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Quand des ONG et des activistes sabotent l’industrie française…

Régulièrement, l’industrie française fait face à une guerre de l’information qui menace notre souveraineté économique. Des campagnes d’influence, orchestrées par certaines ONG et activistes, fragilisent des secteurs stratégiques pour la France. Il est urgent de réagir. Analyse.


L’industrie française, pilier de notre souveraineté économique et technologique, fait face à une menace insidieuse : une guerre de l’information orchestrée par certaines ONG et activistes sur les réseaux sociaux et dans les médias mainstream. Sous couvert de défendre des causes en apparence nobles, ces organisations participent, consciemment ou inconsciemment, à l’affaiblissement de secteurs économiques pourtant stratégiques pour notre pays.

Une stratégie d’influence bien rodée

Le modus operandi de ces groupes est désormais bien établi. Il s’agit d’abord de cibler des industries sensibles, comme la défense ou l’énergie, qui ne bénéficient pas d’un soutien populaire. Souvent parce qu’on ignore tout simplement leur existence, leur rôle, et… leur nom ! Des proies faciles…

Ensuite, on mobilise l’opinion publique en jouant sur les émotions : images chocs, slogans percutants, et récits manichéens opposant citoyens vertueux et multinationales prédatrices. Le tout diffusé sur tous les réseaux sociaux disponibles, de manière industrielle. 

Cette approche émotionnelle s’accompagne d’un travail de sape plus discret mais tout aussi efficace. Des ONG financées par des fondations étrangères produisent des enquêtes ciblant spécifiquement l’industrie de défense française. Ces investigations, reprises par les médias grand public, fragilisent la position de nos entreprises sur les marchés internationaux.

L’efficacité de ces campagnes repose sur un vaste réseau d’influence. À Bruxelles, pas moins de 3500 ONG gravitent autour des institutions européennes, pesant sur les décisions politiques et réglementaires. Certaines, comme le WWF ou Transparency International, jouissent d’une crédibilité qui leur permet d’influer directement sur la législation européenne.

Plus inquiétant encore, on constate des liens étroits entre ces organisations et des intérêts étrangers. La fondation Gates, l’Open Society de George Soros, ou encore Global Citizen entretiennent des relations privilégiées avec les plus hauts responsables européens ! Ces connexions soulèvent des questions légitimes sur le pouvoir réel de ces acteurs.

C’est une guerre…

Les exemples ne manquent pas pour illustrer les effets de ces actions sur nos fleurons industriels. Naval Group a ainsi vu sa réputation entachée par une campagne de dénigrement orchestrée en amont de la perte du “contrat du siècle” australien. Dans le secteur énergétique, EDF a été victime d’un lobbying acharné visant à affaiblir la filière nucléaire française au profit du modèle allemand des énergies renouvelables.

Or, la vraie force de frappe de ces ONG repose en grande partie sur leur capacité à mobiliser les médias. Des collectifs de journalistes d’investigation, souvent financés par les mêmes fondations étrangères, en apparence au-dessus de tout soupçon. produisent des enquêtes ciblant systématiquement l’industrie de défense européenne. Ces productions sont ensuite relayées par des dizaines de grands médias, y compris publics, qui ne « payent pas le prix » de l’enquête sous couvert de la mutualisation des moyens, sans savoir donc forcéement précisément comment l’enquête a été menée, sans non plus bien sûr que la question de leur instrumentalisation ne soit jamais posée… On vous oppose l’argument de la déontologie et la caution d’avocats, sans jamais se demander qui a initié quoi, qui a fourni quelles enveloppes Kraft, clefs USB et autres « drive », et dans quel but. En réalité, le but est parfaitement connu, lisible, mais il ne semble choquer personne…

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Face à ces menaces, il est urgent que le gouvernement français, et plus précisément ce que l’on appelle communément les « services » prennent conscience des enjeux de cette guerre cognitive, autrement appelée guerre de l’information.

Un des exemples les plus caractéristiques des soupçons que l’on peut porter sur certaines ONG se trouve dans l’actualité avec la question des substances per- et polyfluoroalkylées, ou PFAS (appelés aussi polluants éternels). Si le sujet n’est pas de débattre des PFAS, il est toutefois troublant de voir qu’en creusant un peu, nous pouvons voir que les principaux pourfendeurs des PFAS (comprenant dans le récit déployé une confusion entre différents composés chimiques pour tout ranger sous le terme de « polluant éternel ») sont la Suède, la Norvège, l’Allemagne et le Danemark. Alors que la Suède essuie un échec dans sa stratégie de développement « vert » initiée il y a plus de 20 ans en étant qualifiée par François Gemenne de « cancre de l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique » et que l’Allemagne est énergiquement en retard sur la France, ayant raté le virage du nucléaire, on constate une fronde de ces pays contre les avantages compétitifs industriels de leurs « alliés », au premier rang desquels, la France. Ainsi, des ONG comme ChemSec, née en Suède et qui mène des campagnes comme « Mouvement PFAS » sont financées non seulement par des États, mais également par des consortiums d’entreprises industrielles. La Suède finance cette « ONG » à hauteur de 800 000 euros par an, auxquels on ajoute 300 000 euros de l’Allemagne et de l’Europe, ainsi que les contributions d’entreprises… Avec ces moyens, les arguments peuvent être repris par nos influenceurs, Camille Etienne en tête… Qui est perdant ? L’industrie et la compétitivité françaises… Quand ça ressemble à de la guerre économique, c’est que c’est peut-être de la guerre économique…

L’enjeu de la souveraineté

Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle légitime de la société civile, ni des associations qui défendent des causes justes, mais de développer un regard critique sur les motivations réelles de certains acteurs dont on sait qu’ils sont suspects. La France doit se doter d’outils pour protéger ses intérêts vitaux, tout en préservant les valeurs démocratiques qui font sa force et oser les utiliser. Les ONG qui outrepassent leurs prérogatives ou sont manipulées bon gré mal gré doivent être signalées sur le mode du name and shame. Exactement comme les entreprises qu’elles tentent de déstabiliser, le plus souvent sur ordre ! 

L’enjeu est de taille : c’est notre souveraineté économique et notre capacité à peser sur la scène internationale qui sont en jeu. Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette nouvelle forme de guerre économique, où l’émotion devient une arme redoutable (une photo et quelques mots bien choisis peuvent faire d’énormes dégâts, je le sais puisque je l’enseigne moi-même en media training à des étudiants en journalisme, ou à HEC) entre les mains d’activistes dont les intentions sont, sans l’ombre d’un doute, troubles, voire parfaitement malhonnêtes…..

Sinon, la suite de l’histoire est connue : nos dernières industries disparaîtront ou seront rachetées par des concurrents étrangers, et la France se transformera pour de bon en parc d’attractions géant. Voulons-nous que le tourisme pèse demain 20% ou plus encore de notre PIB, comme c’est le cas de la Croatie ou de la Grèce en Europe, ou plus éloignés de nous, de la Thaïlande ou… des Maldives ? Avec tout ce que cela implique en termes de nuisances et de dépendance économique ? C’est la voie choisie par Anne Hidalgo à Paris, avec l’impact que l’on connaît sur l’activité économique intra-muros, ainsi que sur les Parisiens et les banlieusards. Il est encore temps d’éviter que ce scénario catastrophe se déploie partout en France…

Lyrique: De Richard Strauss à Béla Bartók à l’Opéra de Dijon

Un mémorable Château de Barbe-Bleue en diptyque, ultime mise en scène de Dominique Pitoiset à Dijon. Avec, dans la fosse, un Orchestre français des jeunes rutilant.


Chant de départ pour Dominique Pitoiset. Le voilà qui fait brusquement ses valises le 1er février prochain, alors que son mandat n’arrivait à échéance qu’en décembre 2026. Aujourd’hui âgé de 66 ans, il avait pris la direction artistique de l’Opéra de Dijon en 2021. C’est peu dire que l’homme avait porté au sommet l’institution régionale. Les rumeurs parfaitement infondées sur un harcèlement sexuel auquel il se serait livré à l’occasion de sa mise en scène de Tosca en mai dernier ont eu raison de sa patience. L’époque de la prétendue « libération de la parole » s’autorise toutes les diffamations pour couper la tête du Mâle (forcément dominant) ; le fiel féministe a remplacé la fiole de poison ; aucun membre de la gent masculine n’est plus à l’abri de l’Inquisition woke.   

Faible consolation, les Parisiens amateurs de lyrique se félicitent encore d’avoir pu assister, en septembre dernier, à la reprise de Falstaff : millésimée 1999, sa régie n’a pas pris une ride. Avec Le Château de Barbe-Bleue, donné à Dijon pour deux représentations, Dominique Pitoiset fournit une nouvelle preuve de sa grande intelligence scénographique.

Unique partition lyrique jamais écrite par Bela Bartok (1881-1945) en 1911, sur un livret du poète Béla Balazs (également scénariste sur des films de Georg Wilhelm Pabst ou de… Leni Riefenstahl –  si, si !), mais créée seulement au sortir de la Grande guerre à l’Opéra de Budapest, c’est une œuvre très courte : moins d’une heure. Elle ne réunit que deux rôles chantés : une basse pour Barbe-Bleue, et une soprano ou mezzo pour Judith, l’ultime épouse de l’ogre du célèbre conte de Perrault, retourné comme un gant, pour ainsi dire, sous la double influence de Maurice Maeterlinck et de Paul Dukas, dont le futur librettiste de Bartok avait pu voir, en 1907 à Paris, la création de son opéra Ariane et Barbe-Bleue. Rappelons que la modernité hongroise, à l’approche du premier conflit mondial, était bien davantage tournée vers la France et l’esthétique symboliste que vers le vieil empire bicéphale.

Pour revenir à Pitoiset, quelle excellente intuition d’avoir associé à ce Château de Barbe-Bleue, en guise de prélude, les Métamophoses de Richard Strauss. Le génial compositeur de Salomé, d’Elektra ou d’Ariane à Naxos vient de fêter ses 80 ans lorsqu’il assiste à l’effondrement du IIIème Reich et à la ruine des temples de la musique que sont les opéras de Berlin et de Vienne, ce dernier réduit en cendres par les bombardements alliés, le 12 mars 1944.  A son journal, Strauss confie : « la grenouille  prussienne boursouflée, également connue sous le nom de Grande Allemagne, a éclaté […] La plus terrible  période de l’histoire humaine a pris fin, ces douze années de règne de la bestialité, de l’ignorance  et de l’anti-culture sous l’égide des pires criminels, durant lesquelles  les deux mille ans de l’évolution culturelle de l’Allemagne ont été condamnés tandis que d’irremplaçables monuments d’architecture et de précieuses œuvres d’art ont été détruits par une soldatesque criminelle. Maudite soit la technologie ! ».

Oraison funèbre, ces Métamophoses expriment le désespoir du vieillard toujours alerte, alors réfugié dans sa villa bavaroise de Garmich, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, en 1949. Le titre de cet inoubliable adagio polyphonique écrit pour vingt-trois cordes renvoie, sous les auspices de Goethe, au cycle de la vie végétale, la graine mourant pour s’épanouir sous forme de plante et donner naissance à de nouvelles graines. D’une amplitude, d’une complexité sans pareilles, la texture mélodique de cette élégie bouleversante ranime, dans une synthèse de haute virtuosité, une tradition classique dont Strauss se sait l’ultime champion.

Formé par ces deux partitions nées l’une, puis l’autre, juste après les hécatombes du XXème siècle, le diptyque tel que l’a conçu Dominique Pitoiset pour la scène dijonnaise « fonctionne » – comme on dit – à merveille. Le lever de rideau s’ouvre sur un long silence : au centre de l’immense plateau évidé, tendu de noir, un lit en bois de loupe. Une femme y agonise veillée par un jeune garçon, son fils, une infirmière, le père, probablement… La cataracte sonore de Richard Strauss fond soudain sur ce vertige muet : elle dure une demi-heure. On comprend que la mère du futur Barbe-Bleue a rendu l’âme. Traumatisme enfoui de l’enfance. En arrière-plan, dans une sorte de placard-bibliothèque, les portes interdites du château, celles que Judith, la quatrième épouse de Barbe-Bleue, mue par sa curiosité morbide, profanera jusqu’à signer sa propre perte, dans le second volet du spectacle, sous les auspices de Bela Bartok. Par un sortilège visuel simple et parfaitement efficace, la couche mortuaire y deviendra cercueil, caveau, terreau d’où jailliront – superbe effet scénographique ! – les mains entremêlées, spectrales, des épouses supposément assassinées – mais vivantes et prisonnières de cet antre : autant dire que le Château est habité d’une forte résonnance psychanalytique…  Sur ce dispositif scénique minimal s’épanouit la partition stridulante, orageuse, échevelée de Bartok, d’un lyrisme expressionniste captivant.

Pour Aude Extrémo (dont on a eu l’occasion d’admirer la superbe voix de mezzo par deux fois à l’Opéra-Bastille en 2024, d’abord dans le rôle de la servante Suzuki, dans Madame Butterfly, puis dans Rigoletto où elle campe Maddalena – spectacle d’ailleurs repris en mai prochain dans la même enceinte), chanter en langue hongroise était un défi. Elle le relève haut-la-main : deux ans que de son propre aveu elle travaillait assidument sur ce texte : à défaut de comprendre parfaitement le hongrois, elle en magnifie l’articulation, la rugosité si particulière. Son partenaire, le baryton-basse Önay Köse, lui donne la réplique dans une puissance d’émission vocale, une netteté du phrasé, une intensité de jeu remarquables.

Kristiina Poska (c) Bruno Moussier

Mais surtout, surtout, ultime défi, les instrumentistes novices de l’Orchestre français des jeunes (OFJ), en résidence depuis l’été 2023 à l’Opéra de Dijon –  formation nouvellement dirigée par l’Estonienne Kristiina Poska, laquelle reprend la baquette tenue pendant cinq ans par le chef danois Michael Schonwandt – affrontent une double difficulté : s’attaquer à l’hypertrophie polyphonique straussienne et, conjointement, à leur première partition lyrique sous la bannière des quatre B : Bela Bartok & Barbe-Bleue.  

Ce spectacle étincelant de part en part contribue à faire de la scène dijonnaise un havre de haute culture. A noter que – toujours dans l’immense « auditOrium » [sic] excentré au cœur du quartier d’affaires fort peu glamour de la capitale bourgonnaise – le magnifique Grand théâtre, sis dans le vieux Dijon, étant en cours de rénovation – l’Opéra de Dijon programme le mois prochain une Traviata prometteuse, avec Melody Louledjian et Marine Chagnon, dans une nouvelle mise en scène signée Amélie Niermeyer  – sa régie de Don Pasquale (Donizetti) avait fait date ici même il y a trois ans…


Vu les 11 et 12 janvier : Le Château de Barbe-Bleue, opéra de Bela Bartok. Précédé des Métamophoses, de Richard Strauss. Avec Aude Extrémo et Önay Köse. Direction : Kristiina Poska. Mise en scène : Dominique Pitoiset Orchestre Français des Jeunes. AuditOrium de l’Opéra de Dijon.

A voir : La Traviata, de Giuseppe Verdi. Avec Melody Louledjian, Marine Chagnon… Direction : Débora Waldman. Mise en scène : Amélie Niermeyer. Orchestre Dijon Bourgogne, Chœur de l’Opéra de Dijon.

Le 9 février à 15h, les 11, 13, 15 février à 20h.

Durée : 2h30

opera-dijon.fr

Otages du Hamas: Doha, théâtre des mille et une négociations…

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Se dirige-t-on enfin vers un cessez-le-feu à Gaza ? Un accord pour la libération des otages en trois actes est en cours de finalisation entre Israël et le Hamas. La fin de la guerre, et le début de nouveaux ennuis pour les Israéliens.


Est-ce que cette fois-ci c’est la bonne ? Au cours des derniers jours, un sentiment de déjà-vu semble se dégager dans la capitale qatarie, Doha. La ville a été le théâtre de négociations intenses entre des représentants du gouvernement israélien et du Hamas, menées de manière indirecte et en coordination avec des émissaires des administrations américaine sortante et entrante, ainsi que des gouvernements qatari et égyptien. Ces pourparlers ont permis de rapprocher les points de vue et de réduire les divergences entre les deux parties. Les médias qataris, saoudiens et israéliens relaient désormais l’idée qu’un accord pour la libération des otages israéliens détenus par le Hamas à Gaza serait cette fois véritablement à portée de main. Selon les informations publiées, ces discussions auraient abouti à un accord global qui aborde trois axes : mettre fin à la guerre, libérer les otages et poser les bases du « jour d’après », notamment la reconstruction de la bande de Gaza.

Retrait de Tsahal des zones peuplées

La première phase de cet accord prévoit la libération de 33 otages israéliens, dont trois immédiatement, en échange d’un cessez-le-feu temporaire d’une durée de 42 jours. Pendant cette période, plusieurs unités israéliennes se retireront des zones peuplées de Gaza, tandis qu’un nombre encore indéterminé de prisonniers palestiniens, y compris des condamnés à perpétuité, seront libérés. L’endroit où ces prisonniers seront envoyés reste incertain : Gaza, Cisjordanie ou ailleurs. Parallèlement, l’aide humanitaire, notamment l’approvisionnement en carburant, sera considérablement augmentée. Pendant cette trêve, les négociations se poursuivront pour finaliser les détails de la deuxième phase.

La deuxième phase, également d’une durée de 42 jours, prévoit la libération de tous les soldats israéliens détenus en échange de prisonniers palestiniens, dont le nombre et l’identité restent à déterminer. En parallèle, un retrait complet des forces israéliennes de la bande de Gaza sera effectué, y compris des zones stratégiques comme les corridors de Netzarim, au centre de la bande, et de Philadelphie, le long de la frontière égyptienne.

