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Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

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Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens.


Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, tout le monde connait désormais au moins le prénom ou le visage de ces trois jeunes femmes sorties des griffes du Hamas. Qui n’envisage pas avec angoisse et espoir ces longues six semaines à l’issue desquelles, si la première phase de l’accord se déroule comme prévu, 33 otages, trois ou quatre chaque semaine, reviendront chez les leurs ? Et parmi eux, combien dans des linceuls ? Car pour le Hamas, un cadavre israélien aussi a sa valeur d’échange.

Israël, un pays qui n’abandonne jamais ses morts

Le sergent Oron Shaul, tué il y a dix ans à Gaza, retrouvé par Tsahal, vient d’être enterré près de son père, qui pendant des mois avait fait le siège du Premier ministre à Jérusalem pour réclamer le retour du corps de son fils. Mission accomplie, mais le président Isaac Herzog et l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz sont venus au cimetière demander pardon à la famille pour le retard.

Un Etat qui n’abandonne pas ses morts ne peut pas abandonner ses vivants.

C’est le « Pikuach nefesh », la préservation de la vie, auquel fait écho l’expression  « lehaïm » signifiant « à la vie ». Cette prééminence a entrainé en 2011 l’échange de 1207 prisonniers palestiniens contre un seul prisonnier israélien, Gilad Shalit. Il est obscène aujourd’hui de parler d’échange de prisonniers. C’est un échange d’otages contre des prisonniers, près de 2000 à l’issue de la première phase. Parmi eux, 700 détenus dans les prisons israéliennes pour terrorisme, dont certains assassins condamnés à perpétuité.

Chacun sait que Yahya Sinwar était l’un des  1207 prisonniers et nul n’ignore que beaucoup des détenus libérés seront mêlés à d’autres actes terroristes. Les relâcher, auréolés de leurs années de prison, est une décision lourde de menaces. Romi, Emily et Doron n’iront pas tuer des Palestiniens pour se venger. Parmi les 90 prisonniers échangés contre elles, il n’en est pas de même, si on en croit leurs déclarations devant la foule enthousiaste de Ramallah. Et encore, ce premier groupe est celui des moins lourdement condamnés…

Ce scandale moral révulse beaucoup d’Israéliens, sans compter les familles des victimes d’attentats terroristes qui vont voir les assassins parader. Dans le décompte entre quelques dizaines d’otages à récupérer et les catastrophes que peuvent provoquer les terroristes libérés, le décalage parait accablant. Et un échange pareil confirme que la prise d’otages est un business profitable, à répéter dès que possible…

Précédents

Revient le passé, quand Israël refusait de négocier avec les auteurs de piraterie aérienne, et le souvenir du Raid d’Entebbe[1] dont le héros a été Yoni Netanyahou, sur une décision prise par Yitzhak Rabin, un travailliste. 

Ben Gvir a démissionné. Smotrich, qui ne l’a pas fait, attaque violemment l’accord. Beaucoup vilipendent Netanyahou pour s’être laissé tordre le bras afin de complaire à Trump la veille de son investiture. Ils considèrent donc qu’il fallait entrer immédiatement en conflit avec un président américain particulièrement amical envers Israël et dont le soutien est vital pour le pays, et qu’il fallait affronter en même temps les 75% d’Israéliens – dont la hiérarchie militaire – qui estiment que le retour des otages est une exigence prioritaire. Quant à penser qu’en acceptant l’accord, Netanyahou met en danger la sécurité du pays, on peut se dire que si celle-ci dépend de la libération de 1000 ou 2000 Palestiniens, alors Israël serait détruit depuis longtemps, tant les terroristes potentiels sont nombreux chez ses ennemis.

S’appuyer sur l’intransigeance du passé est futile. Dans les années 70, Israël ne devait pas céder aux pirates aériens car cela aurait été un terrible appel à la récidive, alors que le trafic n’était pas sécurisé comme aujourd’hui. La manière forte n’a pas toujours réussi: à Maalot, en 1974, l’intervention israélienne a entrainé l’assassinat de 22 enfants par les trois membres du commando FDLP[2].

De là ont résulté des renforcements majeurs des moyens de protection. L’engagement implicite sur lequel se fonde l’existence de l’Etat d’Israël, offrir un abri aux Juifs du monde entier, a pu ainsi être respecté. C’est cet engagement, mis à mal le 7-Octobre 2023, que Israël a dû rendre de nouveau crédible: pour cela il lui fallait détruire le Hamas et ramener les otages.

Le Hamas promet de recommencer

Le Hamas n’est pas détruit, mais il est très affaibli. Méfions-nous des photos trafiquées censées représenter une marée humaine de combattants victorieux sur la place de Gaza, mais écoutons bien les rodomontades du nouveau chef du Hamas, Khalil al-Hayya, qui salue la grande victoire et promet des récidives.

L’armée n’a pas pu libérer les otages, mais la négociation s’est faite dans de meilleures conditions pour Israël qu’il y a huit mois, car la guerre a considérablement affaibli les soutiens du Hamas, le Hezbollah et l’Iran, en même temps que vient au pouvoir une administration américaine apparemment moins frileuse contre le danger existentiel que pose le régime iranien. Cette fois-ci, le Hamas, malgré ses efforts, donnera difficilement le change.

C’est pourquoi je me réjouis du retour des otages, même si je sais que nous ne les reverrons pas tous et même si ces accords ne signifient pas la paix, contrairement aux vœux, pieux ou non, émis avec légèreté par ceux qui ne veulent pas admettre qu’une paix avec le Hamas n’est pas possible. 

L’accord peut être rompu à tout moment. De dramatiques surprises sont possibles. Une explosion orchestrée par le Hamas peut survenir en Cisjordanie. 

Plus encore, la deuxième phase sera extraordinairement difficile car dans la comptabilité macabre du Hamas, la valeur d’échange des otages (notamment les soldats) y sera encore plus élevée. En attendant, admirons l’exemple que donne Emily Damari, avec son sourire et ses doigts amputés, un magnifique message d’énergie et d’amour de la vie.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_d%27Entebbe

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ma’alot

Critique de la raison pure

Pour affronter ses véritables défis, la société française aurait besoin de la force mobilisatrice et de l’audace d’un Trump. Les discours tièdes et raisonnables sont passés de mode


Je sais, le titre est pris. Par un certain Emmanuel. Non pas celui auquel on peut penser mais un autre philosophe de très haute volée, Emmanuel Kant (1724-1804). À celui-ci, on doit de profondes pensées dont la difficulté de compréhension ne le cède en rien à certains passages des exposés de l’autre Emmanuel, celui auquel je faisais précédemment allusion. À cet autre, on doit aussi, paraît-il, l’invention du fixe chaussettes. Le petit dispositif grâce à quoi il pouvait maintenir ses bas – l’époque était aux bas masculins – à hauteur de cuisses, les empêchant ainsi de tirebouchonner sur les chevilles. Rien de plus disgracieux et de plus désordonné pour un esprit aussi méthodique et rigoureux que le sien. On devrait donc deux révolutions à ce penseur : l’une dans l’approche de la philosophie – il y a l’avant Kant et il y a l’après-Kant – l’autre dans le port du bas de soie. On ne saurait dire laquelle a été le plus utile à ses contemporains…

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Cependant, la raison pure dont il s’agit dans ces modestes lignes est autre. C’est la raison terriblement raisonnable des prises de parole à l’eau tiède dont on nous abreuve chez nous, dans le genre « discours de politique générale », voyez-vous. En fait, ce que nous avons pu constater avec la harangue d’investiture de Donald Trump est tout simplement que, si l’on entend exalter les foules, un brin de déraisonnable, de démesure semble s’imposer. Le 47ème président US nous a en effet livré un discours du type « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », pour reprendre les mots forts et diablement motivants du citoyen Danton en son temps. C’était avant Valmy. La période oratoire en fait tient en ces mots : « Le tocsin qui va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France sera sauvée. » En l’occurrence, elle le fut. Aujourd’hui aussi, la patrie a ses ennemis : la multinationale de la came, les négriers de l’immigration clandestine, les spéculateurs de tout poil qui se gavent au chevet de notre agonie financière, etc. etc. Pour les vaincre, nul doute qu’il faudra de l’audace grand format, et pour nous emporter d’enthousiasme dans cette croisade, nous autres citoyens, autre chose que du verbiage englué dans la molle soumission au raisonnablement faisable. Un Lacan ou un Barthe un peu fatigués ne soupçonneraient-ils pas, par exemple, derrière ces interminables péroraisons, débats et conclaves sur les retraites, un avatar sémantique, un aveu inconscient du refus d’affronter les vraies et dures réalités ? Bref, un masque, ou une mascarade au choix, derrière quoi dissimuler l’autre retraite, celle face aux ennemis, aux menaces pourtant si visibles évoqués plus haut.

Le tocsin sonne pourtant depuis assez longtemps à présent. Il serait temps que la puissance d’État lui prête l’oreille et donne de la voix façon Danton pour rameuter les troupes. Ce serait, à soi seule, une première audace. On l’attend.

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Valérie André: « Panthéon subito ! »

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Il y a une vingtaine d’années, à l’Arc de Triomphe, l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), détenteur de millions de photographies des engagements de l’Armée française, exposait une centaine d’entre elles sur un thème alors inédit des « Femmes dans la guerre ». Tantôt victimes, tantôt soutien moral, tantôt actrices à l’arrière du front, la figure de la combattante française n’a surgi sur des théâtres d’opération qu’au milieu du XXe siècle. D’abord employées dans des services, au risque de leur vie, telles ces six ambulancières tuées durant la Campagne d’Italie en 1944, les Françaises accédèrent progressivement à tous les grades et à toutes les fonctions des armées modernes. Beaucoup ignorent qu’elles le doivent en partie à l’une d’entre elles, la plus décorée, devenue première à être nommée Général en 1978 : Valérie André, qui vient de disparaître à l’âge de 102 ans.

Acceptant de bonne grâce, lors de l’inauguration de cette exposition, de raviver la flamme du Soldat inconnu, elle nous apparut trait pour trait telle que le quotidien Paris-Presse à son retour de la guerre d’Indochine la décrivait : « une femme élégante, aimable et d’une parfaite simplicité », devenue héroïne au point d’être croquée dans des B.D. d’action par un certain Uderzo (Magazine Les Bonnes soirées, 1954). Ce premier médecin militaire féminin fut pionnier aussi dans l’évacuation des blessés par la voie des airs, parfois, il faut le dire, de manière miraculeuse dans des postes reculés encerclés par les « Viets ». Là-bas, elle était « la femme descendue du ciel » pour les populations civiles avoisinantes des postes militaires qu’elle soignait comme elle pouvait. D’une apparence fluette dans sa combinaison retaillée de l’Armée de l’Air, coiffée de son chapeau de brousse, par son air calme et résolu, Valérie André savait donner confiance à son entourage. Sans l’avoir recherché, ses exploits allaient faire d’elle une légende.

Elle n’en faisait pas grand cas croyant humblement à la baraka, « comme une amie fidèle, … Une présence mystérieuse qu’il faut savoir capter, ne jamais refuser. » (Madame le Général, V. André). Pouvait-il en être autrement à bord de son petit hélicoptère Hiller, véritable proie désarmée, livrée au feu des mortiers et des mitrailleuses ennemis tandis que l’on hissait les blessés à son bord ? Les risques techniques de ce nouveau « ventilo », popularisé plus tard par les films de James Bond et de Fantômas, étaient des plus sérieux. Il pouvait chuter à cause d’une trop lourde charge ou bien se mettre à tourner comme une toupie, avec pour issue fatale l’explosion provoquée par une forte présence de magnésium dans l’appareil.

L’officier et romancier à succès (Les Ceinturions) Jean Lartéguy, dit d’elle dans la préface de son autobiographie qu’elle « était un mélange… de volonté farouche et de douceur ».  Volontaire pour quoi ?

Volontaire d’abord à 18 ans pour s’enfuir d’Alsace, et se cacher de la Gestapo afin de poursuivre ses études de médecine durant la guerre. Volontaire aussi, dans l’après-guerre pour rejoindre durant cinq années l’Indochine la « dernière épopée romantique des temps modernes » (Lucien Bodard) où la France livra avec des moyens restreints un combat aussi vaillant que sans issue, trop souvent ignoré ou dénigré en métropole.

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Volontaire également pour devenir tout à la fois pilote, parachutiste et médecin militaire de guerre, alors que l’exercice de chacune de ces fonctions par une femme était à l’époque une incongruité. Toujours volontaire pour les missions dangereuses, sauter en parachute dans le Haut Laos sur un poste isolé afin de sauver un blessé, installer des petits postes de secours dans des détachements, et surtout ramener 165 blessés sur 129 vols dans des paniers fixés à sa « libellule mécanique ». Et enfin, de nouveau volontaire pour retourner, selon ses mots d’ordre, « combattre et sauver » en Algérie, où elle resta cinq ans pilotant notamment un Sikorski H34.

Un tel parcours, exceptionnel pour un militaire, devient extraordinaire s’agissant d’une femme, dont l’intraitable volonté semble animée par deux forces, l’une d’ordre moral, l’autre passionnel.

Valérie André avait d’abord cette vocation admirable de soigner et de soulager les blessés, celle des chirurgiens de guerre et de ces médecins « de l’avant » pratiquant dans des milieux hostiles, entre le stress du danger et le manque de moyens tout en devant gérer le volet logistique des évacuations sanitaires. C’est d’ailleurs tout à son honneur qu’elle soigna aussi les blessés ennemis, tandis que les conditions de détention de nos militaires prisonniers du Vietminh étaient d’une grande cruauté.

La passion de voler était le second ressort profond de sa détermination. C’est le rêve d’une petite fille dont les idoles s’appellent Hélène Boucher, Maryse Bastié ou l’Alsacienne Hilsz atterrissant à l’aérodrome de Strasbourg et derrière laquelle elle court pour lui offrir un bouquet. Plus tard au Tonkin, elle tombera amoureuse de l’hélicoptère, avec laquelle elle fit corps et qui lui offrit un « balcon volant » sur les splendides paysages d’Indochine. Enfin, elle pourra assouvir cette passion aérienne au Centre d’essai de Brétigny aux côtés de Jacqueline Auriol en participant à différents vols expérimentaux, montrant que sa capacité d’expertise comme pilote n’avait d’égal que celle qu’elle avait mise en œuvre en tant que chirurgien de guerre.

Évidemment le nom de Valérie André, peut évoquer aujourd’hui des combats plus feutrés qu’elle mena au sein de l’institution militaire (en particulier comme présidente d’une « commission d’études prospectives pour la femme militaire » au début des années quatre-vingt) afin d’ouvrir aux Françaises qui en étaient aptes toutes les portes, y compris les verrières des cockpits d’avions de chasse.

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Tout ce qu’elle fit pour promouvoir les femmes dans les armées n’a évidemment rien de commun avec un néo-féminisme agressif, diviseur et extrémiste. Elle usait de détermination, nullement de provocation, même si elle savait manier l’humour : en 1948, au général commandant les troupes aéroportées qui s’inquiétait malicieusement de la gêne occasionnée par le harnachement à sa poitrine, elle rétorqua : « Je suis moins gênée que vous ne pourriez l’être un peu plus bas, avec les cuissards du harnais du parachute ». Faisant preuve d’une belle opiniâtreté avec ses chefs, elle leur démontrait non seulement l’utilité d’être à la fois pilote et médecin, mais surtout la capacité pour une femme d’être l’un et l’autre.

