Accueil Site Page 2158

Collège vranzais kaputt!

81

allemand reforme college

Parmi les aberrations de la réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem, on a relevé le mauvais coup, peut-être fatal, porté à l’enseignement de la langue de Goethe dans le premier cycle de l’enseignement secondaire. On s’en est ému jusque dans les sphères gouvernementales à Berlin, où des juristes pointilleux estiment que les mesures annoncées contreviennent à l’esprit du traité de l’Elysée de 1963. Cette charte de la réconciliation franco-allemande, signée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, stipule en effet que « les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande ». Longtemps, la lettre, sinon l’esprit, de ce chapitre du traité semblait avoir été respectée : la démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire dans les deux pays avait, en chiffres absolus, fait croître régulièrement le nombre des élèves apprenant l’allemand en France et le français en Allemagne.

Ce tour de passe-passe statistique masquait le fait que la proportion des apprentis germanophones et francophones était en constante régression : l’obligation de l’apprentissage d’une seconde langue vivante était progressivement réduite en Allemagne, notamment dans la filière professionnelle des Realschule[1. En Allemagne, on a abandonné les tentatives de « Gesamtschule » (collège unique) pour rétablir un système dual général (Gymnasium) ou professionel (Realschule). On pourra comparer les résultats français et allemands en regardant le taux respectif du chômage des jeunes…], et l’espagnol s’impose en France comme seconde langue archidominante. Les enfants et adolescents étant principalement mus par la loi du moindre effort et du plaisir maximum, ils consentent à apprendre l’anglais, ou plutôt le « globish » appauvri, qui vous ouvre l’espace de la consommation matérielle et culturelle mondialisée. Ils ne voient aucune raison de se soumettre à la discipline d’apprentissage pénible d’une langue exigeante, où il ne s’agit pas de « construire son savoir » avec des méthodes ludiques, mais de s’enfoncer dans le crâne des règles de grammaire et de construction du discours notablement différentes de celles de sa langue maternelle. Et puis, pour aller s’éclater en boîte à Berlin le temps d’un week-end Easyjet, le « globish » est largement suffisant pour commander ses bières et amorcer un plan drague…
À treize ou quatorze ans, lorsqu’il s’agit de cocher la case « langue II » sur la fiche de vœux pour le passage en 4ème, l’ado concerné a affuté ses arguments pour persuader ses géniteurs de l’inscrire en espagnol : l’apprentissage de la langue de Cervantès lui ouvrira les portes du vaste monde, de Madrid à Buenos-Aires en passant par Mexico et Caracas… La ruse pour justifier la paresse est soutenue par la capacité de ces mêmes ados à tanner leurs parents jusqu’à ce qu’ils craquent, y compris sous la pression du chantage : « Si tu m’inscris en allemand, je n’en ficherai pas une rame, d’ailleurs, au brevet, la deuxième langue, c’est qu’une option… ».

Najat Vallaud-Belkacem vient de priver les parents adeptes de la résistance à la nonchalance juvénile du dernier argument qui leur restait pour contraindre leur progéniture à se colleter avec les subtilités de la déclinaison de l’adjectif germanique. Elle a mis fin d’un trait de plume à l’existence des classes bilangues en 6ème, ou l’on apprend simultanément l’anglais et l’allemand. Trop élitiste ! Manière détournée d’échapper au « collège unique », où tout le monde fait tout, c’est à dire rien. C’est vrai : pour apprendre l’allemand avec un minimum de succès, il convient d’être à l’aise avec sa propre langue, dans le vocabulaire comme dans la compréhension de sa grammaire, ce qui exclut pas mal de monde. Les classes bilangues, pourtant, n’étaient pas seulement un refuge pour gosses de bobos, mais permettaient aussi à une minorité d’enfants issus des milieux dits défavorisés, les plus doués, d’échapper au déterminisme social. S’il s’agit de donner des perspectives d’emploi à ces jeunes, c’est bien l’allemand qu’il faut leur enseigner pour leur permettre d’aller outre-Rhin combler le déficit démographique d’une puissance industrielle vieillissante ! C’est ce qu’ont déjà compris un grand nombre de ressortissants de pays du Moyen-Orient, Palestiniens, Syriens, Irakiens fuyant la guerre, et se construisant une existence acceptable, et parfois confortable, à Hambourg, Munich ou Stuttgart…

Quant aux jeunes bourgeois de l’Hexagone, s’ils avaient un minimum de jugeote, et même s’ils voulaient exercer astucieusement leur droit à la paresse, ils devraient comprendre que dans un contexte de concurrence effrénée pour l’accès aux bonnes places, la maitrise de l’allemand leur donnerait un avantage certain sur leurs concurrents balbutiant bêtement l’espagnol. Un simple coup d’œil sur la structure des échanges, l’intégration des économies à l’échelle européenne, le marché de l’emploi des cadres suffira à les persuader…
On trouvera également quelques bénéfices secondaires à pouvoir accéder, dans la langue originale à quelques auteurs pas totalement inintéressants : qui, sinon les profs d’allemands, espèce en voie d’extinction pourra faire apprécier le Faust de Goethe, ou L’Allemagne, un conte d’hiver de Heinrich Heine ? Mais cela est peut-être trop demander à Mme Vallaud-Belkacem.

Cette dame, par ailleurs, dispose d’un don exceptionnel pour se payer notre cafetière (« Unsere Kaffeekanne zu bezahlen ») : pour calmer l’ire des Germains, elle a précisé que l’on allait pouvoir être initié à l’allemand dès le CP, dans le cadre d’une « carte des langues » sur le territoire, où, en fonction des besoins et des demandes, d’autres langues que l’anglais pourraient être enseignées en primaire. J’entends déjà les hurlements des parents dont les mioches pourraient être privés d’anglais précoce ! Résultat prévisible : l’allemand au CP, ce sera pour les Alsacos !

Ajoutons, pour conclure, que point n’est besoin d’aimer les Allemands pour apprendre leur langue. On peut arrêter l’allemand et se mettre au boche.

*Photo : Pixabay.

Y a-t-il un Amok dans l’avion?

5

amok andreas lubitz

La catastrophe de l’Airbus de Germanwings a révélé au public un phénomène aux conséquences potentiellement dévastatrices : celui de l’amok. Qu’est-ce que l’amok ? Le dictionnaire nous apprend que le terme dérive d’un mot malais, « amuk », qui signifie « rage incontrôlable ». Observé par des ethnologues dans des contrées variées, allant de la Malaisie à la Terre de Feu, l’amok est une folie homicide qui affecte brutalement un sujet, toujours de sexe masculin, agissant seul. Cet accès subit de violence meurtrière débouche sur la mort de l’individu après qu’il a lui-même tué un nombre plus ou moins élevé de personnes. Il s’agit donc d’un équivalent de suicide (direct ou indirect), accompagné d’une libération de pulsions homicides. Le mécanisme psychologique qui mène à l’amok est la décompensation de frustrations importantes (humiliation publique, échecs répétés…), induisant un désir de vengeance à l’encontre d’autrui et de mort pour soi-même. Par extension, on parle d’amok pour qualifier le fou qui se précipite, fer en main, contre tout ce qui se présente, ne finissant sa course que dans la mort, dans un spectaculaire carnage collectif. L’homme qui est la proie de cette frénésie, « dès qu’il a vu le sang couler, n’épargnera personne, ni amis, ni enfants, ni parents. Une force surnaturelle l’anime » (H. Fauconnier, Malaisie). Si l’amok a été décrit dans les sociétés traditionnelles, où il est ordinairement perpétré à l’arme blanche, on peut en trouver l’équivalent moderne dans les exactions de tueurs fous munis d’une arme à feu, s’achevant par l’exécution ou le suicide du meurtrier. Les États-Unis notamment sont fréquemment secoués par de tels drames. Dans la société moderne, l’interprétation sociologique ou religieuse qui était celle des sociétés traditionnelles cède le pas à une explication pathologique : les amoks sont des malades mentaux (presque) comme les autres, en tout cas parmi tant d’autres.[access capability= »lire_inedits »]

Andreas Lubitz était donc un amok, meurtrier suicidaire qui a entraîné dans la mort 149 personnes. Et notre société abrite, n’en doutons pas, d’autres individus susceptibles de basculer dans cette folie criminelle. Tout cela fait peur, très peur, et pas seulement à ceux qui sont sur le point de prendre l’avion.

L’émotion bien légitime suscitée par cette tragédie a soulevé la question de la prévention, qui échoit logiquement au détenteur du monopole de la violence légitime, l’État. Et l’État, mis en demeure d’empêcher les amoks de sévir, se tourne vers les experts patentés de la santé mentale, les médecins. L’affaire semble entendue : il faut que les médecins dépistent les amoks potentiels, c’est-à-dire, puisque le phénomène est soudain, les personnes « à risque » – donc à la fois celles qui sont « susceptibles de faire une crise d’amok » et celles « dont une crise d’amok aurait des conséquences sociales catastrophiques ».

Pour le deuxième sens, le pilote d’avion de ligne est ici archétypal. Son contrôle étroit est réclamé par la population et semble aller de soi. Mais qu’en est-il de la première acception ? Comment repérer avec un degré de certitude suffisant les futurs amoks ? C’est ici que l’exercice devient très difficile, en fait quasi impossible. L’expertise psychiatrique ne peut pas prévoir l’avenir avec certitude, elle prévoit au mieux un risque de dérapage. Beaucoup de gens ont eu des troubles psychiques dans leur vie, et s’en sont bien remis. Parfois ils gardent une fragilité, mais cette fragilité ne les prédispose nullement à s’en prendre à autrui et n’impacte pas leur aptitude professionnelle, même quand ils sont pilotes de ligne. Les chiffres sont éloquents : la psychose maniaco-dépressive (forme la plus grave de dépression nerveuse) touche presque 1 % de la population ; cela veut dire que 1 % d’entre nous fera au moins un épisode de dépression grave dans sa vie ! Et les syndromes schizophréniques ont à peu près la même prévalence… Voilà déjà 2 % de la population générale affectée d’une pathologie psychiatrique sérieuse ! Et il faut ajouter tous les autres problèmes psychologiques qui peuvent se développer chez l’homme de la rue, aussi lisse et banal semble-t-il de l’extérieur : dépression légère, burn-out, anxiété, crises d’angoisse, troubles du sommeil, troubles obsessionnels compulsifs, instabilité psychomotrice, névroses, phobies, perversions… Les troubles de la personnalité au sens large sont un abîme où chacun peut être plongé d’un coup de baguette psychiatrique. Il paraît même que les difficultés sentimentales font partie de ces « problèmes » qui pourraient déclencher une crise d’amok ! Le cas Lubitz l’a bien montré : sa compagne, enceinte, venait de le quitter… Et on lui confie un avion de ligne, quelle imprudence, quelle négligence !

Et puis, pourquoi se limiter à la psychiatrie ? Il y a les problèmes médicaux somatiques, le champ immense de la neurologie (épilepsies, troubles cognitifs, accidents vasculaires, ictus amnésiques…), de la cardiologie (troubles du rythme cardiaque, malaises divers…), de l’ophtalmologie (atteinte de l’acuité ou du champ visuel…)… Si on devait éliminer de la vie professionnelle toutes les personnes « à risque », il ne resterait pas grand monde sur le pont ! Car ce qui vaut pour les pilotes d’avion vaut pour tout conducteur, qui peut mettre les autres en danger par un comportement inapproprié – imaginez un amok pilotant un TGV, un TER, un métro, un bus ou un camion, voire une simple voiture, tout à fait capable de tuer quelques innocents quand elle est lancée à contresens sur l’autoroute ? Et il y a aussi péril dans ce policier en possession d’une arme de service, dans ce soldat qui patrouille dans le cadre du plan Vigipirate, dans ce chasseur du dimanche, dans ce collectionneur d’armes… De plus, pourquoi s’arrêter à l’amok ? Ne faudrait-il pas prendre en compte plus largement le risque de mal faire son travail ? Pour peu qu’on y pense sérieusement, on découvre partout des failles : le professeur qui instruit mal les gosses, le chirurgien qui opère mal ses patients, le garagiste qui répare mal les voitures, le patron qui dirige mal son entreprise, tout cela pour de lourdes raisons psychiques ou physiques ; tous ces malades en puissance sont aussi très nuisibles. Sans compter l’ingénieur employé d’une centrale nucléaire, dont les penchants mélancoliques cachent peut-être de funestes intentions ! À dénoncer sans tarder à la « police du travail » – pardon, la « médecine du travail » !