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Enfin, la troisième et dernière phase prévoit l’échange des corps des morts des deux côtés après identification. Elle inclut également une déclaration de cessez-le-feu durable, au-delà des 84 jours initiaux, et le lancement de la reconstruction de Gaza. Ce vaste projet pourrait s’étendre sur cinq ans et serait supervisé par les Nations Unies et des organisations internationales. Les points de passage avec l’Égypte et Israël seraient rouverts, permettant la circulation des personnes, des marchandises et, surtout, des matériaux nécessaires à la reconstruction.

Le Hamas à bout de forces

À plusieurs niveaux, des facteurs poussent les deux camps à accepter cet accord. Du côté du Hamas, bien que sa capacité militaire résiduelle lui permette encore quelques actions, son potentiel a été drastiquement réduit. La destruction massive à Gaza et les souffrances croissantes de la population ont également gravement entamé sa popularité parmi les habitants, compromettant son influence future dans la région. Le cessez-le-feu conclu par le Hezbollah sans lien direct avec Gaza a également porté un coup à la crédibilité du Hamas, révélant les limites de sa stratégie de convergence des fronts.

Du côté israélien, l’administration Trump joue un rôle clé en incitant le gouvernement de Netanyahou à faire preuve de flexibilité. Par ailleurs, M. Netanyahu, dont la popularité avait atteint son niveau le plus bas après les attaques du 7-Octobre 2023, a regagné une partie de son soutien grâce à des succès militaires significatifs, notamment l’élimination de figures majeures du Hamas et du Hezbollah. Cependant, cette collaboration initiale entre MM. Trump et Netanyahou suscite des inquiétudes pour ce dernier. La pression exercée par l’émissaire spécial de Trump, Steve Witkoff, semble avoir refroidi les attentes israéliennes quant à un alignement inconditionnel avec Washington après le 20 janvier…

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La situation actuelle représente un moment critique dans les rapports de force entre les deux parties. Le Hamas cherche à assurer sa survie et à reconstruire sa structure militaire et politique. Israël, de son côté, considère la fin de la guerre comme une opportunité pour se concentrer sur d’autres priorités régionales, notamment la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite et la surveillance du programme nucléaire iranien. Par ailleurs, il est essentiel de résoudre la question des Houthis, qui ont infligé des pertes importantes à l’Égypte, et de surveiller cette situation de près, car la stabilité du plus grand pays arabe est en jeu.

Si le Hamas a clairement échoué dans son pari du 7-Octobre, Israël, malgré ses gains militaires et diplomatiques soutenus par les États-Unis, voit ses succès fragilisés. Toute la question réside dans la capacité d’Israël à empêcher efficacement et de manière durable le réarmement du Hamas, qui commencera probablement dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Israël pourrait imposer un contrôle strict à court terme, mais sera-t-il en mesure de maintenir ce régime dans la durée ? Dispose-t-il du crédit politique suffisant auprès des États-Unis pour poursuivre cette stratégie ? La monnaie d’échange semble déjà connue : accorder un rôle accru à l’Autorité palestinienne, dont l’accord en cours de finalisation pourrait permettre un retour progressif à Gaza. Transformer les réussites militaires en victoire durable nécessitera un effort considérable sur le plan politique et diplomatique, tout en mettant à l’épreuve la majorité actuellement au pouvoir en Israël.

Quand la télé donnait faim!

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Le chroniqueur gastronomique, Jean-Luc Petitrenaud, disparu en fin de semaine dernière, fut un passeur élégant et marquant d’une cuisine faisant la jonction entre les producteurs et les restaurateurs, il était là, aux prémices de la bistronomie et au retour gagnant des saveurs authentiques


Il sillonnait les routes de France, avec son taxi anglais et ses vestes à carreaux. On le voyait arriver de loin, comme la caravane du Tour sonnante et annonciatrice d’une joie enfantine. Il clignotait dans les brumes des Landes ou en approche des ballons d’Alsace, il escaladait les monts de Chavignol et poussait jusqu’aux confins du Finistère. C’est lui, le grand monsieur en costume de scène de la télé parisienne, le promoteur de la tartine du dimanche soir, toujours bien mis, affable et courtois, qui venait visiter notre terroir sans aprioris, sans la morgue du civilisateur…

Il venait vous donner la parole à vous, l’artisan-boucher, le maraicher, le confiseur, le chien truffier ou le vigneron bougon. On disait qu’il avait un bon coup de fourchette et qu’il était généreux avec ses invités ; il leur laissait la part belle dans la conversation, ne les coupait pas inopinément pour tirer la couverture à soi.

A lire aussi, Emmanuel Tresmontant: À la table de mare nostrum

Petitrenaud s’amusait de son côté cirque Pinder et de cette géographie provinciale, hautement estimable, qui est cet indispensable voyage au pays de l’intérieur. Chaque Français, avant d’arpenter la planète, devrait l’imiter, partir sur un coup de tête dans le Morvan plutôt que d’errer à la Barbade. Dans les temps incertains, ces années molles du changement de millénaire, il était bon, salutaire même, que des hommes en perte de sens trouvent sur leur chemin ce pèlerin des halles couvertes et des zincs impromptus, ayant la foi du gourmand convaincu. On pouvait saucissonner avec lui et lever le coude dans une amitié nouvelle, pourtant télévisée, donc artificielle et cependant pas du tout commandée, il avait le contact naturel des forains, il ne forçait pas sur les signes ostentatoires de la rencontre. Souvent, il laissait venir, il était l’accoucheur des professions manuelles méprisées, elles n’avaient pas encore connu leur rédemption cathodique. Il fut l’un des premiers à leur faire la courte échelle pour accéder à une plus juste reconnaissance. La télévision gommeuse et mensongère capte difficilement ces moments d’abandon, où l’on est ému et l’on rit devant un pot de cornichons, des rillons et un jambon à l’os tentateur car ils nous rappellent nos attaches sentimentales.

Petitrenaud nous a transmis, par sa chaleur et son débit, ces instants d’accalmie où il n’est plus question de profitabilité et d’éthique, d’extraterritorialité et de déni des campagnes. Il était du côté de Larbaud et de Giono, dans l’organdi des terres oubliées. Manger, ce n’est rien d’autre que ça, se regarder dans les yeux, s’estimer heureux de vivre dans un pays où existent encore des métiers de bouche. En héritage, en compagnonnage, ils nous laissent des traces de leur humanité. Petitrenaud a filmé cette transcendance-là, à bas bruit, dans un programme d’éducation culinaire et de divertissement qui pouvait sembler anodin dans le PAF. Et, aujourd’hui, on sait qu’il était essentiel ; avec Jean-Luc, nous communiions avec les animaux de la ferme, on retournait à la source de la cuisine lyonnaise ou basque, on épelait le nom des champignons, on se réappropriait ainsi des pans entiers de notre culture. Sans repli et sans gaudriole, dans la bonne humeur simplement. Sa diction carnavalesque, héritage du théâtre français, ne mâchait pas les mots. Il faisait les liaisons et prononçait avec une volupté récréative, les gibiers de Sologne, les marées de Cancale, les fruits de saison et les sauces des vieux grimoires. Ses escapades nous ouvraient l’appétit. Comme son ami Gilles Pudlowski, l’un des derniers mousquetaires de la critique érudite sans chichis, pouvant s’enthousiasmer aussi bien pour une terrine et louer la haute technicité d’un chef étoilé, Petitrenaud était l’un de ces passeurs que l’on n’oublie pas. Un animateur affable, bonimenteur chaleureux de nos midis, il a remis la cuisine française à sa place. Et pour ça, on peut le remercier.

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« Babygirl », avec Nicole Kidman, ou la sexualité tardive de la génération X

La Génération X est née entre 1970 et le début des années 1980. Elle a longtemps été écrasée par le nombre des boomers qui marchaient avant elle, mais elle arrive finalement au pouvoir. Et avec le pouvoir financier, politique, littéraire, vient l’envie d’user de ce pouvoir à des fins libidinales. À en croire notre chroniqueur, l’arrivée sur le marché de la séduction (ou de la prédation, ou de la simple consommation) de femmes quinquagénaires qui ne sont plus du « sexe faible » est une révolution en marche.


Babygirl, qui sort ce mercredi en France, raconte l’histoire d’une quinquagénaire (encore que, comme le souligne Kate Rosenfield, « Nicole Kidman, at 57, can still pass for 15 years younger from the front and for a teenager from behind » — ai-je besoin de traduire ?) qui entame une liaison SM avec l’un de ses stagiaires, âgé de 25 ans. Imaginons que ce soit un homme qui soit à sa place, et se tape la stagiaire ou la baby-sitter, on crierait au scandale, au patriarcat prédateur, au « male gaze » et autres imprécations #MeToo.


C’est une lame de fond. J’ai commencé à y prêter attention à mon retour du Japon — ces interminables heures d’avion où vous n’avez rien d’autre à faire que regarder les films offerts à votre ennui. Parmi d’autres chefs-d’œuvre, j’ai vu là pour la première fois Good Luck to You, Leo Grande (Mes rendez-vous avec Léo, de Sophie Hyde, sorti en 2022) où Emma Thompson, veuve récente, quasi-sexagénaire, qui n’a jamais joui de sa vie tout en restant fidèle à son mari, se loue un call-boy : je ne saurais trop vous conseiller le film, d’une finesse et d’un art du dialogue rarement atteints depuis la mort de Cary Grant et de Katharine Hepburn.

Nicole Kidman est dans la même situation, qui a besoin de ses doigts et d’un film porno pour atteindre une extase mécanique que son mari (Antonio Banderas, quand même) est inapte à lui procurer.

C’est une lame de fond. L’un des grands succès romanesques de l’année 2024, aux Etats-Unis, s’intitule All Four (Miranda July, 50 ans aux fraises) : « The first great perimenopause novel », s’enthousiasme le New York Times.

La sexualité des boomers commence à donner de la bande, si je puis m’exprimer ainsi. Prévoyants, ils ont inventé le Viagra. Mais ces dames, dont le pouvoir de séduction s’effrite si vite, dans un monde dominé par l’idéologie jeuniste, comment défouleront-elles leurs pulsions ? Ont-elles le droit de s’offrir le livreur de pizzas ou le plombier, ces archétypes de la pornographie ? Ou le fringant attaché / secrétaire / garçon de courses qui passe dix fois par jour devant elle avec ses costards bien taillés qui, vous l’avez remarqué, laisse désormais libre expression au petit cul de ces jeunes gens…

Après tout, à 45 ou 50 ans, elles ont élevé leurs enfants, rempli leurs devoirs d’épouse, bâti une carrière qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que les boomers dégagent le terrain. Si elles sont mariées, c’est avec un homme sensiblement du même âge, voire plus âgé, avec qui le jeu de la bête à deux dos, comme disait Rabelais, n’est plus qu’une routine…

Elles cultivent en secret d’autres ambitions.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Combien de mâles pour zéro bien?

À noter que cette sexualité seconde est fort différente de celle des hommes au même âge. Les quinquagénaires qui vérifient avec des jeunettes que leur pouvoir de séduction est toujours intact, cela existe depuis toujours. Parfois même ils délaissent leurs épouses et expérimentent avec lesdites jeunes femmes un pouvoir génésique est toujours intact, en invoquant Chaplin ou Picasso. On appelait ça la « midlife crisis » en anglais, ou le démon de midi en français. Autrefois c’était vers la quarantaine, aujourd’hui les hormones lancent leur baroud d’honneur vers la cinquantaine, puisque la longévité s’est allongée.

Les femmes ne jouent pas dans la même cour. Elles ne sont plus d’âge à avoir des enfants —elles ont déjà donné. Ce qu’elles désirent, c’est la satisfaction pure de leur libido ensommeillée ou de leurs fantasmes inavoués. D’aucunes se révèlent dévoreuses sur le tard, après une demi-vie routinière. Elles souhaitent qu’on les comble. Qu’on les fasse se sentir belles à nouveau. Elles veulent palper une chair ferme, des muscles bien dessinés, des érections glorieuses et renouvelées. De la chair fraîche. L’amour physique est, après tout, la crème de beauté la plus instantanée et la plus efficace.

Elles désirent aussi qu’on leur parle — autre chose que « Chérie, je suis rentré, qu’est-ce qu’il y a à manger ? » Le film de Sophie Hyde (il est significatif que réalisateur et scénariste soient l’une et l’autre des femmes de la Génération X) est à cet égard révélateur : on n’y voit rien de plus qu’une épaule, un torse d’homme, mais on y écoute avec intérêt le dialogue d’Emma Thompson et de Daryl McCormack, où l’escort dénoue patiemment les contraintes et les préjugés où s’enfermait depuis toujours la belle cliente — car Thompson, à 63 ans, si elle n’a pas le physique intemporel de Kidman, est fort belle et joue magnifiquement.

Messieurs, méfiez-vous. Vos compagnes fomentent d’obscurs complots. Elles ne prétendent pas être aimées, mais bien culbutées. Elles sont prêtes à payer, pour ça — comme vous : « escort » est, après tout, un mot neutre, il peut être masculin ou féminin selon les goûts. Elles ne vous trompent pas, au fond : elles exploitent ces zones que vous avez laissées en jachère. C’est ce que j’ai décrit par ailleurs dans un petit essai intitulé « La Théorie du camembert » — disponible sur le Web, heureux veinards que vous êtes…

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Tous contre Dark Vador

Les Jean Moulin de salon ont une nouvelle croisade: quitter Twitter ne suffit pas, il faut l’interdire. Au nom de la liberté, évidemment, car la censure, c’est la liberté! C’est beau comme du Orwell, s’amuse Elisabeth Lévy.


Dernière minute ! Elon Musk, déjà propriétaire de X (anciennement Twitter), pourrait bientôt racheter les activités américaines de TikTok si les États-Unis le bannissent. Des discussions seraient en cours. « Selon un scénario envisagé par le gouvernement chinois, X prendrait le contrôle du TikTok américain et gérerait les deux entreprises ensemble », croit savoir Bloomberg.

Une nouvelle tendance se développe : il faudrait quitter X (Twitter).
La gauche devrait élever une statue à Elon Musk. Elle était orpheline, privée de son doudou maléfique Le Pen; le milliardaire américain devenu l’âme damnée de Trump lui en offre un nouveau sur un plateau. Les ardeurs résistantes peuvent se reconvertir dans la chasse au Musk.

Seuls face aux « broligarques »

Avec le Dark Vador planétaire (parrain de « l’internationale réactionnaire », selon le président Macron), les Jean Moulin de salon ont une nouvelle croisade. Mais quitter Twitter ne suffit pas, il faudrait carrément l’interdire. Au nom de la liberté évidemment. La censure, c’est la liberté : c’est beau comme du Orwell !
Sandrine Rousseau paraphrase la sortie ridicule d’Adèle Haenel aux Césars, on se lève et on se casse, et invite ses collègues députés à quitter X, qualifiée de « machine de désinformation » et de danger pour la démocratie. Le mouvement HelloQuitX donne le mode d’emploi pour migrer sur des réseaux convenables le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis. Les décideurs européens, pelotonnés derrière leur Digital Services Act (DSA), supposé réguler le Far West numérique, espèrent lutter contre les « broligarques » à coups d’amendes…

https://twitter.com/sandrousseau/status/1878358121355108701

Je suis un peu railleuse, mais je ne dis pas que X ne pose aucun problème.

Discours formatés pour plaire à l’algorithme Twitter

Les réseaux sociaux en général sont une calamité historique qui encourage le pire de l’être humain. Invectives, âneries, dérives, trucs dégoutants…

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Aujourd’hui, même le discours politique est formaté pour être twittable (à ce titre, X est tellement utile pour tous les acteurs de la vie politique qu’il n’est pas sûr que les appels à la désertion soient massivement suivis…). Et s’il faut interdire quelque chose, TikTok serait peut-être prioritaire ; il semble que cela abime beaucoup les cerveaux de nos jeunes.
Que reproche-t-on à Elon Musk, au juste ? (et maintenant à Mark Zuckerberg qui vient semble-t-il d’effectuer un virage politique)

  • Premièrement, ses opinions. Il est pour l’AFD en Allemagne. Cela ne me pose pas de problème que M. Musk défende ses opinions, comme M. Soros dans le camp progressiste par exemple. Ce qui pose en revanche un problème politique, c’est qu’il est désormais quasiment ministre de Trump… Mais si son débat avec l’Allemande Alice Weidel a cartonné sur X, c’est que les usagers votent en réalité avec leur pouce et aiment ce qu’elle dit. Ils ont peut-être tort, mais il n’y a aucune preuve que l’algorithme surexpose ces idées.
    Quand Facebook / Meta obéissait aux consignes de Joe Biden pour censurer ou favoriser certains contenus, ce que Mark Zuckerberg a avoué dans une vidéo récente, quand Twitter suspendait le compte de Donald Trump, quand la tech était de gauche, tout le monde applaudissait. La liberté, ce n’est bon que pour les gens qui pensent comme nous.
  • Ensuite, il y a le cas des fake news. Nous savons qu’il n’y a plus de fact-checking sur X (c’est-à-dire qu’il n’y a plus de modération maison, de vérification des faits réalisée par la « boutique » X/ Twitter), et qu’il n’y en aura plus non plus demain sur Facebook, mais une modération communautaire comme sur Wikipedia. Cela n’est pas forcément moins efficace.

Les réseaux sociaux ont démocratisé le droit de dire n’importe quoi au niveau planétaire. Malheureusement, on ne va pas faire entrer le dentifrice dans le tube. Mais on peut imposer le pluralisme. Que toutes les idées s’affrontent à la loyale. En attendant, nous sommes une colonie numérique américaine. Au lieu de jouer les chevaliers blancs, on aimerait que Thierry Breton dise ce qu’il a fait pour contrer la suprématie numérique américaine. Rien.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

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L’islam de maman

Sonia Mabrouk n’a pas d’états d’âme quand il s’agit de lutter contre l’islam politique et ses méfaits. Mais la journaliste n’en demeure pas moins attachée à l’islam de son enfance, un islam de femmes nourri de contes plus que de Coran. La foi discrète et inspirée d’une « pratiquante de cœur ».