Elle agissait en faveur de l’intégration des femmes dans l’Armée avec un esprit d’union, non de division, ni de revanche vis-à-vis des hommes, car elle savait tout ce qu’elle devait à ses camarades masculins, au soutien opérationnel et technique de ses copains au premier rang desquels son chef et futur époux Alexis Santini (oncle d’André Santini), un as des hélicos, mais aussi de ses anges gardiens de l’aviation de chasse, qui tentaient de la couvrir lors de ses missions dangereuses en Indochine.

L’itinéraire du Général Valérie André illustre la complexité de ces conflits d’après-guerre, dont elle partagea les cicatrices avec ces compagnons d’armes et qu’elle traversa autant avec une compassion envers les populations souffrant de la guerre et du terrorisme aveugle, qu’une lucidité sur les ravages d’un double discours. Elle est aussi emblématique d’une mutation des armées, qui, si elles se technicisent, doivent continuer à rester des forces humaines soucieuses d’un fort engagement moral qu’elle s’imposait : « Servir dans l’armée impose un désintéressement total, un esprit de dévouement, un sens de la solidarité constant ».

Après des choix nationaux de scientifique, de ministre, de résistantes, voire d’artiste, si l’on cherche des Françaises à « panthéoniser », ne peut-on se retourner vers cette militaire, exemple de vitalité et de fierté nationale pour les générations à venir, à commencer évidemment par les jeunes femmes ? Ne peut-on préférer cette patriote qui, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Guerre froide, symbolise cette génération de combattants qui ont vu la France à terre dans leur jeunesse et se sont engagés pour la relever ?

À la manière des catholiques clamant en italien, place Saint-Pierre, la canonisation immédiate d’une personne décédée, devrait-on légitimement réclamer pour Valérie André : « Pantheon subito ! »

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Don Giovanni en version concert au TCE: Cyrille Dubois sublime en Don Ottavio

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Dégraissés de tout décor et sertis dans une simple épure scénographique, les opéras en version concert régulièrement programmés au Théâtre des Champs-Élysées (TCE) sont, pour l’amateur de lyrique, l’opportunité de réviser ses classiques, bruts de décoffrage en quelque sorte, mais dans des formations inédites, toujours de très haute tenue. C’était encore le cas ce 20 janvier, avec un Don Giovanni d’exception, servi dans la mouture originelle pragoise (antérieure à la viennoise), et porté au sommet par l’Orchestre et chœur Les Ambassadeurs – La Grande écurie, gardien comme l’on sait, dans le sillage creusé jadis par Jean-Claude Malgoire, d’une authenticité contextuelle et grammaticale que sanctionne l’interprétation sur instruments d’époque. 

En mars prochain, à l’Auditorium de la Maison de Radio France, on retrouvera ces « ambassadeurs » –  du baroque en particulier – pour un Dardanus de Rameau revisité dans l’ultime version, inédite, de la partition, millésimée 1744. Mais auparavant, dès la mi-février, le TCE nous promet un Persée, de Lully, œuvre de 1682, sous les auspices du Concert spirituel – au pupitre, son émérite fondateur Hervé Niquet – et du Centre de musique baroque de Versailles. 

Pour revenir au Don Giovanni de ce lundi, sans offense il se pourrait que l’auditeur ait gagné au change avec la défection de Léo Vermot-Desroches, souffrant, qu’on attendait en Don Ottavio, et que le ténor Cyrille Dubois a pris le risque de remplacer au pied levé, partition en main – il est vrai qu’il avait merveilleusement chanté le rôle à l’Opéra de Paris fin 2023.  Toujours est-il que, d’une amplitude qui le mène sans faillir de Haendel à Britten en passant par le vaste spectre du bel canto, sans compter le champ largement labourable encore de la mélodie française, le répertoire de Cyrille Dubois est d’une stupéfiante richesse. En novembre dernier, toujours au TCE, et déjà dans une production Les Grandes Voix comme pour le Mozart qui nous occupe ici, il endossait pour la première fois le rôle-titre du Comte Ory (Rossini) avec une maestria vocale assortie d’une présence scénique impeccable, pleine de drôlerie. C’était encore le cas cette semaine : vibrato serré, timbre d’une délicatesse, d’une musicalité sans pareilles. À ses côtés, dans le rôle-titre, le baryton vertigineusement expressif Florian Sempey ; l’autre baryton, Thomas Dolié, en Leporello d’une alacrité, d’une fantaisie qui lui acquiert d’emblée tous les suffrages ; une Donna Anna cristalline sous les traits de Marianne Croux ; Catherine Trottmann en Zerlina, d’une incomparable intensité… Seule la mezzo Marion Lebègue peinait, nous a-t-il semblé, dans les redoutables volutes de Donna Elvira du grave à l’aigu. Pour le reste, c’était du grand art. À vos agendas !  


Don Giovanni, de Mozart en version concert. Avec Florian Sempey, Cyrille Dubois, Marion Lebègue, Thomas Dolié, Catherine Trottmann, Louis Morvan. Direction : Mathieu Romano. Les Ambassadeurs La Grande Ecurie. TCE .  C’était le 20 janvier.  

Et bientôt :

Persée, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, en version concert. Direction : Hervé Niquet. Orchestre et Chœur Le concert spirituel, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. TCE.  Le 14 février, 19h30. Dardanus, tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, en version concert. Les Ambassadeurs, La Grande écurie. Chœur de Chambre de Namur. Direction : Emmanuel Resche-Caserta.  Auditorium Maison de la Radio et de la Musique. Le 18 mars 2025, 20h.

Donald Trump est-il français ?

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L’idolâtrie aveugle envers Donald Trump agace notre chroniqueur. On peut l’admirer, si on veut, mais en gardant à l’esprit que ses priorités ne sont pas celles de la France…


Cette interrogation m’est venue naturellement à l’esprit quand j’ai entendu commenter ici ou là la belle cérémonie d’investiture de Donald Trump, avec un certain nombre d’hyperboles médiatiques sur le nouveau président. Parfois, elles étaient tellement outrancières que je me demandais s’il avait été élu à la tête des États-Unis ou bien comme président français. Non pas que je déniais le droit d’estimer, même d’admirer cette personnalité singulière, cet homme politique atypique et imprévisible dont le caractère et les postures révélaient à tout instant qu’ils tiendraient les promesses et les engagements pris (voir mon billet du 20 janvier : Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte ?). Je comprenais que dans cette fidélité, il y avait déjà quelque chose de remarquable dans un monde où les tactiques, les opportunismes et les voltes apparaissent comme le comble de l’habileté.

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Moi-même, après l’élection triomphale de Trump contre une mauvaise candidate démocrate, j’avais apprécié sa victoire, d’abord dans la mesure où elle faisait taire tous ceux qui à des niveaux divers et sur tous les registres, s’étaient obstinés à le dénigrer et à le ridiculiser sans se questionner une seconde sur la possibilité de défaite de leur idole démocrate. Kamala Harris flattant les courants les plus dangereusement progressistes avait évidemment toute chance de l’emporter avec le soutien de ce que l’Amérique comptait comme caciques, intellectuels, artistes et journalistes réputés ! J’ai aimé la déroute de ces oiseaux de mauvais augure : Donald Trump les a renvoyés à leurs désirs qu’ils prenaient pour des réalités.

Élu président, et dans ses discours initiaux, M. Trump a clairement souligné qu’il allait mener un combat contre le wokisme, « la révolution du bon sens » dans les domaines intime, sexuel, humain, avec une liberté d’expression pleine et entière, et la restauration d’une forme de normalité dans les lieux d’enseignement et de savoir. Je ne peux qu’adhérer à ce Trump-là !

Mais il y en a un autre dont la politique n’est fondée – et de sa part, c’est légitime – que sur la défense des intérêts américains, sur la volonté de favoriser les produits et le commerce de son pays et donc forcément de chercher maille à partir avec la France et l’Union européenne qui ne serait pas assez bonne cliente des États-Unis. Il serait indécent, par conséquent, de ne pas mettre un bémol à l’enthousiasme pour Donald Trump quand on n’est pas Américain. En se rappelant que ce président est unique et que ne pourrions jamais, pour mille raisons, en avoir un comme lui chez nous.

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Pour la politique internationale, s’il parvient à faire cesser les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ce sera un formidable apaisement mais à condition qu’il ne soit pas payé par le triomphe des groupes ou des pays coupables.

Ai-je même besoin d’ajouter que, s’il y a des péripéties – aussi surprenantes et décontractées qu’elles soient – qui ne le mettent pas forcément dans un comportement ridicule, il a cependant des attitudes et des réactions déplaisantes. Quand par exemple, après s’être fait religieusement sermonner, il dénonce sans dignité la messe et montre à quel point il est incapable d’accepter une adresse qui peut pourtant être écoutée sans acrimonie, avec sérénité en vertu du double registre de la politique et de l’Église.

Rien ne serait plus absurde que de continuer cette idolâtrie en oubliant que la France existe, et l’Europe, et que Donald Trump obsédé par les avantages à obtenir pour son pays ne leur veut pas du bien. Il est un combattant et la seule manière d’exister face à lui, singulièrement et collectivement, sera de l’être aussi.

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Santé, climat : ces marchands de peur visés par le trumpisme

Avec sa « révolution du bon sens », Donald Trump remet radicalement en question les politiques climatiques et sanitaires récentes. Le nouveau président américain sort de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et des Accords de Paris. Et rouvre le débat sur les vaccins ou le changement climatique, des dogmes jusqu’ici intouchables, observe notre chroniqueur.


La « révolution du bon sens », dont s’est réclamé Donald Trump lundi dans son discours d’investiture, est une hérésie pour les idéologues au pouvoir, emmurés dans leurs croyances. Cette rupture blasphématoire s’annonce néanmoins historique. Elle a pris pour cible, dans l’immédiat, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les Accords de Paris sur l’urgence climatique, qualifiés d’ « escroqueries » par le président des Etats-Unis. Vont être remises en question, spectaculairement cette fois, les affirmations « scientifiques » prédisant l’apocalypse sanitaire ou climatique si les peuples ne se soumettent pas aux normes et aux vérités d’organisations supranationales. Jusqu’à présent, la contestation de cette politique anxiogène était abaissée à l’étiage du « complotisme ». Or il est sain que soient enfin questionnées ces stratégies mondialistes construites sur des peurs tétanisantes. Alors que la France ne participe qu’à 0,8% des émissions de carbone dans le monde, est-il raisonnable, dans un pays surendetté, d’affecter 40 milliards d’euros par an à la transition écologique, sachant que décarboner la France nécessiterait d’y consacrer 66 milliards d’euros par an, soit 44% de déficit supplémentaire, selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz1 ?  Est-il réaliste pour l’Europe d’envisager d’investir 1500 milliards d’euros par an afin d’atteindre l’objectif de réduire 90% des gaz à effet de serre d’ici 2040 ? Est-il équitable d’interdire aux classes moyennes, ayant des autos jugées polluantes, l’accès aux villes classées comme zones à faibles émissions (ZFE) ? Et d’ailleurs, faut-il vraiment s’inquiéter du CO2 rejeté dans l’atmosphère2 ?

A lire aussi, Gerald Olivier: Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

Toutes ces questions doivent être librement débattues. Trump peut aider, dans son engagement à « tout changer », à se défaire du terrorisme intellectuel des grands prêtres quand ils prédisent la montée des eaux ou l’attaque de virus pour les peuples indociles. L’hystérie sanitaire autour du Covid, dénoncée ici depuis ses premiers pas jusqu’aux confinements inutiles, commence à être admise par les esprits les plus honnêtes, tout comme est reconnue la piètre efficacité des vaccins expérimentaux survendus par les firmes pharmaceutiques et leurs relais médicaux. Est-il besoin de rappeler comment furent traités, par le système médiatique, les parias qui appelaient à désobéir à l’Etat hygiéniste au nom de l’esprit critique et du libre arbitre ? Toutes les propagandes, parce qu’elles détestent la contradiction, portent en elles des risques de dérives totalitaires, staliniennes. L’absurde procès en « fascisme » lancé par la gauche contre Elon Musk en est une illustration. Le bon sens n’est évidemment pas la seule réponse aux sujets méritant aussi les lumières de l’expert ou du savant. Cependant, sur le climat ou le Covid, cette vertu a manqué aux fabricants d’angoisses collectives, aux dresseurs de foules craintives, aux dénonciateurs de voisins récalcitrants. Dans ses instructions pour l’éducation du dauphin, Louis XIV donnait ce conseil : « La fonction de roi consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui agit tout naturellement et sans peine ». Trump ne fait que reprendre une vieille recette. Elle invite à admettre que l’eau mouille, que deux et deux font quatre, qu’un homme est différent d’une femme. Les faussaires vont détester cette nouvelle époque qui ne veut plus marcher sur la tête.


  1. François Gervais, Il n’y a pas d’apocalypse climatique (L’Artilleur) ↩︎
  2. Christian Gerondeau, Climat : pourquoi Trump a raison… (L’Artilleur) ↩︎

Prométhée endetté

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts.


Le 21 octobre dernier, par un simple communiqué de presse, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Désormais le pays est placé dans la catégorie des « investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de « spéculatifs » (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés pour résoudre les déséquilibres économiques et fiscaux. » Avec un solde primaire (écart des dépenses et recettes publiques, hors charges d’intérêts) qui s’établit à présent à 2,1 % du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.

Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont nettement moins réjouissantes. À la fin du mois de septembre, soit trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des obligations assimilables au Trésor (OAT) émises à cinq ans par Paris a atteint 2,48 %, dépassant pour la première fois le taux grec, qui lui s’établit à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, accusant un déficit de 3,5 % du PIB.

Comment la Grèce est-elle parvenue à devenir un meilleur élève budgétaire que la France ? Les raisons ne sont pas seulement à chercher du côté de notre incurie. Depuis une décennie, les Hellènes se sont astreints à un régime d’intense austérité, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État faussaire ! On sait que, pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la mansuétude de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’aides sociales, notamment de retraites, structurellement déficitaire.

Retour sur les faits

Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récréation. Confrontée au rationnement mondial du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce se retrouve très vite dans l’incapacité d’emprunter à des taux supportables, et doit se résoudre, moins de deux ans après, à appeler l’Union européenne et le FMI à la rescousse.

À la suite d’un difficile compromis, un plan de sauvetage est décidé. Il se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 en provenance du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices demandés.

275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) sont ainsi congédiés, tandis que ceux qui restent en poste voient leur traitement baisser d’environ 25 %, et leur temps de travail passer de 37,5 à 40 heures hebdomadaires. Le budget des collectivités locales est quant à lui rogné de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont abaissées respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense diminue de 50 %.

Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le salaire minimum est diminué de 22 %. Un programme massif de privatisations est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatique est le rachat d’une partie du port du Pirée par une société chinoise en 2016.

Une purge draconienne

L’inventaire ne serait pas complet si on ne mentionnait pas la situation des retraités, dont les pensions fondent de 15 % du fait de la suppression des 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusqu’alors. L’âge de départ légal passe de 60 à 67 ans. Le régime des fonctionnaires est aligné sur le privé. Ajoutons, pour finir, une véritable chasse au « travail au noir », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.

