé la nôtre ont connu leurs valeurs, et même l’image exemplaire de l’homme qu’elles avaient élue. La civilisation des machines est la première à chercher les siennes. » Il ajoute, avec une image dont il a le secret, et qui clôt sa préface : « J’entends de nouveau le murmure que j’entendais naguère : à quoi bon aller sur la lune, si c’est pour s’y suicider ? » La question se pose en effet, et de manière angoissante. Elle nous invite à vouloir la résurrection de la foi, c’est-à-dire de l’engagement, son sens étymologique. À l’heure de l’individualisme exacerbé, du brouillage généralisé, du triomphe de la haine et de l’aveuglement, la réédition des mémoires, très documentés, du résistant Bockel doit être considérée comme une divine surprise.

Dès le début, le rythme du récit ne nous laisse pas indifférent. Le jeune Bockel, à peine plus de quinze ans, né en Alsace, le front haut et le cheveu jais, mal dans sa peau, l’esprit sombre et le muscle tendu, est assis dans le compartiment du train qui serpente dans la vallée de Saint-Amarin, son village natal. En face de lui, un abbé en soutane qui dit que la vie est belle. L’adolescent frondeur répond non avec force. L’abbé lui flanque alors une gifle. « Mais avec un tel sourire », écrit Bockel. L’homme de Dieu se nomme Flory. Plus jamais le jeune Alsacien ne pensera que la vie ne vaut rien. Il est comme touché par la grâce. Ou, plus exactement, l’abbé vient de lui révéler que la grâce est en lui. L’aventure spirituelle commence. Il nous la livre dans L’Enfant du Rire. Il affirme que nous ne devons pas nous résigner, encore moins nous soumettre. L’engagement est la règle d’or. Malraux, quant à lui, affirme qu’il faut « se résoudre dans l’action ». Ils se battront côte à côte pour libérer Strasbourg. Israël honorera Pierre Bockel du titre de « juste parmi les nations » en 1988, récompensant le dépassement de soi, valeur suprême.

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Pierre Bockel ne cesse de côtoyer la mort des autres. Il tente de rassurer l’agonisant devant son mystère. Il réconforte aussi ceux qui viennent de perdre un être cher. Ainsi, à la demande de Malraux, il célèbre une messe pour les deux fils de l’écrivain tués dans un accident de la route, resté suspect. Après l’enterrement, Bockel note : « Tragiquement Malraux retrouvait son thème familier : la mort. Elle fut l’objet de notre entretien tout au long de cette journée printanière que, loin de nos cœurs, illuminait un soleil éclatant. » La réponse au mystère de la mort ne peut être que religieuse ; sinon, il n’y a pas de réponse. Et notre civilisation, essentiellement tournée vers la Technique, est menacée de disparition.

La page 88 révèle le sens du titre de l’ouvrage. Il se comprend à la lumière du résumé de la vie de Sara, l’épouse d’Abraham. Sara, stérile, finit, malgré l’âge, par donner un fils à son mari. Comment ? Réponse de Sara : « Dieu m’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me souriront. » L’enfant fut prénommé Isaac : Dieu rit. En toutes circonstances, il faut refuser de s’abandonner au désespoir. De même que face à la société marchande, le rire est une réponse qui désarme. Bockel, jusqu’à la fin de sa vie, fut donc l’enfant du rire. Sans cesse, il rechercha l’enfance tapie en lui. Il écrit, comme une leçon à transmettre : « L’enfance retrouvée par-delà les dégâts de la vie m’est toujours apparue à la fois comme le signe et la condition de l’intelligence spirituelle et de la sainteté, et finalement n’en déplaise à certains psychanalystes, comme la plus haute manifestation de l’âge adulte. » C’est peut-être pour cela que Pierre Bockel ne fut pas affolé par Mai 68. De cette explosion spectaculaire devait surgir l’espoir d’une société moins matérialiste. Une sorte d’appel d’air. Bockel écrit : « Mai 68 fut un signal d’alarme, c’est-à-dire l’affirmation percutante par la génération de demain que non seulement cette société est polluée jusqu’à devenir inviable, mais encore qu’elle menace l’homme et la civilisation tout entière. » Mais les « idoles d’argent », certes bousculées, retrouvèrent rapidement leur équilibre.

Dans sa préface, Malraux souligne que « toute noblesse humaine est langage de Dieu. » C’est cette phrase qu’il convient de retenir en conclusion. Cette noblesse n’a pas disparu ; il suffit d’être un peu attentif à l’autre.

Pierre Bockel, L’Enfant du Rire, Les Cahier Rouges, Grasset. 168 pages

L'enfant du rire: Préface d'André Malraux

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Corée: être immigré chez soi

Confrontée à une crise démographique grave, la Corée du Sud encourage le retour au bercail des « Coréens ethniques » dont les ancêtres avaient émigré. Cette politique rencontre un grand succès. Mais, des tensions entre population indigène et remigrante sont constatées.


Si certains pays européens s’inquiètent de leur déclin démographique, ils ne sont pas encore dans la même situation que la Corée du Sud qui, avec 0,72 enfant par femme, a le taux de fécondité le plus bas du monde. Il faut un minimum de 2,1 pour maintenir une démographie stable et la population de ce pays pourrait être réduite de 50 % d’ici la fin du siècle si rien n’est fait. Or, les Coréens ont trouvé une solution originale : encourager à rentrer au bercail des « Coréens ethniques » dont les ancêtres ont émigré il y a longtemps.

Selon nos confrères de la BBC, en 2023, 760 000 de ces personnes installées en Chine ou dans des pays russophones étaient revenues s’installer en Corée. La plupart sont des Koryo-Saram qui sont partis vivre dans la Russie orientale à la fin du xixe siècle et au début du xxe, particulièrement pour fuir la colonisation japonaise à partir de 1910. Beaucoup ont été transférés de force vers l’Asie centrale par Staline et se sont retrouvés plus tard citoyens d’États ex-soviétiques comme l’Ouzbékistan ou le Kazakhstan. C’est à partir de 2001 que la Corée permet à cette population de se réinstaller dans le pays de leurs ancêtres. Le flux des rentrants a augmenté à partir de 2014 quand l’État a autorisé le regroupement familial. L’économie coréenne a grand besoin de ces nouveaux arrivants dont beaucoup sont employés dans des usines qui, sans eux, ne tourneraient pas. Il y a un seul hic : l’État n’a pas pensé l’intégration de ces nouveaux Coréens. La plupart ne parlent pas coréen, mais russe. À l’école, leurs enfants forment une catégorie à part, celle des « élèves multiculturels ». Malgré deux heures quotidiennes d’apprentissage du coréen, ils progressent plus lentement, ce qui pousse les parents coréens à retirer leurs enfants des établissements trop mixtes. D’autres tensions d’ordre social se sont installées entre les populations indigène et remigrante.

Ce qui montre, une fois encore, que la résistance à l’immigration ne s’explique par une demande raciste d’homogénéité ethnique, mais par une exigence d’intégration culturelle.

Un temps retrouvé

Marie-Blanche de Polignac est injustement oubliée. La fille de Jeanne Lanvin a pourtant été une grande musicienne et une figure majeure de la vie artistique et mondaine du XXe siècle. Dans une biographie magistrale, David Gaillardon restitue à sa juste place cette icône du Tout-Paris dans ses derniers feux.


Pas facile d’être la fille unique de Jeanne Lanvin. Dans les pages de cette biographie consacrée à Marguerite Lanvin, future Marie-Blanche de Polignac, la génitrice ne cède pas de sitôt la place : la fondatrice de la légendaire maison de couture reste incontournable. Et elle gardera sa vie durant un rapport exclusif avec sa « Ririte » adorée. Après de longs atermoiements, celle-ci épouse un médecin, René Jacquemaire, le petit-fils du « Tigre » : « Au fil des années, la fille de Jeanne Lanvin devient une intime du clan Clémenceau », écrit David Gaillardon. 

Salons parisiens

Les Jacquemaire fréquentent chez des gens lancés : parmi eux, Jean de Polignac, neveu de la princesse Edmond de Polignac, née Winnaretta Singer. « La société mondaine et aristocratique si bien décrite » par Proust « à son apogée, avant-guerre », a muté : selon Morand, le salon de la bru du « Père La Victoire » passe pour « la fumerie la plus élégante de Paris ». De bonne heure opiomane et s’arsouillant au champagne, Ririte se produit dans les salons les plus courus. La musicienne Germaine Tailleferre la rapproche du « groupe des Six » (Milhaud, Auric, Honegger, Poulenc, Louis Durey…) Voyant Mme Jacquemaire harcelée par Rubinstein, Jean s’entremet ; de galant à amant, le pas est franchi : en 1922, Ririte divorce de René. La richissime mécène « tante Winnie » anime alors, avenue Georges Mandel, « le salon musical le plus en vue de Paris ». Il faut son aval pour épouser Jean. Marguerite « a pour elle sa beauté, son charme et bien sûr ses dons musicaux » : en 1924, Marguerite change son prénom en Marie-Blanche, et devient comtesse Jean de Polignac.

Vis-à-vis de son gendre, « Jeanne Lanvin restera toujours une belle-mère discrète et effacée ». Elle nantit néanmoins le petit ménage d’une villa près d’Antibes, La Bastide du Roi. Voyage de noce « aux Indes » ; au retour, vie trépidante : Marie-Blanche est l’ornement des « vendredis » de la princesse Edmond. « Au fil des années, dans un cercle d’élus, être invité par les Polignac [au château de] Kerbastic, dans le Morbihan, revêtira le même enjeu que d’être convié à Marly par Louis XIV ». L’orbite des Polignac s’est élargie à la galaxie d’Edouard Bourdet, dramaturge à succès – et futur patron du « Français »… Dans cet entre-deux guerres, l’Olympe parisien festoie : très exclusifs sont « les bals à thème que donnent l’aristocratie et la grande bourgeoisie dans leurs hôtels particuliers et dont la vogue est alors à son comble ». Sur fond de rivalités mondaines, Etienne de Beaumont en est le manitou, Marie-Laure de Noailles la poétesse vipérine, Cocteau la coqueluche, Charles de Beistegui le continuateur inspiré…

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« Muse au goût très sûr », Marie-Blanche est l’épicentre d’une cour. Y entrer, « pour un artiste, c’est accéder au cœur même de la création artistique et de ceux qui la soutiennent. Une pluie d’or s’abat ensuite sur les adorateurs de l’insaisissable sylphide… ». L’hôtel du 16, rue Barbet-de-Jouy sera « l’écrin légendaire dans lequel elle va désormais recevoir… ».  Rencontre capitale : Nadia Boulanger, « Herr Professor ». L’Ensemble Boulanger sera la nouvelle religion de Marie-Blanche : soliste hors pair, elle enchaîne les représentations. À Paris, Londres, New York, Boston : concerts, récitals, matinées…

La guerre porte un coup fatal à ces transhumances : sur tous les fronts, Marie-Blanche alterne les déplacements entre Kerbastic et Paris, se produit avec Nadia Boulanger au Théâtre aux armées. Le château est réquisitionné ; à distance de l’Occupant, la comtesse soupe en cuisine ; le châtelain abrite un réseau de résistance. Dès 1940, Nadia s’est exilée aux States.

