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Patrick Boucheron: une proposition d’actualisation de fiche Wikipédia

Plutôt que de lire sa fiche Wikipédia, notre chroniqueur propose de lire son portrait dans Le Figaro, et de découvrir la vérité sur un apparatchik médiatico-universitaire…


Je l’avoue, je me suis régalé en lisant, dans Le Figaro du 14 janvier, l’implacable papier de Paul Sugy sur Patrick Boucheron. L’historien préféré des wokistes y apparaît enfin pour ce qu’il est réellement : un intrigant universitaire et un affairiste médiatique. Directeur d’un ouvrage de déconstruction historique qui fit grand bruit, animateur d’émissions historico-diversitaires sur l’audiovisuel public, co-scénariste de la cérémonie glauque des Jeux Olympiques, le professeur au Collège de France n’est pas peu fier d’avoir gagné en notoriété médiatique ce qu’il a perdu en exigence universitaire. M. Boucheron triomphe dans les médias mais néglige le travail de fond qui fit la réputation de ses éminents prédécesseurs, Braudel, Duby ou Leroy-Ladurie. Le cou se gonfle d’orgueil à mesure que l’audimat augmente. La tête prend des allures de montgolfière à chaque article élogieux paraissant dans la presse progressiste. Les JO de Paris ont été l’acmé de la carrière de ce « fossoyeur du grand héritage français » (Alain Finkielkraut). Depuis cet événement, Patrick Boucheron croit dur comme fer qu’Aya Nakamura est une artiste exceptionnelle et que lui-même a offert au monde un spectacle inoubliable, une ode au « métissage planétaire » qui aura sa place dans les livres d’histoire.

Histoire et déconstruction

En 2017, quelques mois après la sortie de L’Histoire mondiale de la France – manuel de destruction de l’histoire de France dirigé par Patrick Boucheron dont le succès fut assuré par les médias publics et la presse mainstream – le cauteleux professeur déclarait dans La Voix du Nord : « Être l’objet d’un engouement dans la sphère publique c’est perturbant pour quelqu’un comme moi, qui fonctionne sur une forme de retenue, de patience, de pudeur. Je fais tout pour l’éviter, mais en même temps, je me dois sans doute au public, je suis même payé pour cela ! » Pour peu qu’elles aient jamais réellement existé, il semblerait bien que cette retenue et cette pudeur soient de l’histoire ancienne. M. Boucheron est aujourd’hui un agent incontournable de la société du spectacle médiatico-universitaire. Le chercheur a fait place à un idéologue post-national, chantre d’une absconse « hybridation des cultures », capable de tout pour élargir son influence.   

Copinages

« Il est à la tête d’un vaste système mandarinal », écrit Paul Sugy en rapportant les propos d’un professeur de la Sorbonne qui ajoute : « Il joue au puissant ou à l’initié, vous parle en baissant la voix, montre qu’il sait ce qu’il ne sait en réalité pas toujours, affecte d’être au courant de quelque chose que votre ignorance ne vous permet pas de soupçonner, prétend avoir lu des livres qu’il n’a même pas ouverts. » L’homme semble doué pour les intrigues et les renvois d’ascenseur douteux ; Paul Sugy nous apprend ainsi que, nommé au Collège de France grâce à l’historien Roger Chartier, il y a fait entrer Antoine Lilti (dont j’ai narré dans Causeur le passage sur France Inter quelques jours après sa nomination1), protégé de Chartier, « après que celui-ci a siégé au jury de l’habilitation à diriger des recherches de sa compagne, Mélanie Traversier. Le travail de recherche de cette dernière sera d’ailleurs publié dans un livre qui obtient une longue et élogieuse recension dans Le Monde des livres, signée de… Roger Chartier ». Copinage, pistonnage et grenouillage font bon ménage dans certains milieux universitaires. Dans les salons feutrés du Collège de France, on préfère parler de « cooptation ». 

A lire aussi, du même auteur: Six femmes en colère

Terreur intellectuelle

Le dernier opuscule de Patrick Boucheron, Le temps qui reste, est une boursouflure narcissique dont j’ai rendu compte dans ces colonnes2. Trop occupé à promouvoir l’idéologie woke et déconstructiviste, l’historien ne produit plus de véritables travaux universitaires depuis longtemps et se contente de diriger de loin des ouvrages collectifs, de superviser les thèses d’étudiants acquis à la cause historiographique du maître ou de pondre des prospectus dogmatiques et nombrilistes. Adieu l’histoire médiévale, bonjour les invectives ampoulées contre l’extrême droite, « l’étrécissement identitaire », le récit national et « les thuriféraires de l’enracinement ». En plus de siéger au comité de rédaction de la revue L’Histoire, Patrick Boucheron a rejoint le Seuil comme conseiller éditorial pour la collection L’Univers historique. Il y fait régner, dit-on, une sorte de terreur intellectuelle. « Il fait signer des contrats d’édition à la pelle à ses amis ou à ceux qui lui montrent de la déférence, confirme un autre grand historien de la Sorbonne, mais cela lui sert surtout à flatter une clientèle et à rémunérer ses amis historiens, il ne fait pas vraiment le travail de suivi des manuscrits », écrit Paul Sugy. Bien entendu, Le Monde, Le Nouvel Obs et Télérama lui ouvrent régulièrement leurs colonnes. Bien sûr, les Rendez-vous de l’histoire de Blois ne sauraient se passer de l’historien médiatique et de ses auteurs édités au Seuil – les amateurs d’histoire peuvent ainsi bénéficier chaque année de ses lumières et de celles de ses courtisans. Sur la radio publique, en revanche, les choses se sont, semble-t-il, envenimées au fil des saisons, jusqu’à la séparation. Que reprochait-on à l’historien ? Son dilettantisme, son goût exagéré pour l’entre-soi, son obstination idéologique ostentatoire, son pédantisme. « Quand on a commencé avec lui, nos amis d’Arte [où l’historien a également sévi] nous ont dit qu’on allait en baver… On aurait dû les écouter ! », avoue à Paul Sugy un journaliste de Radio France. Ecarté des programmes de France Inter, Patrick Boucheron ira pleurnicher dans les colonnes de Libération en déplorant « un climat anti-intellectuels inquiétant » au sein du service public. Le professeur préfère visiblement la chaleur des projecteurs médiatiques à la douce froideur des lumières tamisées du Collège de France : les JO passés, fort de sa nouvelle réputation de créatif woke, cet arriviste médiatique est parvenu à obtenir la production et l’animation d’une nouvelle émission hebdomadaire sur France Culture. 

On tourne en rond

Conclusion prospective. Le colloque de rentrée 2024 du Collège de France s’intitulait “Genre et Sciences”. Un des intervenants était l’inépuisable représentant de la papesse du genre Judith Butler, l’autoproclamé sociologue Éric Fassin. Sa conférence, intitulée “Science du genre” – résumé de cette farce : les « études sur le genre » relèveraient du « domaine scientifique » et les « campagnes anti-genre » exprimeraient une « logique anti-démocratique » – a été introduite par un autre éminent professeur au Collège de France, François Héran, en charge de la chaire “Migrations et sociétés”. François Héran est un démographe convaincu que l’immigration est ce qui peut arriver de mieux à la France, pays qui n’a pas pris sa part dans l’accueil des « réfugiés » et dans lequel le racisme systémique et l’islamophobie croissent jour après jour, d’après lui. Sur les sujets touchant à l’immigration ou aux thèses wokes, François Héran pense la même chose que Patrick Boucheron qui, lui-même, pense la même chose qu’Éric Fassin, frère de Didier Fassin, anthropologue et professeur au Collège de France qui, lui, pense la même chose que François Héran. Je ne serais pas étonné si, dans quelque temps, nous apprenions la nomination d’Éric Fassin au Collège de France !

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  1. https://www.causeur.fr/antoine-lilti-au-college-de-france-le-strabisme-intellectuel-249093 ↩︎
  2. https://www.causeur.fr/le-temps-qui-reste-patrick-boucheron-271924 ↩︎

Les brefs univers de François Thibaux

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Écrivain trop peu reconnu, nouvelliste hors pair, François Thibaux propose un recueil de douze nouvelles qui naviguent entre fantastique fou et réalisme âpre. C’est très fort.


Version 1.0.0

Il réside près de Soissons (02), et son éditeur, l’excellent Cours Toujours, n’est pas loin. Il pourrait sembler au premier abord que François Thibaux joue la carte du régionalisme, voire du départementalisme axonais. Point. L’écrivain a plus d’une corde à son arc et, bienheureusement, ne se limite pas au terroir, si superbe soit-il. (L’Aisne n’est-il pas le plus département français ?) Par ailleurs romancier et traducteur, auteur de onze romans, de trois recueils de nouvelles, notamment lauréat du prix Paul-Léautaud 1997, du prix Joseph-Delteil 2000 et surtout, surtout, du prix Loin du marketing 2017 (ça ne s’invente pas ! Qui d’autre que lui pouvait se voir honorer d’une telle récompense ? Elle lui va comme un gant !), François Thibaux nous donne à lire Le Vélo de l’ange, un opus de douze textes courts, fictions singulières, étonnantes, captivantes, envoûtantes, qu’il ancre, bien sûr, dans sa chère Picardie, mais aussi en Sicile, dans le Sud-Ouest, et dans le grand Est lointain. Certains écrivains, pourtant de qualité, manquent d’univers, ou, tout au moins, se dispersent « façon puzzle », comme eût dit Bernard Blier. Thibaux creuse son sillon, buté, têtu, mu par la terrible détermination de surprendre son lecteur ; il y réussit non sans brio et panache.

Trotski au clavier

Dès la première nouvelle, le narrateur attend un accordeur de piano. Quelqu’un frappe à la porte ; c’est Léon Trotski. Serait-ce le copain du percutant Ramòn Mercader qui va s’asseoir au clavier ? Son sosie ? On est dans le doute. Il cale le bloc de l’instrument avec une biographie, Vie de Charles IX, ne cesse de proposer de l’alcool à Léon qui, poliment, refuse. Trotski parti, il finit par apprendre que l’accordeur, le vrai, a eu un problème sur la route ; cela ajouté à un téléphone portable privé de batterie, il n’a pas pu prévenir ; les établissements Ducrotois, spécialisés dans l’accordage de pianos, s’en excusent. Etrange, non ? Les autres nouvelles sont du même tonneau, toutes écrites dans un style impeccable, limpide, précis, poétique mais sans affèterie.

Ici, au cours d’un enterrement, « l’eau du ciel (qui) noircissait le cercueil » ; un peu plus loin, apparaît une nonne naine, « plus cireuse qu’un cierge ». Là, d’un couple qui ne s’entend pas : « (…) elle était trop méchante pour lui. » Ou, d’un prêtre, dans son presbytère, qu’il imagine « mâchonnant du pain dur au beurre rance et des sardines à l’huile. » On comprend alors qu’on en en train de lire un vrai nouvelliste ; un roi du bref ; un sprinter de haute volée.

Le Vélo de l’ange, François Thibaux ; éd. Cours toujours ; 127 p.

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Pour un cinéma décomplexé!

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Bertrand Blier, le réalisateur français césarisé et oscarisé, né en 1939 vient de mourir à l’âge de 85 ans. Il laisse derrière lui l’empreinte d’un cinéma de qualité, populiste, éruptif et hautement sensible…


Il était le fils d’un acteur argentin de la rue d’Amsterdam, un danseur de mots, de l’ancienne école, celle de Jouvet et du vélocipédiste du XIVème arrondissement. Celle de la diction parfaite, un crayon dans la bouche, et de l’embrouille populaire, de l’esclandre qu’il soit sur le zinc ou chez Molière, sur des tréteaux, de la casse automobile et des amours impossibles. Bertrand, cet anar qui se marrait, barbu barbouze de la comédie dissonante était trop jeune pour s’arcbouter sur les valeurs rances du théâtre filmé de papa et trop lucide pour se laisser embarquer dans les fumisteries hippies. On se demande dans notre époque javélisée où le moindre téton à l’écran est ostracisé et où l’humour noir n’est compris que par une minorité d’humains, comment il aurait pu continuer à tourner dans cette nasse folle. Le monde actuel de la culture, les doigts sur la couture, pétitionnaire, à vocation rééducative ne comprend rien à ce cinéma des entrailles de notre pays qui fanfaronne, carillonne, régurgite son passé avec le brio des désenchantés. Alors, calmos les cinéphiles à bonnet phrygien ! Car, il y a, derrière cette fange à la Villon, cette hallebarde qui arrache des sourires pour ne pas sombrer, ces coups de reins salvateurs à l’arrière des berlines, tous ces combinards aux abois, une esthétique du déclassement, et encore plus loin, au bout du bout, à force d’assauts répétés pour fissurer le mur des indifférents, un romantisme d’écorché, presque primitif. Son cinéma était aussi choquant que sentimental ; par peur d’être submergé par les grandes émotions, Blier pétaradait, il montrait les biceps, roulait des mécaniques, affichait le visage hermétique du réactionnaire en goguette mais personne n’était dupe. Il était du côté des solitaires, il ne beuglait pas avec les masses autoritaires et satisfaites. Il aimait les sorties de piste, les embardées castagneuses ; il aimait provoquer la ménagère et harponner nos petites misères qu’elles soient sociales ou sexuelles, politiques ou économiques. C’est parce qu’il ne respectait aucun totem, qu’il va nous manquer; avec lui, l’air de la discorde passait mieux. Les mauvais garçons, taulards et queutards l’inspiraient, les friches industrielles aux abords des buildings étaient son terrain vague d’expérimentation, toute cette société de consommation en débandade, la lutte des classes sur le plumard et les fins de mois difficiles, il en faisait son lit.

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Le décor de nos quarante dernières années est là, dans sa pâleur et sa froideur, ses mesquineries et ses boursouflures. Lui, le bien né, à l’abri financièrement, a été celui qui a touché au plus près, avec sa caméra, des virilités absurdes, et de cette mouise généralisée dont nous avons héritée. On est tous en cellule, mon p’tit pote. À un moment, faut casquer ! Il aura fait le pont entre le mot et la gueule d’atmosphère. Entre deux époques, celle de Guitry et de Zidi. Il aura toujours pris, tout au long de sa carrière, le parti d’en rire avec la phrase en arme de self-défense et l’ironie mordante, seule richesse des générations surnuméraires. Il se méfiait de l’esprit de sérieux qui gangrène toute activité artistique. L’art se détourne des diseurs de bonne aventure, à la fin, il ne reste que les oiseaux de mauvais augure. Il aimait les ratés et les funambules. Cette misanthropie rieuse a secoué le cinéma cocardier des années 1970, loin des comédies boulevardières et des auteurs miséricordieux. Il conspuait le victimaire. Blier pratiquait un cinéma d’attaquant goguenard, de démystificateur joyeux sous couvert d’une noirceur atrabilaire. Il donnait rendez-vous à Simenon et au Splendid, réunissait la bande du Conservatoire et le café-théâtre. C’est-à-dire le plaisir de la réplique sèche, mitrailleuse, un peu irascible, vacharde, décomplexée, parce qu’il ne faut jamais garder pour soi les bons mots même lorsqu’ils font mal aux adultes et une ambiance dépouillée, presque ascétique. Dans ce corner où il excellait, il ne prenait aucune pincette avec les bonnes gens, il poussait toujours plus loin le bouchon, l’hallali des professions sentencieuses lui donnait le sourire et de l’énergie. Il se mit à dos les bourgeois, les femmes, les instructeurs de morale et tous les démagos du pays. Et pendant ce temps-là, nous étions à la fête, des loulous piquaient une DS, il ne faisait pas bon se promener sans couteau dans les couloirs du métro, Marielle était Donquichottesque, Jacques François sermonneur en chef et puis Josiane et Carole étaient les deux faces d’une même romance en marche.

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Bruno Mégret: « Beaucoup de mauvaises langues ont tenté de faire croire que la scission de 98 venait d’une volonté de ma part de prendre la place de Le Pen ! »

Bruno Mégret réagit à la mort de Jean-Marie Le Pen. L’ancien numéro 2, qualifié de « félon » en 1998 par le « Menhir », s’était finalement réconcilié avec son ancien ennemi. Il partage avec nous quelques souvenirs.


Causeur. Au moment de rejoindre le Front National, vous dirigiez votre propre structure les CAR, parfois présentée comme concurrente. Comment s’est déroulée votre première rencontre ou prise de contact avec Jean-Marie Le Pen ? Qui en fut à l’initiative ?