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La purge est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Retrouver la drachme permettrait en effet de dévaluer fortement et donc mécaniquement de résorber la dette. Mais cette solution, qui aurait mené la Grèce dans l’inconnu, est vite évacuée. La voie, moins risquée, de l’Union européenne est maintenue.

Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire est résorbé dès 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Toutefois il faut patienter encore cinq ans pour qu’Athènes stabilise enfin sa dette, dont le niveau culmine à 207 % du PIB en 2020 – elle s’est repliée à présent en dessous des 160 %.

Le retour de la jeunesse

Derrière les chiffres, il y a les innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, un entrepreneur franco-grec dans l’immobilier, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. « J’ai été presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités faute de pouvoir payer mes employés, se souvient-il. Le pays va mieux, mais clairement ce n’est plus comme avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »

Éprouvé, Nikos n’est pas abattu. Il affiche même un certain optimisme : « On avance, se réjouit-il. Un bon signe, c’est qu’on voit des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe de l’Ouest. »

Le cas grec ne peut que parler aux Français : même tendance aux dépenses accélérées, même dépendance à l’emprunt public, même croyance dans le père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1 % du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays est à l’heure des choix. Au bord du gouffre, nous aurions tout intérêt à nous réformer avant que d’autres ne nous forcent à le faire sans nous donner voix au chapitre. À cet égard, la France a sans doute une leçon grecque à prendre.

La mise au monde

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Bérénice Levet avait déjà consacré un ouvrage à Hannah Arendt[1]. Son nouvel opus propose de penser notre époque à partir de la pensée de la philosophe, augmentée de la sienne, pour réfléchir aux suivantes…


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Hannah Arendt, rare, très rare philosophe à avoir pensé la naissance, à partir de la Nativité qui lui fut, en quelque sorte, révélation, étendit celle-ci à tout être venant au monde et capable de le renouveler. À condition, toutefois, que le nouveau venu ne soit pas « jeté dans le monde », comme le pensait Heidegger, mais qu’il vienne « au monde dans un monde qui le précède et où d’autres hommes l’accueillent ». À défaut de ce passé non transmis, le nouveau « peut se contenter de détruire l’ancien ». Et c’est ce à quoi, selon Bérénice Levet, nous assistons aujourd’hui : « Nous avons tout sacrifié à l’idole du mouvement ». S’est perdu « l’équilibre entre la tradition et l’innovation, entre l’ordre et l’aventure. »

La Révolution française apparaît comme moment capital, sinon originel de ce fait. Dans La condition de l’homme moderne, Hannah Arendt déclare que : « Le premier accès de l’homme à la maturité est que l’homme a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence – à en vouloir au fait même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers. » Le ressentiment qui en résulte constituera la base du nihilisme actuel. Mais loin de toute nostalgie romantique qu’elle déplore, Hannah Arendt, si elle met l’accent sur ce que Simone Weil appelle pour sa part « l’enracinement », c’est que, selon Bérénice Levet : « L’appartenance à une communauté concrète, historique, forte de ses fondations, de ses frontières aussi, est la condition sine qua non d’une expérience politique authentique. Sans compter la communauté de langue. » Il ne s’agit donc pas de revenir à la tradition pour elle-même, pour manger le cake aux amandes que faisait grand-mère, mais bien de percevoir qu’être au monde ne va pas de soi et pose, en quelque sorte, ses conditions. Le passéisme n’est pas de mise et l’opinion binaire, qui oppose conservateurs et progressistes, ne comprend rien à l’enjeu fondamental qui lie l’ancien et le nouveau.

Autre lien essentiel qui apparut à Hannah Arendt lors du procès Eichmann est celui qui noue atrocement l’absence de pensée et le mal. Le langage stéréotypé qui caractérisa les paroles de l’accusé, jusqu’au moment de sa mort, où il récita mécaniquement des paroles entendues à la messe, frappa la philosophe au plus haut point. Elle en déduisit que « Demander à quelqu’un qui ne pense pas de se comporter de façon morale est un pur non-sens. » Question ô combien d’actualité ! Bérénice Levet se réfère alors au pédopsychiatre Maurice Berger, lequel nous dit, dans son ouvrage Faire face à la violence en France, que « leur constante impulsivité les empêche de s’arrêter pour penser » et pour « imaginer ce que pense et ressent l’autre ». Ces adolescents, dont il est ici question, apparaissent comme des êtres privés de profondeur, vivant à la surface d’eux-mêmes et du présent. Ce qui fera dire à Arendt, qui les oppose aux « grands monstres » : « La banalité du mal ne dit rien d’autre que cette superficialité du criminel. » Bérénice Levet ajoute que « L’épaisseur temporelle n’est pas donnée avec la vie, elle s’acquiert à la faveur de la transmission. C’est alors seulement que de créature aplanie sur le présent, elle se redresse. »

La transmission est le grand mot de l’histoire. Car l’amor mundi, dont Hannah Arendt dit qu’il lui est venu sur le tard, suppose qu’au nouveau venu sur la terre soit transmis un passé. Privé de celui-ci, privé d’une assise fondamentale, il ne pourra bientôt plus que choisir le souci de soi aux dépens du souci du monde. C’est pourtant bien ce dernier qui est au fondement du politique. Et si Hannah Arendt croit au renouvellement, tel que la Crèche le promet dans le génie du christianisme, c’est au génie du judaïsme qu’elle confie le soin de la mémoire ; celui-là même dont résonne le fameux « Zahkor ! », c’est-à-dire : « Souviens-toi ! ». Ainsi, reliant l’ancien et le nouveau, elle permet à Bérénice Levet de faire voler en éclats le soi-disant paradoxe que ce lien recèlerait : « L’École se doit d’être conservatrice si l’on ne veut pas hypothéquer la promesse de renouvellement que l’enfant porte. » Et qui dit transmission dit d’abord et surtout celle de la langue qu’on ne peut réduire à un « outil de communication ». Hannah Arendt dans Vies politiques, déclare : « Toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre, doit se heurter finalement au phénomène de la langue ; car dans la langue ce qui est passé a son assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé. »

L’homme moderne, ayant perdu le monde pour le moi sous l’effet de l’absolutisation de l’émancipation, doit renouer avec une anthropologie de la transmission s’il ne veut pas se perdre tout à fait.

Laissant au lecteur le soin de découvrir d’autres aspects de la pensée d’Hannah Arendt à laquelle l’auteur ajoute sa propre part, je salue ce travail inédit qui consiste à penser avec celle qui nous précède, mettant ainsi en pratique la transmission qu’elle appelle de ses vœux.

240 pages


Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt, Bérénice Levet, Éditions de l’Observatoire, 2024.

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Faire face à la violence en France, Maurice Berger, Éditions de l’Artilleur-Toucan, 2021.

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[1] Le Musée imaginaire d’Hannah Arendt. Parcours littéraire, pictural, musical de l’œuvre, Stock, 2011.

Helloquittix

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Le célèbre petit village gaulois d’Astérix et Obélix a son barde, Assurancetourix. Ce personnage a pour trait essentiel de croire avoir du talent alors qu’il chante de façon épouvantable. Il vit seul dans une cabane perchée dans un arbre. Du moment qu’il ne pince pas les cordes de sa lyre, il sait se faire apprécier par les habitants du village. 

Il serait temps d’ajouter à ce petit peuple sympathique un nouveau personnage qui serait longtemps passé inaperçu, tant l’ensemble du village aurait adhéré à ce qu’il disait et éprouvé, durant des décennies, un certain plaisir à se reconnaître dans la trompeuse élévation de ses sentiments. Appelé Helloquittix, ce personnage est devenu ce bavard désormais insupportable qui croit encore détenir la vérité et pouvoir l’imposer alors que le village, dans son immense majorité, a cessé de l’écouter.

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Si chanter faux s’entend dès la première parole, si les Gaulois se jettent sur le pauvre Assurancetourix pour le ligoter et le bâillonner dès qu’il saute sur une table pour pousser la chansonnette, il faut du temps et une ouïe infiniment plus fine pour se rendre compte qu’un discours est faux. Que celui qui le tient accepte un jour d’ouvrir les yeux et reconnaisse qu’il relayait sans vergogne un énorme mensonge, il découvrira alors douloureusement que la difficulté n’était pas tant dans la recherche de la vérité par une prise en compte de la réalité, que dans l’abandon de son erreur. Car celle-ci ne fut jamais seulement la sienne, mais celle d’une communauté avec laquelle il l’avait en partage. Helloquittix, le menteur impénitent, devait tout à ceux qui communiaient dans la même idéologie : sa carrière, sa considération, sa chronique régulière dans les colonnes d’un journal, ses entrées dans le domaine de l’édition, son rond de serviette sur les plateaux de télévision, sa nomination à un poste envié, ses décorations. Il leur devait également une foule de petits avantages qui participent au confort narcissique d’une petite vie bourgeoise dans laquelle l’estime de soi est entretenue par une mauvaise foi bien rôdée.

Helloquittix a un ami, un allié dans la place dont on parle peu et qui dans ce village menacé par les Romains du sud de l’Empire semble passer à travers les gouttes de l’exaspération des Gaulois. Et pourtant il y a des décennies qu’il sévit dans le village. C’est Lézartplastix, un crétin qui croit refaire ce qu’il appelle « le coup de maître de son grand-père Impressionnix » dont il a réussi à faire croire au village qu’il était l’héritier. Helloquittix et Lézartplastix ont en commun depuis longtemps une même ambition : saturer, le premier, l’espace médiatique, le second, l’espace publique. Aussi Lézartplastix, encouragé par son copain, a-t-il eu l’idée de demander à Obélix de donner à ses menhirs la forme d’un plug anal et d’aller les livrer dans les écoles du village. Colère chez les Gaulois qui, ne sachant plus vers quel saint se tourner, regardent avec autant d’admiration que d’inquiétude un personnage qu’ils n’avaient ni imaginé ni rêvé voir renaître de ses cendres : Outratlantix.

Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

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Et si rendre l’Amérique plus grande (« Make America Great again ») signifiait aussi agrandir son territoire ? Retour sur les projets à première vue farfelus, et à première vue seulement, du président américain.


Avant même sa prise de fonction, le président-élu Donald Trump a bousculé les relations internationales en suggérant une expansion sans précédent du territoire américain et de la souveraineté des Etats-Unis.

Donald Trump a indiqué que sous sa présidence les Etats-Unis chercheraient à acheter le Groenland au Danemark, à reprendre le contrôle du canal de Panama et à intégrer le Canada dans les Etats-Unis.

Ces propositions, dont aucune ne figurait dans son programme de campagne, ont suscité l’opposition des intéressés et l’émoi horrifié des observateurs. Elles renvoient à un temps que certains pensaient révolu, celui de l’expansion territoriale américaine au XIXe siècle, d’abord à travers le continent nord-américain, puis au-delà.

Cet intérêt pour des territoires étrangers rappelle d’abord que la politique étrangère de Donald Trump n’a rien d’isolationniste. Au contraire, elle serait plutôt expansionniste, voire impérialiste. Ensuite, il rappelle que les Etats-Unis  n’ont jamais abandonné la vieille Doctrine Monroe, selon laquelle ils ne tolèreront aucune ingérence extérieure dans leur pre-carré américain. Enfin, il rappelle que Donald Trump a fait sa fortune dans l’immobilier et que pour lui l’expansion territoriale constitue une augmentation de la richesse nationale. Rendre l’Amérique plus grande (« Make America Great again ») peut aussi signifier agrandir son territoire.

Intérêts géostratégiques

Pourquoi ces trois territoires plutôt que d’autres ? La réponse est simple. Parce que tous les trois présentent un intérêt stratégique et économique pour les Etats-Unis. Est-ce à dire que Trump va faire de ces acquisitions les priorités nouvelles de sa politique étrangère ? Pas forcément. Quant à la possibilité de saisir ces territoires, y compris le canal de Panama, par la force, on en est encore loin.

Avec Donald Trump il y a toujours le fond, la forme et l’objectif. Le fond est souvent intuitif et parfois impulsif.  Pas toujours réfléchi, encore moins planifié. La forme est toujours provocante, outrancière. Il s’agit d’abord de capter l’attention de ses interlocuteurs. Quant à l’objectif c’est ce que ses interlocuteurs doivent identifier et ne jamais perdre du regard.

En l’occurrence, même si Donald Trump serait prêt à planter la bannière étoilée sur le Groenland, le canal de Panama ou le Canada, dès aujourd’hui, son objectif à court terme est beaucoup plus modeste et réaliste : rééquilibrer une relation économique et stratégique qu’il juge désavantageuse et dangereuse pour les Etats-Unis et signifier au reste du monde, en particulier à ses adversaires directs que sont la Chine et la Russie, qu’il considère certaines régions ou territoires comme hors limite de leur sphère d’influence et qu’il s’opposera avec toute la puissance américaine à toute tentative d’empiètement…

Ce n’est qu’une actualisation de la politique menée par les Etats-Unis de 1823 à la Seconde Guerre mondiale, en vertu de la Doctrine Monroe. Dans la perspective d’une rivalité économique et stratégique avec la Chine pour la suprématie globale au XXIe siècle, et d’une relation de méfiance sinon d’hostilité prolongée vis-à-vis de la Russie, Donald Trump n’a fait que rappeler des évidences et mettre en garde les partenaires et adversaires des Etats-Unis.

Le canal de Panama est la deuxième voie de communication commerciale la plus importante au monde, en volume et en valeurs après le canal de Suez. 30% du commerce maritime global y transite, soit plus de treize mille vaisseaux chaque année, dont les deux tiers vont aux Etats-Unis ou en viennent.

Construit entre 1903 et 1914 par des ingénieurs américains le canal, situé à la pointe sud de l’Amérique centrale, est long de quatre-vingts kilomètres et relie l’océan Atlantique à l’Océan Pacifique. Il permet aux navires qui l’empruntent d’effectuer en un jour un trajet qui, sinon, en prendrait vingt.

A sa création le canal, ainsi que la zone environnante, étaient la propriété des Etats-Unis. Par le traité Hay-Bunau Varilla de 1903, le nouvel Etat du Panama, qui venait de gagner son indépendance de la Colombie grâce à l’aide américaine, cédait à perpétuité la zone et l’opération du canal aux Etats-Unis contre une rente annuelle de deux cent cinquante mille dollars ! Vue l’importance stratégique du lieu, les Etats-Unis y établirent immédiatement plusieurs bases militaires. Panama devint le quartier général de leur « Southern Command », leur commandement naval pour l’hémisphère sud.

La décision d’abandonner cet ensemble stratégique fut prise par le président Jimmy Carter, fraichement élu, en 1977. Rien ne justifiait cet abandon. L’opposition panaméenne à la présence américaine qui avait engendré des heurts par le passé, était sous contrôle. Mais Carter était pénétré de culpabilité quant à l’impérialisme américain et voulait paraître magnanime aux yeux du monde, surtout après la douloureuse défaite au Vietnam. Sa décision fut vivement critiquée aux Etats-Unis, notamment par le futur président Ronald Reagan qui dénonça une erreur stratégique majeure.

Les traités Carter-Torrijos (du nom du président panaméen de l’époque) furent néanmoins signés et ratifiés par le Sénat américain, garantissant un retour du Canal à Panama avant le nouveau millénaire, et la neutralité de la zone. En 1999 les Américains dirent adieu au canal ne conservant qu’un droit de passage prioritaire.

