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Comment sauver les travailleurs indépendants du RSI


Comment sauver les travailleurs indépendants du RSI
Manifestation des travailleurs indépendants contre le RSI, septembre 2015. SIPA. 00723958_000020
Manifestation des travailleurs indépendants contre le RSI, septembre 2015. SIPA. 00723958_000020

Au commencement était la démagogie

Le rapport entre les travailleurs indépendants et la Sécurité sociale est problématique depuis fort longtemps. En 1947, le ministre du Travail et des Affaires sociales Daniel Meyer a pourtant clairement expliqué les choses à la commission chargée de préparer la généralisation de la Sécurité sociale aux travailleurs non-salariés : « Dans le domaine de la vieillesse, il est manifeste qu’aucun régime d’assurance n’est viable s’il ne s’adresse pas à un groupe social dans lequel la répartition entre les éléments âgés et les éléments actifs présente une certaine stabilité. Or, il n’est pas exagéré de dire que c’est seulement dans le cadre de la population d’un pays que l’on peut trouver cette stabilité. »[1. Comité d’histoire de la sécurité sociale, La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, p. 90.] Mais la commission ne tint pas compte de ces propos de bon sens, ce que le rapporteur Lory a exprimé en ces termes : « Il est apparu que la solidarité professionnelle plus forte que la solidarité nationale permettrait de vaincre les obstacles psychologiques qui avaient contribué à l’échec de la généralisation de la sécurité sociale. »

La loi du 17 janvier 1948 suit la recommandation du rapport Lory : elle instaure 4 caisses vieillesse autonomes, respectivement pour les artisans, pour les industriels et commerçants, pour les professions libérales, et pour les agriculteurs. Le ministre a beau regretter les « égoïsmes de catégories sociales qui ont ce résultat que, maintenant, la loi n’est plus tellement une loi de sécurité sociale », le texte est voté à l’unanimité. Dès lors le ver est dans le fruit ; 69 ans plus tard, nous sommes face aux conséquences désastreuses d’une loi dont l’esprit était : votons ce qui est psychologiquement acceptable, et après nous le Déluge !

L’invention du RSI

En 2005, sous le gouvernement Raffarin, la décision fut prise de fusionner les caisses de travailleurs non-salariés non agricoles (les « non-non », disait-on familièrement). Le régime des exploitants agricoles ayant été antérieurement confié à la Mutualité sociale agricole (MSA) ne fut pas concerné. Les professions libérales, très attachées à leurs caisses de retraites complémentaires majoritairement liées à une profession particulière (médecins, vétérinaires, notaires, etc.), restèrent également en dehors du mouvement de fusion pour ce qui est de l’assurance vieillesse. Restait donc comme fusion à opérer celle de deux carpes et d’un lapin, les carpes étant la CANCAVA des artisans et l’ORGANIC des industriels et commerçants, tandis que le lapin était l’Assurance maladie et maternité des professions indépendantes (l’AMPI), qui assurait également les professionnels libéraux.

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La mise au monde du Régime social des indépendants (RSI) se fit au forceps : sous forme de trois ordonnances, la première du 31 mars 2005 et les deux autres du 8 décembre 2005. La conception remontait à la loi du 2 juillet 2003 « habilitant le gouvernement à simplifier le droit » en procédant par ordonnances de façon à permettre aux « non-non » de s’adresser à un « interlocuteur social unique » (ISU).

La fusion des systèmes informatiques, réalisée dans un climat de lutte pour le pouvoir, a débouché sur une monstruosité, produisant un taux d’erreurs équivalent à celui du logiciel Louvois qui empoisonne depuis des années la vie de nos militaires. La mise en commun réussie des moyens informatiques de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (l’AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (l’ARRCO) montre heureusement que de tels cafouillages ne sont pas une fatalité, mais le résultat de la gestion politicienne d’un problème essentiellement technique. Les commissaires aux comptes ont fait des refus de certification et la Cour des comptes et  l’Inspection générale des affaires sociales (l’IGAS) produit des rapports accablants. L’encaissement maladroit des cotisations par les URSSAF, nullement habituées à traiter avec des travailleurs indépendants, a alors été particulièrement mal vécu par les artisans et commerçants.