Causeur. Dans un dialogue avec Philippe de Villiers orchestré par Eugénie Bastié, vous avez fait en quelque sorte votre « outing musulman » en déclarant : « Il y a un islam vécu dans la sphère privée, générateur de sacré. Personnellement, c’est ce qui m’a permis de tenir dans les moments dramatiques. Plus qu’une certaine estime, j’ai pour cet islam-là une admiration totale. » Vous pensiez à votre mère dont la disparition vous a beaucoup éprouvée. Qu’est-ce qui vous fait tenir, la foi, le rite, le groupe ? Expliquez-nous…

Sonia Mabrouk. J’ai longtemps pensé que les « valeurs de la République », même si comme vous je n’aime pas trop ce mot galvaudé, le sacré laïque si vous préférez, étaient suffisantes pour nourrir mon amour de la France. Mais depuis un certain temps, cela ne me suffit plus. En réalité, il y a toujours eu comme une distorsion entre une injonction, que je partage, à faire siennes ces valeurs, et ma conviction personnelle. Derrière ma quête du « sacré[1] », j’ai une vraie croyance, une loyauté à la religion telle que je l’ai connue à travers ma mère et ma grand-mère. Ce n’est pas « l’islam des Lumières » de Malek Chebel, c’est un islam privé, dont j’ai hérité, que j’ai vu pratiqué au quotidien.

Dans quel bain culturel est né cet islam ? N’était-il pas déjà occidentalisé par l’histoire familiale – vous êtes allée à l’école catholique ?

Si, complètement. J’ai été éduquée en partie par des sœurs, des Pères blancs qui étaient des femmes. Ce sont elles, en Tunisie, qui nous apprenaient la prière. Quand je demandais pourquoi, on me répondait « la meilleure manière de bien connaître votre religion, c’est qu’elle soit expliquée par d’autres ». Mon islam n’est pas adossé au Coran, édicté par la main gantée des hommes. Dans ma famille et en partie en Tunisie, l’islam est aussi une histoire de femmes qui puise dans les contes. On m’a appris que Shéhérazade était une femme moderne, une féministe avant l’heure qui vivait dans un environnement féodal, misogyne, et qui était capable de subvertir la règle d’or des hommes. Cela m’est resté. Les sœurs, comme les femmes de ma famille, m’ont appris qu’on avait le Coran, mais aussi Les Mille et Une Nuits. Le Coran ne parle que très rarement des femmes, et des hommes aussi d’ailleurs. Il parle de Dieu et des croyants. Pour moi, Shéhérazade, c’est l’islam moderne.

Cet islam plus charnel que celui du Coran était-il une singularité familiale ?

Non, cela allait au-delà. Dans l’école publique que j’ai fréquentée avant l’école française, mes amies d’enfance (qui sont restées les mêmes) avaient aussi cette vision-là. On considérait un peu l’islam comme une auberge espagnole : je suis pratiquante de cœur, je pioche. Cet islam aurait quelque chose à apporter au monde et à la civilisation. Mais si tu viens en conquérant, tu choisis dans les sourates ce qu’il y a de plus terrible et noir.

Malheureusement, cet islam consolateur et paisible du privé est marginal. Aujourd’hui, la version la plus répandue de l’islam c’est le refus de l’altérité, de l’égalité des sexes, de la critique. Le problème tient-il au Coran lui-même ?

Je ne peux pas vraiment répondre à cela, mais je ne crois pas à la possibilité d’une Réforme. À l’échelle individuelle, chacun peut se fabriquer son islam, mais collectivement, c’est un fantasme. Les voix favorables à l’obscurantisme sont plus fortes. Mais il y en a d’autres. Dans son Dictionnaire amoureux de l’islam, Malek Chebel expliquait que les Arabes ont inventé les aphrodisiaques, le préservatif et les cosmétiques, les préliminaires, etc. J’ai été fascinée par cette lecture. Malheureusement, on entend très peu ceux qui parlent de désaliénation religieuse et encore moins ceux qui, comme moi, défendent la France mais refusent de se couper de tout sentiment religieux.

Admettez que ce n’est pas simple. Vos murs porteurs sont à la fois le primat de la raison et le besoin de sacré. Comment vous arrangez-vous avec tout cela ? N’est-ce pas contradictoire ?

Non, parce que la transcendance, ce n’est pas le surnaturel ou l’idolâtrie. C’est cette part irréductible de l’homme à laquelle les sociétés modernes, nihilistes et matérialistes, ont tourné le dos. On peut essayer de la chasser par la porte de son esprit, elle revient par la fenêtre de son cœur. Je n’ai pas attendu la perte d’un être cher pour avoir besoin de ce lointain qui m’est paradoxalement très proche. Il y a une phrase de Pascal qui me bouleverse : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » Je sais que c’est en nous. Et pourtant, dès qu’on parle de transcendance, on est regardé différemment. Saint-Exupéry se désespère que rien ne vienne caresser le cœur des hommes dans ce monde asséché. Dans une lettre qu’il a écrite en Tunisie, il dit que les hommes ne peuvent pas juste vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés. Ce désespoir spirituel le désespère.

Ce que vous dites, c’est qu’il faut un plus grand que soi. Cela peut être l’art, la beauté ou même la révolution…

Sans doute, mais quand je suis à Notre-Dame, je ressens véritablement quelque chose de très fort en moi qui vient de très loin. De même à la mosquée Hassan-II de Casablanca.

Et quand vous voyez des caricatures de Charlie, vous vous sentez offensée ?

Peu importe que je sois ou non offensée. Je me battrai toujours pour Charlie parce que c’est la quintessence de la liberté et que, dans notre pays tellement habitué à la liberté, on ne l’aime pas assez. Cependant, je ne crois pas à l’esprit du 11 janvier. Tous Charlie, tous juifs, tous flics, c’est du baratin.

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Ce qui nous ramène au défi que constitue l’installation de l’islam dans les sociétés libérales. Vous ne croyez pas à une réforme.

Y a-t-il un seul État musulman démocratique dans le monde ? Je ne crois pas. C’est ce qui me rend sceptique sur la possibilité d’une Réforme collective. Difficulté supplémentaire, l’islam n’a pas de clergé qui pourrait faire autorité. L’oumma est sans doute un projet collectif, mais pas un projet d’avenir.

Il y a une autre contradiction. Ce qu’apporte la religion, c’est une transcendance, mais aussi une appartenance, un groupe. Comment faire pour éviter à la fois l’enfermement dans le groupe et la désaffiliation de l’individu atomisé ?

L’enjeu est précisément celui-là. Le communautarisme fait du groupe un ensemble homogène dont les autres – les Français, les juifs – sont exclus. Pour autant, je ne crois pas à l’abolition des appartenances. Ce que j’appelle de mes vœux, c’est un groupe où l’individu dispose de sa liberté et de son choix éclairé. Malheureusement, l’islam en est loin.

Vous aviez des amies juives dans la Tunisie de votre enfance. On a certes idéalisé un prétendu âge d’or. Cependant, entre juifs et musulmans, il y a eu des moments de coexistence heureuse.

Il y avait même plus que ça, il y avait des visionnaires qui imaginaient ce qui semble hors d’atteinte aujourd’hui. Le 3 mars 1965, le président Bourguiba visite un camp de réfugiés palestiniens à Jéricho avec le roi Hussein de Jordanie. Après avoir exprimé sa compassion pour leurs souffrances, il ajoute qu’on ne peut pas continuer avec des proclamations grandiloquentes sur les réfugiés palestiniens sans terre. Il faut reconnaître l’État d’Israël. Bourguiba évoque longuement l’expérience tunisienne, rappelle que l’indépendance s’est faite par étapes. Et il conclut : « Si nous avions rejeté les solutions incomplètes comme les Arabes ont rejeté le plan de partage de la Palestine, la Tunisie serait encore aujourd’hui sous occupation étrangère. » Il voulait dire qu’on doit accepter des compromis. Les Arabes ont largement contribué à saborder l’avenir des Palestiniens. Ils ont préféré faire d’Israël le responsable de tous leurs maux.

Vous affirmez que l’islamisme n’est pas l’islam. Cependant, on peut parler d’un islamisme d’atmosphère (pour paraphraser le djihadisme d’atmosphère de Gilles Kepel) qui est un islam identitaire – « Je suis d’abord musulman et je suis musulman contre tous les autres ». Peut-on encore dire « pas d’amalgame » ?

De nombreux individus, moi la première, sont totalement imperméables à cette atmosphère. Mais il serait hypocrite de dire qu’il y a une muraille de Chine. Cependant, je continue à penser que, comme elle l’a été pour les juifs, la France pourrait être une chance pour les musulmans.

Toutes les études montrent que l’imprégnation islamiste concerne 40 % des musulmans en France. Ce qui signifie que 60 % voudraient échapper à la pression de l’islam politique. Que fait-on pour ceux-là ?

Si j’avais la réponse… Je sais que beaucoup de Français musulmans, à qui les médias ne donnent pas la parole et qui n’ont pas non plus envie de la prendre, ne croient pas à une nation multiculturelle. Ils veulent qu’il y ait des crèches dans les mairies et des juifs en France. De même, la majorité des Français ne voudrait pas d’une France sans musulmans. Ils ne veulent juste pas être submergés ou remplacés. Comme moi, ils aiment que la France soit diverse, mais qu’elle n’oublie pas ses racines.

Vous êtes une personnalité publique. N’avez-vous pas peur de vous exposer, d’être moquée, quand vous parlez de vos croyances intimes ?

J’ai pris ma liberté, mon droit de croire dans les signes, dans la symbolique des choses. Peu importe si on se moque de moi, si je surinterprète comme je l’ai fait quand maman est partie, je vois ces symboles et ils contribuent modestement à réenchanter mon monde. C’est la seule manière de se protéger. On a tellement de combats à mener, on a tellement parlé, que cela assèche. Tout ce qui tombe du Ciel ou de la poche de Dieu, je préfère le ramasser. Simone Weil écrit : « Tous les crimes, les grands crimes, commencent par un détail. Et ce détail, c’est une légère faute d’attention. » Alors soyons attentifs à ce et à ceux que nous aimons.


[1] Reconquérir le sacré, L’Observatoire, 2023.

La géopolitique du crime organisé à la carte

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Quels sont les véritables Narco-États dans le monde ? Des mafias italiennes, des cartels mexicains ou des triades chinoises, quel groupe a le plus grand pouvoir de nuisance ? Pratiques criminelles et bien évidemment trafics en tous genres: tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le crime organisé est désormais à portée de main avec 40 fiches illustrées aux Éditions Eyrolles.


Géopolitique du Crime organisé ou comment comprendre que la criminalité outrepasse les défis sociétaux. Ce livre s’inscrit dans la ligne éditoriale des éditions Eyrolles proposant de comprendre le monde dans son ensemble par thématique. Dans la même collection, il existe par exemple aussi Géopolitique de l’intelligence artificielle.

Bienvenue dans l’ère du crime internationalisé…

Pour ce nouvel ouvrage : la criminalité, depuis la mondialisation, s’est, elle aussi, mondialisée, et organisée, c’est pourquoi l’on parle de crime organisé, désormais aussi, internationalisé. Les auteurs, Michel Gandilhon (expert associé au département Sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers – CNAM et membre du conseil d’orientation scientifique de l’Observatoire des criminalités internationales – ObsCI), Gaëtan Gorce (chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques – IRIS et directeur de l’ObsCI) et David Weinberger (chercheur associé à l’IRIS et codirecteur de l’ObsCI) sont de cette génération de chercheurs ayant réalisé que les enjeux de la criminalité de demain s’inscrivaient dans les dynamiques de géopolitique internationale. Dans cet ouvrage, ils ont réalisé 40 fiches illustrées, exposant et permettant de comprendre quelles sont les menaces d’aujourd’hui et de demain.


De nombreux sujets sont abordés et éclairés par les contributions de co-auteurs renommés, tels que Clothilde Champeyrache, professeure de criminologie au CNAM, ou Jean-François Gayraud, commissaire général de la police nationale et essayiste. Ces experts, forts de nombreuses années d’expérience et de recherche dans leurs domaines respectifs, partagent leur savoir à travers ces fiches éclairantes, par exemple :

Le fonctionnement des réseaux mafieux, avec un focus particulier sur la ‘Ndrangheta, aujourd’hui reconnue en Italie, aux États-Unis et en Australie comme la plus puissante et dangereuse des organisations criminelles. Cette mafia calabraise bénéficie d’immenses ressources financières issues principalement du trafic de cocaïne, mais également d’autres activités illicites telles que les trafics de déchets, les extorsions, les fraudes aux subventions publiques, ou encore le commerce de médicaments contrefaits et de produits dopants. L’infiltration du milieu politique constitue l’une de ses forces majeures : entre 1991 et 2023, 126 conseils communaux ont été dissous rien qu’en Calabre. Symbolisée par une pieuvre, la ‘Ndrangheta a su étendre son influence bien au-delà de ses frontières historiques… jusqu’en Australie.

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Le grand banditisme en France, qui n’est pas en reste face à ce type de criminalité. La France est probablement le pays de l’Union européenne où le crime organisé lié au trafic de drogues illicites connaît l’enracinement territorial le plus marqué. De nombreux quartiers abritent des points de revente, illustrant une réalité préoccupante et posant de sérieux défis à toutes les strates de la société française. Au début des années 1990, les renseignements généraux identifiaient environ 500 quartiers touchés par ce phénomène ; aujourd’hui, ce nombre dépasserait le millier, la majorité se situant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Parmi eux, une soixantaine, considérés comme les plus gravement affectés, ont été regroupés en 2018 sous l’appellation « quartiers de reconquête républicaine », dont la dénomination même vaut reconnaissance de la crise du régalien. On peut citer Marseille, Corbeil-Essonnes, Bagnolet, Aubervilliers, Saint-Denis, Canteleu, Avallon dont la question de la corruption des pouvoirs publics locaux par les groupes criminels constitue un sujet de préoccupation majeur des services en charge de la lutte contre le trafic de drogues illégales, si ce n’est des services en charge du trafic d’armes.

Ces deux cas permettent d’illustrer le contenu de ces fiches : le crime s’est en effet internationalisé, et la coopération des États peine à rattraper le retard pris.

Ce livre propose un panorama riche en informations multiples mais d’une grande précision, sur ces phénomènes, notamment les divers trafics et entités du crime organisé. Ce livre permet de mieux percevoir comment vit et évolue cette face obscure du monde, d’appréhender le phénomène criminel ; surtout de réaliser combien ces questions nous concernent tous et l’urgence de les inscrire dans une dynamique de coopération internationale. En somme, un bon point de départ pour qui veut s’éduquer sur ce sujet hélas plein d’avenir, voire s’engager dans l’une des multiples voies permettant de l’affronter.

Indépendantisme martiniquais: l’influence délétère de Kémi Séba

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Figure du panafricanisme influente, il entretient la haine de la France, fomente des tensions et est soutenu par des régimes hostiles. Il se présente aux élections au Bénin…


Se plonger dans le parcours idéologique de Kémi Séba revient à revenir sur des décennies d’activisme politique afro-américain. Né à Strasbourg de parents d’origine béninoise ayant été naturalisés Français, Stellio Chichi a commencé son parcours en adhérant au mouvement suprémaciste noir Nation Of Islam, que les amateurs de films de prison auront reconnu comme étant un des gangs les plus célèbres du système carcéral étatsunien. Prônant la ségrégation entre les noirs et les autres ethnies des Etats-Unis, Nation Of Islam a été fondé par Elijah Muhammad. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Kémi Séba n’a pas pris son pseudonyme après son adhésion à Nation Of Islam mais au tournant des années 2000, moment où il rejoint l’idéologie religieuse du kémitisme, mouvement néo-païen panafricaniste opposé aux religions abrahamiques vues comme étant des outils coloniaux de domination des populations noires africaines.

Voilà pour le contexte dans lequel évolue Kémi Séba depuis un peu plus de deux décennies désormais. En dépit de quelques turbulences, il est resté globalement fidèle à son corpus panafricaniste et à ses croyances. Pourtant, plutôt que de se marginaliser progressivement, l’homme a su avec habileté faire croitre son audience initiale et devenir une voix écoutée en Afrique, singulièrement dans le Bénin de ses racines où il envisage même de se faire prochainement élire président de la République.

La haine de la France comme fonds de commerce

Kémi Séba aime souvent à rappeler en conférence le conseil qu’il avait reçu de sa mère lorsqu’il était encore un enfant : « Ne deviens Français que sur le papier ! ». Il est allé au bout de sa logique en brûlant publiquement son passeport français lors d’une conférence de presse tenue depuis Fleury-Mérogis puis en s’improvisant conseiller du général putschiste nigérien Abdourahamane Tiani. De quoi bénéficier d’un passeport diplomatique délivré au mois d’août 2024 qui lui a permis d’annuler une partie des effets de sa déchéance bien méritée de la nationalité française…

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Car, on trouve la trace de Kémi Séba dans toutes les humiliations que la France a subie au Sahel. Participant activement à la dégradation de l’image de notre pays dans la région, alors que nous l’avons militairement sauvée pendant dix ans, Kémi Séba s’est allié à tous nos ennemis. Régulièrement reçu comme hôte de marque par les autorités russes ou encore iraniennes, Kémi Séba intervient partout où il s’agit d’affaiblir l’influence et l’intérêt français. Dès 2017, il était accueilli à Moscou par Alexandre Douguine. Plus tard, en 2019, il bénéficiait de l’appui financier du tristement célèbre Evgueni Prigojine, alors vivant et administrateur de Wagner, en échange selon son propre aveu d’opérations antifrançaises visant à « appeler la jeunesse africaine à mener des actions violentes contre les intérêts français en Afrique ». Il a pour cela reçu plus de 400 000 dollars entre 2018 et 2019. Notons aussi qu’il a participé au forum économique Turquie-Afrique comme à la conférence internationale « La politique française du néocolonialisme » à Bakou en Azerbaïdjan, pays dont on retrouve la trace dans de nombreuses manifestations contre l’Etat en Nouvelle-Calédonie ou encore en Martinique.

