Manifestation en faveur du burkini, jeudi 25 août, devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000007)
Les nombreux et divers défenseurs du burkini se félicitent. La plage est à tout le monde. Se baigner en tenue islamique est une liberté fondamentale, c’est le Conseil d’Etat qui le dit. Les mauvaises langues répliqueront que, justement, ce n’est guère encourageant quand on se rappelle que la déraison des « Sages », qui affirmaient en 1992 qu’il était urgent de ne rien faire s’agissant du voile islamique à l’école, nous a fait perdre dix ans dans la lutte contre l’islam radical et sécessionniste dont tout le monde, à l’exception de quelques gauchistes maintenus et des journalistes de France Inter, pense désormais qu’il menace le pacte républicain – en dehors du fait qu’il offre au terrorisme djihadiste un terreau de sympathisants.
Rien de surprenant, donc : pour le Conseil d’Etat, chacun fait ce qui lui plaît et les vaches de tous seront bien gardées. La haute juridiction administrative défend une conception de la liberté individuelle et de ses possibles restrictions partagée, non seulement par des tas de grands esprits et 95 % des journalistes à l’intérieur de nos frontières, mais aussi, nous l’a-t-on assez seriné comme s’il s’agissait d’un argument définitif, à l’extérieur, notamment aux Etats-Unis où toute la presse braille au sujet de la folie liberticide française. Après tout, cette vision libérale au sens le plus profond de ce terme, a aussi ses lettres de noblesse – rappelées par Alain Finkielkraut qui examine les deux conceptions dans l’Identité malheureuse. Du reste, l’argument du Conseil d’Etat ne saurait être évacué d’un trait de plume : s’il peut s’avérer nécessaire de restreindre une liberté fondamentale, cela ne doit pas être à la légère. Rappelons cependant que des gens qui s’étranglent de rage parce que l’on envisage de règlementer une tenue vestimentaire trouvent parfaitement légitime qu’on légifère sur nos comportements sexuels. Allez comprendre.
Pas touche, même avec les yeux !
On peut évidemment retourner l’argument et se demander s’il est cohérent de défendre l’interdiction du burkini quand on a milité contre celle de la prostitution. Désolée, ma sexualité ne concerne que moi et les autres adultes consentants avec lesquels je m’y adonne, alors que ma tenue vestimentaire est un message adressé à mes semblables. Or, quoi que prétendent les perroquets du progressisme, celui qu’adresse le burkini est un message de défiance à l’égard de la France et de ses mœurs. Se rendre en burkini sur la plage, c’est une drôle de façon de vivre-ensemble, qui commence par dire : pas touche, même avec les yeux !
Pour autant, l’interdiction ne devrait être qu’un recours ultime destiné à montrer que nous ne cédons pas quand on nous teste. Or, l’apparition récente de cette nouvelle lubie vestimentaire suggère qu’il ne s’agit pas tant d’une nécessité dictée par la foi que d’un bras d’honneur métaphorique à notre mode de vie et à la mixité des sexes qui en constitue le cœur nucléaire. Curieuse façon de contribuer à l’unité nationale que d’afficher un signe d’hostilité à la culture nationale.
Au FN et chez LR, on réclame désormais une loi — à laquelle Manuel Valls aura du mal à s’opposer. Le risque qu’un tel débat législatif tourne à la foire d’empoigne pour favoriser, in fine, le lamento victimaire des prétendues autorités musulmanes, n’est certes pas négligeable. Mais après tout, on ne va pas bouder la possibilité d’un débat.
Cependant, plus que la peur de la loi, c’est la volonté de contribuer pleinement au pacte républicain qui devrait pousser les musulmans de France à entendre l’humeur du pays. On aimerait, oui, que les musulmanes renoncent spontanément à un habit qui effraie leurs concitoyens et leur rappelle ceux qui leur ont déclaré la guerre. Par souci de la susceptibilité majoritaire, autrement dit au nom d’une certaine courtoisie républicaine. Faute de quoi, ils gagneront peut-être la bataille du droit, ils perdront la plus importante : celle des cœurs et des esprits. Que diable, la France vaut bien un maillot de bain !
François Hollande visite le festival Futur en Seine en juin dernier (Photo : SIPA.00759636_000001)
Nous avons donc appris, au détour de « confidences » faites non pas sur l’oreiller mais au micro de deux journalistes triés sur le volet que François Hollande, ci-devant président de la République, avouait « ne pas avoir eu de bol » avec le chômage. Parce qu’il est bien connu que tout ceci, le chômage comme la politique économique, c’est une pure question de chance. Bref que l’on joue la vie de millions de Français à pile ou face.
Sauf que, depuis quelques jours, le joueur est tout ragaillardi. Pensez-vous, la chance vient donc de tourner. L’INSEE publie des données (au sens du BIT) du chômage qui sont favorables. Bien sûr, celles de Pôle emploi, la DARES, le sont un peu moins. Mais, on vous le dit, la chance vient de tourner ! Du moins, tel est le refrain que l’on entend en boucle sur les médias.
Alors regardons les chiffres, ceux de la DARES en particulier. On sait que la catégorie qu’il convient d’observer n’est pas la catégorie « A » mais l’agrégat « A + B + D » qui reflète plus honnêtement les évolutions.
Si la catégorie A diminue de juin à juillet (de 3,5257 millions à 3,5066 millions soit de 19 100 personnes), les deux autres catégories (B et D) elles augmentent de 16 700 pour la catégorie « B » et de 10 000 pour la catégorie « D », soit un total de 26 700, qui fait plus que compenser la diminution de 19 100 personnes de la catégorie « A ». Caramba, encore raté !
Mais il y a plus inquiétant encore. Les statistiques données de mois en mois ont peu d’intérêt, sauf quand on est en présence d’une rupture majeure. Il faut alors observer la tendance dans la durée.
Evolution depuis octobre 2012 des catégories « A+B+D » et « C+E » (quasi-chômage).
Données DARES
On constate que la courbe représentative du chômage (A+B+D) montre une stabilisation mais non une inversion du mouvement. Mais, on constate aussi que la courbe des catégories C+E, qui est représentative du « quasi-chômage » ou des emplois précaires, continue d’augmenter. Caramba, toujours raté !
Dans la Provence du jeudi 25 août, pages 2-3, un long article présente la rentrée politique de Nicolas Sarkozy dans l’après-midi et la chaleur étouffante de Châteaurenard — ce qui a permis à son féal Estrosi de parader à ses côtés plusieurs heures durant. Et faisant la jonction entre les deux pages, une belle image de Sarko galopant sur un pur camarguais :
(Photos : J.-P.B. / SIPA_ap20578580_000004 / DR / AP20230328_000007 / SIPA_ap21536884_000011 / SIPA_ap21290168_000010 / SIPA_ap21311017_000001 / SIPA_ap20847100_000001 / SIPA_ap21076784_000005 / Image extraite d'un album de Jean Tabary / J.-P.B.)
Allez, je vous la repasse en gros plan :
La photo remonte à la campagne de 2007 : on sort les mêmes (images) et on recommence — enfin, j’imagine que c’est ce que le candidat à la candidature imagine.
Je ne sais pas si l’ancien président de la République a des « conseillers-image », comme on dit. Au fond, j’en doute. Il a son propre réservoir d’images de références. Celle-ci, par exemple, qui correspond à son âge — et à celui de nombre de ses électeurs, ce n’est pas lui faire offense que de dire qu’un discours axé sur les retraites vise une certaine catégorie de population, celle qui avait entre 15 et 20 ans dans les années 1960 — et à ses goûts musicaux. Remember ?
C’était pour un film intitulé D’où viens-tu Johnny (1963). Un chef d’œuvre. L’Halliday national y chantait « Pour moi la vie va commencer »…
Ça, c’est en amont lointain. Mais il y a aussi les références plus récentes. D’autres présidents ont chevauché hardiment. Par exemple :
C’était en 1985, au Rancho del Cielo, et le cheval (blanc, lui aussi) s’appelait El Alamein — un beau nom de victoire.
Mais surtout, il y a le grand chevaucheur — et torse nu, m’sieurs-dames :
Poutine a mis la barre très haut. Non seulement il sait faire du cheval (ce qui n’était pas le cas de Johnny en 1963, et pour Sarko, il a l’air moyennement à l’aise), mais il excelle au judo…
… en natation — et du papillon, pas de la brasse…
… et en plongée :
Ce qui a quelque peu excité la verve des plaisantins, sauf qu’au fond, il exacerbe l’image testostéronée du tsar de toutes les Russies — un surhomme ! Comme dit Eddy Mitchell, « on veut des légendes » !
Sarkozy se rêve-t-il tsar ? Déjà, il se rêve à nouveau président — preuve qu’il n’a jamais mesuré la haine dont il est l’objet dans l’opinion — tout comme Hollande ne mesure pas le mépris qu’il suscite. On ne se relève pas du mépris — quant à la haine…
Dans lesMille et une nuits, à plusieurs reprises, le calife Haroun al Rachid se déguise « en marchand » et part à l’aventure dans Bagdad, à la nuit tombée, souvent escorté de son poète favori — un homosexuel notoire, au passage (mais ça, c’était l’islam avant). Et notre souverain demande innocemment aux clients des boîtes de nuit où il s’arrête ce qu’ils pensent du calife — et il en apprend des vertes et des pas mûres (rassurons-nous : les dysfonctionnements qu’on lui impute sont en général dus aux malversations du grand vizir, qu’il suffira d’empaler pour que l’ordre et l’harmonie règnent à nouveau).
Le problème, c’est que nos potentats modernes ne sortent plus dans le monde — ou strictement le leur. Ce n’est plus Haroun al Rachid, mais Haroun el Poussah :
Les uns et les autres devraient de temps en temps se déguiser et descendre au bistro du coin — un coin populaire pour changer. Pas au Fouquet’s. Qu’on leur dise la vérité — s’ils sont capables de l’entendre. Tout comme ils devraient visiter Marseille à huit heures du matin, et remonter la rue Longue-des-Capucins, à partir du marché du même nom.
Et laisser la place à des gens un peu neufs. Sous peine de finir comme un vulgaire vizir du IXème siècle à Bagdad — métaphoriquement, bien sûr.
Jean-Paul Brighelli, qui bien sûr ne se résume pas à :
C’était il y a longtemps — avant que mon ex-femme ne vende dans mon dos la bête pour une poignée de pesetas…
Manifestation devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000008)
Lors d’un séjour à Birmingham en 2003, un interlocuteur quelque peu agressif m’expliqua avec une certaine suffisance que la France aurait certainement dû prendre des leçons du Royaume-Uni en matière d’intégration et de tolérance vis-à-vis des minorités religieuses. Je lui répondis avec un peu d’acrimonie – et peut-être de mauvaise foi – que les Français avaient effectivement beaucoup de leçons à recevoir de nos amis Britanniques qui accueillaient sur leur sol si complaisamment la fine fleur des prêcheurs salafistes ultraradicaux, dans les plus prestigieuses mosquées londoniennes, à Finsbury Park ou Brixton.
La discussion n’alla pas plus loin. A l’époque où je rembarrais gentiment mon Anglais amateur de frog bashing, on parlait déjà de « Londonistan ». Après les attentats contre les tours jumelles du World Trade Center, le gouvernement britannique avait entrepris de faire un peu de ménage, le sujet commençait à devenir sérieusement embarrassant… Le 7 juillet 2005, quatre explosions dans le métro londonien et dans un bus à impériale causaient la mort de 52 personnes. Je n’ai jamais revu celui qui, un an et demi auparavant, me présentait le Royaume-Uni comme un modèle d’intégration et raillait « the stupid french polemic » à propos du voile islamique en employant les mêmes termes que ceux utilisés aujourd’hui par les grands organes de presse britanniques pour se moquer de la stupide polémique française à propos du burkini.
« Absurdité française », a lancé l’éditorialiste David Aaronovitch dans The Times, estimant que de telles interdictions ne pouvaient qu’être l’œuvre « d’esprits tordus. » Pour Juliet Samuel, du Telegraph, l’interdiction des burkinis n’est rien moins qu’« un stupide acte de fanatisme ». Haro donc sur la France éternelle du racisme et de l’intolérance, avec sa laïcitié si ringarde et intransigeant, vue d’outre-Manche, voire de plus loin encore. En Australie par exemple, ou la créatrice du burkini, Aheda Zanetti, remercie les édiles français d’avoir dopé ses ventes, mais ne manque pas une occasion de dénoncer elle aussi le caractère rétrograde et discriminant de la loi française : « Jugent-ils une tenue de bain ou bien une race ou une religion ? », s’est-elle interrogée dans les colonnes du Daily Mail.
L’entrepreneuse libanaise qui a quitté son pays natal pour l’Australie à l’âge de 2 ans, est l’ambassadrice parfaite du storytelling qui s’échafaude autour du burkini. Dans un ouvrage paru en 2012, The click moment : seizing opportunity in an unpredictable world, ouvrage à mi-chemin entre l’essai et le manuel de développement personnel émaillé de quelques biographies très hagiographiques, Frans Johansson raconte la révélation d’Aheda Zanetti : « Pour Aheda Zanetti, l’un des déclics les plus importants de sa vie, celui qui allait changer sa carrière, intervint au début de l’année 2003.(…) Elle avait décidé d’aller voir sa nièce jouer au netball, la version australienne du basketball, dans un centre aéré du quartier, à Sydney. » C’est à ce moment, raconte le biographe, qu’Aheda comprend, en regardant évoluer sur le terrain sa nièce couverte de la tête au pied d’un pantalon, d’une chemise à manche longue et du maillot de son équipe, rouge comme un poivron apoplectique et à deux doigts du malaise, que l’uniforme de netball n’est pas adapté aux musulmanes pratiquantes, tout comme d’ailleurs, beaucoup de tenues sportives…et notamment les tenues de plage. Le burkini venait de naître. Ce fut une excellente intuition commerciale puisque 500 000 burkinis se sont vendus en l’espace de douze ans, à compter de la commercialisation en 2004. Le modèle de la femme d’affaire pragmatique présenté par Frans Johansson est aujourd’hui largement recyclé dans la presse anglo-saxonne mais aussi française pour opposer une France éternellement rétrograde aux sociétés multiculturelles apaisées et pleines d’intiatives. Le problème est que l’Australie n’est pas vraiment l’idyllique paradis multiculti vendu par une partie des médias.
