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Haïti: le repos du guerrier humanitaire

La route nationale n°1, qui relie Port-au-Prince à Cap-Haïtien, Haïti, novembre 2016.

Cassandra[1. Tous les prénoms ont été modifiés.] ôte tous ses vêtements. « Je vais faire une rencontre, chérie », dit-elle de sa voix flûtée en enfilant un string de dentelle blanche. Elle s’asperge d’un parfum capiteux aux accents sucrés. Un peu dans le cou, un peu dans le creux des seins, un peu sur le sexe, « pour que ça sente bon partout ». Elle profite des dernières lueurs du soleil pour brosser ses longs cheveux noirs. L’électricité a encore sauté. « Ça porte bonheur », dit-elle dans un éclat de rire.

Misère de l’humanitaire

Trois fois par semaine, la jeune Haïtienne rencontre des « amis » dans sa petite maison de Port-au-Prince. Des ambassadeurs, des humanitaires, des travailleurs de l’ONU. Des hommes blancs, quinquagénaires, sexagénaires, au volant de leurs Mercedes blindées. « Je ne suis pas une pute, je travaille pour une banque », répète-t-elle plusieurs fois, comme pour s’en convaincre. « Lui, je le connais depuis longtemps, c’est un ami », glisse-t-elle sur un ton de confidence. Un ami qui lui a offert un iPad, un ordinateur et un écran plat qui forment un étonnant contraste avec le mobilier sommaire de sa masure. Quelques ablutions dans un seau d’eau tirée du puits, une touche de gloss sur ses lèvres vermeilles, une dernière vaporisation de parfum, une robe qui dévoile bien plus qu’elle ne voile, et Cassandra est partie, descendant vers une Mercedes blanche d’un pas chaloupé. Une porte claque. Le bruit sourd de la cylindrée se mouvant au gré des coups de reins de ses occupants accompagne le chant d’une soirée haïtienne – où les aboiements des chiens galeux se mêlent aux ruissellements de la pluie et au reggaeton que crachote un poste de radio, au loin. Cassandra reste trois heures en compagnie de son vieux galant et rentre tout sourire, billets dans une main, iPod dans l’autre.

Accoudé au balcon, Antoine se remet de ses exploits automobiles en fumant une cigarette post-coïtale d’un air conquérant. Le quasi-septuagénaire à la lippe tremblante occupe un poste à responsabilités dans une ambassade[access capability= »lire_inedits »] européenne et assure aimer Haïti presque autant que les Haïtiennes. « Elle est bien, cette petite », dit-il en désignant Cassandra, vautrée sur son canapé de bois. « Vous aussi, vous avez l’air douée. Êtes-vous sûre que vous ne voulez pas travailler, mademoiselle ? » demande-t-il à tout hasard. Un refus, le vrombissement d’une Mercedes et il prend congé.

« Tous les mêmes, ces expats », pouffe Cassandra une fois son amant parti. « Ils font les beaux dans les soirées mondaines, mais ils se sentent horriblement seuls – certains d’entre eux me paient très cher juste pour un peu de tendresse. Ils me font rire. Ils sont presque drôles. Au fond, je crois que je suis un peu amoureuse de chacun d’entre eux. » À la suite du tremblement de terre survenu en 2010, une cohorte d’humanitaires de tout poil a débarqué en Haïti, pour six semaines ou pour six ans. Missionnaires, envoyés de l’ONU, entrepreneurs venus profiter d’une main-d’œuvre à bas prix, vingtenaires employés par les ministères haïtiens, humanitaires venus sauver le monde, architectes accourant « parce que tout est à reconstruire », Casques bleus de 18 ans : cette faune cosmopolite est abondamment plébiscitée par les jeunes Haïtiennes qui voient en elle un moyen comme un autre de s’extraire de la misère qui les a vues naître.

Le Graal : sortir avec un expat’

Tous les vendredis, expatriés, Haïtiens et humanitaires se retrouvent à l’Asu, terrasse aux faux airs de Manhattan. Le rooftop surplombe les collines de Port-au-Prince, noyées dans la brume d’un novembre pluvieux. Alentour, des quartiers si dangereux que l’on ne s’y déplace jamais à pied. Les visages des expats, éclairés par des lustres en faux cristal, reflètent un ennui tranquille. Et puis, il y a les filles. Ces Aphrodites vénales ondulent de la hanche et de la poitrine contre des humanitaires fraîchement arrivés, reconnaissables entre mille à leur air béat. En dansant sur des tubes planétaires et en s’enivrant de mauvais cocktails à dix dollars, ils fricotent avec les Haïtiennes venues chercher des jours meilleurs et comparent à grand renfort de métaphores graveleuses leurs charmes à ceux de leurs grosses voitures. « Cet endroit pue le désespoir, me hurle à l’oreille Charles, grand brun à la voix suave couvrant la musique industrielle à 100 décibels, sur laquelle se dandinent les blancs en goguette. Je ne sais même pas ce que je fous ici. J’ai l’impression d’être au théâtre. » Avant de vivre dans la « perle des Caraïbes », Charles a « fait l’Afrique ». Partout, il a goûté aux charmes de jeunes locales, qu’il a quittées à la faveur de ses mutations. « Les filles ici ne sont pas des putes : entre un vieux blanc très friqué et un jeune blanc qui leur offrira une vie décente, elles tomberont toujours amoureuses des jeunes. » Depuis deux ans, Charles est en couple avec une native de Port-au-Prince de dix ans sa cadette. Grâce à lui, elle a pu reprendre des études, vivre avec lui dans une maison sans loyer et envoyer un peu d’argent tous les mois à sa famille. Entre Charles et son amie, les jours ne sont pas sans houle. « Entre elles, les Haïtiennes sont sans pitié. Quand l’une parvient enfin à décrocher le Graal – se mettre en couple avec un expat –, ses meilleures amies sont tout à fait capables d’envoyer des messages à son amoureux pour lui dire qu’elle le trompe avec la moitié de Port-au-Prince. J’en ai fait les frais », soupire le jeune homme. La discussion est interrompue par la petite amie haïtienne qui l’enserre en me décochant des regards vipérins.

Dans les toilettes, les femmes se maquillent, s’épiant du coin de l’œil. Toutes ont passé des heures dans leur salle de bains, s’épilant, rajustant leurs tresses et perruques, s’aspergeant de parfums musqués. Il s’agit plus d’être vue que de voir. Peut-être rencontreront-elles ce soir un mécène généreux. « Ici, c’est le club des gens aisés », analyse Laurie, pétillante Haïtienne qui vient tous les vendredis. « Il y a moins de putes que dans les tripots de Pétionville, où les expats ne viennent que pour ça. Mais quelques-unes parviennent tout de même à entrer : on les reconnaît au fait qu’elles tournent autour du bar toute la soirée sans rien acheter. »

Traînant à l’extrémité de la grande table de béton, encore un employé de l’ONU. À 38 ans, dont cinq d’Haïti, Matthew est l’un des vétérans de la soirée. L’œil méprisant, le verbe plein de morgue, il est le vivant cliché de l’expatrié blasé. Tous les vendredis, il vient en compagnie d’une bière et de sa solitude s’enivrer du mauvais reggaeton crachoté par les haut-parleurs. « C’est mon seul plaisir de la semaine, de venir ici, dit-il entre deux gorgées de Prestige, la cervoise nationale. Les filles sont plus jolies qu’en Europe. On peut les avoir pour pas cher. On est les rois du pétrole, ici : tout s’achète, même les gens. » Rien ne semble en effet toucher les salariés d’organisations inter-nationales qui, lorsqu’ils écrasent un autochtone au volant de leurs tapageuses voitures, s’en tirent sans histoires moyennant quelques centaines de dollars. « Ça fatigue de sauver le monde, on a les compensations qu’on peut », lance-t-il cynique.

« Au moins, je fais tourner l’économie »

On retrouve Maxime le lendemain. Le trentenaire vit dans une maison de 300 m², partagée avec trois autres humanitaires sur les hauteurs de Port-au-Prince. Froid et vide, le lieu fait penser à un hôpital. Le jeune homme se sert un verre de whisky dix ans d’âge avant d’énumérer, l’air las, les contraintes qui jalonnent la vie des expatriés. « Pas le droit de sortir dans la rue à pied – de toutes manières, on se ferait agresser. Pas le droit de ramener femmes et enfants. Couvre-feu à minuit. Obligation de demander un permis – souvent refusé – pour se déplacer en dehors de la capitale. Obligation d’être accompagné, en permanence, de gardes du corps. C’est une vie de chien. On devient fou, dans ce pays. » Les contraintes de sécurité varient selon les organisations : de l’humanitaire payé au lance-pierre au consultant international gagnant des centaines de dollars par jour, tous ne jouissent pas de la même sécurité – et ne partagent pas les mêmes contraintes. « Ici, beaucoup deviennent alcooliques, poursuit Maxime en sirotant son whisky. On n’a pas le choix, de toute façon. On est bloqués dans nos appartements vides. On ne sait rien du pays, on ne sait rien des Haïtiens. On sait qu’on ne restera que quelques mois – dans le pire des cas, quelques années –, alors pourquoi faire des efforts ? On reste entre nous, à faire des soirées d’expats tristes où on tue l’ennui en se moquant des autochtones. Beaucoup d’entre nous les méprisent. »

Comme nombre de ses collègues, Maxime fréquente assidûment de jeunes Haïtiennes. « Je leur donne presque un cinquième de mon salaire – au moins, je fais tourner l’économie, ricane-t-il avant de reprendre son sérieux. Moi, je suis un type bien. Je les paie correctement. Je ne leur demande rien de vraiment humiliant. Certains de mes collègues sont tellement atteints par la violence du pays qu’ils finissent par devenir violents eux-mêmes. Qu’est-ce qu’ils peuvent perdre à battre une fille ? Si on tue quelqu’un en voiture, on s’en sort. Alors pour quelques bleus… » Un dîner frugal à base de céréales à 12 dollars, et Maxime s’en va. « Je vais faire une rencontre intéressante ce soir, je te passe les détails », glisse-t-il en fermant la porte.

On retrouve Cécilia dans sa masure, où trois cafards se disputent les cadavres de bouteilles qui traînent sur le sol. La jeune femme de 18 ans se prépare pour son interlude hebdomadaire avec un diplomate européen qui pourrait être son grand-père. « Je vais rencontrer un ami blanc, il travaille à l’ONU, il est très riche. Il va me payer mes études en Europe. » La longue liane aux traits parfaits rêve de s’installer en Europe, « là où il y a de l’électricité et où l’eau coule des robinets ». Elle a commencé à se prostituer « dès [qu’elle a] eu des seins » mais ne se souvient plus de l’âge qu’elle avait lors de sa première passe. « 13 ans ? 14 ans ? On s’en fout. Ici, on n’a pas d’avenir. Une infirmière diplômée, elle gagne à peine 100 euros par mois. Alors quand tu peux te faire la même somme en une soirée, le choix est vite fait. Pourvu que le mec ne te batte pas, c’est un bon plan. »

L’homme qu’elle s’apprête à voir occupe un poste à responsabilités et gagne quelque 20 000 euros mensuels – une fortune dans ce pays où 75 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. « Je crois qu’il est amoureux de moi, poursuit-elle en se maquillant. Tout ça parce que je lui fais de l’oignon. Tu sais ce que ça veut dire ? » Je réponds par la négative, imaginant bien qu’il ne s’agit pas là d’une manière de faire le pot-au-feu. « Je lui lèche le cul, il adore – surtout quand c’est sale. Je m’en fous, moi, pourvu qu’il me permette de me tirer de ce trou. » Un jour, Cécilia voudrait se marier avec un blanc, lui faire de beaux enfants et partir en Europe. Voir, toute sa vie, l’eau couler des robinets.

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Affaires à répétition: comment donner raison à Marine Le Pen

Marine Le Pen en meeting à Nantes, février 2017. SIPA. AP22019635_000001

Emmanuel Todd avait parlé de « flash totalitaire » au moment de l’organisation par le pouvoir socialiste des manifestations contre les massacres de Charlie hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015. Cette façon de qualifier fut accueilli par un violent concert de désapprobation. Cela aurait pourtant mérité discussion, surtout à la lumière des jours qui ont suivi. Cette expression fait aujourd’hui un retour fracassant, pour qualifier le comportement hallucinant d’un système aux abois. Une presse aux ordres, à la fois de ses patrons oligarques et du pouvoir d’État, fait la promotion d’un télévangéliste sorti de nulle part, et affublé de tous les attributs de ce que les Français ne supportent plus. Ayant connu toutes les élections présidentielles depuis 1965 je n’ai jamais vu un tel déferlement de propagande. Et je n’ai jamais assisté non plus à une telle instrumentalisation de la justice et de la police à des fins directement politiciennes.

La création de l’urgence

Avec esprit de responsabilité les Français sont restés stoïques face à la catastrophe démocratique et politique de la présidence Hollande, s’en remettant pour s’en débarrasser à l’élection la plus importante des institutions de la Ve République. Ils constatent effarés toute une série de manipulations visant à confisquer ce scrutin, pour faire élire Emmanuel Macron à la faveur d’un deuxième tour contre Marine Le Pen. Manipulations qui utilisent sans vergogne les services de l’État dont beaucoup abandonnent une neutralité qui devrait pourtant leur être constitutive.

