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Silence on tue !

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Le linguiste Alain Bentolila déplore la faillite de l’enseignement de la langue française. Sans langage suffisant, une partie de la jeunesse ne peut « s’exprimer » qu’à travers la violence.


L’arme « blanche », silencieuse est enfoncée encore et encore par un adolescent dans le corps d’un autre adolescent. Sans que le moindre mot n’ait été prononcé. Aucun bruit ne vient troubler le moment banal du sacrifice d’une vie.

Une part importante des jeunes français ne possède que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d’accepter et d’examiner pacifiquement leurs différences et leurs divergences. Confinée dans des cercles étroits et oppressants, leur parole fut très rarement sollicitée pour l’analyse et la problématisation. S’expliquer leur paraît alors aussi difficile qu’incongru. Beaucoup de jeunes en insécurité linguistique ont ainsi perdu cette capacité spécifiquement humaine de tenter d’inscrire pacifiquement leur pensée dans l’intelligence d’un autre par la force respectueuse des mots. Lorsqu’ils doivent s’adresser à des gens qu’ils ne connaissent pas, avec lesquels ils ne partagent pas les mêmes convictions, les mêmes croyances, la même appartenance ou… les mêmes intérêts, un vocabulaire exsangue et une organisation approximative des phrases et des discours ne leur donnent pas la moindre chance de le relever le défi de l’explication sereine. Réduite à la proximité et à l’immédiate réaction, leur parole a définitivement renoncé à créer un temps de négociation linguistique, seule capable d’éviter le passage à l’acte violent et à l’affrontement physique. Leur parole devenue « éruptive » n’est le plus souvent qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte, étrangle le discours et précipite le conflit plus qu’elle ne le diffère.

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S’ils passent à l’acte de plus en plus vite et de plus en plus fort aujourd’hui, c’est parce que l’école comme la famille n’ont pas défendu avec suffisamment de conviction et… d’amour la vertu de rassemblement pacifique du langage. L’une comme l’autre ont oublié que cultiver la langue de leurs enfants et de leurs élèves, veiller à son efficacité et à sa précision, c’était permettre de mettre en mots leurs frustrations, de formuler leurs désaccords et…de leur apprendre à retenir leurs coups. École et famille n’ont pas su mener un combat quotidien et ô combien nécessaire contre l’imprécision et la confusion des mots, sources de tous les malentendus ; elles ont ainsi renoncé à ce que chaque jeune puisse aller chercher au plus loin de lui-même celui qu’il ne connaît pas, celui qui ne lui ressemble pas, celui qui…ne l’aime pas et à qui il le rend bien. La « pauvre » langue qu’on leur a passée ne leur permet pas de dénouer les incompréhensions, de jeter des ponts au-dessus des fossés culturels, sociaux, confessionnels et professionnels qui les divisent. Reconnaître leurs différences, les explorer ensemble, reconnaître leurs divergences, leurs oppositions, leurs haines et les analyser ensemble, ne jamais les édulcorer, ne jamais les banaliser, mais ne jamais leur permettre de mettre en cause leur commune humanité afin de résister à la « tentation délicieuse du meurtre ».  Voilà à quoi devrait servir la langue française qu’on leur a si mal transmise ; voilà à quoi devraient servir ses conventions non négociables qui devraient les lier, quelles que soient leurs appartenances respectives. Nous sommes tous collectivement responsables d’avoir offert en sacrifice, sur l’autel du web, les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse.

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Il est certes des bavards violents et des taiseux doux comme des agneaux. La parole n’a certes pas le pouvoir magique d’effacer la haine, ou de faire disparaître les oppositions, mais elle a la vertu d’en rendre les causes audibles pour l’un et l’autre ; elle ouvre ainsi à chacun le territoire de l’autre. Nous tous avons failli à enseigner à ces jeunes égarés que ce qui sépare l’homme de l’animal, c’est sa capacité d’épargner celle ou celui qui affiche ingénument sa vulnérabilité. Sa faiblesse, parce qu’elle est humaine, doit être la meilleure garantie de sa survie ; sa fragilité, parce qu’humaine, doit être sa plus sûre protection ; sa parole, parce qu’humaine, représente sa plus juste défense par sa vertu à échanger des mots plutôt que des coups de couteau. Le désespoir de ne compter pour rien ni pour personne, le refus de se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de leur éphémère existence ont réduit certains des enfants de ce pays, parfois au sein même de l’école de la République, à tenter de trouver d’autres moyens pour imprimer leurs marques : ils haïssent, ils meurtrissent, ils tuent ou… ils se tuent. Leur violence s’est nourrie de l’impuissance à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer, du dégoût d’eux-mêmes et de la peur des autres. Leur violence est d’autant plus forte, d’autant plus immédiate qu’elle est devenue muette. Un regard de travers peut couter une vie!

La perte d’influence de la France en Europe n’est pas une fatalité

La France est responsable de sa perte d’influence au sein de l’Union européenne. Vu depuis Paris, Bruxelles n’est qu’un lot de consolation pour politiques en mal de circonscription et nos députés brillent par leur absentéisme. Quant à nos fonctionnaires qualifiés, ils sont négligés, et ne sont donc pas promus.


Le constat est sévère. Pays fondateur, la France a perdu au fil du temps en influence et en prestige dans une Europe qu’elle a pourtant façonnée au départ. Selon la méthode Jean Monnet, l’Union européenne est en effet dotée d’une administration puissante « à la française » que paradoxalement les Français négligent d’investir. La situation a été fort bien décrite dans des rapports parlementaires, notamment celui de Jacques Floch en 2004 et celui de Christophe Caresche et Pierre Lequiller en 2016.

Pourtant, tout n’est pas perdu. La crise politique, morale et économique que nous vivons est l’occasion d’un sursaut. Et ce d’autant plus qu’à la tête du gouvernement vient d’être désigné, en la personne de Michel Barnier, un politique qui a fait ses preuves comme commissaire, parlementaire européen et négociateur du Brexit, et qui est pleinement reconnu par ses pairs européens.

La première cause de la perte de crédibilité de la France réside en effet, comme le souligne le rapport Caresche/Lequiller, dans ses «mauvaises performances économiques et budgétaires». En 2005, l’Allemagne et la France présentaient de mauvais indicateurs. Jacques Chirac, président français et Gerhard Schröder, chancelier allemand, avaient demandé conjointement un assouplissement du pacte de stabilité qui impose aux États membres de limiter leur déficit budgétaire à moins de 3 % et leur dette à moins de 60 % du PIB. Cet assouplissement n’ayant pas été obtenu, le chancelier allemand a pris le problème à bras-le-corps. Il a lancé l’Agenda 2010, un programme de réformes comportant des réductions d’impôts même pour les « riches », coupant dans le budget de la Sécurité sociale et limitant le versement des assurances chômage pour relancer le marché du travail. Le résultat fut le « miracle économique allemand » et le primat de l’influence allemande, tandis que la voix de la France incapable de se réformer en sortait affaiblie.

Le lot de consolation des politiques en mal de circonscription

La seconde raison du déclin de l’influence française, c’est que les Français n’ont pas su intégrer les institutions et l’administration européennes comme il le faut. Nos dirigeants ont tendance à croire que le poids de la France au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, qui fixe les grandes orientations politiques de l’Europe, suffit. Mais l’Union européenne ne fonctionne pas sur le modèle français du top down. Pour gagner en influence dans ce milieu complexe de rivalités nationales que le projet européen vise à transcender, il faut travailler à l’intérieur de la machine. Cela vaut pour l’administration du Conseil et de la Commission comme au Parlement européen.

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Pendant trop longtemps, le mandat européen a été pour les Français le lot de consolation des politiques en mal de circonscription ou de portefeuille ministériel. Aussi, l’absentéisme de nos députés est-il vu comme notre marque de fabrique. Or les députés allemands l’ont compris : la légitimité d’un élu dépend de son travail effectif au sein des commissions. Elle dépend aussi de sa longévité au Parlement, qui seule lui permet de prétendre aux fonctions importantes de rapporteur d’un texte ou de coordinateur ; les coordinateurs désignés par les groupes politiques ayant un rôle clé notamment dans l’attribution des rapports à leurs collègues.

Le bilan à la Commission européenne n’est pas plus favorable. Les tensions avec l’Allemagne ne garantissent plus au commissaire français la maîtrise de ses compétences. Il en est ainsi de Stéphane Séjourné, nouvellement désigné « vice-président exécutif pour la Prospérité et de la Stratégie industrielle ». Quelle sera sa capacité d’influence alors qu’il co-supervisera avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le commissaire en charge de la Sécurité économique et celui en charge de l’Économie et de la Productivité ? Et quelle sera la place de la France dans la composition des cabinets des commissaires alors qu’on sait déjà que sept d’entre eux au moins seront dirigés par des Allemands ?

Une fragilisation de notre représentation au sein de l’UE

Quant aux fonctionnaires français, ils sont en retrait. Certes, les postes de directeurs généraux à la Concurrence et au Budget sont occupés par des Français, mais les fonctions d’adjoint sont aussi fort importantes. Par ailleurs, la France a perdu la main sur le juridique, dont l’impact est déterminant sur toutes les politiques sectorielles. Il était implicitement entendu que les services juridiques du Conseil, de la Commission et du Parlement revenaient à des Français. Ce n’est plus le cas.  En outre, des candidatures de haut vol soutenues par le président de la République ont été rejetées. Et le gouvernement français a jusqu’ici négligé d’autres fonctions comme celles de médiateur, qui sont pourvues par le Parlement et n’en sont pas moins stratégiques. L’Union européenne, union de droit, se veut un modèle de méritocratie. Pourtant, la logique des grands corps de l’État en France envoie des fonctionnaires parfois peu familiers avec les réalités européennes alors que des Français hautement qualifiés en place au sein de l’Union mériteraient d’être promus. Malheureusement, ils sont souvent écartés par des candidatures françaises concurrentes, fragilisant ainsi notre représentation au sein de l’UE tandis que d’autres États, à l’instar de l’Allemagne, présentent une seule candidature et obtiennent la position.

Une stratégie d’influence dans l’Union européenne est bien pensée. Mais elle n’est pas véritablement déployée et ses résultats sont médiocres. Certes, les fonctionnaires européens sont indépendants. Ils œuvrent pour l’Union et non leur pays d’origine. Mais l’empreinte culturelle compte et elle est principalement allemande et britannique (les fonctionnaires britanniques sont restés en nombre dans l’administration européenne). Les fonctionnaires français, eux, sont de moins en moins nombreux et le français est devenu une langue de seconde zone.

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Il suffirait de peu de choses pour améliorer la situation. Le rattachement de Benjamin Haddad, ministre chargé de l’Europe, au Premier ministre et non seulement au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est de bon augure. Pour le reste, chacun sait ce qu’il faut faire.

La France doit être intransigeante sur l’usage du français et s’opposer fermement à sa disparition comme langue de travail (exemple regrettable de la Cour des comptes européenne). Face à la désaffection inquiétante des Français vis-à-vis de l’administration européenne, une priorité doit être accordée à la préparation aux concours européens. Il est aussi impératif que les partis politiques comprennent enfin la nécessité de valoriser le mandat de député européen et de l’inscrire dans la durée au lieu de se servir du Parlement européen comme d’un purgatoire.

Plus que tout, les parlementaires français devraient laisser le Premier ministre conduire, à l’instar de l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, son programme de réforme économique et sociale, et de rigueur financière. C’est la clé pour regagner une crédibilité économique, condition sine qua non de l’influence politique.     

*Avocate, ancienne ministre des Affaires européennes

ONU: il faut sauver le soldat UNRWA

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L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) fait l’objet de nombreux reproches: complicité avec le Hamas, parti pris anti-israélien, politique délibérée d’augmentation permanente du nombre des réfugiés palestiniens… Malgré ces accusations, une majorité des Etats-membres de l’ONU approuve l’UNRWA et continue à le financer.


Le 19 décembre, 137 États-membres de l’Assemblée générale de l’ONU ont approuvé un texte initié par la Norvège demandant un avis consultatif à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations légales d’Israël envers les agences humanitaires de l’ONU, et tout particulièrement l’UNRWA. Douze ont voté contre. Après tout, demander « un avis consultatif à la CIJ, ça mange pas de pain », ont dû penser les votants, enfin ceux qui ont eu le temps d’une pensée fugace avant de voter par réflexe. L’ambassadeur d’Israël, Danny Danon a fait remarquer que ce « cirque diplomatique » survenait au moment où l’armée israélienne avait sérieusement affaibli les organisations terroristes qui le menaçaient et, à travers lui, la civilisation occidentale: « Au lieu de saisir cette opportunité historique pour favoriser la paix et la stabilité, vous choisissez de poursuivre un cycle de haine… Aidez-nous à faire du Moyen-Orient une région de paix et de stabilité, plutôt qu’un foyer de haine et de terrorisme ». Il a rappelé que le Hamas détenait toujours 100 otages civils, comme si ce rappel du réel était de nature à modifier la charge de haine pointée, telle un missile iranien, vers Israël. 

Le pire n’est pas toujours sûr

Contrairement aux prévisions pessimistes, certains États ont semblé touchés par la grâce de la raison car, le lendemain du vote de la Résolution et de la réaction de sa victime, la Suède a annoncé mettre fin à son financement de l’UNRWA et chercher à transférer l’aide à Gaza par d’autres canaux. Rappelons que l’UNRWA est l’agence qui doublonne le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) au seul bénéfice des réfugiés palestiniens. Les 120 millions d’autres sont considérés comme des réfugiés de droit commun : ils n’ont pas à bénéficier d’un traitement VIP. Avec trois fois plus de personnel (exclusivement palestinien, ce qui, à Gaza, signifie appointés par le Hamas) que le HCR, l’UNRWA n’a pas pour mission de résoudre le problème des réfugiés en leur offrant les conditions d’une meilleure existence. Ça, c’est le boulot du HCR. La vocation de l’UNRWA, à l’inverse, est de multiplier le nombre de réfugiés palestiniens, ce en quoi elle réussit parfaitement. 

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En effet, l’intégralité des 120 millions de réfugiés lambda actuels provient de conflits ou de catastrophes naturelles qui sont survenues depuis 1948. Tous ceux issus de la deuxième guerre mondiale sont rentrés dans leur pays après la paix, ou ont été recasés ailleurs, là où leurs descendants ont planté leurs racines. En revanche, le nombre des réfugiés palestiniens, provenant de multiples agressions arabes contre Israël, toujours repoussées, a été multiplié par dix. De 600 000 en 1949 à 5,9 millions à l’aube de 2025. Il faut dire que le statut des réfugiés « normaux » n’est pas héréditaire, celui des réfugié palestiniens (en un mot) si. Un enfant qui naîtra dans dix ans aux États-Unis mais dont un aïeul peut revendiquer d’avoir sous-loué un gourbi en Palestine mandataire entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 pourra, s’il souhaite faire une carrière politique (ou vivre de la charité internationale) réclamer la carte de l’UNRWA et tous les avantages y afférents. Même s’il naît à Gaza, qui est autonome depuis vingt ans ? Oui, même à Gaza où la population est administrée par le Hamas qu’elle a élu en 2006 et où plus un Juif n’a mis les pieds depuis lors.  

