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Heureusement qu’il y a Macron!

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Sipa. Numéro de reportage : AP22045014_000072.

Le Macron-bashing est tendance. Comme si le fondateur d’En Marche! devait se faire pardonner d’être arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle et d’apparaître comme le favori du second. Il ne peut plus faire un pas, ni ouvrir la bouche, sans déchaîner une avalanche de critiques. Haro sur Macron ! C’est à qui dénoncera le plus fort son narcissisme, son immaturité, son côté furieusement France d’en haut, sa soumission à l’Allemagne, son libéralisme compulsif, son vide sidéral, etc.

On  a évité le pire

Et pourtant, heureusement, il y a Macron ! Imaginons un instant qu’il n’ait pas été candidat à la présidentielle. Le second tour opposerait aujourd’hui Marine Le Pen à François Fillon ou, beaucoup plus certainement, à Jean-Luc Mélenchon. Super ! Les partisans du candidat des Républicains diront que dans l’hypothèse de sa qualification au second tour, au moins la Vème République aurait été sauvée : sa probable élection aurait été suivie d’un succès de la droite aux élections législatives. Ainsi aurait-il été en situation de gouverner. Comme Nicolas Sarkozy en 2007 qui a vite remisé la « rupture » aux oubliettes ! Fillon aurait été d’autant plus vite paralysé par la rue que son autorité morale était entamée.

Alors, oui, heureusement, il y a Macron ! Il ne s’agit pas de dire qu’il va faire des miracles. Mais comment ne pas remarquer qu’un peu partout en Europe, pas seulement en Allemagne, ce sont des sociaux-libéraux comme lui qui ont désenglué leur pays, en faisant notamment considérablement reculer le chômage. On dira qu’il s’agit là d’une vue économiste : l’hexagone est aussi en proie à une guerre civile larvée. Mais Macron s’est fixé pour tâche au début de sa campagne de « réconcilier les France ».

Une grande coalition, vite!

Et s’il a peu développé ce thème par la suite, il a le bon logiciel pour y parvenir : ce ne peut être l’œuvre d’un seul camp, cela ne peut passer que par un consensus plus large. A Macron s’il est élu de faire un gouvernement de grande coalition.

Ses contempteurs ont raison : il est jeune et content de lui, c’est un bobo pro-business, et certains de ses propos sonnent creux : comme ses variations sur l’absence de culture française, à peine dignes d’une copie de culture générale niveau Sciences Po. Mais tel qu’il est, les Français l’ont distingué. Que cela plaise ou non, ils le voient comme un espoir pour le pays. Dans ces conditions, avant de faire sa nécro, attendons de le voir à l’œuvre.

« Censuré », l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré quitte France Inter

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L'humoriste Pierre-Emmanuel Barré dans la vidéo de sa chronique "censurée" par France Inter

Vous connaissez certainement La Mauvaise réputation de Brassens :

« Pas besoin d’être Jérémi’,

Pour d’viner l’sort qui m’est promis :

S’ils trouv’nt une corde à leur goût,

Ils me la passeront au cou.

Je ne fais pourtant de tort à personne,

En suivant les ch’mins qui ne mèn’nt pas à Rome ;

Mais les brav’s gens n’aiment pas que

L’on suive une autre route qu’eux… »


Brassens – La mauvaise réputation par bisonravi1987

Et aujourd’hui Rome c’est, pour France Inter et bien d’autres, Emmanuel Macron.

Il y  avait dans cette radio (écœuré il vient d’en démissionner) un humoriste du nom de Pierre-Emmanuel Barré. De nos jours, l’humoriste est l’accessoire indispensable de toute émission qui aspire à faire de l’audience. Il est ce que furent au Moyen-Âge les fous du roi. Il distrait, il amuse. Mais gare à lui s’il déplait au roi.

Tu votes ou tu la boucles

Pierre-Emmanuel Barré a déplu au roi. Il a, pour une fois, décidé d’aller sur son petit bonhomme de chemin sans se soucier des « brav’s gens » qui, écoutons Brassens, « n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux ». Il a fait un sketch renvoyant Emmanuel Macron et Marine Le Pen dos à dos, refusant ainsi de choisir entre la peste et le choléra.

Mal lui en a pris. Au dernier moment, son sketch a été déprogrammé. Barré a aussitôt démissionné de France Inter, devenu la voix de son futur maître. Il a, criant à la censure, posté son sketch sur Facebook : 5 millions de vues ! Une audience que n’avaient certes pas imaginée les procureurs de France Inter.

Mais il parait que Barré prend la mouche pour pas grand-chose. Car il n’y a pas eu de censure. C’est Nagui, l’animateur de l’émission, qui le dit dans une réponse qui vaut son pensant de tartufferie. Peu importe, dit en substance le présentateur, que Barré casse du sucre sur le dos de Macron ou de Marine Le Pen. Il est libre de le faire. A la bonne heure donc ?

>> A lire aussi: France Inter, radio de sévices publics

Non car il faut lire la suite : Nagui estime qu’avec son « ni-ni » l’humoriste appelle à l’abstention. Ce qui revient, selon lui, à favoriser Marine Le Pen. Vous suivez ? C’est le même qui, plus haut, avait dit que Barré était libre d’enfoncer Macron. C’est de la choucroute ? De la semoule ? Les deux mélangés ?

De toute façon, toujours suivant Nagui, si censure il y a eu elle n’est pas du tout grave comparée à celle qui nous attend en cas de Marine Le Pen. France Inter bâillonné… Les artistes réduits au silence… Quelle hypothèse épouvantable !

 

Je suis un peu perdu, Le Figaro vote Macron

Emmanuel Macron au siège du Medef, février 2016. SIPA. 00742927_000034

C’est peu dire que lundi matin j’ai été surpris par l’éditorial d’Alexis Brézet, patron du Figaro. Comment comprendre que quelqu’un qui a tenu une ligne si courageuse sur les questions dites « sociétales » notamment au moment de la loi Taubira, appelle à voter Macron, chantre de la PMA pour toutes et mol adversaire de la GPA, comme l’a rappelé l’autre jour Sylviane Agazinski dans ce même journal ? Comment peut-il refuser de voir que ce deuxième tour pose une question de civilisation et non pas d’abord de simple politique économique ? Ai-je mal lu ?

Les noces du Figaro

Je relis : « Bien sûr, entre la grippe et le choléra, entre la poursuite du déclin hollandais et la catastrophe immédiate – politique, sociale et financière – que serait une sortie unilatérale de l’euro, le choix va de soi. Le projet économique de Marine Le Pen est suffisamment insensé pour dissuader de voter pour elle quiconque serait tenté de le faire pour d’autres raisons.» Alexis Brézet étant certainement un homme d’honneur, doué d’honnêteté intellectuelle, il ne peut être déterminé par des intérêts de carrière. Alors, comment comprendre ce qui m’apparaît être une grave incohérence intellectuelle et morale ? Je continue à chercher. Est-il attaché à ce point à François Fillon qu’il veuille suivre à tout prix sa consigne de vote ?

Alexis Brézet tance pourtant sans ménagement le candidat défait qui s’est révélé, somme toute, un vrai chiraquien en appelant à voter pour son adversaire encore hier honni: « Ne nous y trompons pas : un homme a perdu, victime de ses propres faiblesses, de ses erreurs… » Et de poursuivre : « Mais ses idées n’ont pas été disqualifiées pour autant : c’est cette synthèse libérale-conservatrice qui en dépit de tout, et souvent en dépit de lui-même, a permis à Fillon de tenir dans la tempête ».

Le porte-feuille d’abord?