En 2004, le nouveau « maillot » commercialisé par la société Ahiidareçoit, à la demande d’Aheda Zanetti, l’approbation du grand mufti de Sydney, le cheikh Taj Aldin al-Hilali. « J’ai obtenu un certificat ou ce qu’on appelle une fatwa du mufti », explique l’Australienne qui a déposé les marques « burkini » et « burqini »[2. 25 août 2016]. Le grand mufti de Sydney est un personnage qui gagne à être connu. Originaire d’Egypte, Aldin al-Hilali débarque en Australie en 1982 avec un visa touristique en poche, qu’il parvient à faire renouveler régulièrement durant plusieurs années. En 1988 cependant, alors qu’Hilali est depuis six ans sur le sol australien, il se lâche un peu trop lors d’un prêche enflammé à l’Université de Sydney, dans lequel il accuse les juifs de contrôler le monde « grâce au sexe, à la perversion sexuelle, ainsi que la promotion de l’espionnage, de la trahison et de la thésaurisation pécuniaire »[3. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Le ministre de l’Immigration Chris Hurford[4. http://www.abc.net.au/insiders/content/2003/s890658.htm] tenta sans succès de le faire expulser et Hilali parvint même à obtenir un statut de résidant après avoir fait amende honorable et profité en 1990 du remplacement de Chris Hurford par le plus compréhensif Gerry Hand.
Le 13 février 2004, s’exprimant devant les fidèles de la mosquée de Sidon, au Liban, Hilali s’emporte violemment contre les Etats-Unis et qualifie les attentats du 11 septembre 2001 d’« œuvre de Dieu contre les oppresseurs ». Interrogé par une journaliste de la chaîne de radio ABC quant à la signification de ses propos, Hilali se justifiera benoîtement : « En fait il s’agissait de poésie et dans la poésie nous faisons usage de l’imagination dans les représentations »[5. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Ah, ces poètes… Que ne leur pardonnerait-on pas ?
Le cas Hilali est intéressant car il est aussi le parfait exemple de ce qui peut aussi clocher dans le multiculturalisme anglo-saxon. Et si la presse étrangère regarde aujourd’hui avec horreur les « affrontements communautaires » de Sisco et l’oppression des malheureuses burkinistes, il faut rappeler que de tels incidents pourraient faire pâle figure à côté des émeutes de la plage de Cronulla près de Sydney. Le 11 décembre 2005, environ 5 000 personnes se rassemblèrent pour protester contre les vagues d’incidents récents perpétrés, selon les médias, par des jeunes d’origine libanaise habitant les banlieues Ouest de Sydney. Le rassemblement eut lieu à la suite de nombreuses confrontations et altercations, dont le viol d’une jeune Australienne et l’agression de trois sauveteurs une semaine plus tôt. Les violences se multiplièrent au cours des jours suivant : le 13 décembre, des coups de feu furent tirés sur une école catholique et une église dans le quartier de South Auburn et la violence commença à gagner d’autres quartiers de Sydney. Le 14 décembre, une église fut même détruite par le feu à Auburn. Comme de coutume dans les nations post-industrielles et postmodernes, tout se termina finalement par un rassemblement antiraciste, qui est un peu au vivre-ensemble ce que le banquet final est à un album d’Astérix.
En dépit du contexte tendu, le cheikh Hilali n’était toujours pas décidé à se faire oublier. Dans un prêche enflammé tenu au cours du mois de ramadan entre septembre et octobre 2006, celui qui avait accordé au burkini d’Aheda Zanetti un certificat de conformité islamique, saisissait l’occasion de préciser un peu plus à ses fidèles la nature de ses préférences vestimentaires : « Si vous placez de la viande dans la rue, dans le jardin ou dans un parc sans la couvrir et que les chats viennent la manger… qui doit-on blâmer, les chats ou la viande à l’air ? La viande à l’air, voilà le problème. Si elle (la femme) était restée dans sa chambre, chez elle, portant son voile, aucun problème ne serait arrivé. » On ne peut en effet rêver meilleur patronage que celui-ci… Un peu plus d’un an auparavant, Gerard Anderson, chroniqueur du Sydney Herald Tribune se félicitait tout de même que le cheikh Hilali soit naturellement amené à amender son langage face aux douces contraintes imposées par la démocratie et du multiculturalisme[6. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Raté. En 2006, le cheikh persiste et signe en déclarant à des journalistes, après ses déclarations polémiques sur les femmes, qu’il ne démissionnera que « quand la Maison Blanche sera rasée », ce qui avait le mérite de fixer un calendrier assez vague. L’Association des Libanais d’Australie finit par obtenir de lui qu’il renonce à prêcher, au moins pour quelque temps. « Nous sommes parvenus à un accord pour qu’il prenne un peu de repos (…) et de temps pour voyager », déclare alors Tom Zreika, président de l’organisation, à l’issue d’une réunion d’urgence des responsables musulmans d’Australie. Au grand soulagement de tous, Hilali abandonne même ses fonctions de grand mufti de Sydney en 2007, remplacé par Ibrahim Abu Mohamed, dont on ne peut pas dire qu’il soit à même de susciter plus d’enthousiasme au vu de ses récentes déclarations. Après les attentats de Paris en novembre 2015, le nouveau mufti s’est gardé de formuler toute condamnation explicite des attaques et a simplement indiqué qu’il était de fait « impératif que tous les facteurs causaux tels que le racisme, l’islamophobie, la réduction des libertés en raison des politiques de sécurité, la duplicité des politiques étrangères et des interventions militaires soient soigneusement examinées. » Un communiqué ressemblant d’ailleurs beaucoup à celui que le CCIF avait publié quelques heures après les attentats de Nice.
Il était peut-être nécessaire de restituer un peu plus précisément le contexte particulier dans lequel est né le burkini au début des années 2000, afin, au moins, de tordre un peu le cou à la jolie fable de l’entrepreneuse immigrée qui crée le burkini au pays des kangourous et de la tolérance et invente une nouvelle façon d’être cool tout en restant halal sur la plage. Ceci dit, la polémique actuelle réussit à faire passer la France pour un pays désespérément crispé sur ses principes laïcs et le lobbying islamique pour un véritable combat libertaire. Quel que puisse être le ridicule ou l’outrance des arguments employés, la fascination pour la success story tant de fois relayée d’Aheda Zenatti, « Madame Burkini » montre bien que la bataille médiatique a été remportée avant même que celle des idées ait eu lieu.
Un char turc franchit la frontière syrienne, Karkamis, août 2016. Sipa. Numéro de reportage : AP21942470_000007.
Très tôt mercredi matin, la Turquie a lancé l’opération « Bouclier de l’Euphrate », une offensive militaire officiellement destinée à « nettoyer » la frontière turco-syrienne en éliminant les forces de l’Etat Islamique autour de Jarablus. Cette localité se trouve au bord de l’Euphrate, à l’ouest d’Alep, non loin de la ville turque de Gaziantep endeuillée cette semaine par un attentat particulièrement sanglant que le gouvernement turc, après avoir accusé l’EI, ne sait plus du tout à qui attribuer.
Feu sur le PKK
Or, même si l’ennemi officiellement ciblé est l’Etat islamique, il est évident que l’opération vise en premier lieu les forces kurdes syriennes réputées proches du PKK, l’organisation politico-militaire kurde qui mène depuis 1984 ans une guérilla ainsi qu’une campagne de terrorisme contre l’Etat turc.
Vu d’Ankara, si l’Euphrate a urgemment besoin d’un bouclier turc, c’est surtout pour protéger la zone des Kurdes. Or, ces derniers se trouvent être les meilleures « bottes sur le terrain » des Américains dans leur guerre contre l’EI en Syrie. Les Etats-Unis se retrouvent donc avec deux alliés – la Turquie et les Kurdes de Syrie – aux intérêts diamétralement opposés.
Ankara redoute la constitution d’un grand Kurdistan à ses dépens tandis que les Kurdes voient dans l’écroulement de la Syrie l’occasion historique d’obtenir enfin leur Etat, prenant ainsi une sacrée revanche sur l’histoire. Il y a moins de six mois, les Kurdes de Syrie sont allés jusqu’à proclamer l’autonomie du Rojava, c’est-à-dire des régions du Nord-Est de la Syrie sous leur contrôle. Cette initiative a été (officiellement) accueillie avec froideur par les Etats-Unis : même si tout le monde connaît les motivations politiques des combattants Kurdes, le crier haut et fort ne peut qu’irriter la Turquie ainsi que les Syriens anti-Assad opposés au démantèlement de leur pays. Bref, uriner dans la piscine est une chose, le faire à partir du plongeoir en est une autre. Aujourd’hui, avec le lancement de l’offensive turque, la coalition internationale contre l’EI, fait donc face à un défi compliqué.
Il faut espérer que les forces turques ont bénéficié de l’effet de surprise mais à la lecture de la presse turque, on a l’impression que tout le monde était au courant depuis un certain temps. La veille, Erdogan avait reçu à Ankara le président de la province autonome du Kurdistan Irakien, Mahmoud Barzani, afin de lui signifier le prochain lancement d’une opération anti-Daech et anti-PKK. Traditionnellement, la Turquie entretient d’excellents rapports avec Erbil, selon le principe du « diviser pour mieux régner » : tant que les Kurdes de Syrie et d’Irak s’opposeront, la Turquie dormira un peu plus tranquille.
Briefing de la presse turque
Dans les colonnes du Huriyyet Daily News, les chroniqueurs ont rédigé leurs tribunes avant même que l’artillerie turque ne tire la première salve. La question posée est aussi claire que rhétorique : la Turquie peut-elle permettre au PYD (qu’elle voit comme l’extension syrienne du PKK) contrôler l’intégralité de la frontière turco-syrienne et créer une continuité territoriale entre les régions kurdes de Syrie et d’Irak? Peut-elle rester les bras croisés quand l’établissement de proto-Etats kurdes sur ses frontières s’accompagne d’une campagne d’attentats sur son propre territoire?
Pour résumer la situation, à laquelle il compte bien remédier, Erdogan a déclaré que « la Syrie est la raison pour laquelle la Turquie est exposée au terrorisme de l’EI et du PYD », sans prendre la peine de distinguer le principal parti kurde syrien du PKK.
Ainsi, sacrifiant le secret défense les journalistes turcs à Ankara ont été briefés par les hommes du président Erdogan qui ont distillé un nouveau récit post-putsch. On suggère aux journalistes que les pilotes qui ont abattu l’avion russe le 24 novembre dernier appartenaient à la confrérie Gülen, aujourd’hui classée terroriste, tout comme leurs camarades pilotes de chasse et d’hélicoptère qui ont bombardé l’Assemblée nationale dans la nuit du 15 au 16 juillet. Les cercles proches du pouvoir affirment que les gulénistes voulaient faire avorter une opération militaire semblable à celle qu’Ankara vient de lancer.
Et le pire est qu’il ne faut pas totalement exclure cette possibilité tant les gulénistes ont réussi à infiltrer tous les rouages de l’Etat turc. Ainsi, même s’il est un peu hâtif d’attribuer la paternité exclusive du putsch aux disciples de l’imam exilé, leur capacité à mener à bien des projets politiques officieux ne fait plus aucune doute parmi ceux qui suivent le mouvement depuis longtemps.
L’échec de la stratégie syrienne pan-sunnite d’Erdogan se voit ainsi compensé par une excellente nouvelle : il peut en faire porter le chapeau aux gulénistes…
"Le matin du 10 thermidor an II", Etienne Mélingue, 1877 (Selva/Leemage)
Causeur. Tout le monde connaît Robespierre, même les adeptes des jeux vidéo comme Assassin’s Creed Unity dont l’action se déroule durant la Révolution française. Mais selon vous, il reste un « célèbre inconnu ». Jean-Clément Martin.Exactement. On croit tout savoir de lui, mais on bute toujours sur la même chose : il y a un écart qu’on ne comprend pas entre un personnage qui n’est guère différent de tous les révolutionnaires qui comptent et le rôle absolument considérable qu’il joue dans l’histoire et dans la mémoire. Face à cette énigme, l’interprétation traditionnelle consiste à voir en lui un être exceptionnel, monstrueux. Or je prétends, moi, qu’il n’est pas si exceptionnel que cela et qu’il est devenu un monstre un mois après son exécution…
Robespierre n’est donc pas à l’origine du déchaînement de violence de la Terreur ? La violence qui se déchaîne dès 1788 ne le préoccupe pas avant la fin juillet 1789. Il n’en parle jamais, s’oppose même à la loi martiale, mais finit par rejoindre de fait la position de Barnave, qui devant le lynchage de Foulon (ministre de Louis XVI) et de Berthier de Sauvigny (intendant) s’était demandé : « Ce sang était-il donc si pur ? » pour justifier des violences, avant d’ajouter qu’il fallait légiférer pour empêcher le peuple d’être terrible. Robespierre n’a jamais adopté l’attitude de Danton participant aux manifestations, voire interdisant à l’occasion l’intervention de la police dans son district des Cordeliers ! On sait qu’il n’est pas davantage actif pendant la journée de 10 août 1792, alors qu’il habite à 300 mètres des Tuileries prises d’assaut, ni au moment des massacres de septembre 1792, alors que d’autres députés se déplacent. En somme, il n’a pas été porté par la violence, il s’en est accommodé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est le moins qu’on puisse dire. A-t-il fait des exécutions en série un instrument au service de son pouvoir personnel ? Non, jamais. Il a constamment récusé la Terreur en rappelant que c’était un outil du « despotisme ». Le 8 thermidor, il condamne explicitement tout « système de la terreur ». En politique, Robespierre avait surtout à cœur d’organiser institutionnellement la Révolution. Mais en mars 1793, ses idées sur le tribunal révolutionnaire sont refusées par les députés de la Convention où se noue un compromis entre Montagnards et Girondins. Quand plus tard, par la loi du 10 juin (prairial) 1794, il réorganise ce tribunal révolutionnaire – suppression des défenseurs, choix entre acquittement ou la mort, mise en place de commissions de tri des suspects sous le contrôle des comités –, ses collègues craignent qu’il prenne le pouvoir contre eux, alors que la procédure ne change pas pour les accusés ordinaires. Cependant, ses ennemis s’efforcent d’accélérer ce qu’on appelle « la Terreur » en envoyant de plus en plus de gens à la guillotine pour le salir. Sur 2 500 personnes guillotinées à Paris entre l’été 1793 et l’été 1794 (thermidor), presque la moitié le sont entre le 10 juin et le 29 juillet, sous la responsabilité de Vadier, Fouché, Fouquier-Tinville.