Erratum. Un Israélien arabe et un Juif noir, tous deux handicapés mentaux, sont entrés par errance et par erreur à Gaza, l’un en 2014, l’autre l’année suivante. Ils s’appellent Hisham al-Sayed et Avera Mangistu. On est sans nouvelle d’eux depuis dix et onze ans respectivement. L’État juif fait des pieds et des mains pour les récupérer, mais il ne peut compter sur aucune bienveillance internationale, car dans cette affaire, le casting est à contre-emploi. Les méchants Juifs cherchent à récupérer des otages de la mauvaise couleur et de la mauvaise religion, qui sont détenus par les gentils Palestiniens !

Prendre la bonne décision pour de mauvaises raisons

La décision suédoise de cesser le financement d’une agence de l’ONU, dont des salariés ont participé aux massacres du 7 octobre 2023 et dont des professeurs gardaient des otages en esclavage à leur domicile, n’a pas été prise pour des raisons morales : la morale est terriblement contrariante, aussi est-elle bannie de toutes les équations dont Israël est un connu. La raison invoquée par le royaume nordique est la difficulté de l’UNRWA à gâter ses ouailles depuis qu’Israël lui a interdit son territoire. Par méchanceté pure, évidemment. D’ailleurs, les motifs invoqués sont anodins. Au moins 10 % du personnel Gazaoui de l’agence a des liens avec le Hamas et d’autres organisations terroristes. Et alors ? S’ils « travaillent » à l’UNRWA, c’est qu’ils ont été adoubés par le Hamas ! C’est tout ce que vous avez ? Non : en février 2024, l’armée israélienne a trouvé des armes du Hamas dans des bureaux de l’UNRWA, ainsi qu’un centre informatique géant sous son bâtiment principal. Bien qu’elle l’ait alimenté en électricité par un réseau de câbles branché sur son propre tableau, l’agence a juré qu’elle ignorait la présence de ce complexe industriel sous son siège social. Les Suédois donneront le double de pognon aux Palestiniens, mais via des ONG au lieu de l’agence immobilisée.

L’ONU (95 dictatures + 72 démocraties) fait la pluie et le sale temps pour l’État juif

Le 9 mars 2024, l’UNRWA avertissait qu’un quart de la population de la bande de Gaza était au bord de la famine et que des enfants mouraient de faim. L’organisation spécialisée dans cette problématique, la Integrated Food Security Phase Classification (IPC), qui est liée à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’ONU, avait prédit qu’une véritable famine éclaterait dans le territoire entre mars et juillet 2024. Une couverture presse tenant du duvet molletonné triple épaisseur avait suivi cette déclaration. En revanche, une deuxième étude de la même IPC, publiée en juin, n’a eu aucun écho médiatique. Comment se fait-ce ? Fondée sur des faits et non des envies de meurtre, cette étude n’a intéressé personne. L’IPC admettait que ses hypothèses sur la quantité de nourriture qui entrerait dans le territoire étaient fausses et que l’approvisionnement en nourriture de Gaza avait augmenté au lieu de diminuer. « Dans ce contexte, les preuves disponibles n’indiquent pas qu’une famine est actuellement en cours ».

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La famine étant l’article tête de gondole de l’UNRWA, celle-ci ne s’est pas laissée retirer le pain de la bouche par des faits et des chiffres. Elle a continué à alimenter les fantasmes en répétant l’appétissante menace sur tous les tons. Les médias l’ont répétée jusqu’à plus soif : France Info le 9 juillet: « Les experts de l’ONU affirment que les enfants meurent d’une « campagne de famine » menée par Israël ». TV5 Monde, le 1er novembre 2024 : « L’ensemble de la population palestinienne du nord de Gaza est exposée à un risque imminent de mourir de maladie, de famine et de violence ». ONU France, le 12 novembre : « Seule la fin de la guerre permettra d’éloigner durablement la perspective de la famine à Gaza. Il est donc urgent de parvenir à un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza. C’est la seule solution pour mettre un terme au désastre humanitaire qui se déroule sous nos yeux ».

Conclusion : aussitôt arrêté, aussitôt repris, le financement suédois de l’UNRWA a été sauvé par le gong de la présomption d’innocence ontologique.

Cadeaux de Noël

Le 25 décembre, le chef du bureau auxiliaire de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) à Gaza, Georgios Petropoulos, a déclaré que « les autorités et l’armée israéliennes ne semblent pas disposées à ouvrir plusieurs points d’accès à la fois », ce qui ralentirait l’acheminement de l’aide. Mais il a mentionné aussi « le pillage de l’aide dans les zones contrôlées par Israël » ce qui a été contredit par le Colonel Abdallah Halabi, directeur de la coordination et de la liaison à Gaza : « Du côté israélien, il n’y a aucune restriction sur la quantité d’aide qui entre. Le problème central est la capacité de transport et de distribution par la communauté internationale ». Sur fond d’images télévisées (chaine 12 israélienne) tournées au passage de Kerem Shalom, côté gazaoui, où 885 camions chargés de milliers de tonnes d’aide humanitaire attendent d’être déchargés. Le directeur général de l’Organisation mondiale de l’alimentation a affirmé que «seulement deux camions d’aide sont entrés en novembre parce qu’Israël ne nous permet pas d’en amener davantage », déclaration encore réfutée par Abdallah Halabi : « Celui qui a dit cela ne comprend pas la réalité. Plus de 800 camions sont entrés ». Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites : en quatorze mois de guerre, c’est plus de 60 000 camions qui sont entrés, avec 1,3 million de tonnes d’aide humanitaire, 32 millions de litres de combustible, 52 000 litres d’eau et 27 000 tonnes de gaz de ville.

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Malgré l’incapacité des ONG à assurer la distribution, plus de 200 camions arrivent chaque jour dans la bande de Gaza. Le Hamas attend les livraisons, en prend le contrôle et pille l’intégralité des vivres. « C’est l’un de nos principaux problèmes », a reconnu Abdallah Halabi, qui va bientôt figurer sur le mur de Gaza du Monde avec une cible dans le dos, s’il continue de donner la même importance aux faits qu’aux vœux…

Comme l’a dit Hillel Neuer de UN Watch, « Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

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Avant la Terreur ou la guerre : les leçons de Mirabeau

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La France a visiblement besoin d’une révolution mais quelle révolution pourrait éviter la guerre civile ou la Terreur ? Ecoutons Mirabeau, ce grand homme de la Révolution française, mort prématurément, adulé par la foule de son vivant, mais calomnié par ses ennemis politiques et considéré jusqu’à aujourd’hui comme un traitre à la révolution, en méconnaissance totale de sa pensée et de son œuvre.


La cour de Marie-Antoinette, reine de France de 1774 à 1792, est souvent décrite comme un lieu de corruption et de frivolité, ce qui a grandement contribué à la désillusion du peuple français envers la monarchie. Marie-Antoinette est connue pour son goût extravagant. Ses dépenses somptueuses sur des robes, des bijoux et des fêtes contribuaient à une image de déconnexion avec les réalités économiques du pays. La cour de Versailles était un lieu où les intrigues politiques et personnelles étaient monnaie courante. Les courtisans, cherchant à gagner les faveurs de la reine et du roi, se livraient souvent à des pratiques corruptives, telles que le favoritisme et la manipulation des décisions politiques pour leur propre profit.

Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau (1749–1791), fut une figure centrale des débuts de la Révolution française. Tribun éloquent, écrivain prolifique et défenseur passionné de la liberté, il se fit connaître par ses talents oratoires à l’Assemblée nationale et par son rôle de médiateur entre le roi Louis XVI et le Tiers État. Malgré une vie marquée par les scandales et les controverses, il s’est battu pour une monarchie constitutionnelle et une société où les différences pourraient coexister. Son héritage demeure celui d’un homme convaincu que la force de la parole et la recherche de compromis peuvent transformer une nation en crise.

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Dans le fracas de son époque, Mirabeau avait cherché à transformer la colère en énergie créatrice, les divisions en solutions, les antagonismes en dialogues. Aujourd’hui, la France est encore un pays fracturé, menacé non seulement par ses divisions internes mais aussi par des dangers extérieurs, comme l’islamisme, qui cherchent à saper les fondements mêmes de nos valeurs républicaines. Comme l’avait écrit Mirabeau dans ses lettres, « Tout homme fort peut transformer les tempêtes en cheminements utiles »

Une France qui craque

Comme avant 1789, la colère gronde. Elle n’est plus consignée dans des cahiers de doléances, mais dans les manifestations, les grèves, les réseaux sociaux. La France s’enferme dans ses fractures : riches et pauvres, centres et périphéries, élites et peuples. Les inégalités se creusent, alimentant un ressentiment viscéral. Mirabeau disait : « Rien n’est plus dangereux qu’une société où l’espoir est refusé aux plus nombreux ». Ce constat n’a jamais été aussi pertinent. Une méfiance radicale nourrit des discours qui ne cherchent plus à convaincre mais à abattre l’autre, et les idéologies extrêmes, y compris l’islamisme, exploitent ces fractures pour diviser davantage. La violence devient le seul langage. Il avertissait : « Les peuples ne se soulèvent que lorsque leur misère n’a plus de mots ».

Un rejet systématique des médiateurs

Comme lui, ceux qui tentent de concilier deux camps sont perçus comme des traîtres. Hier, il était entre le roi et le Tiers État ; aujourd’hui, ce sont les voix modérées étouffées par les extrêmes et par ceux qui veulent imposer des visions radicales. « On accuse toujours le pont de fragiliser les rives », disait-il — et pourtant, bâtir ces ponts est la seule voie pour réparer. Mirabeau aurait compris que la colère ne disparaît pas par la répression ou les belles paroles. Il aurait vu qu’elle est une énergie brute, prête à exploser ou à créer, selon ce qu’on en fait. 

Redonner un cadre aux conflits

Il avait tenté de créer une monarchie constitutionnelle comme compromis, car « il n’y a d’ordre que dans la liberté réglementée ». Aujourd’hui, nous devons réinventer nos institutions pour que chacun y trouve une place, en intégrant la diversité des populations tout en préservant notre identité républicaine et nationale. Les citoyens doivent se sentir acteurs, pas spectateurs. Une démocratie vidée de sens ne peut qu’alimenter la frustration. Que nous dirait Mirabeau?

Faire se parler les mondes qui s’ignorent. Les élites urbaines doivent écouter ceux qui vivent à la marge. Les territoires oubliés ne doivent pas rester isolés des grandes décisions. Mirabeau disait : « L’éloignement des conditions de vie engendre l’ignorance, et l’ignorance, le mépris ». La France doit redevenir une communauté, et cela commence par recréer des dialogues entre ceux qui se méprisent, tout en restant vigilants face aux idéologies qui menacent notre cohésion.

Canaliser la violence, pas l’éteindre. Comme lui, on peut voir que la colère n’est pas un problème, c’est un signal. La nier, c’est la renforcer. La comprendre, c’est la transformer. Il avait raison en disant : « Les passions sont des torrents, et il est inutile de les tarir. Ce qu’il faut, c’est leur tracer un lit ». Il faut des lieux où cette énergie peut s’exprimer, être reconnue et devenir un moteur de solutions, tout en combattant les forces de la radicalisation qui cherchent à déstabiliser notre société.

Dépasser les dogmes et les extrêmes. Il avait vu que les factions révolutionnaires, en refusant le compromis, menaient au chaos. « Le dogme inflexible est l’ennemi du progrès », écrivait-il. Aujourd’hui, nous devons dépasser les simplismes idéologiques et trouver des solutions concrètes qui incluent tout le monde, tout en restant fermes contre les idées qui prônent la violence et la division.

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Rien de ce travail n’est simple. Mirabeau avait été hué, critiqué, accusé de trahison par les deux camps. Nous faisons face aux mêmes obstacles aujourd’hui :

La polarisation totale. Chacun reste enfermé dans son camp, sa bulle, ses certitudes. Le dialogue est vu comme une faiblesse, le compromis comme une trahison. Il disait : « Le sectarisme est l’aveuglement de ceux qui préfèrent avoir raison seuls que construire ensemble ».

L’urgence permanente. Entre crises climatiques, économiques et sociales, tout semble si urgent qu’on n’a plus le temps d’écouter. Pourtant, sans cela, aucune solution durable n’est possible. « La précipitation n’a jamais bâti que des châteaux de sable », rappelait-il.

La méfiance généralisée. Comme on l’accusait de duplicité, on soupçonne aujourd’hui toute tentative de médiation. « Le soupçon est le poison des sociétés fragiles », disait-il. Cela rend la tâche plus difficile, mais pas moins nécessaire.

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Mirabeau est mort avant de voir sa vision s’accomplir. Mais son action laisse un message clair : il n’y a pas d’avenir dans la division. La colère, quand elle est abandonnée à elle-même, détruit tout sur son passage. Mais si elle est accueillie, écoutée, transformée, elle peut reconstruire. Aujourd’hui, la France a besoin de bâtisseurs de ponts. Pas des rêveurs, mais des pragmatiques comme lui, capables de descendre dans l’arène, de parler à tous les camps, et de transformer le tumulte en solutions. Mirabeau nous rappelle que « la véritable grandeur consiste à faire des petites choses avec un grand cœur », et cela implique d’affronter les défis avec détermination et solidarité. Il nous enseigne qu’un monde meilleur ne naît pas de la haine, mais du courage d’affronter la complexité et de chercher des voies nouvelles, tout en restant vigilants face aux menaces qui pèsent sur notre cohésion sociale et nos valeurs. La tâche est immense, mais le chemin est essentiel. Comme l’a dit Mirabeau : « La Révolution est faite, elle est dans les esprits ; il ne s’agit plus que de l’organiser ».

Lettre ouverte au président de la République

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Pourquoi Emmanuel Macron ne fait-il pas plus pour obtenir la libération d’un de ses propres citoyens détenu injustement par les autorités algériennes? Pourquoi n’a-t-il pas dénoncé ouvertement et énergiquement cette arrestation arbitraire? Serait-ce que, à la différence de Boualem Sansal, il manque de courage? Tribune.


Monsieur le Président,

Votre silence sur l’arrestation abusive et révoltante de Boualem Sansal est assourdissant. On vous a laissé le bénéfice du doute, vous étiez, nous n’en doutions pas, en train d’agir, dans le secret de votre bureau de l’Elysée, la diplomatie demande de la discrétion, nous le comprenions: en faire la publicité pourrait être contre-productif. Soit. Sauf que, quarante jours après l’arrestation de Boualem Sansal, rien. Et on apprend, de la bouche de Xavier Driencourt sur CNews, la seule chaîne qui en parle tous les jours – ainsi que de Ofer et Ohad, nos otages à Gaza, oubliés – que le Président Tebboune vous a raccroché au nez. 