On a déjà dit ce qu’il fallait penser de la crédibilité et de l’impartialité du Parquet national financier (PNF), pas seulement à cause du rôle qu’il a joué dans l’opération anti-Fillon, ou de l’incroyable acharnement vis-à-vis de Nicolas Sarkozy mais aussi du peu d’empressement à intervenir dès lors qu’il s’agissait de proches du chef de l’État. De ce point de vue, le Pôle financier qui de son côté assure l’instruction n’est pas en reste. On aura compris l’utilité du renvoi en pleine période électorale de Nicolas Sarkozy en correctionnelle, qui ne présentait pourtant aucune urgence. Il fallait fermer la porte à un plan B Sarkozien après le déclenchement du bombardement de François Fillon. On aura également compris l’utilité, dans la perspective du deuxième tour, d’affaiblir Marine Le Pen en déclenchant contre elle et son entourage des rafales d’actes de procédure qui eux non plus ne présentaient pourtant aucune urgence.

Que l’on comprenne bien, le propos n’est pas de considérer que François Fillon n’a rien à se reprocher, ou que le Front national est exempt de tout agissement à caractère pénal. Le problème est que cette accélération à ce moment-là d’affaires anciennes poursuit un but politique évident : empêcher le débat de fond. À tout prix. Prenons l’exemple de la transmission aux duettistes du Monde, amis du pouvoir, de pièces de procédure couvertes par le secret. Cette transmission effectuée par des fonctionnaires chargés de veiller à son respect est un manquement doublé d’une infraction pénale gravissime. Et puis, la phrase rituelle : « la justice doit passer, il n’y a pas de trêve » est une hypocrisie destinée à justifier toutes les manipulations. Des procédures pour des affaires ou des faits anciens ne sont marquées d’aucune urgence et peuvent évidemment être suspendues pendant une campagne électorale présidentielle. À titre d’exemple, la publication des lettres d’observations des Chambres régionales des Comptes, sur la gestion des collectivités locales est interdite 6 mois avant les élections locales. Justement pour éviter les manipulations.

Et Marine Le Pen devint victime…

Et ce qui est paradoxal, c’est qu’ainsi le Front national, présenté comme une organisation pré-fasciste, peut prendre la posture de victime de l’arbitraire, et sa candidate se positionner en défenseur des libertés publiques. Parce que sur les deux derniers incidents, intervenus la semaine dernière, c’est Marine Le Pen qui avait raison.

Tout d’abord, pour faire bon poids après perquisitions, gardes à vue et mise en examen spectaculaires et médiatisés, la police judiciaire s’est permis de convoquer une parlementaire couverte par son immunité. Comment peut-on considérer que cette convocation illégale soit légitime et que le refus de Marine Le Pen d’y déférer soit un scandale ? L’immunité parlementaire est une protection accordée aux représentants du peuple régulièrement élus, face à l’arbitraire dont pourrait faire preuve le pouvoir en place. Cette inviolabilité est tout simplement une liberté publique fondamentale, que la police judiciaire, sur ordre, et pour faire du buzz, s’apprêtait à violer. C’est donc bien la candidate du Front national qui en la circonstance l’a défendue. Il convient de féliciter les ânes bâtés qui lui ont offert cette opportunité.

Il y a ensuite le discours de Nantes où Marine Le Pen a dit précisément ceci : «les fonctionnaires à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs de l’Etat pour surveiller les opposants ou organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus ou des cabales». «Dans quelques semaines ce pouvoir politique aura été balayé, mais ces fonctionnaires devront assumer le poids de ces méthodes illégales et ils mettent en jeu leur propre responsabilité. »

Droit dans le mur

Eh bien, Marine Le Pen fait simplement, et à sa façon, brutale, référence à la loi française. Et elle rappelle aux fonctionnaires leur devoir, en leur précisant fermement qu’en cas de violation de celui-ci leur responsabilité serait engagée. C’est en particulier à l’article 25 du statut de la fonction publique qui met à la charge du fonctionnaire un devoir d’obéissance. Une seule exception est prévue, si l’ordre « est manifestement illégal ». Cela veut dire que tout fonctionnaire qui accepte en connaissance de cause de commettre un acte en exécution d’un ordre illégal engage sa responsabilité. Pénale si l’acte en question consiste en une infraction prévue au code pénal, simplement professionnelle si ce n’est pas le cas. Cette question de « l’ordre manifestement illégal » a donné lieu à une importante jurisprudence pénale et administrative. L’essentiel de ces décisions ont été consécutives à des procédures engagées après des alternances qu’elles soient locales ou nationales. Prenons à nouveau l’exemple de l’infraction pénale, celle-là incontestable, commise ces dernières semaines, qui a consisté à fournir aux duettistes du Monde des éléments de procédure frappées du plus strict secret professionnel. Comme l’a relevé Éric Dupont Moretti, on peut penser que cela ne peut être le fait que des policiers chargés de l’enquête, ou des magistrats du PNF. Une fois les responsabilités éventuelles établies, il serait normal que la justice pénale et les procédures disciplinaires suivent leur cours. Une plainte a été déposée par François Fillon, on peut gager qu’elle ne connaîtra dans l’immédiat aucune suite mais il serait légitime, si celui-ci devenait président de la République, qu’il demande à son garde des Sceaux « que la justice passe sans désemparer ».

Qualifier cet appel à la responsabilité des fonctionnaires de volonté d’épuration n’est pas sérieux. Mais il est reçu comme tel au sein des couches populaires par tous ceux qui sont en rage et ne supportent plus l’arrogance irresponsable de la cohorte qui rêve de garder ses places dans le sillage du télévangéliste. Encore bravo d’avoir permis à nouveau à Marine Le Pen de jouer sur le velours.

Hypnotisés par Macron et Le Pen, Fillon est atone, Mélenchon mutique, Hamon à l’ouest, et tous les autres inaudibles. La voiture n’a plus de frein, pas d’airbag, l’accélérateur est coincé, et on fonce vers le mur.

Frédéric Lordon a choisi une métaphore marine« Voguons donc avec entrain vers un deuxième tour tant espéré, qui ne nous laissera que le choix de la candidate de l’extrême droite et du candidat qui fera nécessairement advenir l’extrême droite ».

Pour Aphatie, parler du FN n’a d’intérêt que si ça lui nuit

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Jean-Michel Aphatie, janvier 2012. SIPA. 00631435_000016

Cela n’a l’air de rien. Ce n’est pas une belle formule-choc. C’est un bafouillage décousu. Et pourtant c’est très clair.

Il était près de minuit, vendredi soir, et l’on peut comprendre que la fatigue de fin de semaine agisse comme un désinhibiteur.

On peut regretter que le propos n’ait pas la puissance de cette belle réplique : « cela [l’élection de Trump] montre aussi qu’il faut s’interroger quelquefois sur le suffrage universel » (à 18’38 »)

Ni la perfection formelle du désormais célèbre : « savez-vous ce que je ferais, si j’étais président de la République? Je raserais le château de Versailles, afin que nous n’allions pas là-bas, en pèlerinage, cultiver la grandeur de la France. » Je m’étais prise à rêver d’un monde où ce propos serait considéré comme un « dérapage »… Façon de parler, bien sûr ; car le meilleur des mondes serait bien plutôt celui où la notion de dérapage n’aurait plus cours.

Mais le coup de Versailles était une blague, nous a rassurés M. Aphatie, comme s’il croyait sérieusement, quant à lui, que nous étions inquiets pour le sort du château (le Huffington Post l’a cru aussi), alors que nous sommes assez intelligents pour comprendre que ce journaliste a peu de chances de se retrouver un jour à la tête de L’État. Quoique. Dans un pays où les hommes politiques se mettent à parler comme Cyril Hanouna, tout est possible. Voir Emmanuel Macron en mode « je vous adore mes chéris »:

Voici donc la dernière en date (à partir de 12’12 »):

Je retranscris ici l’extrait intéressant (pour rappel, il est question des soupçons portant sur la nature du travail effectué par des assistants parlementaires du FN) :

Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux.

 

 

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

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Seul Fillon peut sauver le soldat Fillon

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francois fillon campagne macron
François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22018917_000013.

Laissons de côté les abus de pouvoir commis par ces deux pouvoirs légitimes, séparés et indépendants que sont les médias et la justice. Rappelons simplement qu’il y a abus de pouvoir des pouvoirs légitimes quand ceux-ci s’exercent sans tenir compte de leurs conséquences, sans reculer devant l’énorme disproportion entre les fautes présumées d’un candidat et la mise à mal de la délibération démocratique dans une élection dont dépend l’avenir du pays, et donc aussi de l’Europe. Le mal est fait. Du fait des abus de pouvoir des médias et de la justice, il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française.

Deux options possibles

Le choix démocratique de notre avenir exige donc que le programme de Fillon redevienne audible, face à ceux de Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, car c’est au croisement de ces trois voies que notre pays se trouve. Nul autre que Fillon ne peut sauver son programme en le rendant audible. Que peut-il faire? Deux choses, au choix.

Soit il passe le relais à quelqu’un d’autre, qu’il désigne lui-même comme étant le plus apte à faire gagner le programme de leur famille politique. Il peut même imiter Bayrou et poser ses conditions, afin que l’essentiel de ce qui lui a fait gagner la primaire soit préservé. C’est-à-dire ce qui le distingue le plus fortement du programme de Macron.

Soit, mais c’est là un sacrifice infiniment plus sacrificiel, il se met à nu, reconnaît l’exactitude matérielle des faits qu’on lui reproche, admet qu’il a mis les doigts dans le pot de confiture des deniers publics, condamne et regrette cette faute morale, et assure qu’il est prêt à être jugé dès que l’intérêt supérieur du pays le permettra, c’est-à-dire en temps utile pour que la justice et l’intérêt supérieur du pays n’entrent pas en conflit.

Abandonner le mythe gaullien

Il pourra alors, et alors seulement, rappeler sans être taxé de cynisme que les fautes qu’il a commises ne sont pas des crimes qui le rendraient indigne d’exercer le pouvoir suprême, et qu’il y a une disproportion scandaleuse entre les indélicatesses qui lui sont reprochées et l’entrave au bon déroulement de la campagne électorale qui va décider de l’avenir du pays.

Cette conversion de François Fillon exigerait qu’il abandonne la mythologie gaullienne de l’élection présidentielle comme rencontre entre le peuple et un homme d’exception, un homme incorruptible et insoupçonnable, bref, un grand homme comme l’Histoire en fait surgir dans les grandes occasions. La vérité démocratique et non mythologique est qu’un peuple fait preuve de maturité et de prudence quand il se choisit en toute sobriété un dirigeant lucide et résolu, sur un CDD, et non un homme providentiel auquel il se donne dans un élan mystique. François Fillon pourrait même surprendre son monde, en reprenant à son compte ce que Brecht fait dire à Galilée : « Malheureux le pays qui a besoin de héros. »

Fonction publique territoriale: coûteuse et non-démocratique

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Fronton de la mairie de Nantes, mars 2014. SIPA. 00679846_000004

Les hommes politiques qui ne sont pas « à gauche toute », quand ils se présentent à une élection, ne manquent pas de ressasser le même refrain : il faut diminuer la dépense publique, et pour cela réduire le nombre des fonctionnaires. Pour le prochain quinquennat, ils expliquent par exemple qu’il faut diminuer de X centaines de mille le nombre de fonctionnaires. Certains précisent que, dans ce but, ils prévoient de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux parmi ceux qui partent à la retraite. D’autres veulent embaucher principalement sous contrat salarial ordinaire.

Parmi les points importants qui restent le plus souvent en dehors des limites de leurs épures se trouve le fonctionnement des collectivités territoriales et la prodigieuse augmentation du nombre de leurs employés. Ces collectivités ont actuellement recours à 1,9 million d’agents, et l’augmentation de cette « fonction publique territoriale » (locution, en abrégé FPT, qui inclut aussi bien les contractuels que les fonctionnaires stricto sensu) a été, depuis 1982, beaucoup plus rapide que celle des deux autres fonctions publiques, celle de l’État (FPE) et celle des hôpitaux (FPH).

Ruineuse décentralisation

Pourtant, des témoignages comme celui d’Aurélie Boullet, auteur (sous le pseudonyme Zoé Shepard) du récit intitulé Absolument dé-bor-dée (Albin Michel, 2010), devraient inciter à la réflexion : ne serait-ce pas là qu’il y a le plus de « gras » dont la disparition ne nuirait nullement au « muscle » ? Et l’affaire des emprunts toxiques territoriaux, qui a « coûté plus de 5,5 Md€ aux contribuables et aux banques » selon Les Echos du 9 février, ne devrait-elle pas orienter les recherches d’économies dans la même direction, en osant ébranler l’un des piliers de la doxa « politiquement correcte », à savoir que la décentralisation serait une merveille ?