Ma surprise doit être le signe de ma grande naïveté. Ce que j’ai pris pour une incohérence n’est peut-être en réalité que le déploiement de la logique « libérale-conservatrice » chère à Alexis Brézet. Mais comment interpréter cette expression ? Est-ce un conservatisme libéral ou un libéralisme conservateur ? Et puis, que s’agit-il de conserver et selon quelle hiérarchie ? Manifestement, cette synthèse est ultimement mesurée par le critère économique puisque celui-ci a le pouvoir de disqualifier toutes les « autres raisons » de voter Le Pen ou même de s’abstenir. Je saisis enfin la cohérence qui m’avait dans un premier temps échappée. Il s’agit sans doute de conserver en priorité son patrimoine et ses intérêts économiques ; et si ceux-ci exigent de sacrifier telle ou telle raison « sociétale », nous savons désormais que le directeur du Figaro ne mégotera pas.

Ce deuxième tour est une expérience cruciale révélatrice des pensées profondes de nombre de personnalités dites de « droite » ou « conservatrices ». Le voile se déchire sous mes yeux effarés et décidément bien candides. Ce que je croyais être un engagement dans un combat civilisationnel n’est en réalité qu’une variable d’ajustement d’un combat beaucoup plus fondamental et impérieux, celui pour une libéralisation du marché, une relance de la croissance, la défense de la zone euro, etc. Et donc de son corollaire objectif : « l’individu total » du libéralisme enfin réconcilié dans ses deux versants, économique et sociétal. Si j’ai un dernier doute quant à la pertinence de ma découverte, la lecture du papier de Nicolas Baverez, juste en dessous me l’enlève définitivement. Les litanies hebdomadaires à la Sainte Dérégulation et à la Bienheureuse Transition numérique et robotique sont bien récitées. Comment ai-je pu être aussi aveugle et croire que Le Figaro allait poursuivre le combat de civilisation contre François Hollande, Emmanuel Macron et leurs officines ? L’âme de la France peut attendre ; pas les valeurs boursières.

Mélenchon a raison de ne pas se prononcer sur son vote

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Jean-Luc Mélenchon file droit, avril 2017. SIPA. AP22043998_000001

Jean-Luc Mélenchon n’a pas cédé. Il ne dira pas quel sera son vote le 7 mai prochain. Bien entendu, la pression sur lui est énorme du côté de la presse « mainstream » qui le somme de dire qu’il votera Macron. Sur les réseaux sociaux, la même pression est exercée sur les militants et sympathisants de la France insoumise. Au mieux, ils seraient irresponsables et gâcheraient tout. Au pire, ils seront tondus à la libération.

Ces deux derniers jours, les porte-parole de FI se sont pourtant relayés pour faire passer le message : « pas une voix pour le FN ». Et la consultation des militants appelés à se prononcer sur la position du mouvement donne le choix entre le vote blanc, l’abstention et le vote Macron. Mais rien n’y fait, cela ne suffit pas aux belles âmes dont la mission historique est de construire des barrages, et de traquer ceux qui font le jeu, et parfois même le lit, du Front national. Il faut absolument prononcer la phrase « je voterai Macron ». Et surtout, il faut que le grand chef, celui qu’on accusait encore il y a une semaine d’être un apprenti-dictateur-bolchévik, donne sa position lui-même.

Jean-Luc Mélenchon a en fait entièrement le droit de ne pas livrer son vote dans ces circonstances. Il refuse la culpabilisation et il a bien raison. Comment peut-on le contraindre à s’exprimer en faveur de celui qu’il a dépeint comme le représentant de « l’extrême-marché » pendant sa campagne de premier tour ? Comment peut-on en faire le complice de Marine Le Pen alors qu’il a été le premier à la faire reculer sur son terrain, celui des ouvriers et de la jeunesse ? A-t-il seulement des leçons à recevoir de ceux qui ont, avec tous leurs barrages et autres cordons sanitaires, offert à Marine Le Pen le cadeau de devenir pendant plusieurs scrutins la représentante de tous les perdants de la mondialisation malheureuse ? Certainement pas.

Certains de ses électeurs ne le lui pardonneraient pas

Mais allons plus loin. De son point de vue politique, Jean-Luc Mélenchon n’a pas seulement le droit de ne pas céder à ses injonctions, il en a le devoir. Il y a quelques semaines, Marine Le Pen était encore la candidate la plus forte chez les jeunes. Le candidat Mélenchon lui a ravi la première place dans cette catégorie. Elle était encore au-delà de la barre des 50% chez les ouvriers. La campagne de Mélenchon ne l’a certes pas délogée de son perchoir mais elle est quand même descendue d’une marche, à 37%. Ces électeurs-là, jeunes et ouvriers, constituent sans doute le gros des troupes des 20% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon s’apprêtant, d’après l’IFOP, à voter Marine Le Pen lors du second tour. Ceux-là choisissent désormais le FN en second choix. Si Mélenchon se prononçait sans ambiguïté pour Emmanuel Macron, il les perdrait définitivement et anéantirait par-là tous ses efforts. En restant discret sur son vote, Jean-Luc Mélenchon démontre qu’il connaît le mode de scrutin majoritaire à deux tours, dont le mécanisme impose une humilité par rapport aux électeurs : il faut parfois accepter d’être un deuxième choix ; il faut aussi accepter que ses électeurs qui vous ont choisi en premier choix en fassent ensuite un second qui vous irrite. Bref, en tenant compte des circonstances et en jouant avec les règles du jeu, Jean-Luc Mélenchon fait de la Politique. Pendant que ses contempteurs continuent, comme s’ils n’avaient décidément rien appris, à faire du catéchisme.

Retrouvez tous les articles de David Desgouilles sur son blog Antidote

Macron : un « new deal » entre la société et l’Etat

Emmanuel Macron à Arras, 26 avril 2017. SIPA. 00804104_000006

La campagne de France d’Emmanuel Macron évoque irrésistiblement une « longue marche » du siècle dernier, première étape de la conquête du pouvoir chinois par un certain Mao Zedong. Une énergie à « déplacer des montagnes », un culot monstre, une intelligence stratégique et tactique innée, donc  délestée des pesanteurs accumulées dans les machines politiques à bout de souffle, la capacité à tirer immédiatement les leçons des erreurs commises dans le feu de l’action… L’analogie s’arrête là, car personne ne peut aujourd’hui sérieusement penser que l’aventure macronienne puisse déboucher sur une version française du laogaï, le goulag chinois, et les rivières de sang de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Un maoïsme à l’envers

Mieux : le macronisme est l’inverse du maoïsme, car sa stratégie consiste à « encercler les campagnes à partir des villes », alors que le Grand Timonier fondait la sienne sur la mise en mouvement des masses paysannes pour subvertir les grandes métropoles de son pays, foyers de modernité capitaliste. La carte électorale du premier tour de la présidentielle en est la preuve : ce sont les métropoles économiquement prospères qui ont plébiscité Macron, alors que l’espace rural et les régions de friches industrielles ont placé leur désespoir dans un vote Le Pen, dans une moindre mesure, dans un vote Mélenchon.

>> A lire aussi: Macron-Le Pen: deux France en chiens de faïence

Le Front national et la France insoumise se sont nourris du ressentiment des laissés-pour-compte de la nouvelle révolution industrielle qui voient le monde d’hier, ce monde qui peut être dur mais aussi familier et protecteur, se défaire à grande allure. Face à ce ressentiment, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon prétendent que le monde ancien peut être préservé tel quel, avec les recettes du siècle dernier – protectionnisme, dirigisme étatique, gel des rapports sociaux et des structures économiques issus des « Trente glorieuses ». Entre le ressentiment et la paranoïa, la frontière est poreuse : les démagogues ont beau jeu de prétendre que ceux qui souffrent sont victimes d’un complot ourdi dans les cénacles de la finance internationale, dont Emmanuel Macron serait au mieux le fondé de pouvoir, au pire la marionnette. C’est une pensée paresseuse, même si elle est enrobée dans une rhétorique raffinée.

