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David Lynch, un précurseur inclassable

Plasticien, réalisateur, scénariste, acteur, photographe, musicien, designer… et adepte de la méditation transcendantale, l’Américain David Lynch vient de nous quitter à l’âge de 78 ans. Il nous laisse une œuvre d’une incroyable richesse et profondeur, ce qui ne manquera pas d’accentuer encore un peu plus le caractère sidéralement vide du reste de la création contemporaine actuelle… 


 « C’est avec un profond regret que nous, sa famille, vous annonçons le décès de l’homme et de l’artiste David Lynch. Nous aimerions avoir un peu d’intimité en ce moment. Il y a un grand trou dans le monde maintenant qu’il n’est plus parmi nous. Mais, comme il se plaisait à le dire, « Gardez un œil sur le beignet et non sur le trou » ». Ce sont par ces mots laconiques que nous apprenions le décès, ce jeudi soir, de cet immense artiste farouchement indépendant et visionnaire, frappé d’emphysème, une maladie entraînant la destruction des alvéoles pulmonaires.

Réalisateur de dix films marquants et inclassables entre 1977 (Eraserhead) et 2006 (Inland Empire), lauréat de la Palme d’or cannoise en 1990 (Sailor et Lula), César du meilleur film étranger en 1982 (Elephant Man) et 2000 (Mulholland Drive), Lion d’or vénitien pour l’ensemble de sa carrière (2006) et Oscar d’honneur, consécration suprême, en 2019, le petit gars timide et réservé du Montana a connu l’un des plus beaux destins du cinéma moderne.  

Déracinement et peinture

Combien d’artistes peuvent-ils se targuer de générer de leur vivant un adjectif caractérisant un style, une ambiance, une atmosphère, reconnaissables entre mille ? « Lynchien » (ou « lynchéen ») permet en effet de caractériser une œuvre culturelle parvenant à transcender la banalité du quotidien, l’« inquiétante étrangeté » chère au Docteur Freud, en faisant délicieusement craquer le vernis social et familier de nos sociétés occidentales tout en nous projetant dans un univers aux frontières de l’étrange, concomitamment onirique, surréaliste, mystérieux ou cauchemardesque…

Après une jeunesse marquée par le déracinement permanant aux quatre coins de son pays en raison d’un papa biologiste au Ministère de l’Agriculture, le rêveur David se passionne tout d’abord pour le dessin et les beaux-arts, ce qui le conduit à entreprendre des études dans ce domaine avec comme ambition de rencontrer son idole, le peintre expressionniste autrichien Oskar Kokoschka. Une connexion qui ne pourra hélas se faire lors d’un voyage européen organisé à la hâte avec son ami Jack Fisk. De retour au pays, le jeune David Lynch a alors l’idée de réaliser des courts-métrages en mettant en mouvement et en situation ses propres peintures avec un important travail sur la sonorisation en post-synchronisation. Ainsi naissent les matériaux hybrides et insolites Six Figures Getting Sick, The Alphabet puis The Grandmother, qui le font connaître auprès des critiques et surtout des investisseurs, disposés à lui octroyer un budget conséquent pour la fabrication de son premier long-métrage en 1977…

Premières déflagrations filmiques

Avec une bourse initiale de 10 000 dollars (qui sera finalement multipliée par 10 et renflouée par le revenu de petits travaux réalisés par l’artiste lui-même), David Lynch mettra cinq ans pour accoucher d’une œuvre unique, dérangeante, inoubliable, sans doute l’un des plus grands chocs de l’Histoire du cinéma. Dans un décor noir et blanc post-expressionniste de chaos industriel et urbain, Eraserhead nous plonge dans la psyché malade d’un couple mal assorti venant de procréer un être difforme proche d’un lapin écorché vif au long cou grêle… Difficile de faire plus glauque et sordide… et pourtant, cet essai filmique expérimental est traversé par de purs moments de poésie et d’élégie. Le film a connuun succès inespéré dans les circuits indépendants new-yorkais sur les créneaux « Midnight Movies », avant de se voir distribué un peu partout dans le pays et a été fortement apprécié par un certain Mel Brooks qui propose à Lynch un projet d’une envergure beaucoup plus importante, Elephant Man, d’après l’incroyable histoire vraie d’un certain John Merrick, victime de plusieurs malformations physiques et génétiques.

Alternant ambiances gothiques, grotesques, horrifiques et mélodramatiques, rendant hommage au séminal Freaks de Tod Browning, Lynch, en état de grâce, réussit le film parfait. Rythmée par d’impressionnantes tonalités musicales, tantôt industrielles, métalliques ou mélancoliques grâce à la géniale utilisation de l’Adagio pour cordes de Samuel Barber, cette histoire d’une incroyable humanité est par ailleurs marquée par l’incroyable performance de l’acteur John Hurt dans le rôle-titre… qui loupa toutefois l’Oscar du meilleur acteur au profit de Robert De Niro avec Raging Bull.  

Le temps était-il déjà venu de se lancer, pour son troisième film seulement, dans une des productions les plus chères et les plus ambitieuses de l’Histoire ? A savoir le défi de « l’adaptation de l’inadaptable » avec le mythique roman écolo-mystico-politico-philosophique Dune de Frank Herbert. Sous la férule encombrante de Dino De Laurentiis, nabab italien millionnaire producteur du projet, Lynch fait ce qu’il peut en répondant surtout à des directives de studio pourtant très éloignées de sa conception de créateur libre et indomptable. Il rebondira en recouvrant une certaine indépendance, toujours pour De Laurentiis, avec le formidable Blue Velvet (1986), étrange thriller «néo-noir» contaminé par de sombres pratiques sexuelles déviantes, ritualisées et fétichisées dans une bourgade pavillonnaire américaine de fausse carte postale. Personne ne pourra oublier la prestation habitée de la comédienne Isabella Rossellini (future épouse de Lynch), rudoyée et sadisée par un Dennis Hopper plus givré et cocaïnomane que jamais !

Consécration cannoise… et Lynch Mania !

Puis arrive la fameuse et inattendue Palme d’or cannoise grâce à Sailor et Lula en 1990, d’après le livre de Barry Gifford, Wild at Heart : the Story of Sailor and Lula. «C’est exactement ce qu’il me fallait à ce moment-là. Le roman et la violence en Amérique se sont amalgamés dans mon esprit et beaucoup de choses ont surgi. C’est une histoire d’amour vraiment moderne dans un monde impitoyable. Un film sur deux êtres qui trouvent l’amour en enfer » révèle alors Lynch qui a le plaisir de retrouver sa muse Laura Dern avec qui il partagera une grande complicité jusqu’à la fin de sa carrière. Ce film sauvage et beau peut également se lire comme une démarcation et une variation hardcore de l’iconique Magicien d’Oz créé par le romancier Lyman Frank Baum en 1900 et adapté une première fois au cinéma par l’illustre Victor Fleming en 1939.

Le début des années 90 est plus que jamais synonyme de « Lynch Mania » avec le lancement interplanétaire d’une nouvelle série télévisée «Twin Peaks», co-écrite avec le romancier et scénariste Mark Frost. Un objet télévisuel non identifié ambitionnant de redéfinir ni plus ni moins les codes et archétypes des poussiéreux soap-opéras. Subjugué, Francis Bouygues, magnat de la construction, propriétaire de TF1 et récent fondateur d’une société de cinéma (CIBY 2000) convainc alors Lynch de réaliser, contre toute attente, une adaptation de la série sur grand écran. Ce sera donc Twin Peaks : Fire Walk With Me, ce feu incandescent qui consume progressivement les habitants de ladite bourgade et continue d’animer la passion créatrice du réalisateur avec une nouvelle égérie, la sulfureuse Sheryl Lee qui reviendra pour la troisième saison de Twin Peaks en 2017 (le très sibyllin et cryptique The Return).

Entre-temps, Lynch retrouvera l’univers alambiqué de Barry Gifford qui lui sied tant pour son extraordinaire Lost Highway (1997), un bad-trip sous acides aux confins de la folie, directement inspiré du retentissant procès médiatique O.J Simpson qui a bouleversé et clivé l’Amérique au mitant de la décennie 90. «O.J était bien coupable de l’atrocité des meurtres qu’il a commis, concède alors Lynch. Or, il a pu continuer à vivre en liberté, voir ses amis, jouer au golf tranquillement, ce qui est proprement hallucinant ! Comment peut réagir l’esprit de cet homme après ces crimes horribles ? Comment l’esprit peut-il se protéger contre ce souvenir, la connaissance de ces faits qui ont réellement existé ? Le fonctionnement du cerveau, y compris dans ce qu’il recèle de plus pervers et pernicieux, est fascinant et m’intéresse au plus haut point !».

Nouveau coup de maître en 2001 avec sans doute son magnum opus, Mulholland Drive, directement financé par ses soutiens français, le groupe Canal+ et Alain Sarde. «Une histoire d’amour dans la cité des rêves». S’inspirant à nouveau du fameux ruban de Moebius, le réalisateur poursuit son obsession consistant à gratter le vernis des conventions normatives et sociales tout en prenant un malin plaisir à faire tomber les masques des hypocrisies et des illusions au cœur de la fabrique à rêves et à cauchemars nommée Hollywood. Ce beau poème métaphorique et labyrinthique sur la « cité des anges foudroyés » est couvert de prix : la mise en scène à Cannes, le César du Meilleur film étranger ainsi que le Meilleur montage aux BAFTA britanniques. Il est par ailleurs régulièrement cité par les médias spécialisés et historiens du cinéma comme faisant partie du TOP 10 des plus grands films de tous les temps !

Vertige et hommage

2006, Inland Empire, la fin du voyage cinématographique avec sans conteste son film le plus exigeant, le plus abscons, celui qui divisera comme jamais la communauté lynchéenne… sans parler des critiques professionnels et du grand public.  

Parvenu au sommet de son art, n’ayant plus rien à prouver, le réalisateur décide alors de lâcher complètement les forces de son inconscient et de confectionner, en roue libre et sans filet, un étrange matériau expérimental, décousu, labyrinthique, comme directement relié aux synapses d’un cerveau malade. Concept à la fois topographique (la dénomination d’une zone métropolitaine excentrée de Los Angeles) et psychanalytique (textuellement, l’empire de l’intériorité, cette zone grise et noire des profondeurs de la psyché humaine), ce véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié) vaut surtout pour la prestation hallucinante de Laura Dern. Une œuvre à redécouvrir sans doute aujourd’hui…

En novembre 2020, plusieurs médias font état d’une série en préparation, désignée sous le titre Wisteria, qui serait écrite et réalisée par Lynch, en collaboration avec la productrice Sabrina S. Sutherland et diffusée sur Netflix… Mais rien ne sera ensuite confirmé.

Dernière surprise… et de taille, Spielberg offre un rôle symbolique et émouvant à Lynch dans son film autobiographique The Fabelmans en 2022. Il y incarne le légendaire réalisateur John Ford, cache-œil de corsaire, casquette de militaire et gros cigare, qui reçoit dans son bureau un tout jeune garçon (Sammy Fabelman, double de Spielberg) fasciné par le monde du septième art et avide de conseils du Maître. Un beau geste rêvant et affichant une filiation nord-américaine idéale en voulant sans doute boucler la boucle de ces créateurs de génie. Seule l’Histoire pourra à présent juger et se prononcer a posteriori sur la place qu’occupera réellement David Lynch… quelque part entre John Ford, Steven Spielberg et d’autres géants. Une chose est certaine, il nous manquera énormément…

Gave parle cash

Charles Gave publie Cessez de vous faire avoir, un manuel de gestion de patrimoine accessible et iconoclaste, pour permettre aux épargnants de ne plus avoir de sueurs froides lors des krachs boursiers.


Voilà un livre qui tombe à pic. À l’heure de la violente dégradation des comptes publics et des incertitudes grandissantes sur la viabilité de notre système de retraite, une question se pose plus que jamais aux Français : comment bien placer son argent – ou ce qu’il en reste ?

Non content de diriger, avec son fils Louis, une pépite dans le secteur des analyses économiques (la société Gavekal, basée à Hong Kong et employant 70 personnes), Charles Gave1 a créé récemment, avec sa fille Emmanuelle, l’Institut de l’épargne, qui enseigne à Paris l’art de gérer son portefeuille de manière autonome. Cessez de vous faire avoir est pour ainsi dire le précis de vulgarisation de cette formation. En rupture de stock dès les premiers jours de sa sortie, il a dû être prestement réimprimé.

Émule de Milton Friedman (« Les gouvernements n’apprennent jamais, seuls les gens apprennent ») et de Jean de La Fontaine (« Aide-toi et le ciel t’aidera »), Gave part d’un principe : ne faites confiance ni à l’État ni aux banques ! Puis il passe en revue les grandes catégories de produits financiers qui s’offrent au commun des mortels, à commencer par les obligations, les actions et l’or, dont il décrypte les comportements respectifs en fonction des cycles économiques.

Une fois ces rudiments bien posés, il ne lui reste plus qu’à dispenser sa philosophie patrimoniale, celle d’un « bon père de famille », plus imaginatif toutefois que les gestionnaires d’actifs paresseux qui se bornent aux titres souverains et aux sicav de trésorerie.

La méthode Gave, qui a fait ses preuves, évitera à ses disciples bien des sueurs froides lors des krachs boursiers. Dans les milieux économiques, il existe une expression pour définir cette stratégie : la « réduction de volatilité ». Dans la vie de tous les jours, on parlera de « s’assurer un troisième âge sans nuages ».

Le manuel contient de nombreux graphiques faciles à comprendre, qui illustrent parfaitement les propos d’un auteur tout à la fois franc du collier et pédagogue. Quel que soit son niveau de fortune, on trouvera forcément dans ces pages matière à réflexion. Tout simplement parce que Gave parle cash. Et qu’il n’a pas peur de renverser les totems de l’establishment financier.

Les lecteurs les plus convaincus seront peut-être même séduits par sa proposition de constituer un « portefeuille permanent » à la manière de Harry Browne, qui fut deux fois le candidat du Parti libertarien aux États-Unis (1996 et 2000) et qui recommandait de placer son épargne dans un panier varié d’actifs, composé de valeurs faiblement corrélées les unes par rapport aux autres. Pas de quoi dégager des performances extraordinaires mais, à long terme, le rendement dépasse de façon quasi certaine l’inflation cumulée.

Les Français ont un avantage sur nombre de pays riches : ils épargnent beaucoup. Bien davantage que les Américains, les Britanniques ou les Japonais par exemple. Seulement ils sont très incultes en matière d’investissement – à l’exception de l’achat de la résidence principale. Si son succès se confirme, ce livre réparera peut-être ce fâcheux handicap national.

Cessez de vous faire avoir. Occupez vous de votre épargne !

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  1. Charles Gave est actionnaire de Causeur. ↩︎

Emprisonnement: l’exécution à la peine

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Le collectif Au nom du peuple s’insurge: le taux de peine réellement exécutée en détention s’élèverait à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie.


Le 24 septembre 2024, Didier Migaud, le Garde des Sceaux fraîchement (et éphémèrement) nommé a honoré de son premier déplacement la prison de la Santé à Paris, dans ce qui semble devenir une tradition depuis son auguste prédécesseur et dont on se demande si c’est une façon maladroite de soutenir l’administration pénitentiaire ou de montrer que les détenus attirent davantage l’intérêt et la sympathie que les fonctionnaires, magistrats et autres auxiliaires de Justice qui se décarcassent chaque jour pour que leur ministre puisse traverser la rue sans être atteint par un coup de couteau mal placé ou une balle perdue par un apprenti narcotrafiquant drogué au Caprisun. Laissons le bénéfice du doute à notre ex-ministre novice et concentrons-nous non pas sur la symbolique de son déplacement mais sur son contenu concret.

Devant la prison de la Santé, Didier Migaud a tenu les propos suivants : « Il faut de l’autorité, il faut de la fermeté, il faut bien évidemment des sanctions mais je crois que le laxisme de la Justice n’existe pas. ». Plus grave : « Le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé en 2023. ». Froncement de sourcil, notre ministre est manifestement soit ignorant des choses de la vie judiciaire, soit désireux d’induire la France entière en erreur. Dans les deux cas, c’est inquiétant. Et de conclure : « Le citoyen peut penser que les sanctions sont insuffisantes [au moins, notre ministre sait lire les sondages. Et il a manifestement un amour immodéré de la liberté d’expression qui le conduit à octroyer au citoyen le droit de penser du mal de la Justice. Tant de mansuétude émeut.]. Il faut aussi de la pédagogie vis-à-vis du citoyen ». PATATRAS ! Le Garde des Sceaux était pourtant si bien parti, comment glisser dans la dernière ligne droite sur cette peau de banane condescendante qu’est la nécessité de la pédagogie. En résumé : le citoyen a le droit de penser MAIS il faut quand même bien lui expliquer qu’il a tort et ensuite il changera d’avis car il aura vu la Lumière de la Vérité (Hosanna, Hosanna !).

Cessons de nous tordre de rire et appliquons les consignes ministérielles à la lettre : éclairons le citoyen sur l’état de l’exécution des peines en France. Attachez vos ceintures, c’est imbuvable et c’est fait exprès, mais vous en sortirez avec des billes pour votre prochain dîner en ville avec le Syndicat de la magistrature et ça, ça n’a pas de prix.

L’emprisonnement ferme représente 12,4% des peines prononcées en 2023[1]

Cette proportion comprend 1 % de peines de réclusion criminelle (prononcées en répression des crimes), le reste concernant les délits. L’emprisonnement avec sursis (sans incarcération) représente 13,7% des peines prononcées. Les amendes représentent 35,8% des peines prononcées à titre principal (les statistiques sont muettes sur la part de l’amende dans le total des condamnations, celle-ci pouvant être prononcée également comme peine complémentaire). Or, les statistiques du ministère de la Justice sur l’exécution de peines ne concernent que les peines d’emprisonnement ferme. Quand Didier Migaud dit que le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé qu’en 2023, il veut en fait dire qu’il a connaissance du taux de l’exécution de moins d’un cinquième des peines mais qu’il est totalement ignorant de l’état de l’exécution de 87,6 % des peines prononcées. Probablement un oubli.

Une peine d’emprisonnement ferme sur cinq n’est pas exécutée un an après son prononcé.