Son influence délétère est forte en Afrique, comme nous l’avons dit, mais aussi malheureusement en France. Déjà en métropole en excitant les afro-descendants et diasporas, notamment envers les Sénégalais après avoir officié dix ans dans l’émission Le Grand Rendez-Vous de la chaîne 2STV, mais aussi dans les outre-mers. En Guyane, Kémi Séba a notamment été reçu par l’activiste Elie Domota.

La présence de Kémi Séba en Martinique a été trop peu dénoncée

En 2018, Kémi Séba participait à l’envahissement du supermarché Génapi de la commune de Ducos en Martinique. Aux cris de « Yo armé nou pa armé », lui et ses militants s’étaient emparés de sachets de « sucre rouge sang », symbole de la souffrance des ancêtres, « parce que nos parents ont travaillé dans ces plantations ». Dans un article pour le site Madinin’Art, le chroniqueur martiniquais Yes-Léopold Monthieux est d’ailleurs récemment revenu sur la genèse et les liens qui unissent les « kémites » aux mouvements indépendantistes martiniquais comme le RRPRAC (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes) de Rodrigue Petitot :  

« (J’ai) écrit le 29 décembre 2021 dans « La main invisible du désordre » : « en effet, tous les évènements intervenus depuis le premier bris de statue et même de l’équipée du centre commercial Génipa sous la houlette de Kémi Séba, ont comme fil conducteur la défiance de l’Etat et la volonté de lui porter atteinte dans le cadre de la lutte anticoloniale. La philosophie est connue, la méthode éprouvée : les militants d’idéologies diverses peuvent s’engouffrer dans le tunnel ainsi défini ».

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J’ignorais que la « main invisible » pouvait provenir de Russie et de son proxy l’Azerbaïdjan… Des élus martiniquais ont entrepris de rendre cette main de plus en plus visible, et de décomplexer la revendication indépendantiste. Des vidéos montrant des militants du RRPRAC arborant des pendentifs kémites permettent aussi de mesurer l’entrisme du mouvement dans ce mouvement ultramarin sous faux nez, ainsi d’Aude Goussard qui fut candidate pour la 4ème circonscription des dernières élections législatives de Martinique.

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Gwladys Roger, l’une des meneuses du RRPRAC, s’est aussi prise en photo avec ce pendentif au motif égyptien emblématique des sectateurs kémites.

Enfin, Kémi Séba et Rodrigue Petitot partagent un autre point commun. Ils ont tous deux pour avocat Juan Branco, en visite en Martinique au début du mois de janvier pour « dénoncer la vie chère ». Ne serait-ce pas plutôt pour provoquer une insurrection contre l’État qu’il appelle de ses vœux et aurait l’avantage de plaire à de nombreux État étrangers hostiles ?

Libéralisme contre socialisme: la lutte des milliardaires et des fonctionnaires

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Alors qu’en Chine des milliardaires devenus gênants pour le pouvoir communiste ont tendance à disparaitre, aux Etats-Unis on assiste au grand remplacement des politiques traditionnels par les milliardaires. Analyse.


« L’économie mondiale doit-elle être une exploitation ou une organisation du monde ? Les Césars de ce futur empire doivent-ils être […] des milliardaires ou des généraux, des banquiers ou des fonctionnaires de stature exceptionnelle ? C’est là l’éternelle question. » (Oswald Spengler, Prussianité et socialisme)


Le monde, prophétisait en 1919 Spengler dans Prussianité et socialisme, est appelé à être le théâtre d’un affrontement global entre deux modèles irréconciliables de sociétés : le modèle anglo-saxon, qui prône la primauté de l’individu, et le modèle prussien, qui affirme la prééminence de la collectivité.

A ces deux modèles correspondent deux types anthrolopologiques opposés : le type anglo-saxon de l’homme privé, libre, indépendant, culminant dans la figure du self-made man ; et le type prussien du serviteur de l’État, loyal et probe, culminant dans la figure du fonctionnaire weberien.

Chacun de ces types, d’après le philosophe allemand, peut être vu comme le lointain descendant d’une figure prototypale : celle du chevalier teutonique, c’est-à-dire du moine-soldat, dans le cas prussien ; et celle du Viking, c’est-à-dire du pirate-marchand, dans le cas anglo-saxon.

Au sens teutonique de la discipline et de l’austérité, à l’ethos prussien du devoir, répondent ainsi l’existence viking conçue comme une lutte sans merci pour la vie, et l’ethos anglo-saxon du succès.

Dans ces deux modèles de sociétés, la Volonté de puissance est à l’œuvre : mais là où l’esprit anglo-saxon entend les faire s’affronter individuellement pour qu’elles s’aiguisent les unes les autres, l’esprit prussien, lui, entend les unifier dans une seule et même expression générale, dont chacun acceptera ensuite d’être l’instrument.

Ethos prussien du devoir vs. ethos viking du succès : illustrations économiques et sociales

A l’idée prussienne d’une cogestion de l’entreprise, y associant les salariés, correspond ainsi une appréhension anglo-saxonne de la vie économique comme « part de butin revenant à chacun ». Là, rien de la recherche teutonne d’un optimum global, mais la constitution viking, grâce aux compagnies et aux trusts,de fortunes individuelles et de richesses privées. Même le traitement du paupérisme, souligne le philosophe prussien, n’échappe pas à cette opposition. A l’invention bismarckienne d’un État-providence, c’est-à-dire d’une mutualisation obligatoire et solidaire des risques, répond alors le développement, par les milliardaires anglo-saxons, de la philanthropie, c’est-à-dire d’une charité discrétionnaire et privée, offerte par ses dispensateurs à la manière de « vieux corsaires, qui, attablés dans le château conquis, jettent aux prisonniers [en l’occurrence, le peuple] les reliefs du festin ».

Et l’on pourrait décliner en une série infinie d’oppositions cet antagonisme entre un socialisme autoritaire et un libéralisme darwinien : primauté de la collectivité vs. primauté de l’individu ; ethos du devoir vs. ethos du succès ; notion d’administration vs. notion de commerce (« cette forme raffinée de la piraterie ») ; hiérarchie fondée sur l’autorité statutaire vs. hiérarchie fondée sur l’enrichissement personnel ; prééminence de la politique sur l’économie vs. inféodation de la politique à l’économie ; etc., etc.

Évidemment, cette dichotomie de modèles doit être considérée comme une opposition idéelle ; dans la réalité, ni la société anglo-saxonne ni la société prussienne, même de l’époque, ne sont aussi monolithiques. L’émergence d’un Etat-providence aux Etats-Unis, à partir de 1935, l’illustre d’ailleurs – les grandes crises (en l’occurrence, celle de 1929) étant, typiquement, l’occasion de concessions ou d’emprunts au modèle rival -. Mais réciproquement, la place centrale que conserve aujourd’hui la charité privée dans le modèle américain, et le périmètre plus réduit qui y est toujours celui de l’État social, plus d’un siècle après les analyses de Spengler, marquent que l’antagonisme souligné par le philosophe prussien n’a rien de gratuit, et traduit des différences profondes et persistantes de mentalités entre les sociétés[1].

Etats-Unis vs. Chine : vers une radicalisation de l’antagonisme entre modèles

La fin du XXème siècle a pu donner à certains analystes l’idée que la prophétie de Spengler était démentie, et que le modèle anglo-saxon, avec des nuances plus ou moins prononcées de prussianité suivant les climats et l’atavisme des peuples, allait s’imposer à l’échelle planétaire.

Les années récentes, toutefois, n’ont fait que souligner la pertinence de la thèse soutenue par Spengler. Deux faits nouveaux, qui ne se présentent pas comme des épiphénomènes mais comme des tendances lourdes, sont en effet intervenus, et annoncent une recrudescence du partage du monde entre modèle socialiste autoritaire et modèle libéral anglo-saxon.

Une crise profonde du modèle libéral

La première de ces tendances lourdes, c’est le constat que le modèle libéral connaît une crise profonde. D’une part, la primauté accordée à l’individu sur la collectivité a conduit à une érosion dangereuse de la cohésion des sociétés occidentales, minée par des revendications communautaristes voire sécessionnistes. D’autre part, le développement du libre-échange et le déclin du patriotisme économique, aussi bien chez les consommateurs que chez les grands patrons, a mené à une désindustrialisation et à des dépendances d’autant plus critiques que l’effondrement du niveau scolaire moyen assombrit les perspectives d’amélioration de notre productivité et d’inversion de cette dynamique. Plus structurellement, on commence peut-être à mesurer, comme l’écrivait Castoriadis en 1996, que l’efficacité du modèle libéral dépendait aussi du fait « qu’il avait hérité d’une série de types anthropologiques […] créés dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l’honnêteté […], la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. », qu’il n’aurait pas pu faire surgir lui-même et que sa logique, faisant appel aux purs intérêts personnels, tend même à faire disparaître. La désertion, à cet égard, se répand de plus en plus, à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, qu’elles soient parentales ou professionnelles.

L’action sociale du libéralisme pourrait alors s’apparenter à l’action économique des fonds spéculatifs dit « activistes » (qui acquièrent des parts minoritaires d’entreprises pour en modifier les stratégies). En obtenant une coupe drastique des coûts et en capitalisant sur le savoir-faire historique de l’entreprise, l’opération permet généralement de dégager d’excellents résultats financiers à court terme, mais le sous-investissement qui en résulte hypothèque d’autant voire ruine les perspectives de long terme de l’entreprise. Le bilan du libéralisme, pour prolonger l’image, aurait ainsi été artificiellement « gonflé » par la dilapidation progressive d’un capital de mystiques, au sens de Péguy – mystique professionnelle, mystique parentale, mystique citoyenne, etc. -, dont nous ne ferions que commencer à constater les effets délétères sur le temps long.

Un succès (menacé ?) du contre-modèle chinois

La seconde de ces tendances lourdes, c’est évidemment la reprise du flambeau du socialisme autoritaire par la Chine, et les succès que ce modèle a rencontré dans ce dont le libéralisme entendait précisément faire son domaine réservé, c’est-à-dire l’économie.

Cette réussite, à l’échelle d’un pays aussi vaste et aussi peuplé, inflige en effet un démenti cinglant à l’absence d’alternative classiquement mise en avant par les libéraux (cf. Thatcher et son fameux : « there is no alternative ») : elle démontre qu’un contre-modèle, fondé sur l’importance d’une discipline collective (par opposition à la considération de la seule initiative privée), n’est pas seulement viable, mais capable de rivaliser voire de détrôner la référence américaine sur son propre terrain.

La Chine, à la différence de l’Europe, n’a raté aucune révolution technologique, et dispose de champions nationaux dans chacun de ces nouveaux secteurs (smartphones, intelligence artificielle, véhicules électriques, e-commerce, etc.). Encore distancée dans certains domaines industriels plus historiques, telle que l’aéronautique ou le spatial, elle rattrape rapidement son retard, comme elle l’a déjà fait dans l’automobile, le ferroviaire, ou encore le nucléaire.

Son modèle mêlant protectionnisme et ouverture au monde, économie de marché et économie planifiée, combiné à une éducation de masse de qualité, a ainsi permis une élévation réelle du niveau de vie global de la population, et s’avère pour l’heure une réussite dans l’ensemble, en dépit d’une demande intérieure qui reste faible et d’une crise immobilière qui se prolonge.

L’opposition peut être schématisée ainsi : là où le modèle libéral, du fait d’un effondrement continu de son système d’éducation général, fait reposer sa croissance future sur une fraction de plus en plus réduite d’individus (qu’il se retrouve d’ailleurs de manière croissante, en raison de l’attrition du vivier, à « débaucher » de l’étranger, par la promesse de meilleures perspectives d’évolutions personnelles), son rival asiatique, lui, s’est employé méthodiquement à en élargir l’assise.

La place des milliardaires offre, dans cette perspective, une illustration exemplaire de l’antagonisme qui s’accroît entre les sociétés américaine et chinoise. Spengler, dans Prussianité et socialisme, aimait à caractériser les milliardaires Yankees comme « des citoyens privés qui règnent sur des pays étrangers par l’intermédiaire d’une classe subalterne de politiciens professionnels ». Si l’invasion américaine de l’Irak pourrait s’analyser dans ce cadre, à l’aune des intérêts des compagnies pétrolières notamment, la « prise de pouvoir » des milliardaires, dans la nouvelle présidence Trump, marque une forme de radicalisation de la perspective spenglérienne, par l’économie qui y est faite, et même revendiquée, du personnel politique « conventionnel ». Désormais, les milliardaires exercent directement les responsabilités étatiques, sans s’embarrasser d’un quelconque « proxy » (on notera d’ailleurs que cette « liquidation » des intermédiaires et des formes est tout à fait dans l’esprit du libéralisme).

A rebours de cette évolution, la Chine, elle, s’est au contraire distinguée ses dernières années par la mise au pas systématique des milliardaires, et le renforcement plus large de l’inféodation de l’économie et des grands groupes privés (notamment issus de la tech)aux objectifs politiques définis par le PCC. A l’installation d’Elon Musk (et de Vivek Ramaswamy, un autre milliardaire d’origine indienne) à la tête d’un ministère de l’efficacité gouvernementale, chargé de dégraisser les effectifs de fonctionnaires fédéraux, répond ainsi, de l’autre côté du Pacifique, l’organisation bureaucratique, par l’Etat-parti, de la disparition des milliardaires critiques (à l’instar des Xiao Jianhua, Jack Ma ou encore Bao Fan, volatilisé depuis bientôt deux ans).

Le resserrement de la tutelle du PCC sur l’économie, qui va de pair avec une évolution autocratique et népotique de l’exercice du pouvoir sous Xi Jinping, éloigne toutefois la Chine de l’idéal de socialisme autoritaire prôné par Spengler, d’essence méritocratique, dont le chef n’est censé être que le premier serviteur de l’Etat, et non l’usufruitier.  Il faudra voir, dans les prochaines années, à quel point cette dérive prévaricatrice se confirme. Si c’est le cas, comme la situation actuelle porte à le penser, l’atteinte des ambitions chinoises pourrait en pâtir lourdement.

La situation de la France

Dans le cas de la France, le philosophe prussien identifiait une troisième figure prototypale : non celles, animées par la Volonté de puissance, des héritiers des Vikings ou des chevaliers teutoniques, mais celle, tournée vers l’otium, du rentier, correspondant à l’idéal du phalanstère fourriériste. Là, non une « énergique notion de propriété », mais un objectif de « jouissance ; non « tout », mais « assez » ; non « l’action », mais le « bien-vivre » […] Des voyageurs anglais, Young par exemple, s’étonnèrent, à la veille de la Révolution, que la noblesse exploitât si mal ses domaines. Elle se contentait de les « posséder » et de recevoir de l’intendant les sommes nécessaires à la vie parisienne. Cette aristocratie du XVIIIème siècle était totalement différente de l’aristocratie anglaise et prussienne qui, entreprenante, cherchait à acquérir et à conquérir. » Et de même, « l’ouvrier [français] veut être, lui aussi, rentier. Il déteste l’oisiveté des autres à laquelle il ne peut prétendre. Son but qui est d’obtenir pour chacun l’égalité quant à la jouissance et à la possibilité de rentes se retrouve aussi dans la fameuse formule de Proudhon : « La propriété, c’est le vol. » Car la propriété dans ce cas ne signifie pas le pouvoir mais une possibilité de jouissance que l’on a acquise ».

Bien que dressé dans des conditions discutables d’impartialité (nous sommes en 1918-1919), il paraît difficile de nier la part de vérité contenue par ce portrait psychologique de notre pays.

Notons tout de même, contre Spengler, que la parenthèse gaullienne – avec l’instauration d’une Vème République d’inspiration monarchique, la poursuite d’un juste équilibre entre libéralisme et collectivisme (les mécanismes imparfaits de l’économie de marché devant être corrigés par la planification et la participation), le tout sous l’égide d’une « noblesse d’Etat » ayant le sens de celui-ci – a certainement constitué l’une des meilleures déclinaisons « terrestres » de l’idéal de socialisme autoritaire caressé par le philosophe prussien.

Las, il faut bien convenir que nous en sommes revenus, et que la France, depuis, n’a guère connu que des alternances entre fourriéristes et libéraux contrariés. Primum omnium salus patriae, rappelait le Général à Peyrefitte[2] : on ne peut pas dire que ce soit le visage que nos hommes politiques, ces quarante dernières années, et particulièrement l’Assemblée actuelle, nous ait habitué à présenter.


[1] Soulignons ici, pour éviter les contresens, que le socialisme autoritaire prôné par Spengler, d’inspiration profondément aristocratique (au sens étymologique du mot – c’est-à-dire de gouvernement des meilleurs), n’est ni le communisme ni le national-socialisme. Le communisme, en particulier, n’est jamais de son point de vue qu’une remise en cause de la répartition du butin, pas de l’esprit plus global de rapine qui anime les sociétés anglo-saxonnes. Quant au national-socialisme, il n’existait pas en 1919, mais on peinerait à faire cadrer sa brutalité plébéienne et son culte d’un chef démagogique, avec l’idéal chevaleresque que le philosophe prussien caressait.

[2] « Avant tout, le salut de la patrie ».

Quand des ONG et des activistes sabotent l’industrie française…

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Parlement européen de Strasbourg © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

Régulièrement, l’industrie française fait face à une guerre de l’information qui menace notre souveraineté économique. Des campagnes d’influence, orchestrées par certaines ONG et activistes, fragilisent des secteurs stratégiques pour la France. Il est urgent de réagir. Analyse.