Bruno Mégret. Au lendemain des élections de 1981 et de la victoire de Mitterrand, je fais l’analyse qu’il existe dorénavant une place pour un nouveau parti, un vrai parti de droite qui serait porteur d’un grand projet de renouveau national libéré de l’emprise idéologique de la gauche. C’est pour initier ce projet ambitieux qu’avec quelques  proches, nous lançons les Comités d’action républicaine, les CAR. Lesquels rassemblent très vite de nombreux Français notamment parmi ceux qui accusent les partis de droite d’avoir laisser la gauche gagner en ne s’opposant pas clairement à elle. Forts de ce soutien, nous commençons à constituer une petite force politique : quinze mille adhérents, cent vingt comités. Aussi, dans la logique qui était la nôtre décidons-nous de présenter une liste aux élections européennes de 1984. Hélas, nous ne parvenons pas à rassembler les fonds nécessaires et Le Pen, qui lui a réussi à présenter une liste, réalise un score spectaculaire de près de 10 %. Dès lors les jeux sont faits. C’est Le Pen qui va créer le parti politique nouveau que je pensais possible de faire émerger à la droite du RPR. La dynamique est désormais de son côté.

C’est dans ce contexte que je réponds à l’invitation d’un ami chef d’entreprise qui organise un déjeuner chez lui avec Le Pen et d’autres personnalités. Je découvre alors un homme intelligent et cultivé qui développe une analyse fine de la situation politique du pays. Analyse que je partage. Je me reconnais aussi dans la plupart des idées et des convictions qu’il exprime. Bref, je découvre une personnalité beaucoup plus riche et intéressante que celle qu’en donnait le prisme déformant des médias. Lui aussi remarque les nombreux points qui nous rapprochent. Mais les choses en restent là.

Et rien ne se passe jusqu’à ce que Le Pen annonce qu’aux élections législatives de 1986, il ne présentera pas que des candidats FN mais qu’il fera appel à des personnalités d’ouverture non membres de son parti, les uns et les autres adoptant l’étiquette de « Rassemblement national ». Je me dis alors qu’il faut saisir cette opportunité et je prends contact avec Le Pen, ou plutôt c’est Patrick Buisson, partisan de ce rapprochement, qui nous met en relation. La rencontre a lieu à Montretout et nous nous mettons facilement d’accord sur le dispositif par lequel les CAR se joindront au FN dans le cadre du Rassemblement national pour les élections législatives et régionales. Deux circonscriptions éligibles sont prévues pour Jean-Claude Bardet et moi-même ainsi qu’un quota de conseillers régionaux. Une relation de confiance s’établit d’emblée car lorsque nous nous quittons, aucun papier n’est signé et nous ne nous reverrons pas avant la campagne électorale. Pourtant les accords seront respectés : je suis élu député de l’Isère et Jean-Claude Bardet est hélas battu de justesse à Nancy.

Les journalistes et les historiens vous accordent une place importante dans le développement et la professionnalisation du Front National à partir de la fin des années 1980. Le contrôle ou l’influence sur l’appareil ont souvent été décrits comme une lutte constante entre courants idéologiques ou lieutenants de Jean-Marie Le Pen (Bruno Gollnsich, Carl Lang, Jean-Pierre Stirbois et vous-même). Qu’en était-il ? Y avait-il un tel climat de méfiance ?

En 1988, lorsque j’ai commencé à me déplacer en province à l’invitation des fédérations, je me suis rendu compte que le parti était en effet très fragmenté. Telle fédération par exemple était principalement composée de militants défenseurs des artisans commerçants et PME style poujadistes, d’autres étaient monopolisées par d’anciens partisans de l’Algérie française comme d’autres l’étaient par des adeptes de la Nouvelle droite. Et bien sûr, ces courants étaient tous représentés à l’échelon national, une situation qui pouvait être source de tensions.

Lorsque j’ai été nommé délégué général, j’ai cherché alors à homogénéiser  le mouvement en développant une doctrine propre au FN, dans laquelle chacun puisse se retrouver sans pour autant, d’ailleurs, abandonner sa spécificité. Ce processus a été mis en œuvre par l’adoption d’un programme de gouvernement (les « 300 mesures » du FN),  mais aussi par la publication mensuelle d’une revue doctrinale, la Revue Identité fondée par Jean-Claude Bardet, laquelle avait vocation à expliciter ce corpus doctrinal commun du FN. On y retrouvait des signatures comme celles de Jean-Yves Le Gallou ou Didier Lefranc, anciens du Club de l’horloge, mais aussi celles de Bernard Antony ou de Georges-Paul Wagner, attachés à la tradition religieuse et politique et bien d’autres encore.

A lire aussi, Lucien Rabouille: Jean-Marie Le Pen et ses anciens lieutenants: scissions en fanfare, réconciliations en sourdine

Je considère que dans ce processus de construction politique, la formation des cadres a joué un rôle majeur. Celle-ci se pratiquait lors de séminaires durant un week-end entier et portait surtout sur l’aspect idéologique, réalisant peu à peu l’unité du parti autour d’un corpus commun. L’idée centrale était que la scène politique n’était plus en réalité marquée par un antagonisme droite / gauche classique mais que le FN représentait à lui seul la défense de l’identité et de la souveraineté de la France face à une classe politico-médiatique qui militait, quant à elle, pour le mondialisme migratoire et libre-échangiste. C’est aussi dans ces séminaires qu’on s’attardait sur la question du vocabulaire. J’y participais souvent car c’était aussi l’occasion de juger de la valeur des personnes et de repérer celles qui pouvaient être promues ou investies.

Quant à la professionnalisation du parti, elle s’est faite progressivement. On a mis en place un Conseil scientifique qui réunissait des personnalités de haut niveau du monde universitaire ou du monde économique, et un centre argumentaire composé d’experts pour rédiger les textes des nombreux documents que nous éditions pour notre communication. Je pense aussi à la cellule qualifiée de propagande qui jouait un rôle important en concevant et fabriquant les affiches et documents que les militants utilisaient sur le terrain. Il y a eu également la professionnalisation des grandes manifestations du mouvement. Nous avions lancé aussi une publication mensuelle pour l’information des adhérents  ainsi qu’une maison d’édition pour publier les ouvrages d’auteurs issus de notre famille politique que les maisons d’édition refusaient de prendre comme le rapport Milloz sur le coût de l’immigration.

Quelle a été votre réaction et la réaction des cadres et des membres du Bureau politique aux différents scandales ou « dérapages » verbaux de Jean-Marie Le Pen ?

Ma réaction a été négative, bien sûr. Mais lorsque les premiers dérapages sont intervenus, les cadres comme les militants ont été solidaires non pas des propos tenus mais du président de leur mouvement qu’ils aimaient pour son talent, son courage et ses convictions. On a constaté ainsi que les attaques lancées contre Le Pen, même après une provocation verbale de sa part, avaient eu pour effet de renforcer la cohésion du mouvement.

Au début des années quatre-vingt-dix, lorsqu’il est apparu que ces dérapages se multipliaient et devenaient pour Le Pen un véritable mode de communication, les militants, les cadres et les élus  ont éprouvé un agacement croissant, considérant que Le Pen ruinait ainsi le travail qu’ils menaient sur le terrain.

La scission de 1998 était-elle évitable ? A quoi (ou à qui) l’attribuez-vous, avec le recul ?

Il y avait depuis le début entre lui et moi une différence fondamentale d’approche. Lui vivait cette aventure politique comme un parcours personnel, qui lui permettait d’exprimer ses convictions tout en lui apportant la célébrité et une forme de reconnaissance sociale. Le parti n’était à ses yeux qu’un accessoire dont il avait besoin pour les élections mais qui par ailleurs ne l’intéressait pas vraiment. De mon côté, en revanche, je m’étais lancé dans l’édification d’une force politique solide et durable qui devait croître et mûrir jusqu’à être en mesure de conquérir le pouvoir. Une formation structurée par des cadres formés et motivés, enracinés dans les régions et les communes de notre pays et porteuse d’une nouvelle idéologie, en phase avec les Français et décidée à mettre en œuvre son projet pour la France. L’écrasante majorité des cadres et des militants partageaient ce projet. Aussi étaient-ils de plus en plus mécontents d’un président qui, par ses dérapages répétés, donnait des arguments à leurs adversaires pour justifier la diabolisation qu’ils subissaient. Ils s’en plaignaient souvent à moi, menaçant de tout laisser tomber si cette situation perdurait.

La scission n’est donc pas venue, comme beaucoup de mauvaises langues ont tenté de le faire croire, d’une volonté de ma part de prendre la place de Le Pen. Très extraverti, il avait les qualités pour être sur la scène et j’étais très heureux de pouvoir faire pour le parti ce travail de construction politique qui me passionnait. Et, cette complémentarité du numéro un et du numéro deux aurait pu perdurer si Le Pen ne s’était pas engagé dans une logique de provocations régulières qui ruinait mon travail comme celui de tous les cadres du mouvement. En fait, la scission s’est produite pour les mêmes raisons que celles qui ont conduit vingt cinq ans plus tard Marine Le Pen à exclure son père du Front national.

Pourquoi la scission a-t-elle échoué ?

Peu de temps après la scission ont eu lieu les élections européennes de mai 1999. Le Pen présente sa liste et moi la mienne. Il est clair que c’est le résultat de cette élection qui allait décider du sort de cette scission. Celui qui l’emporterait aurait des députés européens, des subsides ainsi que la légitimité offerte par le scrutin. La liste Le Pen fait 5,5% et la mienne 3,5 % ! L’écart est très faible mais c’est Le Pen qui l’emporte et ceci pour une raison simple : le système a choisi Le Pen. Il considère en effet que je suis « plus dangereux » que lui en ce sens que le Pen par ses outrances restera sous contrôle et n’arrivera jamais aux portes du pouvoir. En revanche, les ténors de la classe politico-médiatique savent que je suis partisan à la fois d’une dédiabolisation et d’un enracinement du FN tout en maintenant une ligne politique sans concession. Le Système décide donc qu’il vaut mieux Le Pen que Mégret et, Serge July lance le mot d’ordre dans un éditorial de Libération où il explique clairement pourquoi il vaut mieux la victoire de Le Pen.

Il en résulte aussitôt deux événements majeurs. La procédure intentée par Le Pen pour faire reconnaître que le logo et le nom du Front national lui appartiennent, et qui aurait du donner lieu à un jugement bien après les élections, a été menée au pas de charge juste avant le scrutin. C’est cette décision de justice qui a donné la victoire à Le Pen car beaucoup d’électeurs du FN étaient hésitants et nombre d’entre eux s’en sont remis à la décision de justice : ils ont pris le bulletin de vote qui portait la flamme.

A lire aussi, Paul Rafin: Les médailles de Jean-Marie Le Pen

Ajoutons à cela que, dès la décision de justice rendue, le Premier ministre socialiste de l’époque a aussitôt débloqué en faveur de Le Pen les fonds publics du FN qui étaient jusqu’alors gelés.

On peut aussi rappeler que lors de ces élections européennes, Pasqua et Villiers se sont unis autour d’un Rassemblement pour la France, réalisant un score sans lendemain mais tout à fait spectaculaire de près de 15 %, ne nous laissant aucune marge de manœuvre pour récupérer des voix sur notre gauche.

Ainsi le destin en a-t-il décidé.

La scission fut un évènement assez spectaculaire. Aussi, la (ou les, si l’on songe déjà à celle de 2006) réconciliation (s) pourraient étonner. Qui en fut notamment à l’initiative ? A titre personnel, en avez-vous été heureux ? Cette réconciliation a-t-elle entraîné une réconciliation générale entre Jean-Marie le Pen et les anciens membres du Front National ?

En 2007, le temps a passé depuis la scission et le MNR n’est plus en mesure de collecter les 500 signatures qui auraient été nécessaires pour que je puisse me présenter à l’élection présidentielle. Or, Le Pen propose à cette occasion un rassemblement des Patriotes pour soutenir sa candidature. Je pense qu’il s’agit d’une main tendue dans ma direction et je décide d’y répondre. Nous nous retrouvons dans son bureau à son domicile de Rueil-Malmaison, là où il vit. Le premier contact est un peu froid. Il me demande si j’ai déclenché la scission de peur de ne pas être reconduit sur la liste européenne. Je le regarde, un peu ahuri qu’il ait imaginé une motivation aussi dérisoire, et j’en conclus qu’il avait bien l’intention de m’expulser de toutes mes positions et mandats au FN de l’époque. Mais nous passons vite à autre chose et nous tombons d’accord, comme souvent autrefois, sur l’analyse de la situation politique. Puis, je lui parle de son Union patriotique qui manifestement n’était pas très structurée. Nous en discutons et nous convenons finalement de faire une conférence de presse commune au cours de laquelle j’annonce mon soutien à Le Pen pour l’élection présidentielle qui vient. C’est une réconciliation mais chacun restera sur ses positions concernant la scission dont nous n’avons en réalité jamais reparlé.

A l’époque, beaucoup de militants et de cadres du MNR ont déjà rejoint le FN, parfois même pour y occuper des responsabilités importantes. D’autres, très nombreux, ne l’ont jamais fait. En revanche, beaucoup d’anciens du MNR ont soutenu Éric Zemmour et ont milité pour lui à la dernière présidentielle, pour le quitter ensuite, déçus.

Que retiendrez-vous de Jean Marie Le Pen ? Quelle fut votre réaction à l’annonce de sa mort ?

Jean-Marie Le Pen aura été avant tout un grand lanceur d’alerte qui a dénoncé il y a près de cinquante ans les graves dangers qui accablent actuellement la France et dont chacun semble enfin prendre conscience. 

Si nous avions été écoutés à l’époque, aucun de ces fléaux majeurs qu’est le mondialisme migratoire et libre-échangiste ne serait aujourd’hui en mesure de menacer la France dans son existence même. Jean-Marie Le Pen aura joué ce rôle envers et contre tout, malgré les attaques ignobles qu’il subissait, montrant ainsi le courage et les convictions qui l’animaient.

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Jean-Marie Le Pen et ses anciens lieutenants: scissions en fanfare, réconciliations en sourdine

Entre scissions explosives, retrouvailles discrètes et un soupçon de rancune jamais vraiment digérée, les histoires de Jean-Marie Le Pen avec ses anciens lieutenants prouvent qu’en politique, on se quitte souvent… mais on ne se perd jamais vraiment de vue ! Nous avons interrogé Jacques Bompard, Carl Lang, Jean-Claude Martinez et Bruno Mégret


Ils ont été collaborateurs, compagnons de route, fidèles lieutenants, amis et parfois intimes de Jean-Marie Le Pen. Puis ils l’ont quitté, affronté, combattu dans les urnes. Bruno Mégret, Jean-Claude Martinez, Carl Lang, Jacques Bompard : tous ont joué un rôle important au sein du Front National avant de le quitter avec fracas pour in fine retrouver Jean-Marie Le Pen au soir de sa vie.  Témoignages.