Toute à son fantasme sécuritaire, la société exige de la médecine un contrôle de plus en plus pesant des individus. Les experts devraient prédire les comportements déviants, édicter et imposer la norme pour tout et pour tous, se porter garants de l’hygiène physique et mentale, soigner les malades qui peuvent l’être ou exclure du champ social ceux qui se révèlent incurables (et ils sont nombreux – les capacités diagnostiques de la médecine excèdent largement ses capacités thérapeutiques, en particulier en psychiatrie). On passe du « surveiller et punir » de Foucault au « contrôler et juguler »… La médecine préventive qu’appellent de leurs vœux des citoyens bien intentionnés, mais peu clairvoyants, pourrait se retourner contre eux.

Jusqu’à présent, les médecins ont résisté à cette demande. Estimant être au service, non de la société en général, mais de leurs patients en particulier, ils ont à cœur de remédier à leurs difficultés d’insertion professionnelle et sociale. Ainsi ce sont bien les psychiatres qui ont été à l’origine du mouvement de « désinstitutionnalisation » qui a ouvert les portes de l’hôpital psychiatrique et permis à des centaines de milliers de gens de reprendre une vie sociale. Mais la pression de la société s’accroît, et grandit chez les médecins la tentation de régner en experts, voire de s’abandonner à un exercice totalitaire de la médecine prédictive en monnayant un savoir respecté.

Le risque social lié aux pathologies non dépistées doit donc être mis en balance avec le risque de détruire la vie des malades potentiels mis sur la touche. De même que pour les malades mentaux qu’on hésite à laisser dans la nature, la chasse aux amoks et autres mabouls repose sur un équilibre délicat entre principe de précaution (pour la société) et principe de bienfaisance (pour le patient). « Si on devait traiter les gens selon la justice, peu d’entre nous échapperaient au fouet », disait Nietzsche. Pourrir la vie de tous pour sauver celle de quelques-uns : voilà ce qui nous menace avec l’obsession sécuritaire d’une médecine et d’une psychiatrie chargées d’assurer le « risque zéro ». Que les gens qui réclament à hauts cris des mesures préventives fassent leur examen de conscience – ou plutôt leur examen médical. Ou bien on met tout le monde hors jeu, et donc au chômage (ou plutôt en invalidité): cloîtré chez soi ou enfermé à l’hôpital psychiatrique, aucun d’entre nous ne sera plus un danger pour les autres. Les amoks potentiels n’auront plus qu’à se frapper la tête contre les murs – qu’on aura pris soin de molletonner. Il faut savoir garder raison – ou, en l’occurrence, déraison. Les dangers du dépistage extensif des maladies physiques et mentales doivent nous convaincre d’en rabattre d’un cran dans nos prétentions de maîtrise des risques. Il nous faut vivre avec les amoks, comme nous l’avons toujours fait.[/access]

*Photo : Michael Mueller/AP/SIPA. AP21731084_000002.

Législatives en Grande-Bretagne: Brexit or not Brexit?

2

Londres (AFP) – Les Britanniques votaient jeudi à l’occasion des législatives les plus incertaines depuis quarante ans, au point que des jours voire des semaines de tractations pourraient être nécessaires avant de savoir qui, du conservateur David Cameron ou du travailliste Ed Miliband, gouvernera le pays.

De Belfast à Cardiff, d’Édimbourg à Londres, plus de 45 millions d’électeurs étaient invités à se rendre dans les 50.000 bureaux de vote ouverts jusqu’à 21H00 GMT. Heure à laquelle sera diffusé un premier sondage de sortie des urnes.

Les lieux sont parfois insolites, avec des urnes ouvertes dans des pubs, des écoles primaires, des églises, un bus scolaire, une caravane, un moulin à vent, une maison de retraite et même un temple hindou.

Les principaux dirigeants avaient rempli leur devoir électoral à la mi-journée, qu’il s’agisse du Premier ministre sortant David Cameron, accueilli par trois manifestants, du vice-Premier ministre libéral démocrate Nick Clegg, du chef de l’opposition travailliste Ed Miliband, ou du leader du parti europhobe UKIP, Nigel Farage.

En Ecosse, la chef de file des nationalistes écossais du SNP Nicola Sturgeon est apparue tout sourire : elle espère un raz-de-marée.

Les titres de la presse londonienne soulignaient avec emphase jeudi l’incertitude du résultat, et la gravité des enjeux.

« Le jour du jugement dernier », titre ainsi le Times conservateur, avec une photo du parlement de Westminster dans un ciel d’apocalypse.

« Ne faites rien que vous regretterez », avertit le Daily Telegraph, également proche des tories.

« Cela ne pourrait pas être plus serré », constate le Guardian de gauche, qui livre le dernier sondage ICM. Il place à égalité conservateurs et travaillistes à 35%, devant l’Ukip à 11% et les libéraux-démocrates à 9%.

– Elizabeth II s’abstient –

Les citoyens britanniques, les ressortissants du Commonwealth et de la République d’Irlande résidents au Royaume-Uni, âgés de 18 ans ou plus, peuvent aller glisser leur bulletin dans les urnes, après avoir coché au crayon le candidat de leur choix. Ils sont 3.971 en lice à l’échelon national.

Des milliers cochaient aussi virtuellement le mot dièse « #IVoted » sur Twitter, certains ignorant les restrictions imposées aux médias sur la confidentialité du vote.

« C’est extrêmement important de voter », a souligné Adam Banks, 28 ans, à la sortie de l’isoloir à Angel (nord-est de Londres) en référence au coude-à-coude entre les principaux partis. En 2010, le taux de participation avait atteint 65%.

Seuls les Lords et les prisonniers ne peuvent pas voter, tandis la reine Elizabeth II s’abstient, en vertu de sa sacro-sainte neutralité.

Les premiers résultats sont attendus aux alentours de minuit. La tenue en parallèle d’élections locales dans tout le pays, sauf à Londres et en Écosse, ralentira le dépouillement.

Les analystes scruteront tout particulièrement l’issue du scrutin dans quelque 100 « marginals », les circonscriptions critiques susceptibles de basculer d’un camp à l’autre.

David Cameron, 48 ans, et Ed Miliband, 45 ans, sont tous deux susceptibles de revendiquer la victoire après une nuit blanche, si le résultat est aussi serré que prévu. Les chiffres définitifs ne sont pas attendus avant l’après-midi de vendredi.

Dans le cas probable où aucun des deux grands partis n’obtient la majorité absolue de 326 sièges à la chambre des Communes, des tractations commenceront immédiatement avec les plus petites formations, ravies de se voir transformées en « faiseurs de roi ».

– Combinaison gagnante –

David Cameron Ed Miliband

En 2010, cinq jours avaient été nécessaires pour aboutir à la formation d’un gouvernement de coalition entre conservateurs et libéraux-démocrates. Mais cette fois, les experts envisagent des négociations autrement plus compliquées et longues, avec à la clef une combinaison politique qui pourrait être instable.

Le parti centriste des Lib-dems emmenés par le vice-Premier ministre Nick Clegg, est bien placé, comme en 2010, pour offrir ses services à droite ou à gauche, s’il conserve suffisamment de sièges pour faire la différence.

A la gauche du Labour, les nationalistes écossais du SNP espèrent multiplier par 8 leur présence à Westminster, en raflant une cinquantaine des 59 circonscriptions que compte l’Écosse. Mais une alliance avec le SNP serait sulfureuse pour le Labour, parti unioniste. Le but des nationalistes reste à terme l’indépendance de l’Ecosse.

Les autres petits partis demeurent marginaux dans l’équation: l’UKIP, malgré ses 14% dans les sondages, peinera à décrocher plus de 5 députés. Les Verts en escomptent 1 avec 5%, tandis que les unionistes du DUP nord-irlandais comptent remporter au moins neuf sièges.

L’économie, l’immigration et le devenir du NHS, le service public de santé, ont constitué les thèmes forts de la campagne.

Une réélection de Cameron raviverait les appréhensions des autres capitales européennes, le dirigeant tory ayant promis de tenir un référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, d’ici fin 2017, qui risque de se traduire par un « Brexit », une contraction pour « British-exit ».

*Photo : © AFP ADRIAN DENNIS

Loi sur le renseignement: comment gérer l’information

29

loi renseignement ecoutes

Faut-il se lamenter ou se réjouir de la « Loi sur le renseignement » adoptée en première lecture mardi par l’Assemblée nationale ? La lutte contre le terrorisme qui inclut nécessairement la prévention ne peut écarter aucun risque, ni accepter aucune négligence. Ce ne sont pas ces technologies innovantes en elles-mêmes qui doivent susciter l’inquiétude mais, outre certaines formulations ambiguës du texte législatif, les conditions dans lesquelles la psyché humaine des utilisateurs potentiels en disposera. Le spectre des tentations inconscientes offertes par l’acquisition non consentie d’un savoir sur autrui s’en trouve singulièrement élargi. Certes, l’évocation d’une telle perspective pourrait être de nature à offenser ces hommes et ces femmes, membres des services français, qui accomplissent chaque jour un travail destiné à nous protéger. Leur idéal patriotique n’est pas en cause à condition de ne pas servir d’habillage surmoïque pour des activités au contenu et aux finalités peut-être mal assumés.

Car l’histoire de notre pays abonde en exemples de détournements d’informations politiques sensibles, plus préjudiciables à leurs collègues hexagonaux que nuisibles aux véritables ennemis de la République. Informations que leurs détenteurs se plaisent à divulguer pour compenser leurs propres défaillances narcissiques. Débouté de toute reconnaissance dans ce travail d’invisibilité, l’anonymat de l’ombre excite ces petites vanités qui réclament, tout comme les petits besoins disait un ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay, une urgente satisfaction. Et la rétention de données – pour filer la métaphore de l’analité psychique – qu’une incorrigible tradition dans l’administration française assimile à la détention du pouvoir, concourt sans doute à l’aggravation du phénomène.

Voir sans être vu, acquérir subrepticement des connaissances sur l’alter ego, accumuler ce matériel et percer – pour ne pas dire pénétrer – tous ses mystères, bref, faire de l’autre une maison de verre incapable de résister à la projection de la toute-puissance investigatrice :  sans doute les adeptes les plus obsessionnels de la cryptophilie[1. J’en donne une illustration dans mon étude clinique « Les Mixed Martial Arts sont-ils solubles dans la pulsion sexuelle de mort ? ».], au cœur des métiers du renseignement, trouveront-ils dans cette nouvelle palette de mécanismes intrusifs, matière à jouissance. Celle de cette part de libido composée d’éléments de nature narcissique et homosexuelle devenue « libre par frustration » et qui se « retire sur le moi ».

La faculté professionnelle d’en savoir davantage sur l’autre conduit, lorsque celle-ci est exploitée à mauvais escient, à la pulsion d’emprise : une bête noire tapie dans les recoins les plus obscurs de notre contre-transfert et dont nous nous méfions, nous autres analystes, comme de la peste. Ceux qui en sont victimes deviennent des gourous dénoncés et rejetés par la profession. Ce déséquilibre entre celui qui sait et celui qui ignore n’est d’ailleurs pas sans raviver les souffrances enfouies de l’asymétrie infantile, la séduction originaire dans les relations entre l’adulte et l’enfant : il en suggère l’exacte revanche sous la forme d’un contrôle qui vise à placer, dans le cadre de cette loi, le suspect sous étroite surveillance dans un délire paranoïde de l’observation : la cible comme l’observateur s’y rejoignent étrangement, la première par l’angoisse de persécution, le second par la crainte névrotique d’être démasqué. Un délire dont le contenu « donne à entendre que le fait d’observer n’est qu’une préparation pour celui de juger et de punir » rappelle Freud  dans « La décomposition de la personnalité psychique »[1. « Nouvelles suites des leçons d’introduction à la psychanalyse », op. cit., t. XIX, PUF, 1995].