Et les massacres de masse en Vendée ? En Vendée, Robespierre a laissé faire les sans-culottes. Il les soutient – alors qu’on entend les premières dénonciations sur les exactions des généraux – jusqu’en décembre 1793. C’est seulement à partir de décembre qu’il les lâche avant de les faire arrêter. Il bascule alors de l’acceptation de la violence à l’opposition à une violence exagérée, qui commence à être connue. Peut-être a-t-il changé d’avis pour des raisons idéologiques ou, plus cyniquement, une fois toutes les insurrections écrasées, s’est-il dit qu’il n’avait plus besoin des sans-culottes.
L’incorruptible était donc un cynique… Ou simplement un homme d’État, amené à prendre des décisions brutales. Jusqu’à fin 1793- début 1794 les sans-culottes parisiens détiennent le contrôle du ministère de la Guerre. Et ils sont une menace directe pour la Convention, qu’ils contestent ! Les députés, Robespierre avec les autres, sont loin de diriger le pays d’une main de fer. Pendant la même période, il a, contre les sans-culottes, protégé 73 Girondins, ce qui n’est quand même pas rien. Le fait-il pour des raisons humaines ou politiques ? Les preuves manquent mais on peut pencher pour la seconde hypothèse.
Reste le fameux : « Éliminez-les tous, les femmes et les enfants… » Aucun membre du Comité de salut public n’a jamais prononcé ces mots ! Le décret du 1er août 1793, proposé par Barère, avant que Robespierre entre au comité, demande précisément que les femmes et les enfants soient protégés avant d’être envoyés hors de Vendée. Ceux qu’il faut exterminer, ce sont les « brigands de la Vendée », comme d’ailleurs les « brigands » dans toute la France, ce qui s’appliquera notamment aux Bretons, aux Basques, sans parler des Toulonnais, des Lyonnais ou des Marseillais. Il faut éviter de transmettre les idées fausses propagées depuis le 9 thermidor par certains députés, qui ont chargé Robespierre de tous les maux et ont fait de lui un monstre que personne ne comprend, pour faire oublier leurs propres responsabilités.
Peut-être. Mais pour beaucoup d’historiens, dès son enfance Maximilien Robespierre était un homme à part… C’est faux. Son enfance est celle de tous les enfants malheureux qui ont perdu leurs parents. Condorcet et Montesquieu étaient également orphelins et, comme beaucoup d’autres enfants de son époque, Maximilien Robespierre fait de très bonnes études. S’il faut distinguer quelque chose dans son enfance, c’est son appartenance à un milieu catholique extrêmement fort. Il est manifestement très attaché à un catholicisme qui serait celui du nord de la France et des béguinages un peu austères, dispensant une culture à la fois distincte du catholicisme mystique et du jansénisme. Cela explique qu’il ait été l’auteur incontestable de la loi du 6 décembre 1793 qui a instauré la liberté de culte et condamné l’athéisme comme contre-révolutionnaire, tout en approuvant la dénonciation des prêtres accusés de fanatiser les populations.
Quid de sa vie affective ? On ne lui connaît pas de relations avec des femmes… Certes, mais Robespierre est loin d’être un cas isolé. Carnot se marie très tard et je ne suis pas sûr qu’il ait eu beaucoup de maîtresses auparavant ; Marat écrit qu’il n’a pas eu de rapports sexuels avant ses 21 ans. Dans Les Institutions républicaines, un texte de philosophie politique publié après sa mort, Saint-Just consacre une page et demie à un jeune homme qui décide de rompre pour des raisons d’engagement politique, car il n’est pas possible d’aimer et la patrie et une femme. C’est aujourd’hui assez incompréhensible parce qu’on pense aux grands séducteurs que furent Mirabeau, Danton ou Barras.
Robespierre semble en tout cas avoir été absorbé totalement par la politique… Pour la période 1792-1794, c’est à peu près évident. Mais il partage la vie de tous les membres des comités qui siègent de 10-11 heures du matin jusque tard dans la nuit, pendant ces années-là. On sait qu’avant 1792, il allait de temps à autre au théâtre et qu’il était invité chez les Roland ou les Desmoulins. Il n’a pas cependant la vie familiale de Desmoulins ni les intérêts de Danton, pas plus qu’il n’a eu la vie militante de Marat. Cependant, la légende noire, après thermidor, a ridiculisé les moments qu’il pouvait passer dans la famille Duplay. Son mode de vie était incontestablement austère, mais là encore sûrement pas exceptionnel.
Où réside donc le génie particulier de Robespierre ? Observons quelques faits dont nous sommes sûrs. En juillet 1791, Robespierre est reconnu, avec Pétion et Buzot, comme un des trois « incorruptibles ». Nous sommes après l’arrestation du roi à Varennes. Alors que l’Assemblée nationale maintient contre toute évidence que le roi et la reine ont été enlevés, Robespierre, avec quelques autres députés, rappelle les déclarations contre-révolutionnaires du roi et soutient les mouvements qui lui sont hostiles. Reconnu par l’opinion comme doté d’une rigueur morale à part, il est l’un des refondateurs du club des Jacobins. Mais rappelons qu’il est très minoritaire à l’Assemblée et peu influent dans le public. Le deuxième moment, plus ambivalent, se situe en décembre 1792 et janvier 1793, quand Robespierre demande avec Saint-Just, en écho aux réclamations des sans-culottes, que le roi soit exécuté sans jugement. Cependant, les députés jugent le roi, et votent certes sa mort, mais à l’issue d’un procès ! Robespierre a encore bien moins d’influence que Marat, Danton, véritable acteur politique, impliqué dans la chute de la monarchie, le 10 août 1792, ou encore Barère, certes moins connu, mais qui fut l’un des hommes clés de la Convention.
Mais Robespierre arrive à faire décréter la non-rééligibilité des membres de la Constituante ! N’est-ce pas là un coup de génie qui le débarrasse en une seule fois de toute une génération de concurrents ? Robespierre a certainement bénéficié de cette mesure, prise le 16 mai 1791 alors qu’il est effectivement engagé dans des rivalités avec d’autres « patriotes », membres comme lui du club des Jacobins, mais il n’était pas à la manœuvre.
Quand Robespierre a-t-il pris les rênes de la France ? Est-ce en Juillet 1793 à son entrée au Comité de salut public ou à la mort de Danton en mars 1794 ? Jamais. Il n’entre au Comité de salut public qu’en juillet 1793, plus de quatre mois après sa création, il est président de la Convention comme beaucoup d’autres députés et signe les arrêtés comme d’autres membres du Comité. Et il compte des ennemis au sein même du Comité et à l’intérieur du Comité de sûreté générale, comme Vadier, Amar. Le sommet de son influence se situe en janvier-février 1794. Pendant quelques mois, il jouit de la confiance du public, alors qu’il est engagé dans des luttes politiques compliquées contre les sans-culottes et qu’il prend ses distances avec Danton et Desmoulins, qui réclament « l’indulgence ».
Pourtant, il évite le terrain… C’est un homme de cabinet. Les rapports de police n’en attestent pas moins qu’au début 1794, et jusqu’à fin mars, Robespierre a la confiance des Parisiens qui connaissent ses discours aux Jacobins ou à l’Assemblée. Au passage, on a tort d’imaginer une existence écrasée par un régime « totalitaire » : en dépit de la guerre, de la misère, de la surveillance et de la répression qui sévissent dans certaines régions, à Paris les gens parlent et vivent normalement, vont au théâtre, dans les guinguettes, voire dans les lieux de prostitution…Ce n’est pas le nazisme !
En même temps les prisons sont pleines, les arrestations arbitraires sont fréquentes… Je vous ferai une réponse brutale : pour 700 000 Parisiens, on compte 7 000 prisonniers. Les tribunaux révolutionnaires ont cessé d’exister à l’ouest, seuls deux perdurent, à Orange et à Arras. Les meneurs de la répression violente à Nantes, Bordeaux, Lyon sont rappelés. Bref, évitons de projeter sur la réalité de 1794 les images de totalitarismes du xxe siècle. Disons plutôt qu’à la fin de l’hiver 1794 les Français sont soumis à une pression considérable, à une disette très forte et surtout qu’ils sont de plus en plus décontenancés devant les luttes entre sans-culottes et conventionnels, ne sachant plus à qui se rallier. Ils accordent alors leur confiance à Robespierre. Apparemment isolé, celui-ci se trouve au printemps au cœur d’un réseau puissant qui contrôle Paris. Tous les personnages importants de la capitale sont ses proches : le maire de Paris, l’agent national qui contrôle les sections, le commandant de la Garde nationale, le président du Tribunal révolutionnaire, le président de ce qu’on appelle la Commission administrative et qui est l’équivalent du ministère de l’Intérieur, et puis l’École de Mars – des gens qui peuvent théoriquement mobiliser jusqu’à 20 000 hommes.
Cela ressemble à l’appareil sécuritaire d’une dictature, non ? C’est ainsi qu’on le racontera après thermidor, mais au printemps 1794 tous les membres du Comité de salut public sont d’accord pour imposer des baisses de salaire aux ouvriers, limiter les remboursements des dettes de l’État et libéraliser le commerce de détail !
Comment expliquez-vous que Robespierre finisse par perdre ses soutiens ? À partir de la mi-juin 1794, la peur qu’il inspire pousse des députés à changer de logis tous les soirs, tandis que la contestation contre lui prend notamment la forme des « Banquets fraternels », manifestations de rue encore mal connues aujourd’hui. Une sorte de « Nuit debout » anti-Robespierre, annonçant que le 9 thermidor la rue ne le soutiendrait pas !
Au printemps 1794, la Vendée est sous contrôle et les armées victorieuses. Robespierre envisage-t-il de faire de la Terreur un mode de gouvernement durable de la Révolution, ce qui expliquerait la perte de ses soutiens ? La réorganisation du tribunal révolutionnaire était approuvée depuis le printemps par tout le Comité de salut public. Ce qui sera reproché à Robespierre c’est d’avoir imposé la loi du 22 prairial sans chercher l’assentiment des deux comités, salut public et sûreté générale. Quant à la Vendée, les mesures essentielles avaient déjà été prises en avril.
Comme les indignés d’aujourd’hui, Robespierre a assez peu produit d’idées originales. À vous lire, il a davantage emprunté qu’innové. Je ne me prononcerai pas sur les indignés, sauf à dire qu’une idée n’a pas d’efficacité en soi, mais dans un contexte particulier. Ce qui n’est qu’un lieu commun à un moment est susceptible de devenir un drapeau mobilisateur à un autre. Pour en revenir à Robespierre, il traverse toute la Révolution en incarnant, avec succès, des idées souvent empruntées à d’autres. Il s’est inspiré de Billaud-Varenne, comme du Comité d’instruction, pour les fêtes nationales, notamment celle de l’Être suprême et pour l’immortalité de l’âme. Beaucoup de révolutionnaires partagent ses préoccupations et se livrent aux mêmes emprunts, mais tous ne réussissent pas à attirer l’attention comme il le fait au printemps 1794. C’est alors qu’il cristallise rancunes et jalousies.
N’empêche, l’incorruptible n’était pas blanc-bleu : la politique nécessitait déjà de l’argent et Robespierre n’en a jamais manqué… Il n’y a pas de preuves, mais on ne sait pas comment son logeur Duplay, un gros entrepreneur qui achète des biens nationaux, fait des affaires. En tout cas, il a aidé Robespierre. Par ailleurs, Robespierre lance deux journaux en 1792, mais je ne sais pas d’où vient l’argent. Je sais qu’il ne se reconnaissait aucune compétence en matière économique. Il n’avait donc apparemment aucun lien avec les milieux d’affaires, mais pour cela, comme pour le reste, on ne sait pas avec certitude si c’était par vertu ou par habileté politique.[/access]
Robespierre, la fabrication d’un monstre, Jean-Clément Martin, Perrin, 2016.
On ne peut pas légiférer sur l’art de vivre. On ne va pas faire des lois pour interdire de manger son cassoulet avec du ketchup. On ne va pas faire des lois ordonnant qu’on dispose le couteau à droite de l’assiette et la fourchette à gauche, on ne va pas faire des lois pour expliquer que quand on fait la fête on ne met pas les femmes dans une pièce et les hommes dans une autre. On ne va pas faire des lois pour expliquer tout ce qui est « d’usage de faire ».
On ne peut pas faire de la coutume l’objet d’une transcription continue et exhaustive dans le droit positif. D’abord parce que la coutume est en grande partie immatérielle, ensuite parce que la coutume nous est si spontanée que nous n’avons pas toujours le recul nécessaire pour réaliser que nos pratiques sont spécifiques à notre culture. Enfin, parce que nous avons des millions d’habitudes que nous ne pouvons recenser complètement, et les figer dans le marbre ferait des vivants des morts.
Les hommes, avant d’être gouvernés par le droit souverain d’un Etat, doivent être gouvernés par le respect de la coutume, par souci de bienséance, par souci d’humilité, par ce rejet du scandale qui doit habiter en chacun. On se plie aux mœurs, par-delà le bien et le mal. On peut trouver que les habitudes sont sottes, que les gestes sonnent creux, que les croyances sont infondées, mais quand on s’y oppose on doit s’attendre à trouver devant soi le peuple qui désapprouve – y compris dans un silence résigné.
Mais comme nous vivons dans un âge positif où plus aucune légitimité législative n’est accordée à la coutume, et de façon générale où tout est déshabillé de son principe historique ou anthropologique pour ne plus être qu’un objet strictement légal et utilitaire (le mariage, les prénoms, la succession, l’habillement, la grammaire…), à chacun revient la revendication du mode de vie qui lui sied, et plus rien ne peut s’opposer la coexistence de coutumes qui ne s’accordent pas. En d’autres termes : au nom du vivre-ensemble que l’on brandit, les gens sont sommés de ne plus former aucune collectivité de culture, mais une collectivité réduite à ses dénominateurs les plus bas : l’individu, l’utilité, l’argent. Ainsi, la nationalité n’est-elle plus revendiquée par l’adoption de la culture commune (assimilation et intégration sont des notions jugées coercitives, voire colonialiste, voire pire), mais par la détention de la nationalité (objet bureaucratique) et la participation à l’impôt (objet économique).
On ne peut pas légiférer sur le burkini, à moins de légiférer arbitrairement. À la limite, pourquoi pas, dans la mesure où les circonstances en appellent à la condamnation du trouble à l’ordre public qui se manifeste à l’évidence. Mais le burkini n’est pas un fait en soi : le burkini n’est que l’appendice d’un phénomène bien plus gigantesque, que la loi — pour le coup en état de légitimité de le faire — refuse de trancher net : l’irrigation dans le droit d’un réseau de plus en plus dense d’accommodements raisonnables avec l’islam, à la faveur d’une abdication de ce qu’est réellement la culture européenne, laquelle à cet endroit précis du débat se définit ainsi : on se rend à la plage pour que la peau jouisse de l’eau de mer et du soleil. Une vieille coutume. Le Code civil était, il est vrai, jusqu’à présent assez muet sur la question.
