Où en sont les femmes ? Le magazine Le Point dirigé par Valérie Toranian (notre photo) fait cette semaine l’état des lieux en 2025 de leur situation en France et dans le monde. À la veille de la Journée internationale des droits des femmes (Sainte Gonzesse © Causeur), Philippe Bilger a lu le dossier…

Le Point est un hebdomadaire que j’aime lire et que j’apprécie beaucoup malgré sa double obsession : dire du bien de Nicolas Sarkozy et célébrer les avocats. À part cela qui est supportable, il y a surtout l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert, à la fois fulgurant et primesautier, ainsi que les dossiers spéciaux souvent passionnants consacrés à des thèmes dominants. Par exemple celui qui traite cette semaine « du pouvoir des femmes ».
Je me souviens d’Odile Dhavernas, avocate, brillante féministe, qui avait écrit il y a longtemps un livre qui avait fait beaucoup de bruit dans le milieu intellectuel : Droits des femmes, pouvoir des hommes. Son titre dénonçait, derrière les droits qui leur étaient concédés, la vraie faiblesse des femmes – au sens classique du pouvoir : une fois l’apparence dépassée, l’hégémonie virile n’avait guère été entamée.
Amalgame de l’autorité et du charme
Il me semble qu’aujourd’hui nous n’en sommes plus là et qu’au moins sur le plan théorique, le débat ne porte plus sur l’égalité des droits. Même plus sur le pouvoir qui est de plus en plus partagé malgré des zones d’effacement féminin et des pratiques personnelles, familiales et sociales pas encore à la hauteur du progressisme souhaité.
Tout de même je suis inquiet quand les femmes cherchent à rivaliser avec le monde viril, dans la lumière et dans l’affirmation de soi, par une sorte de mimétisme à instaurer entre femmes et hommes de pouvoir. Comme si la similitude était obligatoire et le comportement des hommes à prendre pour modèle.
Sans doute suis-je d’autant plus sensible à cette question que je n’ai jamais tourné en dérision le point de vue de Sandrine Rousseau sur « l’homme déconstruit ». Même si j’ai toujours été incapable, grâce à l’adorable complaisance de mon épouse et à ma propre incompétence pas seulement fabriquée, de partager les tâches domestiques – les aimables diront que c’est une affaire de génération ! -, en revanche je n’ai jamais été épris de l’image de la virilité traditionnelle telle que le commun des citoyens l’appréhende.
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De sorte que, dans cette revendication du pouvoir des femmes, je nourris l’angoisse que, par facilité et paresse, les femmes de pouvoir n’aient pas d’autres ambitions que de se camper, fières d’elles, dans la lignée de celui des hommes. Ainsi, autant j’approuve Laura Chaubard, à la tête de l’École polytechnique, qui demande qu’on « cesse de parler de Marie Curie » pour privilégier les modèles d’aujourd’hui, autant je frémis à l’idée de Nathalie Collin, directrice d’une branche importante de La Poste, qui invite « à apprendre à agir comme les hommes ».
Dans mon expérience même relative des lieux et des métiers de pouvoir, je pense absolument l’inverse. Même s’il est incontestable qu’un socle commun existe, je persiste à considérer pourtant qu’une manière totalement féminine, voire délibérément féministe, d’exercer le pouvoir est possible et d’ailleurs souvent effective.
Batailleuses
Il suffit d’observer, sur les plateaux médiatiques, l’aptitude au dialogue tranquille de la plupart des femmes quand l’autre sexe bataille volontiers. Il y a des vertus qui dans les conduites professionnelles n’appartiennent qu’aux femmes ou alors à des hommes tellement conscients de leur part de féminité qu’ils empruntent des chemins moins conventionnels dans leur pratique de direction.
Rien ne serait pire pour la cause des femmes que d’aspirer, où que ce soit et à tous niveaux, à devenir seulement la copie conforme des hommes dans leur définition banale ou, plus singulièrement, des hommes de pouvoir, des hommes qui ont réussi.
Les femmes sont trop importantes et précieuses pour ne se vouloir que les habitantes d’un territoire indivis. Elles ont droit véritablement à leur indépendance et à leur autonomie. Dans une distance sereine d’avec les hommes, pas dans une guerre des sexes de chaque seconde. Dans MeeTooMuch ? que je viens de publier chez Héliopoles, j’ai adressé ma dédicace « à toutes les résistantes ». Je ne suis pas très éloigné de Valérie Toranian qui en synthétisant ce dossier spécial dit que « le pouvoir des femmes, c’est aussi celui de faire changer les choses ».
Voilà une incitation qui a le mérite de valoir pour les deux sexes !