Et maintenant ? Fin du sujet ? Echec de la diplomatie, donc, qu’est-ce qui vous empêche, alors, de vous exprimer ? Or, pas un mot de soutien, aucune condamnation de cette arrestation arbitraire, aucun écho aux propositions, entre autres, de Jean-Christophe Ruffin, aux déclarations de Kamel Daoud ou Xavier Driencourt. Vous abandonnez aux geôles algériennes, un de nos grands écrivains à qui vous avez offert la nationalité française ET les droits qui l’accompagnent. Nous avons pourtant des moyens de pression, avec l’Algérie, le rapport de force peut être de notre côté. Quid des visas, étudiants, touristiques ou titres de séjours de dix ans, que nous accordons à l’envi ? Quid de l’Hôpital Américain où viennent se faire soigner gouvernants et dignitaires algériens ? Quid de l’argent envoyé au bled via Western union, qui plus est, exempté d’impôts, double peine pour les finances françaises ? Sans parler des 842 millions versés à l’Algérie depuis cinq ans, sans contrepartie. Et des accords de 1968 qu’il serait grand temps de réviser ? Nous avons saisi les luxueux biens des oligarques russes, ne pourrait-on pas faire de même avec ceux des gouvernants algériens ? A force de se soumettre, nous perdons notre dignité et gagnons leur mépris.

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Mais voilà. Utiliser ces moyens de pression demande du courage politique. Celui de contrarier la rue arabe, de vous entendre qualifier par Libé, le Monde et France Inter, d’islamophobie, d’extradroitisation. Tandis que laisser un de nos ressortissants, pris en otage pour sa liberté d’expression et les rapports déplorables entre la France et l’Algérie, ne fera pas de vague. Après tout, qui connaît Boualem Sansal ? Quelques intellectuels français et étrangers qui se mobilisent, mais vous êtes tranquille, ce ne sont pas eux qui vont déclencher des émeutes, brûler les voitures et attaquer les policiers par des tirs de mortier. Pas de vague, on y revient. 

Le courage, Boualem Sansal, lui, n’en manque pas. Celui de dénoncer le Parti du Bien qui encense la richesse du multiculturalisme, d’alerter sur le danger islamiste, son totalitarisme – il sait de quoi il parle -, le califat mondial planifié par les Frères, il a ce courage et il le paye très cher. 

Mais vous, Monsieur le Président, c’est votre dernier mandat, vous ne risquez pas de décevoir ce qui reste de votre électorat. Qu’avez-vous à perdre ? Vous battre pour la libération de cet écrivain, cet homme admirable, pourrait vous valoir un brin de respect. Ça fait longtemps que vous n’avez pas inspiré ce sentiment.

Conte thérapeutique de Noël

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Le dernier roman de Didier van Cauwelaert est parfaitement adapté à la saison actuelle : il plaide pour l’espoir dans un monde désespéré, pour le miracle dans une société blasée.


Didier van Cauwelaert recevait, il y a 30 ans, le prix Goncourt pour Un aller simple. On découvrait l’histoire d’Aziz, recueilli par les tziganes des quartiers nord de Marseille. Il possédait un faux passeport marocain. C’est peu pour affirmer connaître ses origines. Et puis un jour le gouvernement décide de lancer une opération marketing de retour au pays. Aziz va alors être confié à un jeune attaché humanitaire idéaliste. Aziz, sommé de montrer son lieu de naissance, indique au hasard une zone du Haut-Atlas marocain. Tout devient alors possible. Les jurés du Goncourt furent émus. Il faut dire que Didier van Cauwelaert possède cette capacité, de plus en plus rare chez les écrivains, de briser le réel pour laisser entrer le merveilleux. Didier est un admirateur de Charles Trenet. Nous avons chanté ensemble dans un bar d’hôtel de province les plus grands tubes du « fou chantant », poète amoureux de Jean Cocteau. 

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L’enfant qui sauva la Terre est un conte thérapeutique de Noël. Il ressemble au « Jardin extraordinaire » de Trenet. Il n’est pas question d’idéologie ou de « grand soir », juste une envie de croire, malgré la tristesse de la situation initiale du récit, que l’imaginaire peut tenir en respect le pire. Comme l’écrit van Cauwelaert, une prophétie doit « permettre de corriger un scénario catastrophe », et non de s’y soumettre. Il faut déjouer en permanence les desseins du diable. Pour cela il faut croire dans les forces de l’esprit associées à celles de la nature. Il faut rechercher les centres telluriques, embrasser les arbres pour revigorer notre volonté d’inverser le cours des choses et retrouver ainsi l’équilibre des forces premières, qui a permis que le miracle de la vie s’accomplisse. C’est un récit plein d’espoir que l’écrivain, l’un des plus prolifiques de sa génération, nous offre en cette veille de la Nativité. Quand une clown confie la planète malade à un gamin qui s’éteint, qu’arrive-t-il ? Des choses incroyables qui secouent nos certitudes de blasés opulents. Thomas, enfant de 12 ans, en soins palliatifs, dont la mère est morte en lui donnant la vie, et dont le père est en prison, va échapper à l’emprise des médecins qui ont programmé sa mort. La clown est peut-être « bidon », mais son discours intelligent et vigoureux oblige l’enfant, dont le corps est dominé par le syndrome de Beaufort, une maladie orpheline, à réagir. 

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Ce conte est également un manifeste pour la Terre en souffrance. Par la pensée, Thomas va tenter de refroidir la banquise, d’apprendre aux abeilles à se défendre face aux frelons asiatiques, de restaurer la barrière de Corail et peut-être de se guérir lui-même. Bien sûr, si votre esprit cartésien vous fait hausser les épaules, ne perdez pas votre temps à lire ce roman, à la fois tendre et ironique, et allez admirer les éoliennes qui désorganisent les animaux de notre planète. Mais si vous laissez une place à la psychologie, voire à l’irrationnel, alors courez l’acheter. Comme le dit l’un des docteurs au jeune Thomas : « Tu sais, la maladie n’est que l’ultime langage du corps pour se faire entendre, quand on refuse de l’écouter. Ton profil, à première vue, a des similitudes avec celui des autres Beaufort : traumatisme affectif, précocité intellectuelle, sentiment d’exclusion… » Et d’ajouter, plus généralement : « Votre organisme a secrété, pour des raisons qui vous appartiennent, des toxines analogues à celle de ces batraciens, qui bloquent peu à peu les commandes de vos fonctions vitales. C’est ce que certains confrères appellent des produits chimiques émotionnels ».

À méditer.

Didier van Cauwelaert, L’enfant qui sauva la Terre (Albin Michel, 2024).

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Une Boyard sinon rien

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Monsieur Nostalgie vagabonde entre rêveries et souvenirs littéraires dans ces jours incertains qui font le pont entre Noël et le Nouvel An. Il nous donne quelques pistes de lecture pour annihiler le temps…


Il y a comme un air de fin d’été, quand les plagistes remballent leur quincaille balnéaire et les enfants soldent leurs amours de sable. Cet entre-deux des fêtes de fin d’année laisse une impression de grande indécision et parfois d’accablement moral. C’est l’heure des bilans et des plans de reconquête. On griffonne sur un cahier à spirales, les minuscules victoires qui ne feront jamais oublier les défaites. L’Homme se construit dans l’échec, il en fait son lit. Les succès éphémères et fragiles sont juste là pour nous faire patienter. Ce sont des leurres. On aimerait se projeter mais l’idée même d’employer ce verbe progressiste empreint d’une démagogie votive nous écœure. Nous sommes dans un état d’attente. On dit adieu donc à cette année 2024 sans regret comme Giscard le fit dans son allocution télévisée du 31 décembre avec le millésime 1974 et une emphase pathologique. 

Toute la philosophie occidentale repose sur ce paradoxe : illusions d’un monde perdu et lassitude d’un avenir chaotique. Cette année qui s’achève dans le brouillard et les incertitudes gouvernementales, nous avons lu, vu, écrit plus que de raison, malgré cette gesticulation permanente, un goût d’inachevé s’empare des Hommes restés sur leurs gardes. Dans trois jours à peine, nous accosterons en 2025 dans un pays plus parcellisé que jamais, cette fois-ci, il n’y aura plus d’Olympiades ou de résurrection de Notre-Dame pour nous amadouer. L’exposition Disco à la Philharmonie de Paris n’ouvrira ses portes qu’à la Saint-Valentin. L’élection de Miss France étant terminée, la prochaine étape de notre barnum national est prévue en avril avec le Paris-Roubaix et fin mai dans les loges de Roland-Garros. Les événements sportifs sont les dernières balises de notre mémoire. On ne se souvient déjà plus du nom de ce Premier ministre, comment s’appelait-il, le vieux monsieur cérémonieux aux cheveux blancs, d’allure athlétique, et puis cet autre, jeune et bavard, qui bondissait de guéret en guéret, d’un plateau à une manifestation agricole, comme Jean-Paul Belmondo dans une comédie de Lautner, son nom m’échappe. 

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Seuls les champions, hérauts de la piste, perdurent dans l’Histoire nationale. Les autres disparaissent des annales de la République. La France épuise autant son personnel politique que ses citoyens, bataillons d’électeurs en dissidence. C’est le charme des vieilles nations qui dérivent sans cap mais s’enfoncent assurément dans les impasses. Alors, pour enjamber ces quelques jours qui nous séparent des cotillons mouillés et du champagne émoussé, on maugrée dans son coin, et on se réfugie dans la lecture. Les hommes d’action pédalent ou courent, les autres de mon espèce, piochent des livres comme on pêche à la main dans une rivière, par désœuvrement et plaisir interdit. Avez-vous senti le frémissement d’une truite fario qui glisse sous vos mains et vous échappe ? Ce délice impromptu est un luxe de provincial. Dans les bibliothèques, les livres sont plus disciplinés quoique certains ont la bougeotte. Vous savez qu’en décembre, j’ai le cœur grenadine, j’oublie un instant le flot de nouveautés qui inondent les librairies et je me replie sur mes tocades de chroniqueur dominical. Souvent le hasard guide mes choix et, par miracle, on tombe nez à nez avec un écrivain que l’on avait délaissé et qui nous rappelle le temps glorieux des rotatives. 

Coup sur coup, j’ai relu deux livres de François Bott, disparu en 2022, au mois de septembre, presque jour pour jour, un an après le départ précipité de Roland Jaccard, son compagnon de route. Un livre sur Radiguet, L’enfant avec une canne paru chez Flammarion en 1995 et La traversée des jours au Cherche midi en 2010. Avec Bott, on cravache des Années folles aux grands boulevards, de France-Soir au Monde, c’est tout un pan de la critique littéraire qui défile. On y croise ses copains, Boudard, Nucéra, Cioran, Jacques Laurent, Sagan, Morlino et Cérésa. Ses patrons aussi admirés que Pierre Lazareff, que détestés à l’image de Françoise Giroud à L’Express (« Malgré les apparences, elle manquait totalement d’aménité et de bienveillance. Certains trouvaient ses sourires désarmants. En tout cas, ils n’étaient jamais désarmés »). Dans ses souvenirs de la République des Lettres de 1958 à 2008, Bott rallume la flamme de la presse écrite, son éclat et son onde. Il « réhabilite » même la Boyard : « Brassaï mesurait le temps de pose en fumant des cigarettes : une gauloise pour la lumière de l’aube, une boyard s’il faisait sombre. Á propos, la boyard n’a même pas eu de « nécro » quand elle a été supprimée par la Régie. Elle mériterait pourtant une thèse en Sorbonne, puisque Sartre brûla aussi ce gros module pour écrire L’Être et le Néant, et Godard pour tourner Pierrot le fou »

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On se demande souvent à quoi sert la littérature. Et bien à ça, à lire un auteur dans la torpeur des fêtes, être saisi par une phrase, amusé par un mot, happé par le passé. Bott m’a poussé à investiguer. Je suis alors parti à la recherche des prix de vente des tabacs de la SEITA (Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) datant de mai 1955 ; j’y ai appris que l’étui de 20 Boyards coûtait 120 francs, soit plus cher que le paquet de 20 Gauloises Disque Bleu (90 francs) et moins cher que l’étui de 20 « Week-end » (140 francs). La palme des cigarettes les plus onéreuses en cette année 1955 revenait au paquet de 20 américaines « Kent » bout filtre au prix de 250 francs. Grâce à Bott, on touche à l’essence de la littérature, son inutile importance.

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Marcel Proust réfractaire à la fonction publique

Le jeune Proust répugnait à être fonctionnaire comme son père : il avait une œuvre à écrire. Dans La Recherche, il dépeint une société aristocratique en voie de disparition qui méprise l’État bourgeois, son administration et ses hommes politiques. Mais le narrateur s’inscrit malgré lui dans ce monde nouveau.


Nous voilà le 29 mai 1895. Un petit jeune homme de bientôt 24 ans, l’air délicat, élégamment vêtu, raie des cheveux au milieu, fine moustache, se présente au concours d’attaché non rétribué à la bibliothèque Mazarine. Comme le poste ne lui rapportera pas un sou, pourquoi se donner la peine de postuler ? C’est qu’il veut faire plaisir à son père le docteur Adrien Proust, gros homme barbu des plus honorable, professeur agrégé à la chaire d’hygiène de la faculté de médecine de Paris, inspecteur général des services sanitaires internationaux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, commandeur de la Légion d’honneur. Un travailleur inlassable pour le bien de l’humanité, jamais de repos. Il en mourra, frappé d’apoplexie huit ans après le succès de son fils aîné, Marcel, à ce concours de bibliothécaire. Marcel qui non seulement veut lui faire plaisir, mais d’abord lui montrer qu’il a un métier, même exercé gratis.

Bibliothécaire à la Mazarine, ce n’est pas rien. Un poste plutôt prestigieux. Arrivé troisième sur trois au concours, le jeune Marcel satisfait pleinement les vœux de son père. Le problème, c’est que lui, Marcel, goûte modérément ce genre de labeur. S’ensuit que, détaché au ministère de l’Instruction publique, il est démissionné après cinq années de présence interrompue par une série de congés pour son libre loisir et de maladie occasionnée par la poussière des rayonnages de livres, qu’il combattait en vain avec un pulvérisateur à l’eucalyptus. Un fort gentil collègue, dira-t-on de lui, quoique peu efficace.

L’expérience a nécessairement marqué Proust, on en retrouve un énorme écho dans la Recherche. Pas sous la forme d’un souvenir, mais à travers un antagonisme essentiel entre la force créative de l’art et les contraintes réglementaires de l’État. Hanté par l’appel de l’œuvre à accomplir, l’écrivain en herbe refuse de devenir fonctionnaire. Et la Recherche tout entière résonne de ce refus.

La haute société n’a que mépris pour l’État bourgeois

La fonction paternelle remplit un rôle majeur dans le roman. Lors de son premier séjour au Grand-Hôtel de Balbec, le narrateur, prénom Marcel, rencontre la marquise de Villeparisis qui lui dit une chose « qui n’était pas du domaine de l’amabilité. – Est-ce que vous êtes le fils du directeur au Ministère ? me demanda-t-elle. Ah ! il paraît que votre père est un homme charmant. Il fait un bien beau voyage en ce moment[1]. » L’information, au détour d’une phrase, sur la situation professionnelle du père paraît secondaire. Tant s’en faut. Elle ouvre l’étude des personnages du roman en les rapportant à la révolution économique, politique et culturelle qui conforte la puissance de l’État moderne, tout en provoquant un sentiment de rupture, et même de perdition, au sein d’une aristocratie crispée sur ses intérêts et sur ses valeurs, mais qui cherche à épouser son temps.