Depuis c’est le gouvernement panaméen qui gère et opère le canal. De 2007 à 2016 d’immenses travaux permirent d’augmenter sa capacité de navigation pour permettre le passage de « super-tankers » et l’adaptation au trafic maritime moderne. Le canal fonctionne grâce à un complexe système d’écluses alimentées à partir de réservoirs d’eau douce eux-mêmes dépendant des précipitations naturelles élevées dans cette région tropicale. Récemment plusieurs années de sècheresse ont affecté ces réservoirs et ralenti la circulation sur le canal, obligeant certains navires à patienter de longues journées avant de passer. Les autorités du canal ont également mis des priorités de passage aux enchères, faisant exploser le prix de la traversée.  

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Dans le même temps deux de ses ports ont été concédés à la compagnie de Hong Kong CK Hutchison Holdings. Cela ne posait pas de problème tant que Hong Kong, ancienne colonie britannique, conservait une véritable indépendance vis-à-vis de la Chine. Ce qui n’est plus le cas désormais. Hong Kong a été mis au pas par Pékin en violation des accords de rétrocession signés avec la Grande Bretagne en 1997. A travers Hutchison, la Chine dispose du pouvoir de restreindre l’accès au canal, ou de militariser la zone.

Le gouvernement panaméen s’est aussi rapproché de la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Panama s’est rangé derrière Pékin dans sa stratégie d’unification de la Chine et ne reconnaît plus Taïwan. Panama et son canal sont désormais des maillons importants des nouvelles routes de la soie (Belt & Road Initiative), mises en place par Pékin pour protéger et promouvoir son commerce global.

Ces bouleversements expliquent la colère et les propos de Donald Trump. « Le canal devait être opéré par les Panaméens, personne d’autre, mais regardez ce qui se passe, c’est la Chine… ». Il a même souhaité, avec ironie, « un joyeux Noël aux soldats chinois présents à Panama ».

Cela ne signifie pas qu’une invasion militaire américaine de la zone soit imminente. En revanche, une reprise en main des opérations n’est pas à exclure. A travers le canal c’est la Chine qui est visée. Donald Trump ici veut plus qu’un simple traitement de faveur pour les navires américains. Il veut un contrôle américain sur un point stratégique de première importance et aucune interférence, ni même présence, chinoise.

Sans le dire, Donald Trump ravive ainsi la vieille Doctrine Monroe. Définie en 1823 sous la présidence de James Monroe, elle affirme que les Etats-Unis s’opposeront, y compris par la force, à toute ingérence étrangère sur le continent américain. A l’époque c’est l’Europe qui était visée. Mais ce qui était valable pour l’Europe en 1823, devient valable pour la Chine en 2024. Et le contrôle par la Chine de deux ports aux deux extrémités du canal est bien une forme d’ingérence étrangère. Trump est donc déterminé à faire annuler ces concessions. Le canal de Panama risque de devenir un sérieux sujet de tensions pour les mois et années à venir.

Cap sur les pingouins !

La question du Groenland est tout aussi importante, mais sans doute moins urgente et pourra se résoudre sur la durée de manière amicale

Le 22 décembre 2024, venu devant la presse présenter Ken Howery, son futur ambassadeur au Danemark, Donald Trump a émis le souhait que le Groenland devienne américain : « pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les Etats-Unis estiment essentiel de posséder et contrôler le Groenland. »  

Dans les jours qui ont suivi et notamment lors d’une conférence de presse le 7 janvier, Trump a réitéré cette volonté nouvelle d’acquérir le Groenland. Y compris par la force « Non, je ne suis pas prêt à éliminer l’option militaire pour obtenir gain de cause… Peut-être faudra-t-il faire quelque chose ? … Le Danemark devrait nous le céder, ou bien les habitants du Groenland devraient voter pour leur indépendance puis rejoindre les Etats-Unis… Il y va de notre sécurité économique. Je parle de la défense du monde libre… »

Quelques jours plus tard, son fils ainé, Don Jr, effectuait une visite « privée » sur place atterrissant à bord de Trump Force One, l’avion du père. Il était accueilli par une poignée de « groenlandais » portant d’emblématiques casquettes rouges MAGA. Donald Trump apparut via vidéo lors de la réunion publique qui suivit assurant les présents qu’il allait « prendre grand soin d’eux » et « assurer la défense » dont ils avaient besoin. Et si le Danemark s’opposait à ses visées « des tarifs douaniers très lourds lui tomberaient dessus. »

Ce n’est pas la première fois que Trump évoque l’acquisition du Groenland. En 2019, lors de son premier mandat, il avait déjà proposé d’acheter le territoire au Danemark. La transaction avait même été évaluée à mille cinq cents milliards de dollars ! Pour lui l’affaire se fera. Tôt ou tard ! Et il a très probablement raison.

Le Groenland est la plus grande ile de la planète. Situé dans l’océan Atlantique nord, son territoire s’étend sur plus de deux millions de kilomètres carrés (quatre fois la France et trois fois le Texas). Sa population n’est que de 56 000 habitants. Soit l’équivalent de celle du cinquième arrondissement de Paris.

Le Groenland fut colonisé par le Danemark au XVIIIs siècle et formellement acquis en 1814. Depuis 1979 il dispose d’institutions autonomes mais reste rattaché au Danemark et de ce fait rattaché à l’Union Européenne. Plus des deux tiers de son territoire sont à l’intérieur du cercle arctique, et totalement gelés une grande partie de l’année.

Ce qui invite d’ailleurs à s’interroger sur sa désignation de « groenland » qui signifie « terre verte », alors qu’à quelques centaines de miles nautiques à l’est se trouve « l’islande », « iceland » en anglais, soit « la terre de glace », alors qu’elle est beaucoup plus hospitalière que sa sœur de l’ouest… 

C’est une terre vierge, qui regorge d’hydrocarbures -17.5 milliards de barils de pétrole et 450 milliards de mètres cubes de gaz naturel selon le U.S. Geological survey- et de minerais rares -1,5 millions de tonnes selon le U.S. Geological Survey – qui rentrent dans la fabrication des produits high-tech. Le Groenland dispose notamment de réserves de graphite nécessaire à la fabrication des batteries de véhicules électriques. La proximité géographique avec les Etats-Unis rend ces gisements particulièrement attractifs.

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Sa situation géographique rend aussi le Groenland stratégiquement important. Il touche au Canada, et par le cercle polaire est également proche de la Russie. Son littoral constitue une voie maritime importante qui pourrait se développer encore si le réchauffement climatique s’avère une réalité durable. La fonte de sa calotte glacière a déjà ouvert de nouvelles voies maritimes entre l’Amérique, la Russie et l’Asie qui permettent une économie de temps, de carburant et donc d’argent à ceux qui les empruntent.

Cette même position à l’intérieur du cercle polaire renforce son importance stratégique car elle permet une surveillance militaire du vieil adversaire des Etats-Unis, la Russie. Depuis la Guerre Froide les Etats-Unis disposent d’une base militaire aérienne à Thule, tout au nord de l’île, équipée de radars de surveillance dans le cadre de leur dispositif anti-missiles balistiques. En 2020 Thule a été transférée à la nouvelle « Force Spatiale » créée par le président Trump et rebaptisée Pituffik Space Base en 2023.  

Le président Trump n’est d’ailleurs pas le premier président à s’intéresser au Groenland.  Dès 1946, à l’aube de la guerre froide, le président Truman avait proposé de racheter l’île au Danemark pour cent millions de dollars de l’époque. La vente ne s’était pas faite mais les Etats-Unis et le Danemark avaient négocié un accord de défense, toujours en vigueur, concernant la protection du Groenland face à l’Union soviétique.

Truman n’était pas non plus le premier Américain à vouloir acheter le Groenland. Ce privilège revient au secrétaire d’Etat William Seward presqu’un siècle plus tôt. Grand artisan de l’expansion territoriale américaine, Seward est à l’origine de l’achat de l’Alaska à la Russie en 1867. Au même moment il avait aussi proposé d’acheter le Groenland et l’Islande. Le Congrès n’avait pas été intéressé et sa proposition resta sans suite. Seules les Antilles danoises furent achetées en 1917 pour devenir un territoire américain sous le nom des Îles Vierges…

Il est probable que Trump se montera plus pressant… Toutefois selon le Danemark et selon l’immense majorité de ses habitants le Groenland n’est pas à vendre. Les « groenlandais » aspirent même à l’indépendance. Cela peut se comprendre mais n’est pas réaliste. L’île dépend largement de subventions danoises pour sa survie et son approvisionnement. Elle n’a aucun moyen d’assurer sa propre défense. Elle dépend même indirectement des Etats-Unis pour sa protection à travers l’Otan auquel elle est rattachée via l‘Union européenne.

Trump saura faire valoir que les Etats-Unis payent déjà pour le Groenland et que sans eux cette île serait à la merci de la Russie. L’indépendance du Groenland serait même le chemin le plus court vers une annexion par les Etats-Unis, justement au nom de la sécurité nationale et pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains d’un adversaire indésirable si près de leurs côtes…

L’objectif de Trump à court terme n’est pas tant de devenir propriétaire de l’île que de signaler son intérêt à tous les partis concernés et de contrer toute tentative d’empiètement, notamment par la Chine. En 2018, l’administration Trump était déjà intervenue pour bloquer la construction de trois aéroports au Groenland par Pékin. Plusieurs sociétés minières américaines ont déjà investi au Groenland et il est probable que cette coopération va s’intensifier avec la nouvelle administration.

Les logiques économiques et stratégiques laissent penser que le Groenland sera un jour rattaché aux Etats-Unis. La question n’est pas de savoir « si » mais plutôt « comment ».

Peut-on en dire de même du Canada ? C’est beaucoup moins sûr.

Des propos ironiques sur le Canada

Donald Trump a récemment, parlé du Canada comme du futur 51e Etat américain. Plutôt sur le ton de l’ironie d’ailleurs. Appelant son Premier ministre, « le gouverneur ». C’est la moins sérieuse et la moins crédible de ses prétentions. Pour des raisons juridiques, pratiques, techniques et même politiques, l’idée de faire du Canada un Etat américain est irréaliste. En revanche les avantages économiques d’un « grand marché nord-américain » eux, sont évidents. Et c’est à cela que Trump veut parvenir. Et, si pour y parvenir, il doit froisser quelques égos, et bien qu’il en soit ainsi…

Le Canada s’étend sur près de dix millions de kilomètres carrés. Contre 9,3 millions de km² pour les U.S.A. S’il devenait un Etat américain, il serait plus grand que les cinquante autres Etats réunis. Il compte quarante millions d’habitants, un peu plus que la Californie et serait donc également le plus peuplé…

Le Canada est le premier partenaire commercial des Etats-Unis. A peu près à égalité avec le Mexique et la Chine, devant l’Union européenne. Les Etats-Unis exportent pour 310 milliards de dollars et importent pour 360 milliards. Leur balance commerciale est donc déficitaire. Ce qui n’est pas du goût de Trump. Il estime qu’acheter plus à un pays qu’on ne lui vend c’est se faire avoir…

Il estime aussi que ce déficit résulte surtout de délocalisations et constitue une perte économique sèche pour les Etats-Unis en terme d’emplois. Trump en veut beaucoup aux grandes marques automobiles de Détroit, au Michigan, d’avoir déménagé certaines de leurs usines au nord de la frontière. Il voudrait voir ces emplois revenir sur le sol américain.

Trump reproche aussi au Canada de ne pas dépenser assez pour sa sécurité – comme beaucoup d’autres membres de l’Otan au passage.

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Toutefois, de par la Constitution canadienne, il faudrait un vote unanime du Sénat et de la Chambre des Communes du Canada, ainsi que des assemblées d’Etats, pour autoriser le pays à se dissoudre pour se fondre dans les Etats-Unis. Le Canada est toujours une monarchie constitutionnelle dont le souverain est le roi Charles III d’Angleterre. Ce lien devrait également être dissout, sauf à ce que certains citoyens américains deviennent à nouveau sujets de sa majesté… C’est très peu probable.

De plus 82% des Canadiens se disent opposés à l’idée d’intégrer les Etats-Unis. Seuls 13% de la population soutenaient une telle éventualité. Que feraient les Québécois qui n’ont pas renoncé à leur souhait d’indépendance ?

Au passage, les Canadiens étant très progressistes, cela rajouterait des millions d’électeurs de gauche, donc démocrates, et pénaliserait durablement le parti Républicain.

La perspective de voir le Canada devenir le 51e Etat américain est donc quasi nulle. Par contre voir les relations économiques se resserrer à travers une série de négociations est plus que probable. Venant à un moment d’incertitude politique au Canada, du fait de la démission récent du Premier ministre, Justin Trudeau, les remarques de Donald Trump visent simplement à mettre les Etats-Unis en position de force dans cette éventualité.

Le plus étonnant dans les propos et les ambitions de Donald Trump, qu’il s’agisse du Canada, du Groenland ou de Canal de Panama, est qu’ils renvoient à une époque qu’on pensait révolue. Personne, aux Etats-Unis, n’a tenu un discours aussi expansionniste et impérialiste depuis le président Mc Kinley, élu en 1896. A l’époque ce discours avait débouché sur une guerre avec l’Espagne, pour la libération de Cuba, la conquête des Philippines et l’annexion d’Hawaï. Les Etats-Unis qui avaient achevé leurs expansion continentale quelques années plus tôt, se lançaient désormais à l’assaut du monde.

Ce nouvel impérialisme allait voir les Etats-Unis intervenir un peu partout sur la planète tout au long du vingtième siècle : d’abord en Amérique Latine, puis en Asie, puis en Europe et au Moyen Orient pour asseoir une présence globale à travers l’installation de quelques huit cents bases militaires au-delà de leurs frontières et l’acquisition de « territoires » dont les résidents ont le statut de citoyens américains, sans en avoir tous les droits.

Les propos de Donald Trump sont moins le réveil de cet impérialisme que l’affirmation de la souveraineté américaine sur son « pré-carré » américain. C’est bien la Doctrine Monroe qui est remise au goût du jour et non pas la notion de « Destinée Manifeste ». La distinction est importante. La Doctrine Monroe s’applique au seul continent américain. L’idée de « Destinée Manifeste », selon laquelle les Etats-Unis ont vocation à s’étendre, car il en va de la volonté de dieu, est sans limite… En clair les Etats-Unis de Donald Trump entendent être les maîtres autour de chez eux, au nom de leur sécurité.  Ils n’ont pas vocation à étendre et imposer le modèle américain à l’ensemble de la planète.

Source : France-Amérique, le blog de Gerald Olivier

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Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

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Romi Gonen (24 ans), Emily Damari (28), et Doron Steinbrecher (31), libérées par le Hamas le 19 janvier © UPI/Newscom/SIPA

Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens.


Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, tout le monde connait désormais au moins le prénom ou le visage de ces trois jeunes femmes sorties des griffes du Hamas. Qui n’envisage pas avec angoisse et espoir ces longues six semaines à l’issue desquelles, si la première phase de l’accord se déroule comme prévu, 33 otages, trois ou quatre chaque semaine, reviendront chez les leurs ? Et parmi eux, combien dans des linceuls ? Car pour le Hamas, un cadavre israélien aussi a sa valeur d’échange.

