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Timur Kuran: l’islam est-il vraiment incapable d’évoluer?

L’islam est-il condamné à l’immobilisme ? L’idée, souvent avancée, d’une religion incapable de s’adapter à la modernité repose-t-elle sur des faits ou sur des préjugés ? Timur Kuran analyse dans son livre l’avenir de cette religion à travers son ancienneté et tout ce qui l’a transformée pour lui donner sa forme actuelle.


Timur Kuran (en 2009) économiste américain © Wikipédia

Timur Kuran est un économiste américain. Il est d’origine turque certes, mais néanmoins c’est un Américain pour qui la loi française sur les signes religieux de 2004 indique une régression des libertés en Occident : « De toute évidence, le maintien d’un ordre libéral est une lutte constante, même en Occident, son berceau ». Il a publié, en 1995, un livre fondamental sur la falsification des préférences1.

Son nouveau livre est l’approfondissement d’un précédent livre publié en 2010 dans lequel Timur Kuran mettait en garde contre une pensée fainéante se contentant d’un jugement définitif sur l’incapacité de l’islam à évoluer2. Il y explore les raisons du retard du Moyen-Orient – région du monde la moins libre – sur l’Occident et cherche, dans son histoire, les ressources d’une libéralisation qu’il ne juge pas impossible.

Le Moyen-Orient auquel il s’intéresse comprend tous les pays qui le composent habituellement, sans Israël mais avec la Turquie et l’Iran.

Il distingue une pré-modernité qui commence en 613 avec la fondation de la 1ère communauté islamique et se termine autour de 1820, une période de modernisation jusqu’à la fin de l’Empire ottoman, suivie d’une période de modernité. Dans la pré-modernité il isole deux périodes : 1) 613-661 ; 2) 661-900, années pendant lesquelles s’élabore la loi islamique classique.

Qu’est-ce qu’un waqf ?

Tant que la taille de la communauté musulmane resta modeste, les affaires purent être conduites par consentement mutuel, comme il est recommandé dans le Coran. Ce ne fut plus le cas lors de son extension. Les conquérants, payés par les terres conquises et à la recherche d’un abri fiscal, fondèrent des waqfs qui devinrent une institution islamique clef.

Le waqf n’est pas mentionné dans le Coran et émergea après la mort de Mahomet. Il était ce qui, au Moyen-Orient, se rapprochait le plus d’une entreprise privée. Un individu faisait de ses biens une dotation dont les revenus finançaient des services définis à perpétuité après avoir été ratifiés par un juge. Il était géré, sous l’œil d’un juge, par un intermédiaire désigné, souvent à vie, par le fondateur qui avait mis par écrit les procédures de succession. Le waqf était un moyen de protéger la propriété privée de la prédation du sultan, une assurance pour la famille et les descendants du fondateur car il était mal vu de s’emparer d’un waqf, considéré comme sacré. Ce qui a incité les élites à y placer leurs richesses au détriment d’investissements plus productifs. À partir de 800, certains grands waqfs furent établis par la dynastie au pouvoir et ses plus hauts responsables. En somme, des sortes de « waqfs d’État » qui les protégeaient d’une perte d’influence. Dans les années 1700, 68,5 % des waqfs anatoliens avaient été créés par des dirigeants, y compris religieux. Exclus de fait, chrétiens et juifs fondèrent des entreprises privées.

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En incluant les waqfs dans le système institutionnel islamique, les califes arabes des années 700 ont certes réduit leur capacité fiscale mais en échange de bénéfices certains : divers services financés par de riches élites non engagées politiquement.

Le système waqf dessine un monde statique qui n’envisage ni inflation ni progrès technique ni gestionnaire incompétent ni coalition, la loi interdisant aux waqfs de s’unir pour régler un problème commun. Si les concepteurs du waqf avaient prévu des possibilités de changements, ces derniers étaient limités à ceux mentionnés par le fondateur. Par exemple, si celui-ci avait prévu un seul échange d’actifs, une fois ce dernier réalisé, il devenait inaliénable. Même pour les « waqfs d’État », rester efficace devint difficile. Les waqfs actuels bénéficient d’une plus grande liberté managériale, même si celle-ci nécessite des contorsions pour rester en ligne avec l’esprit du fondateur.

Le waqf fut une source de stabilité politique mais aussi de passivité de la société civile. Un système qui s’est auto-entretenu avec des participants qui avaient intérêt à le préserver et des bénéficiaires qui, privés de pouvoir, s’étaient habitués à une consommation passive et n’avaient aucune idée de la représentation de leurs priorités personnelles. Au Moyen-Orient, les quelques manifestations d’opposition n’eurent rien de comparable à ce que connut l’Europe dans les 19ème et 20ème siècles. Cette stabilité politique a limité la croissance économique du Moyen-Orient et fragilisé ses dirigeants par rapport à une Europe où les équivalents des waqfs étaient plus flexibles, dans des sociétés qui se démocratisaient et se libéralisaient.

Recours à la ruse et la corruption pour contourner l’inadaptation des waqfs

Jusque vers 1800, les juges ont, en cas d’urgence, autorisé les waqfs à s’éloigner des instructions des fondateurs. Ce qui conduisit à des abus et des pots de vin dont les dirigeants s’accommodèrent en raison des petits salaires des fonctionnaires. Corruption qui ne fut pas cantonnée aux waqfs. Une des ruses consistait à réécrire l’acte du waqf considéré perdu, volé, endommagé ou modifié illégalement. Certaines ruses visaient l’enrichissement sous prétexte d’améliorer le service, avec partage de pots de vin avec le juge. Les gens constataient ces abus de privilège et leurs effets : détérioration des services et perte d’intégrité. Cette flexibilité des waqfs, si elle fut positive, accoutuma les sociétés à contourner la loi et eut des effets néfastes à long terme. Les dirigeants n’ont jamais vu dans le waqf un facilitateur de l’engagement civique, mais un abri fiscal et patrimonial et un instrument pratique pour fournir des services sociaux à une élite choisie.

Le waqf islamique est devenu une relique

Nulle part le waqf ne s’est vraiment adapté. Toute réforme touchait à l’hérésie en raison de son caractère sacré. Cette absence de flexibilité était aussi un moyen d’éviter de donner trop de pouvoir aux responsables religieux3. Au début du 20ème siècle, la solution alternative fut de créer des sociétés en dehors du système. Des municipalités avaient même été créées avant et, dès le milieu du 19ème siècle, il fut possible que des services publics soient fournis en dehors des waqfs. Des organisations charitables aussi. Une modernisation facilitée par le fait que le waqf n’apparaît nulle part dans le Coran. En Turquie, même les waqfs à vocation religieuse fonctionnent aujourd’hui comme des entreprises semi-autonomes. En Égypte, ils se cantonnent aux mosquées et aux enterrements, même si d’autres services sont rendus par des fondations qui peuvent se dire waqfs.

Une vie civique « rabougrie » qui tolère le népotisme et la corruption

Au Moyen-Orient, si les ONG contribuent à la construction d’une société civile, surmonter l’héritage négatif des waqfs islamiques (solidarité et confiance confinées aux relations familiales et de voisinage) pourrait prendre des générations. Le mariage dans l’entre-soi, qui évite que les femmes n’emportent une partie de l’héritage hors de la famille a contribué à la fragmentation de la société et diminué l’incitation à s’organiser.

Banalisation de l’accusation d’apostasie

Se présentant comme le monothéisme parfait qui a rectifié les écritures corrompues par les juifs et les chrétiens, l’islam accueille toute conversion, mais la sortie est prohibée et punie. Cela remonte aux guerres d’apostasie d’Abou Bakr, après le refus de payer l’impôt qui suivit la mort de Mahomet. La demande de renégociation des traités par les chefs de tribus respectait pourtant la tradition islamique exigeant que toute transaction se fasse de personne à personne. La réponse militaire d’Abou Bakr visait à faire rentrer l’impôt et à montrer sa dureté en prévision des négociations à venir. Le 1er calife des Omeyades (661-680) condamna à mort pour apostasie afin d’éliminer ses opposants politiques. Pourtant cette mesure n’est pas vraiment étayée par le Coran où il est dit que la punition appartient à Dieu, le jour du jugement dernier et où aucun verset n’explicite le tort fait aux musulmans par celui qui quitte l’islam. « Le récit désormais traditionnel des origines de l’islam s’est développé plusieurs décennies après la mort de Mahomet en 632, avec rétroprojection de distinctions intercommunautaires qui ont progressivement pris de l’importance ». Musulman devint synonyme de croyant. Il est vrai que les versets des dernières années incitent les « croyants » au djihad pour nettoyer le monde de la corruption. Instaurer une liberté religieuse totale nécessiterait donc de contextualiser ces versets en les rapportant aux spécificités du 7ème siècle. Des précédents existent. C’est le cas de l’esclavage. S’il est question de l’émancipation des esclaves dans le Coran, c’est bien parce que l’esclavage était permis. Aucun État ne demande aujourd’hui sa relégalisation.

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Mais le littéralisme l’a emporté. Le blasphème et l’hérésie ont été de plus en plus mis en avant. De la moitié du 15ème siècle à la fin du 16ème, l’Empire ottoman connut une homogénéisation sanglante qui n’a rien à envier à l’inquisition espagnole. La répression a varié avec le temps, les nécessités du moment et l’étendue des falsifications des préférences religieuses allant jusqu’à des crypto-conversions. D’une certaine manière, écrit Timur Kuran, la situation des juifs et des chrétiens était alors moins défavorable. Même s’ils étaient interdits de prosélytisme, ils jouissaient d’un statut légal, inférieur il est vrai.

Modernisation des sociétés et marginalisation de l’islam

La perte de territoires lors de la colonisation, la nécessité d’emprunter aux Européens et le constat du niveau de vie supérieur des chrétiens et des juifs de l’Empire ottoman poussa à une modernisation qui marginalisa les chefs religieux. Commencée en 1839 avec l’édit annulant les privilèges réservés aux musulmans, le paquet de réformes qui suivit (Tanzimat) transplanta les institutions européennes et exclut les responsables religieux des fonctions sociales qu’ils exerçaient. Mais le Tanzimat aboutit à un ordre hybride préservant les tribunaux islamiques et les programmes scolaires. Néanmoins, c’est la Turquie qui est allée le plus loin dans la séparation de la mosquée et de l’État du temps du kémalisme.

Comme les gouvernants avaient enfermé leur peuple dans un état d’ignorance qui avait appauvri et déclassé militairement les sociétés musulmanes, les réformateurs pensaient que leur modernisation nécessitait de restreindre les libertés religieuses et d’éviter ainsi le fanatisme religieux. Timur Kuran leur reproche de ne pas avoir su distinguer entre une piété bénigne et un islam coercitif.

Retour de bâton islamiste

Le mécontentement populaire en milieu rural et dans les quartiers urbanisés pauvres conduisit les sécularistes à adoucir leurs positions. Tout en réprimant les groupes opposés aux réformes, ils firent des concessions à l’islam le plus visible. La falsification des préférences s’inversa. Au lieu de cacher leurs pratiques, les dévots et dévotes se montrèrent avec barbe et voile en public. Ce qui encouragea les plus timorés à les suivre. Des religieux charismatiques dénigrèrent le sécularisme, ramenant ainsi l’islam dans l’espace public (Hassan al-Banna en Égypte, Khomeini en Iran par exemple), et devinrent plus populaires que l’establishment sécularisé. Lequel prit des mesures de répression sévères qui provoquèrent à nouveau une falsification des préférences côté islamiste, mais pour un temps seulement. En Égypte, le mouvement des Frères musulmans, dissout du temps de Nasser, devint le mouvement le plus influent d’une société anémiée dès les premiers relâchements sous Sadat. Avec le temps, l’islam revint dans la vie publique. Les hommes d’État recommencèrent à aller à la mosquée le vendredi. La falsification des préférences avait changé de camp. Dans ces sociétés anémiées, il a fallu du temps et les migrations de ruraux dans les villes pour que le mouvement prenne de l’ampleur.

La réussite des chrétiens et des juifs, qui pouvaient faire des affaires sous un système légal autre que la loi islamique, exaspérait les musulmans. Cela se traduisit par des migrations, des exodes et des massacres (cf. Arméniens). En 2010, les chrétiens ne représentaient plus que 2,7 % de la population du Moyen-Orient et les juifs 0,01 % contre réciproquement 9 % et 0,9 % en 1914.

L’alternance des falsifications des préférences religieuses entre sécularistes et islamistes n’a pas empêché la reprise d’institutions propres aux uns par les autres. Ainsi, en Turquie, le Diyanet fondé par les réformateurs sécularistes pour privilégier un islam accepté par l’État sera récupéré par les islamistes pour imposer leur version de l’islam. Entre 2011 et 2021, les cas de blasphème traités par les tribunaux égyptiens ont doublé. Timur Kuran parle d’une désislamisation cachée dans tout le Moyen-Orient, forcément difficile à mesurer.

Mais un mécontentement caché peut ne plus l’être lorsqu’il touche une masse critique d’opposants et peut alors entrainer un effet domino comme ce fut le cas avec la chute du mur en Allemagne en 1989. Ce moment est imprévisible et les gains peuvent être éphémères. D’après Timur Kuran, le passage par des moments où l’on doit cacher ses préférences en menant une double vie pourrait rendre plus accommodant lorsqu’il devient possible de vivre au grand jour.

Absence de schisme donnant naissance à un islam libéral

Le schisme sunnisme-chiisme, s’il a donné lieu à des excroissances illibérales (al-Qaïda, Talibans, ISIS, Boko haram, Al-Qurban…), n’a pas été menacé, jusque-là, par des tentatives libérales. Frères musulmans, wahhabites, ISIS et islam officiel de Turquie et d’Égypte partagent une identité sunnite. Pour qu’émerge une variante libérale, il faut qu’existe un espace spirituel vide. Nombre de musulmans considèrent les rituels dépassés, les responsables religieux peu scrupuleux et la discrimination féminine inacceptable, mais un large mécontentement n’est jamais suffisant pour faire surgir une mobilisation. C’est ce mécontentement qui avait conduit les modernistes à marginaliser l’islam au 19ème et au début du 20ème siècle.

Dans le sunnisme, l’absence d’organisation centralisée aurait pu conduire à une ouverture, mais le manque d’autonomie des mosquées et des congrégations a été un obstacle à un schisme pacifique. Quand, dans les années 1800, des agences d’État ont contrôlé – et même dirigé – les mosquées, les dissidents ne pouvaient en garder la propriété.

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La révolution iranienne de 1979 n’a pas débouché sur un retour au passé pré-Pahlavi. La théocratie iranienne est une innovation chiite, comme ses obligations et sa hiérarchie. Le clergé comptait 20 000 clercs en 1979, 350 000 en 2008. L’ordre institutionnel iranien est incohérent. Ainsi, alors que la législature iranienne a ratifié la convention des Nations unies contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, le Conseil des gardiens de la révolution la considère non-islamique.

Un jeune homme dans la rue à Téhéran fume une cigarette, juillet 2022 © Mikhail Tereshchenko/TASS/Sipa U/SIPA

Les seuls à défier le partage entre sunnisme et chiisme sont les Ahmadhis dont le fondateur, Mirza Ghulam Ahmad, se présentait comme le dernier prophète, véritable hérésie pour tout musulman traditionnel. Persécutés, leur quartier général fut transféré à Londres en 1984. Même les régimes plus ou moins libéraux sont hostiles à une libéralisation de l’islam pour ne pas avoir l’air de rompre avec l’islam traditionnel. Les modernisateurs sécularistes n’ont pas cherché la scission. Ils voulaient contrôler ou éliminer l’islam. Le mouvement soufi aurait pu être propice à une réforme libérale, mais il est resté marginal.

Faible écho de l’activisme libéral

Si l’islam n’a pas de dénomination ouvertement libérale, cela tient au fait que les libéraux sont non-violents et que les régimes politiques, pour leur survie, s’accrochent aux organisations existantes. Les idées libérales ne sont tolérées par les politiques que si elles ont peu d’écho. Menacés d’apostasie s’ils parlent ouvertement, les libéraux ont du mal à faire des adeptes. Ce qui compte, ce n’est pas tant ce que dit le Coran que ce que les musulmans considèrent comme faisant autorité. Par ailleurs, les bénéficiaires potentiels d’une version libérale de l’islam ne sont pas organisés, en partie en raison des sorties de l’islam ouvertes ou cachées. Dans des enquêtes anonymes au Moyen-Orient, les non-religieux et athées représentaient 15,2% en 2010-20144 et étaient ainsi probablement moins nombreux que ceux qui espéraient une version plus moderne et libérale de l’islam. L’alliance des deux pourrait permettre de promouvoir un islam moins intrusif, mais elle suppose que se réduise la peur d’être dénoncé pour apostasie.

Zakat : une occasion manquée

Du temps de Mahomet, la zakat fut la clef de voute du système fiscal. Elle aurait pu former la doctrine de base d’une taxation prévisible et d’un gouvernement limité mais efficace, sécuriser les droits de propriété et entraver une taxation arbitraire. Mais, en une génération, elle devint un véhicule de l’aumône. Son éclipse mit le Moyen-Orient sur la voie du sous-développement et de la répression observée aujourd’hui.