Des assurés sociaux très mécontents

L’exaspération de nombreux travailleurs indépendants a été révélée une fois de plus par une enquête récente commandée par le Syndicat des Indépendants : 76 % d’entre eux auraient une mauvaise opinion des services rendus par le RSI. Les passages à la formule « société par actions simplifiée unipersonnelle » (SASU), qui permet de bénéficier du régime général en tant qu’assimilé salarié, se multiplient.

Face à cette mauvaise cote du RSI auprès de ses adhérents, des candidats à la présidence de la République (Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon) ont fait différentes propositions, dont la suppression de ce régime, qui serait absorbé par celui des salariés. Les administrateurs du RSI essayent de sauver leur institution en proposant quelques augmentations de la générosité du régime, et en demandant que le statut de SAS ne permette plus d’échapper aux cotisations en se rémunérant sous forme de dividendes, ce qui augmente le revenu disponible dans l’immédiat, mais au prix d’un affaiblissement des droits à pension. Tout cela manque singulièrement de hauteur de vue.

La solution : l’unité grâce à la diversité

Ce problème particulier du RSI fournit une indication qui permettrait de réaliser enfin, de façon intelligente, le projet de Sécurité sociale commune à tous les Français (un seul régime) – projet qui avait été inscrit dans la loi à la Libération – tout en respectant les particularismes professionnels. Les malheurs des adhérents au RSI indiquent en effet ce qu’il faut faire pour réaliser ce grand œuvre : dissocier les notions de régime et de caisse. Le régime est un ensemble cohérent de règles juridiques définissant les droits et les devoirs des assurés sociaux, la façon dont ils acquièrent une couverture sociale et ce en quoi consiste cette couverture. La caisse est un organisme qui rend à certains assurés sociaux le service d’encaisser leurs cotisations et de calculer puis de verser les prestations auxquelles ils ont droit, et qui leur propose éventuellement des services complémentaires.

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Les indépendants ont des spécificités importantes. Leur revenu est pour la majorité d’entre eux difficile à calculer : ils doivent avoir comme interlocuteur une caisse dont les employés connaissent ces particularités et savent en tenir compte. Chaque assuré social devrait avoir le droit de choisir sa caisse, mais cette liberté de choix est encore plus vitale pour les indépendants que pour les salariés. Les médecins ont des besoins différents de ceux des experts comptables, c’est pourquoi les premiers sont bien avec la CARMF et les seconds avec la CAVEC. Parmi les commerçants et artisans il existe aussi une grande diversité : il serait bon qu’ils aient le choix entre différentes caisses, appliquant bien entendu les mêmes règles pour la Sécurité sociale, mais chacune de manière adaptée aux particularités de sa clientèle. De plus, ces caisses professionnelles pourraient proposer, comme les « sections » des professions libérales, tous les compléments souhaitables, que ce soit en matière de retraite par capitalisation, de complémentaires santé, d’invalidité permanente ou temporaire, etc.

La Sécu doit imiter la gastronomie

Ce schéma de fonctionnement de la Sécurité sociale, la même pour tous, mais servie à chacun avec un assaisonnement adapté à ses spécificités et à ses préférences, constitue clairement une novation conceptuelle par rapport au schéma bureaucratique selon lequel fonctionne notre État providence. Les Français sont gastronomes : ils savent que la même pièce de bœuf, le même filet de sole, les mêmes haricots verts, peuvent être cuisinés de quantité de façons différentes, et chacun d’eux choisit le restaurant dont les recettes réjouissent particulièrement ses papilles. Disons que la retraite est une côte de bœuf, l’Assurance maladie une sole et les prestations familiales une poignée de haricots verts, et laissons chaque Français choisir son restaurant : le problème du RSI, et quantité d’autres, deviendront presque faciles à résoudre.



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est économiste et membre fondateur du fonds de recherche Amitié Politique. Prochain livre à paraître : "La retraite en liberté" (Cherche midi)

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