Israël, un pays qui n’abandonne jamais ses morts

Le sergent Oron Shaul, tué il y a dix ans à Gaza, retrouvé par Tsahal, vient d’être enterré près de son père, qui pendant des mois avait fait le siège du Premier ministre à Jérusalem pour réclamer le retour du corps de son fils. Mission accomplie, mais le président Isaac Herzog et l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz sont venus au cimetière demander pardon à la famille pour le retard.

Un Etat qui n’abandonne pas ses morts ne peut pas abandonner ses vivants.

C’est le « Pikuach nefesh », la préservation de la vie, auquel fait écho l’expression  « lehaïm » signifiant « à la vie ». Cette prééminence a entrainé en 2011 l’échange de 1207 prisonniers palestiniens contre un seul prisonnier israélien, Gilad Shalit. Il est obscène aujourd’hui de parler d’échange de prisonniers. C’est un échange d’otages contre des prisonniers, près de 2000 à l’issue de la première phase. Parmi eux, 700 détenus dans les prisons israéliennes pour terrorisme, dont certains assassins condamnés à perpétuité.

Chacun sait que Yahya Sinwar était l’un des  1207 prisonniers et nul n’ignore que beaucoup des détenus libérés seront mêlés à d’autres actes terroristes. Les relâcher, auréolés de leurs années de prison, est une décision lourde de menaces. Romi, Emily et Doron n’iront pas tuer des Palestiniens pour se venger. Parmi les 90 prisonniers échangés contre elles, il n’en est pas de même, si on en croit leurs déclarations devant la foule enthousiaste de Ramallah. Et encore, ce premier groupe est celui des moins lourdement condamnés…

Ce scandale moral révulse beaucoup d’Israéliens, sans compter les familles des victimes d’attentats terroristes qui vont voir les assassins parader. Dans le décompte entre quelques dizaines d’otages à récupérer et les catastrophes que peuvent provoquer les terroristes libérés, le décalage parait accablant. Et un échange pareil confirme que la prise d’otages est un business profitable, à répéter dès que possible…

Précédents

Revient le passé, quand Israël refusait de négocier avec les auteurs de piraterie aérienne, et le souvenir du Raid d’Entebbe[1] dont le héros a été Yoni Netanyahou, sur une décision prise par Yitzhak Rabin, un travailliste. 

Ben Gvir a démissionné. Smotrich, qui ne l’a pas fait, attaque violemment l’accord. Beaucoup vilipendent Netanyahou pour s’être laissé tordre le bras afin de complaire à Trump la veille de son investiture. Ils considèrent donc qu’il fallait entrer immédiatement en conflit avec un président américain particulièrement amical envers Israël et dont le soutien est vital pour le pays, et qu’il fallait affronter en même temps les 75% d’Israéliens – dont la hiérarchie militaire – qui estiment que le retour des otages est une exigence prioritaire. Quant à penser qu’en acceptant l’accord, Netanyahou met en danger la sécurité du pays, on peut se dire que si celle-ci dépend de la libération de 1000 ou 2000 Palestiniens, alors Israël serait détruit depuis longtemps, tant les terroristes potentiels sont nombreux chez ses ennemis.

S’appuyer sur l’intransigeance du passé est futile. Dans les années 70, Israël ne devait pas céder aux pirates aériens car cela aurait été un terrible appel à la récidive, alors que le trafic n’était pas sécurisé comme aujourd’hui. La manière forte n’a pas toujours réussi: à Maalot, en 1974, l’intervention israélienne a entrainé l’assassinat de 22 enfants par les trois membres du commando FDLP[2].

De là ont résulté des renforcements majeurs des moyens de protection. L’engagement implicite sur lequel se fonde l’existence de l’Etat d’Israël, offrir un abri aux Juifs du monde entier, a pu ainsi être respecté. C’est cet engagement, mis à mal le 7-Octobre 2023, que Israël a dû rendre de nouveau crédible: pour cela il lui fallait détruire le Hamas et ramener les otages.

Le Hamas promet de recommencer

Le Hamas n’est pas détruit, mais il est très affaibli. Méfions-nous des photos trafiquées censées représenter une marée humaine de combattants victorieux sur la place de Gaza, mais écoutons bien les rodomontades du nouveau chef du Hamas, Khalil al-Hayya, qui salue la grande victoire et promet des récidives.

L’armée n’a pas pu libérer les otages, mais la négociation s’est faite dans de meilleures conditions pour Israël qu’il y a huit mois, car la guerre a considérablement affaibli les soutiens du Hamas, le Hezbollah et l’Iran, en même temps que vient au pouvoir une administration américaine apparemment moins frileuse contre le danger existentiel que pose le régime iranien. Cette fois-ci, le Hamas, malgré ses efforts, donnera difficilement le change.

C’est pourquoi je me réjouis du retour des otages, même si je sais que nous ne les reverrons pas tous et même si ces accords ne signifient pas la paix, contrairement aux vœux, pieux ou non, émis avec légèreté par ceux qui ne veulent pas admettre qu’une paix avec le Hamas n’est pas possible. 

L’accord peut être rompu à tout moment. De dramatiques surprises sont possibles. Une explosion orchestrée par le Hamas peut survenir en Cisjordanie. 

Plus encore, la deuxième phase sera extraordinairement difficile car dans la comptabilité macabre du Hamas, la valeur d’échange des otages (notamment les soldats) y sera encore plus élevée. En attendant, admirons l’exemple que donne Emily Damari, avec son sourire et ses doigts amputés, un magnifique message d’énergie et d’amour de la vie.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_d%27Entebbe

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ma’alot

Critique de la raison pure

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Le président français à Paris, le 22 janvier 2025 © Eliot Blondet -Pool/SIPA

Pour affronter ses véritables défis, la société française aurait besoin de la force mobilisatrice et de l’audace d’un Trump. Les discours tièdes et raisonnables sont passés de mode


Je sais, le titre est pris. Par un certain Emmanuel. Non pas celui auquel on peut penser mais un autre philosophe de très haute volée, Emmanuel Kant (1724-1804). À celui-ci, on doit de profondes pensées dont la difficulté de compréhension ne le cède en rien à certains passages des exposés de l’autre Emmanuel, celui auquel je faisais précédemment allusion. À cet autre, on doit aussi, paraît-il, l’invention du fixe chaussettes. Le petit dispositif grâce à quoi il pouvait maintenir ses bas – l’époque était aux bas masculins – à hauteur de cuisses, les empêchant ainsi de tirebouchonner sur les chevilles. Rien de plus disgracieux et de plus désordonné pour un esprit aussi méthodique et rigoureux que le sien. On devrait donc deux révolutions à ce penseur : l’une dans l’approche de la philosophie – il y a l’avant Kant et il y a l’après-Kant – l’autre dans le port du bas de soie. On ne saurait dire laquelle a été le plus utile à ses contemporains…

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Cependant, la raison pure dont il s’agit dans ces modestes lignes est autre. C’est la raison terriblement raisonnable des prises de parole à l’eau tiède dont on nous abreuve chez nous, dans le genre « discours de politique générale », voyez-vous. En fait, ce que nous avons pu constater avec la harangue d’investiture de Donald Trump est tout simplement que, si l’on entend exalter les foules, un brin de déraisonnable, de démesure semble s’imposer. Le 47ème président US nous a en effet livré un discours du type « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », pour reprendre les mots forts et diablement motivants du citoyen Danton en son temps. C’était avant Valmy. La période oratoire en fait tient en ces mots : « Le tocsin qui va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France sera sauvée. » En l’occurrence, elle le fut. Aujourd’hui aussi, la patrie a ses ennemis : la multinationale de la came, les négriers de l’immigration clandestine, les spéculateurs de tout poil qui se gavent au chevet de notre agonie financière, etc. etc. Pour les vaincre, nul doute qu’il faudra de l’audace grand format, et pour nous emporter d’enthousiasme dans cette croisade, nous autres citoyens, autre chose que du verbiage englué dans la molle soumission au raisonnablement faisable. Un Lacan ou un Barthe un peu fatigués ne soupçonneraient-ils pas, par exemple, derrière ces interminables péroraisons, débats et conclaves sur les retraites, un avatar sémantique, un aveu inconscient du refus d’affronter les vraies et dures réalités ? Bref, un masque, ou une mascarade au choix, derrière quoi dissimuler l’autre retraite, celle face aux ennemis, aux menaces pourtant si visibles évoqués plus haut.

Le tocsin sonne pourtant depuis assez longtemps à présent. Il serait temps que la puissance d’État lui prête l’oreille et donne de la voix façon Danton pour rameuter les troupes. Ce serait, à soi seule, une première audace. On l’attend.

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Valérie André: « Panthéon subito ! »

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La générale Valérie André, 1976 © ALEXANDRE XYZ/SIPA

Il y a une vingtaine d’années, à l’Arc de Triomphe, l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), détenteur de millions de photographies des engagements de l’Armée française, exposait une centaine d’entre elles sur un thème alors inédit des « Femmes dans la guerre ». Tantôt victimes, tantôt soutien moral, tantôt actrices à l’arrière du front, la figure de la combattante française n’a surgi sur des théâtres d’opération qu’au milieu du XXe siècle. D’abord employées dans des services, au risque de leur vie, telles ces six ambulancières tuées durant la Campagne d’Italie en 1944, les Françaises accédèrent progressivement à tous les grades et à toutes les fonctions des armées modernes. Beaucoup ignorent qu’elles le doivent en partie à l’une d’entre elles, la plus décorée, devenue première à être nommée Général en 1978 : Valérie André, qui vient de disparaître à l’âge de 102 ans.

Acceptant de bonne grâce, lors de l’inauguration de cette exposition, de raviver la flamme du Soldat inconnu, elle nous apparut trait pour trait telle que le quotidien Paris-Presse à son retour de la guerre d’Indochine la décrivait : « une femme élégante, aimable et d’une parfaite simplicité », devenue héroïne au point d’être croquée dans des B.D. d’action par un certain Uderzo (Magazine Les Bonnes soirées, 1954). Ce premier médecin militaire féminin fut pionnier aussi dans l’évacuation des blessés par la voie des airs, parfois, il faut le dire, de manière miraculeuse dans des postes reculés encerclés par les « Viets ». Là-bas, elle était « la femme descendue du ciel » pour les populations civiles avoisinantes des postes militaires qu’elle soignait comme elle pouvait. D’une apparence fluette dans sa combinaison retaillée de l’Armée de l’Air, coiffée de son chapeau de brousse, par son air calme et résolu, Valérie André savait donner confiance à son entourage. Sans l’avoir recherché, ses exploits allaient faire d’elle une légende.

Elle n’en faisait pas grand cas croyant humblement à la baraka, « comme une amie fidèle, … Une présence mystérieuse qu’il faut savoir capter, ne jamais refuser. » (Madame le Général, V. André). Pouvait-il en être autrement à bord de son petit hélicoptère Hiller, véritable proie désarmée, livrée au feu des mortiers et des mitrailleuses ennemis tandis que l’on hissait les blessés à son bord ? Les risques techniques de ce nouveau « ventilo », popularisé plus tard par les films de James Bond et de Fantômas, étaient des plus sérieux. Il pouvait chuter à cause d’une trop lourde charge ou bien se mettre à tourner comme une toupie, avec pour issue fatale l’explosion provoquée par une forte présence de magnésium dans l’appareil.

L’officier et romancier à succès (Les Ceinturions) Jean Lartéguy, dit d’elle dans la préface de son autobiographie qu’elle « était un mélange… de volonté farouche et de douceur ».  Volontaire pour quoi ?

Volontaire d’abord à 18 ans pour s’enfuir d’Alsace, et se cacher de la Gestapo afin de poursuivre ses études de médecine durant la guerre. Volontaire aussi, dans l’après-guerre pour rejoindre durant cinq années l’Indochine la « dernière épopée romantique des temps modernes » (Lucien Bodard) où la France livra avec des moyens restreints un combat aussi vaillant que sans issue, trop souvent ignoré ou dénigré en métropole.

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Volontaire également pour devenir tout à la fois pilote, parachutiste et médecin militaire de guerre, alors que l’exercice de chacune de ces fonctions par une femme était à l’époque une incongruité. Toujours volontaire pour les missions dangereuses, sauter en parachute dans le Haut Laos sur un poste isolé afin de sauver un blessé, installer des petits postes de secours dans des détachements, et surtout ramener 165 blessés sur 129 vols dans des paniers fixés à sa « libellule mécanique ». Et enfin, de nouveau volontaire pour retourner, selon ses mots d’ordre, « combattre et sauver » en Algérie, où elle resta cinq ans pilotant notamment un Sikorski H34.

Un tel parcours, exceptionnel pour un militaire, devient extraordinaire s’agissant d’une femme, dont l’intraitable volonté semble animée par deux forces, l’une d’ordre moral, l’autre passionnel.

Valérie André avait d’abord cette vocation admirable de soigner et de soulager les blessés, celle des chirurgiens de guerre et de ces médecins « de l’avant » pratiquant dans des milieux hostiles, entre le stress du danger et le manque de moyens tout en devant gérer le volet logistique des évacuations sanitaires. C’est d’ailleurs tout à son honneur qu’elle soigna aussi les blessés ennemis, tandis que les conditions de détention de nos militaires prisonniers du Vietminh étaient d’une grande cruauté.

La passion de voler était le second ressort profond de sa détermination. C’est le rêve d’une petite fille dont les idoles s’appellent Hélène Boucher, Maryse Bastié ou l’Alsacienne Hilsz atterrissant à l’aérodrome de Strasbourg et derrière laquelle elle court pour lui offrir un bouquet. Plus tard au Tonkin, elle tombera amoureuse de l’hélicoptère, avec laquelle elle fit corps et qui lui offrit un « balcon volant » sur les splendides paysages d’Indochine. Enfin, elle pourra assouvir cette passion aérienne au Centre d’essai de Brétigny aux côtés de Jacqueline Auriol en participant à différents vols expérimentaux, montrant que sa capacité d’expertise comme pilote n’avait d’égal que celle qu’elle avait mise en œuvre en tant que chirurgien de guerre.

Évidemment le nom de Valérie André, peut évoquer aujourd’hui des combats plus feutrés qu’elle mena au sein de l’institution militaire (en particulier comme présidente d’une « commission d’études prospectives pour la femme militaire » au début des années quatre-vingt) afin d’ouvrir aux Françaises qui en étaient aptes toutes les portes, y compris les verrières des cockpits d’avions de chasse.

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Tout ce qu’elle fit pour promouvoir les femmes dans les armées n’a évidemment rien de commun avec un néo-féminisme agressif, diviseur et extrémiste. Elle usait de détermination, nullement de provocation, même si elle savait manier l’humour : en 1948, au général commandant les troupes aéroportées qui s’inquiétait malicieusement de la gêne occasionnée par le harnachement à sa poitrine, elle rétorqua : « Je suis moins gênée que vous ne pourriez l’être un peu plus bas, avec les cuissards du harnais du parachute ». Faisant preuve d’une belle opiniâtreté avec ses chefs, elle leur démontrait non seulement l’utilité d’être à la fois pilote et médecin, mais surtout la capacité pour une femme d’être l’un et l’autre.