Veuve en 1943

Gaillardon dépeint avec brio les sinuosités de l’Occupation, plus douce à certains qu’à d’autres ; le deuil de Marie-Blanche, veuve de Jean en 1943 ; la mort de Winnaretta à Londres, âgée de 75 ans ; les tentatives de la comtesse pour sauver ses vieux amis : le chanteur lyrique Doda Conrad, ou le compositeur Fernand Ochsé – qui ne reviendra pas d’Auschwitz… Dans cette époque poisseuse, un « camaïeu de gris (…) dépeint l’attitude des musiciens français… ».

Après-guerre, le monde a changé – le « grand monde » y compris. Marie-Blanche « sait descendre de son lointain Olympe pour entrer dans l’arène », quitte à défendre certains politiciens pas blanc-bleu. Si la vie reprend ses droits, la société mondaine reste divisée entre Résistants et collabos : le beau-frère Polignac, Melchior, patron de Pommery, sera ostracisé, tandis que Louise de Vilmorin « brille de tous ses feux et conquiert » l’ambassadeur Duff Cooper. Marie-Blanche, elle, s’éprend de l’architecte Guillaume Gillet, 33 ans, de 15 ans son cadet. Un an plus tard meurt Jeanne Lanvin : la comtesse de Polignac devient patronne de la maison. Atteinte d’une tumeur au cerveau, en 1951, Marie-Blanche choisit d’en confier la direction au jeune Antonio Castillo. « Certes, écrit Gaillardon, elle reste toujours l’une des femmes les plus élégantes de Paris » ; on se presse aux « dimanches musicaux » de la rue Barbet, « catalyseur des plus grands artistes de son époque ». Le bal s’achève en 1957. Une voilette retenue par deux diamants cache le calvaire de Marie-Blanche – trépanation, méningite, coma… Elle « s’éteint paisiblement, à l’âge de 61 ans ».

À cette égérie, la biographie érudite de David Gaillardon ne se contente pas de rendre hommage : l’arrière-plan de cette sociabilité mondaine, vecteur de haute culture, promoteur du génie artistique, nous y est restitué dans un luxe de détails éblouissant : la recherche d’un temps perdu.    


À lire : Marie-Blanche de Polignac. La dernière égérie, David Gaillardon, Tallandier, 2024. 496 pages

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Islamisme: un regard incisif sur un défi majeur

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On risque d’attendre encore un peu l’islam des Lumières…


« Au travers de ce voyage en islamisme, Kamel Bencheikh met en lumière le fait que le carburant fondamentaliste vient de la confrontation politique avec l’Occident. Il résulte d’une faible culture, d’un faible ancrage religieux et spirituel de la part de ces fanatiques et d’une aversion pour ce qui est différent ». Extrait de la préface de Stéphane Rozès.


Préfacé par le politologue Stéphane Rozès et publié aux éditions Frantz Fanon, L’islamisme ou la crucifixion de l’OccidentAnatomie d’un renoncement de Kamel Bencheikh s’affirme comme un plaidoyer en faveur d’une réponse plus ferme et plus cohérente face à une idéologie qu’il décrit comme une menace pour les valeurs démocratiques. Kamel Bencheikh, auteur du roman Un si grand brasier dans lequel il décrit une déliquescence de la politique agricole algérienne dans le cadre de la révolution agraire sous l’emprise du colonel Boumediene, et du recueil de poèmes Printemps de lutte et d’amitié où il clame en quatrième page de couverture que « chaque parcelle de mes différentes activités macère dans cette laïcité totalement inconnue dans mon pays d’origine et que j’ai fait mienne en arrivant dans le pays de Voltaire et de Diderot », ardent défenseur de la laïcité, propose une analyse saisissante de l’essor de l’islamisme et des défis qu’il pose aux sociétés occidentales.

Une analyse enracinée dans l’expérience et l’observation

S’appuyant sur sa propre trajectoire et son vécu en Algérie, Kamel Bencheikh explore les transformations profondes qui ont affecté la société dans son pays natal, où les courants rigoristes ont éclipsé les pratiques religieuses traditionnelles. Son analyse dépasse cependant le cadre de l’Algérie pour dresser un portrait global de l’islamisme, qu’il considère comme un projet politique totalitaire. Ce courant, selon lui, exploite les principes mêmes des démocraties – liberté, égalité et tolérance – pour s’y infiltrer et y asseoir son influence.

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Kamel Bencheikh insiste sur le rôle central de l’éducation dans cette bataille idéologique. Il décrit l’école comme un terrain clé où s’affrontent les valeurs républicaines et les revendications identitaires promues par l’islamisme. En parallèle, il examine les réponses politiques variées en Europe, soulignant les failles et les incohérences des stratégies adoptées pour contrer cette idéologie.

La laïcité à l’épreuve des compromis

Pour l’auteur, l’affaiblissement de la laïcité est un symptôme alarmant d’une société en quête de compromis au détriment de ses principes fondamentaux. Il critique sévèrement les concessions faites au nom de la paix sociale, les qualifiant d’aveux de faiblesse face à une idéologie hostile. Parmi les exemples marquants, il dénonce l’autocensure qui gagne du terrain dans les milieux éducatifs, où les enseignants hésitent à aborder des sujets sensibles faute de soutien institutionnel.

Kamel Bencheikh plaide pour un renforcement des cadres légaux. Il préconise une adaptation des lois sur la laïcité, notamment la loi de 1905, qu’il estime inadaptée face aux nouvelles formes de radicalisme religieux. Parmi ses propositions, il suggère l’élargissement de la neutralité religieuse dans les espaces publics, une surveillance accrue des financements des groupes religieux, et une interdiction des pratiques religieuses ostentatoires.

Des raisons d’espérer malgré le constat alarmant

Malgré le ton souvent grave de l’ouvrage, Kamel Bencheikh laisse entrevoir des lueurs d’espoir. Il met en avant les efforts de certains mouvements réformateurs dans le monde musulman, comme ceux en Iran ou ailleurs, où des acteurs courageux, comme le mouvement Femme Vie Liberté, se battent pour un islam réconcilié avec les droits humains et les valeurs modernes. Ces initiatives, bien qu’encore marginales, représentent à ses yeux des dynamiques prometteuses que l’Occident aurait tout intérêt à soutenir.

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Un appel à la vigilance collective

Plus qu’un essai analytique, L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident est un appel à l’action et à la réflexion. L’auteur interpelle le lecteur sur la fragilité des valeurs démocratiques face à des attaques insidieuses. Il rappelle que la laïcité, loin d’être un principe d’exclusion, est la clé d’une coexistence harmonieuse entre croyants de toutes confessions et non-croyants.

Comme le souligne Stéphane Rozès dans sa préface, la France reste l’un des rares pays à garantir une liberté de culte et de conscience aussi large grâce à son modèle républicain. Mais pour Kamel Bencheikh, cette liberté doit être activement protégée contre toute tentative de subversion idéologique.

Un livre pour penser l’avenir

L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident s’adresse à tous ceux qui s’interrogent sur les défis contemporains liés à l’islamisme et sur les moyens de préserver une société fondée sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Loin de tout fatalisme, l’ouvrage invite à une prise de conscience collective et à une réaffirmation des valeurs universelles. Dans ce combat, Kamel Bencheikh voit un enjeu majeur : la défense non seulement des démocraties occidentales, mais aussi des fondements mêmes de la civilisation moderne.

258 pages.

L'islamisme ou la crucifixion de l'Occident

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Louée soit la littérature

Dans une lettre adressée aux candidats au sacerdoce, le Pape François refuse de faire une discrimination a priori entre les œuvres religieuses et profanes.


Qu’un Pape fasse l’éloge de l’art sacré n’a rien d’étonnant. En témoigne la « Lettre aux artistes » de Jean-Paul II, écrite en 1999. Qu’un Pape se lance dans un vibrant éloge de la littérature l’est davantage : c’est pourtant ce qu’a fait le Pape François, le 11 août dernier, dans une lettre, un peu passée inaperçue dans les médias, en raison de la ferveur olympique. Dans cette courte lettre, publiée aux éditions Équateurs et préfacée par un professeur au Collège de France1, le Pape entend promouvoir « un changement radical » dans la formation des prêtres, en donnant à la littérature — pas la « littérature d’idées », fût-elle religieuse ou édifiante, mais celle des romans et de la poésie— la place qu’elle doit avoir dans la formation de tous.

Littérature profane et foi

Dans le style familier qui lui est coutumier, avec plein d’exemples, le Pape, qui n’oublie pas avoir enseigné quelque temps, envisage les bienfaits de la lecture des œuvres littéraires sur le corps, l’esprit, l’âme, en remédiant au stress, en détournant des écrans mortifères et des obsessions qui enferment, en guérissant la passivité intellectuelle, par les mots et le recours constant aux symboles, en ouvrant à l’altérité de « la voix de l’autre », comme le dit Borgès que le Pape aime particulièrement et a connu. Rien de neuf, direz-vous. Sous la plume du Pape, si, car le Pape ne fait pas de discrimination a priori entre œuvres religieuses et œuvres profanes.

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Là ne s’arrêtent pas les bienfaits de la littérature, laquelle a une vocation spirituelle : elle remplit la mission donnée à Adam de nommer les êtres et les choses, c’est-à-dire de leur donner un sens. Loin de toute vision simplificatrice du bien et du mal, ou idéologique, elle fait entrer dans la complexité de l’âme humaine et de ses abîmes qu’est venu habiter le Seigneur. Gymnastique de discernement au sens ignatien, qui fait passer de la conscience de nos misères —« la désolation » — à notre croissance spirituelle, elle est aussi nourriture substantielle, « digestion » et « rumination » qui permet d’assimiler la vie en profondeur. On reconnaît là l’amoureux du film « Le Festin de Babette ». Elle est enfin empathie et communion : voir à partir des yeux des autres élargit notre humanité. Constatant la piètre estime que l’on fait de la littérature dans les séminaires, le pape veut remédier à l’appauvrissement intellectuel et spirituel de la foi.

Lire Proust au séminaire ?

La littérature, en effet, est l’expression de la polyphonie de la Révélation, le beau fruit de l’incarnation d’un Dieu fait chair. Dans chaque grande œuvre, on peut chercher « la semence » déjà enfouie de la présence de l’Esprit —« le dieu inconnu » dont parle saint Paul—car « toutes les paroles humaines portent la trace d’une nostalgie de Dieu. » Belle idée que met en valeur, ici, le Pape !

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Le Pape a mille fois raison. Il ne s’agit pas qu’un séminariste fasse un master sur La Recherche mais connaisse « les grands classiques » qu’on étudie —qu’on devrait étudier—dans les classes : les tragiques grecs, aimés tout particulièrement par le Pape, Dante, Shakespeare, Cervantès, Racine, Balzac, Dostoïevski, Lorca, Celan… Cette connaissance de l’être humain à travers la littérature, permettrait de connaître la richesse herméneutique de l’Evangile et la spécificité « littéraire » des paraboles utilisées par le Christ.