Nicolas Sarkozy, début juillet, dans le Nord-pas-de-Calais (Photo : SIPA.00762930_000007)
Le célèbre commentateur de football aujourd’hui disparu, Thierry Roland, avait l’habitude d’utiliser une expression imagée lorsque la physionomie d’un match changeait : « Les mouches ont changé d’âne. » C’est un peu le message que souhaitent faire passer d’autres commentateurs, cette-fois ci dans le domaine politique. En un été, tout aurait changé. Juppé hier au firmament des pronostics serait démonétisé et Nicolas Sarkozy, qui était aux fraises, serait aujourd’hui le favori.
Par quel miracle ce retournement a-t-il été possible ? Les fameux « observateurs » souvent vilipendés par Nicolas Sarkozy lui-même, auraient-ils un besoin urgent de maintenir du suspense dans la primaire ? On répondra d’autant plus positivement à cette dernière question qu’on ne voit vraiment aucun élément factuel pour valider ce retournement.
Les premiers sondages qui sont tombés au moment de l’annonce de la candidature de l’ex-président montrent d’ailleurs une baisse spectaculaire de sa popularité, y compris dans l’électorat du parti dont il était président jusqu’à mardi. On argue que Nicolas Sarkozy est meilleur en campagne qu’Alain Juppé. On n’en disconviendra pas (enfin, pas totalement car après tout il a réussi à perdre face à François Hollande dans une France à droite…). Seulement cet incroyable talent de bête de campagne ne date pas de cet été et on ne faisait pas valoir cet argument lorsque le maire de Bordeaux avait les faveurs du pronostic. Ensuite, on explique Juppé aurait eu une mauvaise gestion des attentats de l’été contrairement à son rival. Là encore, rien ne permet de valider cette thèse. L’ancien Premier ministre a en effet étonné en étant le premier à critiquer le gouvernement le lendemain de l’attentat de Nice. On ne voit pas pourquoi l’opinion, et en particulier celle des électeurs potentiels à la primaire de la droite, lui en tiendraient rigueur. Bien au contraire.
Reste l’argument selon lequel les sujets régaliens seraient aujourd’hui les seules préoccupations des Français reléguant l’économie au second plan, ce qui aiderait davantage l’ex-président de la République. Là encore, rien ne permet d’affirmer que Juppé souhaite délaisser ces thèmes. Il leur a d’ailleurs déjà consacré un ouvrage l’hiver dernier, qui comporte un échange avec Natacha Polony, laquelle n’est pas particulièrement connue pour faire preuve de faiblesse en la matière. On peut légitimement penser que notre consœur n’avait pas été choisie par hasard.
Certes Nicolas Sarkozy ne perd pas une occasion de fustiger « l’identité heureuse » prônée par son rival mais on oublie trop souvent qu’il ne s’agit aucunement d’un constat mais d’un objectif, sur lequel tout le monde y compris Nicolas Sarkozy peut s’accorder. Est-ce que quelqu’un a pour objectif de faire vivre à son pays une identité malheureuse ? Les moyens d’y arriver, en revanche, constituent un véritable débat. L’auteur de Tout pour la France dénonce les « accommodements raisonnables » que Juppé accepterait pour y parvenir alors qu’il prône lui-même une assimilation plus ambitieuse. Certes, mais pourquoi se précipiter alors pour faire de Gérald Darmanin son coordinateur de campagne, alors que le maire de Tourcoing est connu, surtout par les lecteurs de Causeur, pour se comporter en « Justin Trudeau du Nord-Pas-De-Calais » ?
Sur le plan économique, en revanche, les observateurs sont moins diserts sur une différence que Nicolas Sarkozy fait valoir par rapport à ses principaux concurrents : il refuse l’étiquette de « libéral » et dit croire aux vertus de la régulation. Si j’étais lui, je m’appuierais davantage sur ce clivage en rappelant les initiatives prises au moment de la crise financière, plutôt que de croire en une supériorité hypothétique sur le terrain régalien où ses multiples revirements et incohérences (double-peine, discrimination positive, droit de la nationalité) ne constituent pas une assurance tous risques, loin de là. Mais il ne m’écoute jamais.
Mais ce qu’il ne faut surtout pas oublier, dans l’optique de la primaire, c’est l’immense avantage d’Alain Juppé sur ses rivaux, Nicolas Sarkozy en tête : la promesse de François Bayrou de ne pas être candidat si c’est le maire de Bordeaux qui est désigné par ce scrutin constitue une force de frappe trop sous-estimée surtout ces derniers jours. Qu’on le veuille ou non, la première motivation des électeurs d’une primaire est la suivante : « Qui a le plus de chances de faire gagner notre camp ? » Dans ce cadre, les sondages ont une importance prépondérante. Or, avec Bayrou candidat, le candidat désigné par le primaire (Sarkozy, Fillon ou un autre) sort à 21 ou 22, et sans lui, Juppé sort à 30, devant Marine Le Pen. Ces études, qui ne manqueront pas de jalonner la primaire jusqu’au 20 novembre prochain, influenceront les futurs participants à ce scrutin davantage que toute autre considération. Comme en mai 2012, Nicolas Sarkozy pourra à nouveau maudire son ennemi juré du Béarn. Sans participer à ce scrutin, ce dernier devrait être la clef de son résultat final.
« L’économie britannique résiste au Brexit » titrait Le Monde il y a quelques jours. Et voici les premières lignes de l’article : « Jusqu’ici, tout va bien… L’économie britannique est-elle comme l’homme qui a sauté d’un immeuble dans le film La Haine, de Mathieu Kassovitz, en 1995, ne sachant pas encore qu’il va s’écraser ? Ou se révèle-t-elle plus solide que prévu ? Les premières statistiques économiques publiées depuis le Brexit – le référendum s’est tenu le 23 juin – indiquent une robustesse inattendue. “Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais, pour l’instant, ça va ”, reconnaît John Hawksworth, économiste en chef chez PricewaterhouseCoopers. »
En filigrane, on lit la persistance des prédictions apocalyptiques qui s’étaient accumulées au moment du référendum. Le Monde aurait pu considérer que le Brexit était « sans effet sur » l’économie britannique ou même qu’il lui « bénéficiait ». Il préfère dire que cette économie « résiste » au Brexit ; en d’autres termes : le Brexit est nécessairement mauvais pour l’économie britannique mais, pour l’instant elle tient le coup. « Pour l’instant, ça va », comme l’affirme l’économiste cité dans l’article. Le verbe de discours choisi par le journaliste est intéressant : John Hawksworth « reconnaît » que pour l’instant, ça va. Il est forcé de l’admettre, contre la logique, les prédictions, etc. Ce n’est pas seulement un commentaire, c’est l’aveu d’une erreur, à tout le moins d’une discordance entre ce qui était prévu et ce qui se produit en réalité… mais qui est censé ne pas remettre en cause la validité des prédictions !
Cet économiste est le représentant exemplaire de tous les experts qui se sont succédé dans les médias en juin dernier pour nous annoncer les malheurs qui attendaient les Britanniques s’ils se prononçaient en faveur du Brexit puis nous asséner à nouveau ces prophéties quand il eut été entériné. Et le journaliste qui rédige l’article du Monde assume un « jusqu’ici, tout va bien » qui le place clairement dans le même camp que cet économiste. « Plus solide que prévu », « robustesse inattendue » : prévu par qui, inattendue pour qui ? Bien entendu, des gens avaient prévu ce qui arrive. Toutefois, le journaliste prend clairement parti en suggérant, de manière très paradoxale, que la crédibilité doit demeurer du côté de ceux qui avaient prévu l’inverse. Il y a les spécialistes et il y a les pignoufs, zut alors. La référence au type qui saute de l’immeuble montre nettement que la bonne forme de l’économie britannique ne saurait durer : tôt ou tard, boum. Ce qui est certain, c’est qu’au moindre mouvement baissier (petit concept technique qui fait chouette), on sait déjà quelle sera l’explication avancée. Experts et médias n’ont, en fait, qu’à attendre patiemment. Or, une prophétie qui finit forcément par se vérifier est, par définition, une prophétie à la noix.
L’épisode Brexit s’est tout entier déroulé sous le signe de l’irrationnel. Son traitement médiatique demeure, on le voit, tissé de pensées préconçues, explicites ou implicites, relevant totalement de ce qu’Alain Minc reconnaissait être des « convictions en forme d’évidences », en d’autres termes des articles de foi, des points de dogme échappant à toute démonstration logique. Que LeMonde ait pu annoncer en titre que la Grande Bretagne quittait « l’Europe » (et non l’Union Européenne) pourrait paraître anodin : on comprend bien que le référendum ne peut avoir prise sur une réalité géographique immuable. Pourtant, c’est aussi très révélateur d’une constante du discours médiatique : on parle de l’Union Européenne comme d’une réalité naturelle alors qu’elle est une construction politique (qui peut donc être contestée, modifiée, etc.). Corollairement, on inscrit son évolution dans un sens de l’histoire préécrit, croyance typiquement religieuse qui imprègne le prépensé médiatique. Si, comme le disait une journaliste, l’Europe a une « vocation naturelle à l’élargissement », alors le Brexit est un phénomène contre-nature. En tant que tel, il était imprévisible. Pire, il n’aurait jamais dû avoir lieu. Il y a eu un bug dans la matrice. L’irrationnel fut donc convoqué pour l’expliquer et l’on se demanda, sans rire : « quel rôle a joué le mauvais temps dans le vote britannique ? » Les augures se sont trompés mais, ainsi qu’en témoigne l’article du Monde, ils continuent de prophétiser : « le Royaume Uni va subir ceci, va au-devant de cela ». La scénarisation morale du réel a commencé largement en amont. Souvenez-vous : les uns « mènent une campagne pour essayer de convaincre de la nécessité de rester dans l’UE », quand les autres « collent des affiches de propagande ». Si les uns avaient gagné, on aurait titré sur leur « joie ». En revanche, les partisans du Brexit étaient « sonnés » : des idiots qui ne comprenaient rien aux conséquences de leur vote.
Mais il y a un mot qui a été adopté sans pincettes par tout le monde, à commencer par la presse britannique, sans faire tiquer personne : « divorce ». Pour ma part, je le mets sur le même plan que le « coup de pouce au smic », la « dose de proportionnelle » ou le « patron des patrons » : ce sont des images, impropres et biaisées, mais devenues incontournables. Des métaphores dont on a oublié qu’elles en sont et dont on n’envisage même plus de se passer.
En réalité, le seul critère qui permette de parler de divorce dans le cas du Brexit, c’est l’idée de séparation. Pour le reste, cela ne fonctionne pas. Pour divorcer, il faut être en couple. Et à partir du moment où le divorce est acté, le couple n’existe plus. Or, l’Union Européenne pré-Brexit ce ne sont pas deux mais vingt-huit États. Et le départ de la Grande-Bretagne n’a pas fait disparaître l’Union européenne. Pourtant, il fallait entendre les journaleux filer la métaphore : « Après le divorce britannique, quelle sera la réaction du couple franco-allemand ? ». Apparemment, c’était un ménage à trois… « Ce divorce pourrait en entraîner un second avec la décision écossaise d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance » : tant qu’à faire, ne vaudrait-il pas mieux parler d’amputation quand le divorce a lieu à l’intérieur de l’un des conjoints ? « On entre dans l’après Brexit, il va falloir s’entendre à l’amiable pour la garde des enfants » (absolument authentique : iTélé !). Là, c’est fort.
La métaphore est donc vaseuse. Mais son omniprésence dans la bouche des journalistes traduit très clairement le choix du registre émotionnel dans le traitement du Brexit. Ainsi, il paraît que les Britanniques « ont toujours entretenu un rapport d’amour-désamour avec l’Europe ». De même, que de place accordée à des initiatives comme les « hugs contre le Brexit » (faites un câlin à un Anglais pour le convaincre de voter in) ! Pour les grands médias, l’Union Européenne n’est pas une association politique et économique conclue par des États qui entendent en tirer avantage et se réservent le droit d’y cesser toute participation si ce n’était pas le cas. C’est une affaire de sentiments. Une promesse d’amour qu’on ne saurait rompre sauf à trahir le serment prêté devant monsieur le curé. Il est d’ailleurs surprenant de constater que, parallèlement à tous les efforts que l’on fait pour lui attribuer une connotation positive (cf. la presse féminine : une femme divorcée est une femme moderne et émancipée, un père divorcé est un mec super-sympa, etc.), la notion de divorce demeure, dans le cas du Brexit, nettement dépréciative.
Après tout, imaginons que l’on conserve la métaphore du divorce : celui-ci peut être vu comme une rupture de contrat entre adultes responsables, un nouveau départ dans la vie. Ou bien il peut signer un échec et être vécu comme un drame. C’est clairement la seconde interprétation que les médias ont choisie, contre l’air du temps. Associer la métaphore du divorce à un discours cataclysmique pourrait même être considéré comme totalement réactionnaire. C’est très révélateur. Il ne fait aucun doute, en effet, que s’il avait été possible, en haut lieu, d’interdire le divorce, pardon le Brexit, les journalistes auraient voté pour une telle disposition. Si on les étiquette un peu facilement « progressistes », les médias savent donc faire preuve d’un conservatisme strict sur certaines questions. Et lors du Brexit, ils ont parfaitement démontré la validité de l’accusation que lançait un jour contre eux Jean-Luc Mélenchon dans « On n’est pas couché », s’adressant, à travers Léa Salamé, à tous les journalistes : « Vous les médias, vous êtes le parti de l’ordre ! ».
Que ce soit clair : je n’ai pas d’opinion sur le Brexit, je n’en pense rien. Je me suis, comme bien d’autres, délectée des mines d’enterrement de nos maîtres à penser et du ridicule de leurs exagérations alarmistes. Mais je suis tout à fait disposée à concéder que le rejet de la doxa médiatique, violent et souvent accompagné d’une sévère paranoïa complotiste, n’est pas en soi une preuve de bonne santé intellectuelle. Est-il nécessairement, comme on voudrait nous le faire croire, un signe de bêtise ? Si c’est le cas, je pose cette question : est-il autre chose que la réaction normale de la bêtise méprisée face à la bêtise méprisante ?