Elle agissait en faveur de l’intégration des femmes dans l’Armée avec un esprit d’union, non de division, ni de revanche vis-à-vis des hommes, car elle savait tout ce qu’elle devait à ses camarades masculins, au soutien opérationnel et technique de ses copains au premier rang desquels son chef et futur époux Alexis Santini (oncle d’André Santini), un as des hélicos, mais aussi de ses anges gardiens de l’aviation de chasse, qui tentaient de la couvrir lors de ses missions dangereuses en Indochine.

L’itinéraire du Général Valérie André illustre la complexité de ces conflits d’après-guerre, dont elle partagea les cicatrices avec ces compagnons d’armes et qu’elle traversa autant avec une compassion envers les populations souffrant de la guerre et du terrorisme aveugle, qu’une lucidité sur les ravages d’un double discours. Elle est aussi emblématique d’une mutation des armées, qui, si elles se technicisent, doivent continuer à rester des forces humaines soucieuses d’un fort engagement moral qu’elle s’imposait : « Servir dans l’armée impose un désintéressement total, un esprit de dévouement, un sens de la solidarité constant ».

Après des choix nationaux de scientifique, de ministre, de résistantes, voire d’artiste, si l’on cherche des Françaises à « panthéoniser », ne peut-on se retourner vers cette militaire, exemple de vitalité et de fierté nationale pour les générations à venir, à commencer évidemment par les jeunes femmes ? Ne peut-on préférer cette patriote qui, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Guerre froide, symbolise cette génération de combattants qui ont vu la France à terre dans leur jeunesse et se sont engagés pour la relever ?

À la manière des catholiques clamant en italien, place Saint-Pierre, la canonisation immédiate d’une personne décédée, devrait-on légitimement réclamer pour Valérie André : « Pantheon subito ! »

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Don Giovanni en version concert au TCE: Cyrille Dubois sublime en Don Ottavio

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Le ténor français Cyrille Dubois © Philippe Delval

Dégraissés de tout décor et sertis dans une simple épure scénographique, les opéras en version concert régulièrement programmés au Théâtre des Champs-Élysées (TCE) sont, pour l’amateur de lyrique, l’opportunité de réviser ses classiques, bruts de décoffrage en quelque sorte, mais dans des formations inédites, toujours de très haute tenue. C’était encore le cas ce 20 janvier, avec un Don Giovanni d’exception, servi dans la mouture originelle pragoise (antérieure à la viennoise), et porté au sommet par l’Orchestre et chœur Les Ambassadeurs – La Grande écurie, gardien comme l’on sait, dans le sillage creusé jadis par Jean-Claude Malgoire, d’une authenticité contextuelle et grammaticale que sanctionne l’interprétation sur instruments d’époque. 

En mars prochain, à l’Auditorium de la Maison de Radio France, on retrouvera ces « ambassadeurs » –  du baroque en particulier – pour un Dardanus de Rameau revisité dans l’ultime version, inédite, de la partition, millésimée 1744. Mais auparavant, dès la mi-février, le TCE nous promet un Persée, de Lully, œuvre de 1682, sous les auspices du Concert spirituel – au pupitre, son émérite fondateur Hervé Niquet – et du Centre de musique baroque de Versailles. 

Pour revenir au Don Giovanni de ce lundi, sans offense il se pourrait que l’auditeur ait gagné au change avec la défection de Léo Vermot-Desroches, souffrant, qu’on attendait en Don Ottavio, et que le ténor Cyrille Dubois a pris le risque de remplacer au pied levé, partition en main – il est vrai qu’il avait merveilleusement chanté le rôle à l’Opéra de Paris fin 2023.  Toujours est-il que, d’une amplitude qui le mène sans faillir de Haendel à Britten en passant par le vaste spectre du bel canto, sans compter le champ largement labourable encore de la mélodie française, le répertoire de Cyrille Dubois est d’une stupéfiante richesse. En novembre dernier, toujours au TCE, et déjà dans une production Les Grandes Voix comme pour le Mozart qui nous occupe ici, il endossait pour la première fois le rôle-titre du Comte Ory (Rossini) avec une maestria vocale assortie d’une présence scénique impeccable, pleine de drôlerie. C’était encore le cas cette semaine : vibrato serré, timbre d’une délicatesse, d’une musicalité sans pareilles. À ses côtés, dans le rôle-titre, le baryton vertigineusement expressif Florian Sempey ; l’autre baryton, Thomas Dolié, en Leporello d’une alacrité, d’une fantaisie qui lui acquiert d’emblée tous les suffrages ; une Donna Anna cristalline sous les traits de Marianne Croux ; Catherine Trottmann en Zerlina, d’une incomparable intensité… Seule la mezzo Marion Lebègue peinait, nous a-t-il semblé, dans les redoutables volutes de Donna Elvira du grave à l’aigu. Pour le reste, c’était du grand art. À vos agendas !  


Don Giovanni, de Mozart en version concert. Avec Florian Sempey, Cyrille Dubois, Marion Lebègue, Thomas Dolié, Catherine Trottmann, Louis Morvan. Direction : Mathieu Romano. Les Ambassadeurs La Grande Ecurie. TCE .  C’était le 20 janvier.  

Et bientôt :

Persée, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, en version concert. Direction : Hervé Niquet. Orchestre et Chœur Le concert spirituel, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. TCE.  Le 14 février, 19h30. Dardanus, tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, en version concert. Les Ambassadeurs, La Grande écurie. Chœur de Chambre de Namur. Direction : Emmanuel Resche-Caserta.  Auditorium Maison de la Radio et de la Musique. Le 18 mars 2025, 20h.

Donald Trump est-il français ?

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Emmanuel Macron accueille le président élu américain Donald Trump à l'Elysée pour la réouverture de Notre-Dame le 7 décembre 2024 © Matthieu Mirville/ZUMA Press Wir/SIPA

L’idolâtrie aveugle envers Donald Trump agace notre chroniqueur. On peut l’admirer, si on veut, mais en gardant à l’esprit que ses priorités ne sont pas celles de la France…


Cette interrogation m’est venue naturellement à l’esprit quand j’ai entendu commenter ici ou là la belle cérémonie d’investiture de Donald Trump, avec un certain nombre d’hyperboles médiatiques sur le nouveau président. Parfois, elles étaient tellement outrancières que je me demandais s’il avait été élu à la tête des États-Unis ou bien comme président français. Non pas que je déniais le droit d’estimer, même d’admirer cette personnalité singulière, cet homme politique atypique et imprévisible dont le caractère et les postures révélaient à tout instant qu’ils tiendraient les promesses et les engagements pris (voir mon billet du 20 janvier : Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte ?). Je comprenais que dans cette fidélité, il y avait déjà quelque chose de remarquable dans un monde où les tactiques, les opportunismes et les voltes apparaissent comme le comble de l’habileté.

A lire aussi: Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

Moi-même, après l’élection triomphale de Trump contre une mauvaise candidate démocrate, j’avais apprécié sa victoire, d’abord dans la mesure où elle faisait taire tous ceux qui à des niveaux divers et sur tous les registres, s’étaient obstinés à le dénigrer et à le ridiculiser sans se questionner une seconde sur la possibilité de défaite de leur idole démocrate. Kamala Harris flattant les courants les plus dangereusement progressistes avait évidemment toute chance de l’emporter avec le soutien de ce que l’Amérique comptait comme caciques, intellectuels, artistes et journalistes réputés ! J’ai aimé la déroute de ces oiseaux de mauvais augure : Donald Trump les a renvoyés à leurs désirs qu’ils prenaient pour des réalités.

Élu président, et dans ses discours initiaux, M. Trump a clairement souligné qu’il allait mener un combat contre le wokisme, « la révolution du bon sens » dans les domaines intime, sexuel, humain, avec une liberté d’expression pleine et entière, et la restauration d’une forme de normalité dans les lieux d’enseignement et de savoir. Je ne peux qu’adhérer à ce Trump-là !

Mais il y en a un autre dont la politique n’est fondée – et de sa part, c’est légitime – que sur la défense des intérêts américains, sur la volonté de favoriser les produits et le commerce de son pays et donc forcément de chercher maille à partir avec la France et l’Union européenne qui ne serait pas assez bonne cliente des États-Unis. Il serait indécent, par conséquent, de ne pas mettre un bémol à l’enthousiasme pour Donald Trump quand on n’est pas Américain. En se rappelant que ce président est unique et que ne pourrions jamais, pour mille raisons, en avoir un comme lui chez nous.

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Pour la politique internationale, s’il parvient à faire cesser les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ce sera un formidable apaisement mais à condition qu’il ne soit pas payé par le triomphe des groupes ou des pays coupables.

Ai-je même besoin d’ajouter que, s’il y a des péripéties – aussi surprenantes et décontractées qu’elles soient – qui ne le mettent pas forcément dans un comportement ridicule, il a cependant des attitudes et des réactions déplaisantes. Quand par exemple, après s’être fait religieusement sermonner, il dénonce sans dignité la messe et montre à quel point il est incapable d’accepter une adresse qui peut pourtant être écoutée sans acrimonie, avec sérénité en vertu du double registre de la politique et de l’Église.

Rien ne serait plus absurde que de continuer cette idolâtrie en oubliant que la France existe, et l’Europe, et que Donald Trump obsédé par les avantages à obtenir pour son pays ne leur veut pas du bien. Il est un combattant et la seule manière d’exister face à lui, singulièrement et collectivement, sera de l’être aussi.

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Santé, climat : ces marchands de peur visés par le trumpisme

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Robert F. Kennedy Jr., nommé ministre de la Santé lors d'une réunion au Capitole à Washington, le jeudi 9 janvier 2025 © J. Scott Applewhite/AP/SIPA

Avec sa « révolution du bon sens », Donald Trump remet radicalement en question les politiques climatiques et sanitaires récentes. Le nouveau président américain sort de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et des Accords de Paris. Et rouvre le débat sur les vaccins ou le changement climatique, des dogmes jusqu’ici intouchables, observe notre chroniqueur.


La « révolution du bon sens », dont s’est réclamé Donald Trump lundi dans son discours d’investiture, est une hérésie pour les idéologues au pouvoir, emmurés dans leurs croyances. Cette rupture blasphématoire s’annonce néanmoins historique. Elle a pris pour cible, dans l’immédiat, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les Accords de Paris sur l’urgence climatique, qualifiés d’ « escroqueries » par le président des Etats-Unis. Vont être remises en question, spectaculairement cette fois, les affirmations « scientifiques » prédisant l’apocalypse sanitaire ou climatique si les peuples ne se soumettent pas aux normes et aux vérités d’organisations supranationales. Jusqu’à présent, la contestation de cette politique anxiogène était abaissée à l’étiage du « complotisme ». Or il est sain que soient enfin questionnées ces stratégies mondialistes construites sur des peurs tétanisantes. Alors que la France ne participe qu’à 0,8% des émissions de carbone dans le monde, est-il raisonnable, dans un pays surendetté, d’affecter 40 milliards d’euros par an à la transition écologique, sachant que décarboner la France nécessiterait d’y consacrer 66 milliards d’euros par an, soit 44% de déficit supplémentaire, selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz1 ?  Est-il réaliste pour l’Europe d’envisager d’investir 1500 milliards d’euros par an afin d’atteindre l’objectif de réduire 90% des gaz à effet de serre d’ici 2040 ? Est-il équitable d’interdire aux classes moyennes, ayant des autos jugées polluantes, l’accès aux villes classées comme zones à faibles émissions (ZFE) ? Et d’ailleurs, faut-il vraiment s’inquiéter du CO2 rejeté dans l’atmosphère2 ?

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Toutes ces questions doivent être librement débattues. Trump peut aider, dans son engagement à « tout changer », à se défaire du terrorisme intellectuel des grands prêtres quand ils prédisent la montée des eaux ou l’attaque de virus pour les peuples indociles. L’hystérie sanitaire autour du Covid, dénoncée ici depuis ses premiers pas jusqu’aux confinements inutiles, commence à être admise par les esprits les plus honnêtes, tout comme est reconnue la piètre efficacité des vaccins expérimentaux survendus par les firmes pharmaceutiques et leurs relais médicaux. Est-il besoin de rappeler comment furent traités, par le système médiatique, les parias qui appelaient à désobéir à l’Etat hygiéniste au nom de l’esprit critique et du libre arbitre ? Toutes les propagandes, parce qu’elles détestent la contradiction, portent en elles des risques de dérives totalitaires, staliniennes. L’absurde procès en « fascisme » lancé par la gauche contre Elon Musk en est une illustration. Le bon sens n’est évidemment pas la seule réponse aux sujets méritant aussi les lumières de l’expert ou du savant. Cependant, sur le climat ou le Covid, cette vertu a manqué aux fabricants d’angoisses collectives, aux dresseurs de foules craintives, aux dénonciateurs de voisins récalcitrants. Dans ses instructions pour l’éducation du dauphin, Louis XIV donnait ce conseil : « La fonction de roi consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui agit tout naturellement et sans peine ». Trump ne fait que reprendre une vieille recette. Elle invite à admettre que l’eau mouille, que deux et deux font quatre, qu’un homme est différent d’une femme. Les faussaires vont détester cette nouvelle époque qui ne veut plus marcher sur la tête.


  1. François Gervais, Il n’y a pas d’apocalypse climatique (L’Artilleur) ↩︎
  2. Christian Gerondeau, Climat : pourquoi Trump a raison… (L’Artilleur) ↩︎

Prométhée endetté

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Manifestation contre les mesures d'austérité, devant le Parlement grec, à Athènes, 1er novembre 2011 © AP Photo/Thanassis Stavrakis

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts.


Le 21 octobre dernier, par un simple communiqué de presse, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Désormais le pays est placé dans la catégorie des « investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de « spéculatifs » (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés pour résoudre les déséquilibres économiques et fiscaux. » Avec un solde primaire (écart des dépenses et recettes publiques, hors charges d’intérêts) qui s’établit à présent à 2,1 % du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.

Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont nettement moins réjouissantes. À la fin du mois de septembre, soit trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des obligations assimilables au Trésor (OAT) émises à cinq ans par Paris a atteint 2,48 %, dépassant pour la première fois le taux grec, qui lui s’établit à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, accusant un déficit de 3,5 % du PIB.

Comment la Grèce est-elle parvenue à devenir un meilleur élève budgétaire que la France ? Les raisons ne sont pas seulement à chercher du côté de notre incurie. Depuis une décennie, les Hellènes se sont astreints à un régime d’intense austérité, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État faussaire ! On sait que, pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la mansuétude de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’aides sociales, notamment de retraites, structurellement déficitaire.

Retour sur les faits

Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récréation. Confrontée au rationnement mondial du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce se retrouve très vite dans l’incapacité d’emprunter à des taux supportables, et doit se résoudre, moins de deux ans après, à appeler l’Union européenne et le FMI à la rescousse.

À la suite d’un difficile compromis, un plan de sauvetage est décidé. Il se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 en provenance du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices demandés.

275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) sont ainsi congédiés, tandis que ceux qui restent en poste voient leur traitement baisser d’environ 25 %, et leur temps de travail passer de 37,5 à 40 heures hebdomadaires. Le budget des collectivités locales est quant à lui rogné de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont abaissées respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense diminue de 50 %.

Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le salaire minimum est diminué de 22 %. Un programme massif de privatisations est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatique est le rachat d’une partie du port du Pirée par une société chinoise en 2016.