Le remède pourrait fort heureusement advenir avec le mal : faisons confiance aux confidences vantardes des parlementaires siégeant dans la nouvelle Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignements (CNCTR) tout comme aux conséquences des sourdes rivalités entre les représentants du Conseil d’Etat et les magistrats de la Cour de Cassation pour apprendre à notre tour par la presse tout ce que cette loi s’efforce de nous dissimuler !

 

Bronca anti-Ménard: Cachez ces statistiques ethniques…

108

menard statistiques ethniques valls lagrange

Lundi soir dans l’émission Mots croisés, Robert Ménard a mis le pied dans un plat rempli de bons sentiments : lui et sa mairie établissent des « statistiques ethniques « sauvages » des élèves de primaire de la ville. Il faut dire que le maire de Béziers, élu avec le soutien de Debout la France – vous savez déjà qu’il est soutenu par le FN car tout  journaliste qui se respecte ne manque jamais de nous le rappeler –, est allé assez loin dans ses propos chez Anne-Sophie Lapix, évoquant un chiffre très précis : il y aurait 64.6% d’élèves d’origine musulmane dans certaines classes biterroises, d’après les données – formellement interdites par la loi – que ses services municipaux ont recueillies.

Il faut savoir qu’en privé, les maires reconnaissent la généralité de cette pratique. Lorsqu’il s’agit de gérer le logement, l’éducation, ou la culture, chacun essayant alors de connaître les origines et la confession de ses administrés. Un maire chevronné m’a raconté comment, à chaque rentrée scolaire, il scrute les listes d’élèves placardées aux portes des classes car ses statistiques sauvages lui permettent de se faire une idée de l’ampleur de la tâche qui attend les instituteurs. Pour la ville, savoir à qui l’on dispense des cours conditionne l’allocation de moyens supplémentaires aux instituteurs, aux enfants et à leurs familles.

Manuel Valls, alors maire d’Evry, a fait la même chose avant d’être enregistré à son insu en train de remarquer le déséquilibre ethnique de sa ville avec sa célèbre sorties : « Belle image de la ville d’Evry. Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos ? » Valls a ainsi procédé à un sondage express pendant la visite d’une  brocante, en recensant au doigt mouillé le nombre de Noirs, d’Arabes et, par élimination, de « Blancos », autrement dit ceux qui ne sont membres d’aucune minorité supposée visible. Il y a six ans, Valls a assumé ses propos en affirmant vouloir « lutter contre le ghetto. C’est quoi le ghetto? On met les gens les plus pauvres, souvent issus de l’immigration – et pas seulement – dans les mêmes villes, dans les mêmes quartiers, dans les mêmes cages d’escalier, dans les mêmes écoles« . Comment, peut-on se demander aujourd’hui, pouvait-il éviter la ghettoïsation des quartiers, des cages d’escalier et des écoles ? Même s’il a évoqué les facteurs économiques de l’exclusion – il parlait des plus pauvres – il est évident que la dimension culturelle –l’origine et la confession – est entrée dans ses calculs. S’est-il vraiment contenté des visites de brocantes pour empêcher la ghettoïsation des écoles primaires d’Evry ?

Pas besoin d’être un expert de l’INSEE pour faire pièce à la méthodologie statistique de Valls. Ceci étant, cette façon d’humer le terrain est la seule manière de se faire une idée de la réalité, quitte à violer l’esprit de la loi, sinon sa lettre.

Le sociologue Hugues Lagrange ne dit pas autre chose dans son livre dont le titre Le déni des cultures – renvoie dans leurs cordes les indignés professionnels. Décrivant les émeutes urbaines de l’automne 2005, Lagrange explique que celles-ci « ont d’abord impliqué des adolescents masculins qui cumulent plus de difficultés scolaires que les filles. Ces réalités sont l’expression d’arrangements familiaux et de rapports entre les sexes qui tranchent radicalement avec l’évolution des mœurs en Europe  […].”  Mais ces réalités sont occultées par des pouvoirs publics, de gauche comme de droite, qui hésitent entre “l’affirmation d’une indifférence […] à la confession, à la couleur de la peau et à la culture d’origine et des actions ostentatoires pour refouler les “nouveaux barbares” .

Lagrange fonde ses constats sur une connaissance fine de certains quartiers de Mantes-la-Jolie, en immersion parmi les habitants immigrés arrivés du Sahel ces vingt dernières années. Il met en évidence le choc des cultures et montre l’importance de facteurs telles que la polygamie, la taille des fratries, les relations intergénérationnelles qui assurent l’autorité du grand frère, ou la différence d’âge entre mari et femme. Le sociologue estime que sans la prise en compte de ces éléments ethnoculturels, il est impossible de comprendre l’échec des “politiques de la ville”, de proposer des solutions et d’allouer efficacement les moyens pour résoudre les difficultés des immigrés.

À cette nécessaire connaissance économique et anthropologique des populations que l’on administre, on continue à opposer le spectre de la rafle du Vel d’hiv. On essaie de nous faire croire que si jamais Robert Ménard recueille des données sur la religion et l’origine des enfants d’écoles biterrois, les wagons à bestiaux roulant vers l’Est se remettront en marche… C’est une véritable insulte aux victimes des années 1930 et 1940.

D’autres avancent que les catégories de fichage, loin de permettre de se faire une idée du réel, le façonnent, qu’à force de cocher la case « Juif » ou « né en France d’au moins un parent né en Afrique », on finit par devenir membre du groupe auquel nous assigne. Comme si nous n’étions pas déjà en situation de communautarisme et d’« identitarisme » galopant. Quand bien même les statistiques ethniques façonnent la réalité en même temps qu’elles la reflètent, ces données permettraient d’améliorer la situation, ne serait-ce qu’en remplaçant les fantasmes par des chiffres.

En fin de compte, le rejet violent et épidermique des statistiques ethniques s’appuie sur un mensonge généralisé. Tout le monde sait que c’est un ressort essentiel de l’action politique, et dresse sa comptabilité sauvage sous le manteau, mais malheur à celui qui – comme Valls hier et Ménard aujourd’hui – brise l’omerta. Le recensement ethnique ? Y penser toujours, le faire aussi souvent que possible mais n’en parler jamais…

*Photo : Pixabay.

Israël: Netanyahou arrache une coalition précaire

25

(Avec AFP) Benjamin Netanyahou est parvenu hier soir in extremis à former dans la douleur une coalition de gouvernement. Le Premier ministre sortant, reconduit depuis 2009, a conclu juste avant l’échéance de minuit un accord avec le parti nationaliste religieux Foyer juif, lui assurant dans le parlement issu des récentes législatives une majorité minimale de 61 sièges sur 120.

Malgré plus de quarante jours de marchandages et de surenchères, il a fallu à Netanyahou et ses collaborateurs négocier jusqu’aux derniers instants avec le Foyer juif pour arracher aux forceps une coalition de droite qui fait une place de choix aux nationalistes religieux et aux ultra-orthodoxes, aux dépens d’Israël Beytenou du nationaliste Avidgor Lieberman, ministre des Affaires étrangères qui a décidé d’entrer dans l’opposition, faute d’avoir obtenu gain de cause sur ses revendications laïque.

Mais la majorité que le Premier ministre s’est assurée au prix de concessions considérables est tellement ténue qu’elle est soumise au caprice, à la défection voire à l’absence du premier parlementaire venu. Le quadrige constitué par le Likoud de Netanyahou, le Foyer juif, les partis ultra-orthodoxes Judaïsme unifié de la Torah et Shass et le parti de centre-droit Koulanou menace d’être incontrôlable.

Certains commentateurs ne lui donnent même pas jusqu’à la fin de l’année. Ils spéculent déjà autour de l’idée, dans l’air depuis un moment, d’un gouvernement d’union nationale entre le Likoud et la gauche, bien que le chef du parti travailliste Isaac Herzog ait écarté cette éventualité.

L’accord conclu entre le Likoud et le Foyer juif de Naftali Benett concède en plus au parti nationaliste religieux la présidence de la commission parlementaire des lois, parachevant une emprise inédite sur l’appareil judiciaire, selon le quotidien Haaretz. Le Foyer juif obtiendrait aussi un poste de ministre adjoint de la Défense.

Ménard: la grande manip des statistiques ethniques

243

robert menard beziers

À propos de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Ménard, Emmanuelle Ory-Lavollée souhaite qu’on appelle un chat un chat. Alors je vais le faire, ne serait-ce que parce que j’ai la fâcheuse impression que c’est toujours du même côté que l’on se plaint de ne pouvoir le faire. Je pourrais pourtant faire remarquer qu’en matière de tabou et de confiscation langagière, les gens de gauche, je veux dire de la vraie gauche et pas du social-libéralisme au pouvoir, n’ont plus le droit, sous peine d’être accusés de bisounoursisme ou de néostalinisme, de critiquer en « appelant un chat un chat »  la politique du gouvernement en matière économique. Dire que les « réformes » qu’on nous vante sont des régressions pures et simples, que la « modernisation » de l’économie est un retour aux rapports sociaux les plus archaïques, que le patronat à force de cadeaux fiscaux se croit à peu près tout permis au point comme Philippe Varin de prendre quand même sa retraite chapeau – malgré ses engagements et des résultats désastreux. Le Medef ose même promettre un million d’emplois supplémentaires si on supprimait deux jours fériés. Pas 950 000 ou 1 200 000, non un million tout rond, ce qui prouve le sérieux de l’histoire…

Mais revenons à Robert Ménard. Robert Ménard a compté les élèves musulmans des écoles primaires de sa ville et il faudrait trouver cela : primo normal, secundo courageux. Ce n’est pas normal, d’abord, et c’est même passible des tribunaux. Oui, c’est effectivement un tabou. Et il y a de très bonnes raisons pour ça dans une France qui n’a jamais « communautarisé » sa vie sociale et politique. Il faut appeler un chat un chat? Alors allons-y. Cela rappelle de très mauvais souvenirs à la République Française quand elle n’était plus la République, justement, ces comptages divers et foireux en se fiant aux prénoms ou autres patronymes. Je ne me laisserai pas paralyser par le point Godwin. Il y eut bien une période où l’on compta dans les écoles, dans la fonction publique, chez les médecins, les juges, les avocats. On compta qui était Juif ou communiste ou socialiste ou franc-maçon.  Et cette parenthèse de notre histoire, même lointaine, ne doit pas être oubliée;

Secundo : Robert Ménard aurait été courageux.À moins de confondre le courage et la provocation, on voit surtout qu’il a mis en contradiction une partie de la gauche, comme Esther Benbassa qui plaide pour les statistiques ethniques afin de réduire les inégalités sociales qu’elle impute essentiellement à la discrimination. Ménard aura au moins rendu ce service aux gens de gauche qu’ils auront vu à quoi cela peut mener quand on se met à compter. Parce que le problème n’est pas de savoir pourquoi on compte, le problème, c’est simplement de compter. C’est dangereux quel que soit le but: jouer sur la panique identitaire chez Ménard ou se tromper d’égalité chez Benbassa.

Dernière remarque, toujours dans le jeu « appelons un chat un chat ». Ménard n’est pas n’importe qui, ce n’est pas l’enfant de la dernière pluie ni un perdreau de l’année. En linguistique, on distingue toujours l’énoncé de la situation d’énonciation. Quand on me dit que tel maire de telle commune a comme Ménard les listes des écoles primaires et agit en conséquence, que tel principal de collège dans sa répartition par classes fait sans le dire de l’équilibrage ethnique, ça ne légitime en rien les propos de Ménard. Parce que le maire de telle commune ou le principal de tel collège ne se sont pas, j’en passe et des pires, déclarés pour la peine de mort, n’ont pas interdit le linge aux fenêtres, décrété des couvre-feux pour ados dans certains quartiers, supprimé la garderie pour les enfants de chômeurs, installé des crèches dans leurs mairies (en réduisant au passage la laïcité à « Tout sauf l’Islam ») et last but not least débaptisé des rues d’une commune afin de continuer la guerre d’Algérie par plaques interposées.

Alors, non, décidément, je ne trouve pas que Ménard ait brisé quelque tabou que ce soit. Il poursuit seulement une stratégie de la tension, en flattant les crispations identitaires et, dans la foulée, en jouant la carte habituelle de victime de « la meute des bien-pensants ».

Ne tombons pas dans le panneau.

*Photo : wikicommons.