En prenant comme indice 100 les effectifs 1982, on arrive en 2003 (selon le document Chiffres-clés 2005 du ministère de la fonction publique) à l’indice 113 pour l’emploi total, 114 pour la FPE, 127 pour la FPH et 143 pour la FPT. Les progressions de la PFE et de la FPH n’ont rien de choquant : l’État a créé des emplois comme l’ensemble de l’économie française, à un rythme légèrement supérieur à celui de la démographie (la population a augmenté de 10,7 % entre ces deux dates) ; les établissements hospitaliers ont logiquement augmenté un peu plus leur personnel en raison du fort développement des techniques médicales et chirurgicales ; mais comment expliquer le bond en avant de la FTP ?

Pour la période récente, les Chiffres-clés 2016 indiquent la progression de 2004 à 2014 : base 100 en 2004, on arrive en 2014 à 103 pour l’ensemble de la FP comme pour l’emploi total, mais à 90 pour la FPE, 112 pour la FPH, et 124 pour la FPT. Certes, des postes ont été transférés de l’État aux collectivités territoriales, particulièrement dans les établissements scolaires, mais cela n’explique pas tout. On ne saurait écarter a priori l’hypothèse selon laquelle la façon même dont fonctionnent les collectivités territoriales les incite à créer des postes en nombre excessif.

Une noblesse en roue libre

La décentralisation fut lancée par Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de 1981 à 1984. La loi du 2 mars 1982 eut pour objet, notamment, de remplacer par un « contrôle de légalité » le contrôle de tutelle auquel étaient jusque-là soumises les collectivités territoriales. A partir de là, le contrôle devint purement légaliste : dès lors qu’ils ne commettent pas d’infraction, les élus locaux sont intouchables ; leurs erreurs de gestion, comme par exemple l’émission d’emprunts comportant des clauses à haut risque – les fameux emprunts « toxiques » – ne peuvent plus être sanctionnées, si ce n’est au niveau électoral. Il en va de même pour les embauches à tout-va, y compris celle des « petits copains », et pour les subventions en tous genres, pourvu que les apparences légales soient sauves.

Dans une petite commune, le contrôle de l’équipe municipale par la population peut être efficace : les électeurs sont dans une certaine mesure à même de se rendre compte si tels travaux d’aménagement ou telle création de poste présentent une utilité réelle. En revanche, dans les communes de grande dimension, dans les communautés urbaines, dans les départements et les régions, le contrôle démocratique par la base ne fonctionne plus guère : la gestion est si complexe que personne, à de rares exceptions près, n’y comprend goutte, si bien que le vote « politicien » en faveur de l’équipe qui se réclame d’un parti choisi au niveau national l’emporte souvent sur le vote « local » basé sur la gestion.

Il résulte de cela que se constitue une sorte de féodalité : des ducs, comtes, barons et hobereaux régionaux, départementaux ou urbains se substituent pour une large part aux serviteurs du pays que sont les préfets et autres hauts fonctionnaires à responsabilité territoriale. Et, bien entendu, cette noblesse d’un nouveau genre – ni d’épée, ni de robe, disons une noblesse d’urnes – n’a de cesse de s’entourer (aux frais du contribuable, ou en empruntant) de ce que l’on appelait jadis une « maison » (un ensemble de serviteurs et de courtisans).

En revenir au principe de subsidiarité

Le caractère démocratique de la gestion d’une région, d’un département ou d’une grande agglomération est purement factice. Il faut, certes, gérer des problèmes qui ne sont ni nationaux, ni locaux, mais pour mettre en œuvre une bonne gestion les élections ne sont pas la solution : des « grands commis de l’État » feraient le travail de façon plus professionnelle et plus impartiale, générant par rapport à la situation actuelle d’importantes économies, notamment en matière de personnel.

En revanche, au niveau réellement local, la démocratie de proximité, mise en œuvre du principe de subsidiarité (régler les problèmes au plus près possible de ceux qui les vivent), ferait merveille. À l’échelle de quelques milliers de citoyens, l’équipe municipale connait chaque famille et le dévouement de ses membres, récompensé par de modestes honneurs et de menues indemnités, peut rendre inutile le recours à de nombreux agents salariés. Bien des problèmes pourraient aussi être réglés à ce niveau mieux qu’ils ne le sont aujourd’hui par la bureaucratie d’une entité territoriale de moyenne ou grande dimension, ce qui diminuerait le besoin d’embaucher de plus en plus d’agents.

Bref, la voie la plus prometteuse pour nous sortir de l’ornière où nous a plongé la décentralisation d’apparence mise en place en 1982 est probablement un double retour : au rôle de l’État dans la gestion des grandes unités territoriales et urbaines, et à la démocratie de proximité, réellement respectueuse du principe de subsidiarité, pour les « villages » au sens large du terme, englobant non seulement les villages ruraux mais aussi les quartiers urbains possédant une réelle identité.

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Les Chinois n’envahiront pas la Pologne

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Pologne Chine conservatismeIl était une fois un pays ni très riche ni très pauvre qui se prévalait du titre de « puissance régionale ». La région en question, appelée Europe centrale, n’était ni particulièrement riche ni particulièrement pauvre. La valeur de ce pays, voire sa seule richesse, après que les aciéries avaient été fermées et les mines transformées en musées, résidait dans son emplacement, « central » comme le nom de la région l’indique.

Par chance, le pays en question, appelé Pologne, bénéficiait de la situation la plus centrale au sein de la région centrale. Se penchant sur la carte du monde, les dirigeants polonais des premières années de ce siècle ont constaté que c’était là une belle opportunité, à la seule condition que les marchandises envoyées depuis la Chine vers des pays plus riches et plus importants que le leur voyagent par le train et non plus par cargo.

Une délégation polonaise s’est donc rendue à Pékin afin d’entamer d’importantes négociations, qui ont duré longtemps car les Chinois sont durs en affaires. Reste qu’ils sont également très malins et qu’ils ont bien compris l’intérêt de la proposition polonaise dont la réalisation leur ferait gagner beaucoup d’argent.

Le projet d’une nouvelle route de la soie a ainsi vu le jour. Les Chinois ont promis d’investir 100 milliards de dollars pour acheter des friches près de Lodz et y construire les infrastructures adaptées. Les Polonais n’avaient plus qu’à lancer un appel d’offres, histoire de procéder dans les règles.

Mais voilà qu’entre-temps, un nouveau gouvernement ultraconservateur a emménagé à Varsovie avec, cela va de soi, un nouveau[access capability= »lire_inedits »] ministre de la Défense, plus patriote que tous ses prédécesseurs les plus patriotes. Antoni Macierewicz – c’est son nom – n’a guère apprécié tout ce tripatouillage avec les Chinois, ce qu’il n’a pas tardé à annoncer officiellement. À en croire l’intuition stratégique du ministre, la prétendue nouvelle route de la soie ne serait en réalité qu’une « tentative d’expansion chinoise et ferait partie d’une conception d’étroite entente entre l’Europe occidentale, la Russie et la Chine, dans le but d’éliminer l’influence des États-Unis de l’espace eurasiatique et liquider l’indépendance de la Pologne ».

Conclusion, les Chinois, avec leurs 100 milliards de dollars, sont allés discuter de la future route de la soie avec les autorités roumaines, qui leur ont fait le meilleur accueil. Et le ministre Macierewicz, héros national, a été décoré de la médaille d’ambassadeur de l’Économie polonaise.[/access]

Affaire Fillon: un parfum de Bruay-en-Artois

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Eliane Houlette. Sipa. Numéro de reportage : 00677791_000047.

Alors comme ça un député provincial qui, selon une habitude parlementaire très répandue, a autrefois recruté sa femme comme collaboratrice parlementaire sans lui donner un travail harassant à effectuer, se rend coupable d’attribution d’emploi fictif et, partant, de « détournements de fonds publics » justifiant l’intervention immédiate du Parquet national financier (PNF) exclusivement compétent « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent » ! Ledit PNF finit cependant par ouvrir une information judiciaire confiée à trois juges d’instruction pour éviter la prescription de ces faits anciens et parce que, selon un proche du magistrat : « Eliane Houlette considère que dans les affaires relativement simples, qui ne nécessitent pas de commission rogatoire internationale complexe, le devoir de la justice est de passer rapidement, sans s’enliser dans les dossiers ». Autant dire que le PNF reconnaît a posteriori qu’il n’était pas compétent pour déclencher l’enquête. Dont acte.

Opération mains propres

Ce qui est nouveau, c’est la qualification juridique retenue pour justifier l’intervention du juge pénal dans une pratique banale. Est-ce à dire que désormais tout élu, fonctionnaire, collaborateur public ou membre d’un conseil ou comité Théodule quelconque qui ne travaille pas en proportion exacte de ce qu’un procureur estime nécessaire à sa rétribution devrait en passer par la case prison au motif qu’il s’agirait d’un « détournement de fonds » ? Ça promet du monde dans nos établissements pénitentiaires déjà surchargés. Si les juges italiens en faisaient autant à l’égard de tous les  fannulloni dont la péninsule a l’habitude de se moquer, l’opération mani pullite (mains propres) viderait tous les ministères, le Parlement et les administrations territoriales du bel paese.

Chez nous, il faudrait d’abord faire une perquisition de grande envergure au Conseil économique, social et environnemental où il est de notoriété publique qu’une l’indemnité mensuelle brute de 3800 euros est versée à 233 conseillers dilettantes qui ont l’habitude de quitter les quelques très rares réunions auxquelles ils sont convoqués aussitôt après avoir badgé. Chacun sait d’ailleurs que les membres des organisations « représentatives » qui y siègent reversent une part de leur indemnité à leur syndicat d’origine. Les nominations de « personnalités qualifiées » (dites PQ) y sont depuis toujours utilisées par le gouvernement en place pour servir des prébendes à des amis de toutes sortes, souvent dépourvus de toute qualification. La Cour des comptes a d’ailleurs constaté que le personnel administratif de ladite institution jouit aussi, par voie de conséquence, d’un temps de travail très limité.

En ce qui concerne nos assemblées parlementaires, les professeurs de droit constitutionnel et de science politique, dont certains thésards sont collaborateurs de députés ou sénateurs (ou ont eux-mêmes été collaborateurs lorsqu’ils faisaient leur thèse), savent bien que le travail de ces jeunes doctorants varie du zéro à l’infini selon l’assiduité et les méthodes et moyens de travail du parlementaire lui-même. Tel assistant va pouvoir faire sa thèse en un temps record parce-que son sénateur « ne lui donne rien à faire » et qu’il peut donc passer tout son temps à la bibliothèque du Sénat, tel autre n’arrivera pas à boucler son doctorat tant il est « pressuré » par son député, à Paris ou dans la circonscription. L’idée de faire intervenir le juge pénal dans la façon dont un représentant de la Nation organise l’exercice de sa fonction est une nouveauté parfaitement soudaine.

Sus au candidat anti-médias

La tradition d’autonomie des assemblées parlementaires veut qu’elles fassent leur propre police et exercent elles-mêmes leur pouvoir disciplinaire, notamment pour tenter (en vain jusqu’à présent) de corriger l’absentéisme. C’est le règlement de chaque assemblée qui fixe ses règles de fonctionnement et prévoit, dans certains cas, des sanctions à l’encontre des parlementaires qui enfreindraient les règles, lorsque celles-ci existent. Or il n’en existe aucune portant sur le choix, le temps, le lieu, la quantité et les modalités de travail des collaborateurs parlementaires. Bien entendu, l’on peut toujours trouver que le règlement des assemblées n’est pas assez précis et rigoureux. Mais la correction et le contrôle de ces pratiques relève du seul parlement, comme elles relèvent de l’entreprise dans le monde du travail ou du chef de service dans la fonction publique. On ne peut pas incriminer pénalement tous les comportements professionnels et confier au juge répressif le soin de traquer partout les fainéants, les rêveurs, les désinvoltes ou les dilettantes.

Mais, rassurons-nous, le juge pénal n’a pas du tout l’intention de généraliser cette intrusion qui ne concerne pas en l’occurrence un parlementaire lambda, mais vise délibérément et exclusivement un député « hors-norme » qui se trouve être, en effet, un candidat fort bien placé à l’élection présidentielle. Et, de plus, il ne s’agit pas non plus de n’importe quel présidentiable mais du vainqueur inattendu à la primaire de la droite qui a déjoué les pronostics et surtout les préférences du complexe médiatico-idéologique. Ledit candidat, par contraste avec son challenger investi par les médias, n’est en effet pas adepte du multiculturalisme ni  franchement branché sur les droits des minorités.