Quand Mahomet était à la Mecque, la zakat était un impôt proportionnel5 acquitté une fois par année lunaire, avec un seuil d’exemption. Le système s’effondra sous le poids des exemptions accordées aux groupes puissants. Après 660, les pratiques fiscales évoluèrent sans référence aux huit types de fonctions mentionnées dans le Coran et, avec le temps, les nouvelles taxes furent décidées arbitrairement par les gouvernants. Quand l’islam devint une religion mondiale, la zakat cessa de jouer un rôle majeur dans les finances publiques et devint un rituel personnel. Mais, avec cette redéfinition, tomba la barrière aux expropriations arbitraires. Si elle avait gardé son sens originel, l’extorsion et la taxation opportuniste auraient pu être déclarées non islamiques. Quand le waqf entra dans le système institutionnel islamique, la zakat n’était plus obligatoire. Transformée en aumône elle visait plus une purification personnelle et une légitimation de ce que le donateur conserve pour lui-même qu’une élimination de la pauvreté. C’est comme pour l’esclavage, le Coran promeut la libération des esclaves sans condamner l’esclavage.

Inadéquation des institutions commerciales et financières de l’islam classique

Le Coran bannit l’usure (riba) qui régulièrement aboutissait à esclavagiser des emprunteurs incapables de rembourser. Mais ce fut interprété comme le bannissement de toute forme d’intérêt. Ajoutons que prêteurs et emprunteurs étaient généralement des individus, les 1ères banques n’apparaissant qu’autour de 1860 (1889 en Iran, banque fondée par des investisseurs britanniques). Les services financiers furent longtemps des activités secondaires de marchands. Apparurent dans les années 1500, des « waqfs à cash » en Anatolie et dans les Balkans. Ils utilisaient une dotation liquide pour faire des prêts à intérêt, contraires non seulement à la loi islamique mais aussi à l’inamovibilité des biens du waqf. Sont apparus aussi, dans ces années, des Gediks, sorte de marchés boursiers pour des entreprises, qui étaient alors dépourvues de personnalité juridique, et peu adaptés aux grandes entreprises de l’ère industrielle. Ce marché fut dominé par les chrétiens et les juifs qui pouvaient choisir leur système légal mais ne pouvaient pas constituer de waqfs, mesure qui, finalement, fut pour eux une opportunité. Ajoutons que, d’après la loi islamique, dans une affaire, les partenaires peuvent se retirer quand ils veulent, provoquant ainsi des liquidations et la division des biens, d’autant que les lois d’héritage favorisent leur dispersion.

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Après l’édit de 1839 de l’empire ottoman, les chrétiens, et les juifs dans une moindre mesure, en dépit de discriminations religieuses persistantes, atteignirent des positions élevées alors que les financiers et marchands musulmans restèrent à l’écart des décisions majeures de modernisation. On sous-estime leur rôle et celui des Européens, notamment des Grecs (qui firent sécession en 1832), dans le réveil au Moyen-Orient. Les dirigeants musulmans commencèrent à imputer le retard de cette région aux responsables religieux et conduisirent des réformes, tout en favorisant les musulmans dans les contrats avec l’État. La plupart des grandes entreprises modernes ont soutenu les gouvernements en place en échange de protection, de privilèges ou d’indifférence.

Le programme des islamistes – réislamiser la société tout entière – voué à l’échec

Les islamistes ont mis sur le dos de la colonisation et de la sécularisation la perte de la centralité de l’islam et ont cherché à restaurer les institutions islamiques mais de manière sélective. Seule l’Arabie saoudite, entrée en résistance contre l’Empire ottoman, réintroduisit la zakat dans le système fiscal. Si Maududi et Qubt voulaient réinstaurer la zakat, leur référence était l’économie du 7ème siècle. En faisant de la zakat une caricature et en voulant la rendre obligatoire, ils ont renforcé l’impression d’une religion dépassée, déconnectée des problèmes sociaux et diffusé l’image d’un islam se résumant à une machine à prohiber. Dans les faits, les pratiques financières islamiques ont suivi les pratiques conventionnelles, avec l’approbation tardive des experts de la charia. Ce fut le cas avec les cartes de crédit pour lesquelles l’intérêt a été rebaptisé « frais de transactions » et dont certaines comprennent une puce indiquant la direction de la Mecque. La double vente, censée camoufler l’intérêt, obscurcit la tarification des risques et favorise la corruption. La finance islamique comme pratique religieuse incite à la falsification des préférences et contribue à la persistance d’une faible liberté religieuse.

En pratique, les musulmans violent la loi islamique sans arrêt. Lors d’un achat en ligne avec une carte de crédit islamique, le musulman viole l’obligation du face à face dans toute transaction et l’interdiction de l’intérêt. La dissimulation des arrangements consentis par les islamistes légitimise la malhonnêteté, affaiblit la force de la loi et alimente la méfiance entre islamistes et sécularistes.

Timur Kuran pense qu’un mouvement en faveur d’une certaine libéralisation n’est pas impensable, mais nécessite de distinguer, dans le Coran, les versets sans limite et de portée universelle de ceux spécifiques au 7ème siècle. Cette libéralisation requiert des organisations civiques fortes et une séparation des pouvoirs. Elle suppose aussi l’élimination du risque d’être accusé d’apostasie ou de blasphème, notamment par une opposition forte et structurée de ceux qui, en cachette pour l’instant, souhaitent sa disparition. J’ajoute qu’elle nécessite aussi une contextualisation des hadiths, quasiment jamais évoqués par Timur Kuran, et l’abandon de beaucoup d’entre eux. Timur Kuran pense qu’une action collective est plus facile aujourd’hui après la modernisation institutionnelle. Pour lui, même s’il risque de prendre plusieurs générations, « le processus de libéralisation du Moyen-Orient n’est, en aucun cas, dans une impasse ». Conclusion hardie, mais nourrie d’un examen minutieux de l’évolution historique du Moyen-Orient depuis l’apparition de l’islam. Sans réussir à nous convaincre tout à fait, cet examen donne à réfléchir.

Cet article est issu du blog de la démographe Michèle Tribalat.


  1. Private Truths, Public Lies. The Social Consequences of Preference Falsification, Harvard University Press, 1995. Voir ma note ici ↩︎
  2. The Long Divergence: How Islamic Law held Back the Middle-East, Princeton University Press, 2010. ↩︎
  3. Je traduis « clerics » ainsi. ↩︎
  4. World Values Survey Round Six (2010-2014). ↩︎
  5. 2 % des biens et 10 % des revenus. ↩︎

FREEDOMS DELAYED Political Legacies of Islamic Law in the Middle East, Timur Kuran, Cambridge University Press, Timur Kuran, 2023, 430 p. 

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Fort à l’extérieur, faible à l’intérieur

Dans son allocution télévisée du 5 mars, le président Macron a qualifié la Russie de menace pour l’Europe, suscitant de vives et inélégantes réactions de Moscou. Cependant, les partis aux deux extrémités de l’hémicycle de l’Assemblée nationale ont beau jeu de souligner que cette posture offensive contraste avec son impuissance face aux défis intérieurs, notamment l’islamisme radical et les tensions avec l’Algérie.


Après le « nous sommes en guerre » de mars 2020 face au Covid-19, Emmanuel Macron monte désormais de plusieurs crans dans la gravité. Ce mercredi 5 mars, lors d’une de ces allocutions solennelles dont il affectionne l’exercice, le président français a tenu un discours inédit, tant celui-ci s’est montré critique de la Russie et pessimiste sur les perspectives de paix en Europe.

Contexte martial

« La Russie tente de faire du conflit ukrainien un conflit mondial » […] « Qui peut donc croire dans ce contexte que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine? La Russie est devenue pour les années à venir une menace pour la France et pour l’Europe. » Ces déclarations extrêmement offensives, et peu opportunes à l’approche d’une potentielle phase de négociations de paix, n’ont pas manqué de faire réagir la porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, qui a aussitôt qualifié le président français de « conteur » et d’être « déconnecté de la réalité », et estimant qu’il « devra s’excuser auprès de sa propre population pour l’avoir induite en erreur ». De son côté, l’ancien président Medvedev a réagi avec humour au travers d’un post sur X : « Micron (sic) ne représente pas une grande menace. Il disparaîtra définitivement au plus tard le 14 mai 2027. Et il ne nous manquera pas ».

La Russie est sans aucun doute une menace pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et le démontre depuis au moins février 2022. Néanmoins, affirmer que la Russie, après avoir garanti ses conquêtes territoriales en Ukraine, s’attaquera aux pays baltes, à la Pologne, à la Moldavie voire à l’Europe de l’Ouest, tels sont des scénarios un peu déconnectés de toute logique stratégique et militaire. Evidemment, les experts en géopolitique apparus depuis trois ans et autres généraux à la retraite confortablement assis à la chaleur des caméras des studios de télévision parisiens expliqueront que c’est une éventualité très sérieuse, et étayée par les services de renseignement allemands et danois. Doutons néanmoins de la crédibilité de tout ce petit monde qui, en 2003, avait accusé en cœur et à tort l’Irak de Saddam Hussein de détenir des armes de destruction massive, avec les conséquences funestes que l’on sait…

A lire aussi, Richard Prasquier: Trump et le nouveau monde

Dans un entretien fleuve publié cette semaine à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, l’ancien Premier ministre François Fillon relativise l’alarmisme ambiant concernant la menace russe  : « La Russie est une menace infiniment moindre que celle de l’islam radical, idéologie pernicieuse qui prospère sur une grande partie de notre territoire » […] « L’islamisme radical gagne du terrain en Europe où une partie croissante des populations de religion musulmane se plient aux règles d’un islam radical, autoritaire, liberticide, qui représente un danger réel et immédiat pour nos valeurs et notre mode de vie ».

Et l’Algérie ?

Car si Emmanuel Macron montre les muscles et délivre des discours martiaux concernant la Russie de Vladimir Poutine, il fait preuve d’une abyssale faiblesse lorsqu’il s’agit de combattre l’islamisme qui tue à intervalles réguliers dans l’Hexagone, à expulser les clandestins sous OQTF, ou encore à faire respecter les intérêts français piétinés par l’Algérie. Algérie qui, pour rappel, enferme dans ses geôles l’écrivain franco-algérien de 75 ans Boualem Sansal, depuis novembre 2024.

Malgré des tensions diplomatiques depuis plusieurs mois entre la France et son ancien département devenu indépendant en 1962, le président Macron s’est montré totalement impuissant à faire valoir la voix de la France, et à protéger l’intellectuel et homme de lettres, qui entame désormais une grève de la faim malgré sa santé précaire.

L’extrême mobilisation du président français sur la scène européenne et internationale dans le sujet ukrainien doit donc être considérée à l’aune de sa grande faiblesse sur la scène intérieure, où il s’est montré impuissant depuis sa réélection à faire respecter l’ordre, les frontières nationales, et à juguler la menace existentielle et concrète de l’islam radical violent.

Depuis son échec de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, cette fin de second quinquennat d’Emmanuel Macron a tout d’une fin de règne crépusculaire. Sa stratégie d’investir l’international pour ne pas parler de ses échecs intérieurs est vaine voire risquée. Surtout lorsque le pays qu’il incrimine violemment est celui comptant le plus de têtes nucléaires. Le monde a plus que jamais besoin d’hommes de paix, de compromis et de dialogue. Pas de pompiers pyromanes prêts à tout pour s’assurer une légitimité.

Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


L’eurodéputée Rima Hassan doit-elle être déchue de la nationalité française? C’est ce que prétendent un certain nombre de personnalités politiques de droite, notamment Marion Maréchal. Christian Estrosi, le maire de Nice, la somme de démissionner du Parlement européen, et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, l’accuse d’avoir tenu des propos « qui relèvent de l’apologie du terrorisme ». En effet, au cours d’une intervention sur SudRadio, le 27 février, la pasionaria de l’islamogauchisme a prétendu que les enfants Bibas et leur mère n’avaient pas été assassinés et que globalement l’action du Hamas est « légitime du point de vue du droit international ». Martin Pimentel analyse cette polémique pour conclure que Rima Hassan et ses collègues LFI en profitent pour se victimiser une nouvelle fois. Et même si Rima Hassan était expulsée de la France, elle reparaîtrait sur une chaîne de télévision étrangère ou sur YouTube pour diffuser sa propagande dans nos banlieues communautarisées.

On répète partout en ce moment que Trump laisse tomber l’OTAN et que l’alliance atlantique est finie. Le chef de l’Etat français a pris la parole à la télévision mercredi 5 mars pour souligner la nécessité d’un réarmement européen. Car ce serait la seule façon de réagir à la menace que représente la Russie et au changement d’attitude des Etats-Unis par rapport à l’Ukraine et la défense du Vieux Continent. Mais selon Jeremy Stubbs, nous ne savons pas encore où Donald Trump veut nous mener. La plupart des commentateurs européens semblent croire qu’ils lisent dans les pensées du président américain comme dans un livre ouvert. Ce qui est certain, c’est qu’il faut qu’on se comporte comme si, sur des questions de défense et de sécurité, on allait devoir enfin voler de nos propres ailes.

Pouvoir des femmes, femmes de pouvoir?

Où en sont les femmes ? Le magazine Le Point dirigé par Valérie Toranian (notre photo) fait cette semaine l’état des lieux en 2025 de leur situation en France et dans le monde. À la veille de la Journée internationale des droits des femmes (Sainte Gonzesse © Causeur), Philippe Bilger a lu le dossier…


Une du 6 mars du Point © Le Point

Le Point est un hebdomadaire que j’aime lire et que j’apprécie beaucoup malgré sa double obsession : dire du bien de Nicolas Sarkozy et célébrer les avocats. À part cela qui est supportable, il y a surtout l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert, à la fois fulgurant et primesautier, ainsi que les dossiers spéciaux souvent passionnants consacrés à des thèmes dominants. Par exemple celui qui traite cette semaine « du pouvoir des femmes ».

Je me souviens d’Odile Dhavernas, avocate, brillante féministe, qui avait écrit il y a longtemps un livre qui avait fait beaucoup de bruit dans le milieu intellectuel : Droits des femmes, pouvoir des hommes. Son titre dénonçait, derrière les droits qui leur étaient concédés, la vraie faiblesse des femmes – au sens classique du pouvoir : une fois l’apparence dépassée, l’hégémonie virile n’avait guère été entamée.

Amalgame de l’autorité et du charme

Il me semble qu’aujourd’hui nous n’en sommes plus là et qu’au moins sur le plan théorique, le débat ne porte plus sur l’égalité des droits. Même plus sur le pouvoir qui est de plus en plus partagé malgré des zones d’effacement féminin et des pratiques personnelles, familiales et sociales pas encore à la hauteur du progressisme souhaité.

Tout de même je suis inquiet quand les femmes cherchent à rivaliser avec le monde viril, dans la lumière et dans l’affirmation de soi, par une sorte de mimétisme à instaurer entre femmes et hommes de pouvoir. Comme si la similitude était obligatoire et le comportement des hommes à prendre pour modèle.

Sans doute suis-je d’autant plus sensible à cette question que je n’ai jamais tourné en dérision le point de vue de Sandrine Rousseau sur « l’homme déconstruit ». Même si j’ai toujours été incapable, grâce à l’adorable complaisance de mon épouse et à ma propre incompétence pas seulement fabriquée, de partager les tâches domestiques – les aimables diront que c’est une affaire de génération ! -, en revanche je n’ai jamais été épris de l’image de la virilité traditionnelle telle que le commun des citoyens l’appréhende.

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De sorte que, dans cette revendication du pouvoir des femmes, je nourris l’angoisse que, par facilité et paresse, les femmes de pouvoir n’aient pas d’autres ambitions que de se camper, fières d’elles, dans la lignée de celui des hommes. Ainsi, autant j’approuve Laura Chaubard, à la tête de l’École polytechnique, qui demande qu’on « cesse de parler de Marie Curie » pour privilégier les modèles d’aujourd’hui, autant je frémis à l’idée de Nathalie Collin, directrice d’une branche importante de La Poste, qui invite « à apprendre à agir comme les hommes ».

Dans mon expérience même relative des lieux et des métiers de pouvoir, je pense absolument l’inverse. Même s’il est incontestable qu’un socle commun existe, je persiste à considérer pourtant qu’une manière totalement féminine, voire délibérément féministe, d’exercer le pouvoir est possible et d’ailleurs souvent effective.

Batailleuses

Il suffit d’observer, sur les plateaux médiatiques, l’aptitude au dialogue tranquille de la plupart des femmes quand l’autre sexe bataille volontiers. Il y a des vertus qui dans les conduites professionnelles n’appartiennent qu’aux femmes ou alors à des hommes tellement conscients de leur part de féminité qu’ils empruntent des chemins moins conventionnels dans leur pratique de direction.

Rien ne serait pire pour la cause des femmes que d’aspirer, où que ce soit et à tous niveaux, à devenir seulement la copie conforme des hommes dans leur définition banale ou, plus singulièrement, des hommes de pouvoir, des hommes qui ont réussi.

Les femmes sont trop importantes et précieuses pour ne se vouloir que les habitantes d’un territoire indivis. Elles ont droit véritablement à leur indépendance et à leur autonomie. Dans une distance sereine d’avec les hommes, pas dans une guerre des sexes de chaque seconde. Dans MeeTooMuch ? que je viens de publier chez Héliopoles, j’ai adressé ma dédicace « à toutes les résistantes ». Je ne suis pas très éloigné de Valérie Toranian qui en synthétisant ce dossier spécial dit que « le pouvoir des femmes, c’est aussi celui de faire changer les choses ».

Voilà une incitation qui a le mérite de valoir pour les deux sexes !

MeTooMuch ?