Avec Le Pen, tout commence par une rencontre…

Jacques Bompard adhère au Front à sa fondation en 1972 et Carl Lang en 1978. Tous deux étaient des nationalistes convaincus qui voulaient en découdre. Simplement, le Front National est alors un groupuscule dépassé au sein même de la droite radicale par le Parti des Forces nouvelles. Ses scores sont groupusculaires (0.75% pour Jean-Marie le Pen en 1974). Pourquoi ce choix en apparence peu avantageux ? « J’ai estimé, compte tenu de la personnalité de Le Pen, ancien député, candidat à la présidentielle, que c’est le FN qui était le plus à même de faire vivre nos idées. Je souhaitais faire de la politique sur un terrain électoral que délaissait le PFN » assure Carl Lang, qui confesse « Quand je deviens secrétaire départemental dans l’Eure, on me transmet le fichier. Nous sommes deux adhérents dont moi-même ». Mais Le Pen est le seul qui dans leur famille politique parait taillé pour le rôle de leader : « Quels qu’aient été les scores électoraux, on ne s’était pas posé la question d’arrêter ou de continuer. Aucun soupir à aucun moment… Tout était possible » raconte Carl Lang. La foi du charbonnier…. Ils étaient sensibles à son charisme, son talent et supportaient au quotidien sa grande gueule. Pour rencontrer le succès, il suffisait que les Français la connaissent. Avec le coup de Dreux avec Jean-Pierre Stirbois en 1983, le passage à l’Heure de vérité en 1984, Carl Lang voit un basculement : « Les salles se remplissent d’un seul coup. 2000 personnes, 3000 personnes là où nous pouvions faire des réunions à cinquante auparavant ». Les européennes de 1984 sont une consécration : 10.95 % des voix et dix élus. Pour Le Pen comme pour ses lieutenants, c’est la fin d’une longue traversée du désert. Figurant désormais parmi les partis qui comptent au niveau national, le Front National cherche à recruter des gros poissons : « Nous faisons élire en 1986 au bénéfice de la proportionnelle un groupe d’une remarquable qualité » assure Carl Lang. Trente-cinq députés parmi lesquels des avocats, des chefs d’entreprise, des professeurs de droit, des polytechniciens, et non la bande de soudards poujadistes avec laquelle siégeait Le Pen en 1956… Parmi eux, le Professeur Jean-Claude Martinez (major à l’agrégation de droit public), élu dans l’Hérault, et Bruno Mégret, sorti de X et de l’école des Ponts et Chaussées, élu dans l’Isère. Comment Le Pen réussit-il ces débauchages ? Bruno Mégret avait alors sa propre structure, les CAR, comités d’action républicaines, lancés dans la foulée de l’élection de Mitterrand. Mais le succès du Front National le prend de vitesse. Il devra donc passer par Le Pen s’il veut faire de la politique. Pour le rencontrer, il lui faut un intermédiaire : « C’est Patrick Buisson, partisan de ce rapprochement qui nous met en relation.Une relation de confiance s’établit d’emblée ». Quand Jean-Claude Martinez rejoint Jean-Marie Le Pen, l’universitaire est déjà un trublion médiatique : auteur d’une lettre ouverte aux contribuables alors bien relayée notamment par le Figaro Magazine, défenseur de la Nouvelle Calédonie française, ancien conseiller fiscal d’Hassan II… « Ma rencontre avec Le Pen, c’est quand même du roman » plaisante-t-il avant d’énumérer avec délectation le défilé d’intermédiaires improbables (« Le cabinet du roi du Maroc, un médecin de la clinique Necker, Jean Raspail, l’Irak et même Yves Mourousi ! ») qui de fil en aiguille l’amènent à diner avec Le Pen « qui me donne tout de suite du Monsieur le professeur ». Le richissime baron de Montretout restera toutefois pingre ce soir-là : « Je pensais qu’il allait m’inviter, ce qui ne fut pas le cas ».

Les députés ne sont pas réélus en 1988 mais Le Pen réalise un beau 14.39 % à l’élection présidentielle. L’histoire du FN continue. Jacques Bompard est élu maire d’Orange en 1995. Jean-Claude Martinez, Carl Lang et Bruno Mégret redeviennent députés européens. Ce dernier parvient à faire élire son épouse maire de Vitrolles en 1997. Il prend un réel ascendant sur l’appareil du FN qu’il aimerait perfectionner : « En 1988, lorsque j’ai commencé à me déplacer en province à l’invitation des fédérations, je me suis rendu compte que le parti était en effet très fragmenté. Telle fédération par exemple était principalement composée de militants défenseurs des artisans commerçants et PME style poujadistes, d’autres étaient monopolisées par d’anciens partisans de l’Algérie française comme d’autres l’étaient par des adeptes de la Nouvelle droite. Et bien-sûr, ces courants avaient tous des représentants à l’échelon national, une situation qui pouvait être source de tensions », raconte Bruno Mégret. Ce Front National d’autrefois, très militant, étoffé de forts caractères, inspire une tendre nostalgie à ses anciens cadres : « J’ai rencontré au Front National des personnalités exceptionnelles », assure Carl Lang, citant par exemple Michel de Camaret, ancien résistant et député européen. Jean-Claude Martinez prend l’air aventurier pour raconter des anecdotes improbables : « Je me retrouve en voyage en Irak, planté en plein désert à voir le recteur de Babylone discuter de la réintégration au FN d’un militant de base de Montpellier avec le Pen. »

Guerres de scission

Pourtant, quelque chose finit toujours par coincer entre Le Pen et ses lieutenants : « Il y avait depuis le début entre lui et moi une différence fondamentale d’approche. Lui vivait cette aventure politique comme un parcours personnel, qui lui permettait d’exprimer ses convictions tout en lui apportant la célébrité et une forme de reconnaissance sociale. Le parti n’était à ses yeux qu’un accessoire », reconnait Bruno Mégret qui rêvait d’un parti structuré et professionnel qui puisse survivre à son fondateur. Mais la personnalité de Le Pen écrase tout et la réitération des dérapages et scandales du président du Front National est mal vécue en interne. « On les subissait… il cassait le travail local que l’on faisait » soupire Jacques Bompard. Même constat, du côté de Bruno Mégret : « Les militants, les cadres et les élus ont éprouvé un agacement croissant, considérant que Le Pen ruinait le travail qu’ils menaient sur le terrain. »

A force de crispations, de non-dits et de rivalités pour le contrôle de l’appareil, les choses finissent par exploser. 1998-1999, c’est la spectaculaire scission. Bruno Mégret défie ouvertement l’autorité de Jean-Marie Le Pen, lequel cherche à le marginaliser. L’ancien numéro 2 est alors exclu du FN, fonde le MNR, est candidat aux présidentielles de 2002 mais plafonne à 2.34% des voix. Si Le Pen accède cette année au second tour de la présidentielle, il perd dans la scission l’essentiel de son appareil partisan. Tout le monde est perdant. « Très extraverti, il avait les qualités pour être sur la scène et j’étais très heureux de pouvoir faire pour le parti ce travail de construction politique qui me passionnait », se souvient Bruno Mégret. Pour Carl Lang, « les torts sont partagés mais la scission a été calamiteuse pour tous. Avec un peu plus de psychologie, cela aurait pu être évité… » Bompard, Martinez et Lang avaient pris parti pour Le Pen contre Mégret mais seront à leur tour exclus. D’abord en 2005 pour Bompard qui conteste la normalisation idéologique du parti opérée par Marine Le Pen et se replie sur son fief d’Orange.  « Nos relations se dégradent à partir de 2003. Jean Marie le Pen était entré dans une logique de front familial » assure Carl Lang qui est exclu après avoir monté en 2009 une liste européenne dissidente face à Marine Le Pen, investie dans sa circonscription du Nord-Ouest. Il lancera son propre parti, le Parti de la France mais qui ne prendra jamais… Dans la circonscription du Sud-Ouest, Jean-Claude Martinez est prié de s’effacer devant Louis Aliot. Il présente de son côté sa liste, se ramasse et s’en amuse aujourd’hui : « Le Pen a dit voyant mon score, « le professeur Martinez a voulu être candidat et a fait 0.92 % des voix ! »

Messe pour Jean-Marie Le Pen, église Notre-Dame du Val-de-Grâce, Paris, 16 janvier 2025 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Comment expliquer la répétition de ces conflits qui n’ont profité à personne ? Il fallait faire de la place à Marine, laquelle désirait déjà pousser la vieille garde lepeniste vers la sortie pour mener à bien sa stratégie de dédiabolisation. Bruno Mégret et de nombreux cadres ont compris assez tôt que le scandale empêcherait toujours un FN lepeniste de s’emparer du pouvoir : « Les raisons qui ont conduit à la scission sont les mêmes que celles qui ont conduit Marine Le Pen à exclure son père en 2015 ». Pourtant, aucune grande engueulade ou explication collective n’est venue en amont calmer le chef et peut-être éviter le drame d’une rupture. « Personne n’aurait osé le critiquer… » reconnait Jean-Claude Martinez. « Son parti, c’était son bateau. Il était le seul maitre à bord, après Dieu. C’était sa psychologie et sa manière de fonctionner. Il n’y avait pas de place pour la contestation du chef  », assure Carl Lang. « Le Pen n’aimait pas les élus locaux qui pouvaient avoir une certaine indépendance », déplore Jacques Bompard.

Ça s’en va et ça revient…

Le Pen n’a jamais souhaité être un égal parmi ses lieutenants, mais empereur parmi ses sujets ! Pourtant, alors qu’approche la dernière heure, il semble s’être laissé aller à la nostalgie mélancolique des souverains déchus. Le conflit avec sa fille en 2015 conduit Jean-Marie le Pen à lancer la réconciliation générale. Cette dernière aura d’ailleurs lieu à son initiative. Il appelle Carl Lang dès 2015 presque aussitôt après sa propre exclusion du Front : « Nos liens se sont renoués facilement… Quand on a connu des épreuves, des années difficiles, le lynchage politiqueNous avons pratiqué le pardon mutuel des offenses », raconte ce dernier. De leur côté, MM. Bompard et Le Pen se réconcilient en 2021. « C’est une réconciliation, mais chacun restera sur ses positions concernant la scission dont nous n’avons en réalité jamais reparlé », assure Bruno Mégret, qui avait déjà repris langue avec Le Pen en 2006 et l’avait même soutenu pour les présidentielles de 2007 sans parvenir à un accord politique durable. Les deux hommes se reverront plus tardivement à l’initiative de Jean-Marie Le Pen. Un diner à Paris a notamment réuni en 2022 les anciens ennemis pour les cinquante ans de la fondation du Front National : Lang, Martinez, Mégret, mais aussi Bruno Gollnisch sont alors réunis autour de Jean-Marie Le Pen. A aucun moment pourtant, les retrouvailles n’ont permis aux anciens lieutenants de vraiment solder le passé. Cette fuite devant la confrontation, même vingt ans après, peut étonner chez quelqu’un comme Le Pen qui n’était pourtant pas un dégonflé. Mais, le tribun volubile a aussi eu ses silences… Révèlent-ils la faiblesse d’un homme qui redoutait la concurrence, ou au contraire le caractère de marbre d’un chef sûr de son destin et refusant jusqu’au bout de s’expliquer ? Mystère…

Le « free speech » est devenu une arme des conservateurs, selon « Le Monde »

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Depuis le rachat de X par Elon Musk, le réseau social serait devenu un espace plus propice aux discours haineux, ce qui pousse certains utilisateurs progressistes à envisager de s’en éloigner. Les procédures de modération, conçues pour limiter la circulation de fausses informations par le passé, ont été démantelées. Et beaucoup d’utilisateurs affirment que la violence des échanges a augmenté. La liberté d’expression illimitée est parfois dangereuse, mais moins que la censure, rappelle Elisabeth Lévy.


Toute la Silicon Valley fait donc allégeance à Trump. Faut-il s’inquiéter ? Le grand exode d’X en protestation contre cette alliance n’a pas eu lieu. On a assisté à beaucoup de roulage de mécaniques, et à peu de départs. Marine Tondelier s’est ridiculisée: après de grands moulinets, elle a finalement produit un long texte pour nous expliquer pourquoi elle reste.

La libération de la parole, oui, mais pas comme ça…

Ce tollé des bons esprits contre la liberté d’expression est paradoxal et rigolo. Je croyais pourtant qu’ils aimaient la parole libérée. Eh bien non : selon eux, Trump et les broligarques (Musk, Zuckerberg et Bezos), tous réunis hier au Capitole, menaceraient la démocratie parce qu’ils défendent une liberté d’expression presque illimitée. Selon le quotidien Le Monde, le « free speech » est devenu l’arme des conservateurs. Faut-il en conclure que la censure est celle des progressistes ?
Avant son rachat par Musk, Twitter suspendait les comptes de Trump, et le réseau supprimait fréquemment les messages dénonçant l’immigration, l’islam radical ou la transmania – cela m’est arrivé. De son côté, Facebook censurait les messages des antivax. Zuckerberg dit avoir subi des pressions massives de l’administration Biden.
Aujourd’hui, je ne sais pas si on peut montrer un sein sur Facebook ou sur X, des réseaux bien pudibonds, mais on peut en tout cas y défendre toutes les opinions. Au grand dam de la gauche. Aucune preuve ne nous a été donnée que les algorithmes favoriseraient certaines idées au détriment d’autres (ce qui pour le coup serait illégal, et entrainerait des sanctions). L’arbitre, c’est donc la vox populi. On peut le déplorer, mais les contenus qui ont le plus de succès sont mis en avant.

Cette liberté illimitée n’est-elle pas dangereuse ?

Si, mais moins que la censure.
Quels sont les dangers ? Les fake news, d’abord. On peut dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux et, sur fond de baisse du niveau général, des millions de gogos sont prêts à croire n’importe quoi. Hier encore, un post dégoutant sur Jean-Michel Trogneux faisait des milliers de vues. En l’espèce, une poursuite judiciaire serait possible. Mais, faut-il poursuivre un platiste ? Et pourquoi ne pas poursuivre un antispéciste qui nous raconterait qu’il n’y a pas de différence entre les hommes et les animaux tant qu’on y est ? En réalité, interdire nourrit souvent le complotisme.
Il y a ensuite la zone grise des opinions. Comment établir une régulation idéologiquement neutre ? La définition et la détection informatique des opinions problématiques selon la loi est un casse-tête insoluble.

Mensonges avérés, manipulations et « sachants »

En dehors des vérités établies et des mensonges avérés, il y a enfin une immense zone grise d’affirmations contestables, discutables. Qu’on ait dit des sottises sur les vaccins pendant la crise sanitaire du Covid ne signifie pas que toutes les critiques étaient sottes. Pareil sur le climat: on prétend soustraire un phénomène scientifique au débat, et réserver ce débat aux gens qui savent. On voit bien que cela n’est pas possible. Le choc des arguments à la loyale est la moins pire des solutions.
Pour autant, toutes les paroles ne se valent pas : sur les vaccins, un scientifique est plus pertinent que Madame Michu, par exemple. Mais concernant la conquête spatiale, Elon Musk l’est peut-être plus que les éditorialistes du Monde
Mais tout le monde a le droit de s’exprimer. C’est parfois dangereux, souvent franchement déprimant: cela s’appelle la démocratie.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale.

Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte?

Trump qui danse sur YMCA fascine certains, alors qu’ils sont intraitables avec les facéties de nos politiques français. Philippe Bilger s’interroge…


Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’interroge sur mon étrange indulgence à l’égard de certains chefs d’État et présidents étrangers et sur ma sévérité à l’encontre de certaines personnalités politiques françaises. J’avais déjà remarqué que des comportements et postures vulgaires ici ou là, sur le plan international, ne m’avaient pas choqué autant que j’aurais dû l’être si j’avais été le citoyen français habituel. Comme si ce qui se déroulait ailleurs bénéficiait en quelque sorte d’une immunité de principe et d’un droit à la différence !

Je crois en réalité que ma mansuétude a des ressorts plus profonds. Elle tient au fait qu’il y a des univers politiques et démocratiques (si on en accepte une définition large) tellement lointains dans tous les sens du terme qu’il serait absurde de les appréhender de la même manière que les nôtres. C’est encore plus vrai si on se rapporte au tempérament des dirigeants et à l’unité ou non de leur caractère. Par unité j’entends le contraire de la théorie des « deux corps du roi » qui distingue, pour schématiser, le chef public et l’être privé. Les vertus du premier et le respect qui lui est dû en tant que tel, étant sans lien avec les forces et les faiblesses du second.

Donald Trump, un transgresseur loin des conventions politiques

Les personnes de pouvoir qui bénéficient de ma compréhension ne se situent pas dans cet espace classique où on exige, par réflexe républicain, la division totale entre le responsable légitimé par l’élection et la personne privée. À rebours, j’apprécie de savoir que l’être qui se montre est homogène ; à aucun moment on ne pourra craindre qu’il y ait une déperdition si le bloc se fissure et laisse au rancart des aptitudes fondamentales au prétexte qu’elles ne relèveraient pas du registre politique. À l’issue du grand rassemblement républicain organisé par Donald Trump la veille de son intronisation, quand le groupe Village People monte sur scène et que le président discrètement esquisse quelques pas de danse, je ne trouve pas cette image ridicule.

Parce qu’il y a un lien évident, irréfragable, entre le Donald Trump ayant cette attitude peu conventionnelle et celui qui n’hésitera pas à respecter ses engagements, grâce à ce qu’il est dans un ensemble humain, psychologique et intellectuel impossible à dissoudre. 

D’autant plus que pour un être comme lui, transgresser, surprendre ne font pas peur mais stimulent. C’est parce que Donald Trump est « un seul corps » que le meilleur pourrait surgir de lui, à cause du pire (ou du singulier, si l’on veut faire preuve de modération !) dont il est dépositaire. Ils sont quelques-uns à représenter ainsi des personnalités moins clivées en côté cour et côté jardin, plus compactes, se mettant tout entières dans chaque facette de leur existence privée et publique.