Bien sûr, le Pape a ancré théologiquement son propos dans la Tradition : saint Paul et les pères de l’Eglise dont saint Basile et Thomas d’Aquin— dont la relique de son crâne a circulé récemment en Europe. On entend déjà les réserves au propos papal. Lire Proust au séminaire ! Celan ! Peu importe, cette lettre qui devrait toucher tout le monde, croyant ou non, fait le plus grand bien. L’ouverture à l’infini du divin, le tragique de la condition humaine, c’est dans la littérature qu’on les trouve exprimés de manière privilégiée.

61 pages.

Louée soit la lecture: Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation

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L’éléphant de quartz

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  1. William Marx NDLR ↩︎

Salariés escortés dans le nord de Paris: «Une impression de gâchis»…

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À la frontière du 19e arrondissement, entre Paris et Aubervilliers, une zone gangrenée par l’insécurité liée aux toxicomanes impose un dispositif renforcé de vigiles, financé par BNP Paribas et d’autres entreprises, pour protéger les salariés, notamment via des escortes sécurisées vers le RER, révélait Le Figaro dans un reportage récent. Analyse.


Le parc de la « Forêt linéaire nord »[1], autrefois conçu comme un espace de détente, est aujourd’hui fermé au public en raison de la délinquance. Tandis que certains salariés se sentent rassurés par la présence des vigiles, d’autres critiquent le manque de prise en charge des toxicos voyous…

La banque d’un monde qui change

La situation de la « forêt linéaire nord », rapportée récemment par Le Figaro, est en réalité une tragique illustration de ce que devient le pays tout entier. « Un lieu de promenade et de détente, protégé par un mur antibruit » d’après la ville de Paris, en réalité un coupe-gorge fermé au public, lieu de rassemblement de toxicomanes et de migrants, au point que les entreprises installées à proximité – notamment BNP Paribas – ont mis en place des vigiles pour protéger leurs salariés d’une « population malveillante »« suivre les éléments perturbateurs » et depuis peu proposer une fois le soir tombé une « escorte » jusqu’à la station RER voisine.

Folle anecdote

Il y a tout, dans cette anecdote, qui n’est donc pas une anecdote, ni un fait divers, et qui est même plus qu’un fait de société : c’est le symbole d’une société entière. Une République devenue folle à force de s’idolâtrer elle-même, refusant d’assumer ses responsabilités régaliennes alors même que son avidité fiscale se déchaîne – les débats actuels au Parlement en sont la preuve. Une population partagée entre ceux qui se prennent en charge pour pallier l’inefficacité publique dans la mesure de leurs moyens (les entreprises organisent des rondes de vigiles, distinguent des « itinéraires recommandés » et des « itinéraires déconseillés », etc.), et ceux qui professent un aveuglement effarant. Ainsi, ce « jeune salarié de la BNP » qui déclare « Ils grattent de la monnaie ou demandent des clopes. Il n’y a rien d’agressif. Pour moi il y a trop de vigiles », alors même qu’ « une dame qui fait le ménage » chez BNP « a déjà été attrapée deux fois à la gorge par le même toxicomane »… On se gardera évidemment de surinterpréter des informations aussi partielles, tout en admettant qu’il y a là une parfaite représentation du dédain des bien-pensants envers les « petites gens » qui subissent de plein fouet l’insécurité. Ah, « C à Vous » parlant de Crépol…

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Tout le monde se refile le bébé

Quoi d’autre ? Une compassion qui nourrit le désarmement collectif – à moins qu’elle n’en soit que le masque, justification maladroite pour ne pas s’avouer l’absence de combattivité collective : « ce sont des gens en situation de détresse »« il n’y a aucune prise en charge »« ils ont besoin d’être soignés, c’est un sujet de santé publique ». Une institution judiciaire dont le bilan est là, étalé aux yeux de tous : « on arrête régulièrement des toxicomanes pour des galettes de crack mais on sait qu’ils vont être libérés » explique un policier – et la « dame qui fait le ménage » se fait agresser deux fois par la même personne, une étudiante se fait agresser sexuellement à la sortie du RER, un salarié doit être hospitalisé après une agression…. « C’est une problématique qui dure depuis longtemps (….) tout le monde se refile le bébé. Ça dépend un peu de la volonté politique du moment. »

Stop à la tiers-mondisation de la France

Et demain ? Un scénario catastrophe de tiers-mondisation, ne laissant aux Français que le choix entre se soumettre aux narco-trafiquants (voire aux narco-califats) et se réfugier auprès de ceux qui auront les moyens de financer des armées de vigiles, nos rues partagées entre ces diverses incarnations modernes des Seigneurs de la Guerre ? Ou un sursaut, une autorité soucieuse d’efficacité et de décence commune, capable politiquement et moralement d’assumer l’utilisation de la violence légitime pour protéger les citoyens, en même temps qu’un réarmement moral et juridique de ceux-ci (je pense par exemple aux propositions de réforme de Thibault de Montbrial sur la légitime défense) ? Une autorité capable d’assumer les bras de fer nécessaires pour arrêter les dérives gauchistes militantes d’une trop grande part de l’institution judiciaire, afin que cette dernière cesse enfin de sacrifier les innocents à ses rêves d’ingénierie sociale ? Une autorité, en somme, qui remettrait la République au service de la France et des Français ?

Crash test

À bien des égards, l’action de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur est un test. Il a le courage de dire la vérité, et c’est là une preuve de respect envers le peuple souverain et le débat démocratique qui suffit à le placer loin au-dessus de l’écrasante majorité de ses prédécesseurs. Il tient tête aux indignations médiatiques qui voudraient l’empêcher de poser des diagnostics lucides. Et il agit, même si en l’absence de sérieuses réformes législatives (un retour des peines planchers, par exemple, ou l’adoption des amendements à la loi Immigration qu’il avait portés au Sénat et qu’Emmanuel Macron avait fait censurer par Laurent Fabius et son Conseil Constitutionnel), ses possibilités sont limitées. Il fait donc pour l’instant nettement moins que ce qu’il faudra faire tôt ou tard, mais au regard de la faible marge de manœuvre dont il dispose à ce jour, il fait probablement le maximum.

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En quoi s’agit-il d’un test ? C’est simple. Si les Français encouragent massivement une telle volonté de redressement, s’ils donnent du poids à un discours de vérité, ceux qui ont la détermination de mettre fin à la tiers-mondisation (quelles que soient leurs étiquettes politiques) sauront qu’au moment d’agir, ils pourront s’appuyer sur un vrai soutien populaire. Et il nous reste une chance. Mais si les Français rechignent, s’ils s’effarouchent quand un ministre leur dit qu’on ne peut se satisfaire d’un « Etat de droit » qui remet un violeur récidiviste en liberté sous prétexte d’une « erreur administrative »[2] et accorde des permissions de sortie à un autre qui bien sûr en profite pour recommencer à agresser[3], s’ils trouvent intolérable l’expulsion des criminels étrangers, bref, s’ils suivent les hurlements de la gauche et d’une grande partie du centre, alors la cause est entendue. Et demain, ce territoire qui fut national sera partagé entre les bandes criminelles, les armées privées, et quelques irréductibles mais fragiles milices citoyennes.
Vous trouvez cette description excessive ? Regardez la « forêt linéaire nord », regardez la DZ Mafia à Marseille, regardez Mayotte, et « prolongez la courbe »…

Source : Le Figaro


[1] La Forêt linéaire nord est un espace vert situé le long de la Boulevard périphérique de Paris dans le 19ᵉ arrondissement de Paris, dans le quartier du Pont-de-Flandre

[2] https://www.leparisien.fr/faits-divers/paris-accuse-de-trois-viols-il-est-remis-en-liberte-a-cause-dune-erreur-administrative-de-la-justice-20-11-2024-CAAPF23ARRAGFLIH2MJWJ4A32A.php

[3] https://www.lyonmag.com/article/139524/lyon-un-juge-autorise-un-violeur-a-sortir-il-agresse-sexuellement-pendant-ses-permissions

Maxime d’Aboville, à la vie à la scène!

Maxime d’Aboville brûle les planches du théâtre Hébertot dans Pauvre Bitos, de Jean Anouilh. L’ancien cancre, qui a pris goût au travail grâce à l’art dramatique, est un comédien exalté, mi-possédé mi-cabotin. Le public l’acclame et la profession l’a déjà couronné de deux Molière.


Autour de ses yeux espiègles se dessinent les cernes soucieux d’un être complexe. Sur le boulevard des Batignolles, son pas est vif, décidé. Nous essayons un premier bar : non, trop bruyant ; puis un second : voilà, ça ira. Le Théâtre Hébertot n’est pas loin. C’est là que Maxime d’Aboville joue, depuis plus d’un mois et jusqu’au mois de janvier, le rôle principal de Pauvre Bitos ; c’est sur cette même scène qu’il interprète aussi les textes de Dumas, Lamartine, Michelet et Hugo sur la Révolution française (le spectacle s’intitule comme une évidence : La Révolution française). Maxime d’Aboville n’est pas comme les autres. Sa voix, reconnaissable entre mille, pique comme une flèche, passe du métal au velours ; son énergie nerveuse que l’on sent puisée en des tourments sincères le possède tout entier ; cette diction pointue, cette noblesse qui n’oublie pas de se moquer d’elle-même sans jamais perdre de sa dignité : tout cela fait de Maxime d’Aboville un être à part. S’il n’est pas un extravagant, il est sans nul doute un homme singulier et un comédien qui détonne au milieu de ses pairs.