Jospin avait raison trop tôt

Jusque-là, les détenteurs du pouvoir en France avaient nourri l’illusion qu’ils pouvaient maintenir l’ancien tout en prenant la mesure des exigences du monde en train de se faire. La société était appelée à leur faire confiance, et non pas invitée à se prendre en main pour répondre aux défis de l’époque. Lionel Jospin avait eu un bref éclair de lucidité en affirmant que «  l’Etat ne peut pas tout » pour entraver le processus de désindustrialisation du pays. C’était trop tôt, et cela lui coûta son élection à l’Elysée. La demande d’un roi thaumaturge (l’homme providentiel en langage républicain) est un trait de caractère persistant de la conscience politique française, et sa plus grande faiblesse. La société a été conditionnée à ne pas se faire confiance, on l’a dissuadée de se prendre en main pour résoudre les problèmes posés par la marche du monde, sans attendre la manne venue d’en haut, comme les Hébreux dans le Sinaï…


«Il ne faut pas tout attendre de l’Etat», quand… par 20Minutes

C’est à une révolution dans la relation entre la société et l’Etat que vise le projet macronien, libérant les énergies qui bouillonnent en son sein, et qui, lorsque l’on regarde bien cette société, maintiennent la cohésion de la nation grâce à un tissu d’associations sportives, culturelles, sociales, caritatives et spirituelles sans équivalent en Europe. Pourquoi ne pas étendre ce modèle à la vie économique de la nation et à l’administration des choses ? Plus de société, et moins d’Etat (ce qui ne veut pas dire moins d’autorité à son sommet) c’est le fil rouge du programme de En Marche !. C’est, par exemple, l’appel au bénévolat des retraités pour assurer le suivi scolaire des enfants défavorisés dans des études surveillées est une mesure symbolique de ce new deal entre le peuple et la bureaucratie dirigeante. On sort de la répétition psittaciste du « plus de moyens, plus de postes pour l’Ecole, des moulins à prières revendicatives actionnés régulièrement par des syndicats clientélistes. Bougez-vous et vous serez aidés ! Cette exhortation s’adresse à tous et à chacun, et parie sur la part d’énergie que même le plus déshérité d’entre les Français conserve en lui. Sortir du ressentiment, des passions tristes, des peurs irrationnelles, de la déprime décliniste, de la lamentation infinie. C’est retrouver l’âme de la France du temps où elle était glorieuse.

Macron – Le Pen : choisir de ne pas choisir

Panneaux électoraux à Nantes, avril 2017. SIPA. 00800805_000002

« Et maintenant, que vais-je faire ? », chantait Gilbert Bécaud. L’avantage des chansons de variété, c’est qu’elles posent toujours les vrais problèmes, comme la littérature. Au premier tour, comme plus de sept millions d’électeurs, j’ai voté avec enthousiasme pour le programme de Jean-Luc Mélenchon, un peu moins pour celui qui le portait. Son attitude césariste, la personnalisation excessive de sa campagne, la façon dont les militants de France insoumise venaient à l’occasion dire aux militants communistes qui distribuaient des tracts pour lui qu’ils n’avaient rien à faire là, qu’ils gênaient même, m’a déplu. C’est peut-être d’ailleurs cette attitude qui a fait manquer à Mélenchon le second tour à un petit million de voix.

Et maintenant, donc, le choix entre Macron et Le Pen. Je pense que Mélenchon n’a pas eu tort, le soir du premier tour, de dire que c’était là le duel rêvé par l’oligarchie, rêvé et, d’une certaine manière, provoqué. La preuve la plus emblématique en est François Hollande qui n’est sorti de sa réserve dans les derniers jours de la campagne que pour s’inquiéter de la « remontada » de Mélenchon. Son dernier cadeau à la gauche de rupture, ça… Le président n’était pas gêné plus que ça par une Marine Le Pen donnée en tête du premier tour pendant des mois. En revanche, quand Mélenchon a commencé à tutoyer les sommets, il a distillé ses remarques insidieuses sur ce populisme de gauche qui lui semblait, de fait, plus détestable que celui de l’extrême-droite. Comme d’habitude, serait-on tenté de dire… Il y a aussi, dans le même genre de beauté, la façon dont les marchés ont réagi avec un soulagement qui frisait l’obscénité en saluant par une hausse de 4,1% de la Bourse dans les heures qui ont suivi.

Retour en 1984

Me voilà donc dans une situation proprement orwellienne. Rappelons que dans 1984, pour assurer la puissance de Big Brother, il y a un méchant, Goldstein, dont on ne sait pas trop s’il est encore vivant, d’ailleurs, ou même s’il a existé. Ce méchant est un des éléments qui permet à Big Brother d’exercer son pouvoir totalitaire sur la population, notamment par le biais des Semaines de la Haine où l’on se doit de cracher en groupe sur la figure abjecte du traître quand elle apparaît sur des télécrans.

Le Pen, le père en son temps et la fille aujourd’hui, c’est Goldstein. Face à Goldstein, un candidat qui représente un néo-libéralisme aussi sauvage que celui de Fillon mais avec un lexique plus sucré, qui va enfin selon le souhait pluri-décennal du MEDEF liquider ce qui restait de l’Etat-Providence et des acquis du CNR, un candidat qui vous dit, comme Big Brother, « la liberté, c’est l’esclavage; la paix, c’est la guerre (de tous contre tous) », ce candidat-là, en plus, il va falloir que vous le preniez pour un héros de l’antifascisme. On aura rarement poussé aussi loin notre servitude volontaire en nous imposant un faux clivage : celui qui opposerait « patriotisme » de Marine Le Pen contre le « mondialisme » d’Emmanuel Macron comme si l’amour de son pays excluait nécessairement une société ouverte, comme si être Français, au moins depuis la Révolution, ne supposait pas une articulation entre la nation et l’universel.

Je ne voterai évidemment pas pour Marine Le Pen au second tour. Vouloir voir des analogies entre les programmes du Front national et celui de France insoumise relève du confusionnisme idéologique, savamment entretenu d’ailleurs par le FN qui vient de sortir un tract draguant éhontément les électeurs de Mélenchon.

C’est oublier que l’apparente similitude entre des mesures sociales comme la retraite à 60 ans sont dans un cas financées par une préférence nationale qui cible l’immigré d’un côté alors que de l’autre, elles le seraient par un nouveau rapport de force (appelez-ça la lutte des classes si vous voulez) avec le capital. C’est pour cela que le second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon était le cauchemar du système. Il aurait d’une part écarté les tenants du « There is no alternative », que ce soit Fillon dans sa version Ordre Moral ou Macron dans sa façon festiviste cool et d’autre part, il aurait permis de montrer qu’entre la tradition politique du FN et celle incarnée par Mélenchon, il n’y a rien de commun, absolument rien, au point qu’en d’autres temps, elles se sont affrontées par les armes.

Mais je ne voterai pas non plus Macron. Je ne veux pas, je ne peux pas donner ma voix à celui qui envisage la France comme une start-up, c’est à dire un endroit où les patrons et les salariés devenus auto-entrepreneurs se tutoient même quand les premiers licencient les seconds avec le sourire, grâce à un code du travail qui tiendra sur une feuille A4, et encore seulement le recto.