J’éprouve une grande curiosité pour ces territoires inédits de la politique. Dans ma liste, je pourrais mettre ces dirigeants d’Amérique du Sud, Javier Milei pour l’Argentine, Nayib Bukele pour le Salvador, Daniel Noboa pour l’Équateur, qui, dans des genres différents et avec des problématiques spécifiques – l’économie pour le premier, la sécurité et la lutte contre le narcotrafic pour les seconds – sont en train de frapper les opinions publiques internationales par leurs résultats. Mais surtout par l’expression d’une énergie tellement puissante qu’elle embarque tout leur être sans qu’il y ait la moindre pause pour laisser se reposer l’homme en charge du destin d’un pays.

La politique française et ses personnalités plus en réserve ?

Sans que j’approuve forcément les politiques mises en œuvre, ce qu’un observateur de bonne foi peut remarquer en France justifiera je crois mon point de vue. Il serait inepte de nier que dans notre pays, à des postes importants, il existe des personnalités fortes, des caractères trempés. Par exemple Bruno Retailleau, Jean-Luc Mélenchon…

Mais notre régime démocratique, le poids médiatique, la sophistication de notre République avec ses pouvoirs et contre-pouvoirs, notre État de droit, une forme de bienséance refusant même qu’on tienne contre vents et marées les promesses d’une campagne présidentielle, les empêcheraient d’engager leur être total au service de la France. Un zeste de décence les conduirait à laisser un peu d’eux-mêmes hors du service de l’État.

Rétrospectivement, revenons à Nicolas Sarkozy. S’il y a eu des circonstances politiques, des crises financières européennes, des conflits mondiaux où sa personnalité a fait merveille parce que l’ordinaire parfois discutable de sa personne a été tourné vers une efficacité et une action présidentielles maximales, combien aussi d’échecs où la frilosité l’a saisi et où, malgré lui et l’image d’énergie absolue qu’il donnait, il a calé !

Pour avoir hélas compris qu’en France, même au comble d’un trop rare courage, aucun projet politique ne serait mené à bien dans toute sa rigueur, je suis naturellement enclin à m’attacher à ceux qui, dans le monde, ont au contraire cette audace jusqu’à la provocation, cet extrémisme jusqu’à la démesure. Il est clair que dans le meilleur des cas ils ne sont pas ligotés par une démocratie comme la nôtre, et que dans le pire, s’ils réussissent, on peut leur pardonner un temps de se prendre pour l’État. Le Salvador est-il si loin de nous ?

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Du djihad aux commissaires politiques

Surtout, pas d’amalgames ! Il ne faut faire aucun lien entre islam, islamisme et terrorisme. Et malheur à ceux qui osent dire que l’islam et l’immigration sont indissociables. Quiconque ayant une parole critique devient suspect, voire passible de la peine de mort sociale. C’est aussi ce qu’attendent les djihadistes


Avril 2023, commissariat d’Hénin-Beaumont.

« Monsieur Duquesne, votre ex affirme que vous faites de la propagande anti-islam sur les réseaux sociaux, confirmez-vous ces faits ? »

« Pardon ? Le délit de blasphème n’a pas été réintroduit en France ! J’ai le droit de critiquer toutes les religions ! »

Le gardien de la paix est une femme, et ceci à son importance dans la suite de l’anecdote.

« Non monsieur, il y a un article de loi qui stipule que vous ne devez pas heurter la foi des croyants… »

J’interromps mon interlocutrice : « Encore pardon ? Vous plaisantez ? Si je critiquais le catholicisme, le bouddhisme ou le judaïsme, vous ne me poseriez pas cette question ! Pour quelles raisons l’islam bénéficierait d’un statut légal protecteur et privilégié ? »

Le gardien de la paix ne répond pas et enchaîne : « Votre ex affirme que vous délirez et racontez que des djihadistes vous menaceraient et viendraient s’en prendre à vos enfants, et que vous avez écrit un livre qui sort chez Grasset, Ne fais pas ton Français, et que celui-ci s’attaquerait à l’islam ! »

« Effectivement j’ai écrit un livre, et ce projet m’a valu des pressions de la part de mon ex et de sa famille qui ont estimé que je mettais en danger mes enfants, mais aussi qu’un tel livre me verrait être catalogué à l’extrême droite et que cela aurait des répercussions sur leur réputation. Cela a détruit ma famille. »

Le gardien de la paix m’écoute et semble comprendre que quelque chose ne tourne pas rond, elle veut en savoir plus et je m’explique :

« Je suis de culture musulmane par ma mère, qui est une apostat de l’islam, et d’origine algérienne. Je connais bien les thématiques de l’islam, de l’islamisme et des caïdats qui pourrissent la vie de votre profession. Mon livre explique les ressorts qui amènent à plus d’islamisme et à plus de délinquance parmi une certaine frange de la jeunesse. »

Le regard et le ton du gardien de la paix changent, elle finit par me rassurer, la plainte sera classée sans suite, dont la dénonciation pour contenus haineux diffusés sur internet dans le cadre de la loi Avia du 24 juin 2020. Hors audition, je lui explique que je combats ceux qui veulent instaurer la charia en France et qu’en faisant cela, je la défends en tant que femme, car la charia lui interdirait de m’auditionner en tant qu’homme, et que mon ex aurait bien des difficultés à divorcer alors que je pourrais la répudier et la jeter à la rue sur une seule phrase. Le ton de la policière se fait plus chaleureux, et à la fin de notre discussion, elle s’engage à acheter mon livre à sa sortie. Je suis resté très serein durant cette audition, même si cette attaque « islamiste » m’a surpris. 

Que s’est-il passé dans ce pays qui a subi Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, le Bataclan, le 14 juillet à Nice, le marché de Noël à Strasbourg et les multiples attaques au couteau et autres décapitations circonstanciées ?

La plus grande erreur, suite aux attentats en cascade, a été de sanctifier l’islam au nom du « padamalgam » et de le soustraire à toute critique, mais aussi de dénoncer le terrorisme sans préciser quelle idéologie il servait. Autrement dit, de refuser de le rattacher à l’islamisme, c’est-à-dire à l’islam politique, et au djihad, sa dimension conquérante et guerrière. Finalement en sanctifiant l’islam, nous avons cédé aux exigences des djihadistes qui massacraient en représailles de comportements blasphématoires de certains de nos compatriotes. Ils nous donnaient l’ordre de ne plus critiquer la « religion ». Cette injonction a été reprise par tout le monde, avec l’argument ressassé qu’en amalgamant l’islam à l’islamisme, on précipiterait les musulmans dans les bras des islamistes.

C’est ainsi que l’islam est devenu une cause nationale de tous les instants. Ce poncif matraqué depuis les premiers crimes de Mohammed Merah va de pair avec le slogan selon lequel l’immigration est une chance pour la France. Islam et immigration sont en effet indissociables puisque l’une a « apporté » l’autre. Le ruissellement médiatico-politique est très efficace. Toute personne ayant une parole critique sur ces deux thématiques devient suspecte, voire passible de la peine de mort sociale. La charia sociale contre le paria !

Par un de ces tours de passe-passe dont l’Histoire est friande, il se passe finalement ce qui était recommandé dans les colonies musulmanes et notamment en Algérie. Les laïques de la Troisième République interdisaient la critique de l’islam. Alain Quellien, fonctionnaire du ministère des Colonies, inventa même en 1910 le terme islamophobie pour éviter des soulèvements. Nos « laïques » actuels reproduisent le même schéma, mais cette fois en métropole. La gauche républicaine, orpheline de son projet émancipateur dans les anciennes colonies, s’attelle depuis les années Mitterrand à recréer le monde des colonies en France métropolitaine, en guise dirait-on de rattrapage républicain.

Si la gauche radicale s’est alliée avec l’islamisme sans aucune vergogne, la gauche républicaine veut toujours beaucoup d’immigration et beaucoup d’islam, un « bon islam » pour parachever son utopie du vivre-ensemble et d’un universalisme qui ne devrait rien à son socle anthropologique judéo-chrétien. Le pari est risqué, et le sort des Français non musulmans semble être tenu pour un regrettable dégât collatéral. Il devient difficile de démêler les influences croisées de la terreur djihadiste, de la terreur gauchiste, et d’une gauche républicaine « raisonnable » qui sanctuarise l’islam pour ne pas précipiter les musulmans dans le camp des islamistes. Comme si dans leur inconscient, c’est des musulmans et non pas des seuls islamistes que tous ont peur.

Tous prétendent que l’avenir de la France, c’est d’accueillir un islam syncrétique devenu compatible avec la République, un islam qui n’existe pas encore, mais qu’il est interdit de questionner. Un islam sans aucun fondement théologique, mais issu de pratiques discrètes non évaluables si ce n’est par le respect de la laïcité et une présence discrète dans l’espace public. Reste à savoir qui peut croire à cette promesse qui succède à tant d’autres restées lettre morte. Dix ans après les crayons brandis pour défendre la liberté d’expression, ce sont les crayons des commissaires politiques qui terrorisent les insolents.

Huppert à Séoul

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Notre actrice française nommée aux Oscars et récompensée aux Golden Globes est à l’affiche demain du nouveau Hong Sang-soo.


Cela fait fort longtemps qu’Isabelle Huppert ne joue plus qu’Isabelle Huppert dans le rôle d’Isabelle Huppert. L’immense actrice, plus attentive à son « image » qu’à son jeu de comédienne (elle n’a vraiment plus rien à prouver), de longue date a choisi de se risquer dans des films qui ne seraient rien sans elle, et dans lesquels elle se projette comme dans un miroir nommé Isabelle Huppert. Après Another Country et La Caméra de Claire, le Sud-coréen Hong Sang-soo s’offre ses services pour la troisième fois. Abonné aux récompenses de la Berlinale, il faut croire qu’elle lui porte chance : il est reparti en 2024 avec un double prix – Ours d’Argent et Grand Prix du Jury.

On a toujours un peu peur de s’ennuyer dans ce genre de cinéma d’auteur à la facture minimaliste. Mais non : on se laisse prendre au jeu de cette intrigue fragile, presque inconsistante, habitée pourtant d’une étrange épaisseur poétique. Iris (Madame Huppert, donc), fraîchement débarquée à Séoul, sans le sou et sans parler un traître mot de coréen (on n’en saura pas davantage), donne, en langue anglaise, des cours particuliers de français, sa méthode pédagogique ne consistant qu’à transcrire sur un bout de papier la traduction des émotions que lui confient, sur l’instant, ses élèves-interlocuteurs, invités ultérieurement à relire et mémoriser ces petits textes pour se familiariser progressivement avec la langue.

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Approche sensible, qui laisse ses « clients » quelque peu intrigués, mais Iris y croit, et sait se montrer persuasive. Hébergée chez un de ses jeunes élèves (en adoration devant elle), la voyageuse solitaire, paradoxalement discrète et envahissante, heurtera malgré elle, par sa présence, la relation difficile d’une mère, en visite surprise, pour la première fois, dans le petit studio où loge son fis étudiant… On se gardera de déflorer ici la teneur de cette séquence dont Iris/Huppert est le déclencheur… Le film repose tout entier sur le mystère de ces impondérables du quotidien, dans le paysage singulièrement paisible d’un quartier de la capitale coréenne.


La Voyageuse. Film de Hong Sangsoo. Avec Isabelle Huppert. Corée du Sud, France, couleur, 2024. Durée : 1h30.

En salles le 22 janvier 2025

Lyrique: une allégorie animalière

Au cœur d’une forêt enchantée, une petite renarde nous invite à une célébration de la vie. La voix envoûtante d’Elena Tsallagova illumine cette production exceptionnelle. Une touche de fraicheur de la part de l’Opéra de Paris, appréciée


Bizarrement, dans le générique du programme édité par l’Opéra de Paris, aux côtés de Nicky Rieti pour les décors et d’André Diot pour les lumières, ne figure pas le nom d’André Angel – mais seulement celui de Dagmar Pischel, responsable de la présente reprise, en effet, d’une mise en scène mythique entre toutes : produite il y a quinze ans, à Lyon, par trois vétérans dont les talents associés ont assuré, pendant un demi-siècle, le renom des planches parisiennes, du Théâtre Gérard Philippe au Théâtre de l’Europe, en passant par la MC93 de Bobigny… Angel et Rieti sont aujourd’hui presque octogénaires, Diot a 90 ans.

Par sa fraîcheur, sa malice, sa poésie, le vif chromatisme de ses décors et de ses costumes animaliers, cette mise en scène de La Petite renarde rusée ne sonne nullement comme un chant du cygne. Dans ce court opéra tardif crée à Brno par Leoš Janáček (1854-1928) quatre ans avant sa mort, le compositeur tchèque, alors âgé de 70 ans, développe une fable étrange, attendrissante, cocasse, cruelle, qui n’a pas du tout l’acidité morbide de L’affaire Makropoulos, composé un an plus tard (et que l’Opéra-Bastille a d’ailleurs redonné, on s’en souvient, à l’automne 2023, dans la très belle régie du Polonais Krysztof Warilowski).

© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Ici, le plateau nous ouvre dans les grandes largeurs un champ de tournesols en pleine floraison sous le soleil, où va s’ébattre, dans une succession de tableaux égrenés en trois actes jusqu’aux neiges de l’hiver, un microcosme animalier haut-en-couleur, dont cette petite renarde rousse est l’héroïne, au milieu d’une ménagerie de grenouilles, de sauterelles, de grillons, de poules, et même d’un chien et d’un blaireau qui se disputent la partie, entre un garde-chasse, un instituteur, un curé, un braconnier et l’aubergiste du village…

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Pas d’intrigue clairement identifiable dans cette œuvre, ce qui la rend assez déconcertante, pour le spectateur plus familier des transes sentimentales propres à la tradition lyrique, mais un kaléidoscope d’images superbement coloriées : on sait que le compositeur a trouvé l’inspiration de son livret dans la lecture d’un roman-feuilleton illustré, La renarde de fine-oreille (auquel, non sans anachronisme, le programme de l’Opéra prête le nom de « BD » – c’est sans doute plus vendeur)…  Tour à tour grinçante, luxuriante et délicate, la partition de Janáček tranche paradoxalement avec le prosaïsme des situations, traversée qu’elle est d’une somptueuse opulence polyphonique où les voix traduisent, sans emphase, les palpitations de l’âme humaine et la nostalgie du paradis perdu.

© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Singulière allégorie, donc, portée, au soir de la première, par l’actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Huston, Juraj Valcuha, à la tête d’un Orchestre national de Paris à son meilleur. L’excellente soprano russe Elena Tsallagova reprend le rôle-titre qu’elle chantait déjà dans cette même enceinte en 2008. Vocalement de toute première qualité, la distribution a opéré quelques chaises musicales, le baryton-basse Milan Siljanov endossant l’habit du garde-chasse en remplacement de l’Écossais Iain Paterson, tandis que sous les traits  du vagabond le baryton tchèque Tadeas Hoza fait également ses débuts à l’Opéra de Paris.

Car il se trouve que notre barde national Ludovic Tézier, souffrant, ne sera pas le Wotan de L’Or du Rhin dans la nouvelle production très attendue, dans moins de quinze jours à l’Opéra-Bastille, mise en scène par Calixto Bieito (cf. l’an passé, le double échec-et-mat des Simon Boccanegra et The Exterminaiting Angel) . Et qui le remplace ? Iain Paterson, justement. Wagner y perdra-t-il au change ? Ce n’est pas dit.

La Petite renarde rusée. Opéra de Leoš Janáček. Direction : Jurak Valcuha. Mise en scène : André Engel. Décors : Nicky Rieti. Opéra Bastille, les 21, 24, 28 janvier, 1er février à 19h30.