Avant le théâtre, rien ne l’intéressait

Se retournant sur son enfance, il avoue d’un ton amusé : « J’étais un trublion, j’avais plein de copains, mais j’étais nul partout. Même en sport. » Au lycée, le théâtre est une apparition qui le sort de cet échec et de ce qu’il considère comme une certaine médiocrité. « J’ai découvert avec le théâtre ce qu’était le travail. J’ai tellement aimé jouer que tout a été emporté. C’était une exaltation. Avant ça, rien ne m’intéressait. » Il passe des heures sur une réplique, travaille vingt fois plus que les autres, répète inlassablement, seul avec lui-même. Rapidement, le théâtre devient le lieu sacré, la passion délirante et indépassable. Malgré cela, il met des années avant d’oser, avant de dépasser une certaine culpabilité, avant de sortir du cadre. Précédant cette libération, il fait des études de droit, « des années épouvantables ; j’allais mal ». Celui qui m’annonçait avant notre entretien ne pas savoir quoi dire de sa vie se confie désormais. Ses paroles s’accélèrent : « Il m’a fallu sauter le pas, arrêter mes études était d’une impérative nécessité. Ma vie en dépendait presque. » En un éclair, l’émotion fait place à la drôlerie. Le ton se veut railleur, ironique ; les phrases s’enchaînent et s’entraînent les unes aux autres dans un torrent. La moindre anecdote se transforme en tribulation picaresque. Mon rire est un applaudissement, une injonction à continuer. Un silence se fait, comme un soupir, calme, il conclut alors : « Mon pessimisme congénital m’a empêché de me lancer avant. »

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Il n’oublie pas la chance qui fut la sienne et avoue volontiers avoir été, sans doute, plus aidé que d’autres. (« Parfois il se passe des choses qui nous poussent à dire qu’il y a quand même quelqu’un là-haut qui organise tout ça… ») À n’en pas douter, l’homme est plus mystique que matérialiste. Sur scène, celui qui a autant du possédé que du cabotin montre une drôle d’âme métaphysique. Nous en venons à sa rencontre avec Michel Bouquet : « Je l’ai découvert après avoir vu le film Comment j’ai tué mon père, grâce au livre d’entretiens avec Charles Berling. Je me suis mis à apprendre par cœur les réponses de Bouquet, le récit de sa vie, tout ce qu’il racontait là me passionnait. » Un soir, alors qu’il est encore élève chez Jean-Laurent Cochet, il se décide à l’attendre à la fin d’un spectacle. D’Aboville se présente, lui dit qu’il est un jeune comédien et qu’il aimerait lui dire un texte. Bouquet lui demande, de sa voix inoubliable, qui en est l’auteur : « C’est vous, monsieur. » Il se lance alors dans un long monologue extrait du livre d’entretiens où Michel Bouquet se remémore sa venue à l’improviste, durant l’Occupation, chez le grand acteur Maurice Escande, au 190, rue de Rivoli. Bouquet est alors tout à fait surpris d’entendre sa propre histoire, contée avec ses propres mots, dans la bouche de ce jeune homme. La chute est superbe. Au moment où Maxime d’Aboville arrive à l’instant où l’adolescent Bouquet cite un poème de Musset à Escande, le vieil homme agrippe les mains émues de d’Aboville et lui dit : « C’est bien, vous avez une bonne voix, vous avez une bonne diction. » Précisément ce que lui avait dit Maurice Escande en ce matin de l’année 1943 ! Moment unique devenu souvenir de cristal pour Maxime d’Aboville.

La meilleure pièce du moment à Paris

Aujourd’hui, il reprend le rôle de Bitos. Ce rôle qui avait été celui de Michel Bouquet en 1956 au Théâtre Montparnasse pour la création de la pièce d’Anouilh. Chef-d’œuvre de style et de construction, Pauvre Bitos est un éblouissement qui doit beaucoup, dans cette version, à l’incroyable jeu de Maxime d’Aboville. Celui qui a déjà reçu deux Molière du meilleur comédien (en 2015 et 2022) se dépasse encore pour ce qui restera sans doute comme l’un des grands moments de sa carrière théâtrale. En voulant s’échapper et s’extraire de la foule, Maxime d’Aboville est aujourd’hui parvenu à être l’un des plus grands comédiens de sa génération. Fidèle à une tradition qu’il dynamite avec panache, par son étonnante nature, par cette sensibilité troublée et troublante, par son don comique et son âme tragique, il est autant un artiste rare qu’une personnalité marquante. En nos temps affadis, il serait dommage de s’en priver. En allant au Théâtre Hébertot, vous découvrirez que la meilleure pièce du moment a été écrite en 1956.

Au moment où nous nous quittons sur ce boulevard des Batignolles, les fumées des voitures sur le bitume mouillé semblent irréelles. La vie reprend, un nouvel acte commence.


À voir

Pauvre Bitos – Le Dîner de têtes, au Théâtre Hébertot jusqu’au 5 janvier 2025.

theatrehebertot.com

Didier Kaminka, compagnon de route du parti d’en rire!

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L'acteur et réalisateur français Didier Kaminka photographié en 1989 © JAMES/TF1/SIPA

Monsieur Nostalgie nous parle de Didier Kaminka, acteur, dialoguiste, scénariste et réalisateur disparu en septembre dernier qui fit les grands soirs de la comédie française à la télévision et au cinéma.


La comédie est le parent pauvre du cinéma. C’est elle qui fait bouillir la marmite et lorsqu’il s’agit de lui rendre hommage, ne serait-ce qu’un billet doux en remerciement pour le travail effectué, plus personne ne répond à l’appel. La reconnaissance du ventre est bien timide dans notre pays. On lui tourne le dos par peur de se salir l’esprit. Sans gêne, les médias prescripteurs préféreront toujours encenser un obscur réalisateur des nouvelles vagues successives, au néo-réalisme poisseux et victimaire, le genre donneur de leçons et terreur des studios, financé par nos impôts pour mieux caricaturer notre populisme franchouillard. Le masochisme de l’exception culturelle ne connaît pas de limite en France. Et pourtant, quand on interroge le public sur ses goûts profonds et ses souvenirs de longs métrages, il ne puise pas sa réflexion dans une encyclopédie pesante mais dans les classiques du dimanche soir.

L’humour d’antan

Tout de go, il se rappelle des Ripoux et des Sous-doués avec une certaine volupté et malice. Son visage s’illumine, la gaudriole et la farce ne lui déplaisent pas, la tradition vient de loin, de Rabelais et de Molière. L’absence de sérieux est encore la plus belle marque que peut montrer un peuple civilisé à la face du monde. C’est là, dans la débandade des deux branques encagoulés (Jugnot et Auteuil) de l’inénarrable Pour cent briques, t’as plus rien que se niche cette satanée identité française et non sur le fronton des Hôtels de ville. Le creuset de notre nation se trouve dans Philippe Noiret se « prenant » une balle dans le bide pour sauver la mise à son collègue ou dans Guy Marchand chantant Destiné dans un « love-computer » de stations balnéaires.

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Si les élites sont incapables de comprendre cet élan salvateur vers le divertissement, elles ne peuvent plus rien pour nous. Le lien est définitivement rompu. Il y eut, par le passé, La Grande Vadrouille et Le Corniaud, ces deux bornes tutélaires ont plus soudé les familles dysfonctionnelles que les déclarations d’un sous-secrétaire d’État à la cohésion sociale. Puis dans les années 1980, il y eut la patte Didier Kaminka (1943-2024). Il fut de toutes les aventures comiques de la décennie, dans l’ombre de Claude Zidi, Édouard Molinaro, François Leterrier, Christian Gion ou Pierre Richard. À la manœuvre, en tant qu’acteur ou réalisateur, complice de Georges Beller et de Luis Rego, il avait gagné la bataille idéologique chez les adolescents de ma génération en imposant un humour décomplexé et bon enfant qui avait vocation à faire marrer, sans se soucier des différences, sans la peur de blesser ou d’outrager l’Autre. Le drame de notre époque où la moindre remarque est perçue comme une remise en cause de la personne humaine. Cette liberté d’expression qui n’était aucunement revendiquée comme un acte militant ou politique paraît aujourd’hui un asile lointain. Nous avons la nostalgie de cette déconne qui était un bien commun partagé par tous et où le second degré était inhérent à l’art de la conversation et l’autodérision, une forme avancée de politesse. Tout n’était pas pris au drame et au larmoyant.

Un artiste tout terrain

Coluche en roublard de « Planète assistance » ou en inspecteur catastrophe serait perçu seulement par nos effarouchés du moment comme un grossier personnage, alors qu’il était un clown à deux faces, à la fois hilarant de veulerie et ultra-sensible dans sa solitude.

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Didier Kaminka, yeux bleus et cheveux ébouriffés, était un acteur lunaire et un artiste tout-terrain, avec une large palette allant de l’emmerdeur irrésistible sur grand écran à l’artiste contemporain. L’un de ses touche-à-tout, pouvant jouer la comédie, réaliser un film, écrire sur commande et peindre un tableau « pop déstructuré ». Parmi sa filmographie, j’ai un faible pour Association de malfaiteurs et cette réplique magique de François Cluzet : « Je gagne 10 briques par mois, qu’est-ce que j’irai voler une mob pourrie ? ». En passant derrière la caméra, il réalisa notamment Promotion canapé qui mérite d’être réhaussé par la critique, avec la très talentueuse actrice Margot Abascal et A quoi tu penses-tu ? avec Richard Anconina dont la bande-annonce est absolument à voir sur YouTube. Et si ça ne suffisait pas de vous convaincre, Kaminka a été au générique d’un épisode (Week-end à Deauville) de la série Sam et Sally avec Georges Descrières et Corinne le Poulain. Il est donc intouchable !

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Les violences barbares contre les femmes ne connaissent pas de frontières

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Manifestation contre les violences faites aux femmes, Paris, 23 novembre 2024 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, devrait être un jour d’union mondiale contre toutes les violences faites aux femmes. Pourtant, alors que des femmes juives, israéliennes, afghanes, iraniennes et d’autres subissent des actes barbares motivés par des idéologies extrémistes et violentes, le silence de nombreuses voix résonne étrangement et signe de toute évidence un manque de soutien face à ces oppressions.


Les attaques contre les femmes, qu’il s’agisse des crimes du Hamas en Israël ou de la répression brutale en Afghanistan et en Iran, témoignent de la volonté de certains, notamment parmi les mouvements islamistes radicaux, de nier les droits fondamentaux et la dignité des femmes. Ces violences sont souvent marquées par une cruauté extrême : viols, enlèvements, interdictions de parole ou d’éducation, et punitions impitoyables pour celles qui osent revendiquer leurs droits.

En Iran, le viol comme arme de répression du régime

Le régime iranien a été dénoncé pour l’utilisation systématique du viol contre les femmes arrêtées lors de manifestations. Le viol est ici instrumentalisé comme un outil de terreur et de châtiment pour briser la résistance de celles qui osent s’opposer au régime ou revendiquer leurs droits. Près d’un an et demi après la mort de Mahsa Amini et la répression du mouvement « Femme, Vie, Liberté », l’étudiante qui a manifesté en sous-vêtements le 2 novembre 2024 aurait été transférée dans un hôpital psychiatrique.

Attaque contre Israël : le viol, arme de guerre du Hamas

Les violences perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël ont montré une violence inouïe, dans laquelle des femmes ont été violées et tuées. Le viol a été utilisé comme une arme de guerre, un moyen de détruire des familles et de terroriser la population. 

Ces actes montrent la violence extrême que le Hamas n’hésite pas à exercer contre des civils, et notamment des femmes, pour tenter d’imposer sa vision de la société.

À ce propos, la comparaison de Rima Hassan entre les otages israéliens et les prisonniers palestiniens est indécente. La comparaison osée par l’eurodéputée entre les otages israéliens et les prisonniers palestiniens ignore la réalité des violences spécifiques subies par des femmes otages, détournant ainsi l’attention de leur souffrance et de la nature ciblée de ces agressions.

Les femmes afghanes, une discrimination et une violence extrêmes

Sous le régime des Talibans, les femmes afghanes n’ont plus le droit d’étudier, de travailler, de se déplacer sans être accompagnées d’un homme, ni de s’exprimer librement ou même de se parler entre elles. Toute tentative de résistance est réprimée, réduisant ces femmes à un isolement imposé par l’idéologie islamiste.

Violences sexuelles en République Démocratique du Congo : après le traumatisme vient la stigmatisation

En République Démocratique du Congo, les violences sexuelles perpétrées dans les zones de conflit laissent des femmes profondément traumatisées et stigmatisées par leur communauté, sans accès aux soins ou à la justice, aggravant leur souffrance et leur isolement.