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Les trumpistes tricolores: trouble allégeance…

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Ils voudraient que je ne voie pas certaines choses, et que je n’en parle pas. De quoi est-il question ? D’une incroyable pensée hémiplégique qui s’est peu à peu répandue depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Il faut ici prendre date car nous n’en sommes qu’au début. Ça va enfler, gonfler jusqu’à devenir un très beau et très gros éléphant dans la pièce.

Quand il m’est arrivé d’en faire l’observation, lors de débats sur les écrans ou sur les ondes, ils ont esquivé. Les plus malicieux ont fait semblant de ne pas comprendre, les autres de ne pas entendre. Si cela continue, si nous n’arrivons pas dans les prochaines semaines à en débattre comme on le fait sur d’autres sujets, cela sera pour moi comme un aveu : il faudra en conclure que, pour ces nouveaux libertariens, il y a des sujets interdits et d’autres qui ne souffrent pas la contradiction. Paille et poutre ?

Ils sont les nouveaux trumpistes tricolores. Comme leur nouvelle idole, ils n’étaient pas prêts lors du premier mandat. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, ils assument crânement et même avec une forme de jubilation le changement d’époque. Ils rêvent d’un alignement des planètes pour 2027 au plus tard. Alors, ils font au plus vite quelques embardées, sans voir qu’ils trahissent leurs propres trajectoires idéologiques.

Ils aiment les frontières, mais ils applaudiront une rencontre Trump-Poutine en Arabie saoudite. Il y a trois ans, la Russie a envahi l’Ukraine. L’intégrité territoriale d’un État souverain a alors été piétinée. Or, il se dit que la Russie va obtenir un accord de « paix » lui permettant de maintenir sa présence sur 20 % du territoire ukrainien et de se préparer militairement à d’autres offensives, comme le laissent penser ses programmes d’armement avec 10 % de son PIB désormais consacré à cet objectif. Et pas un mot sur les propos détestables de Trump sur le président Zelensky.

Ils aiment la souveraineté et détestent les influences étrangères. Tout occupés à traduire le MAGA dans la langue de Molière, à chercher dans leur playlist un YMCA tricolore, ils n’ont rien trouvé à redire sur l’ingérence américaine vis-à-vis de l’élection législative en Allemagne. Accepterions-nous une telle situation pour notre propre pays ? Que l’homme le plus riche du monde ne se contente plus d’agir sur la manière dont nous communiquons sur son réseau X, mais nous dise aussi pour qui nous devons voter ?

Les trumpistes tricolores semblent quand même avoir quelques frilosités avec la manière dont Steve Bannon, après Musk, a salué son public lors de la Conservative Political Action Conference. Jordan Bardella est parti. Sarah Knafo est restée. L’un et l’autre devront assumer politiquement les conséquences de la prochaine guerre commerciale. Ça va secouer.

Mais il y a d’autres sujets. Les influenceurs algériens, la protection de nos agriculteurs, la défense de nos filières industrielles, le contrôle de nos frontières, la liberté d’expression, l’indépendance…

La victoire du trumpisme traduit des réalités sociales, culturelles et électorales qui ne sont pas sans faire écho à des réalités hexagonales. Aucun parti politique ne devrait s’exonérer de cette réflexion. Quant aux trumpistes tricolores les plus ardents d’aujourd’hui, ils devraient déjà songer à ce qu’ils diront du Trump de demain. Ils ne pourront pas ignorer longtemps sa personnalité imprévisible et sa politique dont on connaît le seul et unique objectif : servir son pays, son oligarchie et son business.

Afrique du Sud: le meurtrier de l’ «imam gay» court toujours…

C’était le premier imam gay d’Afrique du Sud. Son mystérieux assassinat a révélé une face cachée de la nation « arc-en-ciel »


Le 1er mars 2025, la ville du Cap s’est parée de ses plus belles couleurs arc-en-ciel lors d’une marche des Fiertés improvisée. Habituellement festive, l’ambiance était particulièrement lourde de tristesse et de colère. La communauté homosexuelle a rendu hommage à Muhsin Hendricks, premier imam au monde à avoir revendiqué publiquement son homosexualité, assassiné de manière brutale. Un crime qui soulève de nombreuses interrogations et ravive les tensions autour de la place des minorités sexuelles au sein des religions dans cette partie de l’Afrique australe.

Un pays pionnier, mais encore marqué par l’homophobie

L’Afrique du Sud est souvent citée comme un modèle en matière de droits « LGBTQI+ » sur le continent africain. Dès la fin de l’Apartheid (1994), elle a été l’un des premiers pays à dépénaliser l’homosexualité et à inscrire la protection contre les discriminations dans sa Constitution. Pourtant, cette avancée législative cache une réalité plus sombre : les crimes homophobes restent fréquents et la société demeure profondément divisée sur ces questions, notamment au sein des ethnies africaines (selon un sondage de 2017, 24 % des Sud-Africains estiment que les personnes qui entretiennent des relations homosexuelles devraient être poursuivies comme des criminels).

Sous le régime de ségrégation raciale, l’homosexualité était déjà perçue comme une menace à l’ordre moral. Le gouvernement de l’Apartheid menait même des campagnes de persécution contre les homosexuels, notamment dans l’armée, où des soldats identifiés comme gays étaient « traités médicalement », soumis à des tortures ou castrés chimiquement. Un chapitre traumatisant de l’histoire raciale de l’Afrique du Sud qui a été mis en lumière avec le film  » Moffie » (tapette en Afrikaans) , sorti sur les écrans en 2019.

La fin de cette homophobie d’État a permis à certains, comme Muhsin Hendricks, d’affirmer leur identité au grand jour. Mais au sein des communautés religieuses conservatrices, l’acceptation a été loin d’être acquise.

L’itinéraire d’un homme en rupture avec la tradition

Né au sein d’une une famille musulmane pratiquante, Muhsin Hendricks se destinait à une vie conforme aux traditions. Parti étudié l’islam dans l’une des plus prestigieuses universités de Karachi, au Pakistan, il est revenu imam. Il s’est rapidement marié et a eu des enfants. Mais cette existence bâtie sur des conventions n’a pu masquer sa véritable identité très longtemps. « Au cours de la première année de mon mariage, j’ai réalisé que j’avais commis l’une des plus grosses erreurs de ma vie. C’était très éprouvant pour moi. J’ai fini par être déprimé », a-t-il déclaré dans un témoignage poignant.

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Son coming-out, en 1996, à l’âge de 29 ans, a provoqué un séisme. Tandis que son grand-père le condamnait en affirmant que cette révélation le mènerait « vers l’enfer », son père a pris sa défense, malgré les invectives de sa mère à son encontre. Rejeté par une partie de sa communauté, il a été démis des fonctions qu’il exerçait dans sa mosquée et licencié de la madrassa où il enseignait. Confronté à l’isolement, il s’est exilé dans une grange, en quête de réponses spirituelles. « Je me suis mis à jeûner jusqu’à ce que Dieu me donne une réponse sur ce que je dois faire de ma vie, sur le but de ma vie et sur ce qu’Il a prévu pour moi », expliquait Muhsin Hendricks de son vivant.

Une lutte pour la réconciliation entre foi et homosexualité

Plutôt que de se résigner, Muhsin Hendricks a finalement fait de son combat un engagement. En 2004, il fonde la Mosquée du Peuple du Cap, un espace inclusif destiné aux musulmans LGBT en quête de spiritualité. Mais, son initiative déclenche très vite une vague de critiques, mais aussi un immense espoir pour ceux qui cachaient leur orientation dans la communauté musulmane. Parallèlement, il crée « The Inner Circle » (TIC), une association visant à accompagner ces croyants un peu particuliers dans leur réconciliation entre foi et orientation sexuelle.

« TIC a commencé dans mon garage, après mon coming-out. Nous étions six à huit musulmans homosexuels qui nous réunissions chaque jeudi soir. Nous parlions de nos histoires très douloureuses, de l’islam et de notre identité sexuelle. Nous nous soutenions car il y avait beaucoup de larmes. Quelques années plus tard, TIC est devenue une organisation internationale, car il s’est révélé que cet espace était nécessaire à tous », expliquait-il encore il y a peu. Mais en brisant un tabou majeur, Muhsin Hendricks s’est attiré aussi de puissants ennemis. Pour certains religieux conservateurs, il n’était qu’un hérétique dont les enseignements remettaient en cause les fondements de l’islam. Si les menaces à son encontre étaient connues, son assassinat a cependant pris tout le monde de court.

Un crime non élucidé, des soupçons qui pèsent

Le 15 février 2025, Muhsin Hendricks a été froidement abattu dans sa voiture, en pleine rue. Les images de vidéosurveillance montrent une silhouette encapuchonnée sortir d’une camionnette, bloquer son véhicule, sortir une arme et tirer à plusieurs reprises à travers la vitre de sa voiture. Une exécution en règle.

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L’enquête piétine toujours depuis cette date et, à ce jour, aucun suspect n’a été arrêté. Face aux accusations implicites pesant sur certains groupes religieux, le Conseil judiciaire musulman d’Afrique du Sud (MJC) et le Conseil des oulémas unis d’Afrique du Sud ont rapidement condamné le meurtre, déclarant défendre « la coexistence pacifique et le respect mutuel, même en cas d’opinions divergentes ».

Parallèlement, la communauté musulmane sud-africaine s’est retrouvée sous les projecteurs dans un contexte politique tendu par la guerre entre le Hamas et Israël, la découverte de camps d’entrainement djihadiste sur son sol et un gangstérisme communautariste qui a fait des ravages. Bien qu’elle ne représente que 2% de la population, elle a gagné en visibilité avec le parti islamiste Al Jama-ah qui affirme représenter les intérêts des musulmans sud-africains. Ce mouvement, qui a brièvement occupé la mairie de Johannesburg entre janvier 2023 et août 2024, a fait partiellement introduire la charia dans la législation. Cependant, son influence demeure encore limitée à l’échelle nationale. En Afrique du Sud, où la violence à l’encontre des personnes homosexuelles reste un sujet tabou, son assassinat rappelle brutalement que les avancées légales ne suffisent pas à protéger ceux qui défient l’ordre établi. Pour ses proches et ses partisans, une seule certitude demeure : Muhsin Hendricks restera à jamais une figure emblématique de la lutte pour l’égalité et la justice.

L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

L’instance censée « garantir une information pluraliste et indépendante » qui a décidé la fin de C8 (confirmée par le Conseil d’État) constitue un petit monde endogamique nourri de mantras progressistes. Ses salariés et dirigeants viennent du Conseil d’État, des médias publics et privés, des cabinets ministériels de gauche ou encore du CNC, bénéficiaire des amendes infligées aux chaînes. Enquête sur le gendarme de la liberté d’expression.


En dépit d’un impact médiatique important, la nouvelle de l’éviction de la chaîne C8 du paysage de la TNT n’a bizarrement pas fait l’objet d’un examen assez poussé pour approfondir la thèse – pourtant avancée par nombre de commentateurs – d’une partialité de l’Arcom, toujours présentée comme une « autorité publique indépendante ». Or, à lui seul, l’examen de son équipe dirigeante révèle déjà des éléments bien plus nombreux que ceux qu’on connaît, amenant à douter sérieusement de l’indépendance de cette autorité.

Des instances dirigeantes impartiales ?

La presse a déjà évoqué le cas du directeur général de l’Arcom, Alban de Nervaux, nommé en juillet 2024 par le président Macron, qui est par ailleurs époux de Laurence de Nervaux, directrice exécutif du « think tank » Destin commun, financé notamment par l’Open Society Foundations du financier George Soros et lié au groupe activiste écologiste Greenpeace. On connaît aussi le pedigree de Laurence Pécaut-Rivolier, nommée au collège de l’Arcom en 2021, qui fut naguère candidate PS-EELV aux élections municipales à Gentilly.

Mais il y en a bien d’autres ! Ainsi, Sara Cheyrouze, directrice adjointe de la communication de l’Arcom, responsable du pôle relations médias et influence, n’est autre que l’ancienne attachée de presse du Parti socialiste (de mai 2012 à janvier 2015), devenue par la suite conseillère presse au cabinet du Premier ministre (de décembre 2016 à mai 2017).

De même, Clara-Lou Lagarde, cheffe du département supervision et coordination nationale de la direction des plateformes en ligne de l’Arcom, se trouve être par le plus grand des hasards l’ex-collaboratrice parlementaire d’Angèle Préville, sénatrice socialiste du Lot de 2017 à 2023, mais aussi d’Alain Richard, ancien sénateur socialiste du Val-d’Oise.

On peut également citer Pascal Gueugue, de l’Arcom Caen, lié à travers la Fédération des musiques métalliques au député insoumis (et du Parti ouvrier indépendant !) Jérôme Legavre1

Membre de l’Observatoire de la haine en ligne et du groupe d’expert sur la désinformation de l’Arcom, Iris Boyer est quant à elle l’ancienne assistante parlementaire du socialiste Vincent Peillon et par ailleurs responsable de l’observatoire du Forum sur l’information et la démocratie2, lié à Reporters sans frontières… Précisément l’organisation dont la plainte a conduit à l’éviction de C8 de la TNT !

C’est bien simple : si l’on fait le bilan des 18 principaux responsables de l’Arcom (l’équipe de direction, le collège décisionnaire et son secrétariat), on constate que la moitié d’entre eux sont clairement marqués à gauche, que deux sont macronistes, et qu’une seule est peut-être encore de droite.

Outre qu’il est en soi problématique de trouver des individus politiquement marqués dans une instance supposée neutre politiquement, puisqu’elle doit « garantir une information honnête, pluraliste et indépendante » (aux termes de la loi Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication), l’écrasante domination de la gauche rend parfaitement illusoire cet exercice.

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Mais ce n’est pas tout ! Si l’on poursuit l’exercice consistant à analyser la neutralité de l’ensemble des équipes de l’Arcom (370 personnes) qui instruisent les dossiers, on tombe sur des anomalies très parlantes.

Un biais idéologique structurel ?

D’abord, si une partie des personnels vient du monde de l’audiovisuel (ce qui, après tout, peut sembler un gage de professionnalisme), on y retrouve les mêmes biais idéologiques : une très forte surreprésentation des personnels issus de l’audiovisuel public (fortement marqué à gauche, faut-il le rappeler ?) qui n’est pas sans poser question également en matière de libre concurrence, quelques autres venant de TF1, M6, BFMTV… En revanche, pas l’ombre d’un salarié venu de la galaxie Bolloré !

Si on pousse la curiosité jusqu’à regarder dans quelles directions et départements se trouvent employés ces anciens concurrents et adversaires du groupe Bolloré, on a une autre surprise. Là encore – et bien sûr par le plus grand des hasards, n’en doutons pas ! –, ils se trouvent concentrés dans les directions qui ont joué un rôle stratégique dans l’instruction des dossiers contre le groupe Bolloré : la direction des publics, du pluralisme et de la cohésion sociale (36 % des personnels, contre 8 à 15 % dans d’autres directions moins sensibles), mais aussi la direction des plateformes en ligne (28 %)… Et bien sûr la direction de la communication, dont l’intégralité de l’équipe dirigeante et la moitié du personnel viennent de concurrents du groupe Bolloré.

Encore faut-il souligner qu’à ce stade, et à de rares exceptions près, les recherches n’ont porté que sur les anciennes fonctions occupées par ces personnes. Des recherches plus complètes sur des employés de l’Arcom n’étant pas passés par des concurrents du groupe Bolloré révèlent une large proportion des affiliations et sympathies politiques marquées à gauche3.

Quand l’Arcom recycle des anciens du Conseil d’État

Plus haute juridiction administrative du pays, le Conseil d’État joue le rôle de juridiction d’appel de l’Arcom et confirme ou non les sanctions qu’elle inflige. Se pourrait-il qu’il soit à la fois juge et partie ? Nombre des cadres de l’Arcom en sont issus, comme Alban de Nervaux (son directeur général), Denis Rapone (membre de son collège), Céline Paulmier (ex-assistante de justice au Conseil d’État), Samuel Galodé (chargé de communication web au Conseil d’État), Célia Deck-Catalan Cabildo (ex-assistante de justice de la cour administrative d’appel de Paris), Alexandre Médard (ex-assistant de justice du tribunal administratif de Versailles).

La commision de la culture du Sénat auditionne Martin Adjari, candidat proposé par l’Élysée pour la présidence de l’Arcom, 17 décembre 2024. Sa nomination est validée par les parlementaires, et il prend officiellement ses fonctions le 2 février 2025 © Public Sénat (capture d’écran)

De plus, le Conseil d’État interprète de façon très extensive les missions de contrôle de l’Arcom de « la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités »… Une exigence pour le moins problématique, pour les raisons déjà évoquées de partialité de l’Arcom.

La deuxième carrière des personnels du CNC au sein de l’Arcom

D’un conflit d’intérêts l’autre ? Une deuxième relation quelque peu incestueuse unit l’Arcom au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), bénéficiaire des amendes que distribue l’Arcom, mais également très présent au sein de cette dernière à travers de nombreux profils d’anciens personnels du CNC tels Yves Damé, Fabien Mignet, Aurélie Cardin, Danielle Sartori, Mélanie Bidet-Emeriau, Ambre Argiolas, Margot Kessler, Guillaume Blanchot ou Linda A. Les deux organismes entretiennent d’étroites coopérations sur de nombreux sujets, allant de la lutte contre le piratage à des études (sur le tissu industriel de la production audiovisuelle, les services de médias audiovisuels à la demande, les enjeux environnementaux de l’écoproduction…).