Durée : 2h05

Patrick Boucheron: une proposition d’actualisation de fiche Wikipédia

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L'historien Patrick Boucheron, auteur du best-seller "Histoire mondiale de la France" © ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Plutôt que de lire sa fiche Wikipédia, notre chroniqueur propose de lire son portrait dans Le Figaro, et de découvrir la vérité sur un apparatchik médiatico-universitaire…


Je l’avoue, je me suis régalé en lisant, dans Le Figaro du 14 janvier, l’implacable papier de Paul Sugy sur Patrick Boucheron. L’historien préféré des wokistes y apparaît enfin pour ce qu’il est réellement : un intrigant universitaire et un affairiste médiatique. Directeur d’un ouvrage de déconstruction historique qui fit grand bruit, animateur d’émissions historico-diversitaires sur l’audiovisuel public, co-scénariste de la cérémonie glauque des Jeux Olympiques, le professeur au Collège de France n’est pas peu fier d’avoir gagné en notoriété médiatique ce qu’il a perdu en exigence universitaire. M. Boucheron triomphe dans les médias mais néglige le travail de fond qui fit la réputation de ses éminents prédécesseurs, Braudel, Duby ou Leroy-Ladurie. Le cou se gonfle d’orgueil à mesure que l’audimat augmente. La tête prend des allures de montgolfière à chaque article élogieux paraissant dans la presse progressiste. Les JO de Paris ont été l’acmé de la carrière de ce « fossoyeur du grand héritage français » (Alain Finkielkraut). Depuis cet événement, Patrick Boucheron croit dur comme fer qu’Aya Nakamura est une artiste exceptionnelle et que lui-même a offert au monde un spectacle inoubliable, une ode au « métissage planétaire » qui aura sa place dans les livres d’histoire.

Histoire et déconstruction

En 2017, quelques mois après la sortie de L’Histoire mondiale de la France – manuel de destruction de l’histoire de France dirigé par Patrick Boucheron dont le succès fut assuré par les médias publics et la presse mainstream – le cauteleux professeur déclarait dans La Voix du Nord : « Être l’objet d’un engouement dans la sphère publique c’est perturbant pour quelqu’un comme moi, qui fonctionne sur une forme de retenue, de patience, de pudeur. Je fais tout pour l’éviter, mais en même temps, je me dois sans doute au public, je suis même payé pour cela ! » Pour peu qu’elles aient jamais réellement existé, il semblerait bien que cette retenue et cette pudeur soient de l’histoire ancienne. M. Boucheron est aujourd’hui un agent incontournable de la société du spectacle médiatico-universitaire. Le chercheur a fait place à un idéologue post-national, chantre d’une absconse « hybridation des cultures », capable de tout pour élargir son influence.   

Copinages

« Il est à la tête d’un vaste système mandarinal », écrit Paul Sugy en rapportant les propos d’un professeur de la Sorbonne qui ajoute : « Il joue au puissant ou à l’initié, vous parle en baissant la voix, montre qu’il sait ce qu’il ne sait en réalité pas toujours, affecte d’être au courant de quelque chose que votre ignorance ne vous permet pas de soupçonner, prétend avoir lu des livres qu’il n’a même pas ouverts. » L’homme semble doué pour les intrigues et les renvois d’ascenseur douteux ; Paul Sugy nous apprend ainsi que, nommé au Collège de France grâce à l’historien Roger Chartier, il y a fait entrer Antoine Lilti (dont j’ai narré dans Causeur le passage sur France Inter quelques jours après sa nomination1), protégé de Chartier, « après que celui-ci a siégé au jury de l’habilitation à diriger des recherches de sa compagne, Mélanie Traversier. Le travail de recherche de cette dernière sera d’ailleurs publié dans un livre qui obtient une longue et élogieuse recension dans Le Monde des livres, signée de… Roger Chartier ». Copinage, pistonnage et grenouillage font bon ménage dans certains milieux universitaires. Dans les salons feutrés du Collège de France, on préfère parler de « cooptation ». 

A lire aussi, du même auteur: Six femmes en colère

Terreur intellectuelle

Le dernier opuscule de Patrick Boucheron, Le temps qui reste, est une boursouflure narcissique dont j’ai rendu compte dans ces colonnes2. Trop occupé à promouvoir l’idéologie woke et déconstructiviste, l’historien ne produit plus de véritables travaux universitaires depuis longtemps et se contente de diriger de loin des ouvrages collectifs, de superviser les thèses d’étudiants acquis à la cause historiographique du maître ou de pondre des prospectus dogmatiques et nombrilistes. Adieu l’histoire médiévale, bonjour les invectives ampoulées contre l’extrême droite, « l’étrécissement identitaire », le récit national et « les thuriféraires de l’enracinement ». En plus de siéger au comité de rédaction de la revue L’Histoire, Patrick Boucheron a rejoint le Seuil comme conseiller éditorial pour la collection L’Univers historique. Il y fait régner, dit-on, une sorte de terreur intellectuelle. « Il fait signer des contrats d’édition à la pelle à ses amis ou à ceux qui lui montrent de la déférence, confirme un autre grand historien de la Sorbonne, mais cela lui sert surtout à flatter une clientèle et à rémunérer ses amis historiens, il ne fait pas vraiment le travail de suivi des manuscrits », écrit Paul Sugy. Bien entendu, Le Monde, Le Nouvel Obs et Télérama lui ouvrent régulièrement leurs colonnes. Bien sûr, les Rendez-vous de l’histoire de Blois ne sauraient se passer de l’historien médiatique et de ses auteurs édités au Seuil – les amateurs d’histoire peuvent ainsi bénéficier chaque année de ses lumières et de celles de ses courtisans. Sur la radio publique, en revanche, les choses se sont, semble-t-il, envenimées au fil des saisons, jusqu’à la séparation. Que reprochait-on à l’historien ? Son dilettantisme, son goût exagéré pour l’entre-soi, son obstination idéologique ostentatoire, son pédantisme. « Quand on a commencé avec lui, nos amis d’Arte [où l’historien a également sévi] nous ont dit qu’on allait en baver… On aurait dû les écouter ! », avoue à Paul Sugy un journaliste de Radio France. Ecarté des programmes de France Inter, Patrick Boucheron ira pleurnicher dans les colonnes de Libération en déplorant « un climat anti-intellectuels inquiétant » au sein du service public. Le professeur préfère visiblement la chaleur des projecteurs médiatiques à la douce froideur des lumières tamisées du Collège de France : les JO passés, fort de sa nouvelle réputation de créatif woke, cet arriviste médiatique est parvenu à obtenir la production et l’animation d’une nouvelle émission hebdomadaire sur France Culture. 

On tourne en rond

Conclusion prospective. Le colloque de rentrée 2024 du Collège de France s’intitulait “Genre et Sciences”. Un des intervenants était l’inépuisable représentant de la papesse du genre Judith Butler, l’autoproclamé sociologue Éric Fassin. Sa conférence, intitulée “Science du genre” – résumé de cette farce : les « études sur le genre » relèveraient du « domaine scientifique » et les « campagnes anti-genre » exprimeraient une « logique anti-démocratique » – a été introduite par un autre éminent professeur au Collège de France, François Héran, en charge de la chaire “Migrations et sociétés”. François Héran est un démographe convaincu que l’immigration est ce qui peut arriver de mieux à la France, pays qui n’a pas pris sa part dans l’accueil des « réfugiés » et dans lequel le racisme systémique et l’islamophobie croissent jour après jour, d’après lui. Sur les sujets touchant à l’immigration ou aux thèses wokes, François Héran pense la même chose que Patrick Boucheron qui, lui-même, pense la même chose qu’Éric Fassin, frère de Didier Fassin, anthropologue et professeur au Collège de France qui, lui, pense la même chose que François Héran. Je ne serais pas étonné si, dans quelque temps, nous apprenions la nomination d’Éric Fassin au Collège de France !

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  1. https://www.causeur.fr/antoine-lilti-au-college-de-france-le-strabisme-intellectuel-249093 ↩︎
  2. https://www.causeur.fr/le-temps-qui-reste-patrick-boucheron-271924 ↩︎

Les brefs univers de François Thibaux

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François Thibaux photographié en 2025 © Photo Alexandra Oury

Écrivain trop peu reconnu, nouvelliste hors pair, François Thibaux propose un recueil de douze nouvelles qui naviguent entre fantastique fou et réalisme âpre. C’est très fort.


Version 1.0.0

Il réside près de Soissons (02), et son éditeur, l’excellent Cours Toujours, n’est pas loin. Il pourrait sembler au premier abord que François Thibaux joue la carte du régionalisme, voire du départementalisme axonais. Point. L’écrivain a plus d’une corde à son arc et, bienheureusement, ne se limite pas au terroir, si superbe soit-il. (L’Aisne n’est-il pas le plus département français ?) Par ailleurs romancier et traducteur, auteur de onze romans, de trois recueils de nouvelles, notamment lauréat du prix Paul-Léautaud 1997, du prix Joseph-Delteil 2000 et surtout, surtout, du prix Loin du marketing 2017 (ça ne s’invente pas ! Qui d’autre que lui pouvait se voir honorer d’une telle récompense ? Elle lui va comme un gant !), François Thibaux nous donne à lire Le Vélo de l’ange, un opus de douze textes courts, fictions singulières, étonnantes, captivantes, envoûtantes, qu’il ancre, bien sûr, dans sa chère Picardie, mais aussi en Sicile, dans le Sud-Ouest, et dans le grand Est lointain. Certains écrivains, pourtant de qualité, manquent d’univers, ou, tout au moins, se dispersent « façon puzzle », comme eût dit Bernard Blier. Thibaux creuse son sillon, buté, têtu, mu par la terrible détermination de surprendre son lecteur ; il y réussit non sans brio et panache.

Trotski au clavier

Dès la première nouvelle, le narrateur attend un accordeur de piano. Quelqu’un frappe à la porte ; c’est Léon Trotski. Serait-ce le copain du percutant Ramòn Mercader qui va s’asseoir au clavier ? Son sosie ? On est dans le doute. Il cale le bloc de l’instrument avec une biographie, Vie de Charles IX, ne cesse de proposer de l’alcool à Léon qui, poliment, refuse. Trotski parti, il finit par apprendre que l’accordeur, le vrai, a eu un problème sur la route ; cela ajouté à un téléphone portable privé de batterie, il n’a pas pu prévenir ; les établissements Ducrotois, spécialisés dans l’accordage de pianos, s’en excusent. Etrange, non ? Les autres nouvelles sont du même tonneau, toutes écrites dans un style impeccable, limpide, précis, poétique mais sans affèterie.

Ici, au cours d’un enterrement, « l’eau du ciel (qui) noircissait le cercueil » ; un peu plus loin, apparaît une nonne naine, « plus cireuse qu’un cierge ». Là, d’un couple qui ne s’entend pas : « (…) elle était trop méchante pour lui. » Ou, d’un prêtre, dans son presbytère, qu’il imagine « mâchonnant du pain dur au beurre rance et des sardines à l’huile. » On comprend alors qu’on en en train de lire un vrai nouvelliste ; un roi du bref ; un sprinter de haute volée.

Le Vélo de l’ange, François Thibaux ; éd. Cours toujours ; 127 p.

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Pour un cinéma décomplexé!

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Le cinéaste Bertrand Blier, ici photographié à Nice en 2006, nous laisse une vingtaine de films © BEBERT BRUNO/SIPA

Bertrand Blier, le réalisateur français césarisé et oscarisé, né en 1939 vient de mourir à l’âge de 85 ans. Il laisse derrière lui l’empreinte d’un cinéma de qualité, populiste, éruptif et hautement sensible…


Il était le fils d’un acteur argentin de la rue d’Amsterdam, un danseur de mots, de l’ancienne école, celle de Jouvet et du vélocipédiste du XIVème arrondissement. Celle de la diction parfaite, un crayon dans la bouche, et de l’embrouille populaire, de l’esclandre qu’il soit sur le zinc ou chez Molière, sur des tréteaux, de la casse automobile et des amours impossibles. Bertrand, cet anar qui se marrait, barbu barbouze de la comédie dissonante était trop jeune pour s’arcbouter sur les valeurs rances du théâtre filmé de papa et trop lucide pour se laisser embarquer dans les fumisteries hippies. On se demande dans notre époque javélisée où le moindre téton à l’écran est ostracisé et où l’humour noir n’est compris que par une minorité d’humains, comment il aurait pu continuer à tourner dans cette nasse folle. Le monde actuel de la culture, les doigts sur la couture, pétitionnaire, à vocation rééducative ne comprend rien à ce cinéma des entrailles de notre pays qui fanfaronne, carillonne, régurgite son passé avec le brio des désenchantés. Alors, calmos les cinéphiles à bonnet phrygien ! Car, il y a, derrière cette fange à la Villon, cette hallebarde qui arrache des sourires pour ne pas sombrer, ces coups de reins salvateurs à l’arrière des berlines, tous ces combinards aux abois, une esthétique du déclassement, et encore plus loin, au bout du bout, à force d’assauts répétés pour fissurer le mur des indifférents, un romantisme d’écorché, presque primitif. Son cinéma était aussi choquant que sentimental ; par peur d’être submergé par les grandes émotions, Blier pétaradait, il montrait les biceps, roulait des mécaniques, affichait le visage hermétique du réactionnaire en goguette mais personne n’était dupe. Il était du côté des solitaires, il ne beuglait pas avec les masses autoritaires et satisfaites. Il aimait les sorties de piste, les embardées castagneuses ; il aimait provoquer la ménagère et harponner nos petites misères qu’elles soient sociales ou sexuelles, politiques ou économiques. C’est parce qu’il ne respectait aucun totem, qu’il va nous manquer; avec lui, l’air de la discorde passait mieux. Les mauvais garçons, taulards et queutards l’inspiraient, les friches industrielles aux abords des buildings étaient son terrain vague d’expérimentation, toute cette société de consommation en débandade, la lutte des classes sur le plumard et les fins de mois difficiles, il en faisait son lit.

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Le décor de nos quarante dernières années est là, dans sa pâleur et sa froideur, ses mesquineries et ses boursouflures. Lui, le bien né, à l’abri financièrement, a été celui qui a touché au plus près, avec sa caméra, des virilités absurdes, et de cette mouise généralisée dont nous avons héritée. On est tous en cellule, mon p’tit pote. À un moment, faut casquer ! Il aura fait le pont entre le mot et la gueule d’atmosphère. Entre deux époques, celle de Guitry et de Zidi. Il aura toujours pris, tout au long de sa carrière, le parti d’en rire avec la phrase en arme de self-défense et l’ironie mordante, seule richesse des générations surnuméraires. Il se méfiait de l’esprit de sérieux qui gangrène toute activité artistique. L’art se détourne des diseurs de bonne aventure, à la fin, il ne reste que les oiseaux de mauvais augure. Il aimait les ratés et les funambules. Cette misanthropie rieuse a secoué le cinéma cocardier des années 1970, loin des comédies boulevardières et des auteurs miséricordieux. Il conspuait le victimaire. Blier pratiquait un cinéma d’attaquant goguenard, de démystificateur joyeux sous couvert d’une noirceur atrabilaire. Il donnait rendez-vous à Simenon et au Splendid, réunissait la bande du Conservatoire et le café-théâtre. C’est-à-dire le plaisir de la réplique sèche, mitrailleuse, un peu irascible, vacharde, décomplexée, parce qu’il ne faut jamais garder pour soi les bons mots même lorsqu’ils font mal aux adultes et une ambiance dépouillée, presque ascétique. Dans ce corner où il excellait, il ne prenait aucune pincette avec les bonnes gens, il poussait toujours plus loin le bouchon, l’hallali des professions sentencieuses lui donnait le sourire et de l’énergie. Il se mit à dos les bourgeois, les femmes, les instructeurs de morale et tous les démagos du pays. Et pendant ce temps-là, nous étions à la fête, des loulous piquaient une DS, il ne faisait pas bon se promener sans couteau dans les couloirs du métro, Marielle était Donquichottesque, Jacques François sermonneur en chef et puis Josiane et Carole étaient les deux faces d’une même romance en marche.

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Bruno Mégret: « Beaucoup de mauvaises langues ont tenté de faire croire que la scission de 98 venait d’une volonté de ma part de prendre la place de Le Pen ! »

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Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret se réconcilient à Saint-Cloud (92), leurs épouses Jany et Catherine à leurs côtés, 20 décembre 2006 © JACQUES BRINON/AP/SIPA

Bruno Mégret réagit à la mort de Jean-Marie Le Pen. L’ancien numéro 2, qualifié de « félon » en 1998 par le « Menhir », s’était finalement réconcilié avec son ancien ennemi. Il partage avec nous quelques souvenirs.


Causeur. Au moment de rejoindre le Front National, vous dirigiez votre propre structure les CAR, parfois présentée comme concurrente. Comment s’est déroulée votre première rencontre ou prise de contact avec Jean-Marie Le Pen ? Qui en fut à l’initiative ?