Intolérance zéro

79

valls racisme liberte expression

« Le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. » En annonçant son plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, Manuel Valls a utilisé cette formule devenue un lieu commun à force d’être ressassée. L’ennui, c’est que derrière son air d’évidence, elle est fausse. Le crimepensée, heureusement, ne figure pas dans le code pénal français. En conséquence, aussi condamnable que cela soit moralement, on a parfaitement le droit d’être raciste. Ce qui est interdit, c’est de le dire sur la place publique.

On pensera que je fais bien des chichis puisque, de toute façon, le racisme c’est mal. Ces chichis n’en protègent pas moins la plus précieuse de nos libertés et la seule qui ne connaisse aucune restriction, celle de penser – donc de mal penser.[access capability= »lire_inedits »] Certes, le Premier ministre n’a pas annoncé la création d’une police des reins et des cœurs – ça, les médias s’en chargent très bien. En revanche, il est décidé à renforcer la police de la parole. Le plan qu’il a présenté à Créteil comporte en effet trente-neuf gadgets et une révolution de notre droit des libertés. Parmi les premiers, on citera seulement les impayables « ambassadeurs du sport (…) formés à la citoyenneté, la laïcité et la lutte contre les préjugés ». La seconde consiste à changer radicalement le régime de la liberté d’expression dont les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme ont tenu à préciser qu’elle était « l’un des droits les plus précieux de l’homme ».

Depuis plus d’un siècle, les délits d’opinion, également appelés délits de presse, bénéficient d’un régime de faveur inscrit dans la grande loi libérale de 1881 sur la presse. Logique, puisque le délit n’est pas constitué par un propos diffamatoire ou injurieux, mais par sa publication. Dans l’esprit du législateur de l’époque, il s’agissait plus de défendre les journalistes contre les procès que de protéger leurs victimes. En plus d’un siècle, et bien que le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie soient devenus des circonstances aggravantes, les peines de prison ferme prononcées sur la base de cette loi doivent se compter sur les doigts d’une main – le dernier cas en date étant celui d’Anne-Sophie Leclère, condamnée à huit mois fermes par le tribunal de Cayenne pour avoir diffusé une image raciste sur Mme Taubira. En de tels domaines, on considère en effet que la véritable sanction, c’est l’opprobre public attaché à une condamnation. Cependant, les abus étaient sanctionnés, tandis que les censeurs et autres empêcheurs de caricaturer en rond étaient le plus souvent déboutés.

Seulement, dans l’effervescence de l’après-Charlie, le gouvernement devait montrer qu’il faisait quelque chose – en l’occurrence n’importe quoi. « L’impunité sur internet, c’est fini ! », a grondé le Premier ministre. Toutefois, il n’a pas précisé ce qui empêchait de faire respecter la vieille loi sur internet ni expliqué comment on ferait respecter la nouvelle, dont on sait seulement qu’elle fera revenir ces délits dans le droit commun, autrement dit qu’elle rapprochera le régime de la parole de celui des actes. De même que l’apologie du terrorisme relève des chambres et de la loi antiterroristes, l’auteur d’un propos jugé attentatoire à l’honneur de telle ou telle communauté sera jugé sur la base des mêmes textes et par les mêmes tribunaux que l’agresseur d’un membre de cette communauté. Ce qui revient à postuler qu’il est aussi grave de dire des conneries que d’en faire.

Éminemment contestable sur le plan des principes, cette réforme est d’autant plus inquiétante que la définition du racisme semble s’étendre chaque jour. Par exemple, lorsque l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme révèle que 70 % des Français trouvent qu’il y a trop d’immigrés en France et que 45 % affirment avoir une opinion négative sur l’islam, les gazettes concluent unanimement à la progression du racisme. Dans ce contexte, on peut tout imaginer, y compris un tribunal condamnant un prévenu pour « opinion négative sur l’islam ».

On n’en est pas là. Reste que vous feriez mieux de commencer à surveiller vos propos, car l’État les surveille pour vous et les surveillera de plus en plus. Le plus révoltant, quand on y pense, c’est que ce mauvais coup contre la liberté d’expression réponde à un attentat qui visait précisément, à travers les dessinateurs, la liberté d’expression. Heureusement que les frères Kouachi n’ont aucune chance d’être au paradis, parce que cette victoire posthume les enchanterait. Quant à Charb, j’espère que, là où il se trouve, il y a des jolies filles et du bon vin, mais pas de télé.[/access]

Affaire Ménard: Surtout, ne rien voir!

Robert Ménard statistiques ethniques fichage

La France est en émoi. L’infréquentable Robert Ménard a levé le voile sur une des plus belles hypocrisies de la république. Il aurait comptabilisé le pourcentage d’élèves immigrés de sa commune… Comment ? En consultant les inscriptions à l’école qui, comme dans toutes les mairies, relèvent de ses prérogatives. L’omniprésente Najat s’est immédiatement saisie du problème. Formant pour l’occasion un émouvant chœur des vierges avec Cécile Duflot, elles ont fustigé à deux voix l’attitude offensante, excluante – un mot inventé pour l’occasion –, antirépublicaine, discriminante. Elles ont déploré les valeurs foulées au pied, le bras de fer avec l’état de droit, les dérives, la milice, alors que le ténor Christophe Borgel entonnait la partition de la stigmatisation, du nauséabond. Une exceptionnelle richesse de vocabulaire…

Tous étaient d’accord, Valls compris, sur une formulation de « honte au mandat de maire », de « menace pour le vivre ensemble » et d’atteinte au « principe de laïcité ». Le procureur de la république a été saisi. Il fut un temps où Manuel Valls n’était pas opposé au principe de réalité, voire de réalisme, qui conduirait à s’informer de l’identité des personnes qui vivent sur notre sol. Avant d’endosser la posture de l’indignation permanente, n’avait-il pas demandé –hors caméra croyait-il – à ce que plus de blancos, de white, de blancs soient présents lors d’une visite officielle à Evry. Blancos, c’est plutôt discriminant ou nauséabond professeur Vallaud-Belkacem ?

Par ailleurs, un maire qui prend des libertés avec la loi, c’est problématique… mais n’est-ce pas déjà arrivé ? Neuf ans avant la loi Taubira, le maire de Bègles avait décidé de son propre chef d’unir deux hommes. Il avait certes été suspendu un mois et les tourtereaux avaient vu leur union annulée, mais se souvient-on de propos d’une telle violence à son égard, d’une telle « stigmatisation » ?

L’actualité bégaie… chaque semaine un esclandre plus gros que le précédent vient alimenter l’insatiable tintamarre public et c’est une fois encore par l’extrême droite que le scandale arrive… Dans une chorégraphie millimétrée, les maîtres à penser socialistes organisent l’indignation nationale. Et ça marche, chaque citoyen finit par adopter ce vocabulaire connoté. Ce matin, sur RTL au sujet de l’uniforme à l’école, une jeune femme témoigne : « Quelle ne fut pas ma surprise de voir que chaque école était stigmatisée par une couleur »… La couleur de blouse, c’est plutôt stigmatisant ou excluant professeur Vallaud-Belkacem ?

L’inquiétude des Français à l’égard de l’immigration va grandissant. L’absence d’informations fiables sur la question en est un des carburants. Comment imaginer qu’un sujet soit pris en compte s’il n’est même pas évaluable ? Comment apporter des réponses satisfaisante à des questions dont on ne connaît ni les détails ni l’ampleur ? Où, à part en France, est-il admis que pour mieux traiter les problèmes, il faut les ignorer ?

Pourquoi est-il impossible en France d’appliquer ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons sans émotion ? En quoi connaître l’origine des personnes conduirait automatiquement à en brimer certaines ? Ce débat est d’une hypocrisie révoltante : d’une part parce que le comptage existe dans le cadre de certaines enquêtes, d’autre part parce que même dans les rangs de la gauche prisonnière de ses doctrines, l’opportunité d’une telle démarche est reconnue par certains. L’interdiction de statistiques, supposée garantir le « vivre ensemble » conduit à cristalliser les peurs, y compris irrationnelles.

En France, pays du tabou, nommer les choses est un délit. Il est interdit d’appeler un chat un chat. Tout juste est-il permis de fermer les yeux et d’attendre des jours meilleurs… Une méthode qui a d’ailleurs fait ses preuves : on a attendu la reprise et « la reprise, elle est là ». Peut-être qu’à force de se cacher un problème, « le problème, il disparaît » ?

*Photo : © AFP Pascal Guyot

Nous, hommes journalistes harcelés…

78

harcèlement manifeste femmes journalistes politiques Libération

Ah, le « harcèlement »… Ce drame contemporain, bien que dénoncé quotidiennement dans tous les médias consciencieux, continue encore et toujours de faire des ravages et n’épargne personne. La preuve : même des femmes diplômées, qui côtoient les puissant-e-s de ce monde et vivent de leur plume en crapahutant sous les ors de la République, subissent parfois l’inqualifiable. Les mots de « machisme » et de « sexisme » paraissent en effet bien faibles, pour nommer les souffrances intolérables qu’infligent tant d’hommes politiques aux femmes journalistes. C’est ce que nous apprend le dernier « manifeste » de chez Libération, signé par 40 d’entre elles « avec le soutien de Ruth Elkrief » et intitulé : « Nous, femmes journalistes politiques et victimes de sexisme… »

Dans la gazette du Marais, nos malheureuses consœurs égrènent les exemples les plus insoutenables du « paternalisme lubrique » qui les afflige. Attention les yeux : « C’est un membre du gouvernement qui fixe intensément le carnet posé sur nos genoux en pleine conférence de presse présidentielle. Jusqu’à ce que l’on réalise que, ce jour-là, nous portions une robe (il était temps, Ndlr). » Oh my God ! Ou encore plus trash : « A la question « s’il ne fallait retenir qu’un moment de votre première année parlementaire, ce serait lequel ? » c’est un député qui répond dans la minute « quand vous m’avez proposé un déjeuner » » Odieux ! Et ce n’est pas tout, il y a aussi les abjectes propositions faites par texto, telles que l’ignoble : « Une info, un apéro. » Bref, rien que du très, très lourd.

Les copines ont raison, le harcèlement touche violemment les journalistes. Mais elles en oublient la moitié, qui ne songeraient pas une seconde à se plaindre des « habitudes machistes, symboles de la ringardise citoyenne et politique » d’hommes « hétérosexuels plutôt sexagénaires ». Le harcèlement, c’est aussi cette étudiante, avec qui on accepte un déjeuner, et qui nous envoie un texto dans la foulée : « Tu n’es pas très joueur… » Puis qui nous fait un strip-tease torride par webcam interposée pour s’assurer d’être prise en stage. Une fois embauchée, pour être certaine que son travail soit apprécié, elle attendra qu’on soit seuls dans les bureaux, le soir, pour nous proposer une gâterie sur mesure.

C’est cette collaboratrice qui nous informe par messagerie instantanée, depuis son poste de travail situé à deux mètres à peine, d’une soudaine envie de se faire « prendre par derrière ». Quand ce n’est pas cet écrivain à forte poitrine qui nous glisse une main sous la chemise, dans un prix littéraire où nous sommes membre du jury, et nous promet une fellation inégalable dans l’escalier de service. Ou cette actrice qui nous confie, en pleine interview, qu’elle ne porte jamais de sous-vêtements. Sans compter les généreux « contacts professionnels » de sexe féminin qui nous bombardent de selfies irrésistibles, toute poitrine offerte face à leur miroir, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Ah, le harcèlement sexuel au travail… Ce jeu sans fin que nous offrent tant de femmes hétérosexuelles aguicheuses de moins de soixante ans, pour peu que l’on ait le moindre petit pouvoir dans n’importe quel domaine, ne nous lassera jamais. Quelques bigotes attardées pleurnichent sans oser dénoncer personnellement – ou gifler – les vieux lourdauds qui les importunent ? Pour notre part, ce n’est pas demain que nous réunirons un collectif des « victimes » d’allumeuses de journalistes mâles. Au contraire, pourvu que ça dure : comme le dit si bien ma consœur à l’accent et aux talons follement sexy, Paulina Dalmayer, dans Causeur ce mois-ci : « Oh oui, harcelez-moi ! »

*Photo : VINCENT WARTNER / 20 Minu/SIPA/1308281758

Collège vranzais kaputt!