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La haute société n’a pourtant que mépris pour cet État bourgeois qui s’impose. La duchesse de Guermantes, aux yeux de qui « être un homme d’État de premier ordre n’était nullement une recommandation », apprécie « ceux de ses amis qui avaient donné leur démission de la “Carrière” ou de l’armée, qui ne s’étaient pas représentés à la Chambre » (II, 460). À propos de la « Carrière », justement, voici l’ambassadeur M. de Norpois qui « ne se fût pas permis [d’]amener des personnes de gouvernement » chez Mme de Villeparisis. C’est l’amphigourique marquis de Norpois qui encourage, mais avec condescendance, le narrateur à suivre sa vocation littéraire. Rien d’étonnant si ce dernier n’éprouve aucune considération pour les fonctionnaires et les hommes politiques. Les relations du père, parmi lesquelles des ministres, se réduisent à des silhouettes aux propos lénifiants : « J’écoutais à peine ces histoires, du genre de celles que M. de Norpois racontait à mon père ; elles ne fournissaient aucun aliment aux rêveries que j’aimais » (II, 527).

La Recherche annonce le nouveau monde dans lequel le narrateur s’inscrit malgré lui. Le monde de l’État s’appuie sur une administration où l’intelligence des affaires, du négoce, de la finance supplante irrésistiblement l’esprit de l’aristocratie incarné par la duchesse de Guermantes. Cet État représente l’avènement de l’homme des foules : « Les historiens, s’ils n’ont pas eu tort de renoncer à expliquer les actes des peuples par la volonté des rois, doivent la remplacer par la psychologie de l’individu, de l’individu médiocre » (II, 406). Le monde du narrateur est dépeint à travers le regard d’un de ces individus qui, à la différence du père, se tient dans un entre-deux. Toujours empreint de l’esprit aristocratique en voie de disparition, mais déjà outillé de l’intelligence technique que développent les affaires, la science, l’armée, l’administration.

Une carrière à la tête de laquelle des directeurs éphémères se succèdent

Le jeune narrateur a le choix : soit entrer dans la Carrière (ou dans une autre structure hiérarchique, un autre corps, préfectoral par exemple) et perpétuer le destin paternel. Soit dépasser ce destin par l’art. Aussi écarte-t-il le poste que M. de Norpois pourrait lui obtenir au ministère. C’est que le monde des fonctionnaires a le ton du négoce et de la vacuité existentielle, qu’il est inapte à exciter l’imagination exaltée par l’esprit des Guermantes. Patronyme sans passé, sans généalogie, simple individu dans une société en voie d’atomisation, le fils du directeur au ministère aurait pu représenter l’avenir bureaucratique, concours, carrière, pouvoirs normatifs, carcan hiérarchique, routine. Le modèle en est fourni par le théâtre où se produit la Berma dans Phèdre, administration « à la tête de laquelle des directeurs éphémères et purement nominaux se succédaient obscurément » (I, 446).

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Le narrateur aspire à la réalisation d’une œuvre où l’écrivain découvre les grandes lois psychologiques qui transcendent les individus, l’auteur étant lui-même transcendé par son œuvre. La fonction publique se situe sur une tout autre planète. Mais si limité qu’il soit sous l’angle de l’esprit, le fonctionnaire chez Proust conserve un certain éclat. Ce n’est pas le rouage des régimes totalitaires, régis par l’adoration d’un chef, la servitude, la terreur et les crimes de masse.


[1]. À la recherche du temps perdu, I, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p. 701.

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Enfin un vrai couple régalien…

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Bruno Retailleau à l’Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice constituent un parfait duo régalien, capable de mettre fin à l’opposition stérile qui existe trop souvent entre ces deux ministères. C’est une chance à la fois pour les forces de l’ordre et pour les magistrats.


La composition du gouvernement de François Bayrou a suscité des critiques parfois virulentes, dont la mauvaise foi et le parti pris ont fait douter plus que jamais de l’honnêteté politique. On a tout à fait le droit de ne pas l’estimer conforme à ses désirs mais on ne peut nier, qu’on apprécie ou non l’ensemble des ministres, qu’il a de la tenue, de la qualité, de la cohérence.

Pour qui souhaite sincèrement la réussite de François Bayrou, dans l’intérêt de la France, il suffit de se demander quel ministre nous manque dans ce gouvernement. Pour ma part je ne regrette que l’absence de Xavier Bertrand qui aurait dû accepter, selon moi, le ministère de l’Agriculture que le Premier ministre lui avait proposé. Il y a des susceptibilités et des polémiques qui ne me semblent pas accordées à la gravité de la situation ni acceptables au regard des personnalités concernées.

Je le dis d’autant plus volontiers que la particularité essentielle, le caractère profondément novateur de cette structure de gouvernement, est la constitution d’un couple régalien authentique. Il est composé d’un remarquable ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau – appréciation que valide une majorité de Français, ce que Jean-Jacques Urvoas évoquant « les têtes d’affiche » de ce gouvernement a paru oublier (Le Monde) – et d’un garde des Sceaux, Gérald Darmanin qui, pour avoir été en charge de la place Beauvau, est parfaitement légitime place Vendôme.

Depuis des lustres, je pourfends cette volonté de faire croire à une obligatoire et nécessaire distance entre ces ministres, leurs administrations et les mondes dont ils ont la charge. Je n’ai jamais compris pourquoi la France se devait d’abriter, par respect d’une symbolique plus que du réalisme, deux ministères aux buts communs mais contraints de s’afficher méfiants l’un de l’autre.

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Contrairement à ce que j’ai entendu d’Évelyne Sire-Marin, le 26 décembre, dans les Vraies Voix à Sud Radio, le ministère de la Justice n’a pas vocation à être un contre-pouvoir mais, pour la première fois, il sera une part fondamentale d’un espace intellectuel, politique et régalien dont l’esprit sera également celui du ministère de l’Intérieur.

Cette opposition stérile qui n’a cessé, comme dans un jeu de rôle, de confronter des postures ministérielles vouées paraît-il à être structurellement antagonistes, va s’interrompre. Au lieu d’avoir un affrontement, des philosophies diverses et contrastées, la France bénéficiera d’un couple déterminé à mener une action à l’unisson, pour la sécurité comme pour la justice pénale.

Il n’est pas absurde d’espérer de cette entente unique un remède à la relation souvent médiocre entre la police et la magistrature. Les deux ministres sont très au fait de ces dissensions délétères au point d’avoir pu entraver l’efficacité du combat contre la délinquance et la criminalité.

J’aime que Gérald Darmanin ait affirmé vouloir concrétiser la feuille de route du peuple français, ce qui en effet constitue une manière lucide d’appréhender le futur de ses efforts ministériels.

Le nouveau garde des Sceaux est totalement adapté à la fonction qui lui a été confiée. Il ne déteste pas les magistrats, dont il administrera l’univers en cherchant à répondre à leurs attentes tant matérielles qu’humaines. Il n’aura pas pour impératif de se lancer dans un « Grand soir » à la fois utopique et inutile mais de veiller avec un pragmatisme intelligent, volontariste et réactif – c’est la marque de Gérald Darmanin -, à pallier les dysfonctionnements immédiats, à réparer les manques et les pénuries trop criants, à se pencher sur l’univers carcéral pour faciliter l’exécution des courtes peines et pour résoudre le scandale de certaines prisons surpeuplées, tant pour remettre de l’ordre dans les établissements pénitentiaires que pour les « nettoyer » en se souciant au premier chef de la sécurité des surveillants, mise en péril par la violence des détenus faisant la loi, par les instructions criminelles émanant des caïds et par les trafics de toutes sortes. Avec les portables omniprésents.

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En résumé, Gérald Darmanin veut des opérations « place nette » dans les prisons et des « maisons d’arrêt plus petites » (TF1). 

Un travail colossal à accomplir mais qui appellera moins de déclarations partisanes, moins d’éructations anti-RN que de patience, d’obstination, de créativité et de modestie. Ce n’est pas d’une « grande gueule » dont la justice a besoin mais d’un ministre qui démontrera à chaque instant sa capacité de transformer le réel imparfait. Ni impuissance ni fatalité !

Gérald Darmanin s’est rendu dès le 25 décembre au tribunal judiciaire d’Amiens et au centre pénitentiaire de Liancourt. Il a exposé ses objectifs. Il sera plus le ministre des victimes que celui des coupables. Il a donné son numéro personnel aux responsables des syndicats : de grâce, que ces forces de régression et de corporatisme ne l’inondent pas de messages inutiles !

Je ne pèche pas par naïveté. Une chance inouïe est donnée aux forces de l’ordre comme aux magistrats. Deux ministres de qualité et de fermeté, deux personnalités prêtes à entreprendre. Et qui ne seront pas désunies.

Enfin un vrai, un authentique, un miraculeux couple régalien.

Si j’ose, c’est Noël !

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Salvador Dalí était-il un génie ?

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La monumentale biographie écrite en anglais par Ian Gibson vient d’être traduite en français. On y découvre que Dalí était un authentique surréaliste, avant d’être un véritable croyant catholique, bien que ses dernières années soient peu glorieuses.


Le genre biographique, désormais, a ses propres conventions. Le temps est loin où La Fontaine, voulant écrire la vie d’Ésope, débutait par un prudent : « Nous n’avons rien d’assuré touchant la naissance d’Homère et d’Ésope. À peine même sait-on ce qui leur est arrivé de plus remarquable. » De nos jours,un biographe ne pourrait être aussi restrictif. Il lui faut tout dire, avancer tous les faits, et que son enquête journalistique n’ait rien laissé dans l’ombre. Dans sa somme sur Salvador Dalí, qui vient d’être traduite en français, l’écrivain irlandais Ian Gibson propose de nous raconter, au jour le jour, « la vie effrénée » du peintre surréaliste. Entreprise ambitieuse que de s’attaquer ainsi à celui qui se revendiquait comme un « génie », à l’égal de Picasso ou de Raphaël. Il faut à Ian Gibson plus de 600 pages (on est loin d’Ésope) pour révéler la personnalité emblématique de l’inventeur des « montres molles ».

Un peintre surréaliste avant tout

L’un des aspects les plus intéressants, à mon sens, du livre de Ian Gibson, consiste à revendiquer pour Dalí une appartenance indiscutable au mouvement surréaliste. Dalí, en réalité, doit tout à cette influence majeure, qui le ramenait à ses préoccupations les plus intimes. Le personnage important de l’époque, pour lui, c’était André Breton, tête pensante et autorité fédératrice du mouvement. Ian Gibson note par exemple, à propos du jeune Dalí : « Non seulement Dalí suivait le travail de Breton avec une grande attention, lorsqu’il apparaissait dans La Révolution surréaliste, mais il se procurait ses livres… » Le Second manifeste du surréalisme, indique Gibson, marqua profondément le peintre. De son côté, Breton n’hésitait pas à faire savoir combien fut importante pour lui la production de son cadet, et cela, dès la fin des années 1920. Comme l’explicite très bien Gibson, pour résumer cet état de fascination réciproque, du moins à cette date : « Pour Breton, l’œuvre actuelle de Dalí apporte une contribution dévastatrice à l’attaque des surréalistes contre les valeurs de la société contemporaine et contre la réalité conventionnelle. » Cette relation entre les deux hommes, cette « amitié d’astres » comme disait Nietzsche, est vraiment une très belle chose, même si, par la suite, Breton prit ses distances avec « Avida Dollars ».

Sa rencontre fulgurante avec Gala

Ian Gibson estime que ces années surréalistes de Dalí, jusqu’à son départ pour l’Amérique en 1940, sont les plus belles de sa carrière. Ian Gibson est davantage journaliste que critique d’art. Il énumère les peintures de Dalí, à l’occasion il les décrit, mais n’essaie jamais d’en faire ressortir l’indicible beauté. Cependant, tous les éléments sont mentionnés, tout ce qui a pu avoir une empreinte directe sur la création du maître. Ian Gibson, ainsi, n’omet pas d’insister sur la sexualité de Dalí qui, on le sait, était fondée, pour une large part, sur l’onanisme (voir son tableau Le Grand Masturbateur, 1929). Sa rencontre fulgurante avec Gala fut un éblouissement érotique inoubliable. Ian Gibson, au passage, rend justice au personnage extraordinaire que fut Gala. C’est un des meilleurs passages du livre.

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La méthode paranoïaque-critique

Ian Gibson s’arrête longuement sur une invention essentielle de Dalí, qu’il a dénommée la « méthode paranoïaque-critique » et qu’il a décrite à plusieurs reprises, notamment dans un article paru dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution (juillet 1930) et intitulé « L’âne pourri », dont Jacques Lacan fut le lecteur admiratif. Dans son Journal d’un génie, Dalí en donnait l’explication suivante : « D’une façon générale, il s’agirait de la systématisation la plus rigoureuse des phénomènes et des matériaux les plus délirants, dans l’intention de rendre tangiblement créatives mes idées les plus obsessivement dangereuses. » Gibson relate que le grand-père de Dalí souffrait de paranoïa. Et Dalí avait lu aussi certains livres de Freud, récemment traduits en espagnol, en particulier l’Introduction à la psychanalyse, où le Viennois affirmait que la paranoïa apparaissait chez l’individu pour « repousser des impulsions homosexuelles excessivement fortes ». Le désir homosexuel était l’une des hantises de Dalí.

Le Dalí « publicitaire »

Et puis, il y a bien sûr le Dalí « publicitaire », celui des frivoles années 70 surtout. Ian Gibson se désespère de voir un si grand artiste plonger dans de tels abîmes de vulgarité. Il écrit, à mon avis fort justement : « Un goût excellent était bien la dernière chose qui caractérisait le peintre, dont le but, ainsi qu’il l’avoua plus tard, était de crétiniser le public. » Il est vrai que Dalí a pu choquer délibérément ses admirateurs, par exemple en se ralliant à Franco, lorsqu’en 1948, avec Gala, il est revenu en Espagne. Mais pourquoi, sur une autre question, réservée à la conscience stricte de chacun, je veux parler de la religion, remettre en cause, comme le fait Ian Gibson, la sincérité de Dalí ? Sur ses vieux jours, Dalí, profondément désespéré, a cherché, je le cite : « les signes d’une renaissance spirituelle avec l’Église de Rome en fer de lance ». Or, voilà que cela ne plaît pas à son biographe − dont il faut pourtant, je crois, lire le livre, car il transmet au lecteur l’authentique folie de Dalí, dont l’écho, désormais plus familier à nos oreilles, propage une indestructible résonance de vérité.

Ian Gibson, La Vie effrénée de Salvador Dalí. Éd. Le Cherche Midi, 664 pages, 89 €.

La vie effrénée de Salvador Dali

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Silence on tue !

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Dictionnaires pour les eleves de CE2, 592 dictionnaires offerts (Le Robert Junior Illustre 7-11ans, CE, CM, 6e) aux eleves des ecoles nicoises), Ecole Primaire Jules Ferry, Nice FRANCE - 27/09/2021 SYSPEO/SIPA

Le linguiste Alain Bentolila déplore la faillite de l’enseignement de la langue française. Sans langage suffisant, une partie de la jeunesse ne peut « s’exprimer » qu’à travers la violence.


L’arme « blanche », silencieuse est enfoncée encore et encore par un adolescent dans le corps d’un autre adolescent. Sans que le moindre mot n’ait été prononcé. Aucun bruit ne vient troubler le moment banal du sacrifice d’une vie.