Le taux d’exécution immédiate des peines d’emprisonnement ferme a progressé, passant de 31% en 2017 à 58 % en 2023. Toutefois, en 2023, 21% des peines d’emprisonnement ferme n’étaient toujours pas exécutées un an après leur prononcé. Rassurons-nous, ce taux tombe à 9% cinq ans après le prononcé. Le délai de prescription de la peine délictuelle étant de six ans, on peut donc estimer que seul 1/10e des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme n’exécuteront jamais leur peine, en détention ou non. Nous voici rassurés.

Entre 37 et 48 % des peines d’emprisonnement ferme ne sont pas exécutées en détention

En 2023, 49% des peines d’emprisonnement de six mois et moins prononcées ne conduisaient pas à une incarcération du condamné mais à un aménagement de peine à l’audience (26%) ou par le juge d’application des peines (23%). Ces taux étaient légèrement plus faibles pour les peines de plus de six mois (respectivement 26% et 13%), ce qui fait sens compte tenu de l’atténuation de l’obligation d’aménagement une fois le seuil de six mois franchi, voire de l’impossibilité d’aménagement lorsque la peine dépasse les 12 mois. Précisons que l’aménagement d’une peine d’emprisonnement ouvre un champ de possibilités quasi infini : la prison est magiquement transmutée au choix en amende, en travail d’intérêt général ou en détention à domicile sous surveillance électronique… Ainsi, sur la population carcérale, systématiquement présentée comme produit d’un système autoritaire et répressif, 17% des effectifs sont en réalité écroués mais non détenus (donc chez eux avec un bracelet à la cheville et l’interdiction de sortir en boîte de nuit).

A relire: Ami magistrat…

Il est à noter que ce taux de non-exécution en détention est en augmentation puisque l’étude de l’Institut pour la Justice[2] sur l’exécution des peines a établi que sur la période 2016-2020 41% des condamnés à une peine ferme n’étaient jamais incarcérés.
Sacré Didier Migaud, il a probablement oublié de le préciser lors de ce point presse improvisé lors duquel les questions acérées et imprévisibles des journalistes l’ont surpris. On lui pardonne !

Les condamnés détenus sortent en moyenne 38% plus tôt que prévu

Vous nous direz à juste titre, chers citoyens remplis du désir de pédagogie, que 50 à 60% des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme sont tout de même incarcérés, ce qui est un bon score compte tenu de l’absence totale d’exigence de résultat qui pèse sur les services publics en général et la Justice en particulier. Encore un petit effort, amis citoyens, le voyage en absurdie n’est pas encore terminé.

Nous parlons donc désormais des peines ne faisant pas l’objet d’un aménagement, ce qui signifie :

1. Qu’elles sont supérieures à un an (donc concernent probablement des faits graves ou un délinquant multirécidiviste)

ou 2. Que la situation du condamné ne permettait pas d’envisager un aménagement (donc il est dangereux, on a tout essayé avec lui, il en est à son quatrième bracelet détruit et il a essayé d’immoler son conseiller d’insertion lors de son dernier suivi). Cela concerne donc les cas les plus graves et désespérés.

Un double mécanisme permet ce qui est poétiquement appelé « l’érosion de la peine » : d’une part, les crédits de réduction de peine, accordés par le juge d’application des peines, permettent d’amputer la peine d’emprisonnement d’une partie de sa durée, pouvant aller jusqu’à la moitié de la peine prononcée et d’autre part, une fois la moitié de la peine exécutable (après réduction) effectuée, le reliquat de peine peut être exécuté hors de la détention, sous la régime de la libération conditionnelle. Dans certains cas, cette libération conditionnelle est même obligatoire une fois atteints les 2/3 de la peine, quels que soient les faits pour lesquels l’individu a été condamné ou son comportement en détention.

Par ailleurs, un an avant que la mi-peine permettant la libération conditionnelle ait été atteinte, une mesure de bracelet électronique ou de semi-liberté probatoire peut être prononcée pour vérifier si la libération conditionnelle est adaptée à la situation du condamné.

Un exemple pour tenter de synthétiser ce gloubi-boulga judiciaire (quand on vous dit que c’est fait exprès) : soit X condamné à une peine de cinq ans et incarcéré. Le juge d’application des peines peut lui accorder des crédits de réduction de peine jusqu’à 30 mois (deux ans et demi). Sur les 30 mois restants, il est libérable conditionnel à mi-peine soit après 15 mois de détention. S’il obtient une mesure probatoire à la libération conditionnelle, il peut être libéré sous bracelet électronique après trois mois.

L’étude de l’IPJ a estimé le taux de la peine réellement exécutée en détention à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie. La peine est pourtant statistiquement considérée comme exécutée, dans sa forme réduite ou aménagée. Il n’en demeure pas moins que la peine prononcée initialement n’a, elle, jamais été exécutée sous la forme qui était prévue par la juridiction de jugement.

Ce que Didier Migaud a donc voulu dire, c’est qu’après un délai de cinq ans, 12,4 % des peines prononcées étaient exécutées environ 9 fois sur 10, dont une fois sur deux dans une forme autre que celle prévue par le tribunal et sans jamais passer par la case prison. Mais que le citoyen devait se rassurer car les 50% de malchanceux les plus dangereux sont, eux détenus, avec une ristourne de 38% pour fidéliser le client. Beaucoup plus clair, non ?

 2017201820192020202120222023
Exécution des peines d’emprisonnement ferme En %immédiatement31323443485558
après un an73557268727679
Après 5 ansN.R.919292929291
Modalités d’exécution (peines de 6 mois et moins) En %Détention à l’audience    222424
Détention après audience    322826
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    312623
Modalités d’exécution (peines de plus de 6 mois) En %Détention à l’audience    434444
Détention après audience    201716
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    191513

[1] L’ensemble des chiffres cité est issu des publications du ministère de la Justice annuellement « Références Statistiques Justice », consultables librement : https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-statistiques

[2] https://www.institutpourlajustice.org/dossiers/peines-de-prison-ferme-quelle-execution/

Kibboutzim: ils auront leur haine

Le 7-Octobre a tourné la page du pacifisme israélien. Ceux qui défendaient par conviction la cause palestinienne défendent aujourd’hui par devoir les frontières d’Israël. La peur, la défiance et l’accoutumance à la guerre dictent le quotidien des kibboutz situés en première ligne, au nord comme au sud. Reportage.


Pour cause de frappe iranienne, l’arrivée en Israël fut plus tourmentée que six mois auparavant. Escale à Chypre, pluie de feu au-dessus de Jérusalem, atterrissage en Jordanie au cœur de la nuit, fin du périple par la route. Et l’application signalant les intrusions de missiles, de roquettes ou de drones qui égrène, tout au long du trajet, son maudit chapelet…

À Tel-Aviv, la colère gronde dans la rue. Sur une place de la ville, la foule s’est massée pour réclamer la paix et la libération des otages. « La haine engendre la haine », crie une manifestante. On se rapproche.

« Poursuivre la guerre n’est pas une solution, lance-t-elle.

— Oui mais quelle solution alors ? lui objecte-t-on.

— En tout cas pas la solution de Nétanyahou. Il a laissé prospérer le Hamas pendant des années en pensant que c’était le meilleur moyen d’empêcher la création d’un pays palestinien. Mais qui a dit qu’un pays palestinien était une mauvaise idée ? »

En Israël, tout le monde ne partage pas cette ligne iréniste. Depuis le massacre du 7 octobre, qui a eu lieu au sud de l’État hébreu, et les 25 roquettes lancées quotidiennement depuis le Liban, dès le lendemain, sur le nord d’Israël, beaucoup ne croient plus dans la main tendue.

Rendez-vous avec Yoël, 38 ans. Un « modéré » né dans le kibboutz Yehiam, à 9 kilomètres de la frontière entre Israël et le Liban, où il vit avec sa femme et leur fils.

Acteur de profession, il a mis en pause ses projets parisiens à cause du Covid, puis de la guerre. Son père fut un temps le secrétaire général international du Mapam, un parti à l’origine marxiste qui a fusionné en 1992 avec d’autres formations israéliennes progressistes pour constituer le Meretz, le « camp de la paix », favorable à une solution à deux États et donc au retrait des territoires occupés.

« Quand j’étais enfant, avant les accords d’Oslo, mon père disait qu’il fallait parler avec le Fatah, se souvient Yoël. Beaucoup de gens lui rétorquaient : “Mais tu es fou. Parler avec qui ? Avec des terroristes ?”

— Vous partagez le sentiment de votre père ?

— On a défendu longtemps cette idée… Les extrémistes disaient tout le temps : ils veulent tous nous tuer. Mais nous, on ne voulait pas écouter, on ne voulait pas entendre ça. On disait non, ils disent ça mais en fait ils préfèrent mieux diriger la bande de Gaza plutôt que nous tuer, c’est n’importe quoi. Aujourd’hui, on entrevoit que ce n’est pas n’importe quoi finalement… »

Yoël fait partie de ces Israéliens qui ont longtemps cru à une coexistence heureuse avec les Palestiniens. Comme les kibboutzniks au sud du pays, qui, avant le 7-Octobre, aidaient volontiers les Gazaouis, les emmenaient à l’hôpital, leur donnaient du travail.

« Ces Israéliens aimaient sincèrement vivre auprès des Arabes, rappelle Yoël. Sauf que ce sont les mêmes Arabes qui les ont massacrés dans leur lit ou ont laissé entrer ceux qui l’ont fait.

— À quoi votre vie quotidienne ressemble-t-elle depuis ce jour-là ?

— Au début, je me suis demandé s’il ne fallait pas partir. On a un enfant et ma femme, originaire d’une région plus calme, avait un peu peur. On a même pensé s’installer dans le centre du pays, où c’est moins dangereux. Et puis on a repris petit à petit confiance. Finalement on est restés.

— Que faites-vous lorsqu’il y a une alerte aérienne ?

— Il n’y a pas d’abri dans notre maison, c’est une construction ancienne. On se réfugie dans un petit couloir au milieu du bâtiment et on attend, en espérant que ça ne nous tombe pas sur la tête. Mais nous avons confiance dans le Dôme de fer. D’ailleurs, on a pris une certaine habitude maintenant. Même quand il y a des “boums” partout autour de nous, on continue la conversation. »

Chez tout Israélien, l’ombre du soldat n’est jamais loin. Yoël a combattu en 2006 au Liban, dans une unité d’infanterie. À présent il est réserviste. Il a rejoint son bataillon au Nord il y a deux mois mais a dû rentrer chez lui après s’être cassé le pied. Si l’armée le rappelle, il répondra présent sans hésiter.

« C’est mon devoir, explique-t-il. Je pense souvent à une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux. C’est un soldat israélien qui l’a filmée peu de temps avant de mourir début octobre sur le front nord. Il y explique qu’il fait la guerre non pas parce qu’il déteste ceux d’en face, mais parce qu’il aime les siens.

— Vous non plus, vous ne détestez pas vos ennemis ?

— C’est pour ça que je fais cette guerre, parce que j’aime ma famille et ma communauté, et que je ne veux pas qu’il leur arrive ce qui est arrivé aux familles des kibboutzim proches de Gaza. Ce déchaînement de haine… Quand j’étais au Liban en 2006, je me souviens d’avoir trouvé un cahier de classe dans la chambre d’un enfant. Il était ouvert sur un exercice consistant à tracer des lignes entre des mots et des images. Les images représentaient des bombes, des mitraillettes, des missiles… Sur la couverture, il y avait une étiquette : “Ali, 6 ans”. Ça m’a bouleversé. Il allait avoir le temps de gagner sa haine, ce n’était pas nécessaire de commencer à 6 ans…

— Justement, ne croyez-vous pas qu’Israël va trop loin et devrait arrêter le conflit maintenant ?

— Ce que veulent Nétanyahou, Nasrallah, Sinouar… La guerre et l’élimination de l’autre. Nous le peuple, nous ne sommes que des pions. S’il y a la guerre, on va à la guerre, on ne se pose pas de questions. Même si on se demande forcément : “Bon, mais après ?” Parce qu’adviendra forcément ce jour. On a une expression pour ça ici : “On se voit à 6 heures, après la guerre !” Or, là, on ne sait pas précisément ce qui est prévu ou même pensé… On a parfois l’impression d’une fuite en avant.

— Tsahal a quand même des buts de guerre précis ?

— Pour le moment, l’objectif est de tirer sur la corde plus fort que celui d’en face. J’espère qu’à ce jeu-là l’armée israélienne affaiblira le Hezbollah pour que d’autres groupes, pourquoi pas, puissent prendre le pouvoir au Liban.

— Et pour l’Iran ?

— Oui, aussi. Le vrai problème, c’est l’Iran. C’est fou de penser qu’avant 1979, il y avait une ambassade israélienne à Téhéran. Imaginez la situation dans laquelle on se trouverait si Khomeini n’avait pas réussi sa révolution… »

Le 7 octobre 2023, le Hamas a frappé précisément ceux qui aujourd’hui pourraient le mieux défendre la cause palestinienne. Le 8 octobre 2023, le Hezbollah brisait à son tour la confiance de beaucoup d’Israéliens en lançant des roquettes sur le nord de leur pays.

Début octobre dernier, les soldats de Tsahal ont pénétré en territoire libanais, dévoilant plusieurs tunnels creusés par la milice chiite, dont certains situés juste à côté des positions de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL).

Le non-respect patent de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui, depuis 2006, interdit toute présence armée du Hezbollah dans la zone frontière jusqu’au fleuve Litani, est difficile à pardonner pour les Israéliens. Dans les tunnels, ces derniers auraient découvert les plans d’un projet d’attaque, « Conquête de la Galilée », étonnamment similaire à celui déployé par le Hamas.

Pour la première fois dans l’histoire du pays, les autorités israéliennes ont été contraintes d’évacuer la population de la zone nord, jusqu’à cinq kilomètres sous la frontière. Le kibboutz de Yoël, qui abrite environ 800 habitants, se trouve juste en dessous.

Depuis quelques semaines, la plupart des résidents sont revenus sur place. Seuls quelques-uns ont décidé de déménager définitivement. Yoël n’a pas fait ce choix. On lui en demande la raison. Il répond en des termes imagés : « Si on éteignait tout Israël et qu’on allumait une bougie simplement chez les kibboutzim, on verrait la carte d’Israël. C’est pour ça qu’il est important de vivre sur la frontière. C’est un peu comme si on la gardait. »

Autre enfant des kibboutzim rencontré à Tel-Aviv : Kfir, 37 ans. Il est né à Sasa, à trois kilomètres de la frontière libanaise. Un kibboutz dont les 400 habitants ont tous été évacués, à l’exception d’une petite équipe de surveillance civile qui mène la garde et à laquelle appartient son père.

Kfir a créé une petite société, baptisée « Guru Zuzu », qui organise des ateliers de danse dans les entreprises. Comme Yoël, il a été élevé dans le culte des valeurs collectivistes. Cela se ressent dans son travail. « Mon métier, c’est d’aider les gens à être bien ensemble, résume-t-il. Quand on se regarde bouger les uns avec les autres, ça guérit l’âme et le corps. Mais depuis la guerre j’ai dû revoir le contenu de mes animations, développer quelque chose de plus profond, pour aider les groupes à exprimer leur gratitude, leur joie d’être réunis, de ne pas se retrouver isolés dans la tourmente. »

À l’instar de Yoël, Kfir est également réserviste, plus précisément capitaine dans l’infanterie, avec 120 soldats sous ses ordres. Il peut être mobilisé à tout moment.

« Quand j’étais enfant, mon père n’était pas souvent à la maison parce qu’il appartenait à une unité spéciale et partait combattre dans le Nord, confie-t-il. J’en ai souffert. Alors imaginez à quel point ce sera tragique si je suis appelé au nord pour protéger ma famille. C’est un terrible cercle vicieux…

— Une perspective cruelle mais inéluctable ?

— Hélas. Ce qui se passe dans le Nord n’est pas une guerre contre le Liban, c’est une guerre contre le Hezbollah. Ils n’ont aucune velléité de dialogue, de paix ou de créer quelque chose qui ne soit pas la guerre, la violence ou le crime. Pour moi c’est clair. Donc à partir de là, on prend nos responsabilités.

— Pas d’état d’âme alors ?

— Pas d’état d’âme. Mais une interrogation tout de même. Quelle doit être notre priorité ? Devons-nous nous concentrer sur la destruction de l’ennemi ? Ou sur la libération des 101 otages ? Personnellement, je serai heureux quand je reverrai mon peuple à la maison. Et quand tout sera fini. Nous méritons tous mieux. »

La mère de Kfir, Angelica, d’origine italienne, est comme lui une digne représentante de l’esprit des kibboutzim. C’est une artiste reconnue en Israël. Créatrice et directrice de la Fondation Beresheet LaShalom (« Un début pour la paix »), en Haute Galilée, elle a également ouvert un théâtre, Arcobaleno Arcobaleno (« Arc-en-ciel, arc-en-ciel »), où des jeunes artistes, juifs, arabes, chrétiens, musulmans et druzes, se produisent ensemble dans des spectacles de mime et de danse, et où ils racontent ce qui se passe dans la tête des adolescents vivant par temps de guerre.

Son engagement en faveur du dialogue entre les peuples lui a valu de nombreux prix et même, en 2005, une nomination au Nobel de la paix. Quand Kfir était petit, Angelica lui racontait souvent une histoire. Une ancienne légende juive. Elle se déroule dans un champ d’orge. Un homme aperçoit soudain un petit oiseau couché sur le sol, les ailes ouvertes, qui regarde le ciel. Il lui demande :

« Que fais-tu, petit oiseau ?

— J’ai entendu dire que Dieu veut prendre le ciel et le jeter sur la Terre, alors j’essaie de nous protéger.

— Tu crois que tu vas sauver la Terre en restant là, en te couchant et en ouvrant tes ailes ?

— Je fais de mon mieux, tu sais. »

Le Pen avant Jean-Marie

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Jean-Marie Le Pen a finalement tiré sa révérence. Il était le dernier dinosaure de la IVème République, une époque politique depuis longtemps oubliée.


Le décès de Jean-Marie Le Pen clôt définitivement la période de l’après-guerre en France. Dernier témoin et acteur de la IVème République, dont il était l’ultime député encore vivant, Le Pen a mis du temps avant de pleinement endosser le costume de Jean-Marie. C’est peut-être cette période de sa vie, qui occupe intégralement le premier tome de ses mémoires sous le titre de Fils de la Nation, qui reste aujourd’hui encore la plus méconnue mais aussi la plus riche d’enseignements pour l’Histoire.