L’industrie française, pilier de notre souveraineté économique et technologique, fait face à une menace insidieuse : une guerre de l’information orchestrée par certaines ONG et activistes sur les réseaux sociaux et dans les médias mainstream. Sous couvert de défendre des causes en apparence nobles, ces organisations participent, consciemment ou inconsciemment, à l’affaiblissement de secteurs économiques pourtant stratégiques pour notre pays.

Une stratégie d’influence bien rodée

Le modus operandi de ces groupes est désormais bien établi. Il s’agit d’abord de cibler des industries sensibles, comme la défense ou l’énergie, qui ne bénéficient pas d’un soutien populaire. Souvent parce qu’on ignore tout simplement leur existence, leur rôle, et… leur nom ! Des proies faciles…

Ensuite, on mobilise l’opinion publique en jouant sur les émotions : images chocs, slogans percutants, et récits manichéens opposant citoyens vertueux et multinationales prédatrices. Le tout diffusé sur tous les réseaux sociaux disponibles, de manière industrielle. 

Cette approche émotionnelle s’accompagne d’un travail de sape plus discret mais tout aussi efficace. Des ONG financées par des fondations étrangères produisent des enquêtes ciblant spécifiquement l’industrie de défense française. Ces investigations, reprises par les médias grand public, fragilisent la position de nos entreprises sur les marchés internationaux.

L’efficacité de ces campagnes repose sur un vaste réseau d’influence. À Bruxelles, pas moins de 3500 ONG gravitent autour des institutions européennes, pesant sur les décisions politiques et réglementaires. Certaines, comme le WWF ou Transparency International, jouissent d’une crédibilité qui leur permet d’influer directement sur la législation européenne.

Plus inquiétant encore, on constate des liens étroits entre ces organisations et des intérêts étrangers. La fondation Gates, l’Open Society de George Soros, ou encore Global Citizen entretiennent des relations privilégiées avec les plus hauts responsables européens ! Ces connexions soulèvent des questions légitimes sur le pouvoir réel de ces acteurs.

C’est une guerre…

Les exemples ne manquent pas pour illustrer les effets de ces actions sur nos fleurons industriels. Naval Group a ainsi vu sa réputation entachée par une campagne de dénigrement orchestrée en amont de la perte du “contrat du siècle” australien. Dans le secteur énergétique, EDF a été victime d’un lobbying acharné visant à affaiblir la filière nucléaire française au profit du modèle allemand des énergies renouvelables.

Or, la vraie force de frappe de ces ONG repose en grande partie sur leur capacité à mobiliser les médias. Des collectifs de journalistes d’investigation, souvent financés par les mêmes fondations étrangères, en apparence au-dessus de tout soupçon. produisent des enquêtes ciblant systématiquement l’industrie de défense européenne. Ces productions sont ensuite relayées par des dizaines de grands médias, y compris publics, qui ne « payent pas le prix » de l’enquête sous couvert de la mutualisation des moyens, sans savoir donc forcéement précisément comment l’enquête a été menée, sans non plus bien sûr que la question de leur instrumentalisation ne soit jamais posée… On vous oppose l’argument de la déontologie et la caution d’avocats, sans jamais se demander qui a initié quoi, qui a fourni quelles enveloppes Kraft, clefs USB et autres « drive », et dans quel but. En réalité, le but est parfaitement connu, lisible, mais il ne semble choquer personne…

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Face à ces menaces, il est urgent que le gouvernement français, et plus précisément ce que l’on appelle communément les « services » prennent conscience des enjeux de cette guerre cognitive, autrement appelée guerre de l’information.

Un des exemples les plus caractéristiques des soupçons que l’on peut porter sur certaines ONG se trouve dans l’actualité avec la question des substances per- et polyfluoroalkylées, ou PFAS (appelés aussi polluants éternels). Si le sujet n’est pas de débattre des PFAS, il est toutefois troublant de voir qu’en creusant un peu, nous pouvons voir que les principaux pourfendeurs des PFAS (comprenant dans le récit déployé une confusion entre différents composés chimiques pour tout ranger sous le terme de « polluant éternel ») sont la Suède, la Norvège, l’Allemagne et le Danemark. Alors que la Suède essuie un échec dans sa stratégie de développement « vert » initiée il y a plus de 20 ans en étant qualifiée par François Gemenne de « cancre de l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique » et que l’Allemagne est énergiquement en retard sur la France, ayant raté le virage du nucléaire, on constate une fronde de ces pays contre les avantages compétitifs industriels de leurs « alliés », au premier rang desquels, la France. Ainsi, des ONG comme ChemSec, née en Suède et qui mène des campagnes comme « Mouvement PFAS » sont financées non seulement par des États, mais également par des consortiums d’entreprises industrielles. La Suède finance cette « ONG » à hauteur de 800 000 euros par an, auxquels on ajoute 300 000 euros de l’Allemagne et de l’Europe, ainsi que les contributions d’entreprises… Avec ces moyens, les arguments peuvent être repris par nos influenceurs, Camille Etienne en tête… Qui est perdant ? L’industrie et la compétitivité françaises… Quand ça ressemble à de la guerre économique, c’est que c’est peut-être de la guerre économique…

L’enjeu de la souveraineté

Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle légitime de la société civile, ni des associations qui défendent des causes justes, mais de développer un regard critique sur les motivations réelles de certains acteurs dont on sait qu’ils sont suspects. La France doit se doter d’outils pour protéger ses intérêts vitaux, tout en préservant les valeurs démocratiques qui font sa force et oser les utiliser. Les ONG qui outrepassent leurs prérogatives ou sont manipulées bon gré mal gré doivent être signalées sur le mode du name and shame. Exactement comme les entreprises qu’elles tentent de déstabiliser, le plus souvent sur ordre ! 

L’enjeu est de taille : c’est notre souveraineté économique et notre capacité à peser sur la scène internationale qui sont en jeu. Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette nouvelle forme de guerre économique, où l’émotion devient une arme redoutable (une photo et quelques mots bien choisis peuvent faire d’énormes dégâts, je le sais puisque je l’enseigne moi-même en media training à des étudiants en journalisme, ou à HEC) entre les mains d’activistes dont les intentions sont, sans l’ombre d’un doute, troubles, voire parfaitement malhonnêtes…..

Sinon, la suite de l’histoire est connue : nos dernières industries disparaîtront ou seront rachetées par des concurrents étrangers, et la France se transformera pour de bon en parc d’attractions géant. Voulons-nous que le tourisme pèse demain 20% ou plus encore de notre PIB, comme c’est le cas de la Croatie ou de la Grèce en Europe, ou plus éloignés de nous, de la Thaïlande ou… des Maldives ? Avec tout ce que cela implique en termes de nuisances et de dépendance économique ? C’est la voie choisie par Anne Hidalgo à Paris, avec l’impact que l’on connaît sur l’activité économique intra-muros, ainsi que sur les Parisiens et les banlieusards. Il est encore temps d’éviter que ce scénario catastrophe se déploie partout en France…

Lyrique: De Richard Strauss à Béla Bartók à l’Opéra de Dijon

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© Mirco Magliocca / Opéra de Dijon

Un mémorable Château de Barbe-Bleue en diptyque, ultime mise en scène de Dominique Pitoiset à Dijon. Avec, dans la fosse, un Orchestre français des jeunes rutilant.


Chant de départ pour Dominique Pitoiset. Le voilà qui fait brusquement ses valises le 1er février prochain, alors que son mandat n’arrivait à échéance qu’en décembre 2026. Aujourd’hui âgé de 66 ans, il avait pris la direction artistique de l’Opéra de Dijon en 2021. C’est peu dire que l’homme avait porté au sommet l’institution régionale. Les rumeurs parfaitement infondées sur un harcèlement sexuel auquel il se serait livré à l’occasion de sa mise en scène de Tosca en mai dernier ont eu raison de sa patience. L’époque de la prétendue « libération de la parole » s’autorise toutes les diffamations pour couper la tête du Mâle (forcément dominant) ; le fiel féministe a remplacé la fiole de poison ; aucun membre de la gent masculine n’est plus à l’abri de l’Inquisition woke.   

Faible consolation, les Parisiens amateurs de lyrique se félicitent encore d’avoir pu assister, en septembre dernier, à la reprise de Falstaff : millésimée 1999, sa régie n’a pas pris une ride. Avec Le Château de Barbe-Bleue, donné à Dijon pour deux représentations, Dominique Pitoiset fournit une nouvelle preuve de sa grande intelligence scénographique.

Unique partition lyrique jamais écrite par Bela Bartok (1881-1945) en 1911, sur un livret du poète Béla Balazs (également scénariste sur des films de Georg Wilhelm Pabst ou de… Leni Riefenstahl –  si, si !), mais créée seulement au sortir de la Grande guerre à l’Opéra de Budapest, c’est une œuvre très courte : moins d’une heure. Elle ne réunit que deux rôles chantés : une basse pour Barbe-Bleue, et une soprano ou mezzo pour Judith, l’ultime épouse de l’ogre du célèbre conte de Perrault, retourné comme un gant, pour ainsi dire, sous la double influence de Maurice Maeterlinck et de Paul Dukas, dont le futur librettiste de Bartok avait pu voir, en 1907 à Paris, la création de son opéra Ariane et Barbe-Bleue. Rappelons que la modernité hongroise, à l’approche du premier conflit mondial, était bien davantage tournée vers la France et l’esthétique symboliste que vers le vieil empire bicéphale.

Pour revenir à Pitoiset, quelle excellente intuition d’avoir associé à ce Château de Barbe-Bleue, en guise de prélude, les Métamophoses de Richard Strauss. Le génial compositeur de Salomé, d’Elektra ou d’Ariane à Naxos vient de fêter ses 80 ans lorsqu’il assiste à l’effondrement du IIIème Reich et à la ruine des temples de la musique que sont les opéras de Berlin et de Vienne, ce dernier réduit en cendres par les bombardements alliés, le 12 mars 1944.  A son journal, Strauss confie : « la grenouille  prussienne boursouflée, également connue sous le nom de Grande Allemagne, a éclaté […] La plus terrible  période de l’histoire humaine a pris fin, ces douze années de règne de la bestialité, de l’ignorance  et de l’anti-culture sous l’égide des pires criminels, durant lesquelles  les deux mille ans de l’évolution culturelle de l’Allemagne ont été condamnés tandis que d’irremplaçables monuments d’architecture et de précieuses œuvres d’art ont été détruits par une soldatesque criminelle. Maudite soit la technologie ! ».

Oraison funèbre, ces Métamophoses expriment le désespoir du vieillard toujours alerte, alors réfugié dans sa villa bavaroise de Garmich, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, en 1949. Le titre de cet inoubliable adagio polyphonique écrit pour vingt-trois cordes renvoie, sous les auspices de Goethe, au cycle de la vie végétale, la graine mourant pour s’épanouir sous forme de plante et donner naissance à de nouvelles graines. D’une amplitude, d’une complexité sans pareilles, la texture mélodique de cette élégie bouleversante ranime, dans une synthèse de haute virtuosité, une tradition classique dont Strauss se sait l’ultime champion.

Formé par ces deux partitions nées l’une, puis l’autre, juste après les hécatombes du XXème siècle, le diptyque tel que l’a conçu Dominique Pitoiset pour la scène dijonnaise « fonctionne » – comme on dit – à merveille. Le lever de rideau s’ouvre sur un long silence : au centre de l’immense plateau évidé, tendu de noir, un lit en bois de loupe. Une femme y agonise veillée par un jeune garçon, son fils, une infirmière, le père, probablement… La cataracte sonore de Richard Strauss fond soudain sur ce vertige muet : elle dure une demi-heure. On comprend que la mère du futur Barbe-Bleue a rendu l’âme. Traumatisme enfoui de l’enfance. En arrière-plan, dans une sorte de placard-bibliothèque, les portes interdites du château, celles que Judith, la quatrième épouse de Barbe-Bleue, mue par sa curiosité morbide, profanera jusqu’à signer sa propre perte, dans le second volet du spectacle, sous les auspices de Bela Bartok. Par un sortilège visuel simple et parfaitement efficace, la couche mortuaire y deviendra cercueil, caveau, terreau d’où jailliront – superbe effet scénographique ! – les mains entremêlées, spectrales, des épouses supposément assassinées – mais vivantes et prisonnières de cet antre : autant dire que le Château est habité d’une forte résonnance psychanalytique…  Sur ce dispositif scénique minimal s’épanouit la partition stridulante, orageuse, échevelée de Bartok, d’un lyrisme expressionniste captivant.

Pour Aude Extrémo (dont on a eu l’occasion d’admirer la superbe voix de mezzo par deux fois à l’Opéra-Bastille en 2024, d’abord dans le rôle de la servante Suzuki, dans Madame Butterfly, puis dans Rigoletto où elle campe Maddalena – spectacle d’ailleurs repris en mai prochain dans la même enceinte), chanter en langue hongroise était un défi. Elle le relève haut-la-main : deux ans que de son propre aveu elle travaillait assidument sur ce texte : à défaut de comprendre parfaitement le hongrois, elle en magnifie l’articulation, la rugosité si particulière. Son partenaire, le baryton-basse Önay Köse, lui donne la réplique dans une puissance d’émission vocale, une netteté du phrasé, une intensité de jeu remarquables.

Kristiina Poska (c) Bruno Moussier

Mais surtout, surtout, ultime défi, les instrumentistes novices de l’Orchestre français des jeunes (OFJ), en résidence depuis l’été 2023 à l’Opéra de Dijon –  formation nouvellement dirigée par l’Estonienne Kristiina Poska, laquelle reprend la baquette tenue pendant cinq ans par le chef danois Michael Schonwandt – affrontent une double difficulté : s’attaquer à l’hypertrophie polyphonique straussienne et, conjointement, à leur première partition lyrique sous la bannière des quatre B : Bela Bartok & Barbe-Bleue.  

Ce spectacle étincelant de part en part contribue à faire de la scène dijonnaise un havre de haute culture. A noter que – toujours dans l’immense « auditOrium » [sic] excentré au cœur du quartier d’affaires fort peu glamour de la capitale bourgonnaise – le magnifique Grand théâtre, sis dans le vieux Dijon, étant en cours de rénovation – l’Opéra de Dijon programme le mois prochain une Traviata prometteuse, avec Melody Louledjian et Marine Chagnon, dans une nouvelle mise en scène signée Amélie Niermeyer  – sa régie de Don Pasquale (Donizetti) avait fait date ici même il y a trois ans…


Vu les 11 et 12 janvier : Le Château de Barbe-Bleue, opéra de Bela Bartok. Précédé des Métamophoses, de Richard Strauss. Avec Aude Extrémo et Önay Köse. Direction : Kristiina Poska. Mise en scène : Dominique Pitoiset Orchestre Français des Jeunes. AuditOrium de l’Opéra de Dijon.

A voir : La Traviata, de Giuseppe Verdi. Avec Melody Louledjian, Marine Chagnon… Direction : Débora Waldman. Mise en scène : Amélie Niermeyer. Orchestre Dijon Bourgogne, Chœur de l’Opéra de Dijon.

Le 9 février à 15h, les 11, 13, 15 février à 20h.

Durée : 2h30

opera-dijon.fr

Otages du Hamas: Doha, théâtre des mille et une négociations…

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Des visages d'otages peints sur un mur à Jerusalem, Israël, 27 décembre 2024 © Debbie Hill/UPI/Shutterstock/SIPA

Se dirige-t-on enfin vers un cessez-le-feu à Gaza ? Un accord pour la libération des otages en trois actes est en cours de finalisation entre Israël et le Hamas. La fin de la guerre, et le début de nouveaux ennuis pour les Israéliens.


Est-ce que cette fois-ci c’est la bonne ? Au cours des derniers jours, un sentiment de déjà-vu semble se dégager dans la capitale qatarie, Doha. La ville a été le théâtre de négociations intenses entre des représentants du gouvernement israélien et du Hamas, menées de manière indirecte et en coordination avec des émissaires des administrations américaine sortante et entrante, ainsi que des gouvernements qatari et égyptien. Ces pourparlers ont permis de rapprocher les points de vue et de réduire les divergences entre les deux parties. Les médias qataris, saoudiens et israéliens relaient désormais l’idée qu’un accord pour la libération des otages israéliens détenus par le Hamas à Gaza serait cette fois véritablement à portée de main. Selon les informations publiées, ces discussions auraient abouti à un accord global qui aborde trois axes : mettre fin à la guerre, libérer les otages et poser les bases du « jour d’après », notamment la reconstruction de la bande de Gaza.

Retrait de Tsahal des zones peuplées

La première phase de cet accord prévoit la libération de 33 otages israéliens, dont trois immédiatement, en échange d’un cessez-le-feu temporaire d’une durée de 42 jours. Pendant cette période, plusieurs unités israéliennes se retireront des zones peuplées de Gaza, tandis qu’un nombre encore indéterminé de prisonniers palestiniens, y compris des condamnés à perpétuité, seront libérés. L’endroit où ces prisonniers seront envoyés reste incertain : Gaza, Cisjordanie ou ailleurs. Parallèlement, l’aide humanitaire, notamment l’approvisionnement en carburant, sera considérablement augmentée. Pendant cette trêve, les négociations se poursuivront pour finaliser les détails de la deuxième phase.

La deuxième phase, également d’une durée de 42 jours, prévoit la libération de tous les soldats israéliens détenus en échange de prisonniers palestiniens, dont le nombre et l’identité restent à déterminer. En parallèle, un retrait complet des forces israéliennes de la bande de Gaza sera effectué, y compris des zones stratégiques comme les corridors de Netzarim, au centre de la bande, et de Philadelphie, le long de la frontière égyptienne.