Une part importante des jeunes français ne possède que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d’accepter et d’examiner pacifiquement leurs différences et leurs divergences. Confinée dans des cercles étroits et oppressants, leur parole fut très rarement sollicitée pour l’analyse et la problématisation. S’expliquer leur paraît alors aussi difficile qu’incongru. Beaucoup de jeunes en insécurité linguistique ont ainsi perdu cette capacité spécifiquement humaine de tenter d’inscrire pacifiquement leur pensée dans l’intelligence d’un autre par la force respectueuse des mots. Lorsqu’ils doivent s’adresser à des gens qu’ils ne connaissent pas, avec lesquels ils ne partagent pas les mêmes convictions, les mêmes croyances, la même appartenance ou… les mêmes intérêts, un vocabulaire exsangue et une organisation approximative des phrases et des discours ne leur donnent pas la moindre chance de le relever le défi de l’explication sereine. Réduite à la proximité et à l’immédiate réaction, leur parole a définitivement renoncé à créer un temps de négociation linguistique, seule capable d’éviter le passage à l’acte violent et à l’affrontement physique. Leur parole devenue « éruptive » n’est le plus souvent qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte, étrangle le discours et précipite le conflit plus qu’elle ne le diffère.

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S’ils passent à l’acte de plus en plus vite et de plus en plus fort aujourd’hui, c’est parce que l’école comme la famille n’ont pas défendu avec suffisamment de conviction et… d’amour la vertu de rassemblement pacifique du langage. L’une comme l’autre ont oublié que cultiver la langue de leurs enfants et de leurs élèves, veiller à son efficacité et à sa précision, c’était permettre de mettre en mots leurs frustrations, de formuler leurs désaccords et…de leur apprendre à retenir leurs coups. École et famille n’ont pas su mener un combat quotidien et ô combien nécessaire contre l’imprécision et la confusion des mots, sources de tous les malentendus ; elles ont ainsi renoncé à ce que chaque jeune puisse aller chercher au plus loin de lui-même celui qu’il ne connaît pas, celui qui ne lui ressemble pas, celui qui…ne l’aime pas et à qui il le rend bien. La « pauvre » langue qu’on leur a passée ne leur permet pas de dénouer les incompréhensions, de jeter des ponts au-dessus des fossés culturels, sociaux, confessionnels et professionnels qui les divisent. Reconnaître leurs différences, les explorer ensemble, reconnaître leurs divergences, leurs oppositions, leurs haines et les analyser ensemble, ne jamais les édulcorer, ne jamais les banaliser, mais ne jamais leur permettre de mettre en cause leur commune humanité afin de résister à la « tentation délicieuse du meurtre ».  Voilà à quoi devrait servir la langue française qu’on leur a si mal transmise ; voilà à quoi devraient servir ses conventions non négociables qui devraient les lier, quelles que soient leurs appartenances respectives. Nous sommes tous collectivement responsables d’avoir offert en sacrifice, sur l’autel du web, les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse.

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Il est certes des bavards violents et des taiseux doux comme des agneaux. La parole n’a certes pas le pouvoir magique d’effacer la haine, ou de faire disparaître les oppositions, mais elle a la vertu d’en rendre les causes audibles pour l’un et l’autre ; elle ouvre ainsi à chacun le territoire de l’autre. Nous tous avons failli à enseigner à ces jeunes égarés que ce qui sépare l’homme de l’animal, c’est sa capacité d’épargner celle ou celui qui affiche ingénument sa vulnérabilité. Sa faiblesse, parce qu’elle est humaine, doit être la meilleure garantie de sa survie ; sa fragilité, parce qu’humaine, doit être sa plus sûre protection ; sa parole, parce qu’humaine, représente sa plus juste défense par sa vertu à échanger des mots plutôt que des coups de couteau. Le désespoir de ne compter pour rien ni pour personne, le refus de se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de leur éphémère existence ont réduit certains des enfants de ce pays, parfois au sein même de l’école de la République, à tenter de trouver d’autres moyens pour imprimer leurs marques : ils haïssent, ils meurtrissent, ils tuent ou… ils se tuent. Leur violence s’est nourrie de l’impuissance à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer, du dégoût d’eux-mêmes et de la peur des autres. Leur violence est d’autant plus forte, d’autant plus immédiate qu’elle est devenue muette. Un regard de travers peut couter une vie!

La perte d’influence de la France en Europe n’est pas une fatalité

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Ursula von der Leyen et Thierry Breton, au siège de la Commission européenne à Bruxelles, 28 septembre 2022. La démission de ce dernier, en septembre 2024, illustre le recul stratégique de la France au sein de l’Union européenne © AP Photo/Virginia Mayo/SIPIA

La France est responsable de sa perte d’influence au sein de l’Union européenne. Vu depuis Paris, Bruxelles n’est qu’un lot de consolation pour politiques en mal de circonscription et nos députés brillent par leur absentéisme. Quant à nos fonctionnaires qualifiés, ils sont négligés, et ne sont donc pas promus.


Le constat est sévère. Pays fondateur, la France a perdu au fil du temps en influence et en prestige dans une Europe qu’elle a pourtant façonnée au départ. Selon la méthode Jean Monnet, l’Union européenne est en effet dotée d’une administration puissante « à la française » que paradoxalement les Français négligent d’investir. La situation a été fort bien décrite dans des rapports parlementaires, notamment celui de Jacques Floch en 2004 et celui de Christophe Caresche et Pierre Lequiller en 2016.

Pourtant, tout n’est pas perdu. La crise politique, morale et économique que nous vivons est l’occasion d’un sursaut. Et ce d’autant plus qu’à la tête du gouvernement vient d’être désigné, en la personne de Michel Barnier, un politique qui a fait ses preuves comme commissaire, parlementaire européen et négociateur du Brexit, et qui est pleinement reconnu par ses pairs européens.

La première cause de la perte de crédibilité de la France réside en effet, comme le souligne le rapport Caresche/Lequiller, dans ses «mauvaises performances économiques et budgétaires». En 2005, l’Allemagne et la France présentaient de mauvais indicateurs. Jacques Chirac, président français et Gerhard Schröder, chancelier allemand, avaient demandé conjointement un assouplissement du pacte de stabilité qui impose aux États membres de limiter leur déficit budgétaire à moins de 3 % et leur dette à moins de 60 % du PIB. Cet assouplissement n’ayant pas été obtenu, le chancelier allemand a pris le problème à bras-le-corps. Il a lancé l’Agenda 2010, un programme de réformes comportant des réductions d’impôts même pour les « riches », coupant dans le budget de la Sécurité sociale et limitant le versement des assurances chômage pour relancer le marché du travail. Le résultat fut le « miracle économique allemand » et le primat de l’influence allemande, tandis que la voix de la France incapable de se réformer en sortait affaiblie.

Le lot de consolation des politiques en mal de circonscription

La seconde raison du déclin de l’influence française, c’est que les Français n’ont pas su intégrer les institutions et l’administration européennes comme il le faut. Nos dirigeants ont tendance à croire que le poids de la France au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, qui fixe les grandes orientations politiques de l’Europe, suffit. Mais l’Union européenne ne fonctionne pas sur le modèle français du top down. Pour gagner en influence dans ce milieu complexe de rivalités nationales que le projet européen vise à transcender, il faut travailler à l’intérieur de la machine. Cela vaut pour l’administration du Conseil et de la Commission comme au Parlement européen.

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Pendant trop longtemps, le mandat européen a été pour les Français le lot de consolation des politiques en mal de circonscription ou de portefeuille ministériel. Aussi, l’absentéisme de nos députés est-il vu comme notre marque de fabrique. Or les députés allemands l’ont compris : la légitimité d’un élu dépend de son travail effectif au sein des commissions. Elle dépend aussi de sa longévité au Parlement, qui seule lui permet de prétendre aux fonctions importantes de rapporteur d’un texte ou de coordinateur ; les coordinateurs désignés par les groupes politiques ayant un rôle clé notamment dans l’attribution des rapports à leurs collègues.

Le bilan à la Commission européenne n’est pas plus favorable. Les tensions avec l’Allemagne ne garantissent plus au commissaire français la maîtrise de ses compétences. Il en est ainsi de Stéphane Séjourné, nouvellement désigné « vice-président exécutif pour la Prospérité et de la Stratégie industrielle ». Quelle sera sa capacité d’influence alors qu’il co-supervisera avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le commissaire en charge de la Sécurité économique et celui en charge de l’Économie et de la Productivité ? Et quelle sera la place de la France dans la composition des cabinets des commissaires alors qu’on sait déjà que sept d’entre eux au moins seront dirigés par des Allemands ?

Une fragilisation de notre représentation au sein de l’UE

Quant aux fonctionnaires français, ils sont en retrait. Certes, les postes de directeurs généraux à la Concurrence et au Budget sont occupés par des Français, mais les fonctions d’adjoint sont aussi fort importantes. Par ailleurs, la France a perdu la main sur le juridique, dont l’impact est déterminant sur toutes les politiques sectorielles. Il était implicitement entendu que les services juridiques du Conseil, de la Commission et du Parlement revenaient à des Français. Ce n’est plus le cas.  En outre, des candidatures de haut vol soutenues par le président de la République ont été rejetées. Et le gouvernement français a jusqu’ici négligé d’autres fonctions comme celles de médiateur, qui sont pourvues par le Parlement et n’en sont pas moins stratégiques. L’Union européenne, union de droit, se veut un modèle de méritocratie. Pourtant, la logique des grands corps de l’État en France envoie des fonctionnaires parfois peu familiers avec les réalités européennes alors que des Français hautement qualifiés en place au sein de l’Union mériteraient d’être promus. Malheureusement, ils sont souvent écartés par des candidatures françaises concurrentes, fragilisant ainsi notre représentation au sein de l’UE tandis que d’autres États, à l’instar de l’Allemagne, présentent une seule candidature et obtiennent la position.

Une stratégie d’influence dans l’Union européenne est bien pensée. Mais elle n’est pas véritablement déployée et ses résultats sont médiocres. Certes, les fonctionnaires européens sont indépendants. Ils œuvrent pour l’Union et non leur pays d’origine. Mais l’empreinte culturelle compte et elle est principalement allemande et britannique (les fonctionnaires britanniques sont restés en nombre dans l’administration européenne). Les fonctionnaires français, eux, sont de moins en moins nombreux et le français est devenu une langue de seconde zone.

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Il suffirait de peu de choses pour améliorer la situation. Le rattachement de Benjamin Haddad, ministre chargé de l’Europe, au Premier ministre et non seulement au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est de bon augure. Pour le reste, chacun sait ce qu’il faut faire.

La France doit être intransigeante sur l’usage du français et s’opposer fermement à sa disparition comme langue de travail (exemple regrettable de la Cour des comptes européenne). Face à la désaffection inquiétante des Français vis-à-vis de l’administration européenne, une priorité doit être accordée à la préparation aux concours européens. Il est aussi impératif que les partis politiques comprennent enfin la nécessité de valoriser le mandat de député européen et de l’inscrire dans la durée au lieu de se servir du Parlement européen comme d’un purgatoire.

Plus que tout, les parlementaires français devraient laisser le Premier ministre conduire, à l’instar de l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, son programme de réforme économique et sociale, et de rigueur financière. C’est la clé pour regagner une crédibilité économique, condition sine qua non de l’influence politique.     

*Avocate, ancienne ministre des Affaires européennes

ONU: il faut sauver le soldat UNRWA

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Philippe Lazzarini, Commissaire général de de l'UNRWA parle à la presse au siège de l'ONU à New York, le 13 novembre 2024. Lev Radin/Shutterstock/SIPA

L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) fait l’objet de nombreux reproches: complicité avec le Hamas, parti pris anti-israélien, politique délibérée d’augmentation permanente du nombre des réfugiés palestiniens… Malgré ces accusations, une majorité des Etats-membres de l’ONU approuve l’UNRWA et continue à le financer.


Le 19 décembre, 137 États-membres de l’Assemblée générale de l’ONU ont approuvé un texte initié par la Norvège demandant un avis consultatif à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations légales d’Israël envers les agences humanitaires de l’ONU, et tout particulièrement l’UNRWA. Douze ont voté contre. Après tout, demander « un avis consultatif à la CIJ, ça mange pas de pain », ont dû penser les votants, enfin ceux qui ont eu le temps d’une pensée fugace avant de voter par réflexe. L’ambassadeur d’Israël, Danny Danon a fait remarquer que ce « cirque diplomatique » survenait au moment où l’armée israélienne avait sérieusement affaibli les organisations terroristes qui le menaçaient et, à travers lui, la civilisation occidentale: « Au lieu de saisir cette opportunité historique pour favoriser la paix et la stabilité, vous choisissez de poursuivre un cycle de haine… Aidez-nous à faire du Moyen-Orient une région de paix et de stabilité, plutôt qu’un foyer de haine et de terrorisme ». Il a rappelé que le Hamas détenait toujours 100 otages civils, comme si ce rappel du réel était de nature à modifier la charge de haine pointée, telle un missile iranien, vers Israël. 

Le pire n’est pas toujours sûr

Contrairement aux prévisions pessimistes, certains États ont semblé touchés par la grâce de la raison car, le lendemain du vote de la Résolution et de la réaction de sa victime, la Suède a annoncé mettre fin à son financement de l’UNRWA et chercher à transférer l’aide à Gaza par d’autres canaux. Rappelons que l’UNRWA est l’agence qui doublonne le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) au seul bénéfice des réfugiés palestiniens. Les 120 millions d’autres sont considérés comme des réfugiés de droit commun : ils n’ont pas à bénéficier d’un traitement VIP. Avec trois fois plus de personnel (exclusivement palestinien, ce qui, à Gaza, signifie appointés par le Hamas) que le HCR, l’UNRWA n’a pas pour mission de résoudre le problème des réfugiés en leur offrant les conditions d’une meilleure existence. Ça, c’est le boulot du HCR. La vocation de l’UNRWA, à l’inverse, est de multiplier le nombre de réfugiés palestiniens, ce en quoi elle réussit parfaitement. 

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En effet, l’intégralité des 120 millions de réfugiés lambda actuels provient de conflits ou de catastrophes naturelles qui sont survenues depuis 1948. Tous ceux issus de la deuxième guerre mondiale sont rentrés dans leur pays après la paix, ou ont été recasés ailleurs, là où leurs descendants ont planté leurs racines. En revanche, le nombre des réfugiés palestiniens, provenant de multiples agressions arabes contre Israël, toujours repoussées, a été multiplié par dix. De 600 000 en 1949 à 5,9 millions à l’aube de 2025. Il faut dire que le statut des réfugiés « normaux » n’est pas héréditaire, celui des réfugié palestiniens (en un mot) si. Un enfant qui naîtra dans dix ans aux États-Unis mais dont un aïeul peut revendiquer d’avoir sous-loué un gourbi en Palestine mandataire entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 pourra, s’il souhaite faire une carrière politique (ou vivre de la charité internationale) réclamer la carte de l’UNRWA et tous les avantages y afférents. Même s’il naît à Gaza, qui est autonome depuis vingt ans ? Oui, même à Gaza où la population est administrée par le Hamas qu’elle a élu en 2006 et où plus un Juif n’a mis les pieds depuis lors.  