Une force de la nature

Véritable force de la nature, le Menhir avait tout du personnage de romans d’aventure ou de la personnalité du corsaire breton qu’il se plaisait parfois à imiter. Pupille de la nation frappé par le deuil durant la période formatrice de l’adolescence, où son père périt en mer frappé par une mine allemande au large de La Trinité-sur-Mer, ce tempérament rebelle a traversé les époques sans jamais se départir de son opiniâtreté ni d’un penchant naturel pour la transgression. Son ami de jeunesse Claude Chabrol le décrivait d’ailleurs ainsi en 1999, se remémorant leur compagnonnage au sein de la Corpo de droit : « Mais j’étais copain comme cochon avec Le Pen entre, voyons, que je ne dise pas de bêtises, entre 1949 et 1952, à peu près. Hé oui ! C’est marrant : Le Pen, c’était un fout-la-merde magnifique ! Je suis persuadé qu’il y a dans sa démarche une volonté très nette de foutre la merde. Je n’ai jamais été inquiété par le Front national, je sais pas. Mais par lui, non ! Le Pen entrerait là, on se taperait sur l’épaule, quoi, pas de doute ! Bon, faudrait pas qu’il tape trop fort, c’est un type très costaud ! »

Réduire Le Pen au personnage du « trublion » ou de l’anarchiste de droite serait néanmoins faux. Il fut bien plus que ça au cours de ses décennies de vie publique commencées très jeune, puisqu’il fut élu député de Paris à la surprise générale en 1956 à 27 ans, porté par l’élan poujadiste que connaissait alors le pays. Son deuxième de liste était Roger Sauvage, vétéran de l’escadrille Normandie-Niemen. Quelques mois plus tard, Le Pen renommé entre-temps Jean-Marie après que son épouse Pierrette lui conseilla d’adosser à son prénom de baptême Jean une référence mariale susceptible de lui attirer les grâces de la droite catholique, il obtint de l’Assemblée nationale l’autorisation de servir six mois en Algérie. Ainsi naquit la légende. Mais aussi les incompréhensions sur une personnalité dont la mentalité, les opinions et la manière d’être furent bien plus marquées par la génération de la IVème République que par celle qui suivit.

A lire aussi: Jean-Marie Le Pen: « J’ai marché droit »

Jean-Marie Le Pen était un homme de l’après-guerre et de la décolonisation, profondément traumatisé par les évènements d’une période qui a contraint les Français à faire le deuil de « la plus grande France ». Il fut aussi façonné par les « tribuns » et le parlementarisme agressif de sa jeunesse qui était alors ontologique de la République française. Sa proximité avec Jean-Louis Tixier Vignancour, autre figure de la droite anti-gaulliste de la période, jusqu’à appeler à voter Mitterrand contre le général ce qui provoqua la rupture avec son lieutenant Le Pen, ne fut pas que politique mais bien intellectuelle. On pourrait à ce titre emprunter ces mots écrits dans Le Monde après la disparition de ce « ténor des prétoires à la voix de Tolède » et les appliquer à Le Pen : « Quel souvenir gardera la postérité de ce bretteur incorrigible jusqu’à la fin ? Retiendra-t-elle l’« anarchiste de droite » tant de fois décrit et auquel cette appellation convenait si bien parce qu’elle était à ses yeux la plus flatteuse, sinon la plus acceptable ? Ou seulement l’avocat politique si habile dans le sous-entendu, si venimeux dans l’insolence instinctive, comme s’il avait pu être de tous les complots, de toutes les intrigues ? Ou encore l’avocat tout court qui, lui, savait fort bien, sûr d’un talent archireconnu, s’en tenir au classicisme de bon aloi, dès lors qu’il n’éprouvait plus le besoin de céder à ses démons ? »

Anticommunisme et réconciliation nationale

Lorsque le jeune Le Pen s’engage chez les paras afin de participer aux combats algériens, il est alors animé d’un profond sentiment anticommuniste. Il craignait à juste titre la dislocation de l’Empire et l’influence soviétique sur la classe politique française. Traumatisé comme tant d’autres personnes de sa génération par les épisodes atroces de la période de l’épuration, il a aussi vécu l’Indochine et sa perte en tant que correspondant de guerre, où il rencontra Alain Delon qui devint son ami pour la vie. Son engagement algérien s’inscrit donc dans une réflexion géostratégique globale partagée par l’essentiel de la classe politique de la IVème République. Le gouvernement était alors dirigé par le socialiste Guy Mollet, dont le second ministre de l’Intérieur et de la Justice n’était autre qu’un certain François Mitterrand. Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui dépeint comme un personnage central de cette guerre, n’était au moment où il partit qu’un exécutant, simple officier subalterne d’une affaire décidée par d’autres.

François Mitterrand à qui il ne fut jamais fait le reproche de son rôle dans cette guerre de son vivant fut pourtant l’homme de la bataille d’Alger mais aussi de la loi d’amnistie et de celle de mars 1956 qui donna tout pouvoir à l’armée en matière de justice sur le sol algérien. Le futur président socialiste a été l’homme du volet politique de la contre-insurrection algérienne, à laquelle a notamment participé Aussaresses ou encore le lieutenant-colonel Galula. C’est lui qui dès 1954 dit à la tribune de l’Assemblée nationale : « La rébellion algérienne ne peut trouver qu’une forme terminale : la guerre. L’Algérie c’est la France ». C’est aussi lui qui autorisa dans ce cadre les exécutions de militants du FLN. Il a refusé de gracier 80% des condamnés à mort dont les dossiers lui furent présentés.

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De fait, la France luttait alors contre un mouvement jugé terroriste et qui avait commis des attentats contre des civils. Il ne s’agissait pas d’une guerre contre un autre pays mais d’un conflit civil localisé à ce moment-là en Algérie et qui menaçait de s’étendre au territoire métropolitain. Jean-Marie Le Pen n’a pas joué un rôle de cette envergure et rien ne dit qu’il participa effectivement au système de « la torture ». Il le conteste dans ses Mémoires, déclarant notamment : « L’armée française revenait d’Indochine. Là-bas, elle avait vu des violences horribles qui passent l’imagination et font paraître l’arrachage d’un ongle pour presque humain (…) Cette horreur, notre mission était d’y mettre fin. Alors, oui, l’armée française a bien pratiqué la question pour obtenir des informations durant la bataille d’Alger, mais les moyens qu’elle y employa furent les moins violents possibles ». Il a aussi dénoncé une « machination politique contre un parti qui avait le vent en poupe », jugeant les accusations « bidons ». Et éminemment paradoxales puisqu’elles sont parties dans les années 1980 de membres du Parti socialiste, mais peut-être avaient-ils accès aux archives secrètes qu’ils avaient eux-mêmes compilées durant les années où ils participaient avec zèle à la guerre !

Attention aux jugements anachroniques

Ce n’est qu’après la Guerre d’Algérie, ou plutôt à son crépuscule, que la mue de Le Pen en Jean-Marie s’acheva. Alors qu’il eut l’opportunité de rejoindre le nouveau pouvoir gaulliste, Le Pen refusa. Excédé par la perte de l’Algérie mais aussi l’abandon des pieds-noirs et des arabes qui ont aidé la France, à l’image de son ami Ahmed Djebbour qu’il fit élire à l’Assemblée nationale sur la liste du Front national des combattants, le « menhir » entra alors dans une errance politique qui dura plus d’une décennie avant que le Front National créé en 1972 ne devienne au milieu des années 1980 une force majeure de la vie politique française.

D’autres n’ont pas eu sa résilience ou son acharnement. Ainsi de Pierre Lagaillarde, fondateur de l’OAS à l’issue de la Semaine des Barricades, qui au terme de son exil renonça à toute activité politique. Pont entre les diverses tendances de la droite anticommuniste d’après-guerre, Jean-Marie Le Pen finit par fédérer les anciens résistants déçus du gaullisme, les poujadistes et d’autres réprouvés parfois plus ou moins présentables autour de son charisme et de sa figure tutélaire. Personnage bien plus contrasté que ce qu’on en dit parfois, il est indissociable de la France de la deuxième moitié du XXIème siècle, dont il fut le bouc-émissaire et le « diable ». Mais n’en était-il pas plutôt la mauvaise conscience et la Sibylle ? L’Histoire jugera.

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La cigogne française gagnée par la paresse

La démographie française est en berne. Un peuple qui ne fait plus d’enfants est un peuple qui se suicide.


L’Institut national des statistiques et études économiques (INSEE) vient de publier son bilan démographique annuel1. Pas brillant. Pour la seconde année consécutive le nombre des naissances n’a pas atteint la barre des sept-cent mille. D’une année sur l’autre, 2023 par rapport à 2024, la baisse est de 2,2%, ne faisant que confirmer une tendance constamment observée depuis 2011. La chute, il est vrai, avait été autrement sévère en 2023 par rapport à 2022 puisqu’elle était de 7%. Seule embellie dans la période, 2021, à la suite de l’épidémie de Covid-19 où le taux de natalité avait repris des couleurs. À chacun de donner l’explication qui lui convient. Le confinement forcé, peut-être… Il n’empêche, la situation est préoccupante. D’ailleurs, le président de la République s’en était ému alors, promettant la mise en place d’un plan de « réarmement démographique » comprenant une série de mesures destinées à sortir Dame cigogne d’une torpeur si dommageable. Aux dernières informations livrées par le ministère de la Santé le plan serait toujours « en cours d’instruction ». Formulation délicate pour signifier que l’accouchement n’est pas pour demain. Dans l’euphorie de l’annonce, les services compétents avaient envisagé la création d’un logo « repro-toxique » à faire figurer sur certains produits cosmétiques dont l’usage obérerait les chances de procréation. Une mise en garde, un peu à la matière des mentions de prévention contre les sucres saturés et les corps gras sur les emballages de pâtes à tartiner. Efficacité garantie, probablement…

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Cela dit, à l’exception semble-t-il du Portugal sur la dernière décennie, et de la Bulgarie, la France fait mieux en matière de natalité et de fécondité que ses partenaires européens. Maigre consolation.

Chez nous, le nombre de femmes sans enfants croît alors que le nombre de celles ayant trois enfants – quasiment la norme française voilà encore quelques décennies – régresse très fortement. « L’âge conjoncturel moyen à l’accouchement en 2024 » nous dit élégamment l’INSEE est de 31,4 ans, alors qu’il était de 29,5 vingt ans plus tôt. Conséquence logique, l’âge de la femme étant plus élevé, le nombre d’enfants à naître se trouve d’autant limité.

Bref, chez nous, l’enthousiasme à procréer ne serait pas au rendez-vous. Incertitude face à l’avenir, précarité, logement, éco-anxiété sont quelques une des raisons avancées. Par exemple, à dire d’experts, la baisse de fécondation enregistrée au mois d’octobre 2023 serait imputable à l’explosion du conflit israélo-palestinien…

Toujours est-il que cette tendance à la dénatalité est lourde de menaces. Le pays vieillit. Un pays qui vieillit s’ennuie. Un pays qui s’ennuie renonce, s’enfonce dans l’abandon de soi. Raymond Aron mettait en garde les nations occidentales contre le vertige du « suicide par dénatalité ». Sans doute les incertitudes, les laideurs du monde tel qu’il est ont leur part dans la désaffection pour la procréation, mais peut-être bien n’est-ce qu’une explication commode. Un alibi facile. Nous avons vu que l’INSEE a constaté une hausse de la fécondité au moment de la crise du Covid. Est-ce que la situation était des plus joyeuses, facile à vivre à ce moment-là ? Est-ce que l’avenir à proche, moyen ou long terme s’annonçait radieux ? Certes non. Et pourtant… Il paraît établi aujourd’hui que le fameux baby-boom qu’on situe de 1946 à 1974 se serait en fait amorcé dès 1942. Là encore, est-ce que la vie était belle et le futur radieux sous la botte?

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Il se peut que les raisons – sans totalement exclure celles évoquées ici – soient autres : le refus moral de l’engagement, la ringardisation idéologique de la famille et conséquemment du couple. Avec pour résultat glaçant l’explosion des solitudes non réellement désirées. Et à terme, rampant, le venin d’une sorte de dépression collective que le vieillissement de la population, inéluctable si rien ne change, ne ferait qu’aggraver.

Une question tout de même : une politique qui a pour sujets de prédilection les retraites, la gestion plus ou moins éclairée de la fin de vie, l’inscription solennelle de l’avortement dans la Constitution est-elle de nature à donner envie d’avoir envie?

Avant de penser à coller du logo inutile sur la crème de jour ou de nuit, peut-être devrait-on se poser ce genre de questions. Car il ne faudrait tout de même pas que, chez nous, en France, d’espèce menacée la cigogne devienne espèce disparue. On peut se passer de beaucoup de choses dans la vie de nos villes et de nos campagnes, certainement pas du rire des enfants dans une cour d’école.

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  1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8327319 ↩︎

Algérie: les Insoumis sont les héritiers de la contre-culture des années 60

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Les héritiers d’une révolte figée en dogmes ne voient en l’Occident que corruption et décadence. Et en arrivent à défendre des régimes indéfendables


La question est posée : les Insoumis servent-ils aujourd’hui de courroie de transmission du pouvoir algérien ? L’extrème gauche française serait-elle en service commandé par le président Tebboune pour attaquer, comme le font récemment Marine Tondelier (Les Verts) et Ersilia Soudais (LFI) en prenant le parti des influenceurs qui ont appelé à la haine contre la France, le gouvernement français et en particulier son ministre de l’Intérieur ?

Il n’est pas besoin d’imaginer chez les Insoumis une complicité ou une alliance effective avec le gouvernement algérien ou avec le Hamas. Les Insoumis sont en fait les héritiers de la contre-culture des années 60. Les années 1960 ont vu émerger une contre-culture qui se voulait révolutionnaire et profondément critique de l’ordre établi. Pourtant, les idées qui semblaient alors radicales se sont progressivement intégrées au tissu même de la société contemporaine, au point de devenir des dogmes dominants. Ce qui fut autrefois un cri de révolte est aujourd’hui une pensée conformiste, voire une orthodoxie idéologique, un mélange de marxisme et de christianisme revisité.

Les slogans de cette époque résonnent encore aujourd’hui : « Nous sommes une seule humanité », « Abattons les drapeaux, les impérialismes et les frontières », « La guerre est un mal absolu », « Le complexe militaro-industriel est la source de nos maux », « Il est impératif de lutter contre le racisme », « Les Blancs portent la responsabilité des massacres de l’histoire, de la destruction de la nature et de la vie sauvage ».

Ces proclamations, si elles conservaient une certaine spontanéité dans les années 60, se sont muées en dogmes rigides et omniprésents, façonnant les valeurs des générations suivantes, en particulier celles de la petite bourgeoisie intellectuelle dont les Insoumis sont les représentants politiques.

Une incapacité à tolérer la nuance…

Les idées révolutionnaires des années 60 ont échoué à se matérialiser en révolutions concrètes. Cette incapacité à produire un véritable renversement des structures de pouvoir a conduit à leur institutionnalisation. Ce qui n’a pu transformer la société par l’action s’est cristallisé sous forme de croyances absolues, imposées comme des vérités universelles et incontestables. Le combat contre le patriarcat et la société bourgeoise, par exemple, a perdu son caractère subversif pour devenir un credo dogmatique, parfois simpliste, incapable de tolérer la nuance ou la complexité.

A lire aussi: Les «Blouses blanches pour Gaza»: pas bien claires!

Les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité ont été adaptés, voire déformés, au contact des contraintes du réel. L’idéalisme romantique, en quête d’un monde libéré de ses entraves, s’est trouvé confronté à des paradoxes : une volonté de promouvoir l’émancipation individuelle tout en soutenant des systèmes oppressifs ou autoritaires dans certaines régions du monde.

Les députés LFI Louis Boyard et Mathilde Panot discutent avec le chanteur controversé Médine, Paris, 21 avril 2024. Image: réseaux sociaux.



Les héritiers de cette contre-culture ont cultivé une fascination pour l’« ennemi exotique » ou le « noble opprimé ». Dans cette perspective, le Viêt-cong pieds nus, le fedayin du FLN, ou encore les « damnés de la terre » décrits par Frantz Fanon incarnaient une pureté morale et une authenticité que l’Occident, perçu comme corrompu et décadent, semblait avoir perdu.

Cette admiration s’est accompagnée d’un mépris, voire d’une haine, envers l’Europe coloniale et l’Amérique impérialiste. Mais ces héritiers n’ont pas craint la contradiction : ils prônaient une liberté sans limites tout en soutenant des régimes autoritaires issus du tiers-monde, comme ceux de Hô Chi Minh, Mao Tsé-Toung ou Robert Mugabe. Loin d’être un problème, ces paradoxes semblaient être une partie intégrante de leur vision du monde, dans laquelle se mêlaient marxisme-léninisme, néo-christianisme et un goût pour l’orientalisme.

L’attachement à une mythologie révolutionnaire…

Parmi les héritiers de la contre-culture, nombreux furent ceux qui virent leurs illusions s’effondrer face à la dureté de la réalité. Certains ont sombré dans des ruptures tragiques, marquées par des parcours de désillusion.

La toxicomanie, omniprésente dans les milieux contestataires de l’époque, a emporté une part significative de cette génération, menant à des overdoses ou à une mort lente par des maladies comme le Sida. Le suicide fut pour d’autres une issue ultime face à l’impossible réconciliation entre leurs idéaux et le monde qui ne changeait pas.

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Cependant, d’autres héritiers de cette culture de rébellion ont assumé leurs contradictions en choisissant une tout autre voie. Ils sont devenus des adeptes de l’économie globalisée, embrassant un libéralisme économique décomplexé tout en conservant des positions libertaires sur les questions sociétales. Ce mélange de pragmatisme et de compromission reflète une certaine souplesse idéologique, voire une aptitude à exploiter le système qu’ils avaient initialement rejeté. D’autres en revanche et c’est le cas des Insoumis sont restés attachés à cette mythologie révolutionnaire.

La jeunesse des années 60, avide de changement, s’est dressée contre une société qu’elle percevait comme engoncée dans les préjugés patriarcaux et l’ordre moral bourgeois. Cette révolte a profondément marqué les mentalités contemporaines, au point de modeler les valeurs des générations qui ont suivi. Les élites actuelles, qu’elles soient politiques, culturelles ou académiques, ont été nourries au lait de cette contre-culture.