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Enfin, la troisième et dernière phase prévoit l’échange des corps des morts des deux côtés après identification. Elle inclut également une déclaration de cessez-le-feu durable, au-delà des 84 jours initiaux, et le lancement de la reconstruction de Gaza. Ce vaste projet pourrait s’étendre sur cinq ans et serait supervisé par les Nations Unies et des organisations internationales. Les points de passage avec l’Égypte et Israël seraient rouverts, permettant la circulation des personnes, des marchandises et, surtout, des matériaux nécessaires à la reconstruction.

Le Hamas à bout de forces

À plusieurs niveaux, des facteurs poussent les deux camps à accepter cet accord. Du côté du Hamas, bien que sa capacité militaire résiduelle lui permette encore quelques actions, son potentiel a été drastiquement réduit. La destruction massive à Gaza et les souffrances croissantes de la population ont également gravement entamé sa popularité parmi les habitants, compromettant son influence future dans la région. Le cessez-le-feu conclu par le Hezbollah sans lien direct avec Gaza a également porté un coup à la crédibilité du Hamas, révélant les limites de sa stratégie de convergence des fronts.

Du côté israélien, l’administration Trump joue un rôle clé en incitant le gouvernement de Netanyahou à faire preuve de flexibilité. Par ailleurs, M. Netanyahu, dont la popularité avait atteint son niveau le plus bas après les attaques du 7-Octobre 2023, a regagné une partie de son soutien grâce à des succès militaires significatifs, notamment l’élimination de figures majeures du Hamas et du Hezbollah. Cependant, cette collaboration initiale entre MM. Trump et Netanyahou suscite des inquiétudes pour ce dernier. La pression exercée par l’émissaire spécial de Trump, Steve Witkoff, semble avoir refroidi les attentes israéliennes quant à un alignement inconditionnel avec Washington après le 20 janvier…

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La situation actuelle représente un moment critique dans les rapports de force entre les deux parties. Le Hamas cherche à assurer sa survie et à reconstruire sa structure militaire et politique. Israël, de son côté, considère la fin de la guerre comme une opportunité pour se concentrer sur d’autres priorités régionales, notamment la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite et la surveillance du programme nucléaire iranien. Par ailleurs, il est essentiel de résoudre la question des Houthis, qui ont infligé des pertes importantes à l’Égypte, et de surveiller cette situation de près, car la stabilité du plus grand pays arabe est en jeu.

Si le Hamas a clairement échoué dans son pari du 7-Octobre, Israël, malgré ses gains militaires et diplomatiques soutenus par les États-Unis, voit ses succès fragilisés. Toute la question réside dans la capacité d’Israël à empêcher efficacement et de manière durable le réarmement du Hamas, qui commencera probablement dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Israël pourrait imposer un contrôle strict à court terme, mais sera-t-il en mesure de maintenir ce régime dans la durée ? Dispose-t-il du crédit politique suffisant auprès des États-Unis pour poursuivre cette stratégie ? La monnaie d’échange semble déjà connue : accorder un rôle accru à l’Autorité palestinienne, dont l’accord en cours de finalisation pourrait permettre un retour progressif à Gaza. Transformer les réussites militaires en victoire durable nécessitera un effort considérable sur le plan politique et diplomatique, tout en mettant à l’épreuve la majorité actuellement au pouvoir en Israël.

Quand la télé donnait faim!

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Le critique gastronomique Jean-Luc Petitrenaud photographié en 2007 © BALTEL/SIPA

Le chroniqueur gastronomique, Jean-Luc Petitrenaud, disparu en fin de semaine dernière, fut un passeur élégant et marquant d’une cuisine faisant la jonction entre les producteurs et les restaurateurs, il était là, aux prémices de la bistronomie et au retour gagnant des saveurs authentiques


Il sillonnait les routes de France, avec son taxi anglais et ses vestes à carreaux. On le voyait arriver de loin, comme la caravane du Tour sonnante et annonciatrice d’une joie enfantine. Il clignotait dans les brumes des Landes ou en approche des ballons d’Alsace, il escaladait les monts de Chavignol et poussait jusqu’aux confins du Finistère. C’est lui, le grand monsieur en costume de scène de la télé parisienne, le promoteur de la tartine du dimanche soir, toujours bien mis, affable et courtois, qui venait visiter notre terroir sans aprioris, sans la morgue du civilisateur…

Il venait vous donner la parole à vous, l’artisan-boucher, le maraicher, le confiseur, le chien truffier ou le vigneron bougon. On disait qu’il avait un bon coup de fourchette et qu’il était généreux avec ses invités ; il leur laissait la part belle dans la conversation, ne les coupait pas inopinément pour tirer la couverture à soi.

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Petitrenaud s’amusait de son côté cirque Pinder et de cette géographie provinciale, hautement estimable, qui est cet indispensable voyage au pays de l’intérieur. Chaque Français, avant d’arpenter la planète, devrait l’imiter, partir sur un coup de tête dans le Morvan plutôt que d’errer à la Barbade. Dans les temps incertains, ces années molles du changement de millénaire, il était bon, salutaire même, que des hommes en perte de sens trouvent sur leur chemin ce pèlerin des halles couvertes et des zincs impromptus, ayant la foi du gourmand convaincu. On pouvait saucissonner avec lui et lever le coude dans une amitié nouvelle, pourtant télévisée, donc artificielle et cependant pas du tout commandée, il avait le contact naturel des forains, il ne forçait pas sur les signes ostentatoires de la rencontre. Souvent, il laissait venir, il était l’accoucheur des professions manuelles méprisées, elles n’avaient pas encore connu leur rédemption cathodique. Il fut l’un des premiers à leur faire la courte échelle pour accéder à une plus juste reconnaissance. La télévision gommeuse et mensongère capte difficilement ces moments d’abandon, où l’on est ému et l’on rit devant un pot de cornichons, des rillons et un jambon à l’os tentateur car ils nous rappellent nos attaches sentimentales.

Petitrenaud nous a transmis, par sa chaleur et son débit, ces instants d’accalmie où il n’est plus question de profitabilité et d’éthique, d’extraterritorialité et de déni des campagnes. Il était du côté de Larbaud et de Giono, dans l’organdi des terres oubliées. Manger, ce n’est rien d’autre que ça, se regarder dans les yeux, s’estimer heureux de vivre dans un pays où existent encore des métiers de bouche. En héritage, en compagnonnage, ils nous laissent des traces de leur humanité. Petitrenaud a filmé cette transcendance-là, à bas bruit, dans un programme d’éducation culinaire et de divertissement qui pouvait sembler anodin dans le PAF. Et, aujourd’hui, on sait qu’il était essentiel ; avec Jean-Luc, nous communiions avec les animaux de la ferme, on retournait à la source de la cuisine lyonnaise ou basque, on épelait le nom des champignons, on se réappropriait ainsi des pans entiers de notre culture. Sans repli et sans gaudriole, dans la bonne humeur simplement. Sa diction carnavalesque, héritage du théâtre français, ne mâchait pas les mots. Il faisait les liaisons et prononçait avec une volupté récréative, les gibiers de Sologne, les marées de Cancale, les fruits de saison et les sauces des vieux grimoires. Ses escapades nous ouvraient l’appétit. Comme son ami Gilles Pudlowski, l’un des derniers mousquetaires de la critique érudite sans chichis, pouvant s’enthousiasmer aussi bien pour une terrine et louer la haute technicité d’un chef étoilé, Petitrenaud était l’un de ces passeurs que l’on n’oublie pas. Un animateur affable, bonimenteur chaleureux de nos midis, il a remis la cuisine française à sa place. Et pour ça, on peut le remercier.

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« Babygirl », avec Nicole Kidman, ou la sexualité tardive de la génération X

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Harris Dickinson et Nicole Kidman dans "Babygirl" (2025) de Halina Reijn © A24

La Génération X est née entre 1970 et le début des années 1980. Elle a longtemps été écrasée par le nombre des boomers qui marchaient avant elle, mais elle arrive finalement au pouvoir. Et avec le pouvoir financier, politique, littéraire, vient l’envie d’user de ce pouvoir à des fins libidinales. À en croire notre chroniqueur, l’arrivée sur le marché de la séduction (ou de la prédation, ou de la simple consommation) de femmes quinquagénaires qui ne sont plus du « sexe faible » est une révolution en marche.


Babygirl, qui sort ce mercredi en France, raconte l’histoire d’une quinquagénaire (encore que, comme le souligne Kate Rosenfield, « Nicole Kidman, at 57, can still pass for 15 years younger from the front and for a teenager from behind » — ai-je besoin de traduire ?) qui entame une liaison SM avec l’un de ses stagiaires, âgé de 25 ans. Imaginons que ce soit un homme qui soit à sa place, et se tape la stagiaire ou la baby-sitter, on crierait au scandale, au patriarcat prédateur, au « male gaze » et autres imprécations #MeToo.


C’est une lame de fond. J’ai commencé à y prêter attention à mon retour du Japon — ces interminables heures d’avion où vous n’avez rien d’autre à faire que regarder les films offerts à votre ennui. Parmi d’autres chefs-d’œuvre, j’ai vu là pour la première fois Good Luck to You, Leo Grande (Mes rendez-vous avec Léo, de Sophie Hyde, sorti en 2022) où Emma Thompson, veuve récente, quasi-sexagénaire, qui n’a jamais joui de sa vie tout en restant fidèle à son mari, se loue un call-boy : je ne saurais trop vous conseiller le film, d’une finesse et d’un art du dialogue rarement atteints depuis la mort de Cary Grant et de Katharine Hepburn.

Nicole Kidman est dans la même situation, qui a besoin de ses doigts et d’un film porno pour atteindre une extase mécanique que son mari (Antonio Banderas, quand même) est inapte à lui procurer.

C’est une lame de fond. L’un des grands succès romanesques de l’année 2024, aux Etats-Unis, s’intitule All Four (Miranda July, 50 ans aux fraises) : « The first great perimenopause novel », s’enthousiasme le New York Times.

La sexualité des boomers commence à donner de la bande, si je puis m’exprimer ainsi. Prévoyants, ils ont inventé le Viagra. Mais ces dames, dont le pouvoir de séduction s’effrite si vite, dans un monde dominé par l’idéologie jeuniste, comment défouleront-elles leurs pulsions ? Ont-elles le droit de s’offrir le livreur de pizzas ou le plombier, ces archétypes de la pornographie ? Ou le fringant attaché / secrétaire / garçon de courses qui passe dix fois par jour devant elle avec ses costards bien taillés qui, vous l’avez remarqué, laisse désormais libre expression au petit cul de ces jeunes gens…

Après tout, à 45 ou 50 ans, elles ont élevé leurs enfants, rempli leurs devoirs d’épouse, bâti une carrière qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que les boomers dégagent le terrain. Si elles sont mariées, c’est avec un homme sensiblement du même âge, voire plus âgé, avec qui le jeu de la bête à deux dos, comme disait Rabelais, n’est plus qu’une routine…

Elles cultivent en secret d’autres ambitions.

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À noter que cette sexualité seconde est fort différente de celle des hommes au même âge. Les quinquagénaires qui vérifient avec des jeunettes que leur pouvoir de séduction est toujours intact, cela existe depuis toujours. Parfois même ils délaissent leurs épouses et expérimentent avec lesdites jeunes femmes un pouvoir génésique est toujours intact, en invoquant Chaplin ou Picasso. On appelait ça la « midlife crisis » en anglais, ou le démon de midi en français. Autrefois c’était vers la quarantaine, aujourd’hui les hormones lancent leur baroud d’honneur vers la cinquantaine, puisque la longévité s’est allongée.

Les femmes ne jouent pas dans la même cour. Elles ne sont plus d’âge à avoir des enfants —elles ont déjà donné. Ce qu’elles désirent, c’est la satisfaction pure de leur libido ensommeillée ou de leurs fantasmes inavoués. D’aucunes se révèlent dévoreuses sur le tard, après une demi-vie routinière. Elles souhaitent qu’on les comble. Qu’on les fasse se sentir belles à nouveau. Elles veulent palper une chair ferme, des muscles bien dessinés, des érections glorieuses et renouvelées. De la chair fraîche. L’amour physique est, après tout, la crème de beauté la plus instantanée et la plus efficace.

Elles désirent aussi qu’on leur parle — autre chose que « Chérie, je suis rentré, qu’est-ce qu’il y a à manger ? » Le film de Sophie Hyde (il est significatif que réalisateur et scénariste soient l’une et l’autre des femmes de la Génération X) est à cet égard révélateur : on n’y voit rien de plus qu’une épaule, un torse d’homme, mais on y écoute avec intérêt le dialogue d’Emma Thompson et de Daryl McCormack, où l’escort dénoue patiemment les contraintes et les préjugés où s’enfermait depuis toujours la belle cliente — car Thompson, à 63 ans, si elle n’a pas le physique intemporel de Kidman, est fort belle et joue magnifiquement.

Messieurs, méfiez-vous. Vos compagnes fomentent d’obscurs complots. Elles ne prétendent pas être aimées, mais bien culbutées. Elles sont prêtes à payer, pour ça — comme vous : « escort » est, après tout, un mot neutre, il peut être masculin ou féminin selon les goûts. Elles ne vous trompent pas, au fond : elles exploitent ces zones que vous avez laissées en jachère. C’est ce que j’ai décrit par ailleurs dans un petit essai intitulé « La Théorie du camembert » — disponible sur le Web, heureux veinards que vous êtes…

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Tous contre Dark Vador

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© Yassine Mahjoub/SIPA

Les Jean Moulin de salon ont une nouvelle croisade: quitter Twitter ne suffit pas, il faut l’interdire. Au nom de la liberté, évidemment, car la censure, c’est la liberté! C’est beau comme du Orwell, s’amuse Elisabeth Lévy.


Dernière minute ! Elon Musk, déjà propriétaire de X (anciennement Twitter), pourrait bientôt racheter les activités américaines de TikTok si les États-Unis le bannissent. Des discussions seraient en cours. « Selon un scénario envisagé par le gouvernement chinois, X prendrait le contrôle du TikTok américain et gérerait les deux entreprises ensemble », croit savoir Bloomberg.

Une nouvelle tendance se développe : il faudrait quitter X (Twitter).
La gauche devrait élever une statue à Elon Musk. Elle était orpheline, privée de son doudou maléfique Le Pen; le milliardaire américain devenu l’âme damnée de Trump lui en offre un nouveau sur un plateau. Les ardeurs résistantes peuvent se reconvertir dans la chasse au Musk.

Seuls face aux « broligarques »

Avec le Dark Vador planétaire (parrain de « l’internationale réactionnaire », selon le président Macron), les Jean Moulin de salon ont une nouvelle croisade. Mais quitter Twitter ne suffit pas, il faudrait carrément l’interdire. Au nom de la liberté évidemment. La censure, c’est la liberté : c’est beau comme du Orwell !
Sandrine Rousseau paraphrase la sortie ridicule d’Adèle Haenel aux Césars, on se lève et on se casse, et invite ses collègues députés à quitter X, qualifiée de « machine de désinformation » et de danger pour la démocratie. Le mouvement HelloQuitX donne le mode d’emploi pour migrer sur des réseaux convenables le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis. Les décideurs européens, pelotonnés derrière leur Digital Services Act (DSA), supposé réguler le Far West numérique, espèrent lutter contre les « broligarques » à coups d’amendes…

https://twitter.com/sandrousseau/status/1878358121355108701

Je suis un peu railleuse, mais je ne dis pas que X ne pose aucun problème.

Discours formatés pour plaire à l’algorithme Twitter

Les réseaux sociaux en général sont une calamité historique qui encourage le pire de l’être humain. Invectives, âneries, dérives, trucs dégoutants…

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Aujourd’hui, même le discours politique est formaté pour être twittable (à ce titre, X est tellement utile pour tous les acteurs de la vie politique qu’il n’est pas sûr que les appels à la désertion soient massivement suivis…). Et s’il faut interdire quelque chose, TikTok serait peut-être prioritaire ; il semble que cela abime beaucoup les cerveaux de nos jeunes.
Que reproche-t-on à Elon Musk, au juste ? (et maintenant à Mark Zuckerberg qui vient semble-t-il d’effectuer un virage politique)

  • Premièrement, ses opinions. Il est pour l’AFD en Allemagne. Cela ne me pose pas de problème que M. Musk défende ses opinions, comme M. Soros dans le camp progressiste par exemple. Ce qui pose en revanche un problème politique, c’est qu’il est désormais quasiment ministre de Trump… Mais si son débat avec l’Allemande Alice Weidel a cartonné sur X, c’est que les usagers votent en réalité avec leur pouce et aiment ce qu’elle dit. Ils ont peut-être tort, mais il n’y a aucune preuve que l’algorithme surexpose ces idées.
    Quand Facebook / Meta obéissait aux consignes de Joe Biden pour censurer ou favoriser certains contenus, ce que Mark Zuckerberg a avoué dans une vidéo récente, quand Twitter suspendait le compte de Donald Trump, quand la tech était de gauche, tout le monde applaudissait. La liberté, ce n’est bon que pour les gens qui pensent comme nous.
  • Ensuite, il y a le cas des fake news. Nous savons qu’il n’y a plus de fact-checking sur X (c’est-à-dire qu’il n’y a plus de modération maison, de vérification des faits réalisée par la « boutique » X/ Twitter), et qu’il n’y en aura plus non plus demain sur Facebook, mais une modération communautaire comme sur Wikipedia. Cela n’est pas forcément moins efficace.

Les réseaux sociaux ont démocratisé le droit de dire n’importe quoi au niveau planétaire. Malheureusement, on ne va pas faire entrer le dentifrice dans le tube. Mais on peut imposer le pluralisme. Que toutes les idées s’affrontent à la loyale. En attendant, nous sommes une colonie numérique américaine. Au lieu de jouer les chevaliers blancs, on aimerait que Thierry Breton dise ce qu’il a fait pour contrer la suprématie numérique américaine. Rien.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

L’islam de maman

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Sonia Mabrouk © Hannah Assouline

Sonia Mabrouk n’a pas d’états d’âme quand il s’agit de lutter contre l’islam politique et ses méfaits. Mais la journaliste n’en demeure pas moins attachée à l’islam de son enfance, un islam de femmes nourri de contes plus que de Coran. La foi discrète et inspirée d’une « pratiquante de cœur ».