Bruno Mégret. Au lendemain des élections de 1981 et de la victoire de Mitterrand, je fais l’analyse qu’il existe dorénavant une place pour un nouveau parti, un vrai parti de droite qui serait porteur d’un grand projet de renouveau national libéré de l’emprise idéologique de la gauche. C’est pour initier ce projet ambitieux qu’avec quelques  proches, nous lançons les Comités d’action républicaine, les CAR. Lesquels rassemblent très vite de nombreux Français notamment parmi ceux qui accusent les partis de droite d’avoir laisser la gauche gagner en ne s’opposant pas clairement à elle. Forts de ce soutien, nous commençons à constituer une petite force politique : quinze mille adhérents, cent vingt comités. Aussi, dans la logique qui était la nôtre décidons-nous de présenter une liste aux élections européennes de 1984. Hélas, nous ne parvenons pas à rassembler les fonds nécessaires et Le Pen, qui lui a réussi à présenter une liste, réalise un score spectaculaire de près de 10 %. Dès lors les jeux sont faits. C’est Le Pen qui va créer le parti politique nouveau que je pensais possible de faire émerger à la droite du RPR. La dynamique est désormais de son côté.

C’est dans ce contexte que je réponds à l’invitation d’un ami chef d’entreprise qui organise un déjeuner chez lui avec Le Pen et d’autres personnalités. Je découvre alors un homme intelligent et cultivé qui développe une analyse fine de la situation politique du pays. Analyse que je partage. Je me reconnais aussi dans la plupart des idées et des convictions qu’il exprime. Bref, je découvre une personnalité beaucoup plus riche et intéressante que celle qu’en donnait le prisme déformant des médias. Lui aussi remarque les nombreux points qui nous rapprochent. Mais les choses en restent là.

Et rien ne se passe jusqu’à ce que Le Pen annonce qu’aux élections législatives de 1986, il ne présentera pas que des candidats FN mais qu’il fera appel à des personnalités d’ouverture non membres de son parti, les uns et les autres adoptant l’étiquette de « Rassemblement national ». Je me dis alors qu’il faut saisir cette opportunité et je prends contact avec Le Pen, ou plutôt c’est Patrick Buisson, partisan de ce rapprochement, qui nous met en relation. La rencontre a lieu à Montretout et nous nous mettons facilement d’accord sur le dispositif par lequel les CAR se joindront au FN dans le cadre du Rassemblement national pour les élections législatives et régionales. Deux circonscriptions éligibles sont prévues pour Jean-Claude Bardet et moi-même ainsi qu’un quota de conseillers régionaux. Une relation de confiance s’établit d’emblée car lorsque nous nous quittons, aucun papier n’est signé et nous ne nous reverrons pas avant la campagne électorale. Pourtant les accords seront respectés : je suis élu député de l’Isère et Jean-Claude Bardet est hélas battu de justesse à Nancy.

Les journalistes et les historiens vous accordent une place importante dans le développement et la professionnalisation du Front National à partir de la fin des années 1980. Le contrôle ou l’influence sur l’appareil ont souvent été décrits comme une lutte constante entre courants idéologiques ou lieutenants de Jean-Marie Le Pen (Bruno Gollnsich, Carl Lang, Jean-Pierre Stirbois et vous-même). Qu’en était-il ? Y avait-il un tel climat de méfiance ?

En 1988, lorsque j’ai commencé à me déplacer en province à l’invitation des fédérations, je me suis rendu compte que le parti était en effet très fragmenté. Telle fédération par exemple était principalement composée de militants défenseurs des artisans commerçants et PME style poujadistes, d’autres étaient monopolisées par d’anciens partisans de l’Algérie française comme d’autres l’étaient par des adeptes de la Nouvelle droite. Et bien sûr, ces courants étaient tous représentés à l’échelon national, une situation qui pouvait être source de tensions.

Lorsque j’ai été nommé délégué général, j’ai cherché alors à homogénéiser  le mouvement en développant une doctrine propre au FN, dans laquelle chacun puisse se retrouver sans pour autant, d’ailleurs, abandonner sa spécificité. Ce processus a été mis en œuvre par l’adoption d’un programme de gouvernement (les « 300 mesures » du FN),  mais aussi par la publication mensuelle d’une revue doctrinale, la Revue Identité fondée par Jean-Claude Bardet, laquelle avait vocation à expliciter ce corpus doctrinal commun du FN. On y retrouvait des signatures comme celles de Jean-Yves Le Gallou ou Didier Lefranc, anciens du Club de l’horloge, mais aussi celles de Bernard Antony ou de Georges-Paul Wagner, attachés à la tradition religieuse et politique et bien d’autres encore.

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Je considère que dans ce processus de construction politique, la formation des cadres a joué un rôle majeur. Celle-ci se pratiquait lors de séminaires durant un week-end entier et portait surtout sur l’aspect idéologique, réalisant peu à peu l’unité du parti autour d’un corpus commun. L’idée centrale était que la scène politique n’était plus en réalité marquée par un antagonisme droite / gauche classique mais que le FN représentait à lui seul la défense de l’identité et de la souveraineté de la France face à une classe politico-médiatique qui militait, quant à elle, pour le mondialisme migratoire et libre-échangiste. C’est aussi dans ces séminaires qu’on s’attardait sur la question du vocabulaire. J’y participais souvent car c’était aussi l’occasion de juger de la valeur des personnes et de repérer celles qui pouvaient être promues ou investies.

Quant à la professionnalisation du parti, elle s’est faite progressivement. On a mis en place un Conseil scientifique qui réunissait des personnalités de haut niveau du monde universitaire ou du monde économique, et un centre argumentaire composé d’experts pour rédiger les textes des nombreux documents que nous éditions pour notre communication. Je pense aussi à la cellule qualifiée de propagande qui jouait un rôle important en concevant et fabriquant les affiches et documents que les militants utilisaient sur le terrain. Il y a eu également la professionnalisation des grandes manifestations du mouvement. Nous avions lancé aussi une publication mensuelle pour l’information des adhérents  ainsi qu’une maison d’édition pour publier les ouvrages d’auteurs issus de notre famille politique que les maisons d’édition refusaient de prendre comme le rapport Milloz sur le coût de l’immigration.

Quelle a été votre réaction et la réaction des cadres et des membres du Bureau politique aux différents scandales ou « dérapages » verbaux de Jean-Marie Le Pen ?

Ma réaction a été négative, bien sûr. Mais lorsque les premiers dérapages sont intervenus, les cadres comme les militants ont été solidaires non pas des propos tenus mais du président de leur mouvement qu’ils aimaient pour son talent, son courage et ses convictions. On a constaté ainsi que les attaques lancées contre Le Pen, même après une provocation verbale de sa part, avaient eu pour effet de renforcer la cohésion du mouvement.

Au début des années quatre-vingt-dix, lorsqu’il est apparu que ces dérapages se multipliaient et devenaient pour Le Pen un véritable mode de communication, les militants, les cadres et les élus  ont éprouvé un agacement croissant, considérant que Le Pen ruinait ainsi le travail qu’ils menaient sur le terrain.

La scission de 1998 était-elle évitable ? A quoi (ou à qui) l’attribuez-vous, avec le recul ?

Il y avait depuis le début entre lui et moi une différence fondamentale d’approche. Lui vivait cette aventure politique comme un parcours personnel, qui lui permettait d’exprimer ses convictions tout en lui apportant la célébrité et une forme de reconnaissance sociale. Le parti n’était à ses yeux qu’un accessoire dont il avait besoin pour les élections mais qui par ailleurs ne l’intéressait pas vraiment. De mon côté, en revanche, je m’étais lancé dans l’édification d’une force politique solide et durable qui devait croître et mûrir jusqu’à être en mesure de conquérir le pouvoir. Une formation structurée par des cadres formés et motivés, enracinés dans les régions et les communes de notre pays et porteuse d’une nouvelle idéologie, en phase avec les Français et décidée à mettre en œuvre son projet pour la France. L’écrasante majorité des cadres et des militants partageaient ce projet. Aussi étaient-ils de plus en plus mécontents d’un président qui, par ses dérapages répétés, donnait des arguments à leurs adversaires pour justifier la diabolisation qu’ils subissaient. Ils s’en plaignaient souvent à moi, menaçant de tout laisser tomber si cette situation perdurait.

La scission n’est donc pas venue, comme beaucoup de mauvaises langues ont tenté de le faire croire, d’une volonté de ma part de prendre la place de Le Pen. Très extraverti, il avait les qualités pour être sur la scène et j’étais très heureux de pouvoir faire pour le parti ce travail de construction politique qui me passionnait. Et, cette complémentarité du numéro un et du numéro deux aurait pu perdurer si Le Pen ne s’était pas engagé dans une logique de provocations régulières qui ruinait mon travail comme celui de tous les cadres du mouvement. En fait, la scission s’est produite pour les mêmes raisons que celles qui ont conduit vingt cinq ans plus tard Marine Le Pen à exclure son père du Front national.

Pourquoi la scission a-t-elle échoué ?

Peu de temps après la scission ont eu lieu les élections européennes de mai 1999. Le Pen présente sa liste et moi la mienne. Il est clair que c’est le résultat de cette élection qui allait décider du sort de cette scission. Celui qui l’emporterait aurait des députés européens, des subsides ainsi que la légitimité offerte par le scrutin. La liste Le Pen fait 5,5% et la mienne 3,5 % ! L’écart est très faible mais c’est Le Pen qui l’emporte et ceci pour une raison simple : le système a choisi Le Pen. Il considère en effet que je suis « plus dangereux » que lui en ce sens que le Pen par ses outrances restera sous contrôle et n’arrivera jamais aux portes du pouvoir. En revanche, les ténors de la classe politico-médiatique savent que je suis partisan à la fois d’une dédiabolisation et d’un enracinement du FN tout en maintenant une ligne politique sans concession. Le Système décide donc qu’il vaut mieux Le Pen que Mégret et, Serge July lance le mot d’ordre dans un éditorial de Libération où il explique clairement pourquoi il vaut mieux la victoire de Le Pen.

Il en résulte aussitôt deux événements majeurs. La procédure intentée par Le Pen pour faire reconnaître que le logo et le nom du Front national lui appartiennent, et qui aurait du donner lieu à un jugement bien après les élections, a été menée au pas de charge juste avant le scrutin. C’est cette décision de justice qui a donné la victoire à Le Pen car beaucoup d’électeurs du FN étaient hésitants et nombre d’entre eux s’en sont remis à la décision de justice : ils ont pris le bulletin de vote qui portait la flamme.

A lire aussi, Paul Rafin: Les médailles de Jean-Marie Le Pen

Ajoutons à cela que, dès la décision de justice rendue, le Premier ministre socialiste de l’époque a aussitôt débloqué en faveur de Le Pen les fonds publics du FN qui étaient jusqu’alors gelés.

On peut aussi rappeler que lors de ces élections européennes, Pasqua et Villiers se sont unis autour d’un Rassemblement pour la France, réalisant un score sans lendemain mais tout à fait spectaculaire de près de 15 %, ne nous laissant aucune marge de manœuvre pour récupérer des voix sur notre gauche.

Ainsi le destin en a-t-il décidé.

La scission fut un évènement assez spectaculaire. Aussi, la (ou les, si l’on songe déjà à celle de 2006) réconciliation (s) pourraient étonner. Qui en fut notamment à l’initiative ? A titre personnel, en avez-vous été heureux ? Cette réconciliation a-t-elle entraîné une réconciliation générale entre Jean-Marie le Pen et les anciens membres du Front National ?

En 2007, le temps a passé depuis la scission et le MNR n’est plus en mesure de collecter les 500 signatures qui auraient été nécessaires pour que je puisse me présenter à l’élection présidentielle. Or, Le Pen propose à cette occasion un rassemblement des Patriotes pour soutenir sa candidature. Je pense qu’il s’agit d’une main tendue dans ma direction et je décide d’y répondre. Nous nous retrouvons dans son bureau à son domicile de Rueil-Malmaison, là où il vit. Le premier contact est un peu froid. Il me demande si j’ai déclenché la scission de peur de ne pas être reconduit sur la liste européenne. Je le regarde, un peu ahuri qu’il ait imaginé une motivation aussi dérisoire, et j’en conclus qu’il avait bien l’intention de m’expulser de toutes mes positions et mandats au FN de l’époque. Mais nous passons vite à autre chose et nous tombons d’accord, comme souvent autrefois, sur l’analyse de la situation politique. Puis, je lui parle de son Union patriotique qui manifestement n’était pas très structurée. Nous en discutons et nous convenons finalement de faire une conférence de presse commune au cours de laquelle j’annonce mon soutien à Le Pen pour l’élection présidentielle qui vient. C’est une réconciliation mais chacun restera sur ses positions concernant la scission dont nous n’avons en réalité jamais reparlé.

A l’époque, beaucoup de militants et de cadres du MNR ont déjà rejoint le FN, parfois même pour y occuper des responsabilités importantes. D’autres, très nombreux, ne l’ont jamais fait. En revanche, beaucoup d’anciens du MNR ont soutenu Éric Zemmour et ont milité pour lui à la dernière présidentielle, pour le quitter ensuite, déçus.

Que retiendrez-vous de Jean Marie Le Pen ? Quelle fut votre réaction à l’annonce de sa mort ?

Jean-Marie Le Pen aura été avant tout un grand lanceur d’alerte qui a dénoncé il y a près de cinquante ans les graves dangers qui accablent actuellement la France et dont chacun semble enfin prendre conscience. 

Si nous avions été écoutés à l’époque, aucun de ces fléaux majeurs qu’est le mondialisme migratoire et libre-échangiste ne serait aujourd’hui en mesure de menacer la France dans son existence même. Jean-Marie Le Pen aura joué ce rôle envers et contre tout, malgré les attaques ignobles qu’il subissait, montrant ainsi le courage et les convictions qui l’animaient.

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Jean-Marie Le Pen et ses anciens lieutenants: scissions en fanfare, réconciliations en sourdine

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Jean-Marie Le Pen et Jacques Bompard en meeting à Avignon, 17 février 1998 © TSCHAEN/SIPA

Entre scissions explosives, retrouvailles discrètes et un soupçon de rancune jamais vraiment digérée, les histoires de Jean-Marie Le Pen avec ses anciens lieutenants prouvent qu’en politique, on se quitte souvent… mais on ne se perd jamais vraiment de vue ! Nous avons interrogé Jacques Bompard, Carl Lang, Jean-Claude Martinez et Bruno Mégret


Ils ont été collaborateurs, compagnons de route, fidèles lieutenants, amis et parfois intimes de Jean-Marie Le Pen. Puis ils l’ont quitté, affronté, combattu dans les urnes. Bruno Mégret, Jean-Claude Martinez, Carl Lang, Jacques Bompard : tous ont joué un rôle important au sein du Front National avant de le quitter avec fracas pour in fine retrouver Jean-Marie Le Pen au soir de sa vie.  Témoignages.