Conservateur not dead

Pis encore, il assume ses choix qu’il revendique sans céder au politiquement correct et se permet même de remettre à leur place les journalistes effrontés qui l’agressent sur ses convictions. Il envoie publiquement promener un identitaire antillais qui lui reproche son refus de repentance et de réparation sur la colonisation et l’esclavage et fait de même avec une militante lesbienne qui pleurniche parce qu’il entend remettre en cause l’adoption plénière par deux « parents de même sexe ». C’est dire que ce candidat se soucie comme d’une guigne des clientèles chouchoutées par son concurrent bordelais. Et, comble de l’audace, ce notable de province non-divorcé et père de famille nombreuse, ne trouve pas aberrant d’entretenir de bonnes relations avec la Russie, laquelle est dirigée, comme chacun sait, par un infréquentable  dictateur hétérophile. Voilà donc où le bât blesse et pourquoi il fallait tenter à tout prix de saboter sa candidature. François Fillon n’est pas un banal parlementaire ayant simplement, comme tant d’autres avant et après lui, recruté sa femme pour l’assister. Il est le candidat conservateur plébiscité par les électeurs de son parti pour une élection présidentielle qu’il a toutes les chances de remporter. Le complexe médiatico-idéologique ne pouvait pas laisser passer cela. Un petit article habituel du Canard Enchainé ne révélant rien qu’une pratique archi-courante au Parlement français et voilà la procureure financière qui, telle la fameuse Carla del Ponte en son temps, dégaine aussitôt son arsenal répressif.

Un Sofitel bis?

L’affaire n’est pas sans en rappeler d’autres. Récemment, on se souvient de l’acharnement inouï  dont a fait preuve une juge d’instruction à l’égard de Dominique Strauss-Kahn, en inculpant l’ancien patron du FMI du chef abracadabrantesque de « proxénétisme aggravé » ! Des années de harcèlement judiciaire ont ainsi été infligées à DSK sur la base d’une qualification farfelue que le tribunal a finalement condamnée dans un jugement accablant pour l’instruction. Mais il fallait bien tenter d’avoir la peau de ce mâle hétérosexuel blanc et riche, qui avait l’outrecuidance de vouloir se relever de l’affaire du Sofitel. Plus loin encore, ceux qui ont moins de 40 ans ne peuvent pas se souvenir de la fameuse affaire de Bruay-en-Artois, dans laquelle il ne s’était agi, par la coalition d’un juge et de médias militants, que de mettre à mort un notable de province, coupable de son seul statut socio-culturel, exécré par une meute gauchiste hystérique.

Philippe Muray nous manque décidément beaucoup dans cette campagne présidentielle dominée par l’« envie du pénal », les « jaccuzateurs » et la « peste justicière » du « département fusion-inquisition ». Finalement il n’y a que Jacqueline Sauvage qui ait bénéficié de la clémence d’Auguste. Morale de la fable : mieux vaut tuer son mari que d’embaucher sa femme.

Jours fériés pour tous: du lard ou du cochon?

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Le collier Safe World Peace à Cannes, octobre 2006. SIPA. 00535533_000022

C’est tout nouveau et ça vient de sortir. Deux jours fériés supplémentaires : une fête musulmane et une fête juive ! Voilà une idée qu’elle est géniale… De quoi réjouir Hachem[1. C’est ainsi que les juifs pieux appellent Dieu qu’il leur est interdit de nommer] et Allah. Et cette idée est le fruit des intenses cogitations d’un think tank estampillé à gauche, Terra Nova. Un think tank c’est fait pour réfléchir. Et à Terra Nova on réfléchit dur.

On réfléchit surtout à la façon de donner aux musulmans toute la place qu’ils méritent et qu’ils n’ont pas. On prend en compte la douleur qui est la leur quand ils sont contraints de contempler les sapins de Noël et les crèches du même nom. Et on compatit à leur désespoir quand ils sont forcés d’entendre des noms aussi étranges, et étrangers à leur foi, qu’ « Ascension », « Assomption » et « Pentecôte ».

Une fête, une seule, pour contrebalancer une légion de fêtes de tradition chrétienne, fêtes plébiscitées par le bon peuple de France à qui elles permettent de ne rien foutre pendant de nombreux jours… C’est quand même pas grand-chose si on réfléchit aux millions de musulmans qu’il y a en France, n’est-ce pas ? Certes, mais alors pourquoi une fête pour les juifs notoirement moins nombreux. Auraient-ils des privilèges, des droits spéciaux que les autres n’ont pas ?

Les juifs ne réclament rien

Vous n’y êtes pas. Terra Nova est passé maître dans l’art de la cautèle et de l’hypocrisie. Les tartuffes du think tank ont pensé qu’un zeste de juif permettrait de dissimuler leur tropisme islamique. Un énorme croissant et une toute petite étoile jaune : c’est pas bien ficelé ça ? Mais la ficelle est un peu grosse.

Les juifs ne réclament rien. Ni jour férié, ni repas casher dans les cantines scolaires, ni l’interdiction des crèches avec le petit Jésus. Les juifs servent juste de cache-sexe pour une opération d’« aplaventrisme » dont Terra Nova se fait une spécialité. Et tous les autres qui ne sont ni juifs ni musulmans, c’est-à-dire l’écrasante majorité du peuple français ? Eh bien ils profitent douillettement des jours fériés existants sans imaginer un seul instant qu’ils ont eu autrefois une connotation religieuse.

Qui sait encore ce que signifient l’Ascension, l’Assomption et la Pentecôte ? Presque personne. Car ni les radios ni les télévisions ne jugent utiles d’en parler. En revanche, le début et la fin du Ramadan occupent une place de choix dans les bulletins d’information. Mais – qui sait ? – peut être que demain une nouvelle fête verra le jour : la fête du cochon !

Nous tenons en effet de très bonne source que Marine Le Pen a un projet de ce type dans ses cartons. On lui prête l’intention d’ouvrir une consultation pour en fixer la date. Mais on connait déjà le jour de la semaine qui sera choisi : un lundi pour donner aux Français un week-end end prolongé. Ce jour-là quand les rues de nos villes et de nos villages seront tapissées de jambons, de boudins, de saucissons, de saucisses et de cervelas, la France entière (à l’exception des musulmans et des juifs) criera éperdue de reconnaissance : « merci Marine ! » Tout ça, à dire vrai, n’est pas vraiment très sérieux. Mais quand on a eu à supporter les tristes élucubrations de Terra Nova, on a bien le droit de s’accorder un moment de franche rigolade…

Michel Mohrt, retour aux sources

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SIPA. 51117035_000002

1945. La France panse ses plaies dans une victoire en trompe-l’oeil. Sans les penser. Des décombres, ont pourtant surgi des professeurs, bien décidés à fixer brutalement une histoire qui, comme toujours, tire une sale gueule. De nouveaux mensonges remplacent les anciens. Ils ne font pas moins de mal. Certes, le temps des exécutions sommaires a vécu. Pas celui des saloperies. On les maquille comme on peut. On revêt la Faucheuse des habits de la Justice. Pas toujours nets d’ailleurs (« La Justice, cette forme endimanchée de la vengeance », selon la formule du grand avocat et écrivain Stephen Hecquet, l’ami, le frère d’armes de Roger Nimier).

Dans cette époque trouble, Michel Mohrt, 34 ans, fait paraître son premier roman, Le Répit. L’apprenti écrivain, avocat de formation, a déjà publié durant la guerre deux essais, l’un sur Montherlant, l’autre sur les intellectuels et la défaite de 1870. Des sujets qui ne doivent rien au hasard, évidemment…

L’instant d’avant

Avec ce Répit, Mohrt rouvre au scalpel la cicatrice française et commence à fouiller la terrible blessure. Il y consacrera une grande partie de son oeuvre. Le Répit, c’est la (sa) Drôle de Guerre, ces « neuf mois de belote avant les trois semaines de course à pied » pour reprendre une fulgurance célinienne, longue attente avant la dérouillée maousse, l’impensable dégelée du printemps 1940. En 1945, Michel Mohrt n’a peut-être pas encore toutes les cartes en main mais soupçonne que les dés sont jetés. C’est pour cela que Le Répit apparaît comme un livre singulier dans la bibliographie du futur académicien. Car il y flotte un parfum d’insouciance qu’on ne retrouvera guère dans ses autres livres. Derniers instants de bonheur d’avant la chute, derniers pas de Charleston au bord du précipice…

Lucien Cogan, le héros et jumeau de l’auteur, ne prise guère les plaisirs vulgaires. Jeune officier dans une section de chasseurs alpins, romantique, rêveur et stendhalien en diable, il trompe son ennui des « états néants » sur les sommets enneigés des Alpes du sud. Drôle de garçon que ce Lucien : conscient de ses responsabilités mais les fuyant dès que possible. Ne cherchant jamais à s’en pénétrer vraiment : Lucien Cogan ou une certaine inconstance…

Aux servitudes militaires, le jeune préfère de loin courir les filles. Descend à la première occasion faire la vie à Nice. Traverse les nuits de dancings en boîtes (« Sérénade sans espoir » jouée partout), dans des nuages de tabac anglais et sous des averses de champagne. Gobe des huîtres et avale des gorgeons de blanc sur un coin de zinc avec un compagnon de passage, pas très loin de la Place Masséna, où certaines petites fleuristes embrassent bien. Contemple le turquoise méditerranéen depuis la Promenade des Anglais après avoir déjeuné dans une trattoria. Si Lucien Cogan rêvasse parfois d’une hypothétique gloire militaire, il s’imagine surtout au bras d’une contessina à son bras dans une loge de la Scala. Après la victoire. Parce qu’on vaincra. Ne sommes nous pas les plus forts ?

Sur des pistes, qui ne sont pas de danse, notre héros ne parvient pas à se familiariser avec la ruade Allais et en reste au stem. La faute aux déplorables skis de frêne de l’armée française. Dans ses rares moments de… répit, Lucien tient son journal. Sans grande conviction, même si comme il le confesse, il ne trouve vraiment de refuge que dans l’art et littérature. Il écrit sur un cahier jaune, comme ses sourires. L’impréparation de l’armée française, la paresse, le manque de volonté, le désolent. Il en est lui aussi victime, il le sait. La petite section qu’il dirige ? Beaucoup de tire-au-flanc, de gars du peuple. Lucien ne cherche pas à se rapprocher d’eux : conscience de classe plutôt que mépris. Il y aura bien ce réveillon de Noël où l’on se réchauffe un peu ensemble, au chalet, en améliorant l’ordinaire. Mais ça ne va, ça n’ira jamais plus loin…

« Est-ce qu’à la guerre vous avez rêvé ? Oui à la guerre aussi. Surtout à la guerre. »

Sa Bretagne natale, Mohrt la fait apparaître furtivement. Lucien revient sur ses terres le temps d’une permission. A Brest, des troufions imbibés s’embarquent pour la Norvège. Dans le train qui le ramène dans le Sud, notre héros vit une dernière aventure avec une belle étrangère au sourire ironique. Les Allemands franchissent la Belgique, Lucien batifole. Encore un instant de bonheur monsieur le bourreau… Lucien Cogan : égoïste, orgueilleux, candide, cœur d’artichaut agaçant et attachant.

Le Répit : un songe, un charme, des rêves. Ce premier roman, on le trouve finalement tout entier résumé quelques années plus tard dans un autre livre de Mohrt, le plus sombre, ces Nomades oùon trouve ce bout de dialogue :

« – Est-ce qu’à la guerre vous avez rêvé ?

– Oui à la guerre aussi. Surtout à la guerre. »

Ceux des aficionados de Mohrt (et il en reste ! Et on en connaît !) qui ont admiré La Campagne d’Italie verront peut-être dans Le Répit une version de jeunesse de ce roman emblématique, comme un premier jet de celui-ci. Il est vrai qu’on retrouve dans les deux livres des scènes identiques, superbes d’ailleurs, émouvantes comme pas permis – ce père qui suit son fils dans ses différents cantonnements, le nourrit et le bichonne, cet apéritif fraternel, partagé avec des soldats italiens, à 2500 mètres d’altitude – trop criantes de vérité d’ailleurs pour ressortir de la pure fiction. Les hostilités vont démarrer pour de bon : sans grade et officiers le savent. Le Pernod a un drôle de goût. Des cousins savoyards trinquent sous deux uniformes… Seulement Cogan n’a pas la lucidité de Talbot, le héros de La Campagne d’Italie. Au printemps 1940, l’oeillet du désespoir à la boutonnière de notre Lucien est trop fraîchement coupé…

Toute l’oeuvre de Michel Mohrt n’aura finalement été que la chronique d’une existence qu’on cherche à toutes forces à rendre la plus légère possible afin d’ensevelir des monceaux, des tonnes de désespoir. Et si, dans cette oeuvre (ample, belle, importante), Le Répit se singularise c’est parce que Mohrt l’a sans doute écrit sans avoir encore vraiment conscience que l’insouciance, l’espoir, ne frappaient jamais deux fois à la même porte.

Le Répit de Michel Mohrt, éditions La Thébaïde (2017), 215 pages, 18 euros.

Le répit

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Haïti: le repos du guerrier humanitaire

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La route nationale n°1, qui relie Port-au-Prince à Cap-Haïtien, Haïti, novembre 2016.
La route nationale n°1, qui relie Port-au-Prince à Cap-Haïtien, Haïti, novembre 2016.