Le viol, tabou suprême de la guerre en Ukraine

Des femmes ont été exposées à des actes de violences sexuelles, utilisés comme des armes de guerre et de terreur dans les zones de combat. Ces agressions rappellent la brutalité qui sévit dans des conflits où les femmes sont souvent des victimes impuissantes.

Des exemples de violences contre les femmes en France dont les féministes ne parlent pas

En France, les meurtres de Mireille Knoll et Sarah Halimi, deux femmes juives assassinées en 2018 et 2017 lors de crimes antisémites, soulignent l’ampleur de ces violences.

1. Mireille Knoll, survivante de la Shoah, est poignardée et partiellement brûlée dans son appartement. Ses meurtriers, Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, sont mis en examen pour meurtre antisémite.

2. Sarah Halimi est battue et défenestrée par Kobili Traoré, jugé pénalement irresponsable en raison de l’usage de drogue. La polémique autour de cette affaire a suscité une indignation nationale.

3. À Courbevoie, le viol antisémite d’une enfant de 12 ans par trois adolescents, dans des conditions rappelant la barbarie du massacre du 7-Octobre, incarne l’horreur absolue et souligne le besoin urgent de pédagogie et de fermeté envers une partie de la jeunesse.

Un jour pour l’union

Pour ce 25 novembre, rappelons-nous qu’aucune cause ne doit être laissée de côté dans cette lutte universelle. La solidarité entre les femmes doit être inconditionnelle : c’est l’union qui permettra d’éradiquer ces oppressions, et de bâtir un monde de dignité, de progrès et de justice pour toutes. Les violences barbares contre les femmes à travers le monde, souvent exercées par l’islamisme radical, pourraient bien demain se manifester en France sous différentes formes si nous ne faisons rien.

Face aux violences barbares contre les femmes, qui malheureusement ne connaissent aucune frontière, il est urgent d’agir, mais aussi de rêver. En ces temps troublés, ayons l’audace d’un espoir universel, porté par tous, hommes et femmes ensemble : “Faisons de chaque femme sur Terre une Lady, libre et respectée.” Ce rêve dépasse les frontières, tout comme les souffrances que subissent des millions de femmes à travers le monde. Ensemble, en unissant nos forces, faisons de ce rêve une réalité où chaque femme peut vivre dans la dignité, la sécurité, et la liberté qu’elle mérite.

Une tribune libre dédiée à Naama Levy, symbole des violences faites aux femmes et encore otage du Hamas.

La boîte du bouquiniste

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La Remise des prix, lithographie de 1840 © Archives Charmet/Bridgeman Images.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


C’est un petit ouvrage relié en plein maroquin couleur cognac, rehaussé d’une dorure au fer. Sur la page de garde de cet exemplaire chiné près du Pont-Neuf est collée une étiquette. Les mentions imprimées sont complétées à la plume : « Pensionnat de Dourdan. 2e Prix d’Analyse logique décerné à M. Henri Billard. Élève de la classe de français 1ère division. Dourdan, le 26 août 1841. Le Directeur du pensionnat : Bals. »

Son titre complet : Les petits artisans devenus hommes célèbres ; ouvrage fait pour inspirer des sentiments d’élévation aux jeunes gens des deux sexes, même dans les classes les plus inférieures de la société. C’est le parfait exemple du livre de prix, cette récompense que l’on décernait aux élèves méritants en fin d’année – la tradition perdure, si, si, dans quelques établissements. L’auteur, qui signe ici A. Antoine (de Saint-Gervais), est aussi connu sous Antoine Antoine, Antoine de Saint-Gervais ou Antoine Antoine de Saint-Gervais… coquetterie d’écrivain ou caprices d’éditeurs avares de leurs plombs, on l’ignore. On ne sait rien de sa vie, si ce n’est qu’il est né en 1776, est mort en 1836, et que sa production éditoriale, entièrement vouée à l’élévation des jeunes esprits, a traversé les bouleversements politiques du XIXe siècle – il a été longtemps réédité. Au fil de ses ouvrages, Antoine démontre un vrai talent d’historien vulgarisateur, un brin moraliste, et dans un beau français, sobre mais imagé, simple et précis (nous sommes au XIXe !), il expose ses sujets d’étude en précepteur pédagogue. Dans sa préface, il affirme : « Oui, nous pensons que présenter à la jeunesse un livre où on lui prouve, par des exemples réels, qu’il n’est point de position malheureuse d’où l’on ne puisse se tirer, point d’état si petit d’où l’on ne puisse s’élever en travaillant, en se donnant de la peine, en cherchant tous les moyens de s’instruire et de se rendre recommandable aux yeux de ses concitoyens, nous pensons que présenter à la jeunesse un tel livre, c’est lui rendre un service éminent. » Nous sommes loin du désolant discours actuel qui se contente de pointer « l’oisiveté » de nos petits anges.

A lire : Cuisine: Montmartre fait de la résistance

Cette lecture désuète n’est pas fastidieuse : ce n’est pas une compilation de notices biographiques, mais une gentille mise en scène montrant un certain M. Doutremont avec ses enfants. En promenade à la campagne ou au coin du feu à la maison, il les entretient de la grande histoire. Pour cette leçon de mérite, il ressuscite 232 personnages historiques, plus ou moins connus, de l’Antiquité, des Français et des étrangers, des hommes et des femmes (on en compte 13). On apprend que, grâce à son intelligence, Olivier Le Dain, barbier de Louis XI, a été nommé ministre ; que le forgeron Kaob est devenu prince perse ; que le peintre Gainsborough est fils d’un petit marchand de draps ; que Mme de Maintenon est née dans une prison de Niort ; que Théophanie, fille d’un cabaretier, a épousé Romain II, empereur d’Orient ; que le général Roussel, tué à Ostrowno en 1812, était fils de rémouleur…

Nul doute que cette galerie de destins ne récolterait pas beaucoup de likes et de followers sur TikTok ou Instagram, « mais du moins vous aurez la satisfaction de penser que la lecture de ce livre ne peut qu’offrir un résultat bien doux à l’humanité ».


Les petits artisans devenus hommes célèbres, de A. Antoine, Paris, F. Denn, Libraire-Éditeur, 1829.

Prêtre soldat

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Le prêtre catholique Pierre Bockel (1914-1995). DR.

Pierre Bockel (1914-1995), prêtre catholique, fut résistant. Il est célèbre pour avoir été l’aumônier de la « très chrétienne » Brigade Alsace-Lorraine, créée le 17 septembre 1944, commandée par André Malraux, le « colonel » Berger, qui préfaça L’enfant du rire, mémoires réédités en octobre 2024 dans la collection Les Cahiers Rouges (Grasset).


Dans L’enfant du rire, Pierre Bockel relate le chemin spirituel qui le mena à la prêtrise puis ses années sombres de clandestinité et de résistance où il participa, en décembre 1944, à la défense de Strasbourg pendant la contre-offensive allemande. Il évoque également son dialogue complexe mais lumineux avec l’agnostique Malraux. Dans sa longue préface, l’écrivain, antifasciste de la première heure, prix Goncourt 1933 pour La Condition humaine, écrit : « Presque toutes les civilisations qui ont précédé la nôtre ont connu leurs valeurs, et même l’image exemplaire de l’homme qu’elles avaient élue. La civilisation des machines est la première à chercher les siennes. » Il ajoute, avec une image dont il a le secret, et qui clôt sa préface : « J’entends de nouveau le murmure que j’entendais naguère : à quoi bon aller sur la lune, si c’est pour s’y suicider ? » La question se pose en effet, et de manière angoissante. Elle nous invite à vouloir la résurrection de la foi, c’est-à-dire de l’engagement, son sens étymologique. À l’heure de l’individualisme exacerbé, du brouillage généralisé, du triomphe de la haine et de l’aveuglement, la réédition des mémoires, très documentés, du résistant Bockel doit être considérée comme une divine surprise.

Dès le début, le rythme du récit ne nous laisse pas indifférent. Le jeune Bockel, à peine plus de quinze ans, né en Alsace, le front haut et le cheveu jais, mal dans sa peau, l’esprit sombre et le muscle tendu, est assis dans le compartiment du train qui serpente dans la vallée de Saint-Amarin, son village natal. En face de lui, un abbé en soutane qui dit que la vie est belle. L’adolescent frondeur répond non avec force. L’abbé lui flanque alors une gifle. « Mais avec un tel sourire », écrit Bockel. L’homme de Dieu se nomme Flory. Plus jamais le jeune Alsacien ne pensera que la vie ne vaut rien. Il est comme touché par la grâce. Ou, plus exactement, l’abbé vient de lui révéler que la grâce est en lui. L’aventure spirituelle commence. Il nous la livre dans L’Enfant du Rire. Il affirme que nous ne devons pas nous résigner, encore moins nous soumettre. L’engagement est la règle d’or. Malraux, quant à lui, affirme qu’il faut « se résoudre dans l’action ». Ils se battront côte à côte pour libérer Strasbourg. Israël honorera Pierre Bockel du titre de « juste parmi les nations » en 1988, récompensant le dépassement de soi, valeur suprême.

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Pierre Bockel ne cesse de côtoyer la mort des autres. Il tente de rassurer l’agonisant devant son mystère. Il réconforte aussi ceux qui viennent de perdre un être cher. Ainsi, à la demande de Malraux, il célèbre une messe pour les deux fils de l’écrivain tués dans un accident de la route, resté suspect. Après l’enterrement, Bockel note : « Tragiquement Malraux retrouvait son thème familier : la mort. Elle fut l’objet de notre entretien tout au long de cette journée printanière que, loin de nos cœurs, illuminait un soleil éclatant. » La réponse au mystère de la mort ne peut être que religieuse ; sinon, il n’y a pas de réponse. Et notre civilisation, essentiellement tournée vers la Technique, est menacée de disparition.

La page 88 révèle le sens du titre de l’ouvrage. Il se comprend à la lumière du résumé de la vie de Sara, l’épouse d’Abraham. Sara, stérile, finit, malgré l’âge, par donner un fils à son mari. Comment ? Réponse de Sara : « Dieu m’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me souriront. » L’enfant fut prénommé Isaac : Dieu rit. En toutes circonstances, il faut refuser de s’abandonner au désespoir. De même que face à la société marchande, le rire est une réponse qui désarme. Bockel, jusqu’à la fin de sa vie, fut donc l’enfant du rire. Sans cesse, il rechercha l’enfance tapie en lui. Il écrit, comme une leçon à transmettre : « L’enfance retrouvée par-delà les dégâts de la vie m’est toujours apparue à la fois comme le signe et la condition de l’intelligence spirituelle et de la sainteté, et finalement n’en déplaise à certains psychanalystes, comme la plus haute manifestation de l’âge adulte. » C’est peut-être pour cela que Pierre Bockel ne fut pas affolé par Mai 68. De cette explosion spectaculaire devait surgir l’espoir d’une société moins matérialiste. Une sorte d’appel d’air. Bockel écrit : « Mai 68 fut un signal d’alarme, c’est-à-dire l’affirmation percutante par la génération de demain que non seulement cette société est polluée jusqu’à devenir inviable, mais encore qu’elle menace l’homme et la civilisation tout entière. » Mais les « idoles d’argent », certes bousculées, retrouvèrent rapidement leur équilibre.