Avec Le Pen, tout commence par une rencontre…

Jacques Bompard adhère au Front à sa fondation en 1972 et Carl Lang en 1978. Tous deux étaient des nationalistes convaincus qui voulaient en découdre. Simplement, le Front National est alors un groupuscule dépassé au sein même de la droite radicale par le Parti des Forces nouvelles. Ses scores sont groupusculaires (0.75% pour Jean-Marie le Pen en 1974). Pourquoi ce choix en apparence peu avantageux ? « J’ai estimé, compte tenu de la personnalité de Le Pen, ancien député, candidat à la présidentielle, que c’est le FN qui était le plus à même de faire vivre nos idées. Je souhaitais faire de la politique sur un terrain électoral que délaissait le PFN » assure Carl Lang, qui confesse « Quand je deviens secrétaire départemental dans l’Eure, on me transmet le fichier. Nous sommes deux adhérents dont moi-même ». Mais Le Pen est le seul qui dans leur famille politique parait taillé pour le rôle de leader : « Quels qu’aient été les scores électoraux, on ne s’était pas posé la question d’arrêter ou de continuer. Aucun soupir à aucun moment… Tout était possible » raconte Carl Lang. La foi du charbonnier…. Ils étaient sensibles à son charisme, son talent et supportaient au quotidien sa grande gueule. Pour rencontrer le succès, il suffisait que les Français la connaissent. Avec le coup de Dreux avec Jean-Pierre Stirbois en 1983, le passage à l’Heure de vérité en 1984, Carl Lang voit un basculement : « Les salles se remplissent d’un seul coup. 2000 personnes, 3000 personnes là où nous pouvions faire des réunions à cinquante auparavant ». Les européennes de 1984 sont une consécration : 10.95 % des voix et dix élus. Pour Le Pen comme pour ses lieutenants, c’est la fin d’une longue traversée du désert. Figurant désormais parmi les partis qui comptent au niveau national, le Front National cherche à recruter des gros poissons : « Nous faisons élire en 1986 au bénéfice de la proportionnelle un groupe d’une remarquable qualité » assure Carl Lang. Trente-cinq députés parmi lesquels des avocats, des chefs d’entreprise, des professeurs de droit, des polytechniciens, et non la bande de soudards poujadistes avec laquelle siégeait Le Pen en 1956… Parmi eux, le Professeur Jean-Claude Martinez (major à l’agrégation de droit public), élu dans l’Hérault, et Bruno Mégret, sorti de X et de l’école des Ponts et Chaussées, élu dans l’Isère. Comment Le Pen réussit-il ces débauchages ? Bruno Mégret avait alors sa propre structure, les CAR, comités d’action républicaines, lancés dans la foulée de l’élection de Mitterrand. Mais le succès du Front National le prend de vitesse. Il devra donc passer par Le Pen s’il veut faire de la politique. Pour le rencontrer, il lui faut un intermédiaire : « C’est Patrick Buisson, partisan de ce rapprochement qui nous met en relation.Une relation de confiance s’établit d’emblée ». Quand Jean-Claude Martinez rejoint Jean-Marie Le Pen, l’universitaire est déjà un trublion médiatique : auteur d’une lettre ouverte aux contribuables alors bien relayée notamment par le Figaro Magazine, défenseur de la Nouvelle Calédonie française, ancien conseiller fiscal d’Hassan II… « Ma rencontre avec Le Pen, c’est quand même du roman » plaisante-t-il avant d’énumérer avec délectation le défilé d’intermédiaires improbables (« Le cabinet du roi du Maroc, un médecin de la clinique Necker, Jean Raspail, l’Irak et même Yves Mourousi ! ») qui de fil en aiguille l’amènent à diner avec Le Pen « qui me donne tout de suite du Monsieur le professeur ». Le richissime baron de Montretout restera toutefois pingre ce soir-là : « Je pensais qu’il allait m’inviter, ce qui ne fut pas le cas ».

Les députés ne sont pas réélus en 1988 mais Le Pen réalise un beau 14.39 % à l’élection présidentielle. L’histoire du FN continue. Jacques Bompard est élu maire d’Orange en 1995. Jean-Claude Martinez, Carl Lang et Bruno Mégret redeviennent députés européens. Ce dernier parvient à faire élire son épouse maire de Vitrolles en 1997. Il prend un réel ascendant sur l’appareil du FN qu’il aimerait perfectionner : « En 1988, lorsque j’ai commencé à me déplacer en province à l’invitation des fédérations, je me suis rendu compte que le parti était en effet très fragmenté. Telle fédération par exemple était principalement composée de militants défenseurs des artisans commerçants et PME style poujadistes, d’autres étaient monopolisées par d’anciens partisans de l’Algérie française comme d’autres l’étaient par des adeptes de la Nouvelle droite. Et bien-sûr, ces courants avaient tous des représentants à l’échelon national, une situation qui pouvait être source de tensions », raconte Bruno Mégret. Ce Front National d’autrefois, très militant, étoffé de forts caractères, inspire une tendre nostalgie à ses anciens cadres : « J’ai rencontré au Front National des personnalités exceptionnelles », assure Carl Lang, citant par exemple Michel de Camaret, ancien résistant et député européen. Jean-Claude Martinez prend l’air aventurier pour raconter des anecdotes improbables : « Je me retrouve en voyage en Irak, planté en plein désert à voir le recteur de Babylone discuter de la réintégration au FN d’un militant de base de Montpellier avec le Pen. »

Guerres de scission

Pourtant, quelque chose finit toujours par coincer entre Le Pen et ses lieutenants : « Il y avait depuis le début entre lui et moi une différence fondamentale d’approche. Lui vivait cette aventure politique comme un parcours personnel, qui lui permettait d’exprimer ses convictions tout en lui apportant la célébrité et une forme de reconnaissance sociale. Le parti n’était à ses yeux qu’un accessoire », reconnait Bruno Mégret qui rêvait d’un parti structuré et professionnel qui puisse survivre à son fondateur. Mais la personnalité de Le Pen écrase tout et la réitération des dérapages et scandales du président du Front National est mal vécue en interne. « On les subissait… il cassait le travail local que l’on faisait » soupire Jacques Bompard. Même constat, du côté de Bruno Mégret : « Les militants, les cadres et les élus ont éprouvé un agacement croissant, considérant que Le Pen ruinait le travail qu’ils menaient sur le terrain. »

A force de crispations, de non-dits et de rivalités pour le contrôle de l’appareil, les choses finissent par exploser. 1998-1999, c’est la spectaculaire scission. Bruno Mégret défie ouvertement l’autorité de Jean-Marie Le Pen, lequel cherche à le marginaliser. L’ancien numéro 2 est alors exclu du FN, fonde le MNR, est candidat aux présidentielles de 2002 mais plafonne à 2.34% des voix. Si Le Pen accède cette année au second tour de la présidentielle, il perd dans la scission l’essentiel de son appareil partisan. Tout le monde est perdant. « Très extraverti, il avait les qualités pour être sur la scène et j’étais très heureux de pouvoir faire pour le parti ce travail de construction politique qui me passionnait », se souvient Bruno Mégret. Pour Carl Lang, « les torts sont partagés mais la scission a été calamiteuse pour tous. Avec un peu plus de psychologie, cela aurait pu être évité… » Bompard, Martinez et Lang avaient pris parti pour Le Pen contre Mégret mais seront à leur tour exclus. D’abord en 2005 pour Bompard qui conteste la normalisation idéologique du parti opérée par Marine Le Pen et se replie sur son fief d’Orange.  « Nos relations se dégradent à partir de 2003. Jean Marie le Pen était entré dans une logique de front familial » assure Carl Lang qui est exclu après avoir monté en 2009 une liste européenne dissidente face à Marine Le Pen, investie dans sa circonscription du Nord-Ouest. Il lancera son propre parti, le Parti de la France mais qui ne prendra jamais… Dans la circonscription du Sud-Ouest, Jean-Claude Martinez est prié de s’effacer devant Louis Aliot. Il présente de son côté sa liste, se ramasse et s’en amuse aujourd’hui : « Le Pen a dit voyant mon score, « le professeur Martinez a voulu être candidat et a fait 0.92 % des voix ! »

Messe pour Jean-Marie Le Pen, église Notre-Dame du Val-de-Grâce, Paris, 16 janvier 2025 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Comment expliquer la répétition de ces conflits qui n’ont profité à personne ? Il fallait faire de la place à Marine, laquelle désirait déjà pousser la vieille garde lepeniste vers la sortie pour mener à bien sa stratégie de dédiabolisation. Bruno Mégret et de nombreux cadres ont compris assez tôt que le scandale empêcherait toujours un FN lepeniste de s’emparer du pouvoir : « Les raisons qui ont conduit à la scission sont les mêmes que celles qui ont conduit Marine Le Pen à exclure son père en 2015 ». Pourtant, aucune grande engueulade ou explication collective n’est venue en amont calmer le chef et peut-être éviter le drame d’une rupture. « Personne n’aurait osé le critiquer… » reconnait Jean-Claude Martinez. « Son parti, c’était son bateau. Il était le seul maitre à bord, après Dieu. C’était sa psychologie et sa manière de fonctionner. Il n’y avait pas de place pour la contestation du chef  », assure Carl Lang. « Le Pen n’aimait pas les élus locaux qui pouvaient avoir une certaine indépendance », déplore Jacques Bompard.

Ça s’en va et ça revient…

Le Pen n’a jamais souhaité être un égal parmi ses lieutenants, mais empereur parmi ses sujets ! Pourtant, alors qu’approche la dernière heure, il semble s’être laissé aller à la nostalgie mélancolique des souverains déchus. Le conflit avec sa fille en 2015 conduit Jean-Marie le Pen à lancer la réconciliation générale. Cette dernière aura d’ailleurs lieu à son initiative. Il appelle Carl Lang dès 2015 presque aussitôt après sa propre exclusion du Front : « Nos liens se sont renoués facilement… Quand on a connu des épreuves, des années difficiles, le lynchage politiqueNous avons pratiqué le pardon mutuel des offenses », raconte ce dernier. De leur côté, MM. Bompard et Le Pen se réconcilient en 2021. « C’est une réconciliation, mais chacun restera sur ses positions concernant la scission dont nous n’avons en réalité jamais reparlé », assure Bruno Mégret, qui avait déjà repris langue avec Le Pen en 2006 et l’avait même soutenu pour les présidentielles de 2007 sans parvenir à un accord politique durable. Les deux hommes se reverront plus tardivement à l’initiative de Jean-Marie Le Pen. Un diner à Paris a notamment réuni en 2022 les anciens ennemis pour les cinquante ans de la fondation du Front National : Lang, Martinez, Mégret, mais aussi Bruno Gollnisch sont alors réunis autour de Jean-Marie Le Pen. A aucun moment pourtant, les retrouvailles n’ont permis aux anciens lieutenants de vraiment solder le passé. Cette fuite devant la confrontation, même vingt ans après, peut étonner chez quelqu’un comme Le Pen qui n’était pourtant pas un dégonflé. Mais, le tribun volubile a aussi eu ses silences… Révèlent-ils la faiblesse d’un homme qui redoutait la concurrence, ou au contraire le caractère de marbre d’un chef sûr de son destin et refusant jusqu’au bout de s’expliquer ? Mystère…

Le « free speech » est devenu une arme des conservateurs, selon « Le Monde »

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Le PDG de Tesla et propriétaire de X, Elon Musk, entre en scène à l'intérieur du Capital One Arena pour prendre la parole, après l'investiture de Donald Trump en tant que 47e président des États-Unis à Washington, le lundi 20 janvier 2025 © Ken Cedeno/UPI/Shutterstock/SIPA

Depuis le rachat de X par Elon Musk, le réseau social serait devenu un espace plus propice aux discours haineux, ce qui pousse certains utilisateurs progressistes à envisager de s’en éloigner. Les procédures de modération, conçues pour limiter la circulation de fausses informations par le passé, ont été démantelées. Et beaucoup d’utilisateurs affirment que la violence des échanges a augmenté. La liberté d’expression illimitée est parfois dangereuse, mais moins que la censure, rappelle Elisabeth Lévy.


Toute la Silicon Valley fait donc allégeance à Trump. Faut-il s’inquiéter ? Le grand exode d’X en protestation contre cette alliance n’a pas eu lieu. On a assisté à beaucoup de roulage de mécaniques, et à peu de départs. Marine Tondelier s’est ridiculisée: après de grands moulinets, elle a finalement produit un long texte pour nous expliquer pourquoi elle reste.

La libération de la parole, oui, mais pas comme ça…

Ce tollé des bons esprits contre la liberté d’expression est paradoxal et rigolo. Je croyais pourtant qu’ils aimaient la parole libérée. Eh bien non : selon eux, Trump et les broligarques (Musk, Zuckerberg et Bezos), tous réunis hier au Capitole, menaceraient la démocratie parce qu’ils défendent une liberté d’expression presque illimitée. Selon le quotidien Le Monde, le « free speech » est devenu l’arme des conservateurs. Faut-il en conclure que la censure est celle des progressistes ?
Avant son rachat par Musk, Twitter suspendait les comptes de Trump, et le réseau supprimait fréquemment les messages dénonçant l’immigration, l’islam radical ou la transmania – cela m’est arrivé. De son côté, Facebook censurait les messages des antivax. Zuckerberg dit avoir subi des pressions massives de l’administration Biden.
Aujourd’hui, je ne sais pas si on peut montrer un sein sur Facebook ou sur X, des réseaux bien pudibonds, mais on peut en tout cas y défendre toutes les opinions. Au grand dam de la gauche. Aucune preuve ne nous a été donnée que les algorithmes favoriseraient certaines idées au détriment d’autres (ce qui pour le coup serait illégal, et entrainerait des sanctions). L’arbitre, c’est donc la vox populi. On peut le déplorer, mais les contenus qui ont le plus de succès sont mis en avant.

Cette liberté illimitée n’est-elle pas dangereuse ?

Si, mais moins que la censure.
Quels sont les dangers ? Les fake news, d’abord. On peut dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux et, sur fond de baisse du niveau général, des millions de gogos sont prêts à croire n’importe quoi. Hier encore, un post dégoutant sur Jean-Michel Trogneux faisait des milliers de vues. En l’espèce, une poursuite judiciaire serait possible. Mais, faut-il poursuivre un platiste ? Et pourquoi ne pas poursuivre un antispéciste qui nous raconterait qu’il n’y a pas de différence entre les hommes et les animaux tant qu’on y est ? En réalité, interdire nourrit souvent le complotisme.
Il y a ensuite la zone grise des opinions. Comment établir une régulation idéologiquement neutre ? La définition et la détection informatique des opinions problématiques selon la loi est un casse-tête insoluble.

Mensonges avérés, manipulations et « sachants »

En dehors des vérités établies et des mensonges avérés, il y a enfin une immense zone grise d’affirmations contestables, discutables. Qu’on ait dit des sottises sur les vaccins pendant la crise sanitaire du Covid ne signifie pas que toutes les critiques étaient sottes. Pareil sur le climat: on prétend soustraire un phénomène scientifique au débat, et réserver ce débat aux gens qui savent. On voit bien que cela n’est pas possible. Le choc des arguments à la loyale est la moins pire des solutions.
Pour autant, toutes les paroles ne se valent pas : sur les vaccins, un scientifique est plus pertinent que Madame Michu, par exemple. Mais concernant la conquête spatiale, Elon Musk l’est peut-être plus que les éditorialistes du Monde
Mais tout le monde a le droit de s’exprimer. C’est parfois dangereux, souvent franchement déprimant: cela s’appelle la démocratie.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale.

Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte?

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Le président élu Donald Trump danse avec les Village People lors d'un rassemblement avant la 60e investiture présidentielle, le dimanche 19 janvier 2025, à Washington.

Trump qui danse sur YMCA fascine certains, alors qu’ils sont intraitables avec les facéties de nos politiques français. Philippe Bilger s’interroge…


Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’interroge sur mon étrange indulgence à l’égard de certains chefs d’État et présidents étrangers et sur ma sévérité à l’encontre de certaines personnalités politiques françaises. J’avais déjà remarqué que des comportements et postures vulgaires ici ou là, sur le plan international, ne m’avaient pas choqué autant que j’aurais dû l’être si j’avais été le citoyen français habituel. Comme si ce qui se déroulait ailleurs bénéficiait en quelque sorte d’une immunité de principe et d’un droit à la différence !

Je crois en réalité que ma mansuétude a des ressorts plus profonds. Elle tient au fait qu’il y a des univers politiques et démocratiques (si on en accepte une définition large) tellement lointains dans tous les sens du terme qu’il serait absurde de les appréhender de la même manière que les nôtres. C’est encore plus vrai si on se rapporte au tempérament des dirigeants et à l’unité ou non de leur caractère. Par unité j’entends le contraire de la théorie des « deux corps du roi » qui distingue, pour schématiser, le chef public et l’être privé. Les vertus du premier et le respect qui lui est dû en tant que tel, étant sans lien avec les forces et les faiblesses du second.

Donald Trump, un transgresseur loin des conventions politiques

Les personnes de pouvoir qui bénéficient de ma compréhension ne se situent pas dans cet espace classique où on exige, par réflexe républicain, la division totale entre le responsable légitimé par l’élection et la personne privée. À rebours, j’apprécie de savoir que l’être qui se montre est homogène ; à aucun moment on ne pourra craindre qu’il y ait une déperdition si le bloc se fissure et laisse au rancart des aptitudes fondamentales au prétexte qu’elles ne relèveraient pas du registre politique. À l’issue du grand rassemblement républicain organisé par Donald Trump la veille de son intronisation, quand le groupe Village People monte sur scène et que le président discrètement esquisse quelques pas de danse, je ne trouve pas cette image ridicule.

Parce qu’il y a un lien évident, irréfragable, entre le Donald Trump ayant cette attitude peu conventionnelle et celui qui n’hésitera pas à respecter ses engagements, grâce à ce qu’il est dans un ensemble humain, psychologique et intellectuel impossible à dissoudre. 