Les grands principes en sont devenus des leitmotivs presque religieux :
• L’humanité est une et indivisible. La solidarité universelle prime sur les particularismes ;
• Les riches et les puissants sont les oppresseurs. L’inégalité économique est considérée comme la source principale des injustices ;
• L’étranger est notre frère, surtout s’il est pauvre. Le migrant, le réfugié ou le marginal est vu comme une figure rédemptrice ;
• Les Blancs portent une culpabilité historique. De la colonisation à l’esclavage, en passant par la destruction de la nature, la civilisation occidentale est perçue comme la « lie de la terre ».

On en vient à quasiment soutenir les influenceurs algériens…

Ce corpus idéologique a façonné un imaginaire collectif où la quête de justice sociale et écologique coexiste avec des contradictions non résolues. Par exemple, la glorification des cultures non occidentales s’accompagne souvent d’une vision simpliste et romantique de celles-ci, ignorant leurs propres dynamiques complexes. De même, l’obsession de la liberté individuelle et de l’émancipation peut se heurter à une intolérance grandissante envers les opinions dissidentes. Les idéaux d’unité et d’égalité, bien qu’aspirationnels, peuvent aussi se heurter à une réalité qui valorise la diversité culturelle et les spécificités identitaires.

L’universalisme hérité de cette contre-culture risque parfois d’éclipser la reconnaissance des différences. Enfin, cette pensée dominante tend à écraser le débat, en transformant les nuances en affrontements moraux. Ce qui était une critique vivante et féconde de l’ordre établi est devenu, pour certains, une nouvelle forme d’autoritarisme culturel et intellectuel. Antisionisme rabique, haine de la France et de son gouvernement qualifié « d’extrême-droite » sont devenus pour une partie de la jeunesse, mobilisée par Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis, les éléments principaux d’une cause qui les conduit à devenir les idiots utiles de régimes et d’idéologies totalitaires.  

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We have a deal !

Le Premier ministre qatari a annoncé hier la libération de 33 premiers otages israéliens du Hamas lors de la première phase de la trêve à Gaza, prévue pour débuter dimanche. L’effet Trump semble avoir été déterminant. Si les Gazaouis font bruyamment la fête, à Tel-Aviv il est plus difficile de se réjouir


Donald Trump a annoncé, enfin, un cessez-le-feu à Gaza. « We have a deal ». Ces quatre mots inaugurent peut-être une nouvelle ère, mais on est loin de la paix pour l’instant. Avant d’évoquer la grande politique et la grande Histoire, pensons aux familles d’otages qui ne savent pas si elles verront revenir un vivant ou un mort, et aux Palestiniens qui pleurent leurs morts.

Comptabilité macabre

Cet accord s’apparente à une potion amère. On rachète des innocents pris lors d’une razzia en libérant les instigateurs de potentielles futures razzias. Sinwar, l’inventeur du 7-Octobre, avait été libéré dans des conditions comparables dans le cadre de l’affaire de l’échange du soldat Gilad Shalit. Israël paie au prix fort la vie de ses citoyens, et le devoir sacré de donner une sépulture aux morts : 30 prisonniers palestiniens contre 1 otage vivant, 15 contre un corps.

Retenir dans des sous-sols des enfants, des vieillards ou un bébé de quelques mois, ce n’est pas la guerre, ce n’est pas la Résistance, c’est la barbarie. Le Hamas a aussi retenu les civils palestiniens en otage, pendant que ses combattants se cachaient dans les tunnels. Quelle armée protège ses militaires et laisse les civils seuls face aux bombes ? N’oublions pas à qui nous avons affaire.

Est-ce la fin du cauchemar pour les deux peuples ?

Comme je le disais : nous sommes loin de la paix. L’accord de trêve ne prévoit rien sur qui va gouverner Gaza, ni sur le désarmement du Hamas, lequel pourrait se reconstituer avec tous ces prisonniers libérés.

Cependant, il y a deux raisons d’être optimiste (ce sont les mêmes qui ont permis l’accord). C’est une double victoire de la force.

  • La première raison, c’est Trump. L’administration Biden s’est félicitée pour la négociation, mais cet accord était en réalité sur la table depuis mai. C’est donc bien Trump qui, avant même d’être au pouvoir, a fait plier Netanyahou et le Hamas. Lorsqu’il menace de plonger le Hamas en enfer s’il ne libère pas les otages, on a des raisons de le croire. Sa présence dans cet accord signifie également qu’Israël disposera probablement du feu vert américain pour répliquer en cas de violation de l’accord ou de remilitarisation du Hamas.
  • La deuxième raison, c’est le changement radical du rapport de forces. L’élimination des chefs du Hamas, la raclée infligée au Hezbollah, la destruction de la défense antiaérienne iranienne et des capacités militaires de la Syrie post-Assad ont profondément changé la donne. L’« axe de la Résistance » n’a pas bonne mine. Elle est dans les choux. Certes, cela s’est fait au prix d’immenses et terribles souffrances, mais tout comme il avait fallu bombarder Dresde ou Mossoul, il fallait détruire le Hamas. Militairement, c’est en bonne voie. Politiquement, même le Fatah accuse désormais le Hamas d’avoir sacrifié les intérêts palestiniens à l’Iran. Beaucoup de Gazaouis savent qu’ils ont payé le 7-Octobre dans leur chair.

Les faux-semblants d’ici

Quant à ceux qui, ici, continuent à faire les yeux doux au mouvement terroriste et pensent que Trump est le diable incarné, ils seront balayés par l’Histoire. Hier, la dernière idée lumineuse du député LFI Thomas Portes en est un exemple affligeant: interdire la venue en France de basketteurs israéliens… Minable à pleurer.

«Surprise ! Ton grand-père est sur la liste des collabos»: le fiasco des archives néerlandaises

Ces jours-ci, les Hollandais découvrent que la « transparence » n’a pas toujours du bon.


Aux Pays-Bas, l’exercice de transparence sur la collaboration avec les nazis pendant l’occupation allemande (1940-1945) vire au fiasco. L’écrivaine et journaliste juive Natascha van Weezel a ainsi découvert avec stupeur le nom de son grand-père sur la mal-nommée « liste des collabos », accessible depuis le 2 janvier à toute personne désireuse de la consulter1. Cette liste contient les noms de quelque 425 000 personnes, toutes décédées, selon les assurances du gouvernement de La Haye.

Une liste autrefois uniquement accessible aux chercheurs

Ces noms figurent dans les Archives Centrales des Juridictions Spéciales (CABR), récemment rendues partiellement publiques. Dans ces archives, créées après la Seconde Guerre mondiale pour juger ceux et celles soupçonnés d’avoir collaboré avec l’occupant, figurent des listes de volontaires dans la Wehrmacht ou les SS, des membres du parti national-socialiste NSB, des dénonciateurs de Juifs ainsi que des artistes et des intellectuels.

Le grand-père juif de Mme van Weezel ne fait pourtant pas partie de ces collaborateurs ! Dans une chronique publiée dans le journal Het Parool2, elle raconte au contraire que son aïeul avait fui l’Allemagne nazie pour s’installer aux Pays-Bas. Après l’invasion allemande de la Hollande, en mai 1940, il parvient à gagner la Suisse. À son retour, en 1945, il apprend que ses parents et d’autres membres de sa famille, également réfugiés aux Pays-Bas, ont péri dans des camps de concentration. Bien que son grand-père, décédé en 1995, ne soit pas un résistant, il n’est donc pas non plus un collaborateur. Cependant, des cas de Juifs néerlandais ayant trahi d’autres personnes pour le compte des nazis existent…

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Natascha van Weezel découvre l’existence d’un dossier à son nom après quelques clics dans le moteur de recherche des Archives Centrales. Les informations nécessaires pour lancer une recherche sont simples : nom, prénoms, date et lieu de naissance. Ces données, auparavant accessibles uniquement aux chercheurs autorisés, sont désormais consultables par tous. Dans ce moteur de recherche, la journaliste est tombée sur le nom de son grand-père, accompagné d’un numéro de dossier et de la mention sommaire suivante : « interrogé après la guerre par la ‘politieke recherche’ », c’est-à-dire la branche de la police chargée de poursuivre les délinquants politiques. Angoissée mais déterminée, Mme van Weezel voudrait consulter ce dossier complet en ligne chez elle, depuis Amsterdam. Toutefois, les projets initiaux du gouvernement, qui prévoyaient un accès numérique, ont été bloqués en décembre 2024 par un véto du Conseil pour la Sauvegarde de la Vie Privée… Toute personne souhaitant consulter ces dossiers en intégralité doit donc se rendre physiquement aux Archives à La Haye, après avoir pris un rendez-vous en ligne. La consultation se fait alors sur place, sans possibilité de photographier les documents. Aucune preuve de lien de parenté ou justification historique ou journalistique n’est d’ailleurs requise pour y accéder.

Des semaines d’angoisse

Autant dire que l’attente risque d’être longue. Natascha van Weezel espère pouvoir examiner ce dossier, sans doute éprouvant, au plus tôt au mois de mars. Elle n’est pas la seule concernée : des dizaines de Néerlandais, y compris des députés, vivent la même expérience désagréable. Après quelques clics dans la base de données, ils découvrent les noms de leurs proches associés à cette liste controversée. Beaucoup jurent, preuves à l’appui, que leurs proches ne sont pas des collaborateurs.

La direction des Archives insiste sur le fait que la simple existence d’un dossier ne prouve en rien la culpabilité de la personne concernée. Pourtant, l’adage « il n’y a pas de fumée sans feu » reste tenace dans l’opinion publique. Aux yeux de nombreux Néerlandais, cette liste de 425 000 noms – réduite à environ 405 000 après des protestations – reste en effet celle des « collabos ». Les nuances juridiques entre des termes comme « prévenu », « soupçonné », « suspect », « accusé », « condamné » ou encore « entendu comme témoin » échappent le plus souvent au grand public.

Jusqu’aux années 1970, beaucoup de Néerlandais pensaient que la collaboration se limitait à une poignée de personnes autour d’Anton Mussert, chef du NSB et équivalent néerlandais du Maréchal Pétain. La réalité est évidemment bien différente. Et si accuser de nos jours quelqu’un des méfaits de sa famille est cruel et absurde, le stigmate reste durable. En témoigne les remous en 1989 à la rédaction du journal de Natascha van Weezel, Het Parool, fondé par des résistants à l’occupant allemand, après la nomination d’un directeur, fils d’un membre subalterne du NSB. ‘Notre journal dirigé par un fils de collabo, quelle honte!’, pouvait-on entendre alors..


  1. oorlogvoorderechter.nl ↩︎
  2. https://www.parool.nl/columns-opinie/ik-werd-steeds-razender-hoezo-was-mijn-opa-die-voor-de-nazi-s-moest-vluchten-en-meerdere-malen-aan-de-dood-was-ontsnapt-een-foute-nederlander~be00617c/ ↩︎

Pas de « safe space » pour les blasphémateurs

Au Royaume-Uni, après les larmes et fadaises de circonstance, des intellectuels ont vite accusé Charlie Hebdo d’avoir créé « un environnement toxique pour les musulmans », des médias ont censuré les caricatures et des étudiants ont proclamé : « Je ne suis pas Charlie. » En menant cette croisade morale contre l’islamophobie, l’intelligentsia a justifié le terrorisme.


Il y a dix ans, j’ai subi deux chocs consécutifs. Le premier fut le massacre des satiristes. Il semblait inconcevable que l’on puisse infliger une mort sanglante à des caricaturistes pour avoir commis le « péché » de lèse-Mahomet. La barbarie du viie siècle projetait son ombre sur l’Europe du xxie siècle. Au moment où j’ai appris la nouvelle, à Londres, je me suis rendu dans le premier café et j’ai sorti mon ordinateur portable. C’est une « attaque contre nous tous », ai-je écrit. Cette islamo-boucherie menace de « nous ramener à une époque d’avant les Lumières ». Les mots semblaient futiles ce jour-là, face à l’horreur, mais il fallait des mots.

Puis est venu le deuxième choc : la trahison des intellectuels. Les corps des victimes étaient à peine froids que les élites libérales ont cherché à justifier le crime. Dans le monde anglo-américain, le cri s’est levé : « Certes, c’est déplorable, mais Charlie n’aurait pas dû ridiculiser les musulmans ».

Bien sûr, il y a eu des expressions de sympathie performatives. Des platitudes ont été débitées, des couronnes de fleurs déposées. Le slogan « Je suis Charlie » a été répété du bout des lèvres. Mais l’intelligentsia n’a pas hésité longtemps avant de révéler son vrai avis : Charlie était trop souvent « tombé dans la caricature raciste » en créant « un environnement toxique pour les musulmans ». C’est ce qu’a écrit un journaliste du Guardian une semaine après la tuerie. Un bureau où deux assassins tirent à répétition sur des hommes et des femmes : ça, c’est un « environnement toxique ».

Le troc de la contre-culture par la cancel culture

La solidarité avec Charlie Hebdo a été superficielle et éphémère. Comme l’a écrit le chroniqueur Rod Liddle, « tout le monde dit qu’il est Charlie », mais « en Grande-Bretagne, presque personne ne l’est ». Et de rappeler que notre nation avait adopté une loi contre « l’utilisation de mots menaçants, abusifs ou insultants pour provoquer l’alarme et la détresse ». Il n’a pas fallu longtemps pour que cette répugnance pour les discours « offensants » l’emporte sur les gesticulations en faveur de Charlie.

Les militants étudiants, qui ont troqué la contre-culture contre la cancel culture, ont été les premiers à dire ouvertement : « Je ne suis pas Charlie» Le syndicat des étudiants de Bristol a déclaré que Charlie ne devait pas être vendu sur le campus parce que cela violerait « notre politique d’espace sécurisé » (« safe space »). Autrement dit, des étudiants privilégiés se sentaient blessés par un magazine dont les auteurs venaient d’être abattus. Pas d’« espace sûr » pour les blasphémateurs. À Manchester, le syndicat a interdit à l’Association pour la liberté d’expression et la laïcité d’afficher la une de Charlie. On les a sermonnés sur la nécessité de créer un « environnement inclusif » – mais qui n’inclut ni la satire ni la solidarité avec les victimes des fanatiques. Dans ce double langage, inclusion veut dire exclusion : l’exclusion de toute pensée, croyance ou blague qui puisse meurtrir l’estime de soi de ceux qui sont socialisés dans le culte de la fragilité.

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La plupart des médias britanniques ont refusé de montrer les couvertures de Charlie, de peur qu’un musulman se sente blessé. Le rédacteur en chef du quotidien centriste The Independent a déclaré que « son instinct » lui disait de publier les caricatures, mais que c’était « trop risqué ». La BBC s’est conformée à sa directive selon laquelle « le prophète Mohammed ne doit pas être représenté sous quelque forme que ce soit ».

Les élites médiatiques ont ainsi fait preuve d’une lâcheté ignoble face à la menace islamiste. Après le bain de sang à Paris, leur réflexe a été de sauver leur peau plutôt que de soutenir leurs collègues d’outre-Manche. Elles se sont montrées solidaires avec les assassins plutôt qu’avec les assassinés. En refusant la diffusion des images de Charlie, elles se sont rendues complices des frères Kouachi, parce qu’elles pensaient comme eux, que Charlie faisait du tort aux musulmans. Les frères ont puni Charlie par la violence, les médias par la censure.

Les élites ont bafoué la mémoire des morts

Trois mois après le massacre, une foule d’écrivains célèbres a protesté contre la décision de PEN America de décerner à Charlie un prix pour la liberté d’expression, en proclamant qu’il ne fallait pas récompenser un magazine qui provoque « humiliation et souffrance » chez les musulmans. C’était kafkaïen : des écrivains qui venaient d’endurer les pires souffrances imaginables étaient accusés de faire souffrir autrui.

Le comble a été atteint quand l’ONG londonienne Islamic Human Rights Commission a décerné à Charlie son prix d’« islamophobe de l’année ». C’était danser sur les tombes des morts. Cette farce répugnante a provoqué une réaction chez certains journalistes britanniques, mais les mêmes, en poussant les hauts cris à propos de « caricatures racistes », avaient ouvert la voie à cette diffamation posthume des suppliciés. On ne peut pas qualifier Charlie d’« islamophobe » et ensuite se déclarer consterné quand il remporte un prix pour « islamophobie ».

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De tout cela émerge une vérité terrifiante : nos élites ont plus en commun avec les assassins de Charlie qu’avec Charlie lui-même. Leur croisade morale contre l’« islamophobie » n’est que le reflet déformé de la violente croisade des frères Kouachi contre le blasphème. Ce qui unit les bouchers et les intellectuels, c’est la croyance pusillanime que tout commentaire sur l’islam doit être strictement surveillé afin que les musulmans puissent vivre leur vie sans jamais se sentir offensés. C’est ainsi que j’ai compris que les tueurs ne nous étaient pas aussi étrangers qu’on le croyait. Non, ils représentaient la branche armée du politiquement correct. Ils disaient avec des kalachnikovs la même chose que l’intelligentsia avec des mots : tu ne blasphémeras pas contre l’islam.

Dix ans plus tard, les frères ont gagné. Ils sont morts, mais leur idéologie implacable est vivante. Elle n’est pas imposée par la violence, mais par les lâches diktats de nos élites qui ont sacrifié la libre parole à la sensibilité islamique. C’est intolérable. La liberté d’expression est la plus grande liberté. C’est elle qui rend la démocratie possible et la vie digne d’être vécue. Le droit de se moquer de tous les dieux, prophètes, idéologies et modes est essentiel à une société libre. Et ni les fascistes de l’islam radical, ni les âmes sensibles de nos élites n’ont le droit de nous en priver.