Manifestation en faveur du burkini devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000007)
Manifestation en faveur du burkini, jeudi 25 août, devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000007)
Les nombreux et divers défenseurs du burkini se félicitent. La plage est à tout le monde. Se baigner en tenue islamique est une liberté fondamentale, c’est le Conseil d’Etat qui le dit. Les mauvaises langues répliqueront que, justement, ce n’est guère encourageant quand on se rappelle que la déraison des « Sages », qui affirmaient en 1992 qu’il était urgent de ne rien faire s’agissant du voile islamique à l’école, nous a fait perdre dix ans dans la lutte contre l’islam radical et sécessionniste dont tout le monde, à l’exception de quelques gauchistes maintenus et des journalistes de France Inter, pense désormais qu’il menace le pacte républicain – en dehors du fait qu’il offre au terrorisme djihadiste un terreau de sympathisants.
Rien de surprenant, donc : pour le Conseil d’Etat, chacun fait ce qui lui plaît et les vaches de tous seront bien gardées. La haute juridiction administrative défend une conception de la liberté individuelle et de ses possibles restrictions partagée, non seulement par des tas de grands esprits et 95 % des journalistes à l’intérieur de nos frontières, mais aussi, nous l’a-t-on assez seriné comme s’il s’agissait d’un argument définitif, à l’extérieur, notamment aux Etats-Unis où toute la presse braille au sujet de la folie liberticide française. Après tout, cette vision libérale au sens le plus profond de ce terme, a aussi ses lettres de noblesse – rappelées par Alain Finkielkraut qui examine les deux conceptions dans l’Identité malheureuse. Du reste, l’argument du Conseil d’Etat ne saurait être évacué d’un trait de plume : s’il peut s’avérer nécessaire de restreindre une liberté fondamentale, cela ne doit pas être à la légère. Rappelons cependant que des gens qui s’étranglent de rage parce que l’on envisage de règlementer une tenue vestimentaire trouvent parfaitement légitime qu’on légifère sur nos comportements sexuels. Allez comprendre.
Pas touche, même avec les yeux !
On peut évidemment retourner l’argument et se demander s’il est cohérent de défendre l’interdiction du burkini quand on a milité contre celle de la prostitution. Désolée, ma sexualité ne concerne que moi et les autres adultes consentants avec lesquels je m’y adonne, alors que ma tenue vestimentaire est un message adressé à mes semblables. Or, quoi que prétendent les perroquets du progressisme, celui qu’adresse le burkini est un message de défiance à l’égard de la France et de ses mœurs. Se rendre en burkini sur la plage, c’est une drôle de façon de vivre-ensemble, qui commence par dire : pas touche, même avec les yeux !
Pour autant, l’interdiction ne devrait être qu’un recours ultime destiné à montrer que nous ne cédons pas quand on nous teste. Or, l’apparition récente de cette nouvelle lubie vestimentaire suggère qu’il ne s’agit pas tant d’une nécessité dictée par la foi que d’un bras d’honneur métaphorique à notre mode de vie et à la mixité des sexes qui en constitue le cœur nucléaire. Curieuse façon de contribuer à l’unité nationale que d’afficher un signe d’hostilité à la culture nationale.
Au FN et chez LR, on réclame désormais une loi — à laquelle Manuel Valls aura du mal à s’opposer. Le risque qu’un tel débat législatif tourne à la foire d’empoigne pour favoriser, in fine, le lamento victimaire des prétendues autorités musulmanes, n’est certes pas négligeable. Mais après tout, on ne va pas bouder la possibilité d’un débat.
Cependant, plus que la peur de la loi, c’est la volonté de contribuer pleinement au pacte républicain qui devrait pousser les musulmans de France à entendre l’humeur du pays. On aimerait, oui, que les musulmanes renoncent spontanément à un habit qui effraie leurs concitoyens et leur rappelle ceux qui leur ont déclaré la guerre. Par souci de la susceptibilité majoritaire, autrement dit au nom d’une certaine courtoisie républicaine. Faute de quoi, ils gagneront peut-être la bataille du droit, ils perdront la plus importante : celle des cœurs et des esprits. Que diable, la France vaut bien un maillot de bain !
François Hollande visite le festival Futur en Seine en juin dernier (Photo : SIPA.00759636_000001)
François Hollande visite le festival Futur en Seine en juin dernier (Photo : SIPA.00759636_000001)
Nous avons donc appris, au détour de « confidences » faites non pas sur l’oreiller mais au micro de deux journalistes triés sur le volet que François Hollande, ci-devant président de la République, avouait « ne pas avoir eu de bol » avec le chômage. Parce qu’il est bien connu que tout ceci, le chômage comme la politique économique, c’est une pure question de chance. Bref que l’on joue la vie de millions de Français à pile ou face.
Sauf que, depuis quelques jours, le joueur est tout ragaillardi. Pensez-vous, la chance vient donc de tourner. L’INSEE publie des données (au sens du BIT) du chômage qui sont favorables. Bien sûr, celles de Pôle emploi, la DARES, le sont un peu moins. Mais, on vous le dit, la chance vient de tourner ! Du moins, tel est le refrain que l’on entend en boucle sur les médias.
Alors regardons les chiffres, ceux de la DARES en particulier. On sait que la catégorie qu’il convient d’observer n’est pas la catégorie « A » mais l’agrégat « A + B + D » qui reflète plus honnêtement les évolutions.
Si la catégorie A diminue de juin à juillet (de 3,5257 millions à 3,5066 millions soit de 19 100 personnes), les deux autres catégories (B et D) elles augmentent de 16 700 pour la catégorie « B » et de 10 000 pour la catégorie « D », soit un total de 26 700, qui fait plus que compenser la diminution de 19 100 personnes de la catégorie « A ». Caramba, encore raté !
Mais il y a plus inquiétant encore. Les statistiques données de mois en mois ont peu d’intérêt, sauf quand on est en présence d’une rupture majeure. Il faut alors observer la tendance dans la durée.
Evolution depuis octobre 2012 des catégories « A+B+D » et « C+E » (quasi-chômage).
Données DARES
On constate que la courbe représentative du chômage (A+B+D) montre une stabilisation mais non une inversion du mouvement. Mais, on constate aussi que la courbe des catégories C+E, qui est représentative du « quasi-chômage » ou des emplois précaires, continue d’augmenter. Caramba, toujours raté !
Dans la Provence du jeudi 25 août, pages 2-3, un long article présente la rentrée politique de Nicolas Sarkozy dans l’après-midi et la chaleur étouffante de Châteaurenard — ce qui a permis à son féal Estrosi de parader à ses côtés plusieurs heures durant. Et faisant la jonction entre les deux pages, une belle image de Sarko galopant sur un pur camarguais :
(Photos : J.-P.B. / SIPA_ap20578580_000004 / DR / AP20230328_000007 / SIPA_ap21536884_000011 / SIPA_ap21290168_000010 / SIPA_ap21311017_000001 / SIPA_ap20847100_000001 / SIPA_ap21076784_000005 / Image extraite d'un album de Jean Tabary / J.-P.B.)
Allez, je vous la repasse en gros plan :
La photo remonte à la campagne de 2007 : on sort les mêmes (images) et on recommence — enfin, j’imagine que c’est ce que le candidat à la candidature imagine.
Je ne sais pas si l’ancien président de la République a des « conseillers-image », comme on dit. Au fond, j’en doute. Il a son propre réservoir d’images de références. Celle-ci, par exemple, qui correspond à son âge — et à celui de nombre de ses électeurs, ce n’est pas lui faire offense que de dire qu’un discours axé sur les retraites vise une certaine catégorie de population, celle qui avait entre 15 et 20 ans dans les années 1960 — et à ses goûts musicaux. Remember ?
C’était pour un film intitulé D’où viens-tu Johnny (1963). Un chef d’œuvre. L’Halliday national y chantait « Pour moi la vie va commencer »…
Ça, c’est en amont lointain. Mais il y a aussi les références plus récentes. D’autres présidents ont chevauché hardiment. Par exemple :
C’était en 1985, au Rancho del Cielo, et le cheval (blanc, lui aussi) s’appelait El Alamein — un beau nom de victoire.
Mais surtout, il y a le grand chevaucheur — et torse nu, m’sieurs-dames :
Poutine a mis la barre très haut. Non seulement il sait faire du cheval (ce qui n’était pas le cas de Johnny en 1963, et pour Sarko, il a l’air moyennement à l’aise), mais il excelle au judo…
… en natation — et du papillon, pas de la brasse…
… et en plongée :
Ce qui a quelque peu excité la verve des plaisantins, sauf qu’au fond, il exacerbe l’image testostéronée du tsar de toutes les Russies — un surhomme ! Comme dit Eddy Mitchell, « on veut des légendes » !
Sarkozy se rêve-t-il tsar ? Déjà, il se rêve à nouveau président — preuve qu’il n’a jamais mesuré la haine dont il est l’objet dans l’opinion — tout comme Hollande ne mesure pas le mépris qu’il suscite. On ne se relève pas du mépris — quant à la haine…
Dans lesMille et une nuits, à plusieurs reprises, le calife Haroun al Rachid se déguise « en marchand » et part à l’aventure dans Bagdad, à la nuit tombée, souvent escorté de son poète favori — un homosexuel notoire, au passage (mais ça, c’était l’islam avant). Et notre souverain demande innocemment aux clients des boîtes de nuit où il s’arrête ce qu’ils pensent du calife — et il en apprend des vertes et des pas mûres (rassurons-nous : les dysfonctionnements qu’on lui impute sont en général dus aux malversations du grand vizir, qu’il suffira d’empaler pour que l’ordre et l’harmonie règnent à nouveau).
Le problème, c’est que nos potentats modernes ne sortent plus dans le monde — ou strictement le leur. Ce n’est plus Haroun al Rachid, mais Haroun el Poussah :
Les uns et les autres devraient de temps en temps se déguiser et descendre au bistro du coin — un coin populaire pour changer. Pas au Fouquet’s. Qu’on leur dise la vérité — s’ils sont capables de l’entendre. Tout comme ils devraient visiter Marseille à huit heures du matin, et remonter la rue Longue-des-Capucins, à partir du marché du même nom.
Et laisser la place à des gens un peu neufs. Sous peine de finir comme un vulgaire vizir du IXème siècle à Bagdad — métaphoriquement, bien sûr.
Jean-Paul Brighelli, qui bien sûr ne se résume pas à :
C’était il y a longtemps — avant que mon ex-femme ne vende dans mon dos la bête pour une poignée de pesetas…
Manifestation devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000008)
Manifestation devant l'ambassade de France à Londres (Photo : SIPA.AP21942517_000008)
Lors d’un séjour à Birmingham en 2003, un interlocuteur quelque peu agressif m’expliqua avec une certaine suffisance que la France aurait certainement dû prendre des leçons du Royaume-Uni en matière d’intégration et de tolérance vis-à-vis des minorités religieuses. Je lui répondis avec un peu d’acrimonie – et peut-être de mauvaise foi – que les Français avaient effectivement beaucoup de leçons à recevoir de nos amis Britanniques qui accueillaient sur leur sol si complaisamment la fine fleur des prêcheurs salafistes ultraradicaux, dans les plus prestigieuses mosquées londoniennes, à Finsbury Park ou Brixton.
La discussion n’alla pas plus loin. A l’époque où je rembarrais gentiment mon Anglais amateur de frog bashing, on parlait déjà de « Londonistan ». Après les attentats contre les tours jumelles du World Trade Center, le gouvernement britannique avait entrepris de faire un peu de ménage, le sujet commençait à devenir sérieusement embarrassant… Le 7 juillet 2005, quatre explosions dans le métro londonien et dans un bus à impériale causaient la mort de 52 personnes. Je n’ai jamais revu celui qui, un an et demi auparavant, me présentait le Royaume-Uni comme un modèle d’intégration et raillait « the stupid french polemic » à propos du voile islamique en employant les mêmes termes que ceux utilisés aujourd’hui par les grands organes de presse britanniques pour se moquer de la stupide polémique française à propos du burkini.
« Absurdité française », a lancé l’éditorialiste David Aaronovitch dans The Times, estimant que de telles interdictions ne pouvaient qu’être l’œuvre « d’esprits tordus. » Pour Juliet Samuel, du Telegraph, l’interdiction des burkinis n’est rien moins qu’« un stupide acte de fanatisme ». Haro donc sur la France éternelle du racisme et de l’intolérance, avec sa laïcitié si ringarde et intransigeant, vue d’outre-Manche, voire de plus loin encore. En Australie par exemple, ou la créatrice du burkini, Aheda Zanetti, remercie les édiles français d’avoir dopé ses ventes, mais ne manque pas une occasion de dénoncer elle aussi le caractère rétrograde et discriminant de la loi française : « Jugent-ils une tenue de bain ou bien une race ou une religion ? », s’est-elle interrogée dans les colonnes du Daily Mail.
L’entrepreneuse libanaise qui a quitté son pays natal pour l’Australie à l’âge de 2 ans, est l’ambassadrice parfaite du storytelling qui s’échafaude autour du burkini. Dans un ouvrage paru en 2012, The click moment : seizing opportunity in an unpredictable world, ouvrage à mi-chemin entre l’essai et le manuel de développement personnel émaillé de quelques biographies très hagiographiques, Frans Johansson raconte la révélation d’Aheda Zanetti : « Pour Aheda Zanetti, l’un des déclics les plus importants de sa vie, celui qui allait changer sa carrière, intervint au début de l’année 2003.(…) Elle avait décidé d’aller voir sa nièce jouer au netball, la version australienne du basketball, dans un centre aéré du quartier, à Sydney. » C’est à ce moment, raconte le biographe, qu’Aheda comprend, en regardant évoluer sur le terrain sa nièce couverte de la tête au pied d’un pantalon, d’une chemise à manche longue et du maillot de son équipe, rouge comme un poivron apoplectique et à deux doigts du malaise, que l’uniforme de netball n’est pas adapté aux musulmanes pratiquantes, tout comme d’ailleurs, beaucoup de tenues sportives…et notamment les tenues de plage. Le burkini venait de naître. Ce fut une excellente intuition commerciale puisque 500 000 burkinis se sont vendus en l’espace de douze ans, à compter de la commercialisation en 2004. Le modèle de la femme d’affaire pragmatique présenté par Frans Johansson est aujourd’hui largement recyclé dans la presse anglo-saxonne mais aussi française pour opposer une France éternellement rétrograde aux sociétés multiculturelles apaisées et pleines d’intiatives. Le problème est que l’Australie n’est pas vraiment l’idyllique paradis multiculti vendu par une partie des médias.