Cassandra[1. Tous les prénoms ont été modifiés.] ôte tous ses vêtements. « Je vais faire une rencontre, chérie », dit-elle de sa voix flûtée en enfilant un string de dentelle blanche. Elle s’asperge d’un parfum capiteux aux accents sucrés. Un peu dans le cou, un peu dans le creux des seins, un peu sur le sexe, « pour que ça sente bon partout ». Elle profite des dernières lueurs du soleil pour brosser ses longs cheveux noirs. L’électricité a encore sauté. « Ça porte bonheur », dit-elle dans un éclat de rire.

Misère de l’humanitaire

Trois fois par semaine, la jeune Haïtienne rencontre des « amis » dans sa petite maison de Port-au-Prince. Des ambassadeurs, des humanitaires, des travailleurs de l’ONU. Des hommes blancs, quinquagénaires, sexagénaires, au volant de leurs Mercedes blindées. « Je ne suis pas une pute, je travaille pour une banque », répète-t-elle plusieurs fois, comme pour s’en convaincre. « Lui, je le connais depuis longtemps, c’est un ami », glisse-t-elle sur un ton de confidence. Un ami qui lui a offert un iPad, un ordinateur et un écran plat qui forment un étonnant contraste avec le mobilier sommaire de sa masure. Quelques ablutions dans un seau d’eau tirée du puits, une touche de gloss sur ses lèvres vermeilles, une dernière vaporisation de parfum, une robe qui dévoile bien plus qu’elle ne voile, et Cassandra est partie, descendant vers une Mercedes blanche d’un pas chaloupé. Une porte claque. Le bruit sourd de la cylindrée se mouvant au gré des coups de reins de ses occupants accompagne le chant d’une soirée haïtienne – où les aboiements des chiens galeux se mêlent aux ruissellements de la pluie et au reggaeton que crachote un poste de radio, au loin. Cassandra reste trois heures en compagnie de son vieux galant et rentre tout sourire, billets dans une main, iPod dans l’autre.

Accoudé au balcon, Antoine se remet de ses exploits automobiles en fumant une cigarette post-coïtale d’un air conquérant. Le quasi-septuagénaire à la lippe tremblante occupe un poste à responsabilités dans une ambassade[access capability= »lire_inedits »] européenne et assure aimer Haïti presque autant que les Haïtiennes. « Elle est bien, cette petite », dit-il en désignant Cassandra, vautrée sur son canapé de bois. « Vous aussi, vous avez l’air douée. Êtes-vous sûre que vous ne voulez pas travailler, mademoiselle ? » demande-t-il à tout hasard. Un refus, le vrombissement d’une Mercedes et il prend congé.

« Tous les mêmes, ces expats », pouffe Cassandra une fois son amant parti. « Ils font les beaux dans les soirées mondaines, mais ils se sentent horriblement seuls – certains d’entre eux me paient très cher juste pour un peu de tendresse. Ils me font rire. Ils sont presque drôles. Au fond, je crois que je suis un peu amoureuse de chacun d’entre eux. » À la suite du tremblement de terre survenu en 2010, une cohorte d’humanitaires de tout poil a débarqué en Haïti, pour six semaines ou pour six ans. Missionnaires, envoyés de l’ONU, entrepreneurs venus profiter d’une main-d’œuvre à bas prix, vingtenaires employés par les ministères haïtiens, humanitaires venus sauver le monde, architectes accourant « parce que tout est à reconstruire », Casques bleus de 18 ans : cette faune cosmopolite est abondamment plébiscitée par les jeunes Haïtiennes qui voient en elle un moyen comme un autre de s’extraire de la misère qui les a vues naître.

Le Graal : sortir avec un expat’

Tous les vendredis, expatriés, Haïtiens et humanitaires se retrouvent à l’Asu, terrasse aux faux airs de Manhattan. Le rooftop surplombe les collines de Port-au-Prince, noyées dans la brume d’un novembre pluvieux. Alentour, des quartiers si dangereux que l’on ne s’y déplace jamais à pied. Les visages des expats, éclairés par des lustres en faux cristal, reflètent un ennui tranquille. Et puis, il y a les filles. Ces Aphrodites vénales ondulent de la hanche et de la poitrine contre des humanitaires fraîchement arrivés, reconnaissables entre mille à leur air béat. En dansant sur des tubes planétaires et en s’enivrant de mauvais cocktails à dix dollars, ils fricotent avec les Haïtiennes venues chercher des jours meilleurs et comparent à grand renfort de métaphores graveleuses leurs charmes à ceux de leurs grosses voitures. « Cet endroit pue le désespoir, me hurle à l’oreille Charles, grand brun à la voix suave couvrant la musique industrielle à 100 décibels, sur laquelle se dandinent les blancs en goguette. Je ne sais même pas ce que je fous ici. J’ai l’impression d’être au théâtre. » Avant de vivre dans la « perle des Caraïbes », Charles a « fait l’Afrique ». Partout, il a goûté aux charmes de jeunes locales, qu’il a quittées à la faveur de ses mutations. « Les filles ici ne sont pas des putes : entre un vieux blanc très friqué et un jeune blanc qui leur offrira une vie décente, elles tomberont toujours amoureuses des jeunes. » Depuis deux ans, Charles est en couple avec une native de Port-au-Prince de dix ans sa cadette. Grâce à lui, elle a pu reprendre des études, vivre avec lui dans une maison sans loyer et envoyer un peu d’argent tous les mois à sa famille. Entre Charles et son amie, les jours ne sont pas sans houle. « Entre elles, les Haïtiennes sont sans pitié. Quand l’une parvient enfin à décrocher le Graal – se mettre en couple avec un expat –, ses meilleures amies sont tout à fait capables d’envoyer des messages à son amoureux pour lui dire qu’elle le trompe avec la moitié de Port-au-Prince. J’en ai fait les frais », soupire le jeune homme. La discussion est interrompue par la petite amie haïtienne qui l’enserre en me décochant des regards vipérins.

Dans les toilettes, les femmes se maquillent, s’épiant du coin de l’œil. Toutes ont passé des heures dans leur salle de bains, s’épilant, rajustant leurs tresses et perruques, s’aspergeant de parfums musqués. Il s’agit plus d’être vue que de voir. Peut-être rencontreront-elles ce soir un mécène généreux. « Ici, c’est le club des gens aisés », analyse Laurie, pétillante Haïtienne qui vient tous les vendredis. « Il y a moins de putes que dans les tripots de Pétionville, où les expats ne viennent que pour ça. Mais quelques-unes parviennent tout de même à entrer : on les reconnaît au fait qu’elles tournent autour du bar toute la soirée sans rien acheter. »

Traînant à l’extrémité de la grande table de béton, encore un employé de l’ONU. À 38 ans, dont cinq d’Haïti, Matthew est l’un des vétérans de la soirée. L’œil méprisant, le verbe plein de morgue, il est le vivant cliché de l’expatrié blasé. Tous les vendredis, il vient en compagnie d’une bière et de sa solitude s’enivrer du mauvais reggaeton crachoté par les haut-parleurs. « C’est mon seul plaisir de la semaine, de venir ici, dit-il entre deux gorgées de Prestige, la cervoise nationale. Les filles sont plus jolies qu’en Europe. On peut les avoir pour pas cher. On est les rois du pétrole, ici : tout s’achète, même les gens. » Rien ne semble en effet toucher les salariés d’organisations inter-nationales qui, lorsqu’ils écrasent un autochtone au volant de leurs tapageuses voitures, s’en tirent sans histoires moyennant quelques centaines de dollars. « Ça fatigue de sauver le monde, on a les compensations qu’on peut », lance-t-il cynique.

« Au moins, je fais tourner l’économie »

On retrouve Maxime le lendemain. Le trentenaire vit dans une maison de 300 m², partagée avec trois autres humanitaires sur les hauteurs de Port-au-Prince. Froid et vide, le lieu fait penser à un hôpital. Le jeune homme se sert un verre de whisky dix ans d’âge avant d’énumérer, l’air las, les contraintes qui jalonnent la vie des expatriés. « Pas le droit de sortir dans la rue à pied – de toutes manières, on se ferait agresser. Pas le droit de ramener femmes et enfants. Couvre-feu à minuit. Obligation de demander un permis – souvent refusé – pour se déplacer en dehors de la capitale. Obligation d’être accompagné, en permanence, de gardes du corps. C’est une vie de chien. On devient fou, dans ce pays. » Les contraintes de sécurité varient selon les organisations : de l’humanitaire payé au lance-pierre au consultant international gagnant des centaines de dollars par jour, tous ne jouissent pas de la même sécurité – et ne partagent pas les mêmes contraintes. « Ici, beaucoup deviennent alcooliques, poursuit Maxime en sirotant son whisky. On n’a pas le choix, de toute façon. On est bloqués dans nos appartements vides. On ne sait rien du pays, on ne sait rien des Haïtiens. On sait qu’on ne restera que quelques mois – dans le pire des cas, quelques années –, alors pourquoi faire des efforts ? On reste entre nous, à faire des soirées d’expats tristes où on tue l’ennui en se moquant des autochtones. Beaucoup d’entre nous les méprisent. »

Comme nombre de ses collègues, Maxime fréquente assidûment de jeunes Haïtiennes. « Je leur donne presque un cinquième de mon salaire – au moins, je fais tourner l’économie, ricane-t-il avant de reprendre son sérieux. Moi, je suis un type bien. Je les paie correctement. Je ne leur demande rien de vraiment humiliant. Certains de mes collègues sont tellement atteints par la violence du pays qu’ils finissent par devenir violents eux-mêmes. Qu’est-ce qu’ils peuvent perdre à battre une fille ? Si on tue quelqu’un en voiture, on s’en sort. Alors pour quelques bleus… » Un dîner frugal à base de céréales à 12 dollars, et Maxime s’en va. « Je vais faire une rencontre intéressante ce soir, je te passe les détails », glisse-t-il en fermant la porte.

On retrouve Cécilia dans sa masure, où trois cafards se disputent les cadavres de bouteilles qui traînent sur le sol. La jeune femme de 18 ans se prépare pour son interlude hebdomadaire avec un diplomate européen qui pourrait être son grand-père. « Je vais rencontrer un ami blanc, il travaille à l’ONU, il est très riche. Il va me payer mes études en Europe. » La longue liane aux traits parfaits rêve de s’installer en Europe, « là où il y a de l’électricité et où l’eau coule des robinets ». Elle a commencé à se prostituer « dès [qu’elle a] eu des seins » mais ne se souvient plus de l’âge qu’elle avait lors de sa première passe. « 13 ans ? 14 ans ? On s’en fout. Ici, on n’a pas d’avenir. Une infirmière diplômée, elle gagne à peine 100 euros par mois. Alors quand tu peux te faire la même somme en une soirée, le choix est vite fait. Pourvu que le mec ne te batte pas, c’est un bon plan. »

L’homme qu’elle s’apprête à voir occupe un poste à responsabilités et gagne quelque 20 000 euros mensuels – une fortune dans ce pays où 75 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. « Je crois qu’il est amoureux de moi, poursuit-elle en se maquillant. Tout ça parce que je lui fais de l’oignon. Tu sais ce que ça veut dire ? » Je réponds par la négative, imaginant bien qu’il ne s’agit pas là d’une manière de faire le pot-au-feu. « Je lui lèche le cul, il adore – surtout quand c’est sale. Je m’en fous, moi, pourvu qu’il me permette de me tirer de ce trou. » Un jour, Cécilia voudrait se marier avec un blanc, lui faire de beaux enfants et partir en Europe. Voir, toute sa vie, l’eau couler des robinets.

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Affaires à répétition: comment donner raison à Marine Le Pen

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Marine Le Pen en meeting à Nantes, février 2017. SIPA. AP22019635_000001
Marine Le Pen en meeting à Nantes, février 2017. SIPA. AP22019635_000001

Emmanuel Todd avait parlé de « flash totalitaire » au moment de l’organisation par le pouvoir socialiste des manifestations contre les massacres de Charlie hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015. Cette façon de qualifier fut accueilli par un violent concert de désapprobation. Cela aurait pourtant mérité discussion, surtout à la lumière des jours qui ont suivi. Cette expression fait aujourd’hui un retour fracassant, pour qualifier le comportement hallucinant d’un système aux abois. Une presse aux ordres, à la fois de ses patrons oligarques et du pouvoir d’État, fait la promotion d’un télévangéliste sorti de nulle part, et affublé de tous les attributs de ce que les Français ne supportent plus. Ayant connu toutes les élections présidentielles depuis 1965 je n’ai jamais vu un tel déferlement de propagande. Et je n’ai jamais assisté non plus à une telle instrumentalisation de la justice et de la police à des fins directement politiciennes.

La création de l’urgence

Avec esprit de responsabilité les Français sont restés stoïques face à la catastrophe démocratique et politique de la présidence Hollande, s’en remettant pour s’en débarrasser à l’élection la plus importante des institutions de la Ve République. Ils constatent effarés toute une série de manipulations visant à confisquer ce scrutin, pour faire élire Emmanuel Macron à la faveur d’un deuxième tour contre Marine Le Pen. Manipulations qui utilisent sans vergogne les services de l’État dont beaucoup abandonnent une neutralité qui devrait pourtant leur être constitutive.