D’autant plus que pour un être comme lui, transgresser, surprendre ne font pas peur mais stimulent. C’est parce que Donald Trump est « un seul corps » que le meilleur pourrait surgir de lui, à cause du pire (ou du singulier, si l’on veut faire preuve de modération !) dont il est dépositaire. Ils sont quelques-uns à représenter ainsi des personnalités moins clivées en côté cour et côté jardin, plus compactes, se mettant tout entières dans chaque facette de leur existence privée et publique.

J’éprouve une grande curiosité pour ces territoires inédits de la politique. Dans ma liste, je pourrais mettre ces dirigeants d’Amérique du Sud, Javier Milei pour l’Argentine, Nayib Bukele pour le Salvador, Daniel Noboa pour l’Équateur, qui, dans des genres différents et avec des problématiques spécifiques – l’économie pour le premier, la sécurité et la lutte contre le narcotrafic pour les seconds – sont en train de frapper les opinions publiques internationales par leurs résultats. Mais surtout par l’expression d’une énergie tellement puissante qu’elle embarque tout leur être sans qu’il y ait la moindre pause pour laisser se reposer l’homme en charge du destin d’un pays.

La politique française et ses personnalités plus en réserve ?

Sans que j’approuve forcément les politiques mises en œuvre, ce qu’un observateur de bonne foi peut remarquer en France justifiera je crois mon point de vue. Il serait inepte de nier que dans notre pays, à des postes importants, il existe des personnalités fortes, des caractères trempés. Par exemple Bruno Retailleau, Jean-Luc Mélenchon…

Mais notre régime démocratique, le poids médiatique, la sophistication de notre République avec ses pouvoirs et contre-pouvoirs, notre État de droit, une forme de bienséance refusant même qu’on tienne contre vents et marées les promesses d’une campagne présidentielle, les empêcheraient d’engager leur être total au service de la France. Un zeste de décence les conduirait à laisser un peu d’eux-mêmes hors du service de l’État.

Rétrospectivement, revenons à Nicolas Sarkozy. S’il y a eu des circonstances politiques, des crises financières européennes, des conflits mondiaux où sa personnalité a fait merveille parce que l’ordinaire parfois discutable de sa personne a été tourné vers une efficacité et une action présidentielles maximales, combien aussi d’échecs où la frilosité l’a saisi et où, malgré lui et l’image d’énergie absolue qu’il donnait, il a calé !

Pour avoir hélas compris qu’en France, même au comble d’un trop rare courage, aucun projet politique ne serait mené à bien dans toute sa rigueur, je suis naturellement enclin à m’attacher à ceux qui, dans le monde, ont au contraire cette audace jusqu’à la provocation, cet extrémisme jusqu’à la démesure. Il est clair que dans le meilleur des cas ils ne sont pas ligotés par une démocratie comme la nôtre, et que dans le pire, s’ils réussissent, on peut leur pardonner un temps de se prendre pour l’État. Le Salvador est-il si loin de nous ?

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Du djihad aux commissaires politiques

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David Duquesne © D.R.

Surtout, pas d’amalgames ! Il ne faut faire aucun lien entre islam, islamisme et terrorisme. Et malheur à ceux qui osent dire que l’islam et l’immigration sont indissociables. Quiconque ayant une parole critique devient suspect, voire passible de la peine de mort sociale. C’est aussi ce qu’attendent les djihadistes


Avril 2023, commissariat d’Hénin-Beaumont.

« Monsieur Duquesne, votre ex affirme que vous faites de la propagande anti-islam sur les réseaux sociaux, confirmez-vous ces faits ? »

« Pardon ? Le délit de blasphème n’a pas été réintroduit en France ! J’ai le droit de critiquer toutes les religions ! »

Le gardien de la paix est une femme, et ceci à son importance dans la suite de l’anecdote.

« Non monsieur, il y a un article de loi qui stipule que vous ne devez pas heurter la foi des croyants… »

J’interromps mon interlocutrice : « Encore pardon ? Vous plaisantez ? Si je critiquais le catholicisme, le bouddhisme ou le judaïsme, vous ne me poseriez pas cette question ! Pour quelles raisons l’islam bénéficierait d’un statut légal protecteur et privilégié ? »

Le gardien de la paix ne répond pas et enchaîne : « Votre ex affirme que vous délirez et racontez que des djihadistes vous menaceraient et viendraient s’en prendre à vos enfants, et que vous avez écrit un livre qui sort chez Grasset, Ne fais pas ton Français, et que celui-ci s’attaquerait à l’islam ! »

« Effectivement j’ai écrit un livre, et ce projet m’a valu des pressions de la part de mon ex et de sa famille qui ont estimé que je mettais en danger mes enfants, mais aussi qu’un tel livre me verrait être catalogué à l’extrême droite et que cela aurait des répercussions sur leur réputation. Cela a détruit ma famille. »

Le gardien de la paix m’écoute et semble comprendre que quelque chose ne tourne pas rond, elle veut en savoir plus et je m’explique :

« Je suis de culture musulmane par ma mère, qui est une apostat de l’islam, et d’origine algérienne. Je connais bien les thématiques de l’islam, de l’islamisme et des caïdats qui pourrissent la vie de votre profession. Mon livre explique les ressorts qui amènent à plus d’islamisme et à plus de délinquance parmi une certaine frange de la jeunesse. »

Le regard et le ton du gardien de la paix changent, elle finit par me rassurer, la plainte sera classée sans suite, dont la dénonciation pour contenus haineux diffusés sur internet dans le cadre de la loi Avia du 24 juin 2020. Hors audition, je lui explique que je combats ceux qui veulent instaurer la charia en France et qu’en faisant cela, je la défends en tant que femme, car la charia lui interdirait de m’auditionner en tant qu’homme, et que mon ex aurait bien des difficultés à divorcer alors que je pourrais la répudier et la jeter à la rue sur une seule phrase. Le ton de la policière se fait plus chaleureux, et à la fin de notre discussion, elle s’engage à acheter mon livre à sa sortie. Je suis resté très serein durant cette audition, même si cette attaque « islamiste » m’a surpris. 

Que s’est-il passé dans ce pays qui a subi Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, le Bataclan, le 14 juillet à Nice, le marché de Noël à Strasbourg et les multiples attaques au couteau et autres décapitations circonstanciées ?

La plus grande erreur, suite aux attentats en cascade, a été de sanctifier l’islam au nom du « padamalgam » et de le soustraire à toute critique, mais aussi de dénoncer le terrorisme sans préciser quelle idéologie il servait. Autrement dit, de refuser de le rattacher à l’islamisme, c’est-à-dire à l’islam politique, et au djihad, sa dimension conquérante et guerrière. Finalement en sanctifiant l’islam, nous avons cédé aux exigences des djihadistes qui massacraient en représailles de comportements blasphématoires de certains de nos compatriotes. Ils nous donnaient l’ordre de ne plus critiquer la « religion ». Cette injonction a été reprise par tout le monde, avec l’argument ressassé qu’en amalgamant l’islam à l’islamisme, on précipiterait les musulmans dans les bras des islamistes.

C’est ainsi que l’islam est devenu une cause nationale de tous les instants. Ce poncif matraqué depuis les premiers crimes de Mohammed Merah va de pair avec le slogan selon lequel l’immigration est une chance pour la France. Islam et immigration sont en effet indissociables puisque l’une a « apporté » l’autre. Le ruissellement médiatico-politique est très efficace. Toute personne ayant une parole critique sur ces deux thématiques devient suspecte, voire passible de la peine de mort sociale. La charia sociale contre le paria !

Par un de ces tours de passe-passe dont l’Histoire est friande, il se passe finalement ce qui était recommandé dans les colonies musulmanes et notamment en Algérie. Les laïques de la Troisième République interdisaient la critique de l’islam. Alain Quellien, fonctionnaire du ministère des Colonies, inventa même en 1910 le terme islamophobie pour éviter des soulèvements. Nos « laïques » actuels reproduisent le même schéma, mais cette fois en métropole. La gauche républicaine, orpheline de son projet émancipateur dans les anciennes colonies, s’attelle depuis les années Mitterrand à recréer le monde des colonies en France métropolitaine, en guise dirait-on de rattrapage républicain.

Si la gauche radicale s’est alliée avec l’islamisme sans aucune vergogne, la gauche républicaine veut toujours beaucoup d’immigration et beaucoup d’islam, un « bon islam » pour parachever son utopie du vivre-ensemble et d’un universalisme qui ne devrait rien à son socle anthropologique judéo-chrétien. Le pari est risqué, et le sort des Français non musulmans semble être tenu pour un regrettable dégât collatéral. Il devient difficile de démêler les influences croisées de la terreur djihadiste, de la terreur gauchiste, et d’une gauche républicaine « raisonnable » qui sanctuarise l’islam pour ne pas précipiter les musulmans dans le camp des islamistes. Comme si dans leur inconscient, c’est des musulmans et non pas des seuls islamistes que tous ont peur.

Tous prétendent que l’avenir de la France, c’est d’accueillir un islam syncrétique devenu compatible avec la République, un islam qui n’existe pas encore, mais qu’il est interdit de questionner. Un islam sans aucun fondement théologique, mais issu de pratiques discrètes non évaluables si ce n’est par le respect de la laïcité et une présence discrète dans l’espace public. Reste à savoir qui peut croire à cette promesse qui succède à tant d’autres restées lettre morte. Dix ans après les crayons brandis pour défendre la liberté d’expression, ce sont les crayons des commissaires politiques qui terrorisent les insolents.

Huppert à Séoul

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Isabelle Huppert (C) Capricci

Notre actrice française nommée aux Oscars et récompensée aux Golden Globes est à l’affiche demain du nouveau Hong Sang-soo.


Cela fait fort longtemps qu’Isabelle Huppert ne joue plus qu’Isabelle Huppert dans le rôle d’Isabelle Huppert. L’immense actrice, plus attentive à son « image » qu’à son jeu de comédienne (elle n’a vraiment plus rien à prouver), de longue date a choisi de se risquer dans des films qui ne seraient rien sans elle, et dans lesquels elle se projette comme dans un miroir nommé Isabelle Huppert. Après Another Country et La Caméra de Claire, le Sud-coréen Hong Sang-soo s’offre ses services pour la troisième fois. Abonné aux récompenses de la Berlinale, il faut croire qu’elle lui porte chance : il est reparti en 2024 avec un double prix – Ours d’Argent et Grand Prix du Jury.

On a toujours un peu peur de s’ennuyer dans ce genre de cinéma d’auteur à la facture minimaliste. Mais non : on se laisse prendre au jeu de cette intrigue fragile, presque inconsistante, habitée pourtant d’une étrange épaisseur poétique. Iris (Madame Huppert, donc), fraîchement débarquée à Séoul, sans le sou et sans parler un traître mot de coréen (on n’en saura pas davantage), donne, en langue anglaise, des cours particuliers de français, sa méthode pédagogique ne consistant qu’à transcrire sur un bout de papier la traduction des émotions que lui confient, sur l’instant, ses élèves-interlocuteurs, invités ultérieurement à relire et mémoriser ces petits textes pour se familiariser progressivement avec la langue.

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Approche sensible, qui laisse ses « clients » quelque peu intrigués, mais Iris y croit, et sait se montrer persuasive. Hébergée chez un de ses jeunes élèves (en adoration devant elle), la voyageuse solitaire, paradoxalement discrète et envahissante, heurtera malgré elle, par sa présence, la relation difficile d’une mère, en visite surprise, pour la première fois, dans le petit studio où loge son fis étudiant… On se gardera de déflorer ici la teneur de cette séquence dont Iris/Huppert est le déclencheur… Le film repose tout entier sur le mystère de ces impondérables du quotidien, dans le paysage singulièrement paisible d’un quartier de la capitale coréenne.


La Voyageuse. Film de Hong Sangsoo. Avec Isabelle Huppert. Corée du Sud, France, couleur, 2024. Durée : 1h30.

En salles le 22 janvier 2025

Lyrique: une allégorie animalière

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"La Petite renarde rusée", Opéra de Leoš Janáček, Bastille © Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Au cœur d’une forêt enchantée, une petite renarde nous invite à une célébration de la vie. La voix envoûtante d’Elena Tsallagova illumine cette production exceptionnelle. Une touche de fraicheur de la part de l’Opéra de Paris, appréciée


Bizarrement, dans le générique du programme édité par l’Opéra de Paris, aux côtés de Nicky Rieti pour les décors et d’André Diot pour les lumières, ne figure pas le nom d’André Angel – mais seulement celui de Dagmar Pischel, responsable de la présente reprise, en effet, d’une mise en scène mythique entre toutes : produite il y a quinze ans, à Lyon, par trois vétérans dont les talents associés ont assuré, pendant un demi-siècle, le renom des planches parisiennes, du Théâtre Gérard Philippe au Théâtre de l’Europe, en passant par la MC93 de Bobigny… Angel et Rieti sont aujourd’hui presque octogénaires, Diot a 90 ans.

Par sa fraîcheur, sa malice, sa poésie, le vif chromatisme de ses décors et de ses costumes animaliers, cette mise en scène de La Petite renarde rusée ne sonne nullement comme un chant du cygne. Dans ce court opéra tardif crée à Brno par Leoš Janáček (1854-1928) quatre ans avant sa mort, le compositeur tchèque, alors âgé de 70 ans, développe une fable étrange, attendrissante, cocasse, cruelle, qui n’a pas du tout l’acidité morbide de L’affaire Makropoulos, composé un an plus tard (et que l’Opéra-Bastille a d’ailleurs redonné, on s’en souvient, à l’automne 2023, dans la très belle régie du Polonais Krysztof Warilowski).

© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Ici, le plateau nous ouvre dans les grandes largeurs un champ de tournesols en pleine floraison sous le soleil, où va s’ébattre, dans une succession de tableaux égrenés en trois actes jusqu’aux neiges de l’hiver, un microcosme animalier haut-en-couleur, dont cette petite renarde rousse est l’héroïne, au milieu d’une ménagerie de grenouilles, de sauterelles, de grillons, de poules, et même d’un chien et d’un blaireau qui se disputent la partie, entre un garde-chasse, un instituteur, un curé, un braconnier et l’aubergiste du village…

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Pas d’intrigue clairement identifiable dans cette œuvre, ce qui la rend assez déconcertante, pour le spectateur plus familier des transes sentimentales propres à la tradition lyrique, mais un kaléidoscope d’images superbement coloriées : on sait que le compositeur a trouvé l’inspiration de son livret dans la lecture d’un roman-feuilleton illustré, La renarde de fine-oreille (auquel, non sans anachronisme, le programme de l’Opéra prête le nom de « BD » – c’est sans doute plus vendeur)…  Tour à tour grinçante, luxuriante et délicate, la partition de Janáček tranche paradoxalement avec le prosaïsme des situations, traversée qu’elle est d’une somptueuse opulence polyphonique où les voix traduisent, sans emphase, les palpitations de l’âme humaine et la nostalgie du paradis perdu.

© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Singulière allégorie, donc, portée, au soir de la première, par l’actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Huston, Juraj Valcuha, à la tête d’un Orchestre national de Paris à son meilleur. L’excellente soprano russe Elena Tsallagova reprend le rôle-titre qu’elle chantait déjà dans cette même enceinte en 2008. Vocalement de toute première qualité, la distribution a opéré quelques chaises musicales, le baryton-basse Milan Siljanov endossant l’habit du garde-chasse en remplacement de l’Écossais Iain Paterson, tandis que sous les traits  du vagabond le baryton tchèque Tadeas Hoza fait également ses débuts à l’Opéra de Paris.

Car il se trouve que notre barde national Ludovic Tézier, souffrant, ne sera pas le Wotan de L’Or du Rhin dans la nouvelle production très attendue, dans moins de quinze jours à l’Opéra-Bastille, mise en scène par Calixto Bieito (cf. l’an passé, le double échec-et-mat des Simon Boccanegra et The Exterminaiting Angel) . Et qui le remplace ? Iain Paterson, justement. Wagner y perdra-t-il au change ? Ce n’est pas dit.

La Petite renarde rusée. Opéra de Leoš Janáček. Direction : Jurak Valcuha. Mise en scène : André Engel. Décors : Nicky Rieti. Opéra Bastille, les 21, 24, 28 janvier, 1er février à 19h30.

Durée : 2h05