Dans sa préface, Malraux souligne que « toute noblesse humaine est langage de Dieu. » C’est cette phrase qu’il convient de retenir en conclusion. Cette noblesse n’a pas disparu ; il suffit d’être un peu attentif à l’autre.

Pierre Bockel, L’Enfant du Rire, Les Cahier Rouges, Grasset. 168 pages

L'enfant du rire: Préface d'André Malraux

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Corée: être immigré chez soi

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DR.

Confrontée à une crise démographique grave, la Corée du Sud encourage le retour au bercail des « Coréens ethniques » dont les ancêtres avaient émigré. Cette politique rencontre un grand succès. Mais, des tensions entre population indigène et remigrante sont constatées.


Si certains pays européens s’inquiètent de leur déclin démographique, ils ne sont pas encore dans la même situation que la Corée du Sud qui, avec 0,72 enfant par femme, a le taux de fécondité le plus bas du monde. Il faut un minimum de 2,1 pour maintenir une démographie stable et la population de ce pays pourrait être réduite de 50 % d’ici la fin du siècle si rien n’est fait. Or, les Coréens ont trouvé une solution originale : encourager à rentrer au bercail des « Coréens ethniques » dont les ancêtres ont émigré il y a longtemps.

Selon nos confrères de la BBC, en 2023, 760 000 de ces personnes installées en Chine ou dans des pays russophones étaient revenues s’installer en Corée. La plupart sont des Koryo-Saram qui sont partis vivre dans la Russie orientale à la fin du xixe siècle et au début du xxe, particulièrement pour fuir la colonisation japonaise à partir de 1910. Beaucoup ont été transférés de force vers l’Asie centrale par Staline et se sont retrouvés plus tard citoyens d’États ex-soviétiques comme l’Ouzbékistan ou le Kazakhstan. C’est à partir de 2001 que la Corée permet à cette population de se réinstaller dans le pays de leurs ancêtres. Le flux des rentrants a augmenté à partir de 2014 quand l’État a autorisé le regroupement familial. L’économie coréenne a grand besoin de ces nouveaux arrivants dont beaucoup sont employés dans des usines qui, sans eux, ne tourneraient pas. Il y a un seul hic : l’État n’a pas pensé l’intégration de ces nouveaux Coréens. La plupart ne parlent pas coréen, mais russe. À l’école, leurs enfants forment une catégorie à part, celle des « élèves multiculturels ». Malgré deux heures quotidiennes d’apprentissage du coréen, ils progressent plus lentement, ce qui pousse les parents coréens à retirer leurs enfants des établissements trop mixtes. D’autres tensions d’ordre social se sont installées entre les populations indigène et remigrante.

Ce qui montre, une fois encore, que la résistance à l’immigration ne s’explique par une demande raciste d’homogénéité ethnique, mais par une exigence d’intégration culturelle.

Un temps retrouvé

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La vitrine historique de la maison Lanvin, située à l’angle de la rue du Faubourg-Saint-Honoré et de la rue Boissy-d’Anglas. C’est là que naît Marguerite Marie-Blanche, le 31 août 1897 © Thérèse Bonney – University of California, Berkeley/BHVP /Roger-Viollet

Marie-Blanche de Polignac est injustement oubliée. La fille de Jeanne Lanvin a pourtant été une grande musicienne et une figure majeure de la vie artistique et mondaine du XXe siècle. Dans une biographie magistrale, David Gaillardon restitue à sa juste place cette icône du Tout-Paris dans ses derniers feux.


Pas facile d’être la fille unique de Jeanne Lanvin. Dans les pages de cette biographie consacrée à Marguerite Lanvin, future Marie-Blanche de Polignac, la génitrice ne cède pas de sitôt la place : la fondatrice de la légendaire maison de couture reste incontournable. Et elle gardera sa vie durant un rapport exclusif avec sa « Ririte » adorée. Après de longs atermoiements, celle-ci épouse un médecin, René Jacquemaire, le petit-fils du « Tigre » : « Au fil des années, la fille de Jeanne Lanvin devient une intime du clan Clémenceau », écrit David Gaillardon. 

Salons parisiens

Les Jacquemaire fréquentent chez des gens lancés : parmi eux, Jean de Polignac, neveu de la princesse Edmond de Polignac, née Winnaretta Singer. « La société mondaine et aristocratique si bien décrite » par Proust « à son apogée, avant-guerre », a muté : selon Morand, le salon de la bru du « Père La Victoire » passe pour « la fumerie la plus élégante de Paris ». De bonne heure opiomane et s’arsouillant au champagne, Ririte se produit dans les salons les plus courus. La musicienne Germaine Tailleferre la rapproche du « groupe des Six » (Milhaud, Auric, Honegger, Poulenc, Louis Durey…) Voyant Mme Jacquemaire harcelée par Rubinstein, Jean s’entremet ; de galant à amant, le pas est franchi : en 1922, Ririte divorce de René. La richissime mécène « tante Winnie » anime alors, avenue Georges Mandel, « le salon musical le plus en vue de Paris ». Il faut son aval pour épouser Jean. Marguerite « a pour elle sa beauté, son charme et bien sûr ses dons musicaux » : en 1924, Marguerite change son prénom en Marie-Blanche, et devient comtesse Jean de Polignac.

Vis-à-vis de son gendre, « Jeanne Lanvin restera toujours une belle-mère discrète et effacée ». Elle nantit néanmoins le petit ménage d’une villa près d’Antibes, La Bastide du Roi. Voyage de noce « aux Indes » ; au retour, vie trépidante : Marie-Blanche est l’ornement des « vendredis » de la princesse Edmond. « Au fil des années, dans un cercle d’élus, être invité par les Polignac [au château de] Kerbastic, dans le Morbihan, revêtira le même enjeu que d’être convié à Marly par Louis XIV ». L’orbite des Polignac s’est élargie à la galaxie d’Edouard Bourdet, dramaturge à succès – et futur patron du « Français »… Dans cet entre-deux guerres, l’Olympe parisien festoie : très exclusifs sont « les bals à thème que donnent l’aristocratie et la grande bourgeoisie dans leurs hôtels particuliers et dont la vogue est alors à son comble ». Sur fond de rivalités mondaines, Etienne de Beaumont en est le manitou, Marie-Laure de Noailles la poétesse vipérine, Cocteau la coqueluche, Charles de Beistegui le continuateur inspiré…

A lire aussi, du même auteur: Caillebotte, rapin couillu

« Muse au goût très sûr », Marie-Blanche est l’épicentre d’une cour. Y entrer, « pour un artiste, c’est accéder au cœur même de la création artistique et de ceux qui la soutiennent. Une pluie d’or s’abat ensuite sur les adorateurs de l’insaisissable sylphide… ». L’hôtel du 16, rue Barbet-de-Jouy sera « l’écrin légendaire dans lequel elle va désormais recevoir… ».  Rencontre capitale : Nadia Boulanger, « Herr Professor ». L’Ensemble Boulanger sera la nouvelle religion de Marie-Blanche : soliste hors pair, elle enchaîne les représentations. À Paris, Londres, New York, Boston : concerts, récitals, matinées…

La guerre porte un coup fatal à ces transhumances : sur tous les fronts, Marie-Blanche alterne les déplacements entre Kerbastic et Paris, se produit avec Nadia Boulanger au Théâtre aux armées. Le château est réquisitionné ; à distance de l’Occupant, la comtesse soupe en cuisine ; le châtelain abrite un réseau de résistance. Dès 1940, Nadia s’est exilée aux States.

Veuve en 1943

Gaillardon dépeint avec brio les sinuosités de l’Occupation, plus douce à certains qu’à d’autres ; le deuil de Marie-Blanche, veuve de Jean en 1943 ; la mort de Winnaretta à Londres, âgée de 75 ans ; les tentatives de la comtesse pour sauver ses vieux amis : le chanteur lyrique Doda Conrad, ou le compositeur Fernand Ochsé – qui ne reviendra pas d’Auschwitz… Dans cette époque poisseuse, un « camaïeu de gris (…) dépeint l’attitude des musiciens français… ».

Après-guerre, le monde a changé – le « grand monde » y compris. Marie-Blanche « sait descendre de son lointain Olympe pour entrer dans l’arène », quitte à défendre certains politiciens pas blanc-bleu. Si la vie reprend ses droits, la société mondaine reste divisée entre Résistants et collabos : le beau-frère Polignac, Melchior, patron de Pommery, sera ostracisé, tandis que Louise de Vilmorin « brille de tous ses feux et conquiert » l’ambassadeur Duff Cooper. Marie-Blanche, elle, s’éprend de l’architecte Guillaume Gillet, 33 ans, de 15 ans son cadet. Un an plus tard meurt Jeanne Lanvin : la comtesse de Polignac devient patronne de la maison. Atteinte d’une tumeur au cerveau, en 1951, Marie-Blanche choisit d’en confier la direction au jeune Antonio Castillo. « Certes, écrit Gaillardon, elle reste toujours l’une des femmes les plus élégantes de Paris » ; on se presse aux « dimanches musicaux » de la rue Barbet, « catalyseur des plus grands artistes de son époque ». Le bal s’achève en 1957. Une voilette retenue par deux diamants cache le calvaire de Marie-Blanche – trépanation, méningite, coma… Elle « s’éteint paisiblement, à l’âge de 61 ans ».

À cette égérie, la biographie érudite de David Gaillardon ne se contente pas de rendre hommage : l’arrière-plan de cette sociabilité mondaine, vecteur de haute culture, promoteur du génie artistique, nous y est restitué dans un luxe de détails éblouissant : la recherche d’un temps perdu.    


À lire : Marie-Blanche de Polignac. La dernière égérie, David Gaillardon, Tallandier, 2024. 496 pages

Marie-Blanche de Polignac: La dernière égérie

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Islamisme: un regard incisif sur un défi majeur

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Militantes pro Palestine, New York, 2 septembre 2024 © Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIPA

On risque d’attendre encore un peu l’islam des Lumières…


« Au travers de ce voyage en islamisme, Kamel Bencheikh met en lumière le fait que le carburant fondamentaliste vient de la confrontation politique avec l’Occident. Il résulte d’une faible culture, d’un faible ancrage religieux et spirituel de la part de ces fanatiques et d’une aversion pour ce qui est différent ». Extrait de la préface de Stéphane Rozès.


Préfacé par le politologue Stéphane Rozès et publié aux éditions Frantz Fanon, L’islamisme ou la crucifixion de l’OccidentAnatomie d’un renoncement de Kamel Bencheikh s’affirme comme un plaidoyer en faveur d’une réponse plus ferme et plus cohérente face à une idéologie qu’il décrit comme une menace pour les valeurs démocratiques. Kamel Bencheikh, auteur du roman Un si grand brasier dans lequel il décrit une déliquescence de la politique agricole algérienne dans le cadre de la révolution agraire sous l’emprise du colonel Boumediene, et du recueil de poèmes Printemps de lutte et d’amitié où il clame en quatrième page de couverture que « chaque parcelle de mes différentes activités macère dans cette laïcité totalement inconnue dans mon pays d’origine et que j’ai fait mienne en arrivant dans le pays de Voltaire et de Diderot », ardent défenseur de la laïcité, propose une analyse saisissante de l’essor de l’islamisme et des défis qu’il pose aux sociétés occidentales.