On a déjà dit ce qu’il fallait penser de la crédibilité et de l’impartialité du Parquet national financier (PNF), pas seulement à cause du rôle qu’il a joué dans l’opération anti-Fillon, ou de l’incroyable acharnement vis-à-vis de Nicolas Sarkozy mais aussi du peu d’empressement à intervenir dès lors qu’il s’agissait de proches du chef de l’État. De ce point de vue, le Pôle financier qui de son côté assure l’instruction n’est pas en reste. On aura compris l’utilité du renvoi en pleine période électorale de Nicolas Sarkozy en correctionnelle, qui ne présentait pourtant aucune urgence. Il fallait fermer la porte à un plan B Sarkozien après le déclenchement du bombardement de François Fillon. On aura également compris l’utilité, dans la perspective du deuxième tour, d’affaiblir Marine Le Pen en déclenchant contre elle et son entourage des rafales d’actes de procédure qui eux non plus ne présentaient pourtant aucune urgence.

Que l’on comprenne bien, le propos n’est pas de considérer que François Fillon n’a rien à se reprocher, ou que le Front national est exempt de tout agissement à caractère pénal. Le problème est que cette accélération à ce moment-là d’affaires anciennes poursuit un but politique évident : empêcher le débat de fond. À tout prix. Prenons l’exemple de la transmission aux duettistes du Monde, amis du pouvoir, de pièces de procédure couvertes par le secret. Cette transmission effectuée par des fonctionnaires chargés de veiller à son respect est un manquement doublé d’une infraction pénale gravissime. Et puis, la phrase rituelle : « la justice doit passer, il n’y a pas de trêve » est une hypocrisie destinée à justifier toutes les manipulations. Des procédures pour des affaires ou des faits anciens ne sont marquées d’aucune urgence et peuvent évidemment être suspendues pendant une campagne électorale présidentielle. À titre d’exemple, la publication des lettres d’observations des Chambres régionales des Comptes, sur la gestion des collectivités locales est interdite 6 mois avant les élections locales. Justement pour éviter les manipulations.

Et Marine Le Pen devint victime…

Et ce qui est paradoxal, c’est qu’ainsi le Front national, présenté comme une organisation pré-fasciste, peut prendre la posture de victime de l’arbitraire, et sa candidate se positionner en défenseur des libertés publiques. Parce que sur les deux derniers incidents, intervenus la semaine dernière, c’est Marine Le Pen qui avait raison.

Tout d’abord, pour faire bon poids après perquisitions, gardes à vue et mise en examen spectaculaires et médiatisés, la police judiciaire s’est permis de convoquer une parlementaire couverte par son immunité. Comment peut-on considérer que cette convocation illégale soit légitime et que le refus de Marine Le Pen d’y déférer soit un scandale ? L’immunité parlementaire est une protection accordée aux représentants du peuple régulièrement élus, face à l’arbitraire dont pourrait faire preuve le pouvoir en place. Cette inviolabilité est tout simplement une liberté publique fondamentale, que la police judiciaire, sur ordre, et pour faire du buzz, s’apprêtait à violer. C’est donc bien la candidate du Front national qui en la circonstance l’a défendue. Il convient de féliciter les ânes bâtés qui lui ont offert cette opportunité.

Il y a ensuite le discours de Nantes où Marine Le Pen a dit précisément ceci : «les fonctionnaires à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs de l’Etat pour surveiller les opposants ou organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus ou des cabales». «Dans quelques semaines ce pouvoir politique aura été balayé, mais ces fonctionnaires devront assumer le poids de ces méthodes illégales et ils mettent en jeu leur propre responsabilité. »

Droit dans le mur

Eh bien, Marine Le Pen fait simplement, et à sa façon, brutale, référence à la loi française. Et elle rappelle aux fonctionnaires leur devoir, en leur précisant fermement qu’en cas de violation de celui-ci leur responsabilité serait engagée. C’est en particulier à l’article 25 du statut de la fonction publique qui met à la charge du fonctionnaire un devoir d’obéissance. Une seule exception est prévue, si l’ordre « est manifestement illégal ». Cela veut dire que tout fonctionnaire qui accepte en connaissance de cause de commettre un acte en exécution d’un ordre illégal engage sa responsabilité. Pénale si l’acte en question consiste en une infraction prévue au code pénal, simplement professionnelle si ce n’est pas le cas. Cette question de « l’ordre manifestement illégal » a donné lieu à une importante jurisprudence pénale et administrative. L’essentiel de ces décisions ont été consécutives à des procédures engagées après des alternances qu’elles soient locales ou nationales. Prenons à nouveau l’exemple de l’infraction pénale, celle-là incontestable, commise ces dernières semaines, qui a consisté à fournir aux duettistes du Monde des éléments de procédure frappées du plus strict secret professionnel. Comme l’a relevé Éric Dupont Moretti, on peut penser que cela ne peut être le fait que des policiers chargés de l’enquête, ou des magistrats du PNF. Une fois les responsabilités éventuelles établies, il serait normal que la justice pénale et les procédures disciplinaires suivent leur cours. Une plainte a été déposée par François Fillon, on peut gager qu’elle ne connaîtra dans l’immédiat aucune suite mais il serait légitime, si celui-ci devenait président de la République, qu’il demande à son garde des Sceaux « que la justice passe sans désemparer ».

Qualifier cet appel à la responsabilité des fonctionnaires de volonté d’épuration n’est pas sérieux. Mais il est reçu comme tel au sein des couches populaires par tous ceux qui sont en rage et ne supportent plus l’arrogance irresponsable de la cohorte qui rêve de garder ses places dans le sillage du télévangéliste. Encore bravo d’avoir permis à nouveau à Marine Le Pen de jouer sur le velours.

Hypnotisés par Macron et Le Pen, Fillon est atone, Mélenchon mutique, Hamon à l’ouest, et tous les autres inaudibles. La voiture n’a plus de frein, pas d’airbag, l’accélérateur est coincé, et on fonce vers le mur.

Frédéric Lordon a choisi une métaphore marine« Voguons donc avec entrain vers un deuxième tour tant espéré, qui ne nous laissera que le choix de la candidate de l’extrême droite et du candidat qui fera nécessairement advenir l’extrême droite ».

Pour Aphatie, parler du FN n’a d’intérêt que si ça lui nuit

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Jean-Michel Aphatie, janvier 2012. SIPA. 00631435_000016
Jean-Michel Aphatie, janvier 2012. SIPA. 00631435_000016

Cela n’a l’air de rien. Ce n’est pas une belle formule-choc. C’est un bafouillage décousu. Et pourtant c’est très clair.

Il était près de minuit, vendredi soir, et l’on peut comprendre que la fatigue de fin de semaine agisse comme un désinhibiteur.

On peut regretter que le propos n’ait pas la puissance de cette belle réplique : « cela [l’élection de Trump] montre aussi qu’il faut s’interroger quelquefois sur le suffrage universel » (à 18’38 »)

Ni la perfection formelle du désormais célèbre : « savez-vous ce que je ferais, si j’étais président de la République? Je raserais le château de Versailles, afin que nous n’allions pas là-bas, en pèlerinage, cultiver la grandeur de la France. » Je m’étais prise à rêver d’un monde où ce propos serait considéré comme un « dérapage »… Façon de parler, bien sûr ; car le meilleur des mondes serait bien plutôt celui où la notion de dérapage n’aurait plus cours.

Mais le coup de Versailles était une blague, nous a rassurés M. Aphatie, comme s’il croyait sérieusement, quant à lui, que nous étions inquiets pour le sort du château (le Huffington Post l’a cru aussi), alors que nous sommes assez intelligents pour comprendre que ce journaliste a peu de chances de se retrouver un jour à la tête de L’État. Quoique. Dans un pays où les hommes politiques se mettent à parler comme Cyril Hanouna, tout est possible. Voir Emmanuel Macron en mode « je vous adore mes chéris »:

Voici donc la dernière en date (à partir de 12’12 »):

Je retranscris ici l’extrait intéressant (pour rappel, il est question des soupçons portant sur la nature du travail effectué par des assistants parlementaires du FN) :

Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux.

 

 

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

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Seul Fillon peut sauver le soldat Fillon

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francois fillon campagne macron
François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22018917_000013.
francois fillon campagne macron
François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22018917_000013.

Laissons de côté les abus de pouvoir commis par ces deux pouvoirs légitimes, séparés et indépendants que sont les médias et la justice. Rappelons simplement qu’il y a abus de pouvoir des pouvoirs légitimes quand ceux-ci s’exercent sans tenir compte de leurs conséquences, sans reculer devant l’énorme disproportion entre les fautes présumées d’un candidat et la mise à mal de la délibération démocratique dans une élection dont dépend l’avenir du pays, et donc aussi de l’Europe. Le mal est fait. Du fait des abus de pouvoir des médias et de la justice, il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française.

Deux options possibles

Le choix démocratique de notre avenir exige donc que le programme de Fillon redevienne audible, face à ceux de Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, car c’est au croisement de ces trois voies que notre pays se trouve. Nul autre que Fillon ne peut sauver son programme en le rendant audible. Que peut-il faire? Deux choses, au choix.

Soit il passe le relais à quelqu’un d’autre, qu’il désigne lui-même comme étant le plus apte à faire gagner le programme de leur famille politique. Il peut même imiter Bayrou et poser ses conditions, afin que l’essentiel de ce qui lui a fait gagner la primaire soit préservé. C’est-à-dire ce qui le distingue le plus fortement du programme de Macron.

Soit, mais c’est là un sacrifice infiniment plus sacrificiel, il se met à nu, reconnaît l’exactitude matérielle des faits qu’on lui reproche, admet qu’il a mis les doigts dans le pot de confiture des deniers publics, condamne et regrette cette faute morale, et assure qu’il est prêt à être jugé dès que l’intérêt supérieur du pays le permettra, c’est-à-dire en temps utile pour que la justice et l’intérêt supérieur du pays n’entrent pas en conflit.

Abandonner le mythe gaullien

Il pourra alors, et alors seulement, rappeler sans être taxé de cynisme que les fautes qu’il a commises ne sont pas des crimes qui le rendraient indigne d’exercer le pouvoir suprême, et qu’il y a une disproportion scandaleuse entre les indélicatesses qui lui sont reprochées et l’entrave au bon déroulement de la campagne électorale qui va décider de l’avenir du pays.

Cette conversion de François Fillon exigerait qu’il abandonne la mythologie gaullienne de l’élection présidentielle comme rencontre entre le peuple et un homme d’exception, un homme incorruptible et insoupçonnable, bref, un grand homme comme l’Histoire en fait surgir dans les grandes occasions. La vérité démocratique et non mythologique est qu’un peuple fait preuve de maturité et de prudence quand il se choisit en toute sobriété un dirigeant lucide et résolu, sur un CDD, et non un homme providentiel auquel il se donne dans un élan mystique. François Fillon pourrait même surprendre son monde, en reprenant à son compte ce que Brecht fait dire à Galilée : « Malheureux le pays qui a besoin de héros. »

Fonction publique territoriale: coûteuse et non-démocratique

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Fronton de la mairie de Nantes, mars 2014. SIPA. 00679846_000004
Fronton de la mairie de Nantes, mars 2014. SIPA. 00679846_000004

Les hommes politiques qui ne sont pas « à gauche toute », quand ils se présentent à une élection, ne manquent pas de ressasser le même refrain : il faut diminuer la dépense publique, et pour cela réduire le nombre des fonctionnaires. Pour le prochain quinquennat, ils expliquent par exemple qu’il faut diminuer de X centaines de mille le nombre de fonctionnaires. Certains précisent que, dans ce but, ils prévoient de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux parmi ceux qui partent à la retraite. D’autres veulent embaucher principalement sous contrat salarial ordinaire.

Parmi les points importants qui restent le plus souvent en dehors des limites de leurs épures se trouve le fonctionnement des collectivités territoriales et la prodigieuse augmentation du nombre de leurs employés. Ces collectivités ont actuellement recours à 1,9 million d’agents, et l’augmentation de cette « fonction publique territoriale » (locution, en abrégé FPT, qui inclut aussi bien les contractuels que les fonctionnaires stricto sensu) a été, depuis 1982, beaucoup plus rapide que celle des deux autres fonctions publiques, celle de l’État (FPE) et celle des hôpitaux (FPH).

Ruineuse décentralisation

Pourtant, des témoignages comme celui d’Aurélie Boullet, auteur (sous le pseudonyme Zoé Shepard) du récit intitulé Absolument dé-bor-dée (Albin Michel, 2010), devraient inciter à la réflexion : ne serait-ce pas là qu’il y a le plus de « gras » dont la disparition ne nuirait nullement au « muscle » ? Et l’affaire des emprunts toxiques territoriaux, qui a « coûté plus de 5,5 Md€ aux contribuables et aux banques » selon Les Echos du 9 février, ne devrait-elle pas orienter les recherches d’économies dans la même direction, en osant ébranler l’un des piliers de la doxa « politiquement correcte », à savoir que la décentralisation serait une merveille ?