David Lynch, un précurseur inclassable

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David Lynch photographié à Oslo en 2010 © BERIT ROALD/NTB SCANPIX/SIPA

Plasticien, réalisateur, scénariste, acteur, photographe, musicien, designer… et adepte de la méditation transcendantale, l’Américain David Lynch vient de nous quitter à l’âge de 78 ans. Il nous laisse une œuvre d’une incroyable richesse et profondeur, ce qui ne manquera pas d’accentuer encore un peu plus le caractère sidéralement vide du reste de la création contemporaine actuelle… 


 « C’est avec un profond regret que nous, sa famille, vous annonçons le décès de l’homme et de l’artiste David Lynch. Nous aimerions avoir un peu d’intimité en ce moment. Il y a un grand trou dans le monde maintenant qu’il n’est plus parmi nous. Mais, comme il se plaisait à le dire, « Gardez un œil sur le beignet et non sur le trou » ». Ce sont par ces mots laconiques que nous apprenions le décès, ce jeudi soir, de cet immense artiste farouchement indépendant et visionnaire, frappé d’emphysème, une maladie entraînant la destruction des alvéoles pulmonaires.

Réalisateur de dix films marquants et inclassables entre 1977 (Eraserhead) et 2006 (Inland Empire), lauréat de la Palme d’or cannoise en 1990 (Sailor et Lula), César du meilleur film étranger en 1982 (Elephant Man) et 2000 (Mulholland Drive), Lion d’or vénitien pour l’ensemble de sa carrière (2006) et Oscar d’honneur, consécration suprême, en 2019, le petit gars timide et réservé du Montana a connu l’un des plus beaux destins du cinéma moderne.  

Déracinement et peinture

Combien d’artistes peuvent-ils se targuer de générer de leur vivant un adjectif caractérisant un style, une ambiance, une atmosphère, reconnaissables entre mille ? « Lynchien » (ou « lynchéen ») permet en effet de caractériser une œuvre culturelle parvenant à transcender la banalité du quotidien, l’« inquiétante étrangeté » chère au Docteur Freud, en faisant délicieusement craquer le vernis social et familier de nos sociétés occidentales tout en nous projetant dans un univers aux frontières de l’étrange, concomitamment onirique, surréaliste, mystérieux ou cauchemardesque…

Après une jeunesse marquée par le déracinement permanant aux quatre coins de son pays en raison d’un papa biologiste au Ministère de l’Agriculture, le rêveur David se passionne tout d’abord pour le dessin et les beaux-arts, ce qui le conduit à entreprendre des études dans ce domaine avec comme ambition de rencontrer son idole, le peintre expressionniste autrichien Oskar Kokoschka. Une connexion qui ne pourra hélas se faire lors d’un voyage européen organisé à la hâte avec son ami Jack Fisk. De retour au pays, le jeune David Lynch a alors l’idée de réaliser des courts-métrages en mettant en mouvement et en situation ses propres peintures avec un important travail sur la sonorisation en post-synchronisation. Ainsi naissent les matériaux hybrides et insolites Six Figures Getting Sick, The Alphabet puis The Grandmother, qui le font connaître auprès des critiques et surtout des investisseurs, disposés à lui octroyer un budget conséquent pour la fabrication de son premier long-métrage en 1977…

Premières déflagrations filmiques

Avec une bourse initiale de 10 000 dollars (qui sera finalement multipliée par 10 et renflouée par le revenu de petits travaux réalisés par l’artiste lui-même), David Lynch mettra cinq ans pour accoucher d’une œuvre unique, dérangeante, inoubliable, sans doute l’un des plus grands chocs de l’Histoire du cinéma. Dans un décor noir et blanc post-expressionniste de chaos industriel et urbain, Eraserhead nous plonge dans la psyché malade d’un couple mal assorti venant de procréer un être difforme proche d’un lapin écorché vif au long cou grêle… Difficile de faire plus glauque et sordide… et pourtant, cet essai filmique expérimental est traversé par de purs moments de poésie et d’élégie. Le film a connuun succès inespéré dans les circuits indépendants new-yorkais sur les créneaux « Midnight Movies », avant de se voir distribué un peu partout dans le pays et a été fortement apprécié par un certain Mel Brooks qui propose à Lynch un projet d’une envergure beaucoup plus importante, Elephant Man, d’après l’incroyable histoire vraie d’un certain John Merrick, victime de plusieurs malformations physiques et génétiques.

Alternant ambiances gothiques, grotesques, horrifiques et mélodramatiques, rendant hommage au séminal Freaks de Tod Browning, Lynch, en état de grâce, réussit le film parfait. Rythmée par d’impressionnantes tonalités musicales, tantôt industrielles, métalliques ou mélancoliques grâce à la géniale utilisation de l’Adagio pour cordes de Samuel Barber, cette histoire d’une incroyable humanité est par ailleurs marquée par l’incroyable performance de l’acteur John Hurt dans le rôle-titre… qui loupa toutefois l’Oscar du meilleur acteur au profit de Robert De Niro avec Raging Bull.  

Le temps était-il déjà venu de se lancer, pour son troisième film seulement, dans une des productions les plus chères et les plus ambitieuses de l’Histoire ? A savoir le défi de « l’adaptation de l’inadaptable » avec le mythique roman écolo-mystico-politico-philosophique Dune de Frank Herbert. Sous la férule encombrante de Dino De Laurentiis, nabab italien millionnaire producteur du projet, Lynch fait ce qu’il peut en répondant surtout à des directives de studio pourtant très éloignées de sa conception de créateur libre et indomptable. Il rebondira en recouvrant une certaine indépendance, toujours pour De Laurentiis, avec le formidable Blue Velvet (1986), étrange thriller «néo-noir» contaminé par de sombres pratiques sexuelles déviantes, ritualisées et fétichisées dans une bourgade pavillonnaire américaine de fausse carte postale. Personne ne pourra oublier la prestation habitée de la comédienne Isabella Rossellini (future épouse de Lynch), rudoyée et sadisée par un Dennis Hopper plus givré et cocaïnomane que jamais !

Consécration cannoise… et Lynch Mania !

Puis arrive la fameuse et inattendue Palme d’or cannoise grâce à Sailor et Lula en 1990, d’après le livre de Barry Gifford, Wild at Heart : the Story of Sailor and Lula. «C’est exactement ce qu’il me fallait à ce moment-là. Le roman et la violence en Amérique se sont amalgamés dans mon esprit et beaucoup de choses ont surgi. C’est une histoire d’amour vraiment moderne dans un monde impitoyable. Un film sur deux êtres qui trouvent l’amour en enfer » révèle alors Lynch qui a le plaisir de retrouver sa muse Laura Dern avec qui il partagera une grande complicité jusqu’à la fin de sa carrière. Ce film sauvage et beau peut également se lire comme une démarcation et une variation hardcore de l’iconique Magicien d’Oz créé par le romancier Lyman Frank Baum en 1900 et adapté une première fois au cinéma par l’illustre Victor Fleming en 1939.

Le début des années 90 est plus que jamais synonyme de « Lynch Mania » avec le lancement interplanétaire d’une nouvelle série télévisée «Twin Peaks», co-écrite avec le romancier et scénariste Mark Frost. Un objet télévisuel non identifié ambitionnant de redéfinir ni plus ni moins les codes et archétypes des poussiéreux soap-opéras. Subjugué, Francis Bouygues, magnat de la construction, propriétaire de TF1 et récent fondateur d’une société de cinéma (CIBY 2000) convainc alors Lynch de réaliser, contre toute attente, une adaptation de la série sur grand écran. Ce sera donc Twin Peaks : Fire Walk With Me, ce feu incandescent qui consume progressivement les habitants de ladite bourgade et continue d’animer la passion créatrice du réalisateur avec une nouvelle égérie, la sulfureuse Sheryl Lee qui reviendra pour la troisième saison de Twin Peaks en 2017 (le très sibyllin et cryptique The Return).

Entre-temps, Lynch retrouvera l’univers alambiqué de Barry Gifford qui lui sied tant pour son extraordinaire Lost Highway (1997), un bad-trip sous acides aux confins de la folie, directement inspiré du retentissant procès médiatique O.J Simpson qui a bouleversé et clivé l’Amérique au mitant de la décennie 90. «O.J était bien coupable de l’atrocité des meurtres qu’il a commis, concède alors Lynch. Or, il a pu continuer à vivre en liberté, voir ses amis, jouer au golf tranquillement, ce qui est proprement hallucinant ! Comment peut réagir l’esprit de cet homme après ces crimes horribles ? Comment l’esprit peut-il se protéger contre ce souvenir, la connaissance de ces faits qui ont réellement existé ? Le fonctionnement du cerveau, y compris dans ce qu’il recèle de plus pervers et pernicieux, est fascinant et m’intéresse au plus haut point !».

Nouveau coup de maître en 2001 avec sans doute son magnum opus, Mulholland Drive, directement financé par ses soutiens français, le groupe Canal+ et Alain Sarde. «Une histoire d’amour dans la cité des rêves». S’inspirant à nouveau du fameux ruban de Moebius, le réalisateur poursuit son obsession consistant à gratter le vernis des conventions normatives et sociales tout en prenant un malin plaisir à faire tomber les masques des hypocrisies et des illusions au cœur de la fabrique à rêves et à cauchemars nommée Hollywood. Ce beau poème métaphorique et labyrinthique sur la « cité des anges foudroyés » est couvert de prix : la mise en scène à Cannes, le César du Meilleur film étranger ainsi que le Meilleur montage aux BAFTA britanniques. Il est par ailleurs régulièrement cité par les médias spécialisés et historiens du cinéma comme faisant partie du TOP 10 des plus grands films de tous les temps !

Vertige et hommage

2006, Inland Empire, la fin du voyage cinématographique avec sans conteste son film le plus exigeant, le plus abscons, celui qui divisera comme jamais la communauté lynchéenne… sans parler des critiques professionnels et du grand public.  

Parvenu au sommet de son art, n’ayant plus rien à prouver, le réalisateur décide alors de lâcher complètement les forces de son inconscient et de confectionner, en roue libre et sans filet, un étrange matériau expérimental, décousu, labyrinthique, comme directement relié aux synapses d’un cerveau malade. Concept à la fois topographique (la dénomination d’une zone métropolitaine excentrée de Los Angeles) et psychanalytique (textuellement, l’empire de l’intériorité, cette zone grise et noire des profondeurs de la psyché humaine), ce véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié) vaut surtout pour la prestation hallucinante de Laura Dern. Une œuvre à redécouvrir sans doute aujourd’hui…

En novembre 2020, plusieurs médias font état d’une série en préparation, désignée sous le titre Wisteria, qui serait écrite et réalisée par Lynch, en collaboration avec la productrice Sabrina S. Sutherland et diffusée sur Netflix… Mais rien ne sera ensuite confirmé.

Dernière surprise… et de taille, Spielberg offre un rôle symbolique et émouvant à Lynch dans son film autobiographique The Fabelmans en 2022. Il y incarne le légendaire réalisateur John Ford, cache-œil de corsaire, casquette de militaire et gros cigare, qui reçoit dans son bureau un tout jeune garçon (Sammy Fabelman, double de Spielberg) fasciné par le monde du septième art et avide de conseils du Maître. Un beau geste rêvant et affichant une filiation nord-américaine idéale en voulant sans doute boucler la boucle de ces créateurs de génie. Seule l’Histoire pourra à présent juger et se prononcer a posteriori sur la place qu’occupera réellement David Lynch… quelque part entre John Ford, Steven Spielberg et d’autres géants. Une chose est certaine, il nous manquera énormément…

Gave parle cash

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Charles Gave © Hannah Assouline

Charles Gave publie Cessez de vous faire avoir, un manuel de gestion de patrimoine accessible et iconoclaste, pour permettre aux épargnants de ne plus avoir de sueurs froides lors des krachs boursiers.


Voilà un livre qui tombe à pic. À l’heure de la violente dégradation des comptes publics et des incertitudes grandissantes sur la viabilité de notre système de retraite, une question se pose plus que jamais aux Français : comment bien placer son argent – ou ce qu’il en reste ?

Non content de diriger, avec son fils Louis, une pépite dans le secteur des analyses économiques (la société Gavekal, basée à Hong Kong et employant 70 personnes), Charles Gave1 a créé récemment, avec sa fille Emmanuelle, l’Institut de l’épargne, qui enseigne à Paris l’art de gérer son portefeuille de manière autonome. Cessez de vous faire avoir est pour ainsi dire le précis de vulgarisation de cette formation. En rupture de stock dès les premiers jours de sa sortie, il a dû être prestement réimprimé.

Émule de Milton Friedman (« Les gouvernements n’apprennent jamais, seuls les gens apprennent ») et de Jean de La Fontaine (« Aide-toi et le ciel t’aidera »), Gave part d’un principe : ne faites confiance ni à l’État ni aux banques ! Puis il passe en revue les grandes catégories de produits financiers qui s’offrent au commun des mortels, à commencer par les obligations, les actions et l’or, dont il décrypte les comportements respectifs en fonction des cycles économiques.

Une fois ces rudiments bien posés, il ne lui reste plus qu’à dispenser sa philosophie patrimoniale, celle d’un « bon père de famille », plus imaginatif toutefois que les gestionnaires d’actifs paresseux qui se bornent aux titres souverains et aux sicav de trésorerie.

La méthode Gave, qui a fait ses preuves, évitera à ses disciples bien des sueurs froides lors des krachs boursiers. Dans les milieux économiques, il existe une expression pour définir cette stratégie : la « réduction de volatilité ». Dans la vie de tous les jours, on parlera de « s’assurer un troisième âge sans nuages ».

Le manuel contient de nombreux graphiques faciles à comprendre, qui illustrent parfaitement les propos d’un auteur tout à la fois franc du collier et pédagogue. Quel que soit son niveau de fortune, on trouvera forcément dans ces pages matière à réflexion. Tout simplement parce que Gave parle cash. Et qu’il n’a pas peur de renverser les totems de l’establishment financier.

Les lecteurs les plus convaincus seront peut-être même séduits par sa proposition de constituer un « portefeuille permanent » à la manière de Harry Browne, qui fut deux fois le candidat du Parti libertarien aux États-Unis (1996 et 2000) et qui recommandait de placer son épargne dans un panier varié d’actifs, composé de valeurs faiblement corrélées les unes par rapport aux autres. Pas de quoi dégager des performances extraordinaires mais, à long terme, le rendement dépasse de façon quasi certaine l’inflation cumulée.

Les Français ont un avantage sur nombre de pays riches : ils épargnent beaucoup. Bien davantage que les Américains, les Britanniques ou les Japonais par exemple. Seulement ils sont très incultes en matière d’investissement – à l’exception de l’achat de la résidence principale. Si son succès se confirme, ce livre réparera peut-être ce fâcheux handicap national.

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  1. Charles Gave est actionnaire de Causeur. ↩︎

Emprisonnement: l’exécution à la peine

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L'ancienne ministre française de la Justice, Christiane Taubira, est photographiée alors qu'elle visite la prison de Saint-Martin-de-Ré, sur l'île de Ré, France le 29 août 2014 © ROBERT/NOSSANT/SIPA

Le collectif Au nom du peuple s’insurge: le taux de peine réellement exécutée en détention s’élèverait à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie.


Le 24 septembre 2024, Didier Migaud, le Garde des Sceaux fraîchement (et éphémèrement) nommé a honoré de son premier déplacement la prison de la Santé à Paris, dans ce qui semble devenir une tradition depuis son auguste prédécesseur et dont on se demande si c’est une façon maladroite de soutenir l’administration pénitentiaire ou de montrer que les détenus attirent davantage l’intérêt et la sympathie que les fonctionnaires, magistrats et autres auxiliaires de Justice qui se décarcassent chaque jour pour que leur ministre puisse traverser la rue sans être atteint par un coup de couteau mal placé ou une balle perdue par un apprenti narcotrafiquant drogué au Caprisun. Laissons le bénéfice du doute à notre ex-ministre novice et concentrons-nous non pas sur la symbolique de son déplacement mais sur son contenu concret.

Devant la prison de la Santé, Didier Migaud a tenu les propos suivants : « Il faut de l’autorité, il faut de la fermeté, il faut bien évidemment des sanctions mais je crois que le laxisme de la Justice n’existe pas. ». Plus grave : « Le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé en 2023. ». Froncement de sourcil, notre ministre est manifestement soit ignorant des choses de la vie judiciaire, soit désireux d’induire la France entière en erreur. Dans les deux cas, c’est inquiétant. Et de conclure : « Le citoyen peut penser que les sanctions sont insuffisantes [au moins, notre ministre sait lire les sondages. Et il a manifestement un amour immodéré de la liberté d’expression qui le conduit à octroyer au citoyen le droit de penser du mal de la Justice. Tant de mansuétude émeut.]. Il faut aussi de la pédagogie vis-à-vis du citoyen ». PATATRAS ! Le Garde des Sceaux était pourtant si bien parti, comment glisser dans la dernière ligne droite sur cette peau de banane condescendante qu’est la nécessité de la pédagogie. En résumé : le citoyen a le droit de penser MAIS il faut quand même bien lui expliquer qu’il a tort et ensuite il changera d’avis car il aura vu la Lumière de la Vérité (Hosanna, Hosanna !).

Cessons de nous tordre de rire et appliquons les consignes ministérielles à la lettre : éclairons le citoyen sur l’état de l’exécution des peines en France. Attachez vos ceintures, c’est imbuvable et c’est fait exprès, mais vous en sortirez avec des billes pour votre prochain dîner en ville avec le Syndicat de la magistrature et ça, ça n’a pas de prix.

L’emprisonnement ferme représente 12,4% des peines prononcées en 2023[1]

Cette proportion comprend 1 % de peines de réclusion criminelle (prononcées en répression des crimes), le reste concernant les délits. L’emprisonnement avec sursis (sans incarcération) représente 13,7% des peines prononcées. Les amendes représentent 35,8% des peines prononcées à titre principal (les statistiques sont muettes sur la part de l’amende dans le total des condamnations, celle-ci pouvant être prononcée également comme peine complémentaire). Or, les statistiques du ministère de la Justice sur l’exécution de peines ne concernent que les peines d’emprisonnement ferme. Quand Didier Migaud dit que le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé qu’en 2023, il veut en fait dire qu’il a connaissance du taux de l’exécution de moins d’un cinquième des peines mais qu’il est totalement ignorant de l’état de l’exécution de 87,6 % des peines prononcées. Probablement un oubli.

Une peine d’emprisonnement ferme sur cinq n’est pas exécutée un an après son prononcé.

Le taux d’exécution immédiate des peines d’emprisonnement ferme a progressé, passant de 31% en 2017 à 58 % en 2023. Toutefois, en 2023, 21% des peines d’emprisonnement ferme n’étaient toujours pas exécutées un an après leur prononcé. Rassurons-nous, ce taux tombe à 9% cinq ans après le prononcé. Le délai de prescription de la peine délictuelle étant de six ans, on peut donc estimer que seul 1/10e des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme n’exécuteront jamais leur peine, en détention ou non. Nous voici rassurés.