81
allemand reforme college

allemand reforme college

Parmi les aberrations de la réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem, on a relevé le mauvais coup, peut-être fatal, porté à l’enseignement de la langue de Goethe dans le premier cycle de l’enseignement secondaire. On s’en est ému jusque dans les sphères gouvernementales à Berlin, où des juristes pointilleux estiment que les mesures annoncées contreviennent à l’esprit du traité de l’Elysée de 1963. Cette charte de la réconciliation franco-allemande, signée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, stipule en effet que « les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande ». Longtemps, la lettre, sinon l’esprit, de ce chapitre du traité semblait avoir été respectée : la démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire dans les deux pays avait, en chiffres absolus, fait croître régulièrement le nombre des élèves apprenant l’allemand en France et le français en Allemagne.

Ce tour de passe-passe statistique masquait le fait que la proportion des apprentis germanophones et francophones était en constante régression : l’obligation de l’apprentissage d’une seconde langue vivante était progressivement réduite en Allemagne, notamment dans la filière professionnelle des Realschule[1. En Allemagne, on a abandonné les tentatives de « Gesamtschule » (collège unique) pour rétablir un système dual général (Gymnasium) ou professionel (Realschule). On pourra comparer les résultats français et allemands en regardant le taux respectif du chômage des jeunes…], et l’espagnol s’impose en France comme seconde langue archidominante. Les enfants et adolescents étant principalement mus par la loi du moindre effort et du plaisir maximum, ils consentent à apprendre l’anglais, ou plutôt le « globish » appauvri, qui vous ouvre l’espace de la consommation matérielle et culturelle mondialisée. Ils ne voient aucune raison de se soumettre à la discipline d’apprentissage pénible d’une langue exigeante, où il ne s’agit pas de « construire son savoir » avec des méthodes ludiques, mais de s’enfoncer dans le crâne des règles de grammaire et de construction du discours notablement différentes de celles de sa langue maternelle. Et puis, pour aller s’éclater en boîte à Berlin le temps d’un week-end Easyjet, le « globish » est largement suffisant pour commander ses bières et amorcer un plan drague…
À treize ou quatorze ans, lorsqu’il s’agit de cocher la case « langue II » sur la fiche de vœux pour le passage en 4ème, l’ado concerné a affuté ses arguments pour persuader ses géniteurs de l’inscrire en espagnol : l’apprentissage de la langue de Cervantès lui ouvrira les portes du vaste monde, de Madrid à Buenos-Aires en passant par Mexico et Caracas… La ruse pour justifier la paresse est soutenue par la capacité de ces mêmes ados à tanner leurs parents jusqu’à ce qu’ils craquent, y compris sous la pression du chantage : « Si tu m’inscris en allemand, je n’en ficherai pas une rame, d’ailleurs, au brevet, la deuxième langue, c’est qu’une option… ».

Najat Vallaud-Belkacem vient de priver les parents adeptes de la résistance à la nonchalance juvénile du dernier argument qui leur restait pour contraindre leur progéniture à se colleter avec les subtilités de la déclinaison de l’adjectif germanique. Elle a mis fin d’un trait de plume à l’existence des classes bilangues en 6ème, ou l’on apprend simultanément l’anglais et l’allemand. Trop élitiste ! Manière détournée d’échapper au « collège unique », où tout le monde fait tout, c’est à dire rien. C’est vrai : pour apprendre l’allemand avec un minimum de succès, il convient d’être à l’aise avec sa propre langue, dans le vocabulaire comme dans la compréhension de sa grammaire, ce qui exclut pas mal de monde. Les classes bilangues, pourtant, n’étaient pas seulement un refuge pour gosses de bobos, mais permettaient aussi à une minorité d’enfants issus des milieux dits défavorisés, les plus doués, d’échapper au déterminisme social. S’il s’agit de donner des perspectives d’emploi à ces jeunes, c’est bien l’allemand qu’il faut leur enseigner pour leur permettre d’aller outre-Rhin combler le déficit démographique d’une puissance industrielle vieillissante ! C’est ce qu’ont déjà compris un grand nombre de ressortissants de pays du Moyen-Orient, Palestiniens, Syriens, Irakiens fuyant la guerre, et se construisant une existence acceptable, et parfois confortable, à Hambourg, Munich ou Stuttgart…

Quant aux jeunes bourgeois de l’Hexagone, s’ils avaient un minimum de jugeote, et même s’ils voulaient exercer astucieusement leur droit à la paresse, ils devraient comprendre que dans un contexte de concurrence effrénée pour l’accès aux bonnes places, la maitrise de l’allemand leur donnerait un avantage certain sur leurs concurrents balbutiant bêtement l’espagnol. Un simple coup d’œil sur la structure des échanges, l’intégration des économies à l’échelle européenne, le marché de l’emploi des cadres suffira à les persuader…
On trouvera également quelques bénéfices secondaires à pouvoir accéder, dans la langue originale à quelques auteurs pas totalement inintéressants : qui, sinon les profs d’allemands, espèce en voie d’extinction pourra faire apprécier le Faust de Goethe, ou L’Allemagne, un conte d’hiver de Heinrich Heine ? Mais cela est peut-être trop demander à Mme Vallaud-Belkacem.

Cette dame, par ailleurs, dispose d’un don exceptionnel pour se payer notre cafetière (« Unsere Kaffeekanne zu bezahlen ») : pour calmer l’ire des Germains, elle a précisé que l’on allait pouvoir être initié à l’allemand dès le CP, dans le cadre d’une « carte des langues » sur le territoire, où, en fonction des besoins et des demandes, d’autres langues que l’anglais pourraient être enseignées en primaire. J’entends déjà les hurlements des parents dont les mioches pourraient être privés d’anglais précoce ! Résultat prévisible : l’allemand au CP, ce sera pour les Alsacos !

Ajoutons, pour conclure, que point n’est besoin d’aimer les Allemands pour apprendre leur langue. On peut arrêter l’allemand et se mettre au boche.

*Photo : Pixabay.

Y a-t-il un Amok dans l’avion?

5
amok andreas lubitz

amok andreas lubitz

La catastrophe de l’Airbus de Germanwings a révélé au public un phénomène aux conséquences potentiellement dévastatrices : celui de l’amok. Qu’est-ce que l’amok ? Le dictionnaire nous apprend que le terme dérive d’un mot malais, « amuk », qui signifie « rage incontrôlable ». Observé par des ethnologues dans des contrées variées, allant de la Malaisie à la Terre de Feu, l’amok est une folie homicide qui affecte brutalement un sujet, toujours de sexe masculin, agissant seul. Cet accès subit de violence meurtrière débouche sur la mort de l’individu après qu’il a lui-même tué un nombre plus ou moins élevé de personnes. Il s’agit donc d’un équivalent de suicide (direct ou indirect), accompagné d’une libération de pulsions homicides. Le mécanisme psychologique qui mène à l’amok est la décompensation de frustrations importantes (humiliation publique, échecs répétés…), induisant un désir de vengeance à l’encontre d’autrui et de mort pour soi-même. Par extension, on parle d’amok pour qualifier le fou qui se précipite, fer en main, contre tout ce qui se présente, ne finissant sa course que dans la mort, dans un spectaculaire carnage collectif. L’homme qui est la proie de cette frénésie, « dès qu’il a vu le sang couler, n’épargnera personne, ni amis, ni enfants, ni parents. Une force surnaturelle l’anime » (H. Fauconnier, Malaisie). Si l’amok a été décrit dans les sociétés traditionnelles, où il est ordinairement perpétré à l’arme blanche, on peut en trouver l’équivalent moderne dans les exactions de tueurs fous munis d’une arme à feu, s’achevant par l’exécution ou le suicide du meurtrier. Les États-Unis notamment sont fréquemment secoués par de tels drames. Dans la société moderne, l’interprétation sociologique ou religieuse qui était celle des sociétés traditionnelles cède le pas à une explication pathologique : les amoks sont des malades mentaux (presque) comme les autres, en tout cas parmi tant d’autres.[access capability= »lire_inedits »]

Andreas Lubitz était donc un amok, meurtrier suicidaire qui a entraîné dans la mort 149 personnes. Et notre société abrite, n’en doutons pas, d’autres individus susceptibles de basculer dans cette folie criminelle. Tout cela fait peur, très peur, et pas seulement à ceux qui sont sur le point de prendre l’avion.

L’émotion bien légitime suscitée par cette tragédie a soulevé la question de la prévention, qui échoit logiquement au détenteur du monopole de la violence légitime, l’État. Et l’État, mis en demeure d’empêcher les amoks de sévir, se tourne vers les experts patentés de la santé mentale, les médecins. L’affaire semble entendue : il faut que les médecins dépistent les amoks potentiels, c’est-à-dire, puisque le phénomène est soudain, les personnes « à risque » – donc à la fois celles qui sont « susceptibles de faire une crise d’amok » et celles « dont une crise d’amok aurait des conséquences sociales catastrophiques ».

Pour le deuxième sens, le pilote d’avion de ligne est ici archétypal. Son contrôle étroit est réclamé par la population et semble aller de soi. Mais qu’en est-il de la première acception ? Comment repérer avec un degré de certitude suffisant les futurs amoks ? C’est ici que l’exercice devient très difficile, en fait quasi impossible. L’expertise psychiatrique ne peut pas prévoir l’avenir avec certitude, elle prévoit au mieux un risque de dérapage. Beaucoup de gens ont eu des troubles psychiques dans leur vie, et s’en sont bien remis. Parfois ils gardent une fragilité, mais cette fragilité ne les prédispose nullement à s’en prendre à autrui et n’impacte pas leur aptitude professionnelle, même quand ils sont pilotes de ligne. Les chiffres sont éloquents : la psychose maniaco-dépressive (forme la plus grave de dépression nerveuse) touche presque 1 % de la population ; cela veut dire que 1 % d’entre nous fera au moins un épisode de dépression grave dans sa vie ! Et les syndromes schizophréniques ont à peu près la même prévalence… Voilà déjà 2 % de la population générale affectée d’une pathologie psychiatrique sérieuse ! Et il faut ajouter tous les autres problèmes psychologiques qui peuvent se développer chez l’homme de la rue, aussi lisse et banal semble-t-il de l’extérieur : dépression légère, burn-out, anxiété, crises d’angoisse, troubles du sommeil, troubles obsessionnels compulsifs, instabilité psychomotrice, névroses, phobies, perversions… Les troubles de la personnalité au sens large sont un abîme où chacun peut être plongé d’un coup de baguette psychiatrique. Il paraît même que les difficultés sentimentales font partie de ces « problèmes » qui pourraient déclencher une crise d’amok ! Le cas Lubitz l’a bien montré : sa compagne, enceinte, venait de le quitter… Et on lui confie un avion de ligne, quelle imprudence, quelle négligence !

Et puis, pourquoi se limiter à la psychiatrie ? Il y a les problèmes médicaux somatiques, le champ immense de la neurologie (épilepsies, troubles cognitifs, accidents vasculaires, ictus amnésiques…), de la cardiologie (troubles du rythme cardiaque, malaises divers…), de l’ophtalmologie (atteinte de l’acuité ou du champ visuel…)… Si on devait éliminer de la vie professionnelle toutes les personnes « à risque », il ne resterait pas grand monde sur le pont ! Car ce qui vaut pour les pilotes d’avion vaut pour tout conducteur, qui peut mettre les autres en danger par un comportement inapproprié – imaginez un amok pilotant un TGV, un TER, un métro, un bus ou un camion, voire une simple voiture, tout à fait capable de tuer quelques innocents quand elle est lancée à contresens sur l’autoroute ? Et il y a aussi péril dans ce policier en possession d’une arme de service, dans ce soldat qui patrouille dans le cadre du plan Vigipirate, dans ce chasseur du dimanche, dans ce collectionneur d’armes… De plus, pourquoi s’arrêter à l’amok ? Ne faudrait-il pas prendre en compte plus largement le risque de mal faire son travail ? Pour peu qu’on y pense sérieusement, on découvre partout des failles : le professeur qui instruit mal les gosses, le chirurgien qui opère mal ses patients, le garagiste qui répare mal les voitures, le patron qui dirige mal son entreprise, tout cela pour de lourdes raisons psychiques ou physiques ; tous ces malades en puissance sont aussi très nuisibles. Sans compter l’ingénieur employé d’une centrale nucléaire, dont les penchants mélancoliques cachent peut-être de funestes intentions ! À dénoncer sans tarder à la « police du travail » – pardon, la « médecine du travail » !