En prenant comme indice 100 les effectifs 1982, on arrive en 2003 (selon le document Chiffres-clés 2005 du ministère de la fonction publique) à l’indice 113 pour l’emploi total, 114 pour la FPE, 127 pour la FPH et 143 pour la FPT. Les progressions de la PFE et de la FPH n’ont rien de choquant : l’État a créé des emplois comme l’ensemble de l’économie française, à un rythme légèrement supérieur à celui de la démographie (la population a augmenté de 10,7 % entre ces deux dates) ; les établissements hospitaliers ont logiquement augmenté un peu plus leur personnel en raison du fort développement des techniques médicales et chirurgicales ; mais comment expliquer le bond en avant de la FTP ?

Pour la période récente, les Chiffres-clés 2016 indiquent la progression de 2004 à 2014 : base 100 en 2004, on arrive en 2014 à 103 pour l’ensemble de la FP comme pour l’emploi total, mais à 90 pour la FPE, 112 pour la FPH, et 124 pour la FPT. Certes, des postes ont été transférés de l’État aux collectivités territoriales, particulièrement dans les établissements scolaires, mais cela n’explique pas tout. On ne saurait écarter a priori l’hypothèse selon laquelle la façon même dont fonctionnent les collectivités territoriales les incite à créer des postes en nombre excessif.

Une noblesse en roue libre

La décentralisation fut lancée par Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de 1981 à 1984. La loi du 2 mars 1982 eut pour objet, notamment, de remplacer par un « contrôle de légalité » le contrôle de tutelle auquel étaient jusque-là soumises les collectivités territoriales. A partir de là, le contrôle devint purement légaliste : dès lors qu’ils ne commettent pas d’infraction, les élus locaux sont intouchables ; leurs erreurs de gestion, comme par exemple l’émission d’emprunts comportant des clauses à haut risque – les fameux emprunts « toxiques » – ne peuvent plus être sanctionnées, si ce n’est au niveau électoral. Il en va de même pour les embauches à tout-va, y compris celle des « petits copains », et pour les subventions en tous genres, pourvu que les apparences légales soient sauves.

Dans une petite commune, le contrôle de l’équipe municipale par la population peut être efficace : les électeurs sont dans une certaine mesure à même de se rendre compte si tels travaux d’aménagement ou telle création de poste présentent une utilité réelle. En revanche, dans les communes de grande dimension, dans les communautés urbaines, dans les départements et les régions, le contrôle démocratique par la base ne fonctionne plus guère : la gestion est si complexe que personne, à de rares exceptions près, n’y comprend goutte, si bien que le vote « politicien » en faveur de l’équipe qui se réclame d’un parti choisi au niveau national l’emporte souvent sur le vote « local » basé sur la gestion.

Il résulte de cela que se constitue une sorte de féodalité : des ducs, comtes, barons et hobereaux régionaux, départementaux ou urbains se substituent pour une large part aux serviteurs du pays que sont les préfets et autres hauts fonctionnaires à responsabilité territoriale. Et, bien entendu, cette noblesse d’un nouveau genre – ni d’épée, ni de robe, disons une noblesse d’urnes – n’a de cesse de s’entourer (aux frais du contribuable, ou en empruntant) de ce que l’on appelait jadis une « maison » (un ensemble de serviteurs et de courtisans).

En revenir au principe de subsidiarité

Le caractère démocratique de la gestion d’une région, d’un département ou d’une grande agglomération est purement factice. Il faut, certes, gérer des problèmes qui ne sont ni nationaux, ni locaux, mais pour mettre en œuvre une bonne gestion les élections ne sont pas la solution : des « grands commis de l’État » feraient le travail de façon plus professionnelle et plus impartiale, générant par rapport à la situation actuelle d’importantes économies, notamment en matière de personnel.

En revanche, au niveau réellement local, la démocratie de proximité, mise en œuvre du principe de subsidiarité (régler les problèmes au plus près possible de ceux qui les vivent), ferait merveille. À l’échelle de quelques milliers de citoyens, l’équipe municipale connait chaque famille et le dévouement de ses membres, récompensé par de modestes honneurs et de menues indemnités, peut rendre inutile le recours à de nombreux agents salariés. Bien des problèmes pourraient aussi être réglés à ce niveau mieux qu’ils ne le sont aujourd’hui par la bureaucratie d’une entité territoriale de moyenne ou grande dimension, ce qui diminuerait le besoin d’embaucher de plus en plus d’agents.

Bref, la voie la plus prometteuse pour nous sortir de l’ornière où nous a plongé la décentralisation d’apparence mise en place en 1982 est probablement un double retour : au rôle de l’État dans la gestion des grandes unités territoriales et urbaines, et à la démocratie de proximité, réellement respectueuse du principe de subsidiarité, pour les « villages » au sens large du terme, englobant non seulement les villages ruraux mais aussi les quartiers urbains possédant une réelle identité.

Absolument dé-bor-dée !: ou le paradoxe du fonctionnaire

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Les Chinois n’envahiront pas la Pologne

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Pologne Chine conservatisme

Pologne Chine conservatismeIl était une fois un pays ni très riche ni très pauvre qui se prévalait du titre de « puissance régionale ». La région en question, appelée Europe centrale, n’était ni particulièrement riche ni particulièrement pauvre. La valeur de ce pays, voire sa seule richesse, après que les aciéries avaient été fermées et les mines transformées en musées, résidait dans son emplacement, « central » comme le nom de la région l’indique.

Par chance, le pays en question, appelé Pologne, bénéficiait de la situation la plus centrale au sein de la région centrale. Se penchant sur la carte du monde, les dirigeants polonais des premières années de ce siècle ont constaté que c’était là une belle opportunité, à la seule condition que les marchandises envoyées depuis la Chine vers des pays plus riches et plus importants que le leur voyagent par le train et non plus par cargo.

Une délégation polonaise s’est donc rendue à Pékin afin d’entamer d’importantes négociations, qui ont duré longtemps car les Chinois sont durs en affaires. Reste qu’ils sont également très malins et qu’ils ont bien compris l’intérêt de la proposition polonaise dont la réalisation leur ferait gagner beaucoup d’argent.

Le projet d’une nouvelle route de la soie a ainsi vu le jour. Les Chinois ont promis d’investir 100 milliards de dollars pour acheter des friches près de Lodz et y construire les infrastructures adaptées. Les Polonais n’avaient plus qu’à lancer un appel d’offres, histoire de procéder dans les règles.

Mais voilà qu’entre-temps, un nouveau gouvernement ultraconservateur a emménagé à Varsovie avec, cela va de soi, un nouveau[access capability= »lire_inedits »] ministre de la Défense, plus patriote que tous ses prédécesseurs les plus patriotes. Antoni Macierewicz – c’est son nom – n’a guère apprécié tout ce tripatouillage avec les Chinois, ce qu’il n’a pas tardé à annoncer officiellement. À en croire l’intuition stratégique du ministre, la prétendue nouvelle route de la soie ne serait en réalité qu’une « tentative d’expansion chinoise et ferait partie d’une conception d’étroite entente entre l’Europe occidentale, la Russie et la Chine, dans le but d’éliminer l’influence des États-Unis de l’espace eurasiatique et liquider l’indépendance de la Pologne ».

Conclusion, les Chinois, avec leurs 100 milliards de dollars, sont allés discuter de la future route de la soie avec les autorités roumaines, qui leur ont fait le meilleur accueil. Et le ministre Macierewicz, héros national, a été décoré de la médaille d’ambassadeur de l’Économie polonaise.[/access]

Affaire Fillon: un parfum de Bruay-en-Artois

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fillon parquet national financier
Eliane Houlette. Sipa. Numéro de reportage : 00677791_000047.
fillon parquet national financier
Eliane Houlette. Sipa. Numéro de reportage : 00677791_000047.

Alors comme ça un député provincial qui, selon une habitude parlementaire très répandue, a autrefois recruté sa femme comme collaboratrice parlementaire sans lui donner un travail harassant à effectuer, se rend coupable d’attribution d’emploi fictif et, partant, de « détournements de fonds publics » justifiant l’intervention immédiate du Parquet national financier (PNF) exclusivement compétent « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent » ! Ledit PNF finit cependant par ouvrir une information judiciaire confiée à trois juges d’instruction pour éviter la prescription de ces faits anciens et parce que, selon un proche du magistrat : « Eliane Houlette considère que dans les affaires relativement simples, qui ne nécessitent pas de commission rogatoire internationale complexe, le devoir de la justice est de passer rapidement, sans s’enliser dans les dossiers ». Autant dire que le PNF reconnaît a posteriori qu’il n’était pas compétent pour déclencher l’enquête. Dont acte.

Opération mains propres

Ce qui est nouveau, c’est la qualification juridique retenue pour justifier l’intervention du juge pénal dans une pratique banale. Est-ce à dire que désormais tout élu, fonctionnaire, collaborateur public ou membre d’un conseil ou comité Théodule quelconque qui ne travaille pas en proportion exacte de ce qu’un procureur estime nécessaire à sa rétribution devrait en passer par la case prison au motif qu’il s’agirait d’un « détournement de fonds » ? Ça promet du monde dans nos établissements pénitentiaires déjà surchargés. Si les juges italiens en faisaient autant à l’égard de tous les  fannulloni dont la péninsule a l’habitude de se moquer, l’opération mani pullite (mains propres) viderait tous les ministères, le Parlement et les administrations territoriales du bel paese.

Chez nous, il faudrait d’abord faire une perquisition de grande envergure au Conseil économique, social et environnemental où il est de notoriété publique qu’une l’indemnité mensuelle brute de 3800 euros est versée à 233 conseillers dilettantes qui ont l’habitude de quitter les quelques très rares réunions auxquelles ils sont convoqués aussitôt après avoir badgé. Chacun sait d’ailleurs que les membres des organisations « représentatives » qui y siègent reversent une part de leur indemnité à leur syndicat d’origine. Les nominations de « personnalités qualifiées » (dites PQ) y sont depuis toujours utilisées par le gouvernement en place pour servir des prébendes à des amis de toutes sortes, souvent dépourvus de toute qualification. La Cour des comptes a d’ailleurs constaté que le personnel administratif de ladite institution jouit aussi, par voie de conséquence, d’un temps de travail très limité.

En ce qui concerne nos assemblées parlementaires, les professeurs de droit constitutionnel et de science politique, dont certains thésards sont collaborateurs de députés ou sénateurs (ou ont eux-mêmes été collaborateurs lorsqu’ils faisaient leur thèse), savent bien que le travail de ces jeunes doctorants varie du zéro à l’infini selon l’assiduité et les méthodes et moyens de travail du parlementaire lui-même. Tel assistant va pouvoir faire sa thèse en un temps record parce-que son sénateur « ne lui donne rien à faire » et qu’il peut donc passer tout son temps à la bibliothèque du Sénat, tel autre n’arrivera pas à boucler son doctorat tant il est « pressuré » par son député, à Paris ou dans la circonscription. L’idée de faire intervenir le juge pénal dans la façon dont un représentant de la Nation organise l’exercice de sa fonction est une nouveauté parfaitement soudaine.

Sus au candidat anti-médias

La tradition d’autonomie des assemblées parlementaires veut qu’elles fassent leur propre police et exercent elles-mêmes leur pouvoir disciplinaire, notamment pour tenter (en vain jusqu’à présent) de corriger l’absentéisme. C’est le règlement de chaque assemblée qui fixe ses règles de fonctionnement et prévoit, dans certains cas, des sanctions à l’encontre des parlementaires qui enfreindraient les règles, lorsque celles-ci existent. Or il n’en existe aucune portant sur le choix, le temps, le lieu, la quantité et les modalités de travail des collaborateurs parlementaires. Bien entendu, l’on peut toujours trouver que le règlement des assemblées n’est pas assez précis et rigoureux. Mais la correction et le contrôle de ces pratiques relève du seul parlement, comme elles relèvent de l’entreprise dans le monde du travail ou du chef de service dans la fonction publique. On ne peut pas incriminer pénalement tous les comportements professionnels et confier au juge répressif le soin de traquer partout les fainéants, les rêveurs, les désinvoltes ou les dilettantes.

Mais, rassurons-nous, le juge pénal n’a pas du tout l’intention de généraliser cette intrusion qui ne concerne pas en l’occurrence un parlementaire lambda, mais vise délibérément et exclusivement un député « hors-norme » qui se trouve être, en effet, un candidat fort bien placé à l’élection présidentielle. Et, de plus, il ne s’agit pas non plus de n’importe quel présidentiable mais du vainqueur inattendu à la primaire de la droite qui a déjoué les pronostics et surtout les préférences du complexe médiatico-idéologique. Ledit candidat, par contraste avec son challenger investi par les médias, n’est en effet pas adepte du multiculturalisme ni  franchement branché sur les droits des minorités.