>> A lire aussi: La France n’est pas un open space – Par Alain Finkielkraut

Bref, alors que je devrais me réjouir du score sans précédent d’une gauche de transformation qui représente un électeur sur 4 pour peu qu’on ajoute les voix de Benoît Hamon à celle de Jean-Luc Mélenchon, j’éprouve plutôt, face à Marine Le Pen et Emmanuel Macron un sentiment de honte, la honte qu’éprouve Joseph K. à la fin du Procès de Kafka quand il se fait saigner par deux bourreaux : « Mais l’un des deux messieurs venait de le saisir à la gorge;  l’autre lui enfonça le couteau dans le coeur et l’y retourna par deux fois. Les yeux mourants, K. vit encore les deux messieurs penchés tout près de son visage qui observaient le dénouement joue contre joue.

– Comme un chien! dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. »


Macron – Le Pen: deux France en chiens de faïence

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Sipa. Numéros de reportage : 00801964_000007 et 00800556_000039.

« La liberté n’existe pas ; toute rose pousse dans une prison », disait Salvador Dali. Il entendait par là que pour faire une rose, il faut les conditions de la rose, uniquement les conditions de la rose, et exclure sans sommation toute autre condition que celle de la rose. La rose naît dans l’implacable prison de sa définition. C’est en quoi la rose est sublime.

Un peuple ou un contrat?

La France, libérée de cette « prison » au sens dalinien, est une entité sans contour commun. Dans quelle « prison » faisons-nous exister la France ? Ce second tour électoral est plus caricatural que jamais. Nous ne partageons même plus la même définition de la France. Pour les uns il s’agit d’adhérer à des valeurs et à un contrat (la précession du projet philosophique sur la nature du peuple), pour les autres il s’agit de continuer à exister en tant que peuple (la précession des usages culturels sur le projet politique). Pour forcer le trait : pour les uns c’est une âme, pour les autres c’est un corps.

>> A lire aussi : l’entretien sur la France d’Emmanuel Macron avec Causeur

La distinction « pays réel vs pays légal » est très intéressante mais elle entend que le pays légal ne serait pas du domaine de la réalité. Or il l’est. Car ce dont il faut se défier, c’est que le projet philosophique ne méprise la réalité incarnée de ses racines, parce que son universalité n’est que la traduction moderne de son baptême dans la religion universelle et que sa vocation privilégiée de « pays de Droits de l’Homme » n’est que la traduction moderne de sa vocation privilégiée de « fille aînée de l’Église ».

Ce dont il faut se défier aussi, c’est que l’attachement à la chair du peuple ne dispense pas de considérer aussi la vision et la vocation.

Âme et corps ont des existences réelles, quelle que soit la direction qu’ils prennent. Mais n’oublions pas que la fâcheuse opération de séparation du corps et de l’esprit s’appelle la mort.

« Mondialistes vs « racistes », une caricature!

Le libre choix électoral ne fait qu’aggraver, à chaque fois plus profondément, ce grand divorce entre les Français du projet universel et les Français du projet particulier. Les positions se cristallisent, se radicalisent à chaque fois plus fermement. Quand les premiers réclament du « pour tous » et que les seconds réclament du « pour nous », plus personne ne s’entend sur rien et l’implosion nationale fermente, résolument et tristement. Tant qu’on se traitera, selon son camp, de « mondialistes hors-sol » ou de « racistes refermés sur eux-mêmes », on ne comprendra pas ce qui nous arrive.

>> A lire aussi : l’entretien sur la France de Marine Le Pen avec Causeur

Ce ne sont pas que les politiques ou les médias qui entretiennent ce grand malentendu français, ce sont les Français eux-mêmes qui le cultivent, avec de plus en plus d’ardeur et de militantisme. Et les réseaux sociaux ont un terrible effet de catalyseur : le citoyen devient un militant fervent, chacun de ses posts est un manifeste puissant comme du Zola, chaque débat sur la toile est un clash de titan. Mais qui sauvera les Français d’eux-mêmes, puisqu’ils sont incapables de vouloir leur concorde par les urnes ? Faudra-t-il donc en arriver à cette extrémité qui est de les pacifier par la force, des les réconcilier sans leur consentement ? Qui osera cet affront contre la démocratie ?

Affaire Fillon: une bronca contre un candidat, plus jamais ça!

François Fillon échoue au premier tour de l'élection présidentielle, avril 2017. SIPA. AP22043988_000002

Ça y est, nous avons les noms des deux finalistes de la présidentielle, une élection qui, pour beaucoup, se présentait comme « historique ». Plusieurs futurs très différents s’offraient en effet à la France : un hypothétique Frexit, ou en tout cas un mouvement de défense et de fermeture avec Marine Le Pen ; une continuation exacerbée du progressisme mondialiste du quinquennat Hollande, soutenu par la finance et la « France d’en haut » avec Emmanuel Macron ; une tentative de redressement équilibrée et plus « classique » avec François Fillon ; ou encore une aventure à la Chavez avec Jean-Luc Mélenchon. Certains de ces futurs étaient plus dangereux que d’autres et menaçaient d’ajouter, en plus des multiples menaces internes et externes déjà existantes, de graves risques d’impuissance (cohabitations dès le début du quinquennat) ou d’explosions sociales, à long terme, ou même à très court terme. Les électeurs ont décidé, et éliminé deux de ces futurs. Il en reste deux. L’élection n’est pas du tout terminée.

Peu importe sur qui ça tombe, le mal est le même

Mais dans tous les cas, le mal est fait. Il ne fait de doute pour personne de lucide que le candidat Fillon a bien été l’objet d’un « coup d’état légal ». Nous l’avons observé jour après jour, et cela a été confirmé par la sortie, fort opportune, du livre Bienvenue Place Beauvau : au départ, mépris de la « trêve électorale », une pratique pourtant sage et indispensable. Ensuite, intrusion du pouvoir politique, à travers ses réseaux au sein de la police, de Tracfin et de l’institution judiciaire, pour déstabiliser et mettre en accusation le candidat de la droite et du centre, en plein milieu de la campagne : fuites insupportables et permanentes du dossier, organisées dans la presse au mépris de toute déontologie, reprise par celle-ci des éléments accusateurs ad nauseum, chaque jour, chaque heure, chaque minute. Nous avons tout vu et tout suivi, tout subi, jour après jour, en direct.

>> A lire aussi: Affaire Fillon: Canard qui s’en dédit… Quand un journaliste de l’hebdo satirique se dément lui-même

Si cela était arrivé à un autre que François Fillon, le mal aurait été exactement le même. Pourquoi ? Parce qu’il est maintenant évident qu’un groupe oligarchique, composé de politiques, de magistrats, de hauts fonctionnaires, de patrons de presse et de journalistes peut s’immiscer impunément dans une campagne électorale – la plus importante qui soit – et la détourner de son objet, sans que ni les « grandes figures intellectuelles », ni le peuple lui-même, ne se révolte. Et c’est cela qui est grave.

Bien sûr, les soutiens de François Fillon se sont, d’une certaine façon, « révoltés », et l’ont sauvé in extremis au Trocadéro. Mais ce n’est pas cela que nous aurions dû faire. Nous aurions dû nous lever en masse, à l’appel de quelques « grandes consciences », toutes tendances confondues, et investir la rue, pour crier notre dégoût de ces « putschistes », de leurs méthodes et de leurs relais, et refuser que l’on nous vole notre élection. Nous ne l’avons pas fait. La ficelle était pourtant énorme ! Bien au contraire, nous sommes rentrés dans leur jeu, et nous avons suivi le feuilleton, certains suivant les accusateurs et les « laveurs plus blanc », tous plus hypocrites les uns que les autres, d’autres défendant, bec et ongles, leur candidat.