Erratum. Un Israélien arabe et un Juif noir, tous deux handicapés mentaux, sont entrés par errance et par erreur à Gaza, l’un en 2014, l’autre l’année suivante. Ils s’appellent Hisham al-Sayed et Avera Mangistu. On est sans nouvelle d’eux depuis dix et onze ans respectivement. L’État juif fait des pieds et des mains pour les récupérer, mais il ne peut compter sur aucune bienveillance internationale, car dans cette affaire, le casting est à contre-emploi. Les méchants Juifs cherchent à récupérer des otages de la mauvaise couleur et de la mauvaise religion, qui sont détenus par les gentils Palestiniens !

Prendre la bonne décision pour de mauvaises raisons

La décision suédoise de cesser le financement d’une agence de l’ONU, dont des salariés ont participé aux massacres du 7 octobre 2023 et dont des professeurs gardaient des otages en esclavage à leur domicile, n’a pas été prise pour des raisons morales : la morale est terriblement contrariante, aussi est-elle bannie de toutes les équations dont Israël est un connu. La raison invoquée par le royaume nordique est la difficulté de l’UNRWA à gâter ses ouailles depuis qu’Israël lui a interdit son territoire. Par méchanceté pure, évidemment. D’ailleurs, les motifs invoqués sont anodins. Au moins 10 % du personnel Gazaoui de l’agence a des liens avec le Hamas et d’autres organisations terroristes. Et alors ? S’ils « travaillent » à l’UNRWA, c’est qu’ils ont été adoubés par le Hamas ! C’est tout ce que vous avez ? Non : en février 2024, l’armée israélienne a trouvé des armes du Hamas dans des bureaux de l’UNRWA, ainsi qu’un centre informatique géant sous son bâtiment principal. Bien qu’elle l’ait alimenté en électricité par un réseau de câbles branché sur son propre tableau, l’agence a juré qu’elle ignorait la présence de ce complexe industriel sous son siège social. Les Suédois donneront le double de pognon aux Palestiniens, mais via des ONG au lieu de l’agence immobilisée.

L’ONU (95 dictatures + 72 démocraties) fait la pluie et le sale temps pour l’État juif

Le 9 mars 2024, l’UNRWA avertissait qu’un quart de la population de la bande de Gaza était au bord de la famine et que des enfants mouraient de faim. L’organisation spécialisée dans cette problématique, la Integrated Food Security Phase Classification (IPC), qui est liée à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’ONU, avait prédit qu’une véritable famine éclaterait dans le territoire entre mars et juillet 2024. Une couverture presse tenant du duvet molletonné triple épaisseur avait suivi cette déclaration. En revanche, une deuxième étude de la même IPC, publiée en juin, n’a eu aucun écho médiatique. Comment se fait-ce ? Fondée sur des faits et non des envies de meurtre, cette étude n’a intéressé personne. L’IPC admettait que ses hypothèses sur la quantité de nourriture qui entrerait dans le territoire étaient fausses et que l’approvisionnement en nourriture de Gaza avait augmenté au lieu de diminuer. « Dans ce contexte, les preuves disponibles n’indiquent pas qu’une famine est actuellement en cours ».

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La famine étant l’article tête de gondole de l’UNRWA, celle-ci ne s’est pas laissée retirer le pain de la bouche par des faits et des chiffres. Elle a continué à alimenter les fantasmes en répétant l’appétissante menace sur tous les tons. Les médias l’ont répétée jusqu’à plus soif : France Info le 9 juillet: « Les experts de l’ONU affirment que les enfants meurent d’une « campagne de famine » menée par Israël ». TV5 Monde, le 1er novembre 2024 : « L’ensemble de la population palestinienne du nord de Gaza est exposée à un risque imminent de mourir de maladie, de famine et de violence ». ONU France, le 12 novembre : « Seule la fin de la guerre permettra d’éloigner durablement la perspective de la famine à Gaza. Il est donc urgent de parvenir à un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza. C’est la seule solution pour mettre un terme au désastre humanitaire qui se déroule sous nos yeux ».

Conclusion : aussitôt arrêté, aussitôt repris, le financement suédois de l’UNRWA a été sauvé par le gong de la présomption d’innocence ontologique.

Cadeaux de Noël

Le 25 décembre, le chef du bureau auxiliaire de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) à Gaza, Georgios Petropoulos, a déclaré que « les autorités et l’armée israéliennes ne semblent pas disposées à ouvrir plusieurs points d’accès à la fois », ce qui ralentirait l’acheminement de l’aide. Mais il a mentionné aussi « le pillage de l’aide dans les zones contrôlées par Israël » ce qui a été contredit par le Colonel Abdallah Halabi, directeur de la coordination et de la liaison à Gaza : « Du côté israélien, il n’y a aucune restriction sur la quantité d’aide qui entre. Le problème central est la capacité de transport et de distribution par la communauté internationale ». Sur fond d’images télévisées (chaine 12 israélienne) tournées au passage de Kerem Shalom, côté gazaoui, où 885 camions chargés de milliers de tonnes d’aide humanitaire attendent d’être déchargés. Le directeur général de l’Organisation mondiale de l’alimentation a affirmé que «seulement deux camions d’aide sont entrés en novembre parce qu’Israël ne nous permet pas d’en amener davantage », déclaration encore réfutée par Abdallah Halabi : « Celui qui a dit cela ne comprend pas la réalité. Plus de 800 camions sont entrés ». Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites : en quatorze mois de guerre, c’est plus de 60 000 camions qui sont entrés, avec 1,3 million de tonnes d’aide humanitaire, 32 millions de litres de combustible, 52 000 litres d’eau et 27 000 tonnes de gaz de ville.

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Malgré l’incapacité des ONG à assurer la distribution, plus de 200 camions arrivent chaque jour dans la bande de Gaza. Le Hamas attend les livraisons, en prend le contrôle et pille l’intégralité des vivres. « C’est l’un de nos principaux problèmes », a reconnu Abdallah Halabi, qui va bientôt figurer sur le mur de Gaza du Monde avec une cible dans le dos, s’il continue de donner la même importance aux faits qu’aux vœux…

Comme l’a dit Hillel Neuer de UN Watch, « Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

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Avant la Terreur ou la guerre : les leçons de Mirabeau

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Joseph-Désiré Court, Mirabeau devant de Dreux-Brézé, 23 juin 1789. "Nous sommes ici par la volonté du peuple..." / Bridgeman Images

La France a visiblement besoin d’une révolution mais quelle révolution pourrait éviter la guerre civile ou la Terreur ? Ecoutons Mirabeau, ce grand homme de la Révolution française, mort prématurément, adulé par la foule de son vivant, mais calomnié par ses ennemis politiques et considéré jusqu’à aujourd’hui comme un traitre à la révolution, en méconnaissance totale de sa pensée et de son œuvre.


La cour de Marie-Antoinette, reine de France de 1774 à 1792, est souvent décrite comme un lieu de corruption et de frivolité, ce qui a grandement contribué à la désillusion du peuple français envers la monarchie. Marie-Antoinette est connue pour son goût extravagant. Ses dépenses somptueuses sur des robes, des bijoux et des fêtes contribuaient à une image de déconnexion avec les réalités économiques du pays. La cour de Versailles était un lieu où les intrigues politiques et personnelles étaient monnaie courante. Les courtisans, cherchant à gagner les faveurs de la reine et du roi, se livraient souvent à des pratiques corruptives, telles que le favoritisme et la manipulation des décisions politiques pour leur propre profit.

Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau (1749–1791), fut une figure centrale des débuts de la Révolution française. Tribun éloquent, écrivain prolifique et défenseur passionné de la liberté, il se fit connaître par ses talents oratoires à l’Assemblée nationale et par son rôle de médiateur entre le roi Louis XVI et le Tiers État. Malgré une vie marquée par les scandales et les controverses, il s’est battu pour une monarchie constitutionnelle et une société où les différences pourraient coexister. Son héritage demeure celui d’un homme convaincu que la force de la parole et la recherche de compromis peuvent transformer une nation en crise.

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Dans le fracas de son époque, Mirabeau avait cherché à transformer la colère en énergie créatrice, les divisions en solutions, les antagonismes en dialogues. Aujourd’hui, la France est encore un pays fracturé, menacé non seulement par ses divisions internes mais aussi par des dangers extérieurs, comme l’islamisme, qui cherchent à saper les fondements mêmes de nos valeurs républicaines. Comme l’avait écrit Mirabeau dans ses lettres, « Tout homme fort peut transformer les tempêtes en cheminements utiles »

Une France qui craque

Comme avant 1789, la colère gronde. Elle n’est plus consignée dans des cahiers de doléances, mais dans les manifestations, les grèves, les réseaux sociaux. La France s’enferme dans ses fractures : riches et pauvres, centres et périphéries, élites et peuples. Les inégalités se creusent, alimentant un ressentiment viscéral. Mirabeau disait : « Rien n’est plus dangereux qu’une société où l’espoir est refusé aux plus nombreux ». Ce constat n’a jamais été aussi pertinent. Une méfiance radicale nourrit des discours qui ne cherchent plus à convaincre mais à abattre l’autre, et les idéologies extrêmes, y compris l’islamisme, exploitent ces fractures pour diviser davantage. La violence devient le seul langage. Il avertissait : « Les peuples ne se soulèvent que lorsque leur misère n’a plus de mots ».

Un rejet systématique des médiateurs

Comme lui, ceux qui tentent de concilier deux camps sont perçus comme des traîtres. Hier, il était entre le roi et le Tiers État ; aujourd’hui, ce sont les voix modérées étouffées par les extrêmes et par ceux qui veulent imposer des visions radicales. « On accuse toujours le pont de fragiliser les rives », disait-il — et pourtant, bâtir ces ponts est la seule voie pour réparer. Mirabeau aurait compris que la colère ne disparaît pas par la répression ou les belles paroles. Il aurait vu qu’elle est une énergie brute, prête à exploser ou à créer, selon ce qu’on en fait. 

Redonner un cadre aux conflits

Il avait tenté de créer une monarchie constitutionnelle comme compromis, car « il n’y a d’ordre que dans la liberté réglementée ». Aujourd’hui, nous devons réinventer nos institutions pour que chacun y trouve une place, en intégrant la diversité des populations tout en préservant notre identité républicaine et nationale. Les citoyens doivent se sentir acteurs, pas spectateurs. Une démocratie vidée de sens ne peut qu’alimenter la frustration. Que nous dirait Mirabeau?

Faire se parler les mondes qui s’ignorent. Les élites urbaines doivent écouter ceux qui vivent à la marge. Les territoires oubliés ne doivent pas rester isolés des grandes décisions. Mirabeau disait : « L’éloignement des conditions de vie engendre l’ignorance, et l’ignorance, le mépris ». La France doit redevenir une communauté, et cela commence par recréer des dialogues entre ceux qui se méprisent, tout en restant vigilants face aux idéologies qui menacent notre cohésion.

Canaliser la violence, pas l’éteindre. Comme lui, on peut voir que la colère n’est pas un problème, c’est un signal. La nier, c’est la renforcer. La comprendre, c’est la transformer. Il avait raison en disant : « Les passions sont des torrents, et il est inutile de les tarir. Ce qu’il faut, c’est leur tracer un lit ». Il faut des lieux où cette énergie peut s’exprimer, être reconnue et devenir un moteur de solutions, tout en combattant les forces de la radicalisation qui cherchent à déstabiliser notre société.

Dépasser les dogmes et les extrêmes. Il avait vu que les factions révolutionnaires, en refusant le compromis, menaient au chaos. « Le dogme inflexible est l’ennemi du progrès », écrivait-il. Aujourd’hui, nous devons dépasser les simplismes idéologiques et trouver des solutions concrètes qui incluent tout le monde, tout en restant fermes contre les idées qui prônent la violence et la division.

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Rien de ce travail n’est simple. Mirabeau avait été hué, critiqué, accusé de trahison par les deux camps. Nous faisons face aux mêmes obstacles aujourd’hui :

La polarisation totale. Chacun reste enfermé dans son camp, sa bulle, ses certitudes. Le dialogue est vu comme une faiblesse, le compromis comme une trahison. Il disait : « Le sectarisme est l’aveuglement de ceux qui préfèrent avoir raison seuls que construire ensemble ».

L’urgence permanente. Entre crises climatiques, économiques et sociales, tout semble si urgent qu’on n’a plus le temps d’écouter. Pourtant, sans cela, aucune solution durable n’est possible. « La précipitation n’a jamais bâti que des châteaux de sable », rappelait-il.

La méfiance généralisée. Comme on l’accusait de duplicité, on soupçonne aujourd’hui toute tentative de médiation. « Le soupçon est le poison des sociétés fragiles », disait-il. Cela rend la tâche plus difficile, mais pas moins nécessaire.

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Mirabeau est mort avant de voir sa vision s’accomplir. Mais son action laisse un message clair : il n’y a pas d’avenir dans la division. La colère, quand elle est abandonnée à elle-même, détruit tout sur son passage. Mais si elle est accueillie, écoutée, transformée, elle peut reconstruire. Aujourd’hui, la France a besoin de bâtisseurs de ponts. Pas des rêveurs, mais des pragmatiques comme lui, capables de descendre dans l’arène, de parler à tous les camps, et de transformer le tumulte en solutions. Mirabeau nous rappelle que « la véritable grandeur consiste à faire des petites choses avec un grand cœur », et cela implique d’affronter les défis avec détermination et solidarité. Il nous enseigne qu’un monde meilleur ne naît pas de la haine, mais du courage d’affronter la complexité et de chercher des voies nouvelles, tout en restant vigilants face aux menaces qui pèsent sur notre cohésion sociale et nos valeurs. La tâche est immense, mais le chemin est essentiel. Comme l’a dit Mirabeau : « La Révolution est faite, elle est dans les esprits ; il ne s’agit plus que de l’organiser ».

Lettre ouverte au président de la République

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Boualem Sansal © Hannah Assouline

Pourquoi Emmanuel Macron ne fait-il pas plus pour obtenir la libération d’un de ses propres citoyens détenu injustement par les autorités algériennes? Pourquoi n’a-t-il pas dénoncé ouvertement et énergiquement cette arrestation arbitraire? Serait-ce que, à la différence de Boualem Sansal, il manque de courage? Tribune.


Monsieur le Président,

Votre silence sur l’arrestation abusive et révoltante de Boualem Sansal est assourdissant. On vous a laissé le bénéfice du doute, vous étiez, nous n’en doutions pas, en train d’agir, dans le secret de votre bureau de l’Elysée, la diplomatie demande de la discrétion, nous le comprenions: en faire la publicité pourrait être contre-productif. Soit. Sauf que, quarante jours après l’arrestation de Boualem Sansal, rien. Et on apprend, de la bouche de Xavier Driencourt sur CNews, la seule chaîne qui en parle tous les jours – ainsi que de Ofer et Ohad, nos otages à Gaza, oubliés – que le Président Tebboune vous a raccroché au nez. 