Une purge draconienne

L’inventaire ne serait pas complet si on ne mentionnait pas la situation des retraités, dont les pensions fondent de 15 % du fait de la suppression des 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusqu’alors. L’âge de départ légal passe de 60 à 67 ans. Le régime des fonctionnaires est aligné sur le privé. Ajoutons, pour finir, une véritable chasse au « travail au noir », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.

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La purge est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Retrouver la drachme permettrait en effet de dévaluer fortement et donc mécaniquement de résorber la dette. Mais cette solution, qui aurait mené la Grèce dans l’inconnu, est vite évacuée. La voie, moins risquée, de l’Union européenne est maintenue.

Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire est résorbé dès 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Toutefois il faut patienter encore cinq ans pour qu’Athènes stabilise enfin sa dette, dont le niveau culmine à 207 % du PIB en 2020 – elle s’est repliée à présent en dessous des 160 %.

Le retour de la jeunesse

Derrière les chiffres, il y a les innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, un entrepreneur franco-grec dans l’immobilier, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. « J’ai été presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités faute de pouvoir payer mes employés, se souvient-il. Le pays va mieux, mais clairement ce n’est plus comme avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »

Éprouvé, Nikos n’est pas abattu. Il affiche même un certain optimisme : « On avance, se réjouit-il. Un bon signe, c’est qu’on voit des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe de l’Ouest. »

Le cas grec ne peut que parler aux Français : même tendance aux dépenses accélérées, même dépendance à l’emprunt public, même croyance dans le père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1 % du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays est à l’heure des choix. Au bord du gouffre, nous aurions tout intérêt à nous réformer avant que d’autres ne nous forcent à le faire sans nous donner voix au chapitre. À cet égard, la France a sans doute une leçon grecque à prendre.

La mise au monde

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Bérénice Levet © Hannah Assouline

Bérénice Levet avait déjà consacré un ouvrage à Hannah Arendt[1]. Son nouvel opus propose de penser notre époque à partir de la pensée de la philosophe, augmentée de la sienne, pour réfléchir aux suivantes…


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Hannah Arendt, rare, très rare philosophe à avoir pensé la naissance, à partir de la Nativité qui lui fut, en quelque sorte, révélation, étendit celle-ci à tout être venant au monde et capable de le renouveler. À condition, toutefois, que le nouveau venu ne soit pas « jeté dans le monde », comme le pensait Heidegger, mais qu’il vienne « au monde dans un monde qui le précède et où d’autres hommes l’accueillent ». À défaut de ce passé non transmis, le nouveau « peut se contenter de détruire l’ancien ». Et c’est ce à quoi, selon Bérénice Levet, nous assistons aujourd’hui : « Nous avons tout sacrifié à l’idole du mouvement ». S’est perdu « l’équilibre entre la tradition et l’innovation, entre l’ordre et l’aventure. »

La Révolution française apparaît comme moment capital, sinon originel de ce fait. Dans La condition de l’homme moderne, Hannah Arendt déclare que : « Le premier accès de l’homme à la maturité est que l’homme a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence – à en vouloir au fait même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers. » Le ressentiment qui en résulte constituera la base du nihilisme actuel. Mais loin de toute nostalgie romantique qu’elle déplore, Hannah Arendt, si elle met l’accent sur ce que Simone Weil appelle pour sa part « l’enracinement », c’est que, selon Bérénice Levet : « L’appartenance à une communauté concrète, historique, forte de ses fondations, de ses frontières aussi, est la condition sine qua non d’une expérience politique authentique. Sans compter la communauté de langue. » Il ne s’agit donc pas de revenir à la tradition pour elle-même, pour manger le cake aux amandes que faisait grand-mère, mais bien de percevoir qu’être au monde ne va pas de soi et pose, en quelque sorte, ses conditions. Le passéisme n’est pas de mise et l’opinion binaire, qui oppose conservateurs et progressistes, ne comprend rien à l’enjeu fondamental qui lie l’ancien et le nouveau.

Autre lien essentiel qui apparut à Hannah Arendt lors du procès Eichmann est celui qui noue atrocement l’absence de pensée et le mal. Le langage stéréotypé qui caractérisa les paroles de l’accusé, jusqu’au moment de sa mort, où il récita mécaniquement des paroles entendues à la messe, frappa la philosophe au plus haut point. Elle en déduisit que « Demander à quelqu’un qui ne pense pas de se comporter de façon morale est un pur non-sens. » Question ô combien d’actualité ! Bérénice Levet se réfère alors au pédopsychiatre Maurice Berger, lequel nous dit, dans son ouvrage Faire face à la violence en France, que « leur constante impulsivité les empêche de s’arrêter pour penser » et pour « imaginer ce que pense et ressent l’autre ». Ces adolescents, dont il est ici question, apparaissent comme des êtres privés de profondeur, vivant à la surface d’eux-mêmes et du présent. Ce qui fera dire à Arendt, qui les oppose aux « grands monstres » : « La banalité du mal ne dit rien d’autre que cette superficialité du criminel. » Bérénice Levet ajoute que « L’épaisseur temporelle n’est pas donnée avec la vie, elle s’acquiert à la faveur de la transmission. C’est alors seulement que de créature aplanie sur le présent, elle se redresse. »

La transmission est le grand mot de l’histoire. Car l’amor mundi, dont Hannah Arendt dit qu’il lui est venu sur le tard, suppose qu’au nouveau venu sur la terre soit transmis un passé. Privé de celui-ci, privé d’une assise fondamentale, il ne pourra bientôt plus que choisir le souci de soi aux dépens du souci du monde. C’est pourtant bien ce dernier qui est au fondement du politique. Et si Hannah Arendt croit au renouvellement, tel que la Crèche le promet dans le génie du christianisme, c’est au génie du judaïsme qu’elle confie le soin de la mémoire ; celui-là même dont résonne le fameux « Zahkor ! », c’est-à-dire : « Souviens-toi ! ». Ainsi, reliant l’ancien et le nouveau, elle permet à Bérénice Levet de faire voler en éclats le soi-disant paradoxe que ce lien recèlerait : « L’École se doit d’être conservatrice si l’on ne veut pas hypothéquer la promesse de renouvellement que l’enfant porte. » Et qui dit transmission dit d’abord et surtout celle de la langue qu’on ne peut réduire à un « outil de communication ». Hannah Arendt dans Vies politiques, déclare : « Toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre, doit se heurter finalement au phénomène de la langue ; car dans la langue ce qui est passé a son assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé. »

L’homme moderne, ayant perdu le monde pour le moi sous l’effet de l’absolutisation de l’émancipation, doit renouer avec une anthropologie de la transmission s’il ne veut pas se perdre tout à fait.

Laissant au lecteur le soin de découvrir d’autres aspects de la pensée d’Hannah Arendt à laquelle l’auteur ajoute sa propre part, je salue ce travail inédit qui consiste à penser avec celle qui nous précède, mettant ainsi en pratique la transmission qu’elle appelle de ses vœux.

240 pages


Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt, Bérénice Levet, Éditions de l’Observatoire, 2024.

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Faire face à la violence en France, Maurice Berger, Éditions de l’Artilleur-Toucan, 2021.

faire face à la violence en France: Le rapport Berger

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[1] Le Musée imaginaire d’Hannah Arendt. Parcours littéraire, pictural, musical de l’œuvre, Stock, 2011.

Helloquittix

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© Algi Febri Sugita/ZUMA Press Wir/SIPA

Le célèbre petit village gaulois d’Astérix et Obélix a son barde, Assurancetourix. Ce personnage a pour trait essentiel de croire avoir du talent alors qu’il chante de façon épouvantable. Il vit seul dans une cabane perchée dans un arbre. Du moment qu’il ne pince pas les cordes de sa lyre, il sait se faire apprécier par les habitants du village. 

Il serait temps d’ajouter à ce petit peuple sympathique un nouveau personnage qui serait longtemps passé inaperçu, tant l’ensemble du village aurait adhéré à ce qu’il disait et éprouvé, durant des décennies, un certain plaisir à se reconnaître dans la trompeuse élévation de ses sentiments. Appelé Helloquittix, ce personnage est devenu ce bavard désormais insupportable qui croit encore détenir la vérité et pouvoir l’imposer alors que le village, dans son immense majorité, a cessé de l’écouter.

A lire aussi: Le « free speech » est devenu une arme des conservateurs, selon « Le Monde »

Si chanter faux s’entend dès la première parole, si les Gaulois se jettent sur le pauvre Assurancetourix pour le ligoter et le bâillonner dès qu’il saute sur une table pour pousser la chansonnette, il faut du temps et une ouïe infiniment plus fine pour se rendre compte qu’un discours est faux. Que celui qui le tient accepte un jour d’ouvrir les yeux et reconnaisse qu’il relayait sans vergogne un énorme mensonge, il découvrira alors douloureusement que la difficulté n’était pas tant dans la recherche de la vérité par une prise en compte de la réalité, que dans l’abandon de son erreur. Car celle-ci ne fut jamais seulement la sienne, mais celle d’une communauté avec laquelle il l’avait en partage. Helloquittix, le menteur impénitent, devait tout à ceux qui communiaient dans la même idéologie : sa carrière, sa considération, sa chronique régulière dans les colonnes d’un journal, ses entrées dans le domaine de l’édition, son rond de serviette sur les plateaux de télévision, sa nomination à un poste envié, ses décorations. Il leur devait également une foule de petits avantages qui participent au confort narcissique d’une petite vie bourgeoise dans laquelle l’estime de soi est entretenue par une mauvaise foi bien rôdée.

Helloquittix a un ami, un allié dans la place dont on parle peu et qui dans ce village menacé par les Romains du sud de l’Empire semble passer à travers les gouttes de l’exaspération des Gaulois. Et pourtant il y a des décennies qu’il sévit dans le village. C’est Lézartplastix, un crétin qui croit refaire ce qu’il appelle « le coup de maître de son grand-père Impressionnix » dont il a réussi à faire croire au village qu’il était l’héritier. Helloquittix et Lézartplastix ont en commun depuis longtemps une même ambition : saturer, le premier, l’espace médiatique, le second, l’espace publique. Aussi Lézartplastix, encouragé par son copain, a-t-il eu l’idée de demander à Obélix de donner à ses menhirs la forme d’un plug anal et d’aller les livrer dans les écoles du village. Colère chez les Gaulois qui, ne sachant plus vers quel saint se tourner, regardent avec autant d’admiration que d’inquiétude un personnage qu’ils n’avaient ni imaginé ni rêvé voir renaître de ses cendres : Outratlantix.

Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

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Washington, 21 janvier 2025 © Ben Curtis/AP/SIPA

Et si rendre l’Amérique plus grande (« Make America Great again ») signifiait aussi agrandir son territoire ? Retour sur les projets à première vue farfelus, et à première vue seulement, du président américain.


Avant même sa prise de fonction, le président-élu Donald Trump a bousculé les relations internationales en suggérant une expansion sans précédent du territoire américain et de la souveraineté des Etats-Unis.

Donald Trump a indiqué que sous sa présidence les Etats-Unis chercheraient à acheter le Groenland au Danemark, à reprendre le contrôle du canal de Panama et à intégrer le Canada dans les Etats-Unis.

Ces propositions, dont aucune ne figurait dans son programme de campagne, ont suscité l’opposition des intéressés et l’émoi horrifié des observateurs. Elles renvoient à un temps que certains pensaient révolu, celui de l’expansion territoriale américaine au XIXe siècle, d’abord à travers le continent nord-américain, puis au-delà.

Cet intérêt pour des territoires étrangers rappelle d’abord que la politique étrangère de Donald Trump n’a rien d’isolationniste. Au contraire, elle serait plutôt expansionniste, voire impérialiste. Ensuite, il rappelle que les Etats-Unis  n’ont jamais abandonné la vieille Doctrine Monroe, selon laquelle ils ne tolèreront aucune ingérence extérieure dans leur pre-carré américain. Enfin, il rappelle que Donald Trump a fait sa fortune dans l’immobilier et que pour lui l’expansion territoriale constitue une augmentation de la richesse nationale. Rendre l’Amérique plus grande (« Make America Great again ») peut aussi signifier agrandir son territoire.

Intérêts géostratégiques

Pourquoi ces trois territoires plutôt que d’autres ? La réponse est simple. Parce que tous les trois présentent un intérêt stratégique et économique pour les Etats-Unis. Est-ce à dire que Trump va faire de ces acquisitions les priorités nouvelles de sa politique étrangère ? Pas forcément. Quant à la possibilité de saisir ces territoires, y compris le canal de Panama, par la force, on en est encore loin.

Avec Donald Trump il y a toujours le fond, la forme et l’objectif. Le fond est souvent intuitif et parfois impulsif.  Pas toujours réfléchi, encore moins planifié. La forme est toujours provocante, outrancière. Il s’agit d’abord de capter l’attention de ses interlocuteurs. Quant à l’objectif c’est ce que ses interlocuteurs doivent identifier et ne jamais perdre du regard.

En l’occurrence, même si Donald Trump serait prêt à planter la bannière étoilée sur le Groenland, le canal de Panama ou le Canada, dès aujourd’hui, son objectif à court terme est beaucoup plus modeste et réaliste : rééquilibrer une relation économique et stratégique qu’il juge désavantageuse et dangereuse pour les Etats-Unis et signifier au reste du monde, en particulier à ses adversaires directs que sont la Chine et la Russie, qu’il considère certaines régions ou territoires comme hors limite de leur sphère d’influence et qu’il s’opposera avec toute la puissance américaine à toute tentative d’empiètement…

Ce n’est qu’une actualisation de la politique menée par les Etats-Unis de 1823 à la Seconde Guerre mondiale, en vertu de la Doctrine Monroe. Dans la perspective d’une rivalité économique et stratégique avec la Chine pour la suprématie globale au XXIe siècle, et d’une relation de méfiance sinon d’hostilité prolongée vis-à-vis de la Russie, Donald Trump n’a fait que rappeler des évidences et mettre en garde les partenaires et adversaires des Etats-Unis.

Le canal de Panama est la deuxième voie de communication commerciale la plus importante au monde, en volume et en valeurs après le canal de Suez. 30% du commerce maritime global y transite, soit plus de treize mille vaisseaux chaque année, dont les deux tiers vont aux Etats-Unis ou en viennent.

Construit entre 1903 et 1914 par des ingénieurs américains le canal, situé à la pointe sud de l’Amérique centrale, est long de quatre-vingts kilomètres et relie l’océan Atlantique à l’Océan Pacifique. Il permet aux navires qui l’empruntent d’effectuer en un jour un trajet qui, sinon, en prendrait vingt.

A sa création le canal, ainsi que la zone environnante, étaient la propriété des Etats-Unis. Par le traité Hay-Bunau Varilla de 1903, le nouvel Etat du Panama, qui venait de gagner son indépendance de la Colombie grâce à l’aide américaine, cédait à perpétuité la zone et l’opération du canal aux Etats-Unis contre une rente annuelle de deux cent cinquante mille dollars ! Vue l’importance stratégique du lieu, les Etats-Unis y établirent immédiatement plusieurs bases militaires. Panama devint le quartier général de leur « Southern Command », leur commandement naval pour l’hémisphère sud.