Cette forte proximité qui ne peut que jeter le doute sur la légitimité d’amendes qui finissent par ressembler à un financement forcé d’une instance par ailleurs connue pour ses fortes sympathies à gauche : en douze ans, jusqu’à novembre 2024, l’Arcom a pris 52 sanctions contre les seules chaînes C8 et CNews, dont 16 pendant la seule année 2024. Pour un montant de 8,17 millions d’euros depuis 2017. Et ce, alors que la Cour des comptes a épinglé en septembre 2023 le CNC, appelant à « une réforme approfondie des aides » au cinéma, qu’elle estime trop nombreuses, et réclamant aussi « un minimum de contrôle politique » de la part des ministères de la Culture et des Finances.

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Enfin, et pour ne pas se méprendre sur les conclusions à tirer de cet inventaire des manquements aux règles les plus élémentaires de la neutralité, du pluralisme, de la libre concurrence et même de la simple loyauté, il faut être conscient que le problème n’est pas conjoncturel, mais systémique (pour reprendre un terme à la mode chez les policiers de la pensée). Les tares de l’Arcom étaient déjà celles de ses prédécesseurs, depuis la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) créée par Mitterrand, remplacée en 1986 par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis en 1988 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Dans un splendide jeu de trompe-l’œil, ces instances n’ont jamais été « indépendantes », sinon des procédures démocratiques de contrôle des administrations prévues par nos institutions. En revanche, jamais du pouvoir.

Dans cette logique, la fréquence perdue par C8 a été attribuée à Denis Olivennes, qui dirige CMI France, groupe de médias appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Un homme que Le Monde a surnommé naguère le « fils chéri de la gauche bobo », ce qui ne change rien à ses qualités personnelles. Passé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), devenu énarque en 1988, grand ami de Laurent Fabius, Olivennes a dirigé Canal+ au début des années 2000 (à l’époque où la chaîne, que Bolloré n’a reprise qu’en 2015, était encore dirigée par Pierre Lescure, dans l’esprit de son fondateur André Rousselet, le très proche ami de François Mitterrand). En 2008, il était nommé directeur général délégué du Nouvel Observateur, avant de rejoindre le groupe Lagardère, où il était notamment chargé du JDD et d’Europe 1 (tous deux rachetés plus tard également par Vincent Bolloré). C’est déjà Olivennes qui, en 2023, après la reprise avec Kretinsky du groupe Editis (deuxième plus grand éditeur français derrière Hachette, avec 55 maisons d’édition, dont Robert Laffont, Bordas, Nathan, Perrin, Plon, Pocket, Belfond, Julliard et La Découverte), s’était empressé d’y faire le ménage pour en écarter les proches de Bolloré4. Cette fois-ci, l’Arcom a fait le travail pour lui.

Note méthodologique

Cette enquête repose exclusivement sur des données publiques, et pour l’essentiel sur celles publiées sur le site de l’Arcom, ainsi que les fiches LinkedIn des 298 personnels de l’Arcom identifiés (soit 80 % des 370 employés que déclare l’Arcom). Ces fiches LinkedIn ont été exploitées pour en tirer des informations sur les fonctions passées de ces personnels (en particulier chez des concurrents publics et privés du groupe Bolloré, mais aussi dans des institutions publiques), leurs autres affiliations simultanées… En revanche, si quelques recherches ont également été effectuées ponctuellement sur Facebook pour identifier et préciser des affiliations, elles ont porté sur moins d’une vingtaine de personnes.

Contactée, l’Arcom a annoncé des réponses qui ne sont jamais arrivées.


  1. Voir les posts LinkedIn de Pascal Gueugue et Matthew Marion sur la question écrite soumise au ministère de la Culture à
    l’Assemblée nationale le 23 avril 2024 sur la place de la musique métal dans les musiques actuelles. ↩︎
  2. Voir la page LinkedIn dudit Forum. ↩︎
  3. On peut citer les exemple de Raphaël Bengio, Agnès Baraton, Rachida Hamchaoui, Axel Devaux, Colum Hamon. ↩︎
  4. « Editis : Kretinsky et Olivennes écartent les proches de Bolloré », 28 novembre 2023, linforme.com. ↩︎

Patrimoine littéraire: à vos tire lire pour «Tétras Lire» !

Tétras Lire fête son 100ème numéro ! C’est l’occasion de découvrir cette revue pour les enfants de 8 à 12 ans et plus éventuellement, car il y a des parents ou des grands-parents qui découvrent à cette occasion des textes qu’ils n’avaient jamais lus… Parce que Tétras Lire mise sur de grands auteurs français et étrangers, et sans édulcorant s’il vous plaît !


A une époque où l’on réécrit des textes pour les expurger des propos « nauséabonds » ou encore, pour les mettre à la portée des caniches et ainsi ravager le texte originel au motif que les enfants n’auraient pas le vocabulaire requis, la revue Tétras Lire fait le pari des textes sans adaptation et sans réécriture.

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Par ailleurs, loin des textes moralisateurs qui vous font la leçon à partir du mouton noir exclu du troupeau par les moutons blancs, et que c’est pas bien d’exclure, surtout s’il est noir, surtout s’il est tout seul, et tu seras gentil avec tes camarades, hein ?!, loin donc de toute cette moraline qui n’a jamais moralisé personne (ah, s’il suffisait de dire « il faut » pour que cela se fasse, il y a belle lurette que l’humanité serait douce comme un agneau!), loin c’est peu dire de tout cet affadissement et cette tromperie, la revue en question propose chaque mois un auteur : Jules Verne, Hérodote, Ovide, Pouchkine par exemple, l’introduit avec un dossier biographique, continue avec un texte de l’auteur accompagné d’une très belle iconographie ; texte où les mots difficiles sont en gras avec un lexique dans la marge pour expliquer ce qu’ils signifient, le poursuit avec un questionnaire concernant le récit, mais aussi des jeux, des recettes de cuisine en rapport avec l’histoire, une compilation sur le thème de celle-ci, bref, un ensemble aussi sérieux que distrayant.

Style littéraire enchanteur

J’ai lu celui consacré à Pierre Loti. Ce sont des extraits du « roman d’un enfant », intitulés Les cousins du Midi, et magnifiquement illustrés par Laurence Bost. Le mouvement des bambins courant autour d’une table ou sur un chemin de Provence est rendu de manière admirable. C’est joyeux, ensoleillé, recueilli aussi. Et la langue n’ignore ni le passé simple ni le lexique merveilleusement dépaysant : « Vers le milieu du jour, pendant une halte pour faire reposer nos chevaux aux creux d’une vallée d’ombre, dans un village perdu appelé Veyrac, nous nous assîmes au pied d’un châtaignier, – et là, nous fûmes attaqués par les canards de l’endroit, les plus mal élevés du monde, s’attroupant autour de nous avec des cris de la plus haute inconvenance. Au départ donc, quand nous fûmes remontés dans notre voiture, ces bêtes s’acharnant toujours à nous poursuivre, ma sœur se retourna vers eux et, avec la dignité du voyageur antique outragé par une population inhospitalière, s’écria : « Canards de Veyrac, soyez maudits ». Et à ceux qui ont peur d’une langue qu’ils ne maîtriseraient pas, je dirai qu’il ne s’agit pas toujours de maîtriser quoi que ce soit, mais de se laisser porter par un style qui enchante.

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Catherine Santeff retombe en enfance

Et si les canards ne vous ont pas suffi, voici le narrateur qui, pour se distraire un matin pluvieux, décide de faire fondre une assiette d’étain et de la jeter ensuite dans un seau d’eau ; geste qui lui donnera une idée… « Le lendemain donc, à mi-montagne, comme nous arrivions dans un chemin, délicieusement choisi du reste, solitaire, mystérieux, dominé par des bois et très encaissé entre de hautes parois moussues, j’arrêtai ma bande, avec un flair de chef Peau-Rouge : ça devait être là ; j’avais reconnu la présence des gisements précieux, – et, en effet, en fouillant à la place indiquée, nous trouvâmes les premières pépites (l’assiette fondue que, la veille, j’étais venu enfouir). Ces mines nous occupèrent sans trêve pendant toute la fin de saison. Eux, absolument convaincus, émerveillés, et moi, qui pourtant fondais tous les matins des couverts et des assiettes de cuisine pour alimenter nos filons d’argent, moi-même arrivant presque à m’illusionner aussi. »

C’est bien simple, en ces temps d’Histoire lourde comme le couvercle de Baudelaire, et pour fêter l’arrivée du printemps et qui sait, le retour de l’Eden, je m’abonne tout de suite !

Découvrez les anciens numéros de cette belle revue basée à Lyon ici.

Gaza: une tribune indigeste

Le quotidien Libération semblait se réjouir mercredi que les deux millions de Palestiniens de Gaza soient une « arête impossible à avaler dans la gorge d’Israël ». Selon le journal de gauche, le projet de Trump de déplacer cette population n’est qu’une « saillie délirante », et la société israélienne dans son ensemble serait dénuée d’empathie pour ses voisins à la suite des attaques terroristes du 7-Octobre. Un mépris évident pour la souffrance des Israéliens. Analyse.


La proposition de l’administration Trump de déplacer temporairement les habitants de Gaza a suscité le séisme médiatique que l’on sait. Parmi cette avalanche de réponses, certaines brillent par leur manque d’objectivité, d’autres par leur caractère outrancier ou les affirmations erronées qu’elles contiennent… Plus rares sont celles qui réussissent l’exploit de réunir tous ces travers à la fois ! C’est le cas de la tribune de Monsieur Sélim Nassib, écrivain et ancien journaliste pour Libération, publiée justement par le quotidien ce mercredi[1]. Si le sort des habitants de Gaza est effroyable et touche tout un chacun, une sortie telle que celle-ci ne permet en rien de faire un pas vers une solution pacifique.

Un texte pour rien

Comment ne pas être frappé, tout d’abord, par le choix des mots ? Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, est ainsi soupçonné d’utiliser ce projet de déplacement pour raccrocher les « wagons » avec l’extrême droite. S’il s’agit bien d’un projet de déplacement temporaire, l’article n’hésite pourtant pas à parler de « déportation », et ce à plusieurs reprises. On a évidemment connu choix de vocabulaire moins tendancieux…

La plume est en revanche moins lourde lorsqu’il s’agit de qualifier les barbaries du 7-Octobre 2023 commises par les terroristes du Hamas. On nous parle ici d’une simple « tragédie » qui, bien qu’elle fasse un écho plus que douloureux aux atrocités de la Shoah, aurait dû être oubliée « à court terme » par les proches des victimes. Leur faut-il aussi tirer un trait sur les otages restants aux mains du Hamas ? Ce qui n’empêche pas l’auteur de vilipender les Israéliens, dans leur « écrasante majorité », pour leur manque d’empathie supposée à l’endroit de la population civile de Gaza.

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Ce prétendu manque d’empathie est imputé à un simple sondage. En revanche, selon l’auteur de la tribune, il serait injuste de déduire que les Gazaouis soutiennent le Hamas sous prétexte que le groupe terroriste a été élu en 2006 par… la population de Gaza ! Allez comprendre… On ne vote pourtant pas pour le Hamas comme on vote pour un parti modéré. Comment ignorer que la destruction d’Israël et celle des juifs font figures de leitmotivs pour ce parti ? Une doctrine que le Hamas se plaît à enseigner à la jeunesse palestinienne, ne lui laissant d’autre choix que celui de la haine de son voisin.

Des confusions coupables

Toutes les guerres occasionnent la mort de civils innocents. Celle des civils palestiniens est une horreur et personne ne saurait s’en réjouir. Mais le choix des concepts ne peut être fait à la légère. La tribune accuse Israël de se livrer à une réponse militaire « hors de proportion » visant à préparer un « nettoyage ethnique ». Cette notion n’est pas officiellement définie mais pourrait sous-entendre une politique visant à faire disparaitre une population par la force ou la violence. Si l’intervention militaire de Tsahal à Gaza fait évidemment des victimes collatérales parmi la population civile, cela ne constitue pas pour autant un nettoyage ethnique ou encore un génocide. Pour rappel, lors de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements alliés ont causé de nombreuses pertes civiles, notamment 350 000 Allemands. Pour autant, il n’a jamais été question de génocide car le nombre ne suffit pas ; il faut également démontrer l’intention de s’en prendre directement à la population civile. Or, si cela était clair lors des attaques terroristes du 7-Octobre perpétrées par le Hamas, s’agissant de l’action de Tsahal cela n’est pas le cas. Par ailleurs, de très nombreuses pertes civiles auraient aussi pu être évitées si le Hamas n’utilisait pas son propre peuple comme bouclier humain ou encore les écoles et hôpitaux comme cachettes. Il faut le rappeler, ce que ne fait pas M. Nassib dans son analyse.

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Pour parler de réponse militaire « hors de proportion », encore faudrait-il disposer d’une bonne connaissance des données. Les chiffres étant fournis par… le Hamas, nous sommes en droit de douter de leur fiabilité. Sans parler du fait que ces chiffres ne précisent jamais quelle est la part de militants dans les victimes mentionnées. Et même si l’on part du principe que ces chiffres sont fiables, ils ne démontrent pas une proportion de victimes civiles supérieure à d’autres conflits. Selon les Nations Unies, le taux de victimes civiles est en général de 90% dans une guerre. Et la plupart des conflits ne se déroulent pas dans un environnement urbain comme cela est le cas à Gaza. Ce genre d’affirmation peut donner l’impression que ce qui est véritablement remis en question est le droit d’Israël à se défendre et donc, par extension, son droit à la survie. Par ailleurs, il n’est évidemment à aucun moment précisé dans les colonnes de Libération que le Hamas est le seul et unique responsable de cette guerre et qu’il lui suffirait de libérer les otages pour y mettre fin à tout moment.

Des affirmations incomplètes et une omission de taille

Pour finir, l’auteur de la tribune énonce que l’Égypte et la Jordanie « refusent absolument de recevoir » la population palestinienne. Le silence est en revanche de mise lorsqu’il s’agit d’en expliquer les raisons. Peut-être cela est-il avant tout dû à des préoccupations sécuritaires ? Comment ignorer, par exemple, les liens entre le Hamas et les Frères Musulmans, organisation que le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi s’échine à maîtriser ?

Enfin, Donald Trump, à l’initiative de cette proposition de déplacement temporaire et non de déportation, est présenté comme « un homme ignorant échafaudant dans sa petite tête un projet impossible à réaliser ». Rappelons pour mémoire que les accords d’Abraham prévoyant la normalisation des relations entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été signés à l’initiative de l’administration Trump en septembre 2020. Une bien plus grande contribution pour la paix que cette tribune qui revêt des airs de mauvais procès fait à Israël ne le sera jamais…


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/gaza-larete-impossible-a-avaler-dans-la-gorge-disrael-par-selim-nassib-20250304_EVVOLLP6KRDZFDCCTSBGFAJBQU/

Spécialités très locales

Si vous aimez les spécialités culinaires très lointaines, vous trouverez votre bonheur du côté de Vitry-sur-Seine. Entre viande de pangolin ou d’antilope, la nourriture made in Africa arrive en France avec son lot de maladies…


Vitry-sur-Seine nous a estomaqués avec les images de son marché exotique où la viande se débite sur le pavé et la volaille se saigne sur le trottoir. Depuis des années, le maire PCF de Vitry essaie de le démanteler, parce que ce marché sauvage contrevient à toutes les règles économiques et sanitaires. Ce n’est pas une exception. À Paris, le marché interlope de Château-Rouge reste une référence. Marseille, Lyon, Toulouse ou Montpellier sont confrontés au même problème…

Sur ces marchés noirs, la communauté africaine peut dénicher des spécialités qui lui rappellent le pays : pangolin, singe, antilope, agouti, serpent… C’est ce qu’on appelle la viande de brousse. Les douanes font la chasse aux trafiquants, qui profitent des liaisons aériennes entre l’Afrique et Paris pour importer cette viande d’appellation incontrôlée dans leurs bagages. En 2023, 24 tonnes ont été saisies… C’est maigre, car il est impossible de contrôler tous les passagers.

L’an dernier, une mission interministérielle sur la lutte contre l’importation illégale de « produits carnés » a estimé que 273 tonnes de viande d’espèces sauvages seraient illégalement importées chaque année depuis l’Afrique via l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Et souligné le risque sanitaire. Ces sales bêtes, même mortes, véhiculent des maladies qui – comme l’Ebola ou le sida – franchissent allégrement la barrière des espèces pour contaminer l’homme. La mission a également dénoncé la complicité des compagnies assurant le trafic aérien avec l’Afrique, qui pour le prix d’un seul billet, offrent aux passagers la possibilité d’embarquer deux bagages de 23 kg, le second servant souvent de garde-manger. La solution serait de limiter les bagages. Air France a immédiatement fait savoir qu’elle s’opposait à une telle mesure, « nuisible à sa compétitivité ». En tolérant la valise « alimentaire », la compagnie assure ainsi l’immunité à une chair pourtant pas toujours très fraîche…

Timur Kuran: l’islam est-il vraiment incapable d’évoluer?

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Des femmes iraniennes participent à la cérémonie de la Journée de l'Arbaïn à Téhéran, 25 août 2024 © Iranian Supreme Leader'S Office//SIPA

L’islam est-il condamné à l’immobilisme ? L’idée, souvent avancée, d’une religion incapable de s’adapter à la modernité repose-t-elle sur des faits ou sur des préjugés ? Timur Kuran analyse dans son livre l’avenir de cette religion à travers son ancienneté et tout ce qui l’a transformée pour lui donner sa forme actuelle.