Une analyse enracinée dans l’expérience et l’observation

S’appuyant sur sa propre trajectoire et son vécu en Algérie, Kamel Bencheikh explore les transformations profondes qui ont affecté la société dans son pays natal, où les courants rigoristes ont éclipsé les pratiques religieuses traditionnelles. Son analyse dépasse cependant le cadre de l’Algérie pour dresser un portrait global de l’islamisme, qu’il considère comme un projet politique totalitaire. Ce courant, selon lui, exploite les principes mêmes des démocraties – liberté, égalité et tolérance – pour s’y infiltrer et y asseoir son influence.

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Kamel Bencheikh insiste sur le rôle central de l’éducation dans cette bataille idéologique. Il décrit l’école comme un terrain clé où s’affrontent les valeurs républicaines et les revendications identitaires promues par l’islamisme. En parallèle, il examine les réponses politiques variées en Europe, soulignant les failles et les incohérences des stratégies adoptées pour contrer cette idéologie.

La laïcité à l’épreuve des compromis

Pour l’auteur, l’affaiblissement de la laïcité est un symptôme alarmant d’une société en quête de compromis au détriment de ses principes fondamentaux. Il critique sévèrement les concessions faites au nom de la paix sociale, les qualifiant d’aveux de faiblesse face à une idéologie hostile. Parmi les exemples marquants, il dénonce l’autocensure qui gagne du terrain dans les milieux éducatifs, où les enseignants hésitent à aborder des sujets sensibles faute de soutien institutionnel.

Kamel Bencheikh plaide pour un renforcement des cadres légaux. Il préconise une adaptation des lois sur la laïcité, notamment la loi de 1905, qu’il estime inadaptée face aux nouvelles formes de radicalisme religieux. Parmi ses propositions, il suggère l’élargissement de la neutralité religieuse dans les espaces publics, une surveillance accrue des financements des groupes religieux, et une interdiction des pratiques religieuses ostentatoires.

Des raisons d’espérer malgré le constat alarmant

Malgré le ton souvent grave de l’ouvrage, Kamel Bencheikh laisse entrevoir des lueurs d’espoir. Il met en avant les efforts de certains mouvements réformateurs dans le monde musulman, comme ceux en Iran ou ailleurs, où des acteurs courageux, comme le mouvement Femme Vie Liberté, se battent pour un islam réconcilié avec les droits humains et les valeurs modernes. Ces initiatives, bien qu’encore marginales, représentent à ses yeux des dynamiques prometteuses que l’Occident aurait tout intérêt à soutenir.

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Un appel à la vigilance collective

Plus qu’un essai analytique, L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident est un appel à l’action et à la réflexion. L’auteur interpelle le lecteur sur la fragilité des valeurs démocratiques face à des attaques insidieuses. Il rappelle que la laïcité, loin d’être un principe d’exclusion, est la clé d’une coexistence harmonieuse entre croyants de toutes confessions et non-croyants.

Comme le souligne Stéphane Rozès dans sa préface, la France reste l’un des rares pays à garantir une liberté de culte et de conscience aussi large grâce à son modèle républicain. Mais pour Kamel Bencheikh, cette liberté doit être activement protégée contre toute tentative de subversion idéologique.

Un livre pour penser l’avenir

L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident s’adresse à tous ceux qui s’interrogent sur les défis contemporains liés à l’islamisme et sur les moyens de préserver une société fondée sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Loin de tout fatalisme, l’ouvrage invite à une prise de conscience collective et à une réaffirmation des valeurs universelles. Dans ce combat, Kamel Bencheikh voit un enjeu majeur : la défense non seulement des démocraties occidentales, mais aussi des fondements mêmes de la civilisation moderne.

258 pages.

L'islamisme ou la crucifixion de l'Occident

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Louée soit la littérature

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© Vatican Media/IPA/SIPA

Dans une lettre adressée aux candidats au sacerdoce, le Pape François refuse de faire une discrimination a priori entre les œuvres religieuses et profanes.


Qu’un Pape fasse l’éloge de l’art sacré n’a rien d’étonnant. En témoigne la « Lettre aux artistes » de Jean-Paul II, écrite en 1999. Qu’un Pape se lance dans un vibrant éloge de la littérature l’est davantage : c’est pourtant ce qu’a fait le Pape François, le 11 août dernier, dans une lettre, un peu passée inaperçue dans les médias, en raison de la ferveur olympique. Dans cette courte lettre, publiée aux éditions Équateurs et préfacée par un professeur au Collège de France1, le Pape entend promouvoir « un changement radical » dans la formation des prêtres, en donnant à la littérature — pas la « littérature d’idées », fût-elle religieuse ou édifiante, mais celle des romans et de la poésie— la place qu’elle doit avoir dans la formation de tous.

Littérature profane et foi

Dans le style familier qui lui est coutumier, avec plein d’exemples, le Pape, qui n’oublie pas avoir enseigné quelque temps, envisage les bienfaits de la lecture des œuvres littéraires sur le corps, l’esprit, l’âme, en remédiant au stress, en détournant des écrans mortifères et des obsessions qui enferment, en guérissant la passivité intellectuelle, par les mots et le recours constant aux symboles, en ouvrant à l’altérité de « la voix de l’autre », comme le dit Borgès que le Pape aime particulièrement et a connu. Rien de neuf, direz-vous. Sous la plume du Pape, si, car le Pape ne fait pas de discrimination a priori entre œuvres religieuses et œuvres profanes.

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Là ne s’arrêtent pas les bienfaits de la littérature, laquelle a une vocation spirituelle : elle remplit la mission donnée à Adam de nommer les êtres et les choses, c’est-à-dire de leur donner un sens. Loin de toute vision simplificatrice du bien et du mal, ou idéologique, elle fait entrer dans la complexité de l’âme humaine et de ses abîmes qu’est venu habiter le Seigneur. Gymnastique de discernement au sens ignatien, qui fait passer de la conscience de nos misères —« la désolation » — à notre croissance spirituelle, elle est aussi nourriture substantielle, « digestion » et « rumination » qui permet d’assimiler la vie en profondeur. On reconnaît là l’amoureux du film « Le Festin de Babette ». Elle est enfin empathie et communion : voir à partir des yeux des autres élargit notre humanité. Constatant la piètre estime que l’on fait de la littérature dans les séminaires, le pape veut remédier à l’appauvrissement intellectuel et spirituel de la foi.

Lire Proust au séminaire ?

La littérature, en effet, est l’expression de la polyphonie de la Révélation, le beau fruit de l’incarnation d’un Dieu fait chair. Dans chaque grande œuvre, on peut chercher « la semence » déjà enfouie de la présence de l’Esprit —« le dieu inconnu » dont parle saint Paul—car « toutes les paroles humaines portent la trace d’une nostalgie de Dieu. » Belle idée que met en valeur, ici, le Pape !

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Le Pape a mille fois raison. Il ne s’agit pas qu’un séminariste fasse un master sur La Recherche mais connaisse « les grands classiques » qu’on étudie —qu’on devrait étudier—dans les classes : les tragiques grecs, aimés tout particulièrement par le Pape, Dante, Shakespeare, Cervantès, Racine, Balzac, Dostoïevski, Lorca, Celan… Cette connaissance de l’être humain à travers la littérature, permettrait de connaître la richesse herméneutique de l’Evangile et la spécificité « littéraire » des paraboles utilisées par le Christ.

Bien sûr, le Pape a ancré théologiquement son propos dans la Tradition : saint Paul et les pères de l’Eglise dont saint Basile et Thomas d’Aquin— dont la relique de son crâne a circulé récemment en Europe. On entend déjà les réserves au propos papal. Lire Proust au séminaire ! Celan ! Peu importe, cette lettre qui devrait toucher tout le monde, croyant ou non, fait le plus grand bien. L’ouverture à l’infini du divin, le tragique de la condition humaine, c’est dans la littérature qu’on les trouve exprimés de manière privilégiée.

61 pages.

Louée soit la lecture: Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation

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L’éléphant de quartz

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  1. William Marx NDLR ↩︎

Salariés escortés dans le nord de Paris: «Une impression de gâchis»…

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Gare RER E Rosa Parks, Paris 19e © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

À la frontière du 19e arrondissement, entre Paris et Aubervilliers, une zone gangrenée par l’insécurité liée aux toxicomanes impose un dispositif renforcé de vigiles, financé par BNP Paribas et d’autres entreprises, pour protéger les salariés, notamment via des escortes sécurisées vers le RER, révélait Le Figaro dans un reportage récent. Analyse.


Le parc de la « Forêt linéaire nord »[1], autrefois conçu comme un espace de détente, est aujourd’hui fermé au public en raison de la délinquance. Tandis que certains salariés se sentent rassurés par la présence des vigiles, d’autres critiquent le manque de prise en charge des toxicos voyous…

La banque d’un monde qui change

La situation de la « forêt linéaire nord », rapportée récemment par Le Figaro, est en réalité une tragique illustration de ce que devient le pays tout entier. « Un lieu de promenade et de détente, protégé par un mur antibruit » d’après la ville de Paris, en réalité un coupe-gorge fermé au public, lieu de rassemblement de toxicomanes et de migrants, au point que les entreprises installées à proximité – notamment BNP Paribas – ont mis en place des vigiles pour protéger leurs salariés d’une « population malveillante »« suivre les éléments perturbateurs » et depuis peu proposer une fois le soir tombé une « escorte » jusqu’à la station RER voisine.