La décision d’abandonner cet ensemble stratégique fut prise par le président Jimmy Carter, fraichement élu, en 1977. Rien ne justifiait cet abandon. L’opposition panaméenne à la présence américaine qui avait engendré des heurts par le passé, était sous contrôle. Mais Carter était pénétré de culpabilité quant à l’impérialisme américain et voulait paraître magnanime aux yeux du monde, surtout après la douloureuse défaite au Vietnam. Sa décision fut vivement critiquée aux Etats-Unis, notamment par le futur président Ronald Reagan qui dénonça une erreur stratégique majeure.

Les traités Carter-Torrijos (du nom du président panaméen de l’époque) furent néanmoins signés et ratifiés par le Sénat américain, garantissant un retour du Canal à Panama avant le nouveau millénaire, et la neutralité de la zone. En 1999 les Américains dirent adieu au canal ne conservant qu’un droit de passage prioritaire.

Depuis c’est le gouvernement panaméen qui gère et opère le canal. De 2007 à 2016 d’immenses travaux permirent d’augmenter sa capacité de navigation pour permettre le passage de « super-tankers » et l’adaptation au trafic maritime moderne. Le canal fonctionne grâce à un complexe système d’écluses alimentées à partir de réservoirs d’eau douce eux-mêmes dépendant des précipitations naturelles élevées dans cette région tropicale. Récemment plusieurs années de sècheresse ont affecté ces réservoirs et ralenti la circulation sur le canal, obligeant certains navires à patienter de longues journées avant de passer. Les autorités du canal ont également mis des priorités de passage aux enchères, faisant exploser le prix de la traversée.  

A lire ensuite: Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte?

Dans le même temps deux de ses ports ont été concédés à la compagnie de Hong Kong CK Hutchison Holdings. Cela ne posait pas de problème tant que Hong Kong, ancienne colonie britannique, conservait une véritable indépendance vis-à-vis de la Chine. Ce qui n’est plus le cas désormais. Hong Kong a été mis au pas par Pékin en violation des accords de rétrocession signés avec la Grande Bretagne en 1997. A travers Hutchison, la Chine dispose du pouvoir de restreindre l’accès au canal, ou de militariser la zone.

Le gouvernement panaméen s’est aussi rapproché de la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Panama s’est rangé derrière Pékin dans sa stratégie d’unification de la Chine et ne reconnaît plus Taïwan. Panama et son canal sont désormais des maillons importants des nouvelles routes de la soie (Belt & Road Initiative), mises en place par Pékin pour protéger et promouvoir son commerce global.

Ces bouleversements expliquent la colère et les propos de Donald Trump. « Le canal devait être opéré par les Panaméens, personne d’autre, mais regardez ce qui se passe, c’est la Chine… ». Il a même souhaité, avec ironie, « un joyeux Noël aux soldats chinois présents à Panama ».

Cela ne signifie pas qu’une invasion militaire américaine de la zone soit imminente. En revanche, une reprise en main des opérations n’est pas à exclure. A travers le canal c’est la Chine qui est visée. Donald Trump ici veut plus qu’un simple traitement de faveur pour les navires américains. Il veut un contrôle américain sur un point stratégique de première importance et aucune interférence, ni même présence, chinoise.

Sans le dire, Donald Trump ravive ainsi la vieille Doctrine Monroe. Définie en 1823 sous la présidence de James Monroe, elle affirme que les Etats-Unis s’opposeront, y compris par la force, à toute ingérence étrangère sur le continent américain. A l’époque c’est l’Europe qui était visée. Mais ce qui était valable pour l’Europe en 1823, devient valable pour la Chine en 2024. Et le contrôle par la Chine de deux ports aux deux extrémités du canal est bien une forme d’ingérence étrangère. Trump est donc déterminé à faire annuler ces concessions. Le canal de Panama risque de devenir un sérieux sujet de tensions pour les mois et années à venir.

Cap sur les pingouins !

La question du Groenland est tout aussi importante, mais sans doute moins urgente et pourra se résoudre sur la durée de manière amicale

Le 22 décembre 2024, venu devant la presse présenter Ken Howery, son futur ambassadeur au Danemark, Donald Trump a émis le souhait que le Groenland devienne américain : « pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les Etats-Unis estiment essentiel de posséder et contrôler le Groenland. »  

Dans les jours qui ont suivi et notamment lors d’une conférence de presse le 7 janvier, Trump a réitéré cette volonté nouvelle d’acquérir le Groenland. Y compris par la force « Non, je ne suis pas prêt à éliminer l’option militaire pour obtenir gain de cause… Peut-être faudra-t-il faire quelque chose ? … Le Danemark devrait nous le céder, ou bien les habitants du Groenland devraient voter pour leur indépendance puis rejoindre les Etats-Unis… Il y va de notre sécurité économique. Je parle de la défense du monde libre… »

Quelques jours plus tard, son fils ainé, Don Jr, effectuait une visite « privée » sur place atterrissant à bord de Trump Force One, l’avion du père. Il était accueilli par une poignée de « groenlandais » portant d’emblématiques casquettes rouges MAGA. Donald Trump apparut via vidéo lors de la réunion publique qui suivit assurant les présents qu’il allait « prendre grand soin d’eux » et « assurer la défense » dont ils avaient besoin. Et si le Danemark s’opposait à ses visées « des tarifs douaniers très lourds lui tomberaient dessus. »

Ce n’est pas la première fois que Trump évoque l’acquisition du Groenland. En 2019, lors de son premier mandat, il avait déjà proposé d’acheter le territoire au Danemark. La transaction avait même été évaluée à mille cinq cents milliards de dollars ! Pour lui l’affaire se fera. Tôt ou tard ! Et il a très probablement raison.

Le Groenland est la plus grande ile de la planète. Situé dans l’océan Atlantique nord, son territoire s’étend sur plus de deux millions de kilomètres carrés (quatre fois la France et trois fois le Texas). Sa population n’est que de 56 000 habitants. Soit l’équivalent de celle du cinquième arrondissement de Paris.

Le Groenland fut colonisé par le Danemark au XVIIIs siècle et formellement acquis en 1814. Depuis 1979 il dispose d’institutions autonomes mais reste rattaché au Danemark et de ce fait rattaché à l’Union Européenne. Plus des deux tiers de son territoire sont à l’intérieur du cercle arctique, et totalement gelés une grande partie de l’année.

Ce qui invite d’ailleurs à s’interroger sur sa désignation de « groenland » qui signifie « terre verte », alors qu’à quelques centaines de miles nautiques à l’est se trouve « l’islande », « iceland » en anglais, soit « la terre de glace », alors qu’elle est beaucoup plus hospitalière que sa sœur de l’ouest… 

C’est une terre vierge, qui regorge d’hydrocarbures -17.5 milliards de barils de pétrole et 450 milliards de mètres cubes de gaz naturel selon le U.S. Geological survey- et de minerais rares -1,5 millions de tonnes selon le U.S. Geological Survey – qui rentrent dans la fabrication des produits high-tech. Le Groenland dispose notamment de réserves de graphite nécessaire à la fabrication des batteries de véhicules électriques. La proximité géographique avec les Etats-Unis rend ces gisements particulièrement attractifs.

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Sa situation géographique rend aussi le Groenland stratégiquement important. Il touche au Canada, et par le cercle polaire est également proche de la Russie. Son littoral constitue une voie maritime importante qui pourrait se développer encore si le réchauffement climatique s’avère une réalité durable. La fonte de sa calotte glacière a déjà ouvert de nouvelles voies maritimes entre l’Amérique, la Russie et l’Asie qui permettent une économie de temps, de carburant et donc d’argent à ceux qui les empruntent.

Cette même position à l’intérieur du cercle polaire renforce son importance stratégique car elle permet une surveillance militaire du vieil adversaire des Etats-Unis, la Russie. Depuis la Guerre Froide les Etats-Unis disposent d’une base militaire aérienne à Thule, tout au nord de l’île, équipée de radars de surveillance dans le cadre de leur dispositif anti-missiles balistiques. En 2020 Thule a été transférée à la nouvelle « Force Spatiale » créée par le président Trump et rebaptisée Pituffik Space Base en 2023.  

Le président Trump n’est d’ailleurs pas le premier président à s’intéresser au Groenland.  Dès 1946, à l’aube de la guerre froide, le président Truman avait proposé de racheter l’île au Danemark pour cent millions de dollars de l’époque. La vente ne s’était pas faite mais les Etats-Unis et le Danemark avaient négocié un accord de défense, toujours en vigueur, concernant la protection du Groenland face à l’Union soviétique.

Truman n’était pas non plus le premier Américain à vouloir acheter le Groenland. Ce privilège revient au secrétaire d’Etat William Seward presqu’un siècle plus tôt. Grand artisan de l’expansion territoriale américaine, Seward est à l’origine de l’achat de l’Alaska à la Russie en 1867. Au même moment il avait aussi proposé d’acheter le Groenland et l’Islande. Le Congrès n’avait pas été intéressé et sa proposition resta sans suite. Seules les Antilles danoises furent achetées en 1917 pour devenir un territoire américain sous le nom des Îles Vierges…

Il est probable que Trump se montera plus pressant… Toutefois selon le Danemark et selon l’immense majorité de ses habitants le Groenland n’est pas à vendre. Les « groenlandais » aspirent même à l’indépendance. Cela peut se comprendre mais n’est pas réaliste. L’île dépend largement de subventions danoises pour sa survie et son approvisionnement. Elle n’a aucun moyen d’assurer sa propre défense. Elle dépend même indirectement des Etats-Unis pour sa protection à travers l’Otan auquel elle est rattachée via l‘Union européenne.

Trump saura faire valoir que les Etats-Unis payent déjà pour le Groenland et que sans eux cette île serait à la merci de la Russie. L’indépendance du Groenland serait même le chemin le plus court vers une annexion par les Etats-Unis, justement au nom de la sécurité nationale et pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains d’un adversaire indésirable si près de leurs côtes…

L’objectif de Trump à court terme n’est pas tant de devenir propriétaire de l’île que de signaler son intérêt à tous les partis concernés et de contrer toute tentative d’empiètement, notamment par la Chine. En 2018, l’administration Trump était déjà intervenue pour bloquer la construction de trois aéroports au Groenland par Pékin. Plusieurs sociétés minières américaines ont déjà investi au Groenland et il est probable que cette coopération va s’intensifier avec la nouvelle administration.

Les logiques économiques et stratégiques laissent penser que le Groenland sera un jour rattaché aux Etats-Unis. La question n’est pas de savoir « si » mais plutôt « comment ».

Peut-on en dire de même du Canada ? C’est beaucoup moins sûr.

Des propos ironiques sur le Canada

Donald Trump a récemment, parlé du Canada comme du futur 51e Etat américain. Plutôt sur le ton de l’ironie d’ailleurs. Appelant son Premier ministre, « le gouverneur ». C’est la moins sérieuse et la moins crédible de ses prétentions. Pour des raisons juridiques, pratiques, techniques et même politiques, l’idée de faire du Canada un Etat américain est irréaliste. En revanche les avantages économiques d’un « grand marché nord-américain » eux, sont évidents. Et c’est à cela que Trump veut parvenir. Et, si pour y parvenir, il doit froisser quelques égos, et bien qu’il en soit ainsi…

Le Canada s’étend sur près de dix millions de kilomètres carrés. Contre 9,3 millions de km² pour les U.S.A. S’il devenait un Etat américain, il serait plus grand que les cinquante autres Etats réunis. Il compte quarante millions d’habitants, un peu plus que la Californie et serait donc également le plus peuplé…

Le Canada est le premier partenaire commercial des Etats-Unis. A peu près à égalité avec le Mexique et la Chine, devant l’Union européenne. Les Etats-Unis exportent pour 310 milliards de dollars et importent pour 360 milliards. Leur balance commerciale est donc déficitaire. Ce qui n’est pas du goût de Trump. Il estime qu’acheter plus à un pays qu’on ne lui vend c’est se faire avoir…

Il estime aussi que ce déficit résulte surtout de délocalisations et constitue une perte économique sèche pour les Etats-Unis en terme d’emplois. Trump en veut beaucoup aux grandes marques automobiles de Détroit, au Michigan, d’avoir déménagé certaines de leurs usines au nord de la frontière. Il voudrait voir ces emplois revenir sur le sol américain.

Trump reproche aussi au Canada de ne pas dépenser assez pour sa sécurité – comme beaucoup d’autres membres de l’Otan au passage.

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Toutefois, de par la Constitution canadienne, il faudrait un vote unanime du Sénat et de la Chambre des Communes du Canada, ainsi que des assemblées d’Etats, pour autoriser le pays à se dissoudre pour se fondre dans les Etats-Unis. Le Canada est toujours une monarchie constitutionnelle dont le souverain est le roi Charles III d’Angleterre. Ce lien devrait également être dissout, sauf à ce que certains citoyens américains deviennent à nouveau sujets de sa majesté… C’est très peu probable.

De plus 82% des Canadiens se disent opposés à l’idée d’intégrer les Etats-Unis. Seuls 13% de la population soutenaient une telle éventualité. Que feraient les Québécois qui n’ont pas renoncé à leur souhait d’indépendance ?

Au passage, les Canadiens étant très progressistes, cela rajouterait des millions d’électeurs de gauche, donc démocrates, et pénaliserait durablement le parti Républicain.

La perspective de voir le Canada devenir le 51e Etat américain est donc quasi nulle. Par contre voir les relations économiques se resserrer à travers une série de négociations est plus que probable. Venant à un moment d’incertitude politique au Canada, du fait de la démission récent du Premier ministre, Justin Trudeau, les remarques de Donald Trump visent simplement à mettre les Etats-Unis en position de force dans cette éventualité.

Le plus étonnant dans les propos et les ambitions de Donald Trump, qu’il s’agisse du Canada, du Groenland ou de Canal de Panama, est qu’ils renvoient à une époque qu’on pensait révolue. Personne, aux Etats-Unis, n’a tenu un discours aussi expansionniste et impérialiste depuis le président Mc Kinley, élu en 1896. A l’époque ce discours avait débouché sur une guerre avec l’Espagne, pour la libération de Cuba, la conquête des Philippines et l’annexion d’Hawaï. Les Etats-Unis qui avaient achevé leurs expansion continentale quelques années plus tôt, se lançaient désormais à l’assaut du monde.

Ce nouvel impérialisme allait voir les Etats-Unis intervenir un peu partout sur la planète tout au long du vingtième siècle : d’abord en Amérique Latine, puis en Asie, puis en Europe et au Moyen Orient pour asseoir une présence globale à travers l’installation de quelques huit cents bases militaires au-delà de leurs frontières et l’acquisition de « territoires » dont les résidents ont le statut de citoyens américains, sans en avoir tous les droits.

Les propos de Donald Trump sont moins le réveil de cet impérialisme que l’affirmation de la souveraineté américaine sur son « pré-carré » américain. C’est bien la Doctrine Monroe qui est remise au goût du jour et non pas la notion de « Destinée Manifeste ». La distinction est importante. La Doctrine Monroe s’applique au seul continent américain. L’idée de « Destinée Manifeste », selon laquelle les Etats-Unis ont vocation à s’étendre, car il en va de la volonté de dieu, est sans limite… En clair les Etats-Unis de Donald Trump entendent être les maîtres autour de chez eux, au nom de leur sécurité.  Ils n’ont pas vocation à étendre et imposer le modèle américain à l’ensemble de la planète.

Source : France-Amérique, le blog de Gerald Olivier

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