En 2004, le nouveau « maillot » commercialisé par la société Ahiidareçoit, à la demande d’Aheda Zanetti, l’approbation du grand mufti de Sydney, le cheikh Taj Aldin al-Hilali. « J’ai obtenu un certificat ou ce qu’on appelle une fatwa du mufti », explique l’Australienne qui a déposé les marques « burkini » et « burqini »[2. 25 août 2016]. Le grand mufti de Sydney est un personnage qui gagne à être connu. Originaire d’Egypte, Aldin al-Hilali débarque en Australie en 1982 avec un visa touristique en poche, qu’il parvient à faire renouveler régulièrement durant plusieurs années. En 1988 cependant, alors qu’Hilali est depuis six ans sur le sol australien, il se lâche un peu trop lors d’un prêche enflammé à l’Université de Sydney, dans lequel il accuse les juifs de contrôler le monde « grâce au sexe, à la perversion sexuelle, ainsi que la promotion de l’espionnage, de la trahison et de la thésaurisation pécuniaire »[3. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Le ministre de l’Immigration Chris Hurford[4. http://www.abc.net.au/insiders/content/2003/s890658.htm] tenta sans succès de le faire expulser et Hilali parvint même à obtenir un statut de résidant après avoir fait amende honorable et profité en 1990 du remplacement de Chris Hurford par le plus compréhensif Gerry Hand.
Le 13 février 2004, s’exprimant devant les fidèles de la mosquée de Sidon, au Liban, Hilali s’emporte violemment contre les Etats-Unis et qualifie les attentats du 11 septembre 2001 d’« œuvre de Dieu contre les oppresseurs ». Interrogé par une journaliste de la chaîne de radio ABC quant à la signification de ses propos, Hilali se justifiera benoîtement : « En fait il s’agissait de poésie et dans la poésie nous faisons usage de l’imagination dans les représentations »[5. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Ah, ces poètes… Que ne leur pardonnerait-on pas ?
Le cas Hilali est intéressant car il est aussi le parfait exemple de ce qui peut aussi clocher dans le multiculturalisme anglo-saxon. Et si la presse étrangère regarde aujourd’hui avec horreur les « affrontements communautaires » de Sisco et l’oppression des malheureuses burkinistes, il faut rappeler que de tels incidents pourraient faire pâle figure à côté des émeutes de la plage de Cronulla près de Sydney. Le 11 décembre 2005, environ 5 000 personnes se rassemblèrent pour protester contre les vagues d’incidents récents perpétrés, selon les médias, par des jeunes d’origine libanaise habitant les banlieues Ouest de Sydney. Le rassemblement eut lieu à la suite de nombreuses confrontations et altercations, dont le viol d’une jeune Australienne et l’agression de trois sauveteurs une semaine plus tôt. Les violences se multiplièrent au cours des jours suivant : le 13 décembre, des coups de feu furent tirés sur une école catholique et une église dans le quartier de South Auburn et la violence commença à gagner d’autres quartiers de Sydney. Le 14 décembre, une église fut même détruite par le feu à Auburn. Comme de coutume dans les nations post-industrielles et postmodernes, tout se termina finalement par un rassemblement antiraciste, qui est un peu au vivre-ensemble ce que le banquet final est à un album d’Astérix.
En dépit du contexte tendu, le cheikh Hilali n’était toujours pas décidé à se faire oublier. Dans un prêche enflammé tenu au cours du mois de ramadan entre septembre et octobre 2006, celui qui avait accordé au burkini d’Aheda Zanetti un certificat de conformité islamique, saisissait l’occasion de préciser un peu plus à ses fidèles la nature de ses préférences vestimentaires : « Si vous placez de la viande dans la rue, dans le jardin ou dans un parc sans la couvrir et que les chats viennent la manger… qui doit-on blâmer, les chats ou la viande à l’air ? La viande à l’air, voilà le problème. Si elle (la femme) était restée dans sa chambre, chez elle, portant son voile, aucun problème ne serait arrivé. » On ne peut en effet rêver meilleur patronage que celui-ci… Un peu plus d’un an auparavant, Gerard Anderson, chroniqueur du Sydney Herald Tribune se félicitait tout de même que le cheikh Hilali soit naturellement amené à amender son langage face aux douces contraintes imposées par la démocratie et du multiculturalisme[6. http://www.smh.com.au/articles/2004/03/08/1078594293439.html]. Raté. En 2006, le cheikh persiste et signe en déclarant à des journalistes, après ses déclarations polémiques sur les femmes, qu’il ne démissionnera que « quand la Maison Blanche sera rasée », ce qui avait le mérite de fixer un calendrier assez vague. L’Association des Libanais d’Australie finit par obtenir de lui qu’il renonce à prêcher, au moins pour quelque temps. « Nous sommes parvenus à un accord pour qu’il prenne un peu de repos (…) et de temps pour voyager », déclare alors Tom Zreika, président de l’organisation, à l’issue d’une réunion d’urgence des responsables musulmans d’Australie. Au grand soulagement de tous, Hilali abandonne même ses fonctions de grand mufti de Sydney en 2007, remplacé par Ibrahim Abu Mohamed, dont on ne peut pas dire qu’il soit à même de susciter plus d’enthousiasme au vu de ses récentes déclarations. Après les attentats de Paris en novembre 2015, le nouveau mufti s’est gardé de formuler toute condamnation explicite des attaques et a simplement indiqué qu’il était de fait « impératif que tous les facteurs causaux tels que le racisme, l’islamophobie, la réduction des libertés en raison des politiques de sécurité, la duplicité des politiques étrangères et des interventions militaires soient soigneusement examinées. » Un communiqué ressemblant d’ailleurs beaucoup à celui que le CCIF avait publié quelques heures après les attentats de Nice.
Il était peut-être nécessaire de restituer un peu plus précisément le contexte particulier dans lequel est né le burkini au début des années 2000, afin, au moins, de tordre un peu le cou à la jolie fable de l’entrepreneuse immigrée qui crée le burkini au pays des kangourous et de la tolérance et invente une nouvelle façon d’être cool tout en restant halal sur la plage. Ceci dit, la polémique actuelle réussit à faire passer la France pour un pays désespérément crispé sur ses principes laïcs et le lobbying islamique pour un véritable combat libertaire. Quel que puisse être le ridicule ou l’outrance des arguments employés, la fascination pour la success story tant de fois relayée d’Aheda Zenatti, « Madame Burkini » montre bien que la bataille médiatique a été remportée avant même que celle des idées ait eu lieu.
Un char turc franchit la frontière syrienne, Karkamis, août 2016. Sipa. Numéro de reportage : AP21942470_000007.
Un char turc franchit la frontière syrienne, Karkamis, août 2016. Sipa. Numéro de reportage : AP21942470_000007.
Très tôt mercredi matin, la Turquie a lancé l’opération « Bouclier de l’Euphrate », une offensive militaire officiellement destinée à « nettoyer » la frontière turco-syrienne en éliminant les forces de l’Etat Islamique autour de Jarablus. Cette localité se trouve au bord de l’Euphrate, à l’ouest d’Alep, non loin de la ville turque de Gaziantep endeuillée cette semaine par un attentat particulièrement sanglant que le gouvernement turc, après avoir accusé l’EI, ne sait plus du tout à qui attribuer.
Feu sur le PKK
Or, même si l’ennemi officiellement ciblé est l’Etat islamique, il est évident que l’opération vise en premier lieu les forces kurdes syriennes réputées proches du PKK, l’organisation politico-militaire kurde qui mène depuis 1984 ans une guérilla ainsi qu’une campagne de terrorisme contre l’Etat turc.
Vu d’Ankara, si l’Euphrate a urgemment besoin d’un bouclier turc, c’est surtout pour protéger la zone des Kurdes. Or, ces derniers se trouvent être les meilleures « bottes sur le terrain » des Américains dans leur guerre contre l’EI en Syrie. Les Etats-Unis se retrouvent donc avec deux alliés – la Turquie et les Kurdes de Syrie – aux intérêts diamétralement opposés.
Ankara redoute la constitution d’un grand Kurdistan à ses dépens tandis que les Kurdes voient dans l’écroulement de la Syrie l’occasion historique d’obtenir enfin leur Etat, prenant ainsi une sacrée revanche sur l’histoire. Il y a moins de six mois, les Kurdes de Syrie sont allés jusqu’à proclamer l’autonomie du Rojava, c’est-à-dire des régions du Nord-Est de la Syrie sous leur contrôle. Cette initiative a été (officiellement) accueillie avec froideur par les Etats-Unis : même si tout le monde connaît les motivations politiques des combattants Kurdes, le crier haut et fort ne peut qu’irriter la Turquie ainsi que les Syriens anti-Assad opposés au démantèlement de leur pays. Bref, uriner dans la piscine est une chose, le faire à partir du plongeoir en est une autre. Aujourd’hui, avec le lancement de l’offensive turque, la coalition internationale contre l’EI, fait donc face à un défi compliqué.
Il faut espérer que les forces turques ont bénéficié de l’effet de surprise mais à la lecture de la presse turque, on a l’impression que tout le monde était au courant depuis un certain temps. La veille, Erdogan avait reçu à Ankara le président de la province autonome du Kurdistan Irakien, Mahmoud Barzani, afin de lui signifier le prochain lancement d’une opération anti-Daech et anti-PKK. Traditionnellement, la Turquie entretient d’excellents rapports avec Erbil, selon le principe du « diviser pour mieux régner » : tant que les Kurdes de Syrie et d’Irak s’opposeront, la Turquie dormira un peu plus tranquille.
Briefing de la presse turque
Dans les colonnes du Huriyyet Daily News, les chroniqueurs ont rédigé leurs tribunes avant même que l’artillerie turque ne tire la première salve. La question posée est aussi claire que rhétorique : la Turquie peut-elle permettre au PYD (qu’elle voit comme l’extension syrienne du PKK) contrôler l’intégralité de la frontière turco-syrienne et créer une continuité territoriale entre les régions kurdes de Syrie et d’Irak? Peut-elle rester les bras croisés quand l’établissement de proto-Etats kurdes sur ses frontières s’accompagne d’une campagne d’attentats sur son propre territoire?
Pour résumer la situation, à laquelle il compte bien remédier, Erdogan a déclaré que « la Syrie est la raison pour laquelle la Turquie est exposée au terrorisme de l’EI et du PYD », sans prendre la peine de distinguer le principal parti kurde syrien du PKK.
Ainsi, sacrifiant le secret défense les journalistes turcs à Ankara ont été briefés par les hommes du président Erdogan qui ont distillé un nouveau récit post-putsch. On suggère aux journalistes que les pilotes qui ont abattu l’avion russe le 24 novembre dernier appartenaient à la confrérie Gülen, aujourd’hui classée terroriste, tout comme leurs camarades pilotes de chasse et d’hélicoptère qui ont bombardé l’Assemblée nationale dans la nuit du 15 au 16 juillet. Les cercles proches du pouvoir affirment que les gulénistes voulaient faire avorter une opération militaire semblable à celle qu’Ankara vient de lancer.
Et le pire est qu’il ne faut pas totalement exclure cette possibilité tant les gulénistes ont réussi à infiltrer tous les rouages de l’Etat turc. Ainsi, même s’il est un peu hâtif d’attribuer la paternité exclusive du putsch aux disciples de l’imam exilé, leur capacité à mener à bien des projets politiques officieux ne fait plus aucune doute parmi ceux qui suivent le mouvement depuis longtemps.
L’échec de la stratégie syrienne pan-sunnite d’Erdogan se voit ainsi compensé par une excellente nouvelle : il peut en faire porter le chapeau aux gulénistes…
"Le matin du 10 thermidor an II", Etienne Mélingue, 1877 (Selva/Leemage)
Causeur. Tout le monde connaît Robespierre, même les adeptes des jeux vidéo comme Assassin’s Creed Unity dont l’action se déroule durant la Révolution française. Mais selon vous, il reste un « célèbre inconnu ». Jean-Clément Martin.Exactement. On croit tout savoir de lui, mais on bute toujours sur la même chose : il y a un écart qu’on ne comprend pas entre un personnage qui n’est guère différent de tous les révolutionnaires qui comptent et le rôle absolument considérable qu’il joue dans l’histoire et dans la mémoire. Face à cette énigme, l’interprétation traditionnelle consiste à voir en lui un être exceptionnel, monstrueux. Or je prétends, moi, qu’il n’est pas si exceptionnel que cela et qu’il est devenu un monstre un mois après son exécution…
Robespierre n’est donc pas à l’origine du déchaînement de violence de la Terreur ? La violence qui se déchaîne dès 1788 ne le préoccupe pas avant la fin juillet 1789. Il n’en parle jamais, s’oppose même à la loi martiale, mais finit par rejoindre de fait la position de Barnave, qui devant le lynchage de Foulon (ministre de Louis XVI) et de Berthier de Sauvigny (intendant) s’était demandé : « Ce sang était-il donc si pur ? » pour justifier des violences, avant d’ajouter qu’il fallait légiférer pour empêcher le peuple d’être terrible. Robespierre n’a jamais adopté l’attitude de Danton participant aux manifestations, voire interdisant à l’occasion l’intervention de la police dans son district des Cordeliers ! On sait qu’il n’est pas davantage actif pendant la journée de 10 août 1792, alors qu’il habite à 300 mètres des Tuileries prises d’assaut, ni au moment des massacres de septembre 1792, alors que d’autres députés se déplacent. En somme, il n’a pas été porté par la violence, il s’en est accommodé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est le moins qu’on puisse dire. A-t-il fait des exécutions en série un instrument au service de son pouvoir personnel ? Non, jamais. Il a constamment récusé la Terreur en rappelant que c’était un outil du « despotisme ». Le 8 thermidor, il condamne explicitement tout « système de la terreur ». En politique, Robespierre avait surtout à cœur d’organiser institutionnellement la Révolution. Mais en mars 1793, ses idées sur le tribunal révolutionnaire sont refusées par les députés de la Convention où se noue un compromis entre Montagnards et Girondins. Quand plus tard, par la loi du 10 juin (prairial) 1794, il réorganise ce tribunal révolutionnaire – suppression des défenseurs, choix entre acquittement ou la mort, mise en place de commissions de tri des suspects sous le contrôle des comités –, ses collègues craignent qu’il prenne le pouvoir contre eux, alors que la procédure ne change pas pour les accusés ordinaires. Cependant, ses ennemis s’efforcent d’accélérer ce qu’on appelle « la Terreur » en envoyant de plus en plus de gens à la guillotine pour le salir. Sur 2 500 personnes guillotinées à Paris entre l’été 1793 et l’été 1794 (thermidor), presque la moitié le sont entre le 10 juin et le 29 juillet, sous la responsabilité de Vadier, Fouché, Fouquier-Tinville.