Les intellectuels ont laissé faire

Les magistrats ont détourné pudiquement les yeux, s’abritant sans doute sous le parapluie du formalisme de la loi, alors que l’esprit de celle-ci était ouvertement bafoué. Les intellectuels, pour la plupart, ont laissé faire, sacrifiant leur souci de probité, si souvent mis en avant, à leurs amitiés politiques. Les journalistes, si fiers d’affirmer d’habitude la sacro-sainte « liberté et indépendance de la presse », et si prompts à dénoncer les arrière-pensées et les manipulations des politiques, se sont cette fois-ci aplatis devant les conjurés. Servilement, ils sont entrés dans leur jeu. Ils ont crié au « complotisme », affirmant, la main sur le cœur, qu’on ne pouvait prouver l’existence d’un « cabinet noir ». Ont-ils, d’habitude, ces pudeurs de jeunes filles et ces scrupules pour attaquer le pouvoir ? Bien plus, ils en ont « remis une couche », et encore une, et même une bonne tartine, jouant au mieux les « idiots utiles », au pire les factotums zélés des putschistes, pour ne pas perdre leur place, conserver leurs avantages ou vendre un peu de papier. Nous-mêmes n’avons pas été en reste : nous nous sommes égarés, déchirés, et nous avons oublié l’essentiel, qui nous crevait les yeux : une bande de voyous étaient entrés dans nos institutions par effraction, pour nous voler le processus de désignation de notre futur chef, quel que fût celui-ci, et nous priver du choix de notre avenir.

Ces bandits légaux ont ainsi remporté une grande victoire. Ils ont prouvé, à eux-mêmes et à nous aussi, que notre pays n’avait plus d’institutions, puisque l’on pouvait les piétiner à loisir, et mépriser la volonté du peuple (que par ailleurs nous ne cessons d’invoquer), bref, que notre grand pays, si fier de son histoire, était devenu, progressivement, une république bananière. Bien sûr, demain, le « feuilleton Fillon » ne se reproduira sans doute pas, mais d’autres intrusions ou détournements auront lieu, sous d’autres formes, organisées par les mêmes ou leurs amis, avec toujours les mêmes objectifs : désacraliser la République, détourner les institutions, voler les élections au peuple, se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

La suite logique de la désagrégation de l’Etat

Il n’y a dans toute cette affaire rien d’étonnant. La « guerre sociale » est consubstantielle à tout système politique. Elle oppose, depuis toujours, dans tous les régimes, les oligarchies et les peuples. Les oligarchies tendent à accaparer les pouvoirs et à peser sur les peuples, les peuples ont besoin d’un arbitre, qui les protège, par la force ou par la loi, par l’ordre et/ou par la justice, de l’arbitraire des pouvoirs oligarchiques. C’est pour cette raison que l’Etat et son chef existent, leur rôle principal devant être, si du moins leur mandat n’est pas détourné, de rééquilibrer le rapport forts-faibles. Après les « républiques oligarchiques » de la IIIème et de la IVème, c’est pour le rétablissement de cet équilibre que le Général de Gaulle s’était tant battu, faisant de la restauration du prestige de l’Etat, de la solidité des institutions, et de l’élection, supposément prestigieuse, de son chef au suffrage universel, la clé de voûte du rééquilibrage social, et la priorité de son combat. Selon la même logique, depuis que la Cinquième existe, les forces oligarchiques, de toutes natures, sont à l’œuvre pour tâcher de dénaturer la République, le passage au quinquennat en étant peut-être l’étape la plus marquante. Tout ceci est, si l’on peut dire, « dans la nature des choses ». Ce qui l’est moins, sans doute, c’est notre cécité collective, et notre manque de caractère pour nous y opposer.   

L’épisode Fillon n’est donc nullement une « surprise », mais bien la suite d’un long et ancien programme, dans ce processus de désagrégation de l’Etat, visant à consolider aujourd’hui le pouvoir des élites et à marginaliser le peuple, la « France périphérique » chère à Christophe Guilluy. Et c’est cet Etat qui a aujourd’hui perdu, quel que soit le résultat du 7 Mai, une grande bataille. Certainement, une étape a été franchie vers une certaine forme de « totalitarisme démocratique ». Nous ne devons pas nous laisser leurrer. Nous devons décoder cette évolution et la dénoncer fortement.

Parmi les deux candidats restants, à l’évidence, l’un se satisfera aisément de cette situation, faisant de son quinquennat un « mandat-alibi » (les paroles pour le peuple et les actes pour les oligarques) plutôt qu’un « mandat de justice » (restaurer l’Etat, rééquilibrer le rapport forts-faibles). Facile de trouver qui est-ce, il suffit de se demander « à qui le crime profite »… Si c’est celui-là qui passe, pauvre « France périphérique », et pauvres de nous.

Pour l’autre, ce sera sans doute moins le cas. Si c’est elle qui est élue, et si elle veut respecter un « mandat de justice » pour le peuple, il lui faudra beaucoup de lucidité, et surtout beaucoup de poigne pour résister à la « Trumpisation » (l’establishment vent debout contre son chef) qui l’attend. Elle l’a certainement déjà compris…

La France n’est pas un pays multiculturel

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L'équipe de France de football, février 2011. SIPA. 00614085_000003

Lors du dernier attentat islamiste à Stockholm, la stupeur a été grande, chez tous les officiants du vivre-ensemble. Comment était-ce possible que ça ait eu lieu là-bas ? Comment avait-on pu toucher au temple du multiculturalisme ? Porter le fer dans la chair du pays où – juré, craché – tout le monde aimait tout le monde ? Suédois, Africains, Arabes : tous ensemble !

La France aussi est un pays multiculturel, nous disent les mêmes. Et c’est un candidat à la présidence de la République qui a le plus clairement formulé cette pensée répétée et convenue : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France ». Emmanuel Macron, avant de les prononcer, avait bien pesé tous les mots de cette formule définitive. Et comme il a de sérieuses chances d’être élu président de la République, qui sait s’il ne va pas graver la notion de multiculturalisme dans la Constitution…

Dans multiculturalisme, il y a « plusieurs » et « cultures »

Une analyse sémantique s’impose. Dans multiculturalisme, il y a « plusieurs » et « cultures ». Cela suppose qu’il y ait des cultures qui cohabitent, qui s’interpénètrent et se nourrissent mutuellement. Cela fut vrai pendant l’Antiquité quand la Grèce irrigua de ses Dieux et de son génie, Rome qui l’avait conquise. Cela fut vrai pendant la Renaissance, quand de l’Italie rayonna une lumière dont la France fut illuminée.

>> A lire aussi: Benoît Hamon, le multiculturalisme bien de chez nous

Mais aujourd’hui de quelles cultures s’agit-il ? Où sont-elles ? Il y a en France des millions et des millions de descendants d’immigrés, deuxième, troisième, quatrième génération. Nombre d’entre eux, nourris et vivifiés par leur terre d’accueil, ont fait pousser en France les plantes et les fleurs de leurs talents personnels.

Pas les plantes et les fleurs d’autres cultures ! Croit-on qu’Andreï Sergueïevitch Makine, prix Goncourt et membre de l’Académie française, a apporté chez nous la culture russe ? Il faut lire son beau et triste Testament français (écrit bien sûr en français) : il annonçait en sourdine L’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut. Mais peut-être, faudrait-il, pour faire plaisir aux multiculturalistes sectaires et bornés, écrire que ce dernier, membre comme Makine de l’Académie française, est de culture juivo-polonaise ?