Timur Kuran (en 2009) économiste américain © Wikipédia

Timur Kuran est un économiste américain. Il est d’origine turque certes, mais néanmoins c’est un Américain pour qui la loi française sur les signes religieux de 2004 indique une régression des libertés en Occident : « De toute évidence, le maintien d’un ordre libéral est une lutte constante, même en Occident, son berceau ». Il a publié, en 1995, un livre fondamental sur la falsification des préférences1.

Son nouveau livre est l’approfondissement d’un précédent livre publié en 2010 dans lequel Timur Kuran mettait en garde contre une pensée fainéante se contentant d’un jugement définitif sur l’incapacité de l’islam à évoluer2. Il y explore les raisons du retard du Moyen-Orient – région du monde la moins libre – sur l’Occident et cherche, dans son histoire, les ressources d’une libéralisation qu’il ne juge pas impossible.

Le Moyen-Orient auquel il s’intéresse comprend tous les pays qui le composent habituellement, sans Israël mais avec la Turquie et l’Iran.

Il distingue une pré-modernité qui commence en 613 avec la fondation de la 1ère communauté islamique et se termine autour de 1820, une période de modernisation jusqu’à la fin de l’Empire ottoman, suivie d’une période de modernité. Dans la pré-modernité il isole deux périodes : 1) 613-661 ; 2) 661-900, années pendant lesquelles s’élabore la loi islamique classique.

Qu’est-ce qu’un waqf ?

Tant que la taille de la communauté musulmane resta modeste, les affaires purent être conduites par consentement mutuel, comme il est recommandé dans le Coran. Ce ne fut plus le cas lors de son extension. Les conquérants, payés par les terres conquises et à la recherche d’un abri fiscal, fondèrent des waqfs qui devinrent une institution islamique clef.

Le waqf n’est pas mentionné dans le Coran et émergea après la mort de Mahomet. Il était ce qui, au Moyen-Orient, se rapprochait le plus d’une entreprise privée. Un individu faisait de ses biens une dotation dont les revenus finançaient des services définis à perpétuité après avoir été ratifiés par un juge. Il était géré, sous l’œil d’un juge, par un intermédiaire désigné, souvent à vie, par le fondateur qui avait mis par écrit les procédures de succession. Le waqf était un moyen de protéger la propriété privée de la prédation du sultan, une assurance pour la famille et les descendants du fondateur car il était mal vu de s’emparer d’un waqf, considéré comme sacré. Ce qui a incité les élites à y placer leurs richesses au détriment d’investissements plus productifs. À partir de 800, certains grands waqfs furent établis par la dynastie au pouvoir et ses plus hauts responsables. En somme, des sortes de « waqfs d’État » qui les protégeaient d’une perte d’influence. Dans les années 1700, 68,5 % des waqfs anatoliens avaient été créés par des dirigeants, y compris religieux. Exclus de fait, chrétiens et juifs fondèrent des entreprises privées.

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En incluant les waqfs dans le système institutionnel islamique, les califes arabes des années 700 ont certes réduit leur capacité fiscale mais en échange de bénéfices certains : divers services financés par de riches élites non engagées politiquement.

Le système waqf dessine un monde statique qui n’envisage ni inflation ni progrès technique ni gestionnaire incompétent ni coalition, la loi interdisant aux waqfs de s’unir pour régler un problème commun. Si les concepteurs du waqf avaient prévu des possibilités de changements, ces derniers étaient limités à ceux mentionnés par le fondateur. Par exemple, si celui-ci avait prévu un seul échange d’actifs, une fois ce dernier réalisé, il devenait inaliénable. Même pour les « waqfs d’État », rester efficace devint difficile. Les waqfs actuels bénéficient d’une plus grande liberté managériale, même si celle-ci nécessite des contorsions pour rester en ligne avec l’esprit du fondateur.

Le waqf fut une source de stabilité politique mais aussi de passivité de la société civile. Un système qui s’est auto-entretenu avec des participants qui avaient intérêt à le préserver et des bénéficiaires qui, privés de pouvoir, s’étaient habitués à une consommation passive et n’avaient aucune idée de la représentation de leurs priorités personnelles. Au Moyen-Orient, les quelques manifestations d’opposition n’eurent rien de comparable à ce que connut l’Europe dans les 19ème et 20ème siècles. Cette stabilité politique a limité la croissance économique du Moyen-Orient et fragilisé ses dirigeants par rapport à une Europe où les équivalents des waqfs étaient plus flexibles, dans des sociétés qui se démocratisaient et se libéralisaient.

Recours à la ruse et la corruption pour contourner l’inadaptation des waqfs

Jusque vers 1800, les juges ont, en cas d’urgence, autorisé les waqfs à s’éloigner des instructions des fondateurs. Ce qui conduisit à des abus et des pots de vin dont les dirigeants s’accommodèrent en raison des petits salaires des fonctionnaires. Corruption qui ne fut pas cantonnée aux waqfs. Une des ruses consistait à réécrire l’acte du waqf considéré perdu, volé, endommagé ou modifié illégalement. Certaines ruses visaient l’enrichissement sous prétexte d’améliorer le service, avec partage de pots de vin avec le juge. Les gens constataient ces abus de privilège et leurs effets : détérioration des services et perte d’intégrité. Cette flexibilité des waqfs, si elle fut positive, accoutuma les sociétés à contourner la loi et eut des effets néfastes à long terme. Les dirigeants n’ont jamais vu dans le waqf un facilitateur de l’engagement civique, mais un abri fiscal et patrimonial et un instrument pratique pour fournir des services sociaux à une élite choisie.

Le waqf islamique est devenu une relique

Nulle part le waqf ne s’est vraiment adapté. Toute réforme touchait à l’hérésie en raison de son caractère sacré. Cette absence de flexibilité était aussi un moyen d’éviter de donner trop de pouvoir aux responsables religieux3. Au début du 20ème siècle, la solution alternative fut de créer des sociétés en dehors du système. Des municipalités avaient même été créées avant et, dès le milieu du 19ème siècle, il fut possible que des services publics soient fournis en dehors des waqfs. Des organisations charitables aussi. Une modernisation facilitée par le fait que le waqf n’apparaît nulle part dans le Coran. En Turquie, même les waqfs à vocation religieuse fonctionnent aujourd’hui comme des entreprises semi-autonomes. En Égypte, ils se cantonnent aux mosquées et aux enterrements, même si d’autres services sont rendus par des fondations qui peuvent se dire waqfs.

Une vie civique « rabougrie » qui tolère le népotisme et la corruption

Au Moyen-Orient, si les ONG contribuent à la construction d’une société civile, surmonter l’héritage négatif des waqfs islamiques (solidarité et confiance confinées aux relations familiales et de voisinage) pourrait prendre des générations. Le mariage dans l’entre-soi, qui évite que les femmes n’emportent une partie de l’héritage hors de la famille a contribué à la fragmentation de la société et diminué l’incitation à s’organiser.

Banalisation de l’accusation d’apostasie

Se présentant comme le monothéisme parfait qui a rectifié les écritures corrompues par les juifs et les chrétiens, l’islam accueille toute conversion, mais la sortie est prohibée et punie. Cela remonte aux guerres d’apostasie d’Abou Bakr, après le refus de payer l’impôt qui suivit la mort de Mahomet. La demande de renégociation des traités par les chefs de tribus respectait pourtant la tradition islamique exigeant que toute transaction se fasse de personne à personne. La réponse militaire d’Abou Bakr visait à faire rentrer l’impôt et à montrer sa dureté en prévision des négociations à venir. Le 1er calife des Omeyades (661-680) condamna à mort pour apostasie afin d’éliminer ses opposants politiques. Pourtant cette mesure n’est pas vraiment étayée par le Coran où il est dit que la punition appartient à Dieu, le jour du jugement dernier et où aucun verset n’explicite le tort fait aux musulmans par celui qui quitte l’islam. « Le récit désormais traditionnel des origines de l’islam s’est développé plusieurs décennies après la mort de Mahomet en 632, avec rétroprojection de distinctions intercommunautaires qui ont progressivement pris de l’importance ». Musulman devint synonyme de croyant. Il est vrai que les versets des dernières années incitent les « croyants » au djihad pour nettoyer le monde de la corruption. Instaurer une liberté religieuse totale nécessiterait donc de contextualiser ces versets en les rapportant aux spécificités du 7ème siècle. Des précédents existent. C’est le cas de l’esclavage. S’il est question de l’émancipation des esclaves dans le Coran, c’est bien parce que l’esclavage était permis. Aucun État ne demande aujourd’hui sa relégalisation.

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Mais le littéralisme l’a emporté. Le blasphème et l’hérésie ont été de plus en plus mis en avant. De la moitié du 15ème siècle à la fin du 16ème, l’Empire ottoman connut une homogénéisation sanglante qui n’a rien à envier à l’inquisition espagnole. La répression a varié avec le temps, les nécessités du moment et l’étendue des falsifications des préférences religieuses allant jusqu’à des crypto-conversions. D’une certaine manière, écrit Timur Kuran, la situation des juifs et des chrétiens était alors moins défavorable. Même s’ils étaient interdits de prosélytisme, ils jouissaient d’un statut légal, inférieur il est vrai.

Modernisation des sociétés et marginalisation de l’islam

La perte de territoires lors de la colonisation, la nécessité d’emprunter aux Européens et le constat du niveau de vie supérieur des chrétiens et des juifs de l’Empire ottoman poussa à une modernisation qui marginalisa les chefs religieux. Commencée en 1839 avec l’édit annulant les privilèges réservés aux musulmans, le paquet de réformes qui suivit (Tanzimat) transplanta les institutions européennes et exclut les responsables religieux des fonctions sociales qu’ils exerçaient. Mais le Tanzimat aboutit à un ordre hybride préservant les tribunaux islamiques et les programmes scolaires. Néanmoins, c’est la Turquie qui est allée le plus loin dans la séparation de la mosquée et de l’État du temps du kémalisme.

Comme les gouvernants avaient enfermé leur peuple dans un état d’ignorance qui avait appauvri et déclassé militairement les sociétés musulmanes, les réformateurs pensaient que leur modernisation nécessitait de restreindre les libertés religieuses et d’éviter ainsi le fanatisme religieux. Timur Kuran leur reproche de ne pas avoir su distinguer entre une piété bénigne et un islam coercitif.

Retour de bâton islamiste

Le mécontentement populaire en milieu rural et dans les quartiers urbanisés pauvres conduisit les sécularistes à adoucir leurs positions. Tout en réprimant les groupes opposés aux réformes, ils firent des concessions à l’islam le plus visible. La falsification des préférences s’inversa. Au lieu de cacher leurs pratiques, les dévots et dévotes se montrèrent avec barbe et voile en public. Ce qui encouragea les plus timorés à les suivre. Des religieux charismatiques dénigrèrent le sécularisme, ramenant ainsi l’islam dans l’espace public (Hassan al-Banna en Égypte, Khomeini en Iran par exemple), et devinrent plus populaires que l’establishment sécularisé. Lequel prit des mesures de répression sévères qui provoquèrent à nouveau une falsification des préférences côté islamiste, mais pour un temps seulement. En Égypte, le mouvement des Frères musulmans, dissout du temps de Nasser, devint le mouvement le plus influent d’une société anémiée dès les premiers relâchements sous Sadat. Avec le temps, l’islam revint dans la vie publique. Les hommes d’État recommencèrent à aller à la mosquée le vendredi. La falsification des préférences avait changé de camp. Dans ces sociétés anémiées, il a fallu du temps et les migrations de ruraux dans les villes pour que le mouvement prenne de l’ampleur.

La réussite des chrétiens et des juifs, qui pouvaient faire des affaires sous un système légal autre que la loi islamique, exaspérait les musulmans. Cela se traduisit par des migrations, des exodes et des massacres (cf. Arméniens). En 2010, les chrétiens ne représentaient plus que 2,7 % de la population du Moyen-Orient et les juifs 0,01 % contre réciproquement 9 % et 0,9 % en 1914.

L’alternance des falsifications des préférences religieuses entre sécularistes et islamistes n’a pas empêché la reprise d’institutions propres aux uns par les autres. Ainsi, en Turquie, le Diyanet fondé par les réformateurs sécularistes pour privilégier un islam accepté par l’État sera récupéré par les islamistes pour imposer leur version de l’islam. Entre 2011 et 2021, les cas de blasphème traités par les tribunaux égyptiens ont doublé. Timur Kuran parle d’une désislamisation cachée dans tout le Moyen-Orient, forcément difficile à mesurer.

Mais un mécontentement caché peut ne plus l’être lorsqu’il touche une masse critique d’opposants et peut alors entrainer un effet domino comme ce fut le cas avec la chute du mur en Allemagne en 1989. Ce moment est imprévisible et les gains peuvent être éphémères. D’après Timur Kuran, le passage par des moments où l’on doit cacher ses préférences en menant une double vie pourrait rendre plus accommodant lorsqu’il devient possible de vivre au grand jour.

Absence de schisme donnant naissance à un islam libéral

Le schisme sunnisme-chiisme, s’il a donné lieu à des excroissances illibérales (al-Qaïda, Talibans, ISIS, Boko haram, Al-Qurban…), n’a pas été menacé, jusque-là, par des tentatives libérales. Frères musulmans, wahhabites, ISIS et islam officiel de Turquie et d’Égypte partagent une identité sunnite. Pour qu’émerge une variante libérale, il faut qu’existe un espace spirituel vide. Nombre de musulmans considèrent les rituels dépassés, les responsables religieux peu scrupuleux et la discrimination féminine inacceptable, mais un large mécontentement n’est jamais suffisant pour faire surgir une mobilisation. C’est ce mécontentement qui avait conduit les modernistes à marginaliser l’islam au 19ème et au début du 20ème siècle.

Dans le sunnisme, l’absence d’organisation centralisée aurait pu conduire à une ouverture, mais le manque d’autonomie des mosquées et des congrégations a été un obstacle à un schisme pacifique. Quand, dans les années 1800, des agences d’État ont contrôlé – et même dirigé – les mosquées, les dissidents ne pouvaient en garder la propriété.

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La révolution iranienne de 1979 n’a pas débouché sur un retour au passé pré-Pahlavi. La théocratie iranienne est une innovation chiite, comme ses obligations et sa hiérarchie. Le clergé comptait 20 000 clercs en 1979, 350 000 en 2008. L’ordre institutionnel iranien est incohérent. Ainsi, alors que la législature iranienne a ratifié la convention des Nations unies contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, le Conseil des gardiens de la révolution la considère non-islamique.

Un jeune homme dans la rue à Téhéran fume une cigarette, juillet 2022 © Mikhail Tereshchenko/TASS/Sipa U/SIPA

Les seuls à défier le partage entre sunnisme et chiisme sont les Ahmadhis dont le fondateur, Mirza Ghulam Ahmad, se présentait comme le dernier prophète, véritable hérésie pour tout musulman traditionnel. Persécutés, leur quartier général fut transféré à Londres en 1984. Même les régimes plus ou moins libéraux sont hostiles à une libéralisation de l’islam pour ne pas avoir l’air de rompre avec l’islam traditionnel. Les modernisateurs sécularistes n’ont pas cherché la scission. Ils voulaient contrôler ou éliminer l’islam. Le mouvement soufi aurait pu être propice à une réforme libérale, mais il est resté marginal.

Faible écho de l’activisme libéral

Si l’islam n’a pas de dénomination ouvertement libérale, cela tient au fait que les libéraux sont non-violents et que les régimes politiques, pour leur survie, s’accrochent aux organisations existantes. Les idées libérales ne sont tolérées par les politiques que si elles ont peu d’écho. Menacés d’apostasie s’ils parlent ouvertement, les libéraux ont du mal à faire des adeptes. Ce qui compte, ce n’est pas tant ce que dit le Coran que ce que les musulmans considèrent comme faisant autorité. Par ailleurs, les bénéficiaires potentiels d’une version libérale de l’islam ne sont pas organisés, en partie en raison des sorties de l’islam ouvertes ou cachées. Dans des enquêtes anonymes au Moyen-Orient, les non-religieux et athées représentaient 15,2% en 2010-20144 et étaient ainsi probablement moins nombreux que ceux qui espéraient une version plus moderne et libérale de l’islam. L’alliance des deux pourrait permettre de promouvoir un islam moins intrusif, mais elle suppose que se réduise la peur d’être dénoncé pour apostasie.

Zakat : une occasion manquée

Du temps de Mahomet, la zakat fut la clef de voute du système fiscal. Elle aurait pu former la doctrine de base d’une taxation prévisible et d’un gouvernement limité mais efficace, sécuriser les droits de propriété et entraver une taxation arbitraire. Mais, en une génération, elle devint un véhicule de l’aumône. Son éclipse mit le Moyen-Orient sur la voie du sous-développement et de la répression observée aujourd’hui.

Quand Mahomet était à la Mecque, la zakat était un impôt proportionnel5 acquitté une fois par année lunaire, avec un seuil d’exemption. Le système s’effondra sous le poids des exemptions accordées aux groupes puissants. Après 660, les pratiques fiscales évoluèrent sans référence aux huit types de fonctions mentionnées dans le Coran et, avec le temps, les nouvelles taxes furent décidées arbitrairement par les gouvernants. Quand l’islam devint une religion mondiale, la zakat cessa de jouer un rôle majeur dans les finances publiques et devint un rituel personnel. Mais, avec cette redéfinition, tomba la barrière aux expropriations arbitraires. Si elle avait gardé son sens originel, l’extorsion et la taxation opportuniste auraient pu être déclarées non islamiques. Quand le waqf entra dans le système institutionnel islamique, la zakat n’était plus obligatoire. Transformée en aumône elle visait plus une purification personnelle et une légitimation de ce que le donateur conserve pour lui-même qu’une élimination de la pauvreté. C’est comme pour l’esclavage, le Coran promeut la libération des esclaves sans condamner l’esclavage.