Entre 37 et 48 % des peines d’emprisonnement ferme ne sont pas exécutées en détention

En 2023, 49% des peines d’emprisonnement de six mois et moins prononcées ne conduisaient pas à une incarcération du condamné mais à un aménagement de peine à l’audience (26%) ou par le juge d’application des peines (23%). Ces taux étaient légèrement plus faibles pour les peines de plus de six mois (respectivement 26% et 13%), ce qui fait sens compte tenu de l’atténuation de l’obligation d’aménagement une fois le seuil de six mois franchi, voire de l’impossibilité d’aménagement lorsque la peine dépasse les 12 mois. Précisons que l’aménagement d’une peine d’emprisonnement ouvre un champ de possibilités quasi infini : la prison est magiquement transmutée au choix en amende, en travail d’intérêt général ou en détention à domicile sous surveillance électronique… Ainsi, sur la population carcérale, systématiquement présentée comme produit d’un système autoritaire et répressif, 17% des effectifs sont en réalité écroués mais non détenus (donc chez eux avec un bracelet à la cheville et l’interdiction de sortir en boîte de nuit).

A relire: Ami magistrat…

Il est à noter que ce taux de non-exécution en détention est en augmentation puisque l’étude de l’Institut pour la Justice[2] sur l’exécution des peines a établi que sur la période 2016-2020 41% des condamnés à une peine ferme n’étaient jamais incarcérés.
Sacré Didier Migaud, il a probablement oublié de le préciser lors de ce point presse improvisé lors duquel les questions acérées et imprévisibles des journalistes l’ont surpris. On lui pardonne !

Les condamnés détenus sortent en moyenne 38% plus tôt que prévu

Vous nous direz à juste titre, chers citoyens remplis du désir de pédagogie, que 50 à 60% des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme sont tout de même incarcérés, ce qui est un bon score compte tenu de l’absence totale d’exigence de résultat qui pèse sur les services publics en général et la Justice en particulier. Encore un petit effort, amis citoyens, le voyage en absurdie n’est pas encore terminé.

Nous parlons donc désormais des peines ne faisant pas l’objet d’un aménagement, ce qui signifie :

1. Qu’elles sont supérieures à un an (donc concernent probablement des faits graves ou un délinquant multirécidiviste)

ou 2. Que la situation du condamné ne permettait pas d’envisager un aménagement (donc il est dangereux, on a tout essayé avec lui, il en est à son quatrième bracelet détruit et il a essayé d’immoler son conseiller d’insertion lors de son dernier suivi). Cela concerne donc les cas les plus graves et désespérés.

Un double mécanisme permet ce qui est poétiquement appelé « l’érosion de la peine » : d’une part, les crédits de réduction de peine, accordés par le juge d’application des peines, permettent d’amputer la peine d’emprisonnement d’une partie de sa durée, pouvant aller jusqu’à la moitié de la peine prononcée et d’autre part, une fois la moitié de la peine exécutable (après réduction) effectuée, le reliquat de peine peut être exécuté hors de la détention, sous la régime de la libération conditionnelle. Dans certains cas, cette libération conditionnelle est même obligatoire une fois atteints les 2/3 de la peine, quels que soient les faits pour lesquels l’individu a été condamné ou son comportement en détention.

Par ailleurs, un an avant que la mi-peine permettant la libération conditionnelle ait été atteinte, une mesure de bracelet électronique ou de semi-liberté probatoire peut être prononcée pour vérifier si la libération conditionnelle est adaptée à la situation du condamné.

Un exemple pour tenter de synthétiser ce gloubi-boulga judiciaire (quand on vous dit que c’est fait exprès) : soit X condamné à une peine de cinq ans et incarcéré. Le juge d’application des peines peut lui accorder des crédits de réduction de peine jusqu’à 30 mois (deux ans et demi). Sur les 30 mois restants, il est libérable conditionnel à mi-peine soit après 15 mois de détention. S’il obtient une mesure probatoire à la libération conditionnelle, il peut être libéré sous bracelet électronique après trois mois.

L’étude de l’IPJ a estimé le taux de la peine réellement exécutée en détention à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie. La peine est pourtant statistiquement considérée comme exécutée, dans sa forme réduite ou aménagée. Il n’en demeure pas moins que la peine prononcée initialement n’a, elle, jamais été exécutée sous la forme qui était prévue par la juridiction de jugement.

Ce que Didier Migaud a donc voulu dire, c’est qu’après un délai de cinq ans, 12,4 % des peines prononcées étaient exécutées environ 9 fois sur 10, dont une fois sur deux dans une forme autre que celle prévue par le tribunal et sans jamais passer par la case prison. Mais que le citoyen devait se rassurer car les 50% de malchanceux les plus dangereux sont, eux détenus, avec une ristourne de 38% pour fidéliser le client. Beaucoup plus clair, non ?

 2017201820192020202120222023
Exécution des peines d’emprisonnement ferme En %immédiatement31323443485558
après un an73557268727679
Après 5 ansN.R.919292929291
Modalités d’exécution (peines de 6 mois et moins) En %Détention à l’audience    222424
Détention après audience    322826
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    312623
Modalités d’exécution (peines de plus de 6 mois) En %Détention à l’audience    434444
Détention après audience    201716
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    191513

[1] L’ensemble des chiffres cité est issu des publications du ministère de la Justice annuellement « Références Statistiques Justice », consultables librement : https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-statistiques

[2] https://www.institutpourlajustice.org/dossiers/peines-de-prison-ferme-quelle-execution/

Kibboutzim: ils auront leur haine

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Commémoration des victimes du massacre du 7 octobre 2023 lors d’un événement à Re’im, Israël, 28 novembre 2023 © AP Photo/Ohad Zwigenberg)/SIPA

Le 7-Octobre a tourné la page du pacifisme israélien. Ceux qui défendaient par conviction la cause palestinienne défendent aujourd’hui par devoir les frontières d’Israël. La peur, la défiance et l’accoutumance à la guerre dictent le quotidien des kibboutz situés en première ligne, au nord comme au sud. Reportage.


Pour cause de frappe iranienne, l’arrivée en Israël fut plus tourmentée que six mois auparavant. Escale à Chypre, pluie de feu au-dessus de Jérusalem, atterrissage en Jordanie au cœur de la nuit, fin du périple par la route. Et l’application signalant les intrusions de missiles, de roquettes ou de drones qui égrène, tout au long du trajet, son maudit chapelet…

À Tel-Aviv, la colère gronde dans la rue. Sur une place de la ville, la foule s’est massée pour réclamer la paix et la libération des otages. « La haine engendre la haine », crie une manifestante. On se rapproche.

« Poursuivre la guerre n’est pas une solution, lance-t-elle.

— Oui mais quelle solution alors ? lui objecte-t-on.

— En tout cas pas la solution de Nétanyahou. Il a laissé prospérer le Hamas pendant des années en pensant que c’était le meilleur moyen d’empêcher la création d’un pays palestinien. Mais qui a dit qu’un pays palestinien était une mauvaise idée ? »

En Israël, tout le monde ne partage pas cette ligne iréniste. Depuis le massacre du 7 octobre, qui a eu lieu au sud de l’État hébreu, et les 25 roquettes lancées quotidiennement depuis le Liban, dès le lendemain, sur le nord d’Israël, beaucoup ne croient plus dans la main tendue.

Rendez-vous avec Yoël, 38 ans. Un « modéré » né dans le kibboutz Yehiam, à 9 kilomètres de la frontière entre Israël et le Liban, où il vit avec sa femme et leur fils.

Acteur de profession, il a mis en pause ses projets parisiens à cause du Covid, puis de la guerre. Son père fut un temps le secrétaire général international du Mapam, un parti à l’origine marxiste qui a fusionné en 1992 avec d’autres formations israéliennes progressistes pour constituer le Meretz, le « camp de la paix », favorable à une solution à deux États et donc au retrait des territoires occupés.

« Quand j’étais enfant, avant les accords d’Oslo, mon père disait qu’il fallait parler avec le Fatah, se souvient Yoël. Beaucoup de gens lui rétorquaient : “Mais tu es fou. Parler avec qui ? Avec des terroristes ?”

— Vous partagez le sentiment de votre père ?

— On a défendu longtemps cette idée… Les extrémistes disaient tout le temps : ils veulent tous nous tuer. Mais nous, on ne voulait pas écouter, on ne voulait pas entendre ça. On disait non, ils disent ça mais en fait ils préfèrent mieux diriger la bande de Gaza plutôt que nous tuer, c’est n’importe quoi. Aujourd’hui, on entrevoit que ce n’est pas n’importe quoi finalement… »

Yoël fait partie de ces Israéliens qui ont longtemps cru à une coexistence heureuse avec les Palestiniens. Comme les kibboutzniks au sud du pays, qui, avant le 7-Octobre, aidaient volontiers les Gazaouis, les emmenaient à l’hôpital, leur donnaient du travail.

« Ces Israéliens aimaient sincèrement vivre auprès des Arabes, rappelle Yoël. Sauf que ce sont les mêmes Arabes qui les ont massacrés dans leur lit ou ont laissé entrer ceux qui l’ont fait.

— À quoi votre vie quotidienne ressemble-t-elle depuis ce jour-là ?

— Au début, je me suis demandé s’il ne fallait pas partir. On a un enfant et ma femme, originaire d’une région plus calme, avait un peu peur. On a même pensé s’installer dans le centre du pays, où c’est moins dangereux. Et puis on a repris petit à petit confiance. Finalement on est restés.

— Que faites-vous lorsqu’il y a une alerte aérienne ?

— Il n’y a pas d’abri dans notre maison, c’est une construction ancienne. On se réfugie dans un petit couloir au milieu du bâtiment et on attend, en espérant que ça ne nous tombe pas sur la tête. Mais nous avons confiance dans le Dôme de fer. D’ailleurs, on a pris une certaine habitude maintenant. Même quand il y a des “boums” partout autour de nous, on continue la conversation. »

Chez tout Israélien, l’ombre du soldat n’est jamais loin. Yoël a combattu en 2006 au Liban, dans une unité d’infanterie. À présent il est réserviste. Il a rejoint son bataillon au Nord il y a deux mois mais a dû rentrer chez lui après s’être cassé le pied. Si l’armée le rappelle, il répondra présent sans hésiter.

« C’est mon devoir, explique-t-il. Je pense souvent à une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux. C’est un soldat israélien qui l’a filmée peu de temps avant de mourir début octobre sur le front nord. Il y explique qu’il fait la guerre non pas parce qu’il déteste ceux d’en face, mais parce qu’il aime les siens.

— Vous non plus, vous ne détestez pas vos ennemis ?

— C’est pour ça que je fais cette guerre, parce que j’aime ma famille et ma communauté, et que je ne veux pas qu’il leur arrive ce qui est arrivé aux familles des kibboutzim proches de Gaza. Ce déchaînement de haine… Quand j’étais au Liban en 2006, je me souviens d’avoir trouvé un cahier de classe dans la chambre d’un enfant. Il était ouvert sur un exercice consistant à tracer des lignes entre des mots et des images. Les images représentaient des bombes, des mitraillettes, des missiles… Sur la couverture, il y avait une étiquette : “Ali, 6 ans”. Ça m’a bouleversé. Il allait avoir le temps de gagner sa haine, ce n’était pas nécessaire de commencer à 6 ans…

— Justement, ne croyez-vous pas qu’Israël va trop loin et devrait arrêter le conflit maintenant ?

— Ce que veulent Nétanyahou, Nasrallah, Sinouar… La guerre et l’élimination de l’autre. Nous le peuple, nous ne sommes que des pions. S’il y a la guerre, on va à la guerre, on ne se pose pas de questions. Même si on se demande forcément : “Bon, mais après ?” Parce qu’adviendra forcément ce jour. On a une expression pour ça ici : “On se voit à 6 heures, après la guerre !” Or, là, on ne sait pas précisément ce qui est prévu ou même pensé… On a parfois l’impression d’une fuite en avant.

— Tsahal a quand même des buts de guerre précis ?

— Pour le moment, l’objectif est de tirer sur la corde plus fort que celui d’en face. J’espère qu’à ce jeu-là l’armée israélienne affaiblira le Hezbollah pour que d’autres groupes, pourquoi pas, puissent prendre le pouvoir au Liban.

— Et pour l’Iran ?

— Oui, aussi. Le vrai problème, c’est l’Iran. C’est fou de penser qu’avant 1979, il y avait une ambassade israélienne à Téhéran. Imaginez la situation dans laquelle on se trouverait si Khomeini n’avait pas réussi sa révolution… »

Le 7 octobre 2023, le Hamas a frappé précisément ceux qui aujourd’hui pourraient le mieux défendre la cause palestinienne. Le 8 octobre 2023, le Hezbollah brisait à son tour la confiance de beaucoup d’Israéliens en lançant des roquettes sur le nord de leur pays.

Début octobre dernier, les soldats de Tsahal ont pénétré en territoire libanais, dévoilant plusieurs tunnels creusés par la milice chiite, dont certains situés juste à côté des positions de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL).

Le non-respect patent de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui, depuis 2006, interdit toute présence armée du Hezbollah dans la zone frontière jusqu’au fleuve Litani, est difficile à pardonner pour les Israéliens. Dans les tunnels, ces derniers auraient découvert les plans d’un projet d’attaque, « Conquête de la Galilée », étonnamment similaire à celui déployé par le Hamas.

Pour la première fois dans l’histoire du pays, les autorités israéliennes ont été contraintes d’évacuer la population de la zone nord, jusqu’à cinq kilomètres sous la frontière. Le kibboutz de Yoël, qui abrite environ 800 habitants, se trouve juste en dessous.

Depuis quelques semaines, la plupart des résidents sont revenus sur place. Seuls quelques-uns ont décidé de déménager définitivement. Yoël n’a pas fait ce choix. On lui en demande la raison. Il répond en des termes imagés : « Si on éteignait tout Israël et qu’on allumait une bougie simplement chez les kibboutzim, on verrait la carte d’Israël. C’est pour ça qu’il est important de vivre sur la frontière. C’est un peu comme si on la gardait. »

Autre enfant des kibboutzim rencontré à Tel-Aviv : Kfir, 37 ans. Il est né à Sasa, à trois kilomètres de la frontière libanaise. Un kibboutz dont les 400 habitants ont tous été évacués, à l’exception d’une petite équipe de surveillance civile qui mène la garde et à laquelle appartient son père.

Kfir a créé une petite société, baptisée « Guru Zuzu », qui organise des ateliers de danse dans les entreprises. Comme Yoël, il a été élevé dans le culte des valeurs collectivistes. Cela se ressent dans son travail. « Mon métier, c’est d’aider les gens à être bien ensemble, résume-t-il. Quand on se regarde bouger les uns avec les autres, ça guérit l’âme et le corps. Mais depuis la guerre j’ai dû revoir le contenu de mes animations, développer quelque chose de plus profond, pour aider les groupes à exprimer leur gratitude, leur joie d’être réunis, de ne pas se retrouver isolés dans la tourmente. »

À l’instar de Yoël, Kfir est également réserviste, plus précisément capitaine dans l’infanterie, avec 120 soldats sous ses ordres. Il peut être mobilisé à tout moment.

« Quand j’étais enfant, mon père n’était pas souvent à la maison parce qu’il appartenait à une unité spéciale et partait combattre dans le Nord, confie-t-il. J’en ai souffert. Alors imaginez à quel point ce sera tragique si je suis appelé au nord pour protéger ma famille. C’est un terrible cercle vicieux…

— Une perspective cruelle mais inéluctable ?

— Hélas. Ce qui se passe dans le Nord n’est pas une guerre contre le Liban, c’est une guerre contre le Hezbollah. Ils n’ont aucune velléité de dialogue, de paix ou de créer quelque chose qui ne soit pas la guerre, la violence ou le crime. Pour moi c’est clair. Donc à partir de là, on prend nos responsabilités.

— Pas d’état d’âme alors ?

— Pas d’état d’âme. Mais une interrogation tout de même. Quelle doit être notre priorité ? Devons-nous nous concentrer sur la destruction de l’ennemi ? Ou sur la libération des 101 otages ? Personnellement, je serai heureux quand je reverrai mon peuple à la maison. Et quand tout sera fini. Nous méritons tous mieux. »

La mère de Kfir, Angelica, d’origine italienne, est comme lui une digne représentante de l’esprit des kibboutzim. C’est une artiste reconnue en Israël. Créatrice et directrice de la Fondation Beresheet LaShalom (« Un début pour la paix »), en Haute Galilée, elle a également ouvert un théâtre, Arcobaleno Arcobaleno (« Arc-en-ciel, arc-en-ciel »), où des jeunes artistes, juifs, arabes, chrétiens, musulmans et druzes, se produisent ensemble dans des spectacles de mime et de danse, et où ils racontent ce qui se passe dans la tête des adolescents vivant par temps de guerre.

Son engagement en faveur du dialogue entre les peuples lui a valu de nombreux prix et même, en 2005, une nomination au Nobel de la paix. Quand Kfir était petit, Angelica lui racontait souvent une histoire. Une ancienne légende juive. Elle se déroule dans un champ d’orge. Un homme aperçoit soudain un petit oiseau couché sur le sol, les ailes ouvertes, qui regarde le ciel. Il lui demande :

« Que fais-tu, petit oiseau ?

— J’ai entendu dire que Dieu veut prendre le ciel et le jeter sur la Terre, alors j’essaie de nous protéger.

— Tu crois que tu vas sauver la Terre en restant là, en te couchant et en ouvrant tes ailes ?

— Je fais de mon mieux, tu sais. »

Le Pen avant Jean-Marie

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Messe pour Jean-Marie Le Pen, église Notre-Dame du Val-de-Grâce, Paris, 16 janvier 2025 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Jean-Marie Le Pen a finalement tiré sa révérence. Il était le dernier dinosaure de la IVème République, une époque politique depuis longtemps oubliée.


Le décès de Jean-Marie Le Pen clôt définitivement la période de l’après-guerre en France. Dernier témoin et acteur de la IVème République, dont il était l’ultime député encore vivant, Le Pen a mis du temps avant de pleinement endosser le costume de Jean-Marie. C’est peut-être cette période de sa vie, qui occupe intégralement le premier tome de ses mémoires sous le titre de Fils de la Nation, qui reste aujourd’hui encore la plus méconnue mais aussi la plus riche d’enseignements pour l’Histoire.