Et les massacres de masse en Vendée ? En Vendée, Robespierre a laissé faire les sans-culottes. Il les soutient – alors qu’on entend les premières dénonciations sur les exactions des généraux – jusqu’en décembre 1793. C’est seulement à partir de décembre qu’il les lâche avant de les faire arrêter. Il bascule alors de l’acceptation de la violence à l’opposition à une violence exagérée, qui commence à être connue. Peut-être a-t-il changé d’avis pour des raisons idéologiques ou, plus cyniquement, une fois toutes les insurrections écrasées, s’est-il dit qu’il n’avait plus besoin des sans-culottes.
L’incorruptible était donc un cynique… Ou simplement un homme d’État, amené à prendre des décisions brutales. Jusqu’à fin 1793- début 1794 les sans-culottes parisiens détiennent le contrôle du ministère de la Guerre. Et ils sont une menace directe pour la Convention, qu’ils contestent ! Les députés, Robespierre avec les autres, sont loin de diriger le pays d’une main de fer. Pendant la même période, il a, contre les sans-culottes, protégé 73 Girondins, ce qui n’est quand même pas rien. Le fait-il pour des raisons humaines ou politiques ? Les preuves manquent mais on peut pencher pour la seconde hypothèse.
Reste le fameux : « Éliminez-les tous, les femmes et les enfants… » Aucun membre du Comité de salut public n’a jamais prononcé ces mots ! Le décret du 1er août 1793, proposé par Barère, avant que Robespierre entre au comité, demande précisément que les femmes et les enfants soient protégés avant d’être envoyés hors de Vendée. Ceux qu’il faut exterminer, ce sont les « brigands de la Vendée », comme d’ailleurs les « brigands » dans toute la France, ce qui s’appliquera notamment aux Bretons, aux Basques, sans parler des Toulonnais, des Lyonnais ou des Marseillais. Il faut éviter de transmettre les idées fausses propagées depuis le 9 thermidor par certains députés, qui ont chargé Robespierre de tous les maux et ont fait de lui un monstre que personne ne comprend, pour faire oublier leurs propres responsabilités.
Peut-être. Mais pour beaucoup d’historiens, dès son enfance Maximilien Robespierre était un homme à part… C’est faux. Son enfance est celle de tous les enfants malheureux qui ont perdu leurs parents. Condorcet et Montesquieu étaient également orphelins et, comme beaucoup d’autres enfants de son époque, Maximilien Robespierre fait de très bonnes études. S’il faut distinguer quelque chose dans son enfance, c’est son appartenance à un milieu catholique extrêmement fort. Il est manifestement très attaché à un catholicisme qui serait celui du nord de la France et des béguinages un peu austères, dispensant une culture à la fois distincte du catholicisme mystique et du jansénisme. Cela explique qu’il ait été l’auteur incontestable de la loi du 6 décembre 1793 qui a instauré la liberté de culte et condamné l’athéisme comme contre-révolutionnaire, tout en approuvant la dénonciation des prêtres accusés de fanatiser les populations.
Quid de sa vie affective ? On ne lui connaît pas de relations avec des femmes… Certes, mais Robespierre est loin d’être un cas isolé. Carnot se marie très tard et je ne suis pas sûr qu’il ait eu beaucoup de maîtresses auparavant ; Marat écrit qu’il n’a pas eu de rapports sexuels avant ses 21 ans. Dans Les Institutions républicaines, un texte de philosophie politique publié après sa mort, Saint-Just consacre une page et demie à un jeune homme qui décide de rompre pour des raisons d’engagement politique, car il n’est pas possible d’aimer et la patrie et une femme. C’est aujourd’hui assez incompréhensible parce qu’on pense aux grands séducteurs que furent Mirabeau, Danton ou Barras.
Robespierre semble en tout cas avoir été absorbé totalement par la politique… Pour la période 1792-1794, c’est à peu près évident. Mais il partage la vie de tous les membres des comités qui siègent de 10-11 heures du matin jusque tard dans la nuit, pendant ces années-là. On sait qu’avant 1792, il allait de temps à autre au théâtre et qu’il était invité chez les Roland ou les Desmoulins. Il n’a pas cependant la vie familiale de Desmoulins ni les intérêts de Danton, pas plus qu’il n’a eu la vie militante de Marat. Cependant, la légende noire, après thermidor, a ridiculisé les moments qu’il pouvait passer dans la famille Duplay. Son mode de vie était incontestablement austère, mais là encore sûrement pas exceptionnel.
Où réside donc le génie particulier de Robespierre ? Observons quelques faits dont nous sommes sûrs. En juillet 1791, Robespierre est reconnu, avec Pétion et Buzot, comme un des trois « incorruptibles ». Nous sommes après l’arrestation du roi à Varennes. Alors que l’Assemblée nationale maintient contre toute évidence que le roi et la reine ont été enlevés, Robespierre, avec quelques autres députés, rappelle les déclarations contre-révolutionnaires du roi et soutient les mouvements qui lui sont hostiles. Reconnu par l’opinion comme doté d’une rigueur morale à part, il est l’un des refondateurs du club des Jacobins. Mais rappelons qu’il est très minoritaire à l’Assemblée et peu influent dans le public. Le deuxième moment, plus ambivalent, se situe en décembre 1792 et janvier 1793, quand Robespierre demande avec Saint-Just, en écho aux réclamations des sans-culottes, que le roi soit exécuté sans jugement. Cependant, les députés jugent le roi, et votent certes sa mort, mais à l’issue d’un procès ! Robespierre a encore bien moins d’influence que Marat, Danton, véritable acteur politique, impliqué dans la chute de la monarchie, le 10 août 1792, ou encore Barère, certes moins connu, mais qui fut l’un des hommes clés de la Convention.
Mais Robespierre arrive à faire décréter la non-rééligibilité des membres de la Constituante ! N’est-ce pas là un coup de génie qui le débarrasse en une seule fois de toute une génération de concurrents ? Robespierre a certainement bénéficié de cette mesure, prise le 16 mai 1791 alors qu’il est effectivement engagé dans des rivalités avec d’autres « patriotes », membres comme lui du club des Jacobins, mais il n’était pas à la manœuvre.
Quand Robespierre a-t-il pris les rênes de la France ? Est-ce en Juillet 1793 à son entrée au Comité de salut public ou à la mort de Danton en mars 1794 ? Jamais. Il n’entre au Comité de salut public qu’en juillet 1793, plus de quatre mois après sa création, il est président de la Convention comme beaucoup d’autres députés et signe les arrêtés comme d’autres membres du Comité. Et il compte des ennemis au sein même du Comité et à l’intérieur du Comité de sûreté générale, comme Vadier, Amar. Le sommet de son influence se situe en janvier-février 1794. Pendant quelques mois, il jouit de la confiance du public, alors qu’il est engagé dans des luttes politiques compliquées contre les sans-culottes et qu’il prend ses distances avec Danton et Desmoulins, qui réclament « l’indulgence ».
Pourtant, il évite le terrain… C’est un homme de cabinet. Les rapports de police n’en attestent pas moins qu’au début 1794, et jusqu’à fin mars, Robespierre a la confiance des Parisiens qui connaissent ses discours aux Jacobins ou à l’Assemblée. Au passage, on a tort d’imaginer une existence écrasée par un régime « totalitaire » : en dépit de la guerre, de la misère, de la surveillance et de la répression qui sévissent dans certaines régions, à Paris les gens parlent et vivent normalement, vont au théâtre, dans les guinguettes, voire dans les lieux de prostitution…Ce n’est pas le nazisme !
En même temps les prisons sont pleines, les arrestations arbitraires sont fréquentes… Je vous ferai une réponse brutale : pour 700 000 Parisiens, on compte 7 000 prisonniers. Les tribunaux révolutionnaires ont cessé d’exister à l’ouest, seuls deux perdurent, à Orange et à Arras. Les meneurs de la répression violente à Nantes, Bordeaux, Lyon sont rappelés. Bref, évitons de projeter sur la réalité de 1794 les images de totalitarismes du xxe siècle. Disons plutôt qu’à la fin de l’hiver 1794 les Français sont soumis à une pression considérable, à une disette très forte et surtout qu’ils sont de plus en plus décontenancés devant les luttes entre sans-culottes et conventionnels, ne sachant plus à qui se rallier. Ils accordent alors leur confiance à Robespierre. Apparemment isolé, celui-ci se trouve au printemps au cœur d’un réseau puissant qui contrôle Paris. Tous les personnages importants de la capitale sont ses proches : le maire de Paris, l’agent national qui contrôle les sections, le commandant de la Garde nationale, le président du Tribunal révolutionnaire, le président de ce qu’on appelle la Commission administrative et qui est l’équivalent du ministère de l’Intérieur, et puis l’École de Mars – des gens qui peuvent théoriquement mobiliser jusqu’à 20 000 hommes.
Cela ressemble à l’appareil sécuritaire d’une dictature, non ? C’est ainsi qu’on le racontera après thermidor, mais au printemps 1794 tous les membres du Comité de salut public sont d’accord pour imposer des baisses de salaire aux ouvriers, limiter les remboursements des dettes de l’État et libéraliser le commerce de détail !
Comment expliquez-vous que Robespierre finisse par perdre ses soutiens ? À partir de la mi-juin 1794, la peur qu’il inspire pousse des députés à changer de logis tous les soirs, tandis que la contestation contre lui prend notamment la forme des « Banquets fraternels », manifestations de rue encore mal connues aujourd’hui. Une sorte de « Nuit debout » anti-Robespierre, annonçant que le 9 thermidor la rue ne le soutiendrait pas !
Au printemps 1794, la Vendée est sous contrôle et les armées victorieuses. Robespierre envisage-t-il de faire de la Terreur un mode de gouvernement durable de la Révolution, ce qui expliquerait la perte de ses soutiens ? La réorganisation du tribunal révolutionnaire était approuvée depuis le printemps par tout le Comité de salut public. Ce qui sera reproché à Robespierre c’est d’avoir imposé la loi du 22 prairial sans chercher l’assentiment des deux comités, salut public et sûreté générale. Quant à la Vendée, les mesures essentielles avaient déjà été prises en avril.
Comme les indignés d’aujourd’hui, Robespierre a assez peu produit d’idées originales. À vous lire, il a davantage emprunté qu’innové. Je ne me prononcerai pas sur les indignés, sauf à dire qu’une idée n’a pas d’efficacité en soi, mais dans un contexte particulier. Ce qui n’est qu’un lieu commun à un moment est susceptible de devenir un drapeau mobilisateur à un autre. Pour en revenir à Robespierre, il traverse toute la Révolution en incarnant, avec succès, des idées souvent empruntées à d’autres. Il s’est inspiré de Billaud-Varenne, comme du Comité d’instruction, pour les fêtes nationales, notamment celle de l’Être suprême et pour l’immortalité de l’âme. Beaucoup de révolutionnaires partagent ses préoccupations et se livrent aux mêmes emprunts, mais tous ne réussissent pas à attirer l’attention comme il le fait au printemps 1794. C’est alors qu’il cristallise rancunes et jalousies.
N’empêche, l’incorruptible n’était pas blanc-bleu : la politique nécessitait déjà de l’argent et Robespierre n’en a jamais manqué… Il n’y a pas de preuves, mais on ne sait pas comment son logeur Duplay, un gros entrepreneur qui achète des biens nationaux, fait des affaires. En tout cas, il a aidé Robespierre. Par ailleurs, Robespierre lance deux journaux en 1792, mais je ne sais pas d’où vient l’argent. Je sais qu’il ne se reconnaissait aucune compétence en matière économique. Il n’avait donc apparemment aucun lien avec les milieux d’affaires, mais pour cela, comme pour le reste, on ne sait pas avec certitude si c’était par vertu ou par habileté politique.[/access]
Robespierre, la fabrication d’un monstre, Jean-Clément Martin, Perrin, 2016.
On ne peut pas légiférer sur l’art de vivre. On ne va pas faire des lois pour interdire de manger son cassoulet avec du ketchup. On ne va pas faire des lois ordonnant qu’on dispose le couteau à droite de l’assiette et la fourchette à gauche, on ne va pas faire des lois pour expliquer que quand on fait la fête on ne met pas les femmes dans une pièce et les hommes dans une autre. On ne va pas faire des lois pour expliquer tout ce qui est « d’usage de faire ».
On ne peut pas faire de la coutume l’objet d’une transcription continue et exhaustive dans le droit positif. D’abord parce que la coutume est en grande partie immatérielle, ensuite parce que la coutume nous est si spontanée que nous n’avons pas toujours le recul nécessaire pour réaliser que nos pratiques sont spécifiques à notre culture. Enfin, parce que nous avons des millions d’habitudes que nous ne pouvons recenser complètement, et les figer dans le marbre ferait des vivants des morts.
Les hommes, avant d’être gouvernés par le droit souverain d’un Etat, doivent être gouvernés par le respect de la coutume, par souci de bienséance, par souci d’humilité, par ce rejet du scandale qui doit habiter en chacun. On se plie aux mœurs, par-delà le bien et le mal. On peut trouver que les habitudes sont sottes, que les gestes sonnent creux, que les croyances sont infondées, mais quand on s’y oppose on doit s’attendre à trouver devant soi le peuple qui désapprouve – y compris dans un silence résigné.
Mais comme nous vivons dans un âge positif où plus aucune légitimité législative n’est accordée à la coutume, et de façon générale où tout est déshabillé de son principe historique ou anthropologique pour ne plus être qu’un objet strictement légal et utilitaire (le mariage, les prénoms, la succession, l’habillement, la grammaire…), à chacun revient la revendication du mode de vie qui lui sied, et plus rien ne peut s’opposer la coexistence de coutumes qui ne s’accordent pas. En d’autres termes : au nom du vivre-ensemble que l’on brandit, les gens sont sommés de ne plus former aucune collectivité de culture, mais une collectivité réduite à ses dénominateurs les plus bas : l’individu, l’utilité, l’argent. Ainsi, la nationalité n’est-elle plus revendiquée par l’adoption de la culture commune (assimilation et intégration sont des notions jugées coercitives, voire colonialiste, voire pire), mais par la détention de la nationalité (objet bureaucratique) et la participation à l’impôt (objet économique).
On ne peut pas légiférer sur le burkini, à moins de légiférer arbitrairement. À la limite, pourquoi pas, dans la mesure où les circonstances en appellent à la condamnation du trouble à l’ordre public qui se manifeste à l’évidence. Mais le burkini n’est pas un fait en soi : le burkini n’est que l’appendice d’un phénomène bien plus gigantesque, que la loi — pour le coup en état de légitimité de le faire — refuse de trancher net : l’irrigation dans le droit d’un réseau de plus en plus dense d’accommodements raisonnables avec l’islam, à la faveur d’une abdication de ce qu’est réellement la culture européenne, laquelle à cet endroit précis du débat se définit ainsi : on se rend à la plage pour que la peau jouisse de l’eau de mer et du soleil. Une vieille coutume. Le Code civil était, il est vrai, jusqu’à présent assez muet sur la question.