Inadéquation des institutions commerciales et financières de l’islam classique

Le Coran bannit l’usure (riba) qui régulièrement aboutissait à esclavagiser des emprunteurs incapables de rembourser. Mais ce fut interprété comme le bannissement de toute forme d’intérêt. Ajoutons que prêteurs et emprunteurs étaient généralement des individus, les 1ères banques n’apparaissant qu’autour de 1860 (1889 en Iran, banque fondée par des investisseurs britanniques). Les services financiers furent longtemps des activités secondaires de marchands. Apparurent dans les années 1500, des « waqfs à cash » en Anatolie et dans les Balkans. Ils utilisaient une dotation liquide pour faire des prêts à intérêt, contraires non seulement à la loi islamique mais aussi à l’inamovibilité des biens du waqf. Sont apparus aussi, dans ces années, des Gediks, sorte de marchés boursiers pour des entreprises, qui étaient alors dépourvues de personnalité juridique, et peu adaptés aux grandes entreprises de l’ère industrielle. Ce marché fut dominé par les chrétiens et les juifs qui pouvaient choisir leur système légal mais ne pouvaient pas constituer de waqfs, mesure qui, finalement, fut pour eux une opportunité. Ajoutons que, d’après la loi islamique, dans une affaire, les partenaires peuvent se retirer quand ils veulent, provoquant ainsi des liquidations et la division des biens, d’autant que les lois d’héritage favorisent leur dispersion.

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Après l’édit de 1839 de l’empire ottoman, les chrétiens, et les juifs dans une moindre mesure, en dépit de discriminations religieuses persistantes, atteignirent des positions élevées alors que les financiers et marchands musulmans restèrent à l’écart des décisions majeures de modernisation. On sous-estime leur rôle et celui des Européens, notamment des Grecs (qui firent sécession en 1832), dans le réveil au Moyen-Orient. Les dirigeants musulmans commencèrent à imputer le retard de cette région aux responsables religieux et conduisirent des réformes, tout en favorisant les musulmans dans les contrats avec l’État. La plupart des grandes entreprises modernes ont soutenu les gouvernements en place en échange de protection, de privilèges ou d’indifférence.

Le programme des islamistes – réislamiser la société tout entière – voué à l’échec

Les islamistes ont mis sur le dos de la colonisation et de la sécularisation la perte de la centralité de l’islam et ont cherché à restaurer les institutions islamiques mais de manière sélective. Seule l’Arabie saoudite, entrée en résistance contre l’Empire ottoman, réintroduisit la zakat dans le système fiscal. Si Maududi et Qubt voulaient réinstaurer la zakat, leur référence était l’économie du 7ème siècle. En faisant de la zakat une caricature et en voulant la rendre obligatoire, ils ont renforcé l’impression d’une religion dépassée, déconnectée des problèmes sociaux et diffusé l’image d’un islam se résumant à une machine à prohiber. Dans les faits, les pratiques financières islamiques ont suivi les pratiques conventionnelles, avec l’approbation tardive des experts de la charia. Ce fut le cas avec les cartes de crédit pour lesquelles l’intérêt a été rebaptisé « frais de transactions » et dont certaines comprennent une puce indiquant la direction de la Mecque. La double vente, censée camoufler l’intérêt, obscurcit la tarification des risques et favorise la corruption. La finance islamique comme pratique religieuse incite à la falsification des préférences et contribue à la persistance d’une faible liberté religieuse.

En pratique, les musulmans violent la loi islamique sans arrêt. Lors d’un achat en ligne avec une carte de crédit islamique, le musulman viole l’obligation du face à face dans toute transaction et l’interdiction de l’intérêt. La dissimulation des arrangements consentis par les islamistes légitimise la malhonnêteté, affaiblit la force de la loi et alimente la méfiance entre islamistes et sécularistes.

Timur Kuran pense qu’un mouvement en faveur d’une certaine libéralisation n’est pas impensable, mais nécessite de distinguer, dans le Coran, les versets sans limite et de portée universelle de ceux spécifiques au 7ème siècle. Cette libéralisation requiert des organisations civiques fortes et une séparation des pouvoirs. Elle suppose aussi l’élimination du risque d’être accusé d’apostasie ou de blasphème, notamment par une opposition forte et structurée de ceux qui, en cachette pour l’instant, souhaitent sa disparition. J’ajoute qu’elle nécessite aussi une contextualisation des hadiths, quasiment jamais évoqués par Timur Kuran, et l’abandon de beaucoup d’entre eux. Timur Kuran pense qu’une action collective est plus facile aujourd’hui après la modernisation institutionnelle. Pour lui, même s’il risque de prendre plusieurs générations, « le processus de libéralisation du Moyen-Orient n’est, en aucun cas, dans une impasse ». Conclusion hardie, mais nourrie d’un examen minutieux de l’évolution historique du Moyen-Orient depuis l’apparition de l’islam. Sans réussir à nous convaincre tout à fait, cet examen donne à réfléchir.

Cet article est issu du blog de la démographe Michèle Tribalat.


  1. Private Truths, Public Lies. The Social Consequences of Preference Falsification, Harvard University Press, 1995. Voir ma note ici ↩︎
  2. The Long Divergence: How Islamic Law held Back the Middle-East, Princeton University Press, 2010. ↩︎
  3. Je traduis « clerics » ainsi. ↩︎
  4. World Values Survey Round Six (2010-2014). ↩︎
  5. 2 % des biens et 10 % des revenus. ↩︎

FREEDOMS DELAYED Political Legacies of Islamic Law in the Middle East, Timur Kuran, Cambridge University Press, Timur Kuran, 2023, 430 p. 

Freedoms Delayed: Political Legacies of Islamic Law in the Middle East

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Fort à l’extérieur, faible à l’intérieur

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Emmanuel Macron à la télévision, 5 mars 2025 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Dans son allocution télévisée du 5 mars, le président Macron a qualifié la Russie de menace pour l’Europe, suscitant de vives et inélégantes réactions de Moscou. Cependant, les partis aux deux extrémités de l’hémicycle de l’Assemblée nationale ont beau jeu de souligner que cette posture offensive contraste avec son impuissance face aux défis intérieurs, notamment l’islamisme radical et les tensions avec l’Algérie.


Après le « nous sommes en guerre » de mars 2020 face au Covid-19, Emmanuel Macron monte désormais de plusieurs crans dans la gravité. Ce mercredi 5 mars, lors d’une de ces allocutions solennelles dont il affectionne l’exercice, le président français a tenu un discours inédit, tant celui-ci s’est montré critique de la Russie et pessimiste sur les perspectives de paix en Europe.

Contexte martial

« La Russie tente de faire du conflit ukrainien un conflit mondial » […] « Qui peut donc croire dans ce contexte que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine? La Russie est devenue pour les années à venir une menace pour la France et pour l’Europe. » Ces déclarations extrêmement offensives, et peu opportunes à l’approche d’une potentielle phase de négociations de paix, n’ont pas manqué de faire réagir la porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, qui a aussitôt qualifié le président français de « conteur » et d’être « déconnecté de la réalité », et estimant qu’il « devra s’excuser auprès de sa propre population pour l’avoir induite en erreur ». De son côté, l’ancien président Medvedev a réagi avec humour au travers d’un post sur X : « Micron (sic) ne représente pas une grande menace. Il disparaîtra définitivement au plus tard le 14 mai 2027. Et il ne nous manquera pas ».

La Russie est sans aucun doute une menace pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et le démontre depuis au moins février 2022. Néanmoins, affirmer que la Russie, après avoir garanti ses conquêtes territoriales en Ukraine, s’attaquera aux pays baltes, à la Pologne, à la Moldavie voire à l’Europe de l’Ouest, tels sont des scénarios un peu déconnectés de toute logique stratégique et militaire. Evidemment, les experts en géopolitique apparus depuis trois ans et autres généraux à la retraite confortablement assis à la chaleur des caméras des studios de télévision parisiens expliqueront que c’est une éventualité très sérieuse, et étayée par les services de renseignement allemands et danois. Doutons néanmoins de la crédibilité de tout ce petit monde qui, en 2003, avait accusé en cœur et à tort l’Irak de Saddam Hussein de détenir des armes de destruction massive, avec les conséquences funestes que l’on sait…

A lire aussi, Richard Prasquier: Trump et le nouveau monde

Dans un entretien fleuve publié cette semaine à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, l’ancien Premier ministre François Fillon relativise l’alarmisme ambiant concernant la menace russe  : « La Russie est une menace infiniment moindre que celle de l’islam radical, idéologie pernicieuse qui prospère sur une grande partie de notre territoire » […] « L’islamisme radical gagne du terrain en Europe où une partie croissante des populations de religion musulmane se plient aux règles d’un islam radical, autoritaire, liberticide, qui représente un danger réel et immédiat pour nos valeurs et notre mode de vie ».

Et l’Algérie ?

Car si Emmanuel Macron montre les muscles et délivre des discours martiaux concernant la Russie de Vladimir Poutine, il fait preuve d’une abyssale faiblesse lorsqu’il s’agit de combattre l’islamisme qui tue à intervalles réguliers dans l’Hexagone, à expulser les clandestins sous OQTF, ou encore à faire respecter les intérêts français piétinés par l’Algérie. Algérie qui, pour rappel, enferme dans ses geôles l’écrivain franco-algérien de 75 ans Boualem Sansal, depuis novembre 2024.

Malgré des tensions diplomatiques depuis plusieurs mois entre la France et son ancien département devenu indépendant en 1962, le président Macron s’est montré totalement impuissant à faire valoir la voix de la France, et à protéger l’intellectuel et homme de lettres, qui entame désormais une grève de la faim malgré sa santé précaire.

L’extrême mobilisation du président français sur la scène européenne et internationale dans le sujet ukrainien doit donc être considérée à l’aune de sa grande faiblesse sur la scène intérieure, où il s’est montré impuissant depuis sa réélection à faire respecter l’ordre, les frontières nationales, et à juguler la menace existentielle et concrète de l’islam radical violent.

Depuis son échec de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, cette fin de second quinquennat d’Emmanuel Macron a tout d’une fin de règne crépusculaire. Sa stratégie d’investir l’international pour ne pas parler de ses échecs intérieurs est vaine voire risquée. Surtout lorsque le pays qu’il incrimine violemment est celui comptant le plus de têtes nucléaires. Le monde a plus que jamais besoin d’hommes de paix, de compromis et de dialogue. Pas de pompiers pyromanes prêts à tout pour s’assurer une légitimité.

Causons ! Le podcast de Causeur

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Le président des États-Unis Donald Trump dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC, États-Unis, le jeudi 6 mars 2025 © CNP/NEWSCOM/SIPA

Avec Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


L’eurodéputée Rima Hassan doit-elle être déchue de la nationalité française? C’est ce que prétendent un certain nombre de personnalités politiques de droite, notamment Marion Maréchal. Christian Estrosi, le maire de Nice, la somme de démissionner du Parlement européen, et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, l’accuse d’avoir tenu des propos « qui relèvent de l’apologie du terrorisme ». En effet, au cours d’une intervention sur SudRadio, le 27 février, la pasionaria de l’islamogauchisme a prétendu que les enfants Bibas et leur mère n’avaient pas été assassinés et que globalement l’action du Hamas est « légitime du point de vue du droit international ». Martin Pimentel analyse cette polémique pour conclure que Rima Hassan et ses collègues LFI en profitent pour se victimiser une nouvelle fois. Et même si Rima Hassan était expulsée de la France, elle reparaîtrait sur une chaîne de télévision étrangère ou sur YouTube pour diffuser sa propagande dans nos banlieues communautarisées.

On répète partout en ce moment que Trump laisse tomber l’OTAN et que l’alliance atlantique est finie. Le chef de l’Etat français a pris la parole à la télévision mercredi 5 mars pour souligner la nécessité d’un réarmement européen. Car ce serait la seule façon de réagir à la menace que représente la Russie et au changement d’attitude des Etats-Unis par rapport à l’Ukraine et la défense du Vieux Continent. Mais selon Jeremy Stubbs, nous ne savons pas encore où Donald Trump veut nous mener. La plupart des commentateurs européens semblent croire qu’ils lisent dans les pensées du président américain comme dans un livre ouvert. Ce qui est certain, c’est qu’il faut qu’on se comporte comme si, sur des questions de défense et de sécurité, on allait devoir enfin voler de nos propres ailes.

Pouvoir des femmes, femmes de pouvoir?

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Valérie Toranian, directrice de la rédaction du journal "Le Point" © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Où en sont les femmes ? Le magazine Le Point dirigé par Valérie Toranian (notre photo) fait cette semaine l’état des lieux en 2025 de leur situation en France et dans le monde. À la veille de la Journée internationale des droits des femmes (Sainte Gonzesse © Causeur), Philippe Bilger a lu le dossier…


Une du 6 mars du Point © Le Point

Le Point est un hebdomadaire que j’aime lire et que j’apprécie beaucoup malgré sa double obsession : dire du bien de Nicolas Sarkozy et célébrer les avocats. À part cela qui est supportable, il y a surtout l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert, à la fois fulgurant et primesautier, ainsi que les dossiers spéciaux souvent passionnants consacrés à des thèmes dominants. Par exemple celui qui traite cette semaine « du pouvoir des femmes ».

Je me souviens d’Odile Dhavernas, avocate, brillante féministe, qui avait écrit il y a longtemps un livre qui avait fait beaucoup de bruit dans le milieu intellectuel : Droits des femmes, pouvoir des hommes. Son titre dénonçait, derrière les droits qui leur étaient concédés, la vraie faiblesse des femmes – au sens classique du pouvoir : une fois l’apparence dépassée, l’hégémonie virile n’avait guère été entamée.

Amalgame de l’autorité et du charme

Il me semble qu’aujourd’hui nous n’en sommes plus là et qu’au moins sur le plan théorique, le débat ne porte plus sur l’égalité des droits. Même plus sur le pouvoir qui est de plus en plus partagé malgré des zones d’effacement féminin et des pratiques personnelles, familiales et sociales pas encore à la hauteur du progressisme souhaité.

Tout de même je suis inquiet quand les femmes cherchent à rivaliser avec le monde viril, dans la lumière et dans l’affirmation de soi, par une sorte de mimétisme à instaurer entre femmes et hommes de pouvoir. Comme si la similitude était obligatoire et le comportement des hommes à prendre pour modèle.

Sans doute suis-je d’autant plus sensible à cette question que je n’ai jamais tourné en dérision le point de vue de Sandrine Rousseau sur « l’homme déconstruit ». Même si j’ai toujours été incapable, grâce à l’adorable complaisance de mon épouse et à ma propre incompétence pas seulement fabriquée, de partager les tâches domestiques – les aimables diront que c’est une affaire de génération ! -, en revanche je n’ai jamais été épris de l’image de la virilité traditionnelle telle que le commun des citoyens l’appréhende.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Pour en finir avec le « e féminisant »

De sorte que, dans cette revendication du pouvoir des femmes, je nourris l’angoisse que, par facilité et paresse, les femmes de pouvoir n’aient pas d’autres ambitions que de se camper, fières d’elles, dans la lignée de celui des hommes. Ainsi, autant j’approuve Laura Chaubard, à la tête de l’École polytechnique, qui demande qu’on « cesse de parler de Marie Curie » pour privilégier les modèles d’aujourd’hui, autant je frémis à l’idée de Nathalie Collin, directrice d’une branche importante de La Poste, qui invite « à apprendre à agir comme les hommes ».

Dans mon expérience même relative des lieux et des métiers de pouvoir, je pense absolument l’inverse. Même s’il est incontestable qu’un socle commun existe, je persiste à considérer pourtant qu’une manière totalement féminine, voire délibérément féministe, d’exercer le pouvoir est possible et d’ailleurs souvent effective.

Batailleuses

Il suffit d’observer, sur les plateaux médiatiques, l’aptitude au dialogue tranquille de la plupart des femmes quand l’autre sexe bataille volontiers. Il y a des vertus qui dans les conduites professionnelles n’appartiennent qu’aux femmes ou alors à des hommes tellement conscients de leur part de féminité qu’ils empruntent des chemins moins conventionnels dans leur pratique de direction.

Rien ne serait pire pour la cause des femmes que d’aspirer, où que ce soit et à tous niveaux, à devenir seulement la copie conforme des hommes dans leur définition banale ou, plus singulièrement, des hommes de pouvoir, des hommes qui ont réussi.

Les femmes sont trop importantes et précieuses pour ne se vouloir que les habitantes d’un territoire indivis. Elles ont droit véritablement à leur indépendance et à leur autonomie. Dans une distance sereine d’avec les hommes, pas dans une guerre des sexes de chaque seconde. Dans MeeTooMuch ? que je viens de publier chez Héliopoles, j’ai adressé ma dédicace « à toutes les résistantes ». Je ne suis pas très éloigné de Valérie Toranian qui en synthétisant ce dossier spécial dit que « le pouvoir des femmes, c’est aussi celui de faire changer les choses ».

Voilà une incitation qui a le mérite de valoir pour les deux sexes !

MeTooMuch ?