Une force de la nature

Véritable force de la nature, le Menhir avait tout du personnage de romans d’aventure ou de la personnalité du corsaire breton qu’il se plaisait parfois à imiter. Pupille de la nation frappé par le deuil durant la période formatrice de l’adolescence, où son père périt en mer frappé par une mine allemande au large de La Trinité-sur-Mer, ce tempérament rebelle a traversé les époques sans jamais se départir de son opiniâtreté ni d’un penchant naturel pour la transgression. Son ami de jeunesse Claude Chabrol le décrivait d’ailleurs ainsi en 1999, se remémorant leur compagnonnage au sein de la Corpo de droit : « Mais j’étais copain comme cochon avec Le Pen entre, voyons, que je ne dise pas de bêtises, entre 1949 et 1952, à peu près. Hé oui ! C’est marrant : Le Pen, c’était un fout-la-merde magnifique ! Je suis persuadé qu’il y a dans sa démarche une volonté très nette de foutre la merde. Je n’ai jamais été inquiété par le Front national, je sais pas. Mais par lui, non ! Le Pen entrerait là, on se taperait sur l’épaule, quoi, pas de doute ! Bon, faudrait pas qu’il tape trop fort, c’est un type très costaud ! »

Réduire Le Pen au personnage du « trublion » ou de l’anarchiste de droite serait néanmoins faux. Il fut bien plus que ça au cours de ses décennies de vie publique commencées très jeune, puisqu’il fut élu député de Paris à la surprise générale en 1956 à 27 ans, porté par l’élan poujadiste que connaissait alors le pays. Son deuxième de liste était Roger Sauvage, vétéran de l’escadrille Normandie-Niemen. Quelques mois plus tard, Le Pen renommé entre-temps Jean-Marie après que son épouse Pierrette lui conseilla d’adosser à son prénom de baptême Jean une référence mariale susceptible de lui attirer les grâces de la droite catholique, il obtint de l’Assemblée nationale l’autorisation de servir six mois en Algérie. Ainsi naquit la légende. Mais aussi les incompréhensions sur une personnalité dont la mentalité, les opinions et la manière d’être furent bien plus marquées par la génération de la IVème République que par celle qui suivit.

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Jean-Marie Le Pen était un homme de l’après-guerre et de la décolonisation, profondément traumatisé par les évènements d’une période qui a contraint les Français à faire le deuil de « la plus grande France ». Il fut aussi façonné par les « tribuns » et le parlementarisme agressif de sa jeunesse qui était alors ontologique de la République française. Sa proximité avec Jean-Louis Tixier Vignancour, autre figure de la droite anti-gaulliste de la période, jusqu’à appeler à voter Mitterrand contre le général ce qui provoqua la rupture avec son lieutenant Le Pen, ne fut pas que politique mais bien intellectuelle. On pourrait à ce titre emprunter ces mots écrits dans Le Monde après la disparition de ce « ténor des prétoires à la voix de Tolède » et les appliquer à Le Pen : « Quel souvenir gardera la postérité de ce bretteur incorrigible jusqu’à la fin ? Retiendra-t-elle l’« anarchiste de droite » tant de fois décrit et auquel cette appellation convenait si bien parce qu’elle était à ses yeux la plus flatteuse, sinon la plus acceptable ? Ou seulement l’avocat politique si habile dans le sous-entendu, si venimeux dans l’insolence instinctive, comme s’il avait pu être de tous les complots, de toutes les intrigues ? Ou encore l’avocat tout court qui, lui, savait fort bien, sûr d’un talent archireconnu, s’en tenir au classicisme de bon aloi, dès lors qu’il n’éprouvait plus le besoin de céder à ses démons ? »

Anticommunisme et réconciliation nationale

Lorsque le jeune Le Pen s’engage chez les paras afin de participer aux combats algériens, il est alors animé d’un profond sentiment anticommuniste. Il craignait à juste titre la dislocation de l’Empire et l’influence soviétique sur la classe politique française. Traumatisé comme tant d’autres personnes de sa génération par les épisodes atroces de la période de l’épuration, il a aussi vécu l’Indochine et sa perte en tant que correspondant de guerre, où il rencontra Alain Delon qui devint son ami pour la vie. Son engagement algérien s’inscrit donc dans une réflexion géostratégique globale partagée par l’essentiel de la classe politique de la IVème République. Le gouvernement était alors dirigé par le socialiste Guy Mollet, dont le second ministre de l’Intérieur et de la Justice n’était autre qu’un certain François Mitterrand. Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui dépeint comme un personnage central de cette guerre, n’était au moment où il partit qu’un exécutant, simple officier subalterne d’une affaire décidée par d’autres.

François Mitterrand à qui il ne fut jamais fait le reproche de son rôle dans cette guerre de son vivant fut pourtant l’homme de la bataille d’Alger mais aussi de la loi d’amnistie et de celle de mars 1956 qui donna tout pouvoir à l’armée en matière de justice sur le sol algérien. Le futur président socialiste a été l’homme du volet politique de la contre-insurrection algérienne, à laquelle a notamment participé Aussaresses ou encore le lieutenant-colonel Galula. C’est lui qui dès 1954 dit à la tribune de l’Assemblée nationale : « La rébellion algérienne ne peut trouver qu’une forme terminale : la guerre. L’Algérie c’est la France ». C’est aussi lui qui autorisa dans ce cadre les exécutions de militants du FLN. Il a refusé de gracier 80% des condamnés à mort dont les dossiers lui furent présentés.

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De fait, la France luttait alors contre un mouvement jugé terroriste et qui avait commis des attentats contre des civils. Il ne s’agissait pas d’une guerre contre un autre pays mais d’un conflit civil localisé à ce moment-là en Algérie et qui menaçait de s’étendre au territoire métropolitain. Jean-Marie Le Pen n’a pas joué un rôle de cette envergure et rien ne dit qu’il participa effectivement au système de « la torture ». Il le conteste dans ses Mémoires, déclarant notamment : « L’armée française revenait d’Indochine. Là-bas, elle avait vu des violences horribles qui passent l’imagination et font paraître l’arrachage d’un ongle pour presque humain (…) Cette horreur, notre mission était d’y mettre fin. Alors, oui, l’armée française a bien pratiqué la question pour obtenir des informations durant la bataille d’Alger, mais les moyens qu’elle y employa furent les moins violents possibles ». Il a aussi dénoncé une « machination politique contre un parti qui avait le vent en poupe », jugeant les accusations « bidons ». Et éminemment paradoxales puisqu’elles sont parties dans les années 1980 de membres du Parti socialiste, mais peut-être avaient-ils accès aux archives secrètes qu’ils avaient eux-mêmes compilées durant les années où ils participaient avec zèle à la guerre !

Attention aux jugements anachroniques

Ce n’est qu’après la Guerre d’Algérie, ou plutôt à son crépuscule, que la mue de Le Pen en Jean-Marie s’acheva. Alors qu’il eut l’opportunité de rejoindre le nouveau pouvoir gaulliste, Le Pen refusa. Excédé par la perte de l’Algérie mais aussi l’abandon des pieds-noirs et des arabes qui ont aidé la France, à l’image de son ami Ahmed Djebbour qu’il fit élire à l’Assemblée nationale sur la liste du Front national des combattants, le « menhir » entra alors dans une errance politique qui dura plus d’une décennie avant que le Front National créé en 1972 ne devienne au milieu des années 1980 une force majeure de la vie politique française.

D’autres n’ont pas eu sa résilience ou son acharnement. Ainsi de Pierre Lagaillarde, fondateur de l’OAS à l’issue de la Semaine des Barricades, qui au terme de son exil renonça à toute activité politique. Pont entre les diverses tendances de la droite anticommuniste d’après-guerre, Jean-Marie Le Pen finit par fédérer les anciens résistants déçus du gaullisme, les poujadistes et d’autres réprouvés parfois plus ou moins présentables autour de son charisme et de sa figure tutélaire. Personnage bien plus contrasté que ce qu’on en dit parfois, il est indissociable de la France de la deuxième moitié du XXIème siècle, dont il fut le bouc-émissaire et le « diable ». Mais n’en était-il pas plutôt la mauvaise conscience et la Sibylle ? L’Histoire jugera.

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La cigogne française gagnée par la paresse

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DR.

La démographie française est en berne. Un peuple qui ne fait plus d’enfants est un peuple qui se suicide.


L’Institut national des statistiques et études économiques (INSEE) vient de publier son bilan démographique annuel1. Pas brillant. Pour la seconde année consécutive le nombre des naissances n’a pas atteint la barre des sept-cent mille. D’une année sur l’autre, 2023 par rapport à 2024, la baisse est de 2,2%, ne faisant que confirmer une tendance constamment observée depuis 2011. La chute, il est vrai, avait été autrement sévère en 2023 par rapport à 2022 puisqu’elle était de 7%. Seule embellie dans la période, 2021, à la suite de l’épidémie de Covid-19 où le taux de natalité avait repris des couleurs. À chacun de donner l’explication qui lui convient. Le confinement forcé, peut-être… Il n’empêche, la situation est préoccupante. D’ailleurs, le président de la République s’en était ému alors, promettant la mise en place d’un plan de « réarmement démographique » comprenant une série de mesures destinées à sortir Dame cigogne d’une torpeur si dommageable. Aux dernières informations livrées par le ministère de la Santé le plan serait toujours « en cours d’instruction ». Formulation délicate pour signifier que l’accouchement n’est pas pour demain. Dans l’euphorie de l’annonce, les services compétents avaient envisagé la création d’un logo « repro-toxique » à faire figurer sur certains produits cosmétiques dont l’usage obérerait les chances de procréation. Une mise en garde, un peu à la matière des mentions de prévention contre les sucres saturés et les corps gras sur les emballages de pâtes à tartiner. Efficacité garantie, probablement…

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Cela dit, à l’exception semble-t-il du Portugal sur la dernière décennie, et de la Bulgarie, la France fait mieux en matière de natalité et de fécondité que ses partenaires européens. Maigre consolation.

Chez nous, le nombre de femmes sans enfants croît alors que le nombre de celles ayant trois enfants – quasiment la norme française voilà encore quelques décennies – régresse très fortement. « L’âge conjoncturel moyen à l’accouchement en 2024 » nous dit élégamment l’INSEE est de 31,4 ans, alors qu’il était de 29,5 vingt ans plus tôt. Conséquence logique, l’âge de la femme étant plus élevé, le nombre d’enfants à naître se trouve d’autant limité.

Bref, chez nous, l’enthousiasme à procréer ne serait pas au rendez-vous. Incertitude face à l’avenir, précarité, logement, éco-anxiété sont quelques une des raisons avancées. Par exemple, à dire d’experts, la baisse de fécondation enregistrée au mois d’octobre 2023 serait imputable à l’explosion du conflit israélo-palestinien…

Toujours est-il que cette tendance à la dénatalité est lourde de menaces. Le pays vieillit. Un pays qui vieillit s’ennuie. Un pays qui s’ennuie renonce, s’enfonce dans l’abandon de soi. Raymond Aron mettait en garde les nations occidentales contre le vertige du « suicide par dénatalité ». Sans doute les incertitudes, les laideurs du monde tel qu’il est ont leur part dans la désaffection pour la procréation, mais peut-être bien n’est-ce qu’une explication commode. Un alibi facile. Nous avons vu que l’INSEE a constaté une hausse de la fécondité au moment de la crise du Covid. Est-ce que la situation était des plus joyeuses, facile à vivre à ce moment-là ? Est-ce que l’avenir à proche, moyen ou long terme s’annonçait radieux ? Certes non. Et pourtant… Il paraît établi aujourd’hui que le fameux baby-boom qu’on situe de 1946 à 1974 se serait en fait amorcé dès 1942. Là encore, est-ce que la vie était belle et le futur radieux sous la botte?

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Il se peut que les raisons – sans totalement exclure celles évoquées ici – soient autres : le refus moral de l’engagement, la ringardisation idéologique de la famille et conséquemment du couple. Avec pour résultat glaçant l’explosion des solitudes non réellement désirées. Et à terme, rampant, le venin d’une sorte de dépression collective que le vieillissement de la population, inéluctable si rien ne change, ne ferait qu’aggraver.

Une question tout de même : une politique qui a pour sujets de prédilection les retraites, la gestion plus ou moins éclairée de la fin de vie, l’inscription solennelle de l’avortement dans la Constitution est-elle de nature à donner envie d’avoir envie?

Avant de penser à coller du logo inutile sur la crème de jour ou de nuit, peut-être devrait-on se poser ce genre de questions. Car il ne faudrait tout de même pas que, chez nous, en France, d’espèce menacée la cigogne devienne espèce disparue. On peut se passer de beaucoup de choses dans la vie de nos villes et de nos campagnes, certainement pas du rire des enfants dans une cour d’école.

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  1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8327319 ↩︎

Algérie: les Insoumis sont les héritiers de la contre-culture des années 60

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Manifestation de soutien à la Palestine sur le Vieux-Port de Marseille, en présence du député des Bouches-du-Rhône Sébastien Delogu le 18 août 2024 © Frederic Munsch/SIPA/2408182118

Les héritiers d’une révolte figée en dogmes ne voient en l’Occident que corruption et décadence. Et en arrivent à défendre des régimes indéfendables


La question est posée : les Insoumis servent-ils aujourd’hui de courroie de transmission du pouvoir algérien ? L’extrème gauche française serait-elle en service commandé par le président Tebboune pour attaquer, comme le font récemment Marine Tondelier (Les Verts) et Ersilia Soudais (LFI) en prenant le parti des influenceurs qui ont appelé à la haine contre la France, le gouvernement français et en particulier son ministre de l’Intérieur ?

Il n’est pas besoin d’imaginer chez les Insoumis une complicité ou une alliance effective avec le gouvernement algérien ou avec le Hamas. Les Insoumis sont en fait les héritiers de la contre-culture des années 60. Les années 1960 ont vu émerger une contre-culture qui se voulait révolutionnaire et profondément critique de l’ordre établi. Pourtant, les idées qui semblaient alors radicales se sont progressivement intégrées au tissu même de la société contemporaine, au point de devenir des dogmes dominants. Ce qui fut autrefois un cri de révolte est aujourd’hui une pensée conformiste, voire une orthodoxie idéologique, un mélange de marxisme et de christianisme revisité.

Les slogans de cette époque résonnent encore aujourd’hui : « Nous sommes une seule humanité », « Abattons les drapeaux, les impérialismes et les frontières », « La guerre est un mal absolu », « Le complexe militaro-industriel est la source de nos maux », « Il est impératif de lutter contre le racisme », « Les Blancs portent la responsabilité des massacres de l’histoire, de la destruction de la nature et de la vie sauvage ».

Ces proclamations, si elles conservaient une certaine spontanéité dans les années 60, se sont muées en dogmes rigides et omniprésents, façonnant les valeurs des générations suivantes, en particulier celles de la petite bourgeoisie intellectuelle dont les Insoumis sont les représentants politiques.

Une incapacité à tolérer la nuance…

Les idées révolutionnaires des années 60 ont échoué à se matérialiser en révolutions concrètes. Cette incapacité à produire un véritable renversement des structures de pouvoir a conduit à leur institutionnalisation. Ce qui n’a pu transformer la société par l’action s’est cristallisé sous forme de croyances absolues, imposées comme des vérités universelles et incontestables. Le combat contre le patriarcat et la société bourgeoise, par exemple, a perdu son caractère subversif pour devenir un credo dogmatique, parfois simpliste, incapable de tolérer la nuance ou la complexité.

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Les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité ont été adaptés, voire déformés, au contact des contraintes du réel. L’idéalisme romantique, en quête d’un monde libéré de ses entraves, s’est trouvé confronté à des paradoxes : une volonté de promouvoir l’émancipation individuelle tout en soutenant des systèmes oppressifs ou autoritaires dans certaines régions du monde.

Les députés LFI Louis Boyard et Mathilde Panot discutent avec le chanteur controversé Médine, Paris, 21 avril 2024. Image: réseaux sociaux.



Les héritiers de cette contre-culture ont cultivé une fascination pour l’« ennemi exotique » ou le « noble opprimé ». Dans cette perspective, le Viêt-cong pieds nus, le fedayin du FLN, ou encore les « damnés de la terre » décrits par Frantz Fanon incarnaient une pureté morale et une authenticité que l’Occident, perçu comme corrompu et décadent, semblait avoir perdu.

Cette admiration s’est accompagnée d’un mépris, voire d’une haine, envers l’Europe coloniale et l’Amérique impérialiste. Mais ces héritiers n’ont pas craint la contradiction : ils prônaient une liberté sans limites tout en soutenant des régimes autoritaires issus du tiers-monde, comme ceux de Hô Chi Minh, Mao Tsé-Toung ou Robert Mugabe. Loin d’être un problème, ces paradoxes semblaient être une partie intégrante de leur vision du monde, dans laquelle se mêlaient marxisme-léninisme, néo-christianisme et un goût pour l’orientalisme.

L’attachement à une mythologie révolutionnaire…

Parmi les héritiers de la contre-culture, nombreux furent ceux qui virent leurs illusions s’effondrer face à la dureté de la réalité. Certains ont sombré dans des ruptures tragiques, marquées par des parcours de désillusion.

La toxicomanie, omniprésente dans les milieux contestataires de l’époque, a emporté une part significative de cette génération, menant à des overdoses ou à une mort lente par des maladies comme le Sida. Le suicide fut pour d’autres une issue ultime face à l’impossible réconciliation entre leurs idéaux et le monde qui ne changeait pas.

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Cependant, d’autres héritiers de cette culture de rébellion ont assumé leurs contradictions en choisissant une tout autre voie. Ils sont devenus des adeptes de l’économie globalisée, embrassant un libéralisme économique décomplexé tout en conservant des positions libertaires sur les questions sociétales. Ce mélange de pragmatisme et de compromission reflète une certaine souplesse idéologique, voire une aptitude à exploiter le système qu’ils avaient initialement rejeté. D’autres en revanche et c’est le cas des Insoumis sont restés attachés à cette mythologie révolutionnaire.