Folle anecdote

Il y a tout, dans cette anecdote, qui n’est donc pas une anecdote, ni un fait divers, et qui est même plus qu’un fait de société : c’est le symbole d’une société entière. Une République devenue folle à force de s’idolâtrer elle-même, refusant d’assumer ses responsabilités régaliennes alors même que son avidité fiscale se déchaîne – les débats actuels au Parlement en sont la preuve. Une population partagée entre ceux qui se prennent en charge pour pallier l’inefficacité publique dans la mesure de leurs moyens (les entreprises organisent des rondes de vigiles, distinguent des « itinéraires recommandés » et des « itinéraires déconseillés », etc.), et ceux qui professent un aveuglement effarant. Ainsi, ce « jeune salarié de la BNP » qui déclare « Ils grattent de la monnaie ou demandent des clopes. Il n’y a rien d’agressif. Pour moi il y a trop de vigiles », alors même qu’ « une dame qui fait le ménage » chez BNP « a déjà été attrapée deux fois à la gorge par le même toxicomane »… On se gardera évidemment de surinterpréter des informations aussi partielles, tout en admettant qu’il y a là une parfaite représentation du dédain des bien-pensants envers les « petites gens » qui subissent de plein fouet l’insécurité. Ah, « C à Vous » parlant de Crépol…

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Tout le monde se refile le bébé

Quoi d’autre ? Une compassion qui nourrit le désarmement collectif – à moins qu’elle n’en soit que le masque, justification maladroite pour ne pas s’avouer l’absence de combattivité collective : « ce sont des gens en situation de détresse »« il n’y a aucune prise en charge »« ils ont besoin d’être soignés, c’est un sujet de santé publique ». Une institution judiciaire dont le bilan est là, étalé aux yeux de tous : « on arrête régulièrement des toxicomanes pour des galettes de crack mais on sait qu’ils vont être libérés » explique un policier – et la « dame qui fait le ménage » se fait agresser deux fois par la même personne, une étudiante se fait agresser sexuellement à la sortie du RER, un salarié doit être hospitalisé après une agression…. « C’est une problématique qui dure depuis longtemps (….) tout le monde se refile le bébé. Ça dépend un peu de la volonté politique du moment. »

Stop à la tiers-mondisation de la France

Et demain ? Un scénario catastrophe de tiers-mondisation, ne laissant aux Français que le choix entre se soumettre aux narco-trafiquants (voire aux narco-califats) et se réfugier auprès de ceux qui auront les moyens de financer des armées de vigiles, nos rues partagées entre ces diverses incarnations modernes des Seigneurs de la Guerre ? Ou un sursaut, une autorité soucieuse d’efficacité et de décence commune, capable politiquement et moralement d’assumer l’utilisation de la violence légitime pour protéger les citoyens, en même temps qu’un réarmement moral et juridique de ceux-ci (je pense par exemple aux propositions de réforme de Thibault de Montbrial sur la légitime défense) ? Une autorité capable d’assumer les bras de fer nécessaires pour arrêter les dérives gauchistes militantes d’une trop grande part de l’institution judiciaire, afin que cette dernière cesse enfin de sacrifier les innocents à ses rêves d’ingénierie sociale ? Une autorité, en somme, qui remettrait la République au service de la France et des Français ?

Crash test

À bien des égards, l’action de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur est un test. Il a le courage de dire la vérité, et c’est là une preuve de respect envers le peuple souverain et le débat démocratique qui suffit à le placer loin au-dessus de l’écrasante majorité de ses prédécesseurs. Il tient tête aux indignations médiatiques qui voudraient l’empêcher de poser des diagnostics lucides. Et il agit, même si en l’absence de sérieuses réformes législatives (un retour des peines planchers, par exemple, ou l’adoption des amendements à la loi Immigration qu’il avait portés au Sénat et qu’Emmanuel Macron avait fait censurer par Laurent Fabius et son Conseil Constitutionnel), ses possibilités sont limitées. Il fait donc pour l’instant nettement moins que ce qu’il faudra faire tôt ou tard, mais au regard de la faible marge de manœuvre dont il dispose à ce jour, il fait probablement le maximum.

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En quoi s’agit-il d’un test ? C’est simple. Si les Français encouragent massivement une telle volonté de redressement, s’ils donnent du poids à un discours de vérité, ceux qui ont la détermination de mettre fin à la tiers-mondisation (quelles que soient leurs étiquettes politiques) sauront qu’au moment d’agir, ils pourront s’appuyer sur un vrai soutien populaire. Et il nous reste une chance. Mais si les Français rechignent, s’ils s’effarouchent quand un ministre leur dit qu’on ne peut se satisfaire d’un « Etat de droit » qui remet un violeur récidiviste en liberté sous prétexte d’une « erreur administrative »[2] et accorde des permissions de sortie à un autre qui bien sûr en profite pour recommencer à agresser[3], s’ils trouvent intolérable l’expulsion des criminels étrangers, bref, s’ils suivent les hurlements de la gauche et d’une grande partie du centre, alors la cause est entendue. Et demain, ce territoire qui fut national sera partagé entre les bandes criminelles, les armées privées, et quelques irréductibles mais fragiles milices citoyennes.
Vous trouvez cette description excessive ? Regardez la « forêt linéaire nord », regardez la DZ Mafia à Marseille, regardez Mayotte, et « prolongez la courbe »…

Source : Le Figaro


[1] La Forêt linéaire nord est un espace vert situé le long de la Boulevard périphérique de Paris dans le 19ᵉ arrondissement de Paris, dans le quartier du Pont-de-Flandre

[2] https://www.leparisien.fr/faits-divers/paris-accuse-de-trois-viols-il-est-remis-en-liberte-a-cause-dune-erreur-administrative-de-la-justice-20-11-2024-CAAPF23ARRAGFLIH2MJWJ4A32A.php

[3] https://www.lyonmag.com/article/139524/lyon-un-juge-autorise-un-violeur-a-sortir-il-agresse-sexuellement-pendant-ses-permissions

Maxime d’Aboville, à la vie à la scène!

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Maxime d’Aboville © Hannah Assouline

Maxime d’Aboville brûle les planches du théâtre Hébertot dans Pauvre Bitos, de Jean Anouilh. L’ancien cancre, qui a pris goût au travail grâce à l’art dramatique, est un comédien exalté, mi-possédé mi-cabotin. Le public l’acclame et la profession l’a déjà couronné de deux Molière.


Autour de ses yeux espiègles se dessinent les cernes soucieux d’un être complexe. Sur le boulevard des Batignolles, son pas est vif, décidé. Nous essayons un premier bar : non, trop bruyant ; puis un second : voilà, ça ira. Le Théâtre Hébertot n’est pas loin. C’est là que Maxime d’Aboville joue, depuis plus d’un mois et jusqu’au mois de janvier, le rôle principal de Pauvre Bitos ; c’est sur cette même scène qu’il interprète aussi les textes de Dumas, Lamartine, Michelet et Hugo sur la Révolution française (le spectacle s’intitule comme une évidence : La Révolution française). Maxime d’Aboville n’est pas comme les autres. Sa voix, reconnaissable entre mille, pique comme une flèche, passe du métal au velours ; son énergie nerveuse que l’on sent puisée en des tourments sincères le possède tout entier ; cette diction pointue, cette noblesse qui n’oublie pas de se moquer d’elle-même sans jamais perdre de sa dignité : tout cela fait de Maxime d’Aboville un être à part. S’il n’est pas un extravagant, il est sans nul doute un homme singulier et un comédien qui détonne au milieu de ses pairs.

Avant le théâtre, rien ne l’intéressait

Se retournant sur son enfance, il avoue d’un ton amusé : « J’étais un trublion, j’avais plein de copains, mais j’étais nul partout. Même en sport. » Au lycée, le théâtre est une apparition qui le sort de cet échec et de ce qu’il considère comme une certaine médiocrité. « J’ai découvert avec le théâtre ce qu’était le travail. J’ai tellement aimé jouer que tout a été emporté. C’était une exaltation. Avant ça, rien ne m’intéressait. » Il passe des heures sur une réplique, travaille vingt fois plus que les autres, répète inlassablement, seul avec lui-même. Rapidement, le théâtre devient le lieu sacré, la passion délirante et indépassable. Malgré cela, il met des années avant d’oser, avant de dépasser une certaine culpabilité, avant de sortir du cadre. Précédant cette libération, il fait des études de droit, « des années épouvantables ; j’allais mal ». Celui qui m’annonçait avant notre entretien ne pas savoir quoi dire de sa vie se confie désormais. Ses paroles s’accélèrent : « Il m’a fallu sauter le pas, arrêter mes études était d’une impérative nécessité. Ma vie en dépendait presque. » En un éclair, l’émotion fait place à la drôlerie. Le ton se veut railleur, ironique ; les phrases s’enchaînent et s’entraînent les unes aux autres dans un torrent. La moindre anecdote se transforme en tribulation picaresque. Mon rire est un applaudissement, une injonction à continuer. Un silence se fait, comme un soupir, calme, il conclut alors : « Mon pessimisme congénital m’a empêché de me lancer avant. »

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Il n’oublie pas la chance qui fut la sienne et avoue volontiers avoir été, sans doute, plus aidé que d’autres. (« Parfois il se passe des choses qui nous poussent à dire qu’il y a quand même quelqu’un là-haut qui organise tout ça… ») À n’en pas douter, l’homme est plus mystique que matérialiste. Sur scène, celui qui a autant du possédé que du cabotin montre une drôle d’âme métaphysique. Nous en venons à sa rencontre avec Michel Bouquet : « Je l’ai découvert après avoir vu le film Comment j’ai tué mon père, grâce au livre d’entretiens avec Charles Berling. Je me suis mis à apprendre par cœur les réponses de Bouquet, le récit de sa vie, tout ce qu’il racontait là me passionnait. » Un soir, alors qu’il est encore élève chez Jean-Laurent Cochet, il se décide à l’attendre à la fin d’un spectacle. D’Aboville se présente, lui dit qu’il est un jeune comédien et qu’il aimerait lui dire un texte. Bouquet lui demande, de sa voix inoubliable, qui en est l’auteur : « C’est vous, monsieur. » Il se lance alors dans un long monologue extrait du livre d’entretiens où Michel Bouquet se remémore sa venue à l’improviste, durant l’Occupation, chez le grand acteur Maurice Escande, au 190, rue de Rivoli. Bouquet est alors tout à fait surpris d’entendre sa propre histoire, contée avec ses propres mots, dans la bouche de ce jeune homme. La chute est superbe. Au moment où Maxime d’Aboville arrive à l’instant où l’adolescent Bouquet cite un poème de Musset à Escande, le vieil homme agrippe les mains émues de d’Aboville et lui dit : « C’est bien, vous avez une bonne voix, vous avez une bonne diction. » Précisément ce que lui avait dit Maurice Escande en ce matin de l’année 1943 ! Moment unique devenu souvenir de cristal pour Maxime d’Aboville.

La meilleure pièce du moment à Paris

Aujourd’hui, il reprend le rôle de Bitos. Ce rôle qui avait été celui de Michel Bouquet en 1956 au Théâtre Montparnasse pour la création de la pièce d’Anouilh. Chef-d’œuvre de style et de construction, Pauvre Bitos est un éblouissement qui doit beaucoup, dans cette version, à l’incroyable jeu de Maxime d’Aboville. Celui qui a déjà reçu deux Molière du meilleur comédien (en 2015 et 2022) se dépasse encore pour ce qui restera sans doute comme l’un des grands moments de sa carrière théâtrale. En voulant s’échapper et s’extraire de la foule, Maxime d’Aboville est aujourd’hui parvenu à être l’un des plus grands comédiens de sa génération. Fidèle à une tradition qu’il dynamite avec panache, par son étonnante nature, par cette sensibilité troublée et troublante, par son don comique et son âme tragique, il est autant un artiste rare qu’une personnalité marquante. En nos temps affadis, il serait dommage de s’en priver. En allant au Théâtre Hébertot, vous découvrirez que la meilleure pièce du moment a été écrite en 1956.

Au moment où nous nous quittons sur ce boulevard des Batignolles, les fumées des voitures sur le bitume mouillé semblent irréelles. La vie reprend, un nouvel acte commence.


À voir

Pauvre Bitos – Le Dîner de têtes, au Théâtre Hébertot jusqu’au 5 janvier 2025.

theatrehebertot.com