Conservateur not dead

Pis encore, il assume ses choix qu’il revendique sans céder au politiquement correct et se permet même de remettre à leur place les journalistes effrontés qui l’agressent sur ses convictions. Il envoie publiquement promener un identitaire antillais qui lui reproche son refus de repentance et de réparation sur la colonisation et l’esclavage et fait de même avec une militante lesbienne qui pleurniche parce qu’il entend remettre en cause l’adoption plénière par deux « parents de même sexe ». C’est dire que ce candidat se soucie comme d’une guigne des clientèles chouchoutées par son concurrent bordelais. Et, comble de l’audace, ce notable de province non-divorcé et père de famille nombreuse, ne trouve pas aberrant d’entretenir de bonnes relations avec la Russie, laquelle est dirigée, comme chacun sait, par un infréquentable  dictateur hétérophile. Voilà donc où le bât blesse et pourquoi il fallait tenter à tout prix de saboter sa candidature. François Fillon n’est pas un banal parlementaire ayant simplement, comme tant d’autres avant et après lui, recruté sa femme pour l’assister. Il est le candidat conservateur plébiscité par les électeurs de son parti pour une élection présidentielle qu’il a toutes les chances de remporter. Le complexe médiatico-idéologique ne pouvait pas laisser passer cela. Un petit article habituel du Canard Enchainé ne révélant rien qu’une pratique archi-courante au Parlement français et voilà la procureure financière qui, telle la fameuse Carla del Ponte en son temps, dégaine aussitôt son arsenal répressif.

Un Sofitel bis?

L’affaire n’est pas sans en rappeler d’autres. Récemment, on se souvient de l’acharnement inouï  dont a fait preuve une juge d’instruction à l’égard de Dominique Strauss-Kahn, en inculpant l’ancien patron du FMI du chef abracadabrantesque de « proxénétisme aggravé » ! Des années de harcèlement judiciaire ont ainsi été infligées à DSK sur la base d’une qualification farfelue que le tribunal a finalement condamnée dans un jugement accablant pour l’instruction. Mais il fallait bien tenter d’avoir la peau de ce mâle hétérosexuel blanc et riche, qui avait l’outrecuidance de vouloir se relever de l’affaire du Sofitel. Plus loin encore, ceux qui ont moins de 40 ans ne peuvent pas se souvenir de la fameuse affaire de Bruay-en-Artois, dans laquelle il ne s’était agi, par la coalition d’un juge et de médias militants, que de mettre à mort un notable de province, coupable de son seul statut socio-culturel, exécré par une meute gauchiste hystérique.

Philippe Muray nous manque décidément beaucoup dans cette campagne présidentielle dominée par l’« envie du pénal », les « jaccuzateurs » et la « peste justicière » du « département fusion-inquisition ». Finalement il n’y a que Jacqueline Sauvage qui ait bénéficié de la clémence d’Auguste. Morale de la fable : mieux vaut tuer son mari que d’embaucher sa femme.

Jours fériés pour tous: du lard ou du cochon?

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Le collier Safe World Peace à Cannes, octobre 2006. SIPA. 00535533_000022
Le collier Safe World Peace à Cannes, octobre 2006. SIPA. 00535533_000022

C’est tout nouveau et ça vient de sortir. Deux jours fériés supplémentaires : une fête musulmane et une fête juive ! Voilà une idée qu’elle est géniale… De quoi réjouir Hachem[1. C’est ainsi que les juifs pieux appellent Dieu qu’il leur est interdit de nommer] et Allah. Et cette idée est le fruit des intenses cogitations d’un think tank estampillé à gauche, Terra Nova. Un think tank c’est fait pour réfléchir. Et à Terra Nova on réfléchit dur.

On réfléchit surtout à la façon de donner aux musulmans toute la place qu’ils méritent et qu’ils n’ont pas. On prend en compte la douleur qui est la leur quand ils sont contraints de contempler les sapins de Noël et les crèches du même nom. Et on compatit à leur désespoir quand ils sont forcés d’entendre des noms aussi étranges, et étrangers à leur foi, qu’ « Ascension », « Assomption » et « Pentecôte ».

Une fête, une seule, pour contrebalancer une légion de fêtes de tradition chrétienne, fêtes plébiscitées par le bon peuple de France à qui elles permettent de ne rien foutre pendant de nombreux jours… C’est quand même pas grand-chose si on réfléchit aux millions de musulmans qu’il y a en France, n’est-ce pas ? Certes, mais alors pourquoi une fête pour les juifs notoirement moins nombreux. Auraient-ils des privilèges, des droits spéciaux que les autres n’ont pas ?

Les juifs ne réclament rien

Vous n’y êtes pas. Terra Nova est passé maître dans l’art de la cautèle et de l’hypocrisie. Les tartuffes du think tank ont pensé qu’un zeste de juif permettrait de dissimuler leur tropisme islamique. Un énorme croissant et une toute petite étoile jaune : c’est pas bien ficelé ça ? Mais la ficelle est un peu grosse.

Les juifs ne réclament rien. Ni jour férié, ni repas casher dans les cantines scolaires, ni l’interdiction des crèches avec le petit Jésus. Les juifs servent juste de cache-sexe pour une opération d’« aplaventrisme » dont Terra Nova se fait une spécialité. Et tous les autres qui ne sont ni juifs ni musulmans, c’est-à-dire l’écrasante majorité du peuple français ? Eh bien ils profitent douillettement des jours fériés existants sans imaginer un seul instant qu’ils ont eu autrefois une connotation religieuse.

Qui sait encore ce que signifient l’Ascension, l’Assomption et la Pentecôte ? Presque personne. Car ni les radios ni les télévisions ne jugent utiles d’en parler. En revanche, le début et la fin du Ramadan occupent une place de choix dans les bulletins d’information. Mais – qui sait ? – peut être que demain une nouvelle fête verra le jour : la fête du cochon !

Nous tenons en effet de très bonne source que Marine Le Pen a un projet de ce type dans ses cartons. On lui prête l’intention d’ouvrir une consultation pour en fixer la date. Mais on connait déjà le jour de la semaine qui sera choisi : un lundi pour donner aux Français un week-end end prolongé. Ce jour-là quand les rues de nos villes et de nos villages seront tapissées de jambons, de boudins, de saucissons, de saucisses et de cervelas, la France entière (à l’exception des musulmans et des juifs) criera éperdue de reconnaissance : « merci Marine ! » Tout ça, à dire vrai, n’est pas vraiment très sérieux. Mais quand on a eu à supporter les tristes élucubrations de Terra Nova, on a bien le droit de s’accorder un moment de franche rigolade…

Michel Mohrt, retour aux sources

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SIPA. 51117035_000002
SIPA. 51117035_000002

1945. La France panse ses plaies dans une victoire en trompe-l’oeil. Sans les penser. Des décombres, ont pourtant surgi des professeurs, bien décidés à fixer brutalement une histoire qui, comme toujours, tire une sale gueule. De nouveaux mensonges remplacent les anciens. Ils ne font pas moins de mal. Certes, le temps des exécutions sommaires a vécu. Pas celui des saloperies. On les maquille comme on peut. On revêt la Faucheuse des habits de la Justice. Pas toujours nets d’ailleurs (« La Justice, cette forme endimanchée de la vengeance », selon la formule du grand avocat et écrivain Stephen Hecquet, l’ami, le frère d’armes de Roger Nimier).

Dans cette époque trouble, Michel Mohrt, 34 ans, fait paraître son premier roman, Le Répit. L’apprenti écrivain, avocat de formation, a déjà publié durant la guerre deux essais, l’un sur Montherlant, l’autre sur les intellectuels et la défaite de 1870. Des sujets qui ne doivent rien au hasard, évidemment…

L’instant d’avant

Avec ce Répit, Mohrt rouvre au scalpel la cicatrice française et commence à fouiller la terrible blessure. Il y consacrera une grande partie de son oeuvre. Le Répit, c’est la (sa) Drôle de Guerre, ces « neuf mois de belote avant les trois semaines de course à pied » pour reprendre une fulgurance célinienne, longue attente avant la dérouillée maousse, l’impensable dégelée du printemps 1940. En 1945, Michel Mohrt n’a peut-être pas encore toutes les cartes en main mais soupçonne que les dés sont jetés. C’est pour cela que Le Répit apparaît comme un livre singulier dans la bibliographie du futur académicien. Car il y flotte un parfum d’insouciance qu’on ne retrouvera guère dans ses autres livres. Derniers instants de bonheur d’avant la chute, derniers pas de Charleston au bord du précipice…

Lucien Cogan, le héros et jumeau de l’auteur, ne prise guère les plaisirs vulgaires. Jeune officier dans une section de chasseurs alpins, romantique, rêveur et stendhalien en diable, il trompe son ennui des « états néants » sur les sommets enneigés des Alpes du sud. Drôle de garçon que ce Lucien : conscient de ses responsabilités mais les fuyant dès que possible. Ne cherchant jamais à s’en pénétrer vraiment : Lucien Cogan ou une certaine inconstance…

Aux servitudes militaires, le jeune préfère de loin courir les filles. Descend à la première occasion faire la vie à Nice. Traverse les nuits de dancings en boîtes (« Sérénade sans espoir » jouée partout), dans des nuages de tabac anglais et sous des averses de champagne. Gobe des huîtres et avale des gorgeons de blanc sur un coin de zinc avec un compagnon de passage, pas très loin de la Place Masséna, où certaines petites fleuristes embrassent bien. Contemple le turquoise méditerranéen depuis la Promenade des Anglais après avoir déjeuné dans une trattoria. Si Lucien Cogan rêvasse parfois d’une hypothétique gloire militaire, il s’imagine surtout au bras d’une contessina à son bras dans une loge de la Scala. Après la victoire. Parce qu’on vaincra. Ne sommes nous pas les plus forts ?

Sur des pistes, qui ne sont pas de danse, notre héros ne parvient pas à se familiariser avec la ruade Allais et en reste au stem. La faute aux déplorables skis de frêne de l’armée française. Dans ses rares moments de… répit, Lucien tient son journal. Sans grande conviction, même si comme il le confesse, il ne trouve vraiment de refuge que dans l’art et littérature. Il écrit sur un cahier jaune, comme ses sourires. L’impréparation de l’armée française, la paresse, le manque de volonté, le désolent. Il en est lui aussi victime, il le sait. La petite section qu’il dirige ? Beaucoup de tire-au-flanc, de gars du peuple. Lucien ne cherche pas à se rapprocher d’eux : conscience de classe plutôt que mépris. Il y aura bien ce réveillon de Noël où l’on se réchauffe un peu ensemble, au chalet, en améliorant l’ordinaire. Mais ça ne va, ça n’ira jamais plus loin…

« Est-ce qu’à la guerre vous avez rêvé ? Oui à la guerre aussi. Surtout à la guerre. »

Sa Bretagne natale, Mohrt la fait apparaître furtivement. Lucien revient sur ses terres le temps d’une permission. A Brest, des troufions imbibés s’embarquent pour la Norvège. Dans le train qui le ramène dans le Sud, notre héros vit une dernière aventure avec une belle étrangère au sourire ironique. Les Allemands franchissent la Belgique, Lucien batifole. Encore un instant de bonheur monsieur le bourreau… Lucien Cogan : égoïste, orgueilleux, candide, cœur d’artichaut agaçant et attachant.

Le Répit : un songe, un charme, des rêves. Ce premier roman, on le trouve finalement tout entier résumé quelques années plus tard dans un autre livre de Mohrt, le plus sombre, ces Nomades oùon trouve ce bout de dialogue :

« – Est-ce qu’à la guerre vous avez rêvé ?

– Oui à la guerre aussi. Surtout à la guerre. »

Ceux des aficionados de Mohrt (et il en reste ! Et on en connaît !) qui ont admiré La Campagne d’Italie verront peut-être dans Le Répit une version de jeunesse de ce roman emblématique, comme un premier jet de celui-ci. Il est vrai qu’on retrouve dans les deux livres des scènes identiques, superbes d’ailleurs, émouvantes comme pas permis – ce père qui suit son fils dans ses différents cantonnements, le nourrit et le bichonne, cet apéritif fraternel, partagé avec des soldats italiens, à 2500 mètres d’altitude – trop criantes de vérité d’ailleurs pour ressortir de la pure fiction. Les hostilités vont démarrer pour de bon : sans grade et officiers le savent. Le Pernod a un drôle de goût. Des cousins savoyards trinquent sous deux uniformes… Seulement Cogan n’a pas la lucidité de Talbot, le héros de La Campagne d’Italie. Au printemps 1940, l’oeillet du désespoir à la boutonnière de notre Lucien est trop fraîchement coupé…

Toute l’oeuvre de Michel Mohrt n’aura finalement été que la chronique d’une existence qu’on cherche à toutes forces à rendre la plus légère possible afin d’ensevelir des monceaux, des tonnes de désespoir. Et si, dans cette oeuvre (ample, belle, importante), Le Répit se singularise c’est parce que Mohrt l’a sans doute écrit sans avoir encore vraiment conscience que l’insouciance, l’espoir, ne frappaient jamais deux fois à la même porte.

Le Répit de Michel Mohrt, éditions La Thébaïde (2017), 215 pages, 18 euros.

Le répit

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