Marguerite Yourcenar, une femme de lettres française

Continuons. Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française, était-elle de culture belge ? Assia Djebbar, elle aussi installée dans un fauteuil du quai Conti, se retournerait dans sa tombe si elle s’entendait qualifier comme étant de culture arabe. Et Tahar Ben Jelloun, Mohamed Kacimi, Boualem Sansal, que sont-ils d’autres que de merveilleux écrivains en français ?

Mais les intermittents de la pensée ont une objection toute prête. La culture, selon eux, ne se résume pas aux livres, à la peinture ou à la musique. En effet, il faut toujours, selon ces bégaiements niais, prendre en compte les rites, les rituels et les habitudes culinaires ou autres. Donc le pot-au-feu ferait donc, par exemple, partie de la culture française. Et à ce titre le méchoui serait un apport de la culture arabe.

Ce raisonnement poussé à l’absurde, vaudrait pour le saucisson à l’ail voué à une cohabitation amicale avec  le tajine. Le camembert entrerait dans un métissage fructueux avec la corne de gazelle. Et dans un autre domaine la pipe entamerait une promenade fraternelle avec la chicha. Si c’est ça la culture, alors ajoutons-y le canard laqué et la sauce de soja. On n’en parle pas assez…



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Gauche en phase terminale

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Jean-Pierre Le Goff. Photo: Hannah Assouline.

Nb: Cet entretien a été réalisé avant le premier tour de l’élection présidentielle

Gil Mihaely. À quelques semaines du premier tour des élections présidentielles, la crise au sein du PS semble marquer la fin du grand compromis mitterrandien entre la gauche réformiste et la gauche contestataire. Mais n’a-t-il pas toujours existé « deux gauches irréconciliables », selon l’expression de Manuel Valls ? N’est-ce pas un signe de vitalité de la gauche plutôt que, comme l’annonce le titre de votre dernier livre, de son agonie ?

Jean-Pierre Le Goff[1. Jean-Pierre Le Goff est sociologue, président du club Politique autrement. Il vient de publier La Gauche à l’agonie ? 1968-2017 (éditions Perrin).]. Certains affirment que la gauche française est riche de sa diversité et, se référant aux origines, expliquent que ses divisions sont consubstantielles à son histoire. Avant même l’unification en un seul parti (la SFIO) en 1905 et la scission entre socialistes et communistes au congrès de Tours en 1920, il y a toujours eu, en effet, une diversité de courants. Mais il faut comprendre que cette diversité s’enracinait dans un arrière-fond commun : l’existence d’un mouvement ouvrier et un certains nombre d’idées-forces. Socialisme et communisme croyaient, chacun à leur façon, à un dépassement de la société existante et à la marche de l’Histoire vers son accomplissement, à l’appropriation collective des moyens de production, à l’idée selon laquelle il suffit de transformer la société pour résoudre presque tous les problèmes de l’humanité… Ces thèmes s’articulaient autour d’un sujet historique central : la classe ouvrière qui, en se libérant, était censée libérer l’humanité tout entière.

>> A lire aussi: 1981-2017, socialistes de Mitterrand en Hollande, de Charybde en Scylla: une brève histoire de l’avenu

Aujourd’hui tout cela n’existe plus et la diversité de la gauche n’est plus un indicateur de sa richesse mais un signe de son morcellement sur fond de crise de sa doctrine. Ce n’est pas seulement le communisme totalitaire qui est en question mais les idées et les représentations qui ont façonné la gauche depuis le XIXè siècle. Le mitterrandisme et le hollandisme en ont été le tombeau. Nous sommes à la fin d’un cycle historique.

Pourtant, la crise aidant, les millions de précaires, laissés-pour-compte et « gueules cassées de la mondialisation » (Patrick Buisson) pourraient constituer pour la gauche un nouveau socle sociologique…

Le mouvement ouvrier n’était pas simplement une classe au sens économico-social, c’était un monde au sens anthropologique du terme avec ses valeurs de solidarité et de coopération, sa morale et ses comportements, ses associations et ses organisations, avec un fort sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, ce monde ouvrier est mort, ce qui ne veut pas dire que les ouvriers comme catégorie sociale et les couches populaires ont disparu. Les « précaires » ne forment pas un mouvement qui se structurerait autour de valeurs communes et d’un projet alternatif de société. Nuit debout et les zadistes n’ont pas grand-chose à voir avec les caissières de supermarché, les caristes des centres logistiques, les chauffeurs Uber ou les petits agriculteurs… Le socle sociologique est pour le moins émietté.

L’émiettement n’est pas la seule raison. N’oubliez pas qu’au cours de cette période, Paris est passé à gauche et Bobigny à droite, ce qui laisse penser que la gauche n’est plus le parti des pauvres mais celui des possédants. Comme l’ont écrit nombre de bons auteurs, la gauche a abandonné le peuple. Et aujourd’hui, « les pauvres votent à droite ».

La catégorie des « pauvres » opposée à celle des « possédants » fait partie d’un schéma qui peut laisser supposer que les « pauvres » en question, assimilés au « peuple » ou aux « vrais gens », disposeraient d’une sorte de vertu et de légitimité devant lesquelles il faudrait s’incliner. C’est du reste de cette manière que la gauche a pu jouer sur la « mauvaise conscience » et faire « avaler des couleuvres » idéologiques et politiques. Aujourd’hui, la gauche continue de faire comme si elle était toujours la représentante « naturelle » des[access capability= »lire_inedits »] « pauvres » et de toutes les misères du monde, auxquels elle ajoute le modernisme en matière de mœurs et de culture. Ce méli-mélo ne trompe plus grand monde : la gauche apparaît désormais comme ayant abandonné largement les couches populaires, et sa conversion au « gauchisme culturel » a joué un rôle-clé dans cette transformation.

Malgré cet « oubli » et les divisions entre Macron, Hamon, Mélenchon, Poutou et Arthaud, la gauche survit. Comment expliquez-vous ce prodige ?

La gauche brandit la lutte contre les inégalités comme une sorte de plus petit dénominateur commun. Carlo Rosselli, socialiste italien assassiné par les fascistes, disait que « le socialisme, c’est quand la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres ». La lutte contre les inégalités trouvait son sens dans cette perspective. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La gauche est passée de l’égalité à l’égalitarisme en défendant le « droit à la réussite pour tous ». Pour reprendre la formulation de Paul Thibaud, le socialisme est devenu un « social-individualisme ». C’est un changement total de paradigme. On est donc bel et bien devant un champ de ruines avec le socialisme pour adolescents de Hamon, grand défenseur du revenu universel, et la structure d’accueil pour période de décomposition de Macron.

Jean-Luc Mélenchon, qui a rompu avec le PS, ne représente-t-il pas une certaine gauche authentique et même un brin patriote ?

Dans la décomposition actuelle, Mélenchon incarne une gauche à vocation « identitaire » plutôt nostalgique. C’est un tribun qui se croit encore porté par toute une histoire : la Révolution française, le Front populaire, la République, l’antifascisme, le socialisme… Mais qui sont ses troupes ? Sans mépris aucun, force est de constater qu’il s’agit souvent d’« ex- » militants vieillissants, d’enseignants, de fonctionnaires ou de jeunes diplômés radicalisés sans grands débouchés professionnels. C’est une gauche qui reste bloquée dans un imaginaire ancien mâtiné de postmodernité en matière de mœurs et de culture. Aux références emblématiques à la Révolution française et à la lutte des classes s’ajoutent de nouveaux droits de l’individualisme souverain tels que le suicide assisté et l’IVG qu’il se propose d’ajouter dans la Constitution… Mélenchon participe, à sa façon, du gauchisme culturel qui fait glisser la notion d’égalité vers les questions anthropologiques où elle ne devrait pas s’appliquer. À ce compte-là, la différence des sexes et la capacité des femmes à mettre au monde des enfants, contrairement aux hommes, pourraient être considérées comme une inégalité…

>> A lire aussi: Mélenchon, la patrie mais pas trop

Justement, que reste-t-il de l’universalisme constitutif de la gauche, de l’idée selon laquelle il n’existe qu’un seul Homme et que toutes les différences renvoient à des inégalités dont la source est technologique et économique ?