Causeur. Dans un dialogue avec Philippe de Villiers orchestré par Eugénie Bastié, vous avez fait en quelque sorte votre « outing musulman » en déclarant : « Il y a un islam vécu dans la sphère privée, générateur de sacré. Personnellement, c’est ce qui m’a permis de tenir dans les moments dramatiques. Plus qu’une certaine estime, j’ai pour cet islam-là une admiration totale. » Vous pensiez à votre mère dont la disparition vous a beaucoup éprouvée. Qu’est-ce qui vous fait tenir, la foi, le rite, le groupe ? Expliquez-nous…

Sonia Mabrouk. J’ai longtemps pensé que les « valeurs de la République », même si comme vous je n’aime pas trop ce mot galvaudé, le sacré laïque si vous préférez, étaient suffisantes pour nourrir mon amour de la France. Mais depuis un certain temps, cela ne me suffit plus. En réalité, il y a toujours eu comme une distorsion entre une injonction, que je partage, à faire siennes ces valeurs, et ma conviction personnelle. Derrière ma quête du « sacré[1] », j’ai une vraie croyance, une loyauté à la religion telle que je l’ai connue à travers ma mère et ma grand-mère. Ce n’est pas « l’islam des Lumières » de Malek Chebel, c’est un islam privé, dont j’ai hérité, que j’ai vu pratiqué au quotidien.

Dans quel bain culturel est né cet islam ? N’était-il pas déjà occidentalisé par l’histoire familiale – vous êtes allée à l’école catholique ?

Si, complètement. J’ai été éduquée en partie par des sœurs, des Pères blancs qui étaient des femmes. Ce sont elles, en Tunisie, qui nous apprenaient la prière. Quand je demandais pourquoi, on me répondait « la meilleure manière de bien connaître votre religion, c’est qu’elle soit expliquée par d’autres ». Mon islam n’est pas adossé au Coran, édicté par la main gantée des hommes. Dans ma famille et en partie en Tunisie, l’islam est aussi une histoire de femmes qui puise dans les contes. On m’a appris que Shéhérazade était une femme moderne, une féministe avant l’heure qui vivait dans un environnement féodal, misogyne, et qui était capable de subvertir la règle d’or des hommes. Cela m’est resté. Les sœurs, comme les femmes de ma famille, m’ont appris qu’on avait le Coran, mais aussi Les Mille et Une Nuits. Le Coran ne parle que très rarement des femmes, et des hommes aussi d’ailleurs. Il parle de Dieu et des croyants. Pour moi, Shéhérazade, c’est l’islam moderne.

Cet islam plus charnel que celui du Coran était-il une singularité familiale ?

Non, cela allait au-delà. Dans l’école publique que j’ai fréquentée avant l’école française, mes amies d’enfance (qui sont restées les mêmes) avaient aussi cette vision-là. On considérait un peu l’islam comme une auberge espagnole : je suis pratiquante de cœur, je pioche. Cet islam aurait quelque chose à apporter au monde et à la civilisation. Mais si tu viens en conquérant, tu choisis dans les sourates ce qu’il y a de plus terrible et noir.

Malheureusement, cet islam consolateur et paisible du privé est marginal. Aujourd’hui, la version la plus répandue de l’islam c’est le refus de l’altérité, de l’égalité des sexes, de la critique. Le problème tient-il au Coran lui-même ?

Je ne peux pas vraiment répondre à cela, mais je ne crois pas à la possibilité d’une Réforme. À l’échelle individuelle, chacun peut se fabriquer son islam, mais collectivement, c’est un fantasme. Les voix favorables à l’obscurantisme sont plus fortes. Mais il y en a d’autres. Dans son Dictionnaire amoureux de l’islam, Malek Chebel expliquait que les Arabes ont inventé les aphrodisiaques, le préservatif et les cosmétiques, les préliminaires, etc. J’ai été fascinée par cette lecture. Malheureusement, on entend très peu ceux qui parlent de désaliénation religieuse et encore moins ceux qui, comme moi, défendent la France mais refusent de se couper de tout sentiment religieux.

Admettez que ce n’est pas simple. Vos murs porteurs sont à la fois le primat de la raison et le besoin de sacré. Comment vous arrangez-vous avec tout cela ? N’est-ce pas contradictoire ?

Non, parce que la transcendance, ce n’est pas le surnaturel ou l’idolâtrie. C’est cette part irréductible de l’homme à laquelle les sociétés modernes, nihilistes et matérialistes, ont tourné le dos. On peut essayer de la chasser par la porte de son esprit, elle revient par la fenêtre de son cœur. Je n’ai pas attendu la perte d’un être cher pour avoir besoin de ce lointain qui m’est paradoxalement très proche. Il y a une phrase de Pascal qui me bouleverse : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » Je sais que c’est en nous. Et pourtant, dès qu’on parle de transcendance, on est regardé différemment. Saint-Exupéry se désespère que rien ne vienne caresser le cœur des hommes dans ce monde asséché. Dans une lettre qu’il a écrite en Tunisie, il dit que les hommes ne peuvent pas juste vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés. Ce désespoir spirituel le désespère.

Ce que vous dites, c’est qu’il faut un plus grand que soi. Cela peut être l’art, la beauté ou même la révolution…

Sans doute, mais quand je suis à Notre-Dame, je ressens véritablement quelque chose de très fort en moi qui vient de très loin. De même à la mosquée Hassan-II de Casablanca.

Et quand vous voyez des caricatures de Charlie, vous vous sentez offensée ?

Peu importe que je sois ou non offensée. Je me battrai toujours pour Charlie parce que c’est la quintessence de la liberté et que, dans notre pays tellement habitué à la liberté, on ne l’aime pas assez. Cependant, je ne crois pas à l’esprit du 11 janvier. Tous Charlie, tous juifs, tous flics, c’est du baratin.

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Ce qui nous ramène au défi que constitue l’installation de l’islam dans les sociétés libérales. Vous ne croyez pas à une réforme.

Y a-t-il un seul État musulman démocratique dans le monde ? Je ne crois pas. C’est ce qui me rend sceptique sur la possibilité d’une Réforme collective. Difficulté supplémentaire, l’islam n’a pas de clergé qui pourrait faire autorité. L’oumma est sans doute un projet collectif, mais pas un projet d’avenir.

Il y a une autre contradiction. Ce qu’apporte la religion, c’est une transcendance, mais aussi une appartenance, un groupe. Comment faire pour éviter à la fois l’enfermement dans le groupe et la désaffiliation de l’individu atomisé ?

L’enjeu est précisément celui-là. Le communautarisme fait du groupe un ensemble homogène dont les autres – les Français, les juifs – sont exclus. Pour autant, je ne crois pas à l’abolition des appartenances. Ce que j’appelle de mes vœux, c’est un groupe où l’individu dispose de sa liberté et de son choix éclairé. Malheureusement, l’islam en est loin.

Vous aviez des amies juives dans la Tunisie de votre enfance. On a certes idéalisé un prétendu âge d’or. Cependant, entre juifs et musulmans, il y a eu des moments de coexistence heureuse.

Il y avait même plus que ça, il y avait des visionnaires qui imaginaient ce qui semble hors d’atteinte aujourd’hui. Le 3 mars 1965, le président Bourguiba visite un camp de réfugiés palestiniens à Jéricho avec le roi Hussein de Jordanie. Après avoir exprimé sa compassion pour leurs souffrances, il ajoute qu’on ne peut pas continuer avec des proclamations grandiloquentes sur les réfugiés palestiniens sans terre. Il faut reconnaître l’État d’Israël. Bourguiba évoque longuement l’expérience tunisienne, rappelle que l’indépendance s’est faite par étapes. Et il conclut : « Si nous avions rejeté les solutions incomplètes comme les Arabes ont rejeté le plan de partage de la Palestine, la Tunisie serait encore aujourd’hui sous occupation étrangère. » Il voulait dire qu’on doit accepter des compromis. Les Arabes ont largement contribué à saborder l’avenir des Palestiniens. Ils ont préféré faire d’Israël le responsable de tous leurs maux.

Vous affirmez que l’islamisme n’est pas l’islam. Cependant, on peut parler d’un islamisme d’atmosphère (pour paraphraser le djihadisme d’atmosphère de Gilles Kepel) qui est un islam identitaire – « Je suis d’abord musulman et je suis musulman contre tous les autres ». Peut-on encore dire « pas d’amalgame » ?

De nombreux individus, moi la première, sont totalement imperméables à cette atmosphère. Mais il serait hypocrite de dire qu’il y a une muraille de Chine. Cependant, je continue à penser que, comme elle l’a été pour les juifs, la France pourrait être une chance pour les musulmans.

Toutes les études montrent que l’imprégnation islamiste concerne 40 % des musulmans en France. Ce qui signifie que 60 % voudraient échapper à la pression de l’islam politique. Que fait-on pour ceux-là ?

Si j’avais la réponse… Je sais que beaucoup de Français musulmans, à qui les médias ne donnent pas la parole et qui n’ont pas non plus envie de la prendre, ne croient pas à une nation multiculturelle. Ils veulent qu’il y ait des crèches dans les mairies et des juifs en France. De même, la majorité des Français ne voudrait pas d’une France sans musulmans. Ils ne veulent juste pas être submergés ou remplacés. Comme moi, ils aiment que la France soit diverse, mais qu’elle n’oublie pas ses racines.

Vous êtes une personnalité publique. N’avez-vous pas peur de vous exposer, d’être moquée, quand vous parlez de vos croyances intimes ?

J’ai pris ma liberté, mon droit de croire dans les signes, dans la symbolique des choses. Peu importe si on se moque de moi, si je surinterprète comme je l’ai fait quand maman est partie, je vois ces symboles et ils contribuent modestement à réenchanter mon monde. C’est la seule manière de se protéger. On a tellement de combats à mener, on a tellement parlé, que cela assèche. Tout ce qui tombe du Ciel ou de la poche de Dieu, je préfère le ramasser. Simone Weil écrit : « Tous les crimes, les grands crimes, commencent par un détail. Et ce détail, c’est une légère faute d’attention. » Alors soyons attentifs à ce et à ceux que nous aimons.


[1] Reconquérir le sacré, L’Observatoire, 2023.

La géopolitique du crime organisé à la carte

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Test detection de marijuana sur un produit en provenance de Suisse à Carros en France le 20 mai 2020 © SYSPEO/SIPA/2005252115

Quels sont les véritables Narco-États dans le monde ? Des mafias italiennes, des cartels mexicains ou des triades chinoises, quel groupe a le plus grand pouvoir de nuisance ? Pratiques criminelles et bien évidemment trafics en tous genres: tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le crime organisé est désormais à portée de main avec 40 fiches illustrées aux Éditions Eyrolles.


Géopolitique du Crime organisé ou comment comprendre que la criminalité outrepasse les défis sociétaux. Ce livre s’inscrit dans la ligne éditoriale des éditions Eyrolles proposant de comprendre le monde dans son ensemble par thématique. Dans la même collection, il existe par exemple aussi Géopolitique de l’intelligence artificielle.

Bienvenue dans l’ère du crime internationalisé…

Pour ce nouvel ouvrage : la criminalité, depuis la mondialisation, s’est, elle aussi, mondialisée, et organisée, c’est pourquoi l’on parle de crime organisé, désormais aussi, internationalisé. Les auteurs, Michel Gandilhon (expert associé au département Sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers – CNAM et membre du conseil d’orientation scientifique de l’Observatoire des criminalités internationales – ObsCI), Gaëtan Gorce (chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques – IRIS et directeur de l’ObsCI) et David Weinberger (chercheur associé à l’IRIS et codirecteur de l’ObsCI) sont de cette génération de chercheurs ayant réalisé que les enjeux de la criminalité de demain s’inscrivaient dans les dynamiques de géopolitique internationale. Dans cet ouvrage, ils ont réalisé 40 fiches illustrées, exposant et permettant de comprendre quelles sont les menaces d’aujourd’hui et de demain.


De nombreux sujets sont abordés et éclairés par les contributions de co-auteurs renommés, tels que Clothilde Champeyrache, professeure de criminologie au CNAM, ou Jean-François Gayraud, commissaire général de la police nationale et essayiste. Ces experts, forts de nombreuses années d’expérience et de recherche dans leurs domaines respectifs, partagent leur savoir à travers ces fiches éclairantes, par exemple :

Le fonctionnement des réseaux mafieux, avec un focus particulier sur la ‘Ndrangheta, aujourd’hui reconnue en Italie, aux États-Unis et en Australie comme la plus puissante et dangereuse des organisations criminelles. Cette mafia calabraise bénéficie d’immenses ressources financières issues principalement du trafic de cocaïne, mais également d’autres activités illicites telles que les trafics de déchets, les extorsions, les fraudes aux subventions publiques, ou encore le commerce de médicaments contrefaits et de produits dopants. L’infiltration du milieu politique constitue l’une de ses forces majeures : entre 1991 et 2023, 126 conseils communaux ont été dissous rien qu’en Calabre. Symbolisée par une pieuvre, la ‘Ndrangheta a su étendre son influence bien au-delà de ses frontières historiques… jusqu’en Australie.

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Le grand banditisme en France, qui n’est pas en reste face à ce type de criminalité. La France est probablement le pays de l’Union européenne où le crime organisé lié au trafic de drogues illicites connaît l’enracinement territorial le plus marqué. De nombreux quartiers abritent des points de revente, illustrant une réalité préoccupante et posant de sérieux défis à toutes les strates de la société française. Au début des années 1990, les renseignements généraux identifiaient environ 500 quartiers touchés par ce phénomène ; aujourd’hui, ce nombre dépasserait le millier, la majorité se situant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Parmi eux, une soixantaine, considérés comme les plus gravement affectés, ont été regroupés en 2018 sous l’appellation « quartiers de reconquête républicaine », dont la dénomination même vaut reconnaissance de la crise du régalien. On peut citer Marseille, Corbeil-Essonnes, Bagnolet, Aubervilliers, Saint-Denis, Canteleu, Avallon dont la question de la corruption des pouvoirs publics locaux par les groupes criminels constitue un sujet de préoccupation majeur des services en charge de la lutte contre le trafic de drogues illégales, si ce n’est des services en charge du trafic d’armes.

Ces deux cas permettent d’illustrer le contenu de ces fiches : le crime s’est en effet internationalisé, et la coopération des États peine à rattraper le retard pris.

Ce livre propose un panorama riche en informations multiples mais d’une grande précision, sur ces phénomènes, notamment les divers trafics et entités du crime organisé. Ce livre permet de mieux percevoir comment vit et évolue cette face obscure du monde, d’appréhender le phénomène criminel ; surtout de réaliser combien ces questions nous concernent tous et l’urgence de les inscrire dans une dynamique de coopération internationale. En somme, un bon point de départ pour qui veut s’éduquer sur ce sujet hélas plein d’avenir, voire s’engager dans l’une des multiples voies permettant de l’affronter.

Indépendantisme martiniquais: l’influence délétère de Kémi Séba

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Kemi Seba, Paris, 2006 © SIMON ISABELLE/SIPA

Figure du panafricanisme influente, il entretient la haine de la France, fomente des tensions et est soutenu par des régimes hostiles. Il se présente aux élections au Bénin…


Se plonger dans le parcours idéologique de Kémi Séba revient à revenir sur des décennies d’activisme politique afro-américain. Né à Strasbourg de parents d’origine béninoise ayant été naturalisés Français, Stellio Chichi a commencé son parcours en adhérant au mouvement suprémaciste noir Nation Of Islam, que les amateurs de films de prison auront reconnu comme étant un des gangs les plus célèbres du système carcéral étatsunien. Prônant la ségrégation entre les noirs et les autres ethnies des Etats-Unis, Nation Of Islam a été fondé par Elijah Muhammad. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Kémi Séba n’a pas pris son pseudonyme après son adhésion à Nation Of Islam mais au tournant des années 2000, moment où il rejoint l’idéologie religieuse du kémitisme, mouvement néo-païen panafricaniste opposé aux religions abrahamiques vues comme étant des outils coloniaux de domination des populations noires africaines.

Voilà pour le contexte dans lequel évolue Kémi Séba depuis un peu plus de deux décennies désormais. En dépit de quelques turbulences, il est resté globalement fidèle à son corpus panafricaniste et à ses croyances. Pourtant, plutôt que de se marginaliser progressivement, l’homme a su avec habileté faire croitre son audience initiale et devenir une voix écoutée en Afrique, singulièrement dans le Bénin de ses racines où il envisage même de se faire prochainement élire président de la République.

La haine de la France comme fonds de commerce

Kémi Séba aime souvent à rappeler en conférence le conseil qu’il avait reçu de sa mère lorsqu’il était encore un enfant : « Ne deviens Français que sur le papier ! ». Il est allé au bout de sa logique en brûlant publiquement son passeport français lors d’une conférence de presse tenue depuis Fleury-Mérogis puis en s’improvisant conseiller du général putschiste nigérien Abdourahamane Tiani. De quoi bénéficier d’un passeport diplomatique délivré au mois d’août 2024 qui lui a permis d’annuler une partie des effets de sa déchéance bien méritée de la nationalité française…

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Car, on trouve la trace de Kémi Séba dans toutes les humiliations que la France a subie au Sahel. Participant activement à la dégradation de l’image de notre pays dans la région, alors que nous l’avons militairement sauvée pendant dix ans, Kémi Séba s’est allié à tous nos ennemis. Régulièrement reçu comme hôte de marque par les autorités russes ou encore iraniennes, Kémi Séba intervient partout où il s’agit d’affaiblir l’influence et l’intérêt français. Dès 2017, il était accueilli à Moscou par Alexandre Douguine. Plus tard, en 2019, il bénéficiait de l’appui financier du tristement célèbre Evgueni Prigojine, alors vivant et administrateur de Wagner, en échange selon son propre aveu d’opérations antifrançaises visant à « appeler la jeunesse africaine à mener des actions violentes contre les intérêts français en Afrique ». Il a pour cela reçu plus de 400 000 dollars entre 2018 et 2019. Notons aussi qu’il a participé au forum économique Turquie-Afrique comme à la conférence internationale « La politique française du néocolonialisme » à Bakou en Azerbaïdjan, pays dont on retrouve la trace dans de nombreuses manifestations contre l’Etat en Nouvelle-Calédonie ou encore en Martinique.