Et maintenant ? Fin du sujet ? Echec de la diplomatie, donc, qu’est-ce qui vous empêche, alors, de vous exprimer ? Or, pas un mot de soutien, aucune condamnation de cette arrestation arbitraire, aucun écho aux propositions, entre autres, de Jean-Christophe Ruffin, aux déclarations de Kamel Daoud ou Xavier Driencourt. Vous abandonnez aux geôles algériennes, un de nos grands écrivains à qui vous avez offert la nationalité française ET les droits qui l’accompagnent. Nous avons pourtant des moyens de pression, avec l’Algérie, le rapport de force peut être de notre côté. Quid des visas, étudiants, touristiques ou titres de séjours de dix ans, que nous accordons à l’envi ? Quid de l’Hôpital Américain où viennent se faire soigner gouvernants et dignitaires algériens ? Quid de l’argent envoyé au bled via Western union, qui plus est, exempté d’impôts, double peine pour les finances françaises ? Sans parler des 842 millions versés à l’Algérie depuis cinq ans, sans contrepartie. Et des accords de 1968 qu’il serait grand temps de réviser ? Nous avons saisi les luxueux biens des oligarques russes, ne pourrait-on pas faire de même avec ceux des gouvernants algériens ? A force de se soumettre, nous perdons notre dignité et gagnons leur mépris.

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Mais voilà. Utiliser ces moyens de pression demande du courage politique. Celui de contrarier la rue arabe, de vous entendre qualifier par Libé, le Monde et France Inter, d’islamophobie, d’extradroitisation. Tandis que laisser un de nos ressortissants, pris en otage pour sa liberté d’expression et les rapports déplorables entre la France et l’Algérie, ne fera pas de vague. Après tout, qui connaît Boualem Sansal ? Quelques intellectuels français et étrangers qui se mobilisent, mais vous êtes tranquille, ce ne sont pas eux qui vont déclencher des émeutes, brûler les voitures et attaquer les policiers par des tirs de mortier. Pas de vague, on y revient. 

Le courage, Boualem Sansal, lui, n’en manque pas. Celui de dénoncer le Parti du Bien qui encense la richesse du multiculturalisme, d’alerter sur le danger islamiste, son totalitarisme – il sait de quoi il parle -, le califat mondial planifié par les Frères, il a ce courage et il le paye très cher. 

Mais vous, Monsieur le Président, c’est votre dernier mandat, vous ne risquez pas de décevoir ce qui reste de votre électorat. Qu’avez-vous à perdre ? Vous battre pour la libération de cet écrivain, cet homme admirable, pourrait vous valoir un brin de respect. Ça fait longtemps que vous n’avez pas inspiré ce sentiment.

Conte thérapeutique de Noël

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Didier Van Cauwelaert au Festival des Livres des Artistes 2024, Maison de la Chimie, Paris. 30/11/2024. LAURENT BENHAMOU/SIPA

Le dernier roman de Didier van Cauwelaert est parfaitement adapté à la saison actuelle : il plaide pour l’espoir dans un monde désespéré, pour le miracle dans une société blasée.


Didier van Cauwelaert recevait, il y a 30 ans, le prix Goncourt pour Un aller simple. On découvrait l’histoire d’Aziz, recueilli par les tziganes des quartiers nord de Marseille. Il possédait un faux passeport marocain. C’est peu pour affirmer connaître ses origines. Et puis un jour le gouvernement décide de lancer une opération marketing de retour au pays. Aziz va alors être confié à un jeune attaché humanitaire idéaliste. Aziz, sommé de montrer son lieu de naissance, indique au hasard une zone du Haut-Atlas marocain. Tout devient alors possible. Les jurés du Goncourt furent émus. Il faut dire que Didier van Cauwelaert possède cette capacité, de plus en plus rare chez les écrivains, de briser le réel pour laisser entrer le merveilleux. Didier est un admirateur de Charles Trenet. Nous avons chanté ensemble dans un bar d’hôtel de province les plus grands tubes du « fou chantant », poète amoureux de Jean Cocteau. 

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L’enfant qui sauva la Terre est un conte thérapeutique de Noël. Il ressemble au « Jardin extraordinaire » de Trenet. Il n’est pas question d’idéologie ou de « grand soir », juste une envie de croire, malgré la tristesse de la situation initiale du récit, que l’imaginaire peut tenir en respect le pire. Comme l’écrit van Cauwelaert, une prophétie doit « permettre de corriger un scénario catastrophe », et non de s’y soumettre. Il faut déjouer en permanence les desseins du diable. Pour cela il faut croire dans les forces de l’esprit associées à celles de la nature. Il faut rechercher les centres telluriques, embrasser les arbres pour revigorer notre volonté d’inverser le cours des choses et retrouver ainsi l’équilibre des forces premières, qui a permis que le miracle de la vie s’accomplisse. C’est un récit plein d’espoir que l’écrivain, l’un des plus prolifiques de sa génération, nous offre en cette veille de la Nativité. Quand une clown confie la planète malade à un gamin qui s’éteint, qu’arrive-t-il ? Des choses incroyables qui secouent nos certitudes de blasés opulents. Thomas, enfant de 12 ans, en soins palliatifs, dont la mère est morte en lui donnant la vie, et dont le père est en prison, va échapper à l’emprise des médecins qui ont programmé sa mort. La clown est peut-être « bidon », mais son discours intelligent et vigoureux oblige l’enfant, dont le corps est dominé par le syndrome de Beaufort, une maladie orpheline, à réagir. 

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Ce conte est également un manifeste pour la Terre en souffrance. Par la pensée, Thomas va tenter de refroidir la banquise, d’apprendre aux abeilles à se défendre face aux frelons asiatiques, de restaurer la barrière de Corail et peut-être de se guérir lui-même. Bien sûr, si votre esprit cartésien vous fait hausser les épaules, ne perdez pas votre temps à lire ce roman, à la fois tendre et ironique, et allez admirer les éoliennes qui désorganisent les animaux de notre planète. Mais si vous laissez une place à la psychologie, voire à l’irrationnel, alors courez l’acheter. Comme le dit l’un des docteurs au jeune Thomas : « Tu sais, la maladie n’est que l’ultime langage du corps pour se faire entendre, quand on refuse de l’écouter. Ton profil, à première vue, a des similitudes avec celui des autres Beaufort : traumatisme affectif, précocité intellectuelle, sentiment d’exclusion… » Et d’ajouter, plus généralement : « Votre organisme a secrété, pour des raisons qui vous appartiennent, des toxines analogues à celle de ces batraciens, qui bloquent peu à peu les commandes de vos fonctions vitales. C’est ce que certains confrères appellent des produits chimiques émotionnels ».

À méditer.

Didier van Cauwelaert, L’enfant qui sauva la Terre (Albin Michel, 2024).

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Une Boyard sinon rien

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François Bott. Sipa/BALTEL. Numéro de reportage : 00625285_000023

Monsieur Nostalgie vagabonde entre rêveries et souvenirs littéraires dans ces jours incertains qui font le pont entre Noël et le Nouvel An. Il nous donne quelques pistes de lecture pour annihiler le temps…


Il y a comme un air de fin d’été, quand les plagistes remballent leur quincaille balnéaire et les enfants soldent leurs amours de sable. Cet entre-deux des fêtes de fin d’année laisse une impression de grande indécision et parfois d’accablement moral. C’est l’heure des bilans et des plans de reconquête. On griffonne sur un cahier à spirales, les minuscules victoires qui ne feront jamais oublier les défaites. L’Homme se construit dans l’échec, il en fait son lit. Les succès éphémères et fragiles sont juste là pour nous faire patienter. Ce sont des leurres. On aimerait se projeter mais l’idée même d’employer ce verbe progressiste empreint d’une démagogie votive nous écœure. Nous sommes dans un état d’attente. On dit adieu donc à cette année 2024 sans regret comme Giscard le fit dans son allocution télévisée du 31 décembre avec le millésime 1974 et une emphase pathologique. 

Toute la philosophie occidentale repose sur ce paradoxe : illusions d’un monde perdu et lassitude d’un avenir chaotique. Cette année qui s’achève dans le brouillard et les incertitudes gouvernementales, nous avons lu, vu, écrit plus que de raison, malgré cette gesticulation permanente, un goût d’inachevé s’empare des Hommes restés sur leurs gardes. Dans trois jours à peine, nous accosterons en 2025 dans un pays plus parcellisé que jamais, cette fois-ci, il n’y aura plus d’Olympiades ou de résurrection de Notre-Dame pour nous amadouer. L’exposition Disco à la Philharmonie de Paris n’ouvrira ses portes qu’à la Saint-Valentin. L’élection de Miss France étant terminée, la prochaine étape de notre barnum national est prévue en avril avec le Paris-Roubaix et fin mai dans les loges de Roland-Garros. Les événements sportifs sont les dernières balises de notre mémoire. On ne se souvient déjà plus du nom de ce Premier ministre, comment s’appelait-il, le vieux monsieur cérémonieux aux cheveux blancs, d’allure athlétique, et puis cet autre, jeune et bavard, qui bondissait de guéret en guéret, d’un plateau à une manifestation agricole, comme Jean-Paul Belmondo dans une comédie de Lautner, son nom m’échappe. 

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Seuls les champions, hérauts de la piste, perdurent dans l’Histoire nationale. Les autres disparaissent des annales de la République. La France épuise autant son personnel politique que ses citoyens, bataillons d’électeurs en dissidence. C’est le charme des vieilles nations qui dérivent sans cap mais s’enfoncent assurément dans les impasses. Alors, pour enjamber ces quelques jours qui nous séparent des cotillons mouillés et du champagne émoussé, on maugrée dans son coin, et on se réfugie dans la lecture. Les hommes d’action pédalent ou courent, les autres de mon espèce, piochent des livres comme on pêche à la main dans une rivière, par désœuvrement et plaisir interdit. Avez-vous senti le frémissement d’une truite fario qui glisse sous vos mains et vous échappe ? Ce délice impromptu est un luxe de provincial. Dans les bibliothèques, les livres sont plus disciplinés quoique certains ont la bougeotte. Vous savez qu’en décembre, j’ai le cœur grenadine, j’oublie un instant le flot de nouveautés qui inondent les librairies et je me replie sur mes tocades de chroniqueur dominical. Souvent le hasard guide mes choix et, par miracle, on tombe nez à nez avec un écrivain que l’on avait délaissé et qui nous rappelle le temps glorieux des rotatives. 

Coup sur coup, j’ai relu deux livres de François Bott, disparu en 2022, au mois de septembre, presque jour pour jour, un an après le départ précipité de Roland Jaccard, son compagnon de route. Un livre sur Radiguet, L’enfant avec une canne paru chez Flammarion en 1995 et La traversée des jours au Cherche midi en 2010. Avec Bott, on cravache des Années folles aux grands boulevards, de France-Soir au Monde, c’est tout un pan de la critique littéraire qui défile. On y croise ses copains, Boudard, Nucéra, Cioran, Jacques Laurent, Sagan, Morlino et Cérésa. Ses patrons aussi admirés que Pierre Lazareff, que détestés à l’image de Françoise Giroud à L’Express (« Malgré les apparences, elle manquait totalement d’aménité et de bienveillance. Certains trouvaient ses sourires désarmants. En tout cas, ils n’étaient jamais désarmés »). Dans ses souvenirs de la République des Lettres de 1958 à 2008, Bott rallume la flamme de la presse écrite, son éclat et son onde. Il « réhabilite » même la Boyard : « Brassaï mesurait le temps de pose en fumant des cigarettes : une gauloise pour la lumière de l’aube, une boyard s’il faisait sombre. Á propos, la boyard n’a même pas eu de « nécro » quand elle a été supprimée par la Régie. Elle mériterait pourtant une thèse en Sorbonne, puisque Sartre brûla aussi ce gros module pour écrire L’Être et le Néant, et Godard pour tourner Pierrot le fou »

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On se demande souvent à quoi sert la littérature. Et bien à ça, à lire un auteur dans la torpeur des fêtes, être saisi par une phrase, amusé par un mot, happé par le passé. Bott m’a poussé à investiguer. Je suis alors parti à la recherche des prix de vente des tabacs de la SEITA (Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) datant de mai 1955 ; j’y ai appris que l’étui de 20 Boyards coûtait 120 francs, soit plus cher que le paquet de 20 Gauloises Disque Bleu (90 francs) et moins cher que l’étui de 20 « Week-end » (140 francs). La palme des cigarettes les plus onéreuses en cette année 1955 revenait au paquet de 20 américaines « Kent » bout filtre au prix de 250 francs. Grâce à Bott, on touche à l’essence de la littérature, son inutile importance.

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Marcel Proust réfractaire à la fonction publique

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À gauche : Marcel Proust, photographié par Otto Wegener en 1895. À droite : son père, Adrien Proust, photographié par Paul Nadar en 1886 © SIPA – D.R.

Le jeune Proust répugnait à être fonctionnaire comme son père : il avait une œuvre à écrire. Dans La Recherche, il dépeint une société aristocratique en voie de disparition qui méprise l’État bourgeois, son administration et ses hommes politiques. Mais le narrateur s’inscrit malgré lui dans ce monde nouveau.


Nous voilà le 29 mai 1895. Un petit jeune homme de bientôt 24 ans, l’air délicat, élégamment vêtu, raie des cheveux au milieu, fine moustache, se présente au concours d’attaché non rétribué à la bibliothèque Mazarine. Comme le poste ne lui rapportera pas un sou, pourquoi se donner la peine de postuler ? C’est qu’il veut faire plaisir à son père le docteur Adrien Proust, gros homme barbu des plus honorable, professeur agrégé à la chaire d’hygiène de la faculté de médecine de Paris, inspecteur général des services sanitaires internationaux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, commandeur de la Légion d’honneur. Un travailleur inlassable pour le bien de l’humanité, jamais de repos. Il en mourra, frappé d’apoplexie huit ans après le succès de son fils aîné, Marcel, à ce concours de bibliothécaire. Marcel qui non seulement veut lui faire plaisir, mais d’abord lui montrer qu’il a un métier, même exercé gratis.

Bibliothécaire à la Mazarine, ce n’est pas rien. Un poste plutôt prestigieux. Arrivé troisième sur trois au concours, le jeune Marcel satisfait pleinement les vœux de son père. Le problème, c’est que lui, Marcel, goûte modérément ce genre de labeur. S’ensuit que, détaché au ministère de l’Instruction publique, il est démissionné après cinq années de présence interrompue par une série de congés pour son libre loisir et de maladie occasionnée par la poussière des rayonnages de livres, qu’il combattait en vain avec un pulvérisateur à l’eucalyptus. Un fort gentil collègue, dira-t-on de lui, quoique peu efficace.

L’expérience a nécessairement marqué Proust, on en retrouve un énorme écho dans la Recherche. Pas sous la forme d’un souvenir, mais à travers un antagonisme essentiel entre la force créative de l’art et les contraintes réglementaires de l’État. Hanté par l’appel de l’œuvre à accomplir, l’écrivain en herbe refuse de devenir fonctionnaire. Et la Recherche tout entière résonne de ce refus.

La haute société n’a que mépris pour l’État bourgeois

La fonction paternelle remplit un rôle majeur dans le roman. Lors de son premier séjour au Grand-Hôtel de Balbec, le narrateur, prénom Marcel, rencontre la marquise de Villeparisis qui lui dit une chose « qui n’était pas du domaine de l’amabilité. – Est-ce que vous êtes le fils du directeur au Ministère ? me demanda-t-elle. Ah ! il paraît que votre père est un homme charmant. Il fait un bien beau voyage en ce moment[1]. » L’information, au détour d’une phrase, sur la situation professionnelle du père paraît secondaire. Tant s’en faut. Elle ouvre l’étude des personnages du roman en les rapportant à la révolution économique, politique et culturelle qui conforte la puissance de l’État moderne, tout en provoquant un sentiment de rupture, et même de perdition, au sein d’une aristocratie crispée sur ses intérêts et sur ses valeurs, mais qui cherche à épouser son temps.