Toute à son fantasme sécuritaire, la société exige de la médecine un contrôle de plus en plus pesant des individus. Les experts devraient prédire les comportements déviants, édicter et imposer la norme pour tout et pour tous, se porter garants de l’hygiène physique et mentale, soigner les malades qui peuvent l’être ou exclure du champ social ceux qui se révèlent incurables (et ils sont nombreux – les capacités diagnostiques de la médecine excèdent largement ses capacités thérapeutiques, en particulier en psychiatrie). On passe du « surveiller et punir » de Foucault au « contrôler et juguler »… La médecine préventive qu’appellent de leurs vœux des citoyens bien intentionnés, mais peu clairvoyants, pourrait se retourner contre eux.

Jusqu’à présent, les médecins ont résisté à cette demande. Estimant être au service, non de la société en général, mais de leurs patients en particulier, ils ont à cœur de remédier à leurs difficultés d’insertion professionnelle et sociale. Ainsi ce sont bien les psychiatres qui ont été à l’origine du mouvement de « désinstitutionnalisation » qui a ouvert les portes de l’hôpital psychiatrique et permis à des centaines de milliers de gens de reprendre une vie sociale. Mais la pression de la société s’accroît, et grandit chez les médecins la tentation de régner en experts, voire de s’abandonner à un exercice totalitaire de la médecine prédictive en monnayant un savoir respecté.

Le risque social lié aux pathologies non dépistées doit donc être mis en balance avec le risque de détruire la vie des malades potentiels mis sur la touche. De même que pour les malades mentaux qu’on hésite à laisser dans la nature, la chasse aux amoks et autres mabouls repose sur un équilibre délicat entre principe de précaution (pour la société) et principe de bienfaisance (pour le patient). « Si on devait traiter les gens selon la justice, peu d’entre nous échapperaient au fouet », disait Nietzsche. Pourrir la vie de tous pour sauver celle de quelques-uns : voilà ce qui nous menace avec l’obsession sécuritaire d’une médecine et d’une psychiatrie chargées d’assurer le « risque zéro ». Que les gens qui réclament à hauts cris des mesures préventives fassent leur examen de conscience – ou plutôt leur examen médical. Ou bien on met tout le monde hors jeu, et donc au chômage (ou plutôt en invalidité): cloîtré chez soi ou enfermé à l’hôpital psychiatrique, aucun d’entre nous ne sera plus un danger pour les autres. Les amoks potentiels n’auront plus qu’à se frapper la tête contre les murs – qu’on aura pris soin de molletonner. Il faut savoir garder raison – ou, en l’occurrence, déraison. Les dangers du dépistage extensif des maladies physiques et mentales doivent nous convaincre d’en rabattre d’un cran dans nos prétentions de maîtrise des risques. Il nous faut vivre avec les amoks, comme nous l’avons toujours fait.[/access]

*Photo : Michael Mueller/AP/SIPA. AP21731084_000002.

Législatives en Grande-Bretagne: Brexit or not Brexit?

2

Londres (AFP) – Les Britanniques votaient jeudi à l’occasion des législatives les plus incertaines depuis quarante ans, au point que des jours voire des semaines de tractations pourraient être nécessaires avant de savoir qui, du conservateur David Cameron ou du travailliste Ed Miliband, gouvernera le pays.

De Belfast à Cardiff, d’Édimbourg à Londres, plus de 45 millions d’électeurs étaient invités à se rendre dans les 50.000 bureaux de vote ouverts jusqu’à 21H00 GMT. Heure à laquelle sera diffusé un premier sondage de sortie des urnes.

Les lieux sont parfois insolites, avec des urnes ouvertes dans des pubs, des écoles primaires, des églises, un bus scolaire, une caravane, un moulin à vent, une maison de retraite et même un temple hindou.

Les principaux dirigeants avaient rempli leur devoir électoral à la mi-journée, qu’il s’agisse du Premier ministre sortant David Cameron, accueilli par trois manifestants, du vice-Premier ministre libéral démocrate Nick Clegg, du chef de l’opposition travailliste Ed Miliband, ou du leader du parti europhobe UKIP, Nigel Farage.

En Ecosse, la chef de file des nationalistes écossais du SNP Nicola Sturgeon est apparue tout sourire : elle espère un raz-de-marée.

Les titres de la presse londonienne soulignaient avec emphase jeudi l’incertitude du résultat, et la gravité des enjeux.

« Le jour du jugement dernier », titre ainsi le Times conservateur, avec une photo du parlement de Westminster dans un ciel d’apocalypse.

« Ne faites rien que vous regretterez », avertit le Daily Telegraph, également proche des tories.

« Cela ne pourrait pas être plus serré », constate le Guardian de gauche, qui livre le dernier sondage ICM. Il place à égalité conservateurs et travaillistes à 35%, devant l’Ukip à 11% et les libéraux-démocrates à 9%.

– Elizabeth II s’abstient –

Les citoyens britanniques, les ressortissants du Commonwealth et de la République d’Irlande résidents au Royaume-Uni, âgés de 18 ans ou plus, peuvent aller glisser leur bulletin dans les urnes, après avoir coché au crayon le candidat de leur choix. Ils sont 3.971 en lice à l’échelon national.

Des milliers cochaient aussi virtuellement le mot dièse « #IVoted » sur Twitter, certains ignorant les restrictions imposées aux médias sur la confidentialité du vote.

« C’est extrêmement important de voter », a souligné Adam Banks, 28 ans, à la sortie de l’isoloir à Angel (nord-est de Londres) en référence au coude-à-coude entre les principaux partis. En 2010, le taux de participation avait atteint 65%.

Seuls les Lords et les prisonniers ne peuvent pas voter, tandis la reine Elizabeth II s’abstient, en vertu de sa sacro-sainte neutralité.

Les premiers résultats sont attendus aux alentours de minuit. La tenue en parallèle d’élections locales dans tout le pays, sauf à Londres et en Écosse, ralentira le dépouillement.

Les analystes scruteront tout particulièrement l’issue du scrutin dans quelque 100 « marginals », les circonscriptions critiques susceptibles de basculer d’un camp à l’autre.

David Cameron, 48 ans, et Ed Miliband, 45 ans, sont tous deux susceptibles de revendiquer la victoire après une nuit blanche, si le résultat est aussi serré que prévu. Les chiffres définitifs ne sont pas attendus avant l’après-midi de vendredi.

Dans le cas probable où aucun des deux grands partis n’obtient la majorité absolue de 326 sièges à la chambre des Communes, des tractations commenceront immédiatement avec les plus petites formations, ravies de se voir transformées en « faiseurs de roi ».

– Combinaison gagnante –

David Cameron Ed Miliband

En 2010, cinq jours avaient été nécessaires pour aboutir à la formation d’un gouvernement de coalition entre conservateurs et libéraux-démocrates. Mais cette fois, les experts envisagent des négociations autrement plus compliquées et longues, avec à la clef une combinaison politique qui pourrait être instable.

Le parti centriste des Lib-dems emmenés par le vice-Premier ministre Nick Clegg, est bien placé, comme en 2010, pour offrir ses services à droite ou à gauche, s’il conserve suffisamment de sièges pour faire la différence.

A la gauche du Labour, les nationalistes écossais du SNP espèrent multiplier par 8 leur présence à Westminster, en raflant une cinquantaine des 59 circonscriptions que compte l’Écosse. Mais une alliance avec le SNP serait sulfureuse pour le Labour, parti unioniste. Le but des nationalistes reste à terme l’indépendance de l’Ecosse.

Les autres petits partis demeurent marginaux dans l’équation: l’UKIP, malgré ses 14% dans les sondages, peinera à décrocher plus de 5 députés. Les Verts en escomptent 1 avec 5%, tandis que les unionistes du DUP nord-irlandais comptent remporter au moins neuf sièges.

L’économie, l’immigration et le devenir du NHS, le service public de santé, ont constitué les thèmes forts de la campagne.

Une réélection de Cameron raviverait les appréhensions des autres capitales européennes, le dirigeant tory ayant promis de tenir un référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, d’ici fin 2017, qui risque de se traduire par un « Brexit », une contraction pour « British-exit ».

*Photo : © AFP ADRIAN DENNIS

Loi sur le renseignement: comment gérer l’information

29
loi renseignement ecoutes

loi renseignement ecoutes

Faut-il se lamenter ou se réjouir de la « Loi sur le renseignement » adoptée en première lecture mardi par l’Assemblée nationale ? La lutte contre le terrorisme qui inclut nécessairement la prévention ne peut écarter aucun risque, ni accepter aucune négligence. Ce ne sont pas ces technologies innovantes en elles-mêmes qui doivent susciter l’inquiétude mais, outre certaines formulations ambiguës du texte législatif, les conditions dans lesquelles la psyché humaine des utilisateurs potentiels en disposera. Le spectre des tentations inconscientes offertes par l’acquisition non consentie d’un savoir sur autrui s’en trouve singulièrement élargi. Certes, l’évocation d’une telle perspective pourrait être de nature à offenser ces hommes et ces femmes, membres des services français, qui accomplissent chaque jour un travail destiné à nous protéger. Leur idéal patriotique n’est pas en cause à condition de ne pas servir d’habillage surmoïque pour des activités au contenu et aux finalités peut-être mal assumés.

Car l’histoire de notre pays abonde en exemples de détournements d’informations politiques sensibles, plus préjudiciables à leurs collègues hexagonaux que nuisibles aux véritables ennemis de la République. Informations que leurs détenteurs se plaisent à divulguer pour compenser leurs propres défaillances narcissiques. Débouté de toute reconnaissance dans ce travail d’invisibilité, l’anonymat de l’ombre excite ces petites vanités qui réclament, tout comme les petits besoins disait un ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay, une urgente satisfaction. Et la rétention de données – pour filer la métaphore de l’analité psychique – qu’une incorrigible tradition dans l’administration française assimile à la détention du pouvoir, concourt sans doute à l’aggravation du phénomène.

Voir sans être vu, acquérir subrepticement des connaissances sur l’alter ego, accumuler ce matériel et percer – pour ne pas dire pénétrer – tous ses mystères, bref, faire de l’autre une maison de verre incapable de résister à la projection de la toute-puissance investigatrice :  sans doute les adeptes les plus obsessionnels de la cryptophilie[1. J’en donne une illustration dans mon étude clinique « Les Mixed Martial Arts sont-ils solubles dans la pulsion sexuelle de mort ? ».], au cœur des métiers du renseignement, trouveront-ils dans cette nouvelle palette de mécanismes intrusifs, matière à jouissance. Celle de cette part de libido composée d’éléments de nature narcissique et homosexuelle devenue « libre par frustration » et qui se « retire sur le moi ».

La faculté professionnelle d’en savoir davantage sur l’autre conduit, lorsque celle-ci est exploitée à mauvais escient, à la pulsion d’emprise : une bête noire tapie dans les recoins les plus obscurs de notre contre-transfert et dont nous nous méfions, nous autres analystes, comme de la peste. Ceux qui en sont victimes deviennent des gourous dénoncés et rejetés par la profession. Ce déséquilibre entre celui qui sait et celui qui ignore n’est d’ailleurs pas sans raviver les souffrances enfouies de l’asymétrie infantile, la séduction originaire dans les relations entre l’adulte et l’enfant : il en suggère l’exacte revanche sous la forme d’un contrôle qui vise à placer, dans le cadre de cette loi, le suspect sous étroite surveillance dans un délire paranoïde de l’observation : la cible comme l’observateur s’y rejoignent étrangement, la première par l’angoisse de persécution, le second par la crainte névrotique d’être démasqué. Un délire dont le contenu « donne à entendre que le fait d’observer n’est qu’une préparation pour celui de juger et de punir » rappelle Freud  dans « La décomposition de la personnalité psychique »[1. « Nouvelles suites des leçons d’introduction à la psychanalyse », op. cit., t. XIX, PUF, 1995].

Le remède pourrait fort heureusement advenir avec le mal : faisons confiance aux confidences vantardes des parlementaires siégeant dans la nouvelle Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignements (CNCTR) tout comme aux conséquences des sourdes rivalités entre les représentants du Conseil d’Etat et les magistrats de la Cour de Cassation pour apprendre à notre tour par la presse tout ce que cette loi s’efforce de nous dissimuler !