Nicolas Sarkozy, début juillet, dans le Nord-pas-de-Calais (Photo : SIPA.00762930_000007)
Nicolas Sarkozy, début juillet, dans le Nord-pas-de-Calais (Photo : SIPA.00762930_000007)
Le célèbre commentateur de football aujourd’hui disparu, Thierry Roland, avait l’habitude d’utiliser une expression imagée lorsque la physionomie d’un match changeait : « Les mouches ont changé d’âne. » C’est un peu le message que souhaitent faire passer d’autres commentateurs, cette-fois ci dans le domaine politique. En un été, tout aurait changé. Juppé hier au firmament des pronostics serait démonétisé et Nicolas Sarkozy, qui était aux fraises, serait aujourd’hui le favori.
Par quel miracle ce retournement a-t-il été possible ? Les fameux « observateurs » souvent vilipendés par Nicolas Sarkozy lui-même, auraient-ils un besoin urgent de maintenir du suspense dans la primaire ? On répondra d’autant plus positivement à cette dernière question qu’on ne voit vraiment aucun élément factuel pour valider ce retournement.
Les premiers sondages qui sont tombés au moment de l’annonce de la candidature de l’ex-président montrent d’ailleurs une baisse spectaculaire de sa popularité, y compris dans l’électorat du parti dont il était président jusqu’à mardi. On argue que Nicolas Sarkozy est meilleur en campagne qu’Alain Juppé. On n’en disconviendra pas (enfin, pas totalement car après tout il a réussi à perdre face à François Hollande dans une France à droite…). Seulement cet incroyable talent de bête de campagne ne date pas de cet été et on ne faisait pas valoir cet argument lorsque le maire de Bordeaux avait les faveurs du pronostic. Ensuite, on explique Juppé aurait eu une mauvaise gestion des attentats de l’été contrairement à son rival. Là encore, rien ne permet de valider cette thèse. L’ancien Premier ministre a en effet étonné en étant le premier à critiquer le gouvernement le lendemain de l’attentat de Nice. On ne voit pas pourquoi l’opinion, et en particulier celle des électeurs potentiels à la primaire de la droite, lui en tiendraient rigueur. Bien au contraire.
Reste l’argument selon lequel les sujets régaliens seraient aujourd’hui les seules préoccupations des Français reléguant l’économie au second plan, ce qui aiderait davantage l’ex-président de la République. Là encore, rien ne permet d’affirmer que Juppé souhaite délaisser ces thèmes. Il leur a d’ailleurs déjà consacré un ouvrage l’hiver dernier, qui comporte un échange avec Natacha Polony, laquelle n’est pas particulièrement connue pour faire preuve de faiblesse en la matière. On peut légitimement penser que notre consœur n’avait pas été choisie par hasard.
Certes Nicolas Sarkozy ne perd pas une occasion de fustiger « l’identité heureuse » prônée par son rival mais on oublie trop souvent qu’il ne s’agit aucunement d’un constat mais d’un objectif, sur lequel tout le monde y compris Nicolas Sarkozy peut s’accorder. Est-ce que quelqu’un a pour objectif de faire vivre à son pays une identité malheureuse ? Les moyens d’y arriver, en revanche, constituent un véritable débat. L’auteur de Tout pour la France dénonce les « accommodements raisonnables » que Juppé accepterait pour y parvenir alors qu’il prône lui-même une assimilation plus ambitieuse. Certes, mais pourquoi se précipiter alors pour faire de Gérald Darmanin son coordinateur de campagne, alors que le maire de Tourcoing est connu, surtout par les lecteurs de Causeur, pour se comporter en « Justin Trudeau du Nord-Pas-De-Calais » ?
Sur le plan économique, en revanche, les observateurs sont moins diserts sur une différence que Nicolas Sarkozy fait valoir par rapport à ses principaux concurrents : il refuse l’étiquette de « libéral » et dit croire aux vertus de la régulation. Si j’étais lui, je m’appuierais davantage sur ce clivage en rappelant les initiatives prises au moment de la crise financière, plutôt que de croire en une supériorité hypothétique sur le terrain régalien où ses multiples revirements et incohérences (double-peine, discrimination positive, droit de la nationalité) ne constituent pas une assurance tous risques, loin de là. Mais il ne m’écoute jamais.
Mais ce qu’il ne faut surtout pas oublier, dans l’optique de la primaire, c’est l’immense avantage d’Alain Juppé sur ses rivaux, Nicolas Sarkozy en tête : la promesse de François Bayrou de ne pas être candidat si c’est le maire de Bordeaux qui est désigné par ce scrutin constitue une force de frappe trop sous-estimée surtout ces derniers jours. Qu’on le veuille ou non, la première motivation des électeurs d’une primaire est la suivante : « Qui a le plus de chances de faire gagner notre camp ? » Dans ce cadre, les sondages ont une importance prépondérante. Or, avec Bayrou candidat, le candidat désigné par le primaire (Sarkozy, Fillon ou un autre) sort à 21 ou 22, et sans lui, Juppé sort à 30, devant Marine Le Pen. Ces études, qui ne manqueront pas de jalonner la primaire jusqu’au 20 novembre prochain, influenceront les futurs participants à ce scrutin davantage que toute autre considération. Comme en mai 2012, Nicolas Sarkozy pourra à nouveau maudire son ennemi juré du Béarn. Sans participer à ce scrutin, ce dernier devrait être la clef de son résultat final.
« L’économie britannique résiste au Brexit » titrait Le Monde il y a quelques jours. Et voici les premières lignes de l’article : « Jusqu’ici, tout va bien… L’économie britannique est-elle comme l’homme qui a sauté d’un immeuble dans le film La Haine, de Mathieu Kassovitz, en 1995, ne sachant pas encore qu’il va s’écraser ? Ou se révèle-t-elle plus solide que prévu ? Les premières statistiques économiques publiées depuis le Brexit – le référendum s’est tenu le 23 juin – indiquent une robustesse inattendue. “Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais, pour l’instant, ça va ”, reconnaît John Hawksworth, économiste en chef chez PricewaterhouseCoopers. »
En filigrane, on lit la persistance des prédictions apocalyptiques qui s’étaient accumulées au moment du référendum. Le Monde aurait pu considérer que le Brexit était « sans effet sur » l’économie britannique ou même qu’il lui « bénéficiait ». Il préfère dire que cette économie « résiste » au Brexit ; en d’autres termes : le Brexit est nécessairement mauvais pour l’économie britannique mais, pour l’instant elle tient le coup. « Pour l’instant, ça va », comme l’affirme l’économiste cité dans l’article. Le verbe de discours choisi par le journaliste est intéressant : John Hawksworth « reconnaît » que pour l’instant, ça va. Il est forcé de l’admettre, contre la logique, les prédictions, etc. Ce n’est pas seulement un commentaire, c’est l’aveu d’une erreur, à tout le moins d’une discordance entre ce qui était prévu et ce qui se produit en réalité… mais qui est censé ne pas remettre en cause la validité des prédictions !
Cet économiste est le représentant exemplaire de tous les experts qui se sont succédé dans les médias en juin dernier pour nous annoncer les malheurs qui attendaient les Britanniques s’ils se prononçaient en faveur du Brexit puis nous asséner à nouveau ces prophéties quand il eut été entériné. Et le journaliste qui rédige l’article du Monde assume un « jusqu’ici, tout va bien » qui le place clairement dans le même camp que cet économiste. « Plus solide que prévu », « robustesse inattendue » : prévu par qui, inattendue pour qui ? Bien entendu, des gens avaient prévu ce qui arrive. Toutefois, le journaliste prend clairement parti en suggérant, de manière très paradoxale, que la crédibilité doit demeurer du côté de ceux qui avaient prévu l’inverse. Il y a les spécialistes et il y a les pignoufs, zut alors. La référence au type qui saute de l’immeuble montre nettement que la bonne forme de l’économie britannique ne saurait durer : tôt ou tard, boum. Ce qui est certain, c’est qu’au moindre mouvement baissier (petit concept technique qui fait chouette), on sait déjà quelle sera l’explication avancée. Experts et médias n’ont, en fait, qu’à attendre patiemment. Or, une prophétie qui finit forcément par se vérifier est, par définition, une prophétie à la noix.
L’épisode Brexit s’est tout entier déroulé sous le signe de l’irrationnel. Son traitement médiatique demeure, on le voit, tissé de pensées préconçues, explicites ou implicites, relevant totalement de ce qu’Alain Minc reconnaissait être des « convictions en forme d’évidences », en d’autres termes des articles de foi, des points de dogme échappant à toute démonstration logique. Que LeMonde ait pu annoncer en titre que la Grande Bretagne quittait « l’Europe » (et non l’Union Européenne) pourrait paraître anodin : on comprend bien que le référendum ne peut avoir prise sur une réalité géographique immuable. Pourtant, c’est aussi très révélateur d’une constante du discours médiatique : on parle de l’Union Européenne comme d’une réalité naturelle alors qu’elle est une construction politique (qui peut donc être contestée, modifiée, etc.). Corollairement, on inscrit son évolution dans un sens de l’histoire préécrit, croyance typiquement religieuse qui imprègne le prépensé médiatique. Si, comme le disait une journaliste, l’Europe a une « vocation naturelle à l’élargissement », alors le Brexit est un phénomène contre-nature. En tant que tel, il était imprévisible. Pire, il n’aurait jamais dû avoir lieu. Il y a eu un bug dans la matrice. L’irrationnel fut donc convoqué pour l’expliquer et l’on se demanda, sans rire : « quel rôle a joué le mauvais temps dans le vote britannique ? » Les augures se sont trompés mais, ainsi qu’en témoigne l’article du Monde, ils continuent de prophétiser : « le Royaume Uni va subir ceci, va au-devant de cela ». La scénarisation morale du réel a commencé largement en amont. Souvenez-vous : les uns « mènent une campagne pour essayer de convaincre de la nécessité de rester dans l’UE », quand les autres « collent des affiches de propagande ». Si les uns avaient gagné, on aurait titré sur leur « joie ». En revanche, les partisans du Brexit étaient « sonnés » : des idiots qui ne comprenaient rien aux conséquences de leur vote.
Mais il y a un mot qui a été adopté sans pincettes par tout le monde, à commencer par la presse britannique, sans faire tiquer personne : « divorce ». Pour ma part, je le mets sur le même plan que le « coup de pouce au smic », la « dose de proportionnelle » ou le « patron des patrons » : ce sont des images, impropres et biaisées, mais devenues incontournables. Des métaphores dont on a oublié qu’elles en sont et dont on n’envisage même plus de se passer.
En réalité, le seul critère qui permette de parler de divorce dans le cas du Brexit, c’est l’idée de séparation. Pour le reste, cela ne fonctionne pas. Pour divorcer, il faut être en couple. Et à partir du moment où le divorce est acté, le couple n’existe plus. Or, l’Union Européenne pré-Brexit ce ne sont pas deux mais vingt-huit États. Et le départ de la Grande-Bretagne n’a pas fait disparaître l’Union européenne. Pourtant, il fallait entendre les journaleux filer la métaphore : « Après le divorce britannique, quelle sera la réaction du couple franco-allemand ? ». Apparemment, c’était un ménage à trois… « Ce divorce pourrait en entraîner un second avec la décision écossaise d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance » : tant qu’à faire, ne vaudrait-il pas mieux parler d’amputation quand le divorce a lieu à l’intérieur de l’un des conjoints ? « On entre dans l’après Brexit, il va falloir s’entendre à l’amiable pour la garde des enfants » (absolument authentique : iTélé !). Là, c’est fort.
La métaphore est donc vaseuse. Mais son omniprésence dans la bouche des journalistes traduit très clairement le choix du registre émotionnel dans le traitement du Brexit. Ainsi, il paraît que les Britanniques « ont toujours entretenu un rapport d’amour-désamour avec l’Europe ». De même, que de place accordée à des initiatives comme les « hugs contre le Brexit » (faites un câlin à un Anglais pour le convaincre de voter in) ! Pour les grands médias, l’Union Européenne n’est pas une association politique et économique conclue par des États qui entendent en tirer avantage et se réservent le droit d’y cesser toute participation si ce n’était pas le cas. C’est une affaire de sentiments. Une promesse d’amour qu’on ne saurait rompre sauf à trahir le serment prêté devant monsieur le curé. Il est d’ailleurs surprenant de constater que, parallèlement à tous les efforts que l’on fait pour lui attribuer une connotation positive (cf. la presse féminine : une femme divorcée est une femme moderne et émancipée, un père divorcé est un mec super-sympa, etc.), la notion de divorce demeure, dans le cas du Brexit, nettement dépréciative.
Après tout, imaginons que l’on conserve la métaphore du divorce : celui-ci peut être vu comme une rupture de contrat entre adultes responsables, un nouveau départ dans la vie. Ou bien il peut signer un échec et être vécu comme un drame. C’est clairement la seconde interprétation que les médias ont choisie, contre l’air du temps. Associer la métaphore du divorce à un discours cataclysmique pourrait même être considéré comme totalement réactionnaire. C’est très révélateur. Il ne fait aucun doute, en effet, que s’il avait été possible, en haut lieu, d’interdire le divorce, pardon le Brexit, les journalistes auraient voté pour une telle disposition. Si on les étiquette un peu facilement « progressistes », les médias savent donc faire preuve d’un conservatisme strict sur certaines questions. Et lors du Brexit, ils ont parfaitement démontré la validité de l’accusation que lançait un jour contre eux Jean-Luc Mélenchon dans « On n’est pas couché », s’adressant, à travers Léa Salamé, à tous les journalistes : « Vous les médias, vous êtes le parti de l’ordre ! ».
Que ce soit clair : je n’ai pas d’opinion sur le Brexit, je n’en pense rien. Je me suis, comme bien d’autres, délectée des mines d’enterrement de nos maîtres à penser et du ridicule de leurs exagérations alarmistes. Mais je suis tout à fait disposée à concéder que le rejet de la doxa médiatique, violent et souvent accompagné d’une sévère paranoïa complotiste, n’est pas en soi une preuve de bonne santé intellectuelle. Est-il nécessairement, comme on voudrait nous le faire croire, un signe de bêtise ? Si c’est le cas, je pose cette question : est-il autre chose que la réaction normale de la bêtise méprisée face à la bêtise méprisante ?