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La haute société n’a pourtant que mépris pour cet État bourgeois qui s’impose. La duchesse de Guermantes, aux yeux de qui « être un homme d’État de premier ordre n’était nullement une recommandation », apprécie « ceux de ses amis qui avaient donné leur démission de la “Carrière” ou de l’armée, qui ne s’étaient pas représentés à la Chambre » (II, 460). À propos de la « Carrière », justement, voici l’ambassadeur M. de Norpois qui « ne se fût pas permis [d’]amener des personnes de gouvernement » chez Mme de Villeparisis. C’est l’amphigourique marquis de Norpois qui encourage, mais avec condescendance, le narrateur à suivre sa vocation littéraire. Rien d’étonnant si ce dernier n’éprouve aucune considération pour les fonctionnaires et les hommes politiques. Les relations du père, parmi lesquelles des ministres, se réduisent à des silhouettes aux propos lénifiants : « J’écoutais à peine ces histoires, du genre de celles que M. de Norpois racontait à mon père ; elles ne fournissaient aucun aliment aux rêveries que j’aimais » (II, 527).

La Recherche annonce le nouveau monde dans lequel le narrateur s’inscrit malgré lui. Le monde de l’État s’appuie sur une administration où l’intelligence des affaires, du négoce, de la finance supplante irrésistiblement l’esprit de l’aristocratie incarné par la duchesse de Guermantes. Cet État représente l’avènement de l’homme des foules : « Les historiens, s’ils n’ont pas eu tort de renoncer à expliquer les actes des peuples par la volonté des rois, doivent la remplacer par la psychologie de l’individu, de l’individu médiocre » (II, 406). Le monde du narrateur est dépeint à travers le regard d’un de ces individus qui, à la différence du père, se tient dans un entre-deux. Toujours empreint de l’esprit aristocratique en voie de disparition, mais déjà outillé de l’intelligence technique que développent les affaires, la science, l’armée, l’administration.

Une carrière à la tête de laquelle des directeurs éphémères se succèdent

Le jeune narrateur a le choix : soit entrer dans la Carrière (ou dans une autre structure hiérarchique, un autre corps, préfectoral par exemple) et perpétuer le destin paternel. Soit dépasser ce destin par l’art. Aussi écarte-t-il le poste que M. de Norpois pourrait lui obtenir au ministère. C’est que le monde des fonctionnaires a le ton du négoce et de la vacuité existentielle, qu’il est inapte à exciter l’imagination exaltée par l’esprit des Guermantes. Patronyme sans passé, sans généalogie, simple individu dans une société en voie d’atomisation, le fils du directeur au ministère aurait pu représenter l’avenir bureaucratique, concours, carrière, pouvoirs normatifs, carcan hiérarchique, routine. Le modèle en est fourni par le théâtre où se produit la Berma dans Phèdre, administration « à la tête de laquelle des directeurs éphémères et purement nominaux se succédaient obscurément » (I, 446).

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Le narrateur aspire à la réalisation d’une œuvre où l’écrivain découvre les grandes lois psychologiques qui transcendent les individus, l’auteur étant lui-même transcendé par son œuvre. La fonction publique se situe sur une tout autre planète. Mais si limité qu’il soit sous l’angle de l’esprit, le fonctionnaire chez Proust conserve un certain éclat. Ce n’est pas le rouage des régimes totalitaires, régis par l’adoration d’un chef, la servitude, la terreur et les crimes de masse.


[1]. À la recherche du temps perdu, I, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p. 701.

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Enfin un vrai couple régalien…

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Passation de pouvoir entre Gérald Darmanin et Didier Migaud, au ministère de la Justice, Paris, le 24/12/2024. JEANNE ACCORSINI/SIPA

Bruno Retailleau à l’Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice constituent un parfait duo régalien, capable de mettre fin à l’opposition stérile qui existe trop souvent entre ces deux ministères. C’est une chance à la fois pour les forces de l’ordre et pour les magistrats.


La composition du gouvernement de François Bayrou a suscité des critiques parfois virulentes, dont la mauvaise foi et le parti pris ont fait douter plus que jamais de l’honnêteté politique. On a tout à fait le droit de ne pas l’estimer conforme à ses désirs mais on ne peut nier, qu’on apprécie ou non l’ensemble des ministres, qu’il a de la tenue, de la qualité, de la cohérence.

Pour qui souhaite sincèrement la réussite de François Bayrou, dans l’intérêt de la France, il suffit de se demander quel ministre nous manque dans ce gouvernement. Pour ma part je ne regrette que l’absence de Xavier Bertrand qui aurait dû accepter, selon moi, le ministère de l’Agriculture que le Premier ministre lui avait proposé. Il y a des susceptibilités et des polémiques qui ne me semblent pas accordées à la gravité de la situation ni acceptables au regard des personnalités concernées.

Je le dis d’autant plus volontiers que la particularité essentielle, le caractère profondément novateur de cette structure de gouvernement, est la constitution d’un couple régalien authentique. Il est composé d’un remarquable ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau – appréciation que valide une majorité de Français, ce que Jean-Jacques Urvoas évoquant « les têtes d’affiche » de ce gouvernement a paru oublier (Le Monde) – et d’un garde des Sceaux, Gérald Darmanin qui, pour avoir été en charge de la place Beauvau, est parfaitement légitime place Vendôme.

Depuis des lustres, je pourfends cette volonté de faire croire à une obligatoire et nécessaire distance entre ces ministres, leurs administrations et les mondes dont ils ont la charge. Je n’ai jamais compris pourquoi la France se devait d’abriter, par respect d’une symbolique plus que du réalisme, deux ministères aux buts communs mais contraints de s’afficher méfiants l’un de l’autre.

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Contrairement à ce que j’ai entendu d’Évelyne Sire-Marin, le 26 décembre, dans les Vraies Voix à Sud Radio, le ministère de la Justice n’a pas vocation à être un contre-pouvoir mais, pour la première fois, il sera une part fondamentale d’un espace intellectuel, politique et régalien dont l’esprit sera également celui du ministère de l’Intérieur.

Cette opposition stérile qui n’a cessé, comme dans un jeu de rôle, de confronter des postures ministérielles vouées paraît-il à être structurellement antagonistes, va s’interrompre. Au lieu d’avoir un affrontement, des philosophies diverses et contrastées, la France bénéficiera d’un couple déterminé à mener une action à l’unisson, pour la sécurité comme pour la justice pénale.

Il n’est pas absurde d’espérer de cette entente unique un remède à la relation souvent médiocre entre la police et la magistrature. Les deux ministres sont très au fait de ces dissensions délétères au point d’avoir pu entraver l’efficacité du combat contre la délinquance et la criminalité.

J’aime que Gérald Darmanin ait affirmé vouloir concrétiser la feuille de route du peuple français, ce qui en effet constitue une manière lucide d’appréhender le futur de ses efforts ministériels.

Le nouveau garde des Sceaux est totalement adapté à la fonction qui lui a été confiée. Il ne déteste pas les magistrats, dont il administrera l’univers en cherchant à répondre à leurs attentes tant matérielles qu’humaines. Il n’aura pas pour impératif de se lancer dans un « Grand soir » à la fois utopique et inutile mais de veiller avec un pragmatisme intelligent, volontariste et réactif – c’est la marque de Gérald Darmanin -, à pallier les dysfonctionnements immédiats, à réparer les manques et les pénuries trop criants, à se pencher sur l’univers carcéral pour faciliter l’exécution des courtes peines et pour résoudre le scandale de certaines prisons surpeuplées, tant pour remettre de l’ordre dans les établissements pénitentiaires que pour les « nettoyer » en se souciant au premier chef de la sécurité des surveillants, mise en péril par la violence des détenus faisant la loi, par les instructions criminelles émanant des caïds et par les trafics de toutes sortes. Avec les portables omniprésents.

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En résumé, Gérald Darmanin veut des opérations « place nette » dans les prisons et des « maisons d’arrêt plus petites » (TF1). 

Un travail colossal à accomplir mais qui appellera moins de déclarations partisanes, moins d’éructations anti-RN que de patience, d’obstination, de créativité et de modestie. Ce n’est pas d’une « grande gueule » dont la justice a besoin mais d’un ministre qui démontrera à chaque instant sa capacité de transformer le réel imparfait. Ni impuissance ni fatalité !

Gérald Darmanin s’est rendu dès le 25 décembre au tribunal judiciaire d’Amiens et au centre pénitentiaire de Liancourt. Il a exposé ses objectifs. Il sera plus le ministre des victimes que celui des coupables. Il a donné son numéro personnel aux responsables des syndicats : de grâce, que ces forces de régression et de corporatisme ne l’inondent pas de messages inutiles !

Je ne pèche pas par naïveté. Une chance inouïe est donnée aux forces de l’ordre comme aux magistrats. Deux ministres de qualité et de fermeté, deux personnalités prêtes à entreprendre. Et qui ne seront pas désunies.

Enfin un vrai, un authentique, un miraculeux couple régalien.

Si j’ose, c’est Noël !

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Salvador Dalí était-il un génie ?

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Un homme regarde une photographie de Salvador Dali, Barcelone, 06/10/2003. BERNAT ARMANGU/AP/SIPA

La monumentale biographie écrite en anglais par Ian Gibson vient d’être traduite en français. On y découvre que Dalí était un authentique surréaliste, avant d’être un véritable croyant catholique, bien que ses dernières années soient peu glorieuses.


Le genre biographique, désormais, a ses propres conventions. Le temps est loin où La Fontaine, voulant écrire la vie d’Ésope, débutait par un prudent : « Nous n’avons rien d’assuré touchant la naissance d’Homère et d’Ésope. À peine même sait-on ce qui leur est arrivé de plus remarquable. » De nos jours,un biographe ne pourrait être aussi restrictif. Il lui faut tout dire, avancer tous les faits, et que son enquête journalistique n’ait rien laissé dans l’ombre. Dans sa somme sur Salvador Dalí, qui vient d’être traduite en français, l’écrivain irlandais Ian Gibson propose de nous raconter, au jour le jour, « la vie effrénée » du peintre surréaliste. Entreprise ambitieuse que de s’attaquer ainsi à celui qui se revendiquait comme un « génie », à l’égal de Picasso ou de Raphaël. Il faut à Ian Gibson plus de 600 pages (on est loin d’Ésope) pour révéler la personnalité emblématique de l’inventeur des « montres molles ».

Un peintre surréaliste avant tout

L’un des aspects les plus intéressants, à mon sens, du livre de Ian Gibson, consiste à revendiquer pour Dalí une appartenance indiscutable au mouvement surréaliste. Dalí, en réalité, doit tout à cette influence majeure, qui le ramenait à ses préoccupations les plus intimes. Le personnage important de l’époque, pour lui, c’était André Breton, tête pensante et autorité fédératrice du mouvement. Ian Gibson note par exemple, à propos du jeune Dalí : « Non seulement Dalí suivait le travail de Breton avec une grande attention, lorsqu’il apparaissait dans La Révolution surréaliste, mais il se procurait ses livres… » Le Second manifeste du surréalisme, indique Gibson, marqua profondément le peintre. De son côté, Breton n’hésitait pas à faire savoir combien fut importante pour lui la production de son cadet, et cela, dès la fin des années 1920. Comme l’explicite très bien Gibson, pour résumer cet état de fascination réciproque, du moins à cette date : « Pour Breton, l’œuvre actuelle de Dalí apporte une contribution dévastatrice à l’attaque des surréalistes contre les valeurs de la société contemporaine et contre la réalité conventionnelle. » Cette relation entre les deux hommes, cette « amitié d’astres » comme disait Nietzsche, est vraiment une très belle chose, même si, par la suite, Breton prit ses distances avec « Avida Dollars ».

Sa rencontre fulgurante avec Gala

Ian Gibson estime que ces années surréalistes de Dalí, jusqu’à son départ pour l’Amérique en 1940, sont les plus belles de sa carrière. Ian Gibson est davantage journaliste que critique d’art. Il énumère les peintures de Dalí, à l’occasion il les décrit, mais n’essaie jamais d’en faire ressortir l’indicible beauté. Cependant, tous les éléments sont mentionnés, tout ce qui a pu avoir une empreinte directe sur la création du maître. Ian Gibson, ainsi, n’omet pas d’insister sur la sexualité de Dalí qui, on le sait, était fondée, pour une large part, sur l’onanisme (voir son tableau Le Grand Masturbateur, 1929). Sa rencontre fulgurante avec Gala fut un éblouissement érotique inoubliable. Ian Gibson, au passage, rend justice au personnage extraordinaire que fut Gala. C’est un des meilleurs passages du livre.

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La méthode paranoïaque-critique

Ian Gibson s’arrête longuement sur une invention essentielle de Dalí, qu’il a dénommée la « méthode paranoïaque-critique » et qu’il a décrite à plusieurs reprises, notamment dans un article paru dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution (juillet 1930) et intitulé « L’âne pourri », dont Jacques Lacan fut le lecteur admiratif. Dans son Journal d’un génie, Dalí en donnait l’explication suivante : « D’une façon générale, il s’agirait de la systématisation la plus rigoureuse des phénomènes et des matériaux les plus délirants, dans l’intention de rendre tangiblement créatives mes idées les plus obsessivement dangereuses. » Gibson relate que le grand-père de Dalí souffrait de paranoïa. Et Dalí avait lu aussi certains livres de Freud, récemment traduits en espagnol, en particulier l’Introduction à la psychanalyse, où le Viennois affirmait que la paranoïa apparaissait chez l’individu pour « repousser des impulsions homosexuelles excessivement fortes ». Le désir homosexuel était l’une des hantises de Dalí.

Le Dalí « publicitaire »

Et puis, il y a bien sûr le Dalí « publicitaire », celui des frivoles années 70 surtout. Ian Gibson se désespère de voir un si grand artiste plonger dans de tels abîmes de vulgarité. Il écrit, à mon avis fort justement : « Un goût excellent était bien la dernière chose qui caractérisait le peintre, dont le but, ainsi qu’il l’avoua plus tard, était de crétiniser le public. » Il est vrai que Dalí a pu choquer délibérément ses admirateurs, par exemple en se ralliant à Franco, lorsqu’en 1948, avec Gala, il est revenu en Espagne. Mais pourquoi, sur une autre question, réservée à la conscience stricte de chacun, je veux parler de la religion, remettre en cause, comme le fait Ian Gibson, la sincérité de Dalí ? Sur ses vieux jours, Dalí, profondément désespéré, a cherché, je le cite : « les signes d’une renaissance spirituelle avec l’Église de Rome en fer de lance ». Or, voilà que cela ne plaît pas à son biographe − dont il faut pourtant, je crois, lire le livre, car il transmet au lecteur l’authentique folie de Dalí, dont l’écho, désormais plus familier à nos oreilles, propage une indestructible résonance de vérité.

Ian Gibson, La Vie effrénée de Salvador Dalí. Éd. Le Cherche Midi, 664 pages, 89 €.

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