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Les trumpistes tricolores: trouble allégeance…

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De jeunes partisans regardent Donald Trump lors d'un rassemblement de campagne au Lee's Family Forum, le jeudi 31 octobre 2024, à Henderson, Nevada © Julia Demaree Nikhinson/AP/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Ils voudraient que je ne voie pas certaines choses, et que je n’en parle pas. De quoi est-il question ? D’une incroyable pensée hémiplégique qui s’est peu à peu répandue depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Il faut ici prendre date car nous n’en sommes qu’au début. Ça va enfler, gonfler jusqu’à devenir un très beau et très gros éléphant dans la pièce.

Quand il m’est arrivé d’en faire l’observation, lors de débats sur les écrans ou sur les ondes, ils ont esquivé. Les plus malicieux ont fait semblant de ne pas comprendre, les autres de ne pas entendre. Si cela continue, si nous n’arrivons pas dans les prochaines semaines à en débattre comme on le fait sur d’autres sujets, cela sera pour moi comme un aveu : il faudra en conclure que, pour ces nouveaux libertariens, il y a des sujets interdits et d’autres qui ne souffrent pas la contradiction. Paille et poutre ?

Ils sont les nouveaux trumpistes tricolores. Comme leur nouvelle idole, ils n’étaient pas prêts lors du premier mandat. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, ils assument crânement et même avec une forme de jubilation le changement d’époque. Ils rêvent d’un alignement des planètes pour 2027 au plus tard. Alors, ils font au plus vite quelques embardées, sans voir qu’ils trahissent leurs propres trajectoires idéologiques.

Ils aiment les frontières, mais ils applaudiront une rencontre Trump-Poutine en Arabie saoudite. Il y a trois ans, la Russie a envahi l’Ukraine. L’intégrité territoriale d’un État souverain a alors été piétinée. Or, il se dit que la Russie va obtenir un accord de « paix » lui permettant de maintenir sa présence sur 20 % du territoire ukrainien et de se préparer militairement à d’autres offensives, comme le laissent penser ses programmes d’armement avec 10 % de son PIB désormais consacré à cet objectif. Et pas un mot sur les propos détestables de Trump sur le président Zelensky.

Ils aiment la souveraineté et détestent les influences étrangères. Tout occupés à traduire le MAGA dans la langue de Molière, à chercher dans leur playlist un YMCA tricolore, ils n’ont rien trouvé à redire sur l’ingérence américaine vis-à-vis de l’élection législative en Allemagne. Accepterions-nous une telle situation pour notre propre pays ? Que l’homme le plus riche du monde ne se contente plus d’agir sur la manière dont nous communiquons sur son réseau X, mais nous dise aussi pour qui nous devons voter ?

Les trumpistes tricolores semblent quand même avoir quelques frilosités avec la manière dont Steve Bannon, après Musk, a salué son public lors de la Conservative Political Action Conference. Jordan Bardella est parti. Sarah Knafo est restée. L’un et l’autre devront assumer politiquement les conséquences de la prochaine guerre commerciale. Ça va secouer.

Mais il y a d’autres sujets. Les influenceurs algériens, la protection de nos agriculteurs, la défense de nos filières industrielles, le contrôle de nos frontières, la liberté d’expression, l’indépendance…

La victoire du trumpisme traduit des réalités sociales, culturelles et électorales qui ne sont pas sans faire écho à des réalités hexagonales. Aucun parti politique ne devrait s’exonérer de cette réflexion. Quant aux trumpistes tricolores les plus ardents d’aujourd’hui, ils devraient déjà songer à ce qu’ils diront du Trump de demain. Ils ne pourront pas ignorer longtemps sa personnalité imprévisible et sa politique dont on connaît le seul et unique objectif : servir son pays, son oligarchie et son business.

Afrique du Sud: le meurtrier de l’ «imam gay» court toujours…

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DR

C’était le premier imam gay d’Afrique du Sud. Son mystérieux assassinat a révélé une face cachée de la nation « arc-en-ciel »


Le 1er mars 2025, la ville du Cap s’est parée de ses plus belles couleurs arc-en-ciel lors d’une marche des Fiertés improvisée. Habituellement festive, l’ambiance était particulièrement lourde de tristesse et de colère. La communauté homosexuelle a rendu hommage à Muhsin Hendricks, premier imam au monde à avoir revendiqué publiquement son homosexualité, assassiné de manière brutale. Un crime qui soulève de nombreuses interrogations et ravive les tensions autour de la place des minorités sexuelles au sein des religions dans cette partie de l’Afrique australe.

Un pays pionnier, mais encore marqué par l’homophobie

L’Afrique du Sud est souvent citée comme un modèle en matière de droits « LGBTQI+ » sur le continent africain. Dès la fin de l’Apartheid (1994), elle a été l’un des premiers pays à dépénaliser l’homosexualité et à inscrire la protection contre les discriminations dans sa Constitution. Pourtant, cette avancée législative cache une réalité plus sombre : les crimes homophobes restent fréquents et la société demeure profondément divisée sur ces questions, notamment au sein des ethnies africaines (selon un sondage de 2017, 24 % des Sud-Africains estiment que les personnes qui entretiennent des relations homosexuelles devraient être poursuivies comme des criminels).

Sous le régime de ségrégation raciale, l’homosexualité était déjà perçue comme une menace à l’ordre moral. Le gouvernement de l’Apartheid menait même des campagnes de persécution contre les homosexuels, notamment dans l’armée, où des soldats identifiés comme gays étaient « traités médicalement », soumis à des tortures ou castrés chimiquement. Un chapitre traumatisant de l’histoire raciale de l’Afrique du Sud qui a été mis en lumière avec le film  » Moffie » (tapette en Afrikaans) , sorti sur les écrans en 2019.

La fin de cette homophobie d’État a permis à certains, comme Muhsin Hendricks, d’affirmer leur identité au grand jour. Mais au sein des communautés religieuses conservatrices, l’acceptation a été loin d’être acquise.

L’itinéraire d’un homme en rupture avec la tradition

Né au sein d’une une famille musulmane pratiquante, Muhsin Hendricks se destinait à une vie conforme aux traditions. Parti étudié l’islam dans l’une des plus prestigieuses universités de Karachi, au Pakistan, il est revenu imam. Il s’est rapidement marié et a eu des enfants. Mais cette existence bâtie sur des conventions n’a pu masquer sa véritable identité très longtemps. « Au cours de la première année de mon mariage, j’ai réalisé que j’avais commis l’une des plus grosses erreurs de ma vie. C’était très éprouvant pour moi. J’ai fini par être déprimé », a-t-il déclaré dans un témoignage poignant.

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Son coming-out, en 1996, à l’âge de 29 ans, a provoqué un séisme. Tandis que son grand-père le condamnait en affirmant que cette révélation le mènerait « vers l’enfer », son père a pris sa défense, malgré les invectives de sa mère à son encontre. Rejeté par une partie de sa communauté, il a été démis des fonctions qu’il exerçait dans sa mosquée et licencié de la madrassa où il enseignait. Confronté à l’isolement, il s’est exilé dans une grange, en quête de réponses spirituelles. « Je me suis mis à jeûner jusqu’à ce que Dieu me donne une réponse sur ce que je dois faire de ma vie, sur le but de ma vie et sur ce qu’Il a prévu pour moi », expliquait Muhsin Hendricks de son vivant.

Une lutte pour la réconciliation entre foi et homosexualité

Plutôt que de se résigner, Muhsin Hendricks a finalement fait de son combat un engagement. En 2004, il fonde la Mosquée du Peuple du Cap, un espace inclusif destiné aux musulmans LGBT en quête de spiritualité. Mais, son initiative déclenche très vite une vague de critiques, mais aussi un immense espoir pour ceux qui cachaient leur orientation dans la communauté musulmane. Parallèlement, il crée « The Inner Circle » (TIC), une association visant à accompagner ces croyants un peu particuliers dans leur réconciliation entre foi et orientation sexuelle.

« TIC a commencé dans mon garage, après mon coming-out. Nous étions six à huit musulmans homosexuels qui nous réunissions chaque jeudi soir. Nous parlions de nos histoires très douloureuses, de l’islam et de notre identité sexuelle. Nous nous soutenions car il y avait beaucoup de larmes. Quelques années plus tard, TIC est devenue une organisation internationale, car il s’est révélé que cet espace était nécessaire à tous », expliquait-il encore il y a peu. Mais en brisant un tabou majeur, Muhsin Hendricks s’est attiré aussi de puissants ennemis. Pour certains religieux conservateurs, il n’était qu’un hérétique dont les enseignements remettaient en cause les fondements de l’islam. Si les menaces à son encontre étaient connues, son assassinat a cependant pris tout le monde de court.

Un crime non élucidé, des soupçons qui pèsent

Le 15 février 2025, Muhsin Hendricks a été froidement abattu dans sa voiture, en pleine rue. Les images de vidéosurveillance montrent une silhouette encapuchonnée sortir d’une camionnette, bloquer son véhicule, sortir une arme et tirer à plusieurs reprises à travers la vitre de sa voiture. Une exécution en règle.

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L’enquête piétine toujours depuis cette date et, à ce jour, aucun suspect n’a été arrêté. Face aux accusations implicites pesant sur certains groupes religieux, le Conseil judiciaire musulman d’Afrique du Sud (MJC) et le Conseil des oulémas unis d’Afrique du Sud ont rapidement condamné le meurtre, déclarant défendre « la coexistence pacifique et le respect mutuel, même en cas d’opinions divergentes ».

Parallèlement, la communauté musulmane sud-africaine s’est retrouvée sous les projecteurs dans un contexte politique tendu par la guerre entre le Hamas et Israël, la découverte de camps d’entrainement djihadiste sur son sol et un gangstérisme communautariste qui a fait des ravages. Bien qu’elle ne représente que 2% de la population, elle a gagné en visibilité avec le parti islamiste Al Jama-ah qui affirme représenter les intérêts des musulmans sud-africains. Ce mouvement, qui a brièvement occupé la mairie de Johannesburg entre janvier 2023 et août 2024, a fait partiellement introduire la charia dans la législation. Cependant, son influence demeure encore limitée à l’échelle nationale. En Afrique du Sud, où la violence à l’encontre des personnes homosexuelles reste un sujet tabou, son assassinat rappelle brutalement que les avancées légales ne suffisent pas à protéger ceux qui défient l’ordre établi. Pour ses proches et ses partisans, une seule certitude demeure : Muhsin Hendricks restera à jamais une figure emblématique de la lutte pour l’égalité et la justice.

L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

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Image d'illustration. La chaîne C8 a cessé d'émettre le vendredi 28 février, suite à la décision de l'Arcom © ROMAIN DOUCELIN/SIPA

L’instance censée « garantir une information pluraliste et indépendante » qui a décidé la fin de C8 (confirmée par le Conseil d’État) constitue un petit monde endogamique nourri de mantras progressistes. Ses salariés et dirigeants viennent du Conseil d’État, des médias publics et privés, des cabinets ministériels de gauche ou encore du CNC, bénéficiaire des amendes infligées aux chaînes. Enquête sur le gendarme de la liberté d’expression.


En dépit d’un impact médiatique important, la nouvelle de l’éviction de la chaîne C8 du paysage de la TNT n’a bizarrement pas fait l’objet d’un examen assez poussé pour approfondir la thèse – pourtant avancée par nombre de commentateurs – d’une partialité de l’Arcom, toujours présentée comme une « autorité publique indépendante ». Or, à lui seul, l’examen de son équipe dirigeante révèle déjà des éléments bien plus nombreux que ceux qu’on connaît, amenant à douter sérieusement de l’indépendance de cette autorité.

Des instances dirigeantes impartiales ?

La presse a déjà évoqué le cas du directeur général de l’Arcom, Alban de Nervaux, nommé en juillet 2024 par le président Macron, qui est par ailleurs époux de Laurence de Nervaux, directrice exécutif du « think tank » Destin commun, financé notamment par l’Open Society Foundations du financier George Soros et lié au groupe activiste écologiste Greenpeace. On connaît aussi le pedigree de Laurence Pécaut-Rivolier, nommée au collège de l’Arcom en 2021, qui fut naguère candidate PS-EELV aux élections municipales à Gentilly.

Mais il y en a bien d’autres ! Ainsi, Sara Cheyrouze, directrice adjointe de la communication de l’Arcom, responsable du pôle relations médias et influence, n’est autre que l’ancienne attachée de presse du Parti socialiste (de mai 2012 à janvier 2015), devenue par la suite conseillère presse au cabinet du Premier ministre (de décembre 2016 à mai 2017).

De même, Clara-Lou Lagarde, cheffe du département supervision et coordination nationale de la direction des plateformes en ligne de l’Arcom, se trouve être par le plus grand des hasards l’ex-collaboratrice parlementaire d’Angèle Préville, sénatrice socialiste du Lot de 2017 à 2023, mais aussi d’Alain Richard, ancien sénateur socialiste du Val-d’Oise.

On peut également citer Pascal Gueugue, de l’Arcom Caen, lié à travers la Fédération des musiques métalliques au député insoumis (et du Parti ouvrier indépendant !) Jérôme Legavre1

Membre de l’Observatoire de la haine en ligne et du groupe d’expert sur la désinformation de l’Arcom, Iris Boyer est quant à elle l’ancienne assistante parlementaire du socialiste Vincent Peillon et par ailleurs responsable de l’observatoire du Forum sur l’information et la démocratie2, lié à Reporters sans frontières… Précisément l’organisation dont la plainte a conduit à l’éviction de C8 de la TNT !

C’est bien simple : si l’on fait le bilan des 18 principaux responsables de l’Arcom (l’équipe de direction, le collège décisionnaire et son secrétariat), on constate que la moitié d’entre eux sont clairement marqués à gauche, que deux sont macronistes, et qu’une seule est peut-être encore de droite.

Outre qu’il est en soi problématique de trouver des individus politiquement marqués dans une instance supposée neutre politiquement, puisqu’elle doit « garantir une information honnête, pluraliste et indépendante » (aux termes de la loi Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication), l’écrasante domination de la gauche rend parfaitement illusoire cet exercice.

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Mais ce n’est pas tout ! Si l’on poursuit l’exercice consistant à analyser la neutralité de l’ensemble des équipes de l’Arcom (370 personnes) qui instruisent les dossiers, on tombe sur des anomalies très parlantes.

Un biais idéologique structurel ?

D’abord, si une partie des personnels vient du monde de l’audiovisuel (ce qui, après tout, peut sembler un gage de professionnalisme), on y retrouve les mêmes biais idéologiques : une très forte surreprésentation des personnels issus de l’audiovisuel public (fortement marqué à gauche, faut-il le rappeler ?) qui n’est pas sans poser question également en matière de libre concurrence, quelques autres venant de TF1, M6, BFMTV… En revanche, pas l’ombre d’un salarié venu de la galaxie Bolloré !

Si on pousse la curiosité jusqu’à regarder dans quelles directions et départements se trouvent employés ces anciens concurrents et adversaires du groupe Bolloré, on a une autre surprise. Là encore – et bien sûr par le plus grand des hasards, n’en doutons pas ! –, ils se trouvent concentrés dans les directions qui ont joué un rôle stratégique dans l’instruction des dossiers contre le groupe Bolloré : la direction des publics, du pluralisme et de la cohésion sociale (36 % des personnels, contre 8 à 15 % dans d’autres directions moins sensibles), mais aussi la direction des plateformes en ligne (28 %)… Et bien sûr la direction de la communication, dont l’intégralité de l’équipe dirigeante et la moitié du personnel viennent de concurrents du groupe Bolloré.

Encore faut-il souligner qu’à ce stade, et à de rares exceptions près, les recherches n’ont porté que sur les anciennes fonctions occupées par ces personnes. Des recherches plus complètes sur des employés de l’Arcom n’étant pas passés par des concurrents du groupe Bolloré révèlent une large proportion des affiliations et sympathies politiques marquées à gauche3.

Quand l’Arcom recycle des anciens du Conseil d’État

Plus haute juridiction administrative du pays, le Conseil d’État joue le rôle de juridiction d’appel de l’Arcom et confirme ou non les sanctions qu’elle inflige. Se pourrait-il qu’il soit à la fois juge et partie ? Nombre des cadres de l’Arcom en sont issus, comme Alban de Nervaux (son directeur général), Denis Rapone (membre de son collège), Céline Paulmier (ex-assistante de justice au Conseil d’État), Samuel Galodé (chargé de communication web au Conseil d’État), Célia Deck-Catalan Cabildo (ex-assistante de justice de la cour administrative d’appel de Paris), Alexandre Médard (ex-assistant de justice du tribunal administratif de Versailles).

La commision de la culture du Sénat auditionne Martin Adjari, candidat proposé par l’Élysée pour la présidence de l’Arcom, 17 décembre 2024. Sa nomination est validée par les parlementaires, et il prend officiellement ses fonctions le 2 février 2025 © Public Sénat (capture d’écran)

De plus, le Conseil d’État interprète de façon très extensive les missions de contrôle de l’Arcom de « la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités »… Une exigence pour le moins problématique, pour les raisons déjà évoquées de partialité de l’Arcom.

La deuxième carrière des personnels du CNC au sein de l’Arcom

D’un conflit d’intérêts l’autre ? Une deuxième relation quelque peu incestueuse unit l’Arcom au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), bénéficiaire des amendes que distribue l’Arcom, mais également très présent au sein de cette dernière à travers de nombreux profils d’anciens personnels du CNC tels Yves Damé, Fabien Mignet, Aurélie Cardin, Danielle Sartori, Mélanie Bidet-Emeriau, Ambre Argiolas, Margot Kessler, Guillaume Blanchot ou Linda A. Les deux organismes entretiennent d’étroites coopérations sur de nombreux sujets, allant de la lutte contre le piratage à des études (sur le tissu industriel de la production audiovisuelle, les services de médias audiovisuels à la demande, les enjeux environnementaux de l’écoproduction…).