Revenons aux sources. Au moment de la Révolution française, l’universalisme est essentiellement fondé sur les Lumières et la Raison. La gauche va y ajouter, sous l’influence du marxisme, une vision économiste de la société et de l’histoire. La dimension anthropologique et culturelle se voit déniée ou réduite à une « superstructure ». D’où les difficultés de la gauche à penser la nation et sa tentation pacifiste au nom de l’« internationalisme prolétarien ». En 1914, avant son assassinat, Jaurès pensait encore que la grève générale des prolétaires de tous les pays pourrait empêcher la guerre.

Après la Seconde Guerre mondiale, le moment anti et postcolonial va constituer une nouvelle donne. Dans les pays développés, un nouveau type de société s’est installé : la société de consommation et des loisirs. Pour la première fois dans l’histoire, la question qui a hanté le xixe, le paupérisme, semble être globalement résolue. Le prolétariat qui devait sauver l’humanité tout entière et être le sujet historique du dépassement du capitalisme… profite des week-ends et des vacances ! Au même moment, on assiste à des luttes d’indépendance en Afrique, au Maghreb, en Amérique latine, en Asie…, luttes qui donneront naissance au courant « tiers-mondiste » de la gauche.

Première entorse assumée à l’universalisme, le tiers-mondisme entendait-il « dissoudre le peuple et en élire un autre », comme dans le poème de Brecht ?

Au prolétariat qui s’installe dans des HLM modernes, et profite de la société de consommation et des loisirs se substituent en effet comme sujets historiques les peuples colonisés et « dominés par l’impérialisme américain ». Cependant, nous ne sommes pas encore dans le multiculturalisme car l’idée dominante est encore universaliste : la lutte des peuples s’inscrit dans la marche d’ensemble de l’humanité vers son émancipation. La valorisation des communautés d’appartenance des immigrés viendra plus tard. En 68, contrairement à une idée qui s’est répandue, on est encore dans les proclamations à vocation universelle.

Comment avons-nous basculé dans le multiculturalisme ?

Le tournant me paraît se situer dans les années 1980-1990. Certes, les luttes des jeunes, des femmes, des homosexuels et des travailleurs immigrés étaient déjà valorisées dans les années 1970. Mais pour ce qui est des immigrés, ils étaient d’abord perçus comme des ouvriers et leur intégration était pensée en termes de classe. En 1983, la marche des « beurs » s’inscrit dans la référence à l’égalité et à l’intégration républicaines avant d’être récupérée et dévoyée par SOS Racisme avec son slogan : « Black-Blanc-Beur ». S’instaure alors, comme l’a bien analysé Yonnet, un nouvel antiracisme ethnique et communautariste. Le « politiquement correct » s’installe en France parallèlement aux évolutions des campus américains – sans pour autant parler d’une importation pure et simple. La gauche n’a rien compris à ce tournant-là ! Ses propres mots, ses propres slogans ont complètement changé de sens mais tout le monde a continué à les scander en feignant de croire qu’on était dans la continuité.

Ce tournant correspond aussi à la fin de la société d’abondance et au choix de la rigueur en 1983. Est-ce une coïncidence ?

Bien avant le tournant de 1983, la crise du pétrole de 1973 annonce la fin des Trente Glorieuses mais aussi le déclin de la classe ouvrière considérée comme sujet historique. Puisqu’on change de société et de modèle économique, la gauche improvise d’abord puis théorise la fin de la classe ouvrière comme acteur de la marche de l’Histoire. Cela aboutit à ce qu’Éric Conan, dans La Gauche sans le peuple, a très bien décrit : on remplace le prolétariat par les immigrés, les jeunes, les femmes… SOS Racisme a été le laboratoire qui a permis d’aller un pas plus loin en basculant vers une représentation communautaire avec des groupes de pression et des revendications identitaires, le tout dans une logique de victimisation et une demande de droits indéfinis. Ce changement n’est pas un simple « cache-misère » du tournant de la rigueur ; il n’est pas déterminé par lui ; il marque une rupture dans l’ordre des représentations et des idées-forces qui avaient structuré l’identité historique de la gauche.

Arrive ensuite le « moment islamiste » que la gauche n’a pas davantage compris…

Dans les années 1990-2000, la doctrine de la gauche est en morceaux, elle se trouve complètement démunie pour penser le nouveau. Privée de classe ouvrière, l’idée de progrès étant en panne et après avoir accepté, plus ou moins clairement, l’économie de marché, elle bricole pour accommoder les restes de son idéologie. Face à la montée de l’intégrisme islamique, elle est divisée et tente tant bien que mal de recourir à ses explications traditionnelles : chômage, inégalités, discriminations, post-colonialisme… Non seulement elle se montre incapable d’analyser le contenu propre de l’intégrisme islamique en termes de croyances, mais elle en fait le symptôme et la victime d’une société responsable de tous les maux. Les attentats ont constitué une terrible épreuve du réel, sans permettre de lever totalement cette lourde équivoque. Manuel Valls a rompu avec les « noyeurs de poisson » sans avoir forcément les outils intellectuels pour analyser l’intégrisme et le terrorisme islamiste.

Sur ce champ de ruines, y a-t-il encore un ADN de la gauche qui pourrait servir de base à sa refondation ou faut-il considérer qu’ayant accompli sa mission historique, elle doit s’effacer pour laisser la place à de nouveaux clivages ?

Venant moi-même de la gauche, je ne pose plus du tout le problème de cette façon. Le problème de fond est plutôt de savoir comment se débarrasser de cet ADN, qui consiste à échafauder des grandes théories expliquant tout en forçant à tout prix la réalité à leur correspondre. La vérité, comme l’éthique ou la morale, n’appartient pas à un camp.

Et pourtant, c’est peut-être le sentiment d’incarner le Vrai et le Bien qui, existentiellement, définit aujourd’hui le mieux l’homme de gauche.

En effet, être de gauche est devenu de plus en plus une affaire identitaire, dans un milieu restreint dont le rapport à la réalité est devenu problématique mais qui demeure influent dans les médias et l’édition. Dans ces conditions, identité de gauche et exigence de vérité font rarement bon ménage, surtout quand s’y ajoute la volonté d’apparaître à tout prix « de gauche » dans les médias.

Donc, vous dites adieu aux rivages idéologiques auxquels vous avez été attaché une grande partie de votre vie. Sans nostalgie ?

Oui, concernant l’idéologie, ce qui ne veut pas dire que mes révoltes et mes engagements se résument à cet aspect. Je ne veux plus de ces systèmes globalisants, de ces appartenances qui mélangent tout – la politique, le social, la culture, les mœurs, les goûts… La gauche est trop longtemps tombée dans ce piège.