La jeunesse des années 60, avide de changement, s’est dressée contre une société qu’elle percevait comme engoncée dans les préjugés patriarcaux et l’ordre moral bourgeois. Cette révolte a profondément marqué les mentalités contemporaines, au point de modeler les valeurs des générations qui ont suivi. Les élites actuelles, qu’elles soient politiques, culturelles ou académiques, ont été nourries au lait de cette contre-culture.

Les grands principes en sont devenus des leitmotivs presque religieux :
• L’humanité est une et indivisible. La solidarité universelle prime sur les particularismes ;
• Les riches et les puissants sont les oppresseurs. L’inégalité économique est considérée comme la source principale des injustices ;
• L’étranger est notre frère, surtout s’il est pauvre. Le migrant, le réfugié ou le marginal est vu comme une figure rédemptrice ;
• Les Blancs portent une culpabilité historique. De la colonisation à l’esclavage, en passant par la destruction de la nature, la civilisation occidentale est perçue comme la « lie de la terre ».

On en vient à quasiment soutenir les influenceurs algériens…

Ce corpus idéologique a façonné un imaginaire collectif où la quête de justice sociale et écologique coexiste avec des contradictions non résolues. Par exemple, la glorification des cultures non occidentales s’accompagne souvent d’une vision simpliste et romantique de celles-ci, ignorant leurs propres dynamiques complexes. De même, l’obsession de la liberté individuelle et de l’émancipation peut se heurter à une intolérance grandissante envers les opinions dissidentes. Les idéaux d’unité et d’égalité, bien qu’aspirationnels, peuvent aussi se heurter à une réalité qui valorise la diversité culturelle et les spécificités identitaires.

L’universalisme hérité de cette contre-culture risque parfois d’éclipser la reconnaissance des différences. Enfin, cette pensée dominante tend à écraser le débat, en transformant les nuances en affrontements moraux. Ce qui était une critique vivante et féconde de l’ordre établi est devenu, pour certains, une nouvelle forme d’autoritarisme culturel et intellectuel. Antisionisme rabique, haine de la France et de son gouvernement qualifié « d’extrême-droite » sont devenus pour une partie de la jeunesse, mobilisée par Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis, les éléments principaux d’une cause qui les conduit à devenir les idiots utiles de régimes et d’idéologies totalitaires.  

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We have a deal !

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Tel Aviv, hier soir © Oded Balilty/AP/SIPA

Le Premier ministre qatari a annoncé hier la libération de 33 premiers otages israéliens du Hamas lors de la première phase de la trêve à Gaza, prévue pour débuter dimanche. L’effet Trump semble avoir été déterminant. Si les Gazaouis font bruyamment la fête, à Tel-Aviv il est plus difficile de se réjouir


Donald Trump a annoncé, enfin, un cessez-le-feu à Gaza. « We have a deal ». Ces quatre mots inaugurent peut-être une nouvelle ère, mais on est loin de la paix pour l’instant. Avant d’évoquer la grande politique et la grande Histoire, pensons aux familles d’otages qui ne savent pas si elles verront revenir un vivant ou un mort, et aux Palestiniens qui pleurent leurs morts.

Comptabilité macabre

Cet accord s’apparente à une potion amère. On rachète des innocents pris lors d’une razzia en libérant les instigateurs de potentielles futures razzias. Sinwar, l’inventeur du 7-Octobre, avait été libéré dans des conditions comparables dans le cadre de l’affaire de l’échange du soldat Gilad Shalit. Israël paie au prix fort la vie de ses citoyens, et le devoir sacré de donner une sépulture aux morts : 30 prisonniers palestiniens contre 1 otage vivant, 15 contre un corps.

Retenir dans des sous-sols des enfants, des vieillards ou un bébé de quelques mois, ce n’est pas la guerre, ce n’est pas la Résistance, c’est la barbarie. Le Hamas a aussi retenu les civils palestiniens en otage, pendant que ses combattants se cachaient dans les tunnels. Quelle armée protège ses militaires et laisse les civils seuls face aux bombes ? N’oublions pas à qui nous avons affaire.

Est-ce la fin du cauchemar pour les deux peuples ?

Comme je le disais : nous sommes loin de la paix. L’accord de trêve ne prévoit rien sur qui va gouverner Gaza, ni sur le désarmement du Hamas, lequel pourrait se reconstituer avec tous ces prisonniers libérés.

Cependant, il y a deux raisons d’être optimiste (ce sont les mêmes qui ont permis l’accord). C’est une double victoire de la force.

  • La première raison, c’est Trump. L’administration Biden s’est félicitée pour la négociation, mais cet accord était en réalité sur la table depuis mai. C’est donc bien Trump qui, avant même d’être au pouvoir, a fait plier Netanyahou et le Hamas. Lorsqu’il menace de plonger le Hamas en enfer s’il ne libère pas les otages, on a des raisons de le croire. Sa présence dans cet accord signifie également qu’Israël disposera probablement du feu vert américain pour répliquer en cas de violation de l’accord ou de remilitarisation du Hamas.
  • La deuxième raison, c’est le changement radical du rapport de forces. L’élimination des chefs du Hamas, la raclée infligée au Hezbollah, la destruction de la défense antiaérienne iranienne et des capacités militaires de la Syrie post-Assad ont profondément changé la donne. L’« axe de la Résistance » n’a pas bonne mine. Elle est dans les choux. Certes, cela s’est fait au prix d’immenses et terribles souffrances, mais tout comme il avait fallu bombarder Dresde ou Mossoul, il fallait détruire le Hamas. Militairement, c’est en bonne voie. Politiquement, même le Fatah accuse désormais le Hamas d’avoir sacrifié les intérêts palestiniens à l’Iran. Beaucoup de Gazaouis savent qu’ils ont payé le 7-Octobre dans leur chair.

Les faux-semblants d’ici

Quant à ceux qui, ici, continuent à faire les yeux doux au mouvement terroriste et pensent que Trump est le diable incarné, ils seront balayés par l’Histoire. Hier, la dernière idée lumineuse du député LFI Thomas Portes en est un exemple affligeant: interdire la venue en France de basketteurs israéliens… Minable à pleurer.

«Surprise ! Ton grand-père est sur la liste des collabos»: le fiasco des archives néerlandaises

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Image d'illustration. DR.

Ces jours-ci, les Hollandais découvrent que la « transparence » n’a pas toujours du bon.


Aux Pays-Bas, l’exercice de transparence sur la collaboration avec les nazis pendant l’occupation allemande (1940-1945) vire au fiasco. L’écrivaine et journaliste juive Natascha van Weezel a ainsi découvert avec stupeur le nom de son grand-père sur la mal-nommée « liste des collabos », accessible depuis le 2 janvier à toute personne désireuse de la consulter1. Cette liste contient les noms de quelque 425 000 personnes, toutes décédées, selon les assurances du gouvernement de La Haye.

Une liste autrefois uniquement accessible aux chercheurs

Ces noms figurent dans les Archives Centrales des Juridictions Spéciales (CABR), récemment rendues partiellement publiques. Dans ces archives, créées après la Seconde Guerre mondiale pour juger ceux et celles soupçonnés d’avoir collaboré avec l’occupant, figurent des listes de volontaires dans la Wehrmacht ou les SS, des membres du parti national-socialiste NSB, des dénonciateurs de Juifs ainsi que des artistes et des intellectuels.

Le grand-père juif de Mme van Weezel ne fait pourtant pas partie de ces collaborateurs ! Dans une chronique publiée dans le journal Het Parool2, elle raconte au contraire que son aïeul avait fui l’Allemagne nazie pour s’installer aux Pays-Bas. Après l’invasion allemande de la Hollande, en mai 1940, il parvient à gagner la Suisse. À son retour, en 1945, il apprend que ses parents et d’autres membres de sa famille, également réfugiés aux Pays-Bas, ont péri dans des camps de concentration. Bien que son grand-père, décédé en 1995, ne soit pas un résistant, il n’est donc pas non plus un collaborateur. Cependant, des cas de Juifs néerlandais ayant trahi d’autres personnes pour le compte des nazis existent…

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Natascha van Weezel découvre l’existence d’un dossier à son nom après quelques clics dans le moteur de recherche des Archives Centrales. Les informations nécessaires pour lancer une recherche sont simples : nom, prénoms, date et lieu de naissance. Ces données, auparavant accessibles uniquement aux chercheurs autorisés, sont désormais consultables par tous. Dans ce moteur de recherche, la journaliste est tombée sur le nom de son grand-père, accompagné d’un numéro de dossier et de la mention sommaire suivante : « interrogé après la guerre par la ‘politieke recherche’ », c’est-à-dire la branche de la police chargée de poursuivre les délinquants politiques. Angoissée mais déterminée, Mme van Weezel voudrait consulter ce dossier complet en ligne chez elle, depuis Amsterdam. Toutefois, les projets initiaux du gouvernement, qui prévoyaient un accès numérique, ont été bloqués en décembre 2024 par un véto du Conseil pour la Sauvegarde de la Vie Privée… Toute personne souhaitant consulter ces dossiers en intégralité doit donc se rendre physiquement aux Archives à La Haye, après avoir pris un rendez-vous en ligne. La consultation se fait alors sur place, sans possibilité de photographier les documents. Aucune preuve de lien de parenté ou justification historique ou journalistique n’est d’ailleurs requise pour y accéder.

Des semaines d’angoisse

Autant dire que l’attente risque d’être longue. Natascha van Weezel espère pouvoir examiner ce dossier, sans doute éprouvant, au plus tôt au mois de mars. Elle n’est pas la seule concernée : des dizaines de Néerlandais, y compris des députés, vivent la même expérience désagréable. Après quelques clics dans la base de données, ils découvrent les noms de leurs proches associés à cette liste controversée. Beaucoup jurent, preuves à l’appui, que leurs proches ne sont pas des collaborateurs.

La direction des Archives insiste sur le fait que la simple existence d’un dossier ne prouve en rien la culpabilité de la personne concernée. Pourtant, l’adage « il n’y a pas de fumée sans feu » reste tenace dans l’opinion publique. Aux yeux de nombreux Néerlandais, cette liste de 425 000 noms – réduite à environ 405 000 après des protestations – reste en effet celle des « collabos ». Les nuances juridiques entre des termes comme « prévenu », « soupçonné », « suspect », « accusé », « condamné » ou encore « entendu comme témoin » échappent le plus souvent au grand public.

Jusqu’aux années 1970, beaucoup de Néerlandais pensaient que la collaboration se limitait à une poignée de personnes autour d’Anton Mussert, chef du NSB et équivalent néerlandais du Maréchal Pétain. La réalité est évidemment bien différente. Et si accuser de nos jours quelqu’un des méfaits de sa famille est cruel et absurde, le stigmate reste durable. En témoigne les remous en 1989 à la rédaction du journal de Natascha van Weezel, Het Parool, fondé par des résistants à l’occupant allemand, après la nomination d’un directeur, fils d’un membre subalterne du NSB. ‘Notre journal dirigé par un fils de collabo, quelle honte!’, pouvait-on entendre alors..


  1. oorlogvoorderechter.nl ↩︎
  2. https://www.parool.nl/columns-opinie/ik-werd-steeds-razender-hoezo-was-mijn-opa-die-voor-de-nazi-s-moest-vluchten-en-meerdere-malen-aan-de-dood-was-ontsnapt-een-foute-nederlander~be00617c/ ↩︎

Pas de « safe space » pour les blasphémateurs

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Des membres du Parlement britannique manifestent leur solidarité avec les victimes du massacre de Charlie Hebdo, Westminster Hall, Londres, 8 janvier 2015. Un soutien superficiel et de courte durée, vite éclipsé par la censure et la crainte de choquer © AP Photo/PA,Tim Sculthorpe/Sipa

Au Royaume-Uni, après les larmes et fadaises de circonstance, des intellectuels ont vite accusé Charlie Hebdo d’avoir créé « un environnement toxique pour les musulmans », des médias ont censuré les caricatures et des étudiants ont proclamé : « Je ne suis pas Charlie. » En menant cette croisade morale contre l’islamophobie, l’intelligentsia a justifié le terrorisme.


Il y a dix ans, j’ai subi deux chocs consécutifs. Le premier fut le massacre des satiristes. Il semblait inconcevable que l’on puisse infliger une mort sanglante à des caricaturistes pour avoir commis le « péché » de lèse-Mahomet. La barbarie du viie siècle projetait son ombre sur l’Europe du xxie siècle. Au moment où j’ai appris la nouvelle, à Londres, je me suis rendu dans le premier café et j’ai sorti mon ordinateur portable. C’est une « attaque contre nous tous », ai-je écrit. Cette islamo-boucherie menace de « nous ramener à une époque d’avant les Lumières ». Les mots semblaient futiles ce jour-là, face à l’horreur, mais il fallait des mots.

Puis est venu le deuxième choc : la trahison des intellectuels. Les corps des victimes étaient à peine froids que les élites libérales ont cherché à justifier le crime. Dans le monde anglo-américain, le cri s’est levé : « Certes, c’est déplorable, mais Charlie n’aurait pas dû ridiculiser les musulmans ».

Bien sûr, il y a eu des expressions de sympathie performatives. Des platitudes ont été débitées, des couronnes de fleurs déposées. Le slogan « Je suis Charlie » a été répété du bout des lèvres. Mais l’intelligentsia n’a pas hésité longtemps avant de révéler son vrai avis : Charlie était trop souvent « tombé dans la caricature raciste » en créant « un environnement toxique pour les musulmans ». C’est ce qu’a écrit un journaliste du Guardian une semaine après la tuerie. Un bureau où deux assassins tirent à répétition sur des hommes et des femmes : ça, c’est un « environnement toxique ».

Le troc de la contre-culture par la cancel culture

La solidarité avec Charlie Hebdo a été superficielle et éphémère. Comme l’a écrit le chroniqueur Rod Liddle, « tout le monde dit qu’il est Charlie », mais « en Grande-Bretagne, presque personne ne l’est ». Et de rappeler que notre nation avait adopté une loi contre « l’utilisation de mots menaçants, abusifs ou insultants pour provoquer l’alarme et la détresse ». Il n’a pas fallu longtemps pour que cette répugnance pour les discours « offensants » l’emporte sur les gesticulations en faveur de Charlie.

Les militants étudiants, qui ont troqué la contre-culture contre la cancel culture, ont été les premiers à dire ouvertement : « Je ne suis pas Charlie» Le syndicat des étudiants de Bristol a déclaré que Charlie ne devait pas être vendu sur le campus parce que cela violerait « notre politique d’espace sécurisé » (« safe space »). Autrement dit, des étudiants privilégiés se sentaient blessés par un magazine dont les auteurs venaient d’être abattus. Pas d’« espace sûr » pour les blasphémateurs. À Manchester, le syndicat a interdit à l’Association pour la liberté d’expression et la laïcité d’afficher la une de Charlie. On les a sermonnés sur la nécessité de créer un « environnement inclusif » – mais qui n’inclut ni la satire ni la solidarité avec les victimes des fanatiques. Dans ce double langage, inclusion veut dire exclusion : l’exclusion de toute pensée, croyance ou blague qui puisse meurtrir l’estime de soi de ceux qui sont socialisés dans le culte de la fragilité.

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La plupart des médias britanniques ont refusé de montrer les couvertures de Charlie, de peur qu’un musulman se sente blessé. Le rédacteur en chef du quotidien centriste The Independent a déclaré que « son instinct » lui disait de publier les caricatures, mais que c’était « trop risqué ». La BBC s’est conformée à sa directive selon laquelle « le prophète Mohammed ne doit pas être représenté sous quelque forme que ce soit ».

Les élites médiatiques ont ainsi fait preuve d’une lâcheté ignoble face à la menace islamiste. Après le bain de sang à Paris, leur réflexe a été de sauver leur peau plutôt que de soutenir leurs collègues d’outre-Manche. Elles se sont montrées solidaires avec les assassins plutôt qu’avec les assassinés. En refusant la diffusion des images de Charlie, elles se sont rendues complices des frères Kouachi, parce qu’elles pensaient comme eux, que Charlie faisait du tort aux musulmans. Les frères ont puni Charlie par la violence, les médias par la censure.

Les élites ont bafoué la mémoire des morts

Trois mois après le massacre, une foule d’écrivains célèbres a protesté contre la décision de PEN America de décerner à Charlie un prix pour la liberté d’expression, en proclamant qu’il ne fallait pas récompenser un magazine qui provoque « humiliation et souffrance » chez les musulmans. C’était kafkaïen : des écrivains qui venaient d’endurer les pires souffrances imaginables étaient accusés de faire souffrir autrui.

Le comble a été atteint quand l’ONG londonienne Islamic Human Rights Commission a décerné à Charlie son prix d’« islamophobe de l’année ». C’était danser sur les tombes des morts. Cette farce répugnante a provoqué une réaction chez certains journalistes britanniques, mais les mêmes, en poussant les hauts cris à propos de « caricatures racistes », avaient ouvert la voie à cette diffamation posthume des suppliciés. On ne peut pas qualifier Charlie d’« islamophobe » et ensuite se déclarer consterné quand il remporte un prix pour « islamophobie ».

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De tout cela émerge une vérité terrifiante : nos élites ont plus en commun avec les assassins de Charlie qu’avec Charlie lui-même. Leur croisade morale contre l’« islamophobie » n’est que le reflet déformé de la violente croisade des frères Kouachi contre le blasphème. Ce qui unit les bouchers et les intellectuels, c’est la croyance pusillanime que tout commentaire sur l’islam doit être strictement surveillé afin que les musulmans puissent vivre leur vie sans jamais se sentir offensés. C’est ainsi que j’ai compris que les tueurs ne nous étaient pas aussi étrangers qu’on le croyait. Non, ils représentaient la branche armée du politiquement correct. Ils disaient avec des kalachnikovs la même chose que l’intelligentsia avec des mots : tu ne blasphémeras pas contre l’islam.

Dix ans plus tard, les frères ont gagné. Ils sont morts, mais leur idéologie implacable est vivante. Elle n’est pas imposée par la violence, mais par les lâches diktats de nos élites qui ont sacrifié la libre parole à la sensibilité islamique. C’est intolérable. La liberté d’expression est la plus grande liberté. C’est elle qui rend la démocratie possible et la vie digne d’être vécue. Le droit de se moquer de tous les dieux, prophètes, idéologies et modes est essentiel à une société libre. Et ni les fascistes de l’islam radical, ni les âmes sensibles de nos élites n’ont le droit de nous en priver.