Son influence délétère est forte en Afrique, comme nous l’avons dit, mais aussi malheureusement en France. Déjà en métropole en excitant les afro-descendants et diasporas, notamment envers les Sénégalais après avoir officié dix ans dans l’émission Le Grand Rendez-Vous de la chaîne 2STV, mais aussi dans les outre-mers. En Guyane, Kémi Séba a notamment été reçu par l’activiste Elie Domota.

La présence de Kémi Séba en Martinique a été trop peu dénoncée

En 2018, Kémi Séba participait à l’envahissement du supermarché Génapi de la commune de Ducos en Martinique. Aux cris de « Yo armé nou pa armé », lui et ses militants s’étaient emparés de sachets de « sucre rouge sang », symbole de la souffrance des ancêtres, « parce que nos parents ont travaillé dans ces plantations ». Dans un article pour le site Madinin’Art, le chroniqueur martiniquais Yes-Léopold Monthieux est d’ailleurs récemment revenu sur la genèse et les liens qui unissent les « kémites » aux mouvements indépendantistes martiniquais comme le RRPRAC (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes) de Rodrigue Petitot :  

« (J’ai) écrit le 29 décembre 2021 dans « La main invisible du désordre » : « en effet, tous les évènements intervenus depuis le premier bris de statue et même de l’équipée du centre commercial Génipa sous la houlette de Kémi Séba, ont comme fil conducteur la défiance de l’Etat et la volonté de lui porter atteinte dans le cadre de la lutte anticoloniale. La philosophie est connue, la méthode éprouvée : les militants d’idéologies diverses peuvent s’engouffrer dans le tunnel ainsi défini ».

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J’ignorais que la « main invisible » pouvait provenir de Russie et de son proxy l’Azerbaïdjan… Des élus martiniquais ont entrepris de rendre cette main de plus en plus visible, et de décomplexer la revendication indépendantiste. Des vidéos montrant des militants du RRPRAC arborant des pendentifs kémites permettent aussi de mesurer l’entrisme du mouvement dans ce mouvement ultramarin sous faux nez, ainsi d’Aude Goussard qui fut candidate pour la 4ème circonscription des dernières élections législatives de Martinique.

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Gwladys Roger, l’une des meneuses du RRPRAC, s’est aussi prise en photo avec ce pendentif au motif égyptien emblématique des sectateurs kémites.

Enfin, Kémi Séba et Rodrigue Petitot partagent un autre point commun. Ils ont tous deux pour avocat Juan Branco, en visite en Martinique au début du mois de janvier pour « dénoncer la vie chère ». Ne serait-ce pas plutôt pour provoquer une insurrection contre l’État qu’il appelle de ses vœux et aurait l’avantage de plaire à de nombreux État étrangers hostiles ?

Libéralisme contre socialisme: la lutte des milliardaires et des fonctionnaires

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Boca Chica, Etats-Unis, 20 novembre 2024 © Brandon Bell/AP/SIPA

Alors qu’en Chine des milliardaires devenus gênants pour le pouvoir communiste ont tendance à disparaitre, aux Etats-Unis on assiste au grand remplacement des politiques traditionnels par les milliardaires. Analyse.


« L’économie mondiale doit-elle être une exploitation ou une organisation du monde ? Les Césars de ce futur empire doivent-ils être […] des milliardaires ou des généraux, des banquiers ou des fonctionnaires de stature exceptionnelle ? C’est là l’éternelle question. » (Oswald Spengler, Prussianité et socialisme)


Le monde, prophétisait en 1919 Spengler dans Prussianité et socialisme, est appelé à être le théâtre d’un affrontement global entre deux modèles irréconciliables de sociétés : le modèle anglo-saxon, qui prône la primauté de l’individu, et le modèle prussien, qui affirme la prééminence de la collectivité.

A ces deux modèles correspondent deux types anthrolopologiques opposés : le type anglo-saxon de l’homme privé, libre, indépendant, culminant dans la figure du self-made man ; et le type prussien du serviteur de l’État, loyal et probe, culminant dans la figure du fonctionnaire weberien.

Chacun de ces types, d’après le philosophe allemand, peut être vu comme le lointain descendant d’une figure prototypale : celle du chevalier teutonique, c’est-à-dire du moine-soldat, dans le cas prussien ; et celle du Viking, c’est-à-dire du pirate-marchand, dans le cas anglo-saxon.

Au sens teutonique de la discipline et de l’austérité, à l’ethos prussien du devoir, répondent ainsi l’existence viking conçue comme une lutte sans merci pour la vie, et l’ethos anglo-saxon du succès.

Dans ces deux modèles de sociétés, la Volonté de puissance est à l’œuvre : mais là où l’esprit anglo-saxon entend les faire s’affronter individuellement pour qu’elles s’aiguisent les unes les autres, l’esprit prussien, lui, entend les unifier dans une seule et même expression générale, dont chacun acceptera ensuite d’être l’instrument.

Ethos prussien du devoir vs. ethos viking du succès : illustrations économiques et sociales

A l’idée prussienne d’une cogestion de l’entreprise, y associant les salariés, correspond ainsi une appréhension anglo-saxonne de la vie économique comme « part de butin revenant à chacun ». Là, rien de la recherche teutonne d’un optimum global, mais la constitution viking, grâce aux compagnies et aux trusts,de fortunes individuelles et de richesses privées. Même le traitement du paupérisme, souligne le philosophe prussien, n’échappe pas à cette opposition. A l’invention bismarckienne d’un État-providence, c’est-à-dire d’une mutualisation obligatoire et solidaire des risques, répond alors le développement, par les milliardaires anglo-saxons, de la philanthropie, c’est-à-dire d’une charité discrétionnaire et privée, offerte par ses dispensateurs à la manière de « vieux corsaires, qui, attablés dans le château conquis, jettent aux prisonniers [en l’occurrence, le peuple] les reliefs du festin ».

Et l’on pourrait décliner en une série infinie d’oppositions cet antagonisme entre un socialisme autoritaire et un libéralisme darwinien : primauté de la collectivité vs. primauté de l’individu ; ethos du devoir vs. ethos du succès ; notion d’administration vs. notion de commerce (« cette forme raffinée de la piraterie ») ; hiérarchie fondée sur l’autorité statutaire vs. hiérarchie fondée sur l’enrichissement personnel ; prééminence de la politique sur l’économie vs. inféodation de la politique à l’économie ; etc., etc.

Évidemment, cette dichotomie de modèles doit être considérée comme une opposition idéelle ; dans la réalité, ni la société anglo-saxonne ni la société prussienne, même de l’époque, ne sont aussi monolithiques. L’émergence d’un Etat-providence aux Etats-Unis, à partir de 1935, l’illustre d’ailleurs – les grandes crises (en l’occurrence, celle de 1929) étant, typiquement, l’occasion de concessions ou d’emprunts au modèle rival -. Mais réciproquement, la place centrale que conserve aujourd’hui la charité privée dans le modèle américain, et le périmètre plus réduit qui y est toujours celui de l’État social, plus d’un siècle après les analyses de Spengler, marquent que l’antagonisme souligné par le philosophe prussien n’a rien de gratuit, et traduit des différences profondes et persistantes de mentalités entre les sociétés[1].

Etats-Unis vs. Chine : vers une radicalisation de l’antagonisme entre modèles

La fin du XXème siècle a pu donner à certains analystes l’idée que la prophétie de Spengler était démentie, et que le modèle anglo-saxon, avec des nuances plus ou moins prononcées de prussianité suivant les climats et l’atavisme des peuples, allait s’imposer à l’échelle planétaire.

Les années récentes, toutefois, n’ont fait que souligner la pertinence de la thèse soutenue par Spengler. Deux faits nouveaux, qui ne se présentent pas comme des épiphénomènes mais comme des tendances lourdes, sont en effet intervenus, et annoncent une recrudescence du partage du monde entre modèle socialiste autoritaire et modèle libéral anglo-saxon.

Une crise profonde du modèle libéral

La première de ces tendances lourdes, c’est le constat que le modèle libéral connaît une crise profonde. D’une part, la primauté accordée à l’individu sur la collectivité a conduit à une érosion dangereuse de la cohésion des sociétés occidentales, minée par des revendications communautaristes voire sécessionnistes. D’autre part, le développement du libre-échange et le déclin du patriotisme économique, aussi bien chez les consommateurs que chez les grands patrons, a mené à une désindustrialisation et à des dépendances d’autant plus critiques que l’effondrement du niveau scolaire moyen assombrit les perspectives d’amélioration de notre productivité et d’inversion de cette dynamique. Plus structurellement, on commence peut-être à mesurer, comme l’écrivait Castoriadis en 1996, que l’efficacité du modèle libéral dépendait aussi du fait « qu’il avait hérité d’une série de types anthropologiques […] créés dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l’honnêteté […], la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. », qu’il n’aurait pas pu faire surgir lui-même et que sa logique, faisant appel aux purs intérêts personnels, tend même à faire disparaître. La désertion, à cet égard, se répand de plus en plus, à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, qu’elles soient parentales ou professionnelles.

L’action sociale du libéralisme pourrait alors s’apparenter à l’action économique des fonds spéculatifs dit « activistes » (qui acquièrent des parts minoritaires d’entreprises pour en modifier les stratégies). En obtenant une coupe drastique des coûts et en capitalisant sur le savoir-faire historique de l’entreprise, l’opération permet généralement de dégager d’excellents résultats financiers à court terme, mais le sous-investissement qui en résulte hypothèque d’autant voire ruine les perspectives de long terme de l’entreprise. Le bilan du libéralisme, pour prolonger l’image, aurait ainsi été artificiellement « gonflé » par la dilapidation progressive d’un capital de mystiques, au sens de Péguy – mystique professionnelle, mystique parentale, mystique citoyenne, etc. -, dont nous ne ferions que commencer à constater les effets délétères sur le temps long.

Un succès (menacé ?) du contre-modèle chinois

La seconde de ces tendances lourdes, c’est évidemment la reprise du flambeau du socialisme autoritaire par la Chine, et les succès que ce modèle a rencontré dans ce dont le libéralisme entendait précisément faire son domaine réservé, c’est-à-dire l’économie.

Cette réussite, à l’échelle d’un pays aussi vaste et aussi peuplé, inflige en effet un démenti cinglant à l’absence d’alternative classiquement mise en avant par les libéraux (cf. Thatcher et son fameux : « there is no alternative ») : elle démontre qu’un contre-modèle, fondé sur l’importance d’une discipline collective (par opposition à la considération de la seule initiative privée), n’est pas seulement viable, mais capable de rivaliser voire de détrôner la référence américaine sur son propre terrain.

La Chine, à la différence de l’Europe, n’a raté aucune révolution technologique, et dispose de champions nationaux dans chacun de ces nouveaux secteurs (smartphones, intelligence artificielle, véhicules électriques, e-commerce, etc.). Encore distancée dans certains domaines industriels plus historiques, telle que l’aéronautique ou le spatial, elle rattrape rapidement son retard, comme elle l’a déjà fait dans l’automobile, le ferroviaire, ou encore le nucléaire.

Son modèle mêlant protectionnisme et ouverture au monde, économie de marché et économie planifiée, combiné à une éducation de masse de qualité, a ainsi permis une élévation réelle du niveau de vie global de la population, et s’avère pour l’heure une réussite dans l’ensemble, en dépit d’une demande intérieure qui reste faible et d’une crise immobilière qui se prolonge.

L’opposition peut être schématisée ainsi : là où le modèle libéral, du fait d’un effondrement continu de son système d’éducation général, fait reposer sa croissance future sur une fraction de plus en plus réduite d’individus (qu’il se retrouve d’ailleurs de manière croissante, en raison de l’attrition du vivier, à « débaucher » de l’étranger, par la promesse de meilleures perspectives d’évolutions personnelles), son rival asiatique, lui, s’est employé méthodiquement à en élargir l’assise.

La place des milliardaires offre, dans cette perspective, une illustration exemplaire de l’antagonisme qui s’accroît entre les sociétés américaine et chinoise. Spengler, dans Prussianité et socialisme, aimait à caractériser les milliardaires Yankees comme « des citoyens privés qui règnent sur des pays étrangers par l’intermédiaire d’une classe subalterne de politiciens professionnels ». Si l’invasion américaine de l’Irak pourrait s’analyser dans ce cadre, à l’aune des intérêts des compagnies pétrolières notamment, la « prise de pouvoir » des milliardaires, dans la nouvelle présidence Trump, marque une forme de radicalisation de la perspective spenglérienne, par l’économie qui y est faite, et même revendiquée, du personnel politique « conventionnel ». Désormais, les milliardaires exercent directement les responsabilités étatiques, sans s’embarrasser d’un quelconque « proxy » (on notera d’ailleurs que cette « liquidation » des intermédiaires et des formes est tout à fait dans l’esprit du libéralisme).

A rebours de cette évolution, la Chine, elle, s’est au contraire distinguée ses dernières années par la mise au pas systématique des milliardaires, et le renforcement plus large de l’inféodation de l’économie et des grands groupes privés (notamment issus de la tech)aux objectifs politiques définis par le PCC. A l’installation d’Elon Musk (et de Vivek Ramaswamy, un autre milliardaire d’origine indienne) à la tête d’un ministère de l’efficacité gouvernementale, chargé de dégraisser les effectifs de fonctionnaires fédéraux, répond ainsi, de l’autre côté du Pacifique, l’organisation bureaucratique, par l’Etat-parti, de la disparition des milliardaires critiques (à l’instar des Xiao Jianhua, Jack Ma ou encore Bao Fan, volatilisé depuis bientôt deux ans).

Le resserrement de la tutelle du PCC sur l’économie, qui va de pair avec une évolution autocratique et népotique de l’exercice du pouvoir sous Xi Jinping, éloigne toutefois la Chine de l’idéal de socialisme autoritaire prôné par Spengler, d’essence méritocratique, dont le chef n’est censé être que le premier serviteur de l’Etat, et non l’usufruitier.  Il faudra voir, dans les prochaines années, à quel point cette dérive prévaricatrice se confirme. Si c’est le cas, comme la situation actuelle porte à le penser, l’atteinte des ambitions chinoises pourrait en pâtir lourdement.

La situation de la France

Dans le cas de la France, le philosophe prussien identifiait une troisième figure prototypale : non celles, animées par la Volonté de puissance, des héritiers des Vikings ou des chevaliers teutoniques, mais celle, tournée vers l’otium, du rentier, correspondant à l’idéal du phalanstère fourriériste. Là, non une « énergique notion de propriété », mais un objectif de « jouissance ; non « tout », mais « assez » ; non « l’action », mais le « bien-vivre » […] Des voyageurs anglais, Young par exemple, s’étonnèrent, à la veille de la Révolution, que la noblesse exploitât si mal ses domaines. Elle se contentait de les « posséder » et de recevoir de l’intendant les sommes nécessaires à la vie parisienne. Cette aristocratie du XVIIIème siècle était totalement différente de l’aristocratie anglaise et prussienne qui, entreprenante, cherchait à acquérir et à conquérir. » Et de même, « l’ouvrier [français] veut être, lui aussi, rentier. Il déteste l’oisiveté des autres à laquelle il ne peut prétendre. Son but qui est d’obtenir pour chacun l’égalité quant à la jouissance et à la possibilité de rentes se retrouve aussi dans la fameuse formule de Proudhon : « La propriété, c’est le vol. » Car la propriété dans ce cas ne signifie pas le pouvoir mais une possibilité de jouissance que l’on a acquise ».

Bien que dressé dans des conditions discutables d’impartialité (nous sommes en 1918-1919), il paraît difficile de nier la part de vérité contenue par ce portrait psychologique de notre pays.

Notons tout de même, contre Spengler, que la parenthèse gaullienne – avec l’instauration d’une Vème République d’inspiration monarchique, la poursuite d’un juste équilibre entre libéralisme et collectivisme (les mécanismes imparfaits de l’économie de marché devant être corrigés par la planification et la participation), le tout sous l’égide d’une « noblesse d’Etat » ayant le sens de celui-ci – a certainement constitué l’une des meilleures déclinaisons « terrestres » de l’idéal de socialisme autoritaire caressé par le philosophe prussien.

Las, il faut bien convenir que nous en sommes revenus, et que la France, depuis, n’a guère connu que des alternances entre fourriéristes et libéraux contrariés. Primum omnium salus patriae, rappelait le Général à Peyrefitte[2] : on ne peut pas dire que ce soit le visage que nos hommes politiques, ces quarante dernières années, et particulièrement l’Assemblée actuelle, nous ait habitué à présenter.


[1] Soulignons ici, pour éviter les contresens, que le socialisme autoritaire prôné par Spengler, d’inspiration profondément aristocratique (au sens étymologique du mot – c’est-à-dire de gouvernement des meilleurs), n’est ni le communisme ni le national-socialisme. Le communisme, en particulier, n’est jamais de son point de vue qu’une remise en cause de la répartition du butin, pas de l’esprit plus global de rapine qui anime les sociétés anglo-saxonnes. Quant au national-socialisme, il n’existait pas en 1919, mais on peinerait à faire cadrer sa brutalité plébéienne et son culte d’un chef démagogique, avec l’idéal chevaleresque que le philosophe prussien caressait.

[2] « Avant tout, le salut de la patrie ».