Cette forte proximité qui ne peut que jeter le doute sur la légitimité d’amendes qui finissent par ressembler à un financement forcé d’une instance par ailleurs connue pour ses fortes sympathies à gauche : en douze ans, jusqu’à novembre 2024, l’Arcom a pris 52 sanctions contre les seules chaînes C8 et CNews, dont 16 pendant la seule année 2024. Pour un montant de 8,17 millions d’euros depuis 2017. Et ce, alors que la Cour des comptes a épinglé en septembre 2023 le CNC, appelant à « une réforme approfondie des aides » au cinéma, qu’elle estime trop nombreuses, et réclamant aussi « un minimum de contrôle politique » de la part des ministères de la Culture et des Finances.

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Enfin, et pour ne pas se méprendre sur les conclusions à tirer de cet inventaire des manquements aux règles les plus élémentaires de la neutralité, du pluralisme, de la libre concurrence et même de la simple loyauté, il faut être conscient que le problème n’est pas conjoncturel, mais systémique (pour reprendre un terme à la mode chez les policiers de la pensée). Les tares de l’Arcom étaient déjà celles de ses prédécesseurs, depuis la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) créée par Mitterrand, remplacée en 1986 par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis en 1988 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Dans un splendide jeu de trompe-l’œil, ces instances n’ont jamais été « indépendantes », sinon des procédures démocratiques de contrôle des administrations prévues par nos institutions. En revanche, jamais du pouvoir.

Dans cette logique, la fréquence perdue par C8 a été attribuée à Denis Olivennes, qui dirige CMI France, groupe de médias appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Un homme que Le Monde a surnommé naguère le « fils chéri de la gauche bobo », ce qui ne change rien à ses qualités personnelles. Passé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), devenu énarque en 1988, grand ami de Laurent Fabius, Olivennes a dirigé Canal+ au début des années 2000 (à l’époque où la chaîne, que Bolloré n’a reprise qu’en 2015, était encore dirigée par Pierre Lescure, dans l’esprit de son fondateur André Rousselet, le très proche ami de François Mitterrand). En 2008, il était nommé directeur général délégué du Nouvel Observateur, avant de rejoindre le groupe Lagardère, où il était notamment chargé du JDD et d’Europe 1 (tous deux rachetés plus tard également par Vincent Bolloré). C’est déjà Olivennes qui, en 2023, après la reprise avec Kretinsky du groupe Editis (deuxième plus grand éditeur français derrière Hachette, avec 55 maisons d’édition, dont Robert Laffont, Bordas, Nathan, Perrin, Plon, Pocket, Belfond, Julliard et La Découverte), s’était empressé d’y faire le ménage pour en écarter les proches de Bolloré4. Cette fois-ci, l’Arcom a fait le travail pour lui.

Note méthodologique

Cette enquête repose exclusivement sur des données publiques, et pour l’essentiel sur celles publiées sur le site de l’Arcom, ainsi que les fiches LinkedIn des 298 personnels de l’Arcom identifiés (soit 80 % des 370 employés que déclare l’Arcom). Ces fiches LinkedIn ont été exploitées pour en tirer des informations sur les fonctions passées de ces personnels (en particulier chez des concurrents publics et privés du groupe Bolloré, mais aussi dans des institutions publiques), leurs autres affiliations simultanées… En revanche, si quelques recherches ont également été effectuées ponctuellement sur Facebook pour identifier et préciser des affiliations, elles ont porté sur moins d’une vingtaine de personnes.

Contactée, l’Arcom a annoncé des réponses qui ne sont jamais arrivées.


  1. Voir les posts LinkedIn de Pascal Gueugue et Matthew Marion sur la question écrite soumise au ministère de la Culture à
    l’Assemblée nationale le 23 avril 2024 sur la place de la musique métal dans les musiques actuelles. ↩︎
  2. Voir la page LinkedIn dudit Forum. ↩︎
  3. On peut citer les exemple de Raphaël Bengio, Agnès Baraton, Rachida Hamchaoui, Axel Devaux, Colum Hamon. ↩︎
  4. « Editis : Kretinsky et Olivennes écartent les proches de Bolloré », 28 novembre 2023, linforme.com. ↩︎

Patrimoine littéraire: à vos tire lire pour «Tétras Lire» !

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© Éditions Alba Verba

Tétras Lire fête son 100ème numéro ! C’est l’occasion de découvrir cette revue pour les enfants de 8 à 12 ans et plus éventuellement, car il y a des parents ou des grands-parents qui découvrent à cette occasion des textes qu’ils n’avaient jamais lus… Parce que Tétras Lire mise sur de grands auteurs français et étrangers, et sans édulcorant s’il vous plaît !


A une époque où l’on réécrit des textes pour les expurger des propos « nauséabonds » ou encore, pour les mettre à la portée des caniches et ainsi ravager le texte originel au motif que les enfants n’auraient pas le vocabulaire requis, la revue Tétras Lire fait le pari des textes sans adaptation et sans réécriture.

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Par ailleurs, loin des textes moralisateurs qui vous font la leçon à partir du mouton noir exclu du troupeau par les moutons blancs, et que c’est pas bien d’exclure, surtout s’il est noir, surtout s’il est tout seul, et tu seras gentil avec tes camarades, hein ?!, loin donc de toute cette moraline qui n’a jamais moralisé personne (ah, s’il suffisait de dire « il faut » pour que cela se fasse, il y a belle lurette que l’humanité serait douce comme un agneau!), loin c’est peu dire de tout cet affadissement et cette tromperie, la revue en question propose chaque mois un auteur : Jules Verne, Hérodote, Ovide, Pouchkine par exemple, l’introduit avec un dossier biographique, continue avec un texte de l’auteur accompagné d’une très belle iconographie ; texte où les mots difficiles sont en gras avec un lexique dans la marge pour expliquer ce qu’ils signifient, le poursuit avec un questionnaire concernant le récit, mais aussi des jeux, des recettes de cuisine en rapport avec l’histoire, une compilation sur le thème de celle-ci, bref, un ensemble aussi sérieux que distrayant.

Style littéraire enchanteur

J’ai lu celui consacré à Pierre Loti. Ce sont des extraits du « roman d’un enfant », intitulés Les cousins du Midi, et magnifiquement illustrés par Laurence Bost. Le mouvement des bambins courant autour d’une table ou sur un chemin de Provence est rendu de manière admirable. C’est joyeux, ensoleillé, recueilli aussi. Et la langue n’ignore ni le passé simple ni le lexique merveilleusement dépaysant : « Vers le milieu du jour, pendant une halte pour faire reposer nos chevaux aux creux d’une vallée d’ombre, dans un village perdu appelé Veyrac, nous nous assîmes au pied d’un châtaignier, – et là, nous fûmes attaqués par les canards de l’endroit, les plus mal élevés du monde, s’attroupant autour de nous avec des cris de la plus haute inconvenance. Au départ donc, quand nous fûmes remontés dans notre voiture, ces bêtes s’acharnant toujours à nous poursuivre, ma sœur se retourna vers eux et, avec la dignité du voyageur antique outragé par une population inhospitalière, s’écria : « Canards de Veyrac, soyez maudits ». Et à ceux qui ont peur d’une langue qu’ils ne maîtriseraient pas, je dirai qu’il ne s’agit pas toujours de maîtriser quoi que ce soit, mais de se laisser porter par un style qui enchante.

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Catherine Santeff retombe en enfance

Et si les canards ne vous ont pas suffi, voici le narrateur qui, pour se distraire un matin pluvieux, décide de faire fondre une assiette d’étain et de la jeter ensuite dans un seau d’eau ; geste qui lui donnera une idée… « Le lendemain donc, à mi-montagne, comme nous arrivions dans un chemin, délicieusement choisi du reste, solitaire, mystérieux, dominé par des bois et très encaissé entre de hautes parois moussues, j’arrêtai ma bande, avec un flair de chef Peau-Rouge : ça devait être là ; j’avais reconnu la présence des gisements précieux, – et, en effet, en fouillant à la place indiquée, nous trouvâmes les premières pépites (l’assiette fondue que, la veille, j’étais venu enfouir). Ces mines nous occupèrent sans trêve pendant toute la fin de saison. Eux, absolument convaincus, émerveillés, et moi, qui pourtant fondais tous les matins des couverts et des assiettes de cuisine pour alimenter nos filons d’argent, moi-même arrivant presque à m’illusionner aussi. »

C’est bien simple, en ces temps d’Histoire lourde comme le couvercle de Baudelaire, et pour fêter l’arrivée du printemps et qui sait, le retour de l’Eden, je m’abonne tout de suite !

Découvrez les anciens numéros de cette belle revue basée à Lyon ici.

Gaza: une tribune indigeste

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Ramadan, Rafah, 2025 ©Doaa el-Baz\ apaimages/SIPA

Le quotidien Libération semblait se réjouir mercredi que les deux millions de Palestiniens de Gaza soient une « arête impossible à avaler dans la gorge d’Israël ». Selon le journal de gauche, le projet de Trump de déplacer cette population n’est qu’une « saillie délirante », et la société israélienne dans son ensemble serait dénuée d’empathie pour ses voisins à la suite des attaques terroristes du 7-Octobre. Un mépris évident pour la souffrance des Israéliens. Analyse.


La proposition de l’administration Trump de déplacer temporairement les habitants de Gaza a suscité le séisme médiatique que l’on sait. Parmi cette avalanche de réponses, certaines brillent par leur manque d’objectivité, d’autres par leur caractère outrancier ou les affirmations erronées qu’elles contiennent… Plus rares sont celles qui réussissent l’exploit de réunir tous ces travers à la fois ! C’est le cas de la tribune de Monsieur Sélim Nassib, écrivain et ancien journaliste pour Libération, publiée justement par le quotidien ce mercredi[1]. Si le sort des habitants de Gaza est effroyable et touche tout un chacun, une sortie telle que celle-ci ne permet en rien de faire un pas vers une solution pacifique.

Un texte pour rien

Comment ne pas être frappé, tout d’abord, par le choix des mots ? Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, est ainsi soupçonné d’utiliser ce projet de déplacement pour raccrocher les « wagons » avec l’extrême droite. S’il s’agit bien d’un projet de déplacement temporaire, l’article n’hésite pourtant pas à parler de « déportation », et ce à plusieurs reprises. On a évidemment connu choix de vocabulaire moins tendancieux…

La plume est en revanche moins lourde lorsqu’il s’agit de qualifier les barbaries du 7-Octobre 2023 commises par les terroristes du Hamas. On nous parle ici d’une simple « tragédie » qui, bien qu’elle fasse un écho plus que douloureux aux atrocités de la Shoah, aurait dû être oubliée « à court terme » par les proches des victimes. Leur faut-il aussi tirer un trait sur les otages restants aux mains du Hamas ? Ce qui n’empêche pas l’auteur de vilipender les Israéliens, dans leur « écrasante majorité », pour leur manque d’empathie supposée à l’endroit de la population civile de Gaza.

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Ce prétendu manque d’empathie est imputé à un simple sondage. En revanche, selon l’auteur de la tribune, il serait injuste de déduire que les Gazaouis soutiennent le Hamas sous prétexte que le groupe terroriste a été élu en 2006 par… la population de Gaza ! Allez comprendre… On ne vote pourtant pas pour le Hamas comme on vote pour un parti modéré. Comment ignorer que la destruction d’Israël et celle des juifs font figures de leitmotivs pour ce parti ? Une doctrine que le Hamas se plaît à enseigner à la jeunesse palestinienne, ne lui laissant d’autre choix que celui de la haine de son voisin.

Des confusions coupables

Toutes les guerres occasionnent la mort de civils innocents. Celle des civils palestiniens est une horreur et personne ne saurait s’en réjouir. Mais le choix des concepts ne peut être fait à la légère. La tribune accuse Israël de se livrer à une réponse militaire « hors de proportion » visant à préparer un « nettoyage ethnique ». Cette notion n’est pas officiellement définie mais pourrait sous-entendre une politique visant à faire disparaitre une population par la force ou la violence. Si l’intervention militaire de Tsahal à Gaza fait évidemment des victimes collatérales parmi la population civile, cela ne constitue pas pour autant un nettoyage ethnique ou encore un génocide. Pour rappel, lors de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements alliés ont causé de nombreuses pertes civiles, notamment 350 000 Allemands. Pour autant, il n’a jamais été question de génocide car le nombre ne suffit pas ; il faut également démontrer l’intention de s’en prendre directement à la population civile. Or, si cela était clair lors des attaques terroristes du 7-Octobre perpétrées par le Hamas, s’agissant de l’action de Tsahal cela n’est pas le cas. Par ailleurs, de très nombreuses pertes civiles auraient aussi pu être évitées si le Hamas n’utilisait pas son propre peuple comme bouclier humain ou encore les écoles et hôpitaux comme cachettes. Il faut le rappeler, ce que ne fait pas M. Nassib dans son analyse.

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Pour parler de réponse militaire « hors de proportion », encore faudrait-il disposer d’une bonne connaissance des données. Les chiffres étant fournis par… le Hamas, nous sommes en droit de douter de leur fiabilité. Sans parler du fait que ces chiffres ne précisent jamais quelle est la part de militants dans les victimes mentionnées. Et même si l’on part du principe que ces chiffres sont fiables, ils ne démontrent pas une proportion de victimes civiles supérieure à d’autres conflits. Selon les Nations Unies, le taux de victimes civiles est en général de 90% dans une guerre. Et la plupart des conflits ne se déroulent pas dans un environnement urbain comme cela est le cas à Gaza. Ce genre d’affirmation peut donner l’impression que ce qui est véritablement remis en question est le droit d’Israël à se défendre et donc, par extension, son droit à la survie. Par ailleurs, il n’est évidemment à aucun moment précisé dans les colonnes de Libération que le Hamas est le seul et unique responsable de cette guerre et qu’il lui suffirait de libérer les otages pour y mettre fin à tout moment.

Des affirmations incomplètes et une omission de taille

Pour finir, l’auteur de la tribune énonce que l’Égypte et la Jordanie « refusent absolument de recevoir » la population palestinienne. Le silence est en revanche de mise lorsqu’il s’agit d’en expliquer les raisons. Peut-être cela est-il avant tout dû à des préoccupations sécuritaires ? Comment ignorer, par exemple, les liens entre le Hamas et les Frères Musulmans, organisation que le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi s’échine à maîtriser ?

Enfin, Donald Trump, à l’initiative de cette proposition de déplacement temporaire et non de déportation, est présenté comme « un homme ignorant échafaudant dans sa petite tête un projet impossible à réaliser ». Rappelons pour mémoire que les accords d’Abraham prévoyant la normalisation des relations entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été signés à l’initiative de l’administration Trump en septembre 2020. Une bien plus grande contribution pour la paix que cette tribune qui revêt des airs de mauvais procès fait à Israël ne le sera jamais…


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/gaza-larete-impossible-a-avaler-dans-la-gorge-disrael-par-selim-nassib-20250304_EVVOLLP6KRDZFDCCTSBGFAJBQU/

Spécialités très locales

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© Comité français de l'UICN

Si vous aimez les spécialités culinaires très lointaines, vous trouverez votre bonheur du côté de Vitry-sur-Seine. Entre viande de pangolin ou d’antilope, la nourriture made in Africa arrive en France avec son lot de maladies…


Vitry-sur-Seine nous a estomaqués avec les images de son marché exotique où la viande se débite sur le pavé et la volaille se saigne sur le trottoir. Depuis des années, le maire PCF de Vitry essaie de le démanteler, parce que ce marché sauvage contrevient à toutes les règles économiques et sanitaires. Ce n’est pas une exception. À Paris, le marché interlope de Château-Rouge reste une référence. Marseille, Lyon, Toulouse ou Montpellier sont confrontés au même problème…

Sur ces marchés noirs, la communauté africaine peut dénicher des spécialités qui lui rappellent le pays : pangolin, singe, antilope, agouti, serpent… C’est ce qu’on appelle la viande de brousse. Les douanes font la chasse aux trafiquants, qui profitent des liaisons aériennes entre l’Afrique et Paris pour importer cette viande d’appellation incontrôlée dans leurs bagages. En 2023, 24 tonnes ont été saisies… C’est maigre, car il est impossible de contrôler tous les passagers.

L’an dernier, une mission interministérielle sur la lutte contre l’importation illégale de « produits carnés » a estimé que 273 tonnes de viande d’espèces sauvages seraient illégalement importées chaque année depuis l’Afrique via l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Et souligné le risque sanitaire. Ces sales bêtes, même mortes, véhiculent des maladies qui – comme l’Ebola ou le sida – franchissent allégrement la barrière des espèces pour contaminer l’homme. La mission a également dénoncé la complicité des compagnies assurant le trafic aérien avec l’Afrique, qui pour le prix d’un seul billet, offrent aux passagers la possibilité d’embarquer deux bagages de 23 kg, le second servant souvent de garde-manger. La solution serait de limiter les bagages. Air France a immédiatement fait savoir qu’elle s’opposait à une telle mesure, « nuisible à sa compétitivité ». En tolérant la valise « alimentaire », la compagnie assure ainsi l’immunité à une chair pourtant pas toujours très fraîche…