 

Bronca anti-Ménard: Cachez ces statistiques ethniques…

108
menard statistiques ethniques valls lagrange

menard statistiques ethniques valls lagrange

Lundi soir dans l’émission Mots croisés, Robert Ménard a mis le pied dans un plat rempli de bons sentiments : lui et sa mairie établissent des « statistiques ethniques « sauvages » des élèves de primaire de la ville. Il faut dire que le maire de Béziers, élu avec le soutien de Debout la France – vous savez déjà qu’il est soutenu par le FN car tout  journaliste qui se respecte ne manque jamais de nous le rappeler –, est allé assez loin dans ses propos chez Anne-Sophie Lapix, évoquant un chiffre très précis : il y aurait 64.6% d’élèves d’origine musulmane dans certaines classes biterroises, d’après les données – formellement interdites par la loi – que ses services municipaux ont recueillies.

Il faut savoir qu’en privé, les maires reconnaissent la généralité de cette pratique. Lorsqu’il s’agit de gérer le logement, l’éducation, ou la culture, chacun essayant alors de connaître les origines et la confession de ses administrés. Un maire chevronné m’a raconté comment, à chaque rentrée scolaire, il scrute les listes d’élèves placardées aux portes des classes car ses statistiques sauvages lui permettent de se faire une idée de l’ampleur de la tâche qui attend les instituteurs. Pour la ville, savoir à qui l’on dispense des cours conditionne l’allocation de moyens supplémentaires aux instituteurs, aux enfants et à leurs familles.

Manuel Valls, alors maire d’Evry, a fait la même chose avant d’être enregistré à son insu en train de remarquer le déséquilibre ethnique de sa ville avec sa célèbre sorties : « Belle image de la ville d’Evry. Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos ? » Valls a ainsi procédé à un sondage express pendant la visite d’une  brocante, en recensant au doigt mouillé le nombre de Noirs, d’Arabes et, par élimination, de « Blancos », autrement dit ceux qui ne sont membres d’aucune minorité supposée visible. Il y a six ans, Valls a assumé ses propos en affirmant vouloir « lutter contre le ghetto. C’est quoi le ghetto? On met les gens les plus pauvres, souvent issus de l’immigration – et pas seulement – dans les mêmes villes, dans les mêmes quartiers, dans les mêmes cages d’escalier, dans les mêmes écoles« . Comment, peut-on se demander aujourd’hui, pouvait-il éviter la ghettoïsation des quartiers, des cages d’escalier et des écoles ? Même s’il a évoqué les facteurs économiques de l’exclusion – il parlait des plus pauvres – il est évident que la dimension culturelle –l’origine et la confession – est entrée dans ses calculs. S’est-il vraiment contenté des visites de brocantes pour empêcher la ghettoïsation des écoles primaires d’Evry ?

Pas besoin d’être un expert de l’INSEE pour faire pièce à la méthodologie statistique de Valls. Ceci étant, cette façon d’humer le terrain est la seule manière de se faire une idée de la réalité, quitte à violer l’esprit de la loi, sinon sa lettre.

Le sociologue Hugues Lagrange ne dit pas autre chose dans son livre dont le titre Le déni des cultures – renvoie dans leurs cordes les indignés professionnels. Décrivant les émeutes urbaines de l’automne 2005, Lagrange explique que celles-ci « ont d’abord impliqué des adolescents masculins qui cumulent plus de difficultés scolaires que les filles. Ces réalités sont l’expression d’arrangements familiaux et de rapports entre les sexes qui tranchent radicalement avec l’évolution des mœurs en Europe  […].”  Mais ces réalités sont occultées par des pouvoirs publics, de gauche comme de droite, qui hésitent entre “l’affirmation d’une indifférence […] à la confession, à la couleur de la peau et à la culture d’origine et des actions ostentatoires pour refouler les “nouveaux barbares” .

Lagrange fonde ses constats sur une connaissance fine de certains quartiers de Mantes-la-Jolie, en immersion parmi les habitants immigrés arrivés du Sahel ces vingt dernières années. Il met en évidence le choc des cultures et montre l’importance de facteurs telles que la polygamie, la taille des fratries, les relations intergénérationnelles qui assurent l’autorité du grand frère, ou la différence d’âge entre mari et femme. Le sociologue estime que sans la prise en compte de ces éléments ethnoculturels, il est impossible de comprendre l’échec des “politiques de la ville”, de proposer des solutions et d’allouer efficacement les moyens pour résoudre les difficultés des immigrés.

À cette nécessaire connaissance économique et anthropologique des populations que l’on administre, on continue à opposer le spectre de la rafle du Vel d’hiv. On essaie de nous faire croire que si jamais Robert Ménard recueille des données sur la religion et l’origine des enfants d’écoles biterrois, les wagons à bestiaux roulant vers l’Est se remettront en marche… C’est une véritable insulte aux victimes des années 1930 et 1940.

D’autres avancent que les catégories de fichage, loin de permettre de se faire une idée du réel, le façonnent, qu’à force de cocher la case « Juif » ou « né en France d’au moins un parent né en Afrique », on finit par devenir membre du groupe auquel nous assigne. Comme si nous n’étions pas déjà en situation de communautarisme et d’« identitarisme » galopant. Quand bien même les statistiques ethniques façonnent la réalité en même temps qu’elles la reflètent, ces données permettraient d’améliorer la situation, ne serait-ce qu’en remplaçant les fantasmes par des chiffres.

En fin de compte, le rejet violent et épidermique des statistiques ethniques s’appuie sur un mensonge généralisé. Tout le monde sait que c’est un ressort essentiel de l’action politique, et dresse sa comptabilité sauvage sous le manteau, mais malheur à celui qui – comme Valls hier et Ménard aujourd’hui – brise l’omerta. Le recensement ethnique ? Y penser toujours, le faire aussi souvent que possible mais n’en parler jamais…

*Photo : Pixabay.

Israël: Netanyahou arrache une coalition précaire

25

(Avec AFP) Benjamin Netanyahou est parvenu hier soir in extremis à former dans la douleur une coalition de gouvernement. Le Premier ministre sortant, reconduit depuis 2009, a conclu juste avant l’échéance de minuit un accord avec le parti nationaliste religieux Foyer juif, lui assurant dans le parlement issu des récentes législatives une majorité minimale de 61 sièges sur 120.

Malgré plus de quarante jours de marchandages et de surenchères, il a fallu à Netanyahou et ses collaborateurs négocier jusqu’aux derniers instants avec le Foyer juif pour arracher aux forceps une coalition de droite qui fait une place de choix aux nationalistes religieux et aux ultra-orthodoxes, aux dépens d’Israël Beytenou du nationaliste Avidgor Lieberman, ministre des Affaires étrangères qui a décidé d’entrer dans l’opposition, faute d’avoir obtenu gain de cause sur ses revendications laïque.

Mais la majorité que le Premier ministre s’est assurée au prix de concessions considérables est tellement ténue qu’elle est soumise au caprice, à la défection voire à l’absence du premier parlementaire venu. Le quadrige constitué par le Likoud de Netanyahou, le Foyer juif, les partis ultra-orthodoxes Judaïsme unifié de la Torah et Shass et le parti de centre-droit Koulanou menace d’être incontrôlable.

Certains commentateurs ne lui donnent même pas jusqu’à la fin de l’année. Ils spéculent déjà autour de l’idée, dans l’air depuis un moment, d’un gouvernement d’union nationale entre le Likoud et la gauche, bien que le chef du parti travailliste Isaac Herzog ait écarté cette éventualité.

L’accord conclu entre le Likoud et le Foyer juif de Naftali Benett concède en plus au parti nationaliste religieux la présidence de la commission parlementaire des lois, parachevant une emprise inédite sur l’appareil judiciaire, selon le quotidien Haaretz. Le Foyer juif obtiendrait aussi un poste de ministre adjoint de la Défense.

Ménard: la grande manip des statistiques ethniques

243
robert menard beziers

robert menard beziers

À propos de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Ménard, Emmanuelle Ory-Lavollée souhaite qu’on appelle un chat un chat. Alors je vais le faire, ne serait-ce que parce que j’ai la fâcheuse impression que c’est toujours du même côté que l’on se plaint de ne pouvoir le faire. Je pourrais pourtant faire remarquer qu’en matière de tabou et de confiscation langagière, les gens de gauche, je veux dire de la vraie gauche et pas du social-libéralisme au pouvoir, n’ont plus le droit, sous peine d’être accusés de bisounoursisme ou de néostalinisme, de critiquer en « appelant un chat un chat »  la politique du gouvernement en matière économique. Dire que les « réformes » qu’on nous vante sont des régressions pures et simples, que la « modernisation » de l’économie est un retour aux rapports sociaux les plus archaïques, que le patronat à force de cadeaux fiscaux se croit à peu près tout permis au point comme Philippe Varin de prendre quand même sa retraite chapeau – malgré ses engagements et des résultats désastreux. Le Medef ose même promettre un million d’emplois supplémentaires si on supprimait deux jours fériés. Pas 950 000 ou 1 200 000, non un million tout rond, ce qui prouve le sérieux de l’histoire…

Mais revenons à Robert Ménard. Robert Ménard a compté les élèves musulmans des écoles primaires de sa ville et il faudrait trouver cela : primo normal, secundo courageux. Ce n’est pas normal, d’abord, et c’est même passible des tribunaux. Oui, c’est effectivement un tabou. Et il y a de très bonnes raisons pour ça dans une France qui n’a jamais « communautarisé » sa vie sociale et politique. Il faut appeler un chat un chat? Alors allons-y. Cela rappelle de très mauvais souvenirs à la République Française quand elle n’était plus la République, justement, ces comptages divers et foireux en se fiant aux prénoms ou autres patronymes. Je ne me laisserai pas paralyser par le point Godwin. Il y eut bien une période où l’on compta dans les écoles, dans la fonction publique, chez les médecins, les juges, les avocats. On compta qui était Juif ou communiste ou socialiste ou franc-maçon.  Et cette parenthèse de notre histoire, même lointaine, ne doit pas être oubliée;

Secundo : Robert Ménard aurait été courageux.À moins de confondre le courage et la provocation, on voit surtout qu’il a mis en contradiction une partie de la gauche, comme Esther Benbassa qui plaide pour les statistiques ethniques afin de réduire les inégalités sociales qu’elle impute essentiellement à la discrimination. Ménard aura au moins rendu ce service aux gens de gauche qu’ils auront vu à quoi cela peut mener quand on se met à compter. Parce que le problème n’est pas de savoir pourquoi on compte, le problème, c’est simplement de compter. C’est dangereux quel que soit le but: jouer sur la panique identitaire chez Ménard ou se tromper d’égalité chez Benbassa.

Dernière remarque, toujours dans le jeu « appelons un chat un chat ». Ménard n’est pas n’importe qui, ce n’est pas l’enfant de la dernière pluie ni un perdreau de l’année. En linguistique, on distingue toujours l’énoncé de la situation d’énonciation. Quand on me dit que tel maire de telle commune a comme Ménard les listes des écoles primaires et agit en conséquence, que tel principal de collège dans sa répartition par classes fait sans le dire de l’équilibrage ethnique, ça ne légitime en rien les propos de Ménard. Parce que le maire de telle commune ou le principal de tel collège ne se sont pas, j’en passe et des pires, déclarés pour la peine de mort, n’ont pas interdit le linge aux fenêtres, décrété des couvre-feux pour ados dans certains quartiers, supprimé la garderie pour les enfants de chômeurs, installé des crèches dans leurs mairies (en réduisant au passage la laïcité à « Tout sauf l’Islam ») et last but not least débaptisé des rues d’une commune afin de continuer la guerre d’Algérie par plaques interposées.

Alors, non, décidément, je ne trouve pas que Ménard ait brisé quelque tabou que ce soit. Il poursuit seulement une stratégie de la tension, en flattant les crispations identitaires et, dans la foulée, en jouant la carte habituelle de victime de « la meute des bien-pensants ».

Ne tombons pas dans le panneau.

*Photo : wikicommons.

Intolérance zéro

79
valls racisme liberte expression

valls racisme liberte expression

« Le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. » En annonçant son plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, Manuel Valls a utilisé cette formule devenue un lieu commun à force d’être ressassée. L’ennui, c’est que derrière son air d’évidence, elle est fausse. Le crimepensée, heureusement, ne figure pas dans le code pénal français. En conséquence, aussi condamnable que cela soit moralement, on a parfaitement le droit d’être raciste. Ce qui est interdit, c’est de le dire sur la place publique.

On pensera que je fais bien des chichis puisque, de toute façon, le racisme c’est mal. Ces chichis n’en protègent pas moins la plus précieuse de nos libertés et la seule qui ne connaisse aucune restriction, celle de penser – donc de mal penser.[access capability= »lire_inedits »] Certes, le Premier ministre n’a pas annoncé la création d’une police des reins et des cœurs – ça, les médias s’en chargent très bien. En revanche, il est décidé à renforcer la police de la parole. Le plan qu’il a présenté à Créteil comporte en effet trente-neuf gadgets et une révolution de notre droit des libertés. Parmi les premiers, on citera seulement les impayables « ambassadeurs du sport (…) formés à la citoyenneté, la laïcité et la lutte contre les préjugés ». La seconde consiste à changer radicalement le régime de la liberté d’expression dont les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme ont tenu à préciser qu’elle était « l’un des droits les plus précieux de l’homme ».

Depuis plus d’un siècle, les délits d’opinion, également appelés délits de presse, bénéficient d’un régime de faveur inscrit dans la grande loi libérale de 1881 sur la presse. Logique, puisque le délit n’est pas constitué par un propos diffamatoire ou injurieux, mais par sa publication. Dans l’esprit du législateur de l’époque, il s’agissait plus de défendre les journalistes contre les procès que de protéger leurs victimes. En plus d’un siècle, et bien que le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie soient devenus des circonstances aggravantes, les peines de prison ferme prononcées sur la base de cette loi doivent se compter sur les doigts d’une main – le dernier cas en date étant celui d’Anne-Sophie Leclère, condamnée à huit mois fermes par le tribunal de Cayenne pour avoir diffusé une image raciste sur Mme Taubira. En de tels domaines, on considère en effet que la véritable sanction, c’est l’opprobre public attaché à une condamnation. Cependant, les abus étaient sanctionnés, tandis que les censeurs et autres empêcheurs de caricaturer en rond étaient le plus souvent déboutés.

Seulement, dans l’effervescence de l’après-Charlie, le gouvernement devait montrer qu’il faisait quelque chose – en l’occurrence n’importe quoi. « L’impunité sur internet, c’est fini ! », a grondé le Premier ministre. Toutefois, il n’a pas précisé ce qui empêchait de faire respecter la vieille loi sur internet ni expliqué comment on ferait respecter la nouvelle, dont on sait seulement qu’elle fera revenir ces délits dans le droit commun, autrement dit qu’elle rapprochera le régime de la parole de celui des actes. De même que l’apologie du terrorisme relève des chambres et de la loi antiterroristes, l’auteur d’un propos jugé attentatoire à l’honneur de telle ou telle communauté sera jugé sur la base des mêmes textes et par les mêmes tribunaux que l’agresseur d’un membre de cette communauté. Ce qui revient à postuler qu’il est aussi grave de dire des conneries que d’en faire.

Éminemment contestable sur le plan des principes, cette réforme est d’autant plus inquiétante que la définition du racisme semble s’étendre chaque jour. Par exemple, lorsque l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme révèle que 70 % des Français trouvent qu’il y a trop d’immigrés en France et que 45 % affirment avoir une opinion négative sur l’islam, les gazettes concluent unanimement à la progression du racisme. Dans ce contexte, on peut tout imaginer, y compris un tribunal condamnant un prévenu pour « opinion négative sur l’islam ».

On n’en est pas là. Reste que vous feriez mieux de commencer à surveiller vos propos, car l’État les surveille pour vous et les surveillera de plus en plus. Le plus révoltant, quand on y pense, c’est que ce mauvais coup contre la liberté d’expression réponde à un attentat qui visait précisément, à travers les dessinateurs, la liberté d’expression. Heureusement que les frères Kouachi n’ont aucune chance d’être au paradis, parce que cette victoire posthume les enchanterait. Quant à Charb, j’espère que, là où il se trouve, il y a des jolies filles et du bon vin, mais pas de télé.[/access]

Affaire Ménard: Surtout, ne rien voir!

289
Robert Ménard statistiques ethniques fichage

Robert Ménard statistiques ethniques fichage

La France est en émoi. L’infréquentable Robert Ménard a levé le voile sur une des plus belles hypocrisies de la république. Il aurait comptabilisé le pourcentage d’élèves immigrés de sa commune… Comment ? En consultant les inscriptions à l’école qui, comme dans toutes les mairies, relèvent de ses prérogatives. L’omniprésente Najat s’est immédiatement saisie du problème. Formant pour l’occasion un émouvant chœur des vierges avec Cécile Duflot, elles ont fustigé à deux voix l’attitude offensante, excluante – un mot inventé pour l’occasion –, antirépublicaine, discriminante. Elles ont déploré les valeurs foulées au pied, le bras de fer avec l’état de droit, les dérives, la milice, alors que le ténor Christophe Borgel entonnait la partition de la stigmatisation, du nauséabond. Une exceptionnelle richesse de vocabulaire…

Tous étaient d’accord, Valls compris, sur une formulation de « honte au mandat de maire », de « menace pour le vivre ensemble » et d’atteinte au « principe de laïcité ». Le procureur de la république a été saisi. Il fut un temps où Manuel Valls n’était pas opposé au principe de réalité, voire de réalisme, qui conduirait à s’informer de l’identité des personnes qui vivent sur notre sol. Avant d’endosser la posture de l’indignation permanente, n’avait-il pas demandé –hors caméra croyait-il – à ce que plus de blancos, de white, de blancs soient présents lors d’une visite officielle à Evry. Blancos, c’est plutôt discriminant ou nauséabond professeur Vallaud-Belkacem ?

Par ailleurs, un maire qui prend des libertés avec la loi, c’est problématique… mais n’est-ce pas déjà arrivé ? Neuf ans avant la loi Taubira, le maire de Bègles avait décidé de son propre chef d’unir deux hommes. Il avait certes été suspendu un mois et les tourtereaux avaient vu leur union annulée, mais se souvient-on de propos d’une telle violence à son égard, d’une telle « stigmatisation » ?

L’actualité bégaie… chaque semaine un esclandre plus gros que le précédent vient alimenter l’insatiable tintamarre public et c’est une fois encore par l’extrême droite que le scandale arrive… Dans une chorégraphie millimétrée, les maîtres à penser socialistes organisent l’indignation nationale. Et ça marche, chaque citoyen finit par adopter ce vocabulaire connoté. Ce matin, sur RTL au sujet de l’uniforme à l’école, une jeune femme témoigne : « Quelle ne fut pas ma surprise de voir que chaque école était stigmatisée par une couleur »… La couleur de blouse, c’est plutôt stigmatisant ou excluant professeur Vallaud-Belkacem ?

L’inquiétude des Français à l’égard de l’immigration va grandissant. L’absence d’informations fiables sur la question en est un des carburants. Comment imaginer qu’un sujet soit pris en compte s’il n’est même pas évaluable ? Comment apporter des réponses satisfaisante à des questions dont on ne connaît ni les détails ni l’ampleur ? Où, à part en France, est-il admis que pour mieux traiter les problèmes, il faut les ignorer ?

Pourquoi est-il impossible en France d’appliquer ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons sans émotion ? En quoi connaître l’origine des personnes conduirait automatiquement à en brimer certaines ? Ce débat est d’une hypocrisie révoltante : d’une part parce que le comptage existe dans le cadre de certaines enquêtes, d’autre part parce que même dans les rangs de la gauche prisonnière de ses doctrines, l’opportunité d’une telle démarche est reconnue par certains. L’interdiction de statistiques, supposée garantir le « vivre ensemble » conduit à cristalliser les peurs, y compris irrationnelles.

En France, pays du tabou, nommer les choses est un délit. Il est interdit d’appeler un chat un chat. Tout juste est-il permis de fermer les yeux et d’attendre des jours meilleurs… Une méthode qui a d’ailleurs fait ses preuves : on a attendu la reprise et « la reprise, elle est là ». Peut-être qu’à force de se cacher un problème, « le problème, il disparaît » ?

*Photo : © AFP Pascal Guyot

Nous, hommes journalistes harcelés…

78
harcèlement manifeste femmes journalistes politiques Libération

harcèlement manifeste femmes journalistes politiques Libération

Ah, le « harcèlement »… Ce drame contemporain, bien que dénoncé quotidiennement dans tous les médias consciencieux, continue encore et toujours de faire des ravages et n’épargne personne. La preuve : même des femmes diplômées, qui côtoient les puissant-e-s de ce monde et vivent de leur plume en crapahutant sous les ors de la République, subissent parfois l’inqualifiable. Les mots de « machisme » et de « sexisme » paraissent en effet bien faibles, pour nommer les souffrances intolérables qu’infligent tant d’hommes politiques aux femmes journalistes. C’est ce que nous apprend le dernier « manifeste » de chez Libération, signé par 40 d’entre elles « avec le soutien de Ruth Elkrief » et intitulé : « Nous, femmes journalistes politiques et victimes de sexisme… »

Dans la gazette du Marais, nos malheureuses consœurs égrènent les exemples les plus insoutenables du « paternalisme lubrique » qui les afflige. Attention les yeux : « C’est un membre du gouvernement qui fixe intensément le carnet posé sur nos genoux en pleine conférence de presse présidentielle. Jusqu’à ce que l’on réalise que, ce jour-là, nous portions une robe (il était temps, Ndlr). » Oh my God ! Ou encore plus trash : « A la question « s’il ne fallait retenir qu’un moment de votre première année parlementaire, ce serait lequel ? » c’est un député qui répond dans la minute « quand vous m’avez proposé un déjeuner » » Odieux ! Et ce n’est pas tout, il y a aussi les abjectes propositions faites par texto, telles que l’ignoble : « Une info, un apéro. » Bref, rien que du très, très lourd.

Les copines ont raison, le harcèlement touche violemment les journalistes. Mais elles en oublient la moitié, qui ne songeraient pas une seconde à se plaindre des « habitudes machistes, symboles de la ringardise citoyenne et politique » d’hommes « hétérosexuels plutôt sexagénaires ». Le harcèlement, c’est aussi cette étudiante, avec qui on accepte un déjeuner, et qui nous envoie un texto dans la foulée : « Tu n’es pas très joueur… » Puis qui nous fait un strip-tease torride par webcam interposée pour s’assurer d’être prise en stage. Une fois embauchée, pour être certaine que son travail soit apprécié, elle attendra qu’on soit seuls dans les bureaux, le soir, pour nous proposer une gâterie sur mesure.

C’est cette collaboratrice qui nous informe par messagerie instantanée, depuis son poste de travail situé à deux mètres à peine, d’une soudaine envie de se faire « prendre par derrière ». Quand ce n’est pas cet écrivain à forte poitrine qui nous glisse une main sous la chemise, dans un prix littéraire où nous sommes membre du jury, et nous promet une fellation inégalable dans l’escalier de service. Ou cette actrice qui nous confie, en pleine interview, qu’elle ne porte jamais de sous-vêtements. Sans compter les généreux « contacts professionnels » de sexe féminin qui nous bombardent de selfies irrésistibles, toute poitrine offerte face à leur miroir, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Ah, le harcèlement sexuel au travail… Ce jeu sans fin que nous offrent tant de femmes hétérosexuelles aguicheuses de moins de soixante ans, pour peu que l’on ait le moindre petit pouvoir dans n’importe quel domaine, ne nous lassera jamais. Quelques bigotes attardées pleurnichent sans oser dénoncer personnellement – ou gifler – les vieux lourdauds qui les importunent ? Pour notre part, ce n’est pas demain que nous réunirons un collectif des « victimes » d’allumeuses de journalistes mâles. Au contraire, pourvu que ça dure : comme le dit si bien ma consœur à l’accent et aux talons follement sexy, Paulina Dalmayer, dans Causeur ce mois-ci : « Oh oui, harcelez-moi ! »

*Photo : VINCENT WARTNER / 20 Minu/SIPA/1308281758