Il faut cesser de faire de l’identité de gauche une question existentielle et distinguer les registres. Les questions anthropologiques et culturelles m’importent au plus haut point. Dans le domaine économique et social, je cherche des politiques intelligentes et efficaces qui se soucient des couches populaires. Non, ce n’est pas populiste d’être capable de se mettre à leur place et de prendre en compte leurs besoins, leur manière d’être et leurs intérêts. Est-ce de gauche ou de droite ? Comme dirait Rhett Butler à la fin d’Autant en emporte le vent, c’est le cadet de mes soucis… Mon propos n’est pas de refonder la gauche mais d’analyser et de comprendre le nouveau monde dans lequel nous vivons, de penser et de prendre parti librement pour ce que je considère vrai et juste.[/access]

Heureusement qu’il y a Macron!

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macron lepen melenchon fillon
Sipa. Numéro de reportage : AP22045014_000072.
macron lepen melenchon fillon
Sipa. Numéro de reportage : AP22045014_000072.

Le Macron-bashing est tendance. Comme si le fondateur d’En Marche! devait se faire pardonner d’être arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle et d’apparaître comme le favori du second. Il ne peut plus faire un pas, ni ouvrir la bouche, sans déchaîner une avalanche de critiques. Haro sur Macron ! C’est à qui dénoncera le plus fort son narcissisme, son immaturité, son côté furieusement France d’en haut, sa soumission à l’Allemagne, son libéralisme compulsif, son vide sidéral, etc.

On  a évité le pire

Et pourtant, heureusement, il y a Macron ! Imaginons un instant qu’il n’ait pas été candidat à la présidentielle. Le second tour opposerait aujourd’hui Marine Le Pen à François Fillon ou, beaucoup plus certainement, à Jean-Luc Mélenchon. Super ! Les partisans du candidat des Républicains diront que dans l’hypothèse de sa qualification au second tour, au moins la Vème République aurait été sauvée : sa probable élection aurait été suivie d’un succès de la droite aux élections législatives. Ainsi aurait-il été en situation de gouverner. Comme Nicolas Sarkozy en 2007 qui a vite remisé la « rupture » aux oubliettes ! Fillon aurait été d’autant plus vite paralysé par la rue que son autorité morale était entamée.

Alors, oui, heureusement, il y a Macron ! Il ne s’agit pas de dire qu’il va faire des miracles. Mais comment ne pas remarquer qu’un peu partout en Europe, pas seulement en Allemagne, ce sont des sociaux-libéraux comme lui qui ont désenglué leur pays, en faisant notamment considérablement reculer le chômage. On dira qu’il s’agit là d’une vue économiste : l’hexagone est aussi en proie à une guerre civile larvée. Mais Macron s’est fixé pour tâche au début de sa campagne de « réconcilier les France ».

Une grande coalition, vite!

Et s’il a peu développé ce thème par la suite, il a le bon logiciel pour y parvenir : ce ne peut être l’œuvre d’un seul camp, cela ne peut passer que par un consensus plus large. A Macron s’il est élu de faire un gouvernement de grande coalition.

Ses contempteurs ont raison : il est jeune et content de lui, c’est un bobo pro-business, et certains de ses propos sonnent creux : comme ses variations sur l’absence de culture française, à peine dignes d’une copie de culture générale niveau Sciences Po. Mais tel qu’il est, les Français l’ont distingué. Que cela plaise ou non, ils le voient comme un espoir pour le pays. Dans ces conditions, avant de faire sa nécro, attendons de le voir à l’œuvre.

« Censuré », l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré quitte France Inter

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L'humoriste Pierre-Emmanuel Barré dans la vidéo de sa chronique "censurée" par France Inter
L'humoriste Pierre-Emmanuel Barré dans la vidéo de sa chronique "censurée" par France Inter

Vous connaissez certainement La Mauvaise réputation de Brassens :

« Pas besoin d’être Jérémi’,

Pour d’viner l’sort qui m’est promis :

S’ils trouv’nt une corde à leur goût,

Ils me la passeront au cou.

Je ne fais pourtant de tort à personne,

En suivant les ch’mins qui ne mèn’nt pas à Rome ;

Mais les brav’s gens n’aiment pas que

L’on suive une autre route qu’eux… »


Brassens – La mauvaise réputation par bisonravi1987

Et aujourd’hui Rome c’est, pour France Inter et bien d’autres, Emmanuel Macron.

Il y  avait dans cette radio (écœuré il vient d’en démissionner) un humoriste du nom de Pierre-Emmanuel Barré. De nos jours, l’humoriste est l’accessoire indispensable de toute émission qui aspire à faire de l’audience. Il est ce que furent au Moyen-Âge les fous du roi. Il distrait, il amuse. Mais gare à lui s’il déplait au roi.

Tu votes ou tu la boucles

Pierre-Emmanuel Barré a déplu au roi. Il a, pour une fois, décidé d’aller sur son petit bonhomme de chemin sans se soucier des « brav’s gens » qui, écoutons Brassens, « n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux ». Il a fait un sketch renvoyant Emmanuel Macron et Marine Le Pen dos à dos, refusant ainsi de choisir entre la peste et le choléra.

Mal lui en a pris. Au dernier moment, son sketch a été déprogrammé. Barré a aussitôt démissionné de France Inter, devenu la voix de son futur maître. Il a, criant à la censure, posté son sketch sur Facebook : 5 millions de vues ! Une audience que n’avaient certes pas imaginée les procureurs de France Inter.

Mais il parait que Barré prend la mouche pour pas grand-chose. Car il n’y a pas eu de censure. C’est Nagui, l’animateur de l’émission, qui le dit dans une réponse qui vaut son pensant de tartufferie. Peu importe, dit en substance le présentateur, que Barré casse du sucre sur le dos de Macron ou de Marine Le Pen. Il est libre de le faire. A la bonne heure donc ?

>> A lire aussi: France Inter, radio de sévices publics

Non car il faut lire la suite : Nagui estime qu’avec son « ni-ni » l’humoriste appelle à l’abstention. Ce qui revient, selon lui, à favoriser Marine Le Pen. Vous suivez ? C’est le même qui, plus haut, avait dit que Barré était libre d’enfoncer Macron. C’est de la choucroute ? De la semoule ? Les deux mélangés ?

De toute façon, toujours suivant Nagui, si censure il y a eu elle n’est pas du tout grave comparée à celle qui nous attend en cas de Marine Le Pen. France Inter bâillonné… Les artistes réduits au silence… Quelle hypothèse épouvantable !

 

Je suis un peu perdu, Le Figaro vote Macron

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Emmanuel Macron au siège du Medef, février 2016. SIPA. 00742927_000034
Emmanuel Macron au siège du Medef, février 2016. SIPA. 00742927_000034

C’est peu dire que lundi matin j’ai été surpris par l’éditorial d’Alexis Brézet, patron du Figaro. Comment comprendre que quelqu’un qui a tenu une ligne si courageuse sur les questions dites « sociétales » notamment au moment de la loi Taubira, appelle à voter Macron, chantre de la PMA pour toutes et mol adversaire de la GPA, comme l’a rappelé l’autre jour Sylviane Agazinski dans ce même journal ? Comment peut-il refuser de voir que ce deuxième tour pose une question de civilisation et non pas d’abord de simple politique économique ? Ai-je mal lu ?

Les noces du Figaro

Je relis : « Bien sûr, entre la grippe et le choléra, entre la poursuite du déclin hollandais et la catastrophe immédiate – politique, sociale et financière – que serait une sortie unilatérale de l’euro, le choix va de soi. Le projet économique de Marine Le Pen est suffisamment insensé pour dissuader de voter pour elle quiconque serait tenté de le faire pour d’autres raisons.» Alexis Brézet étant certainement un homme d’honneur, doué d’honnêteté intellectuelle, il ne peut être déterminé par des intérêts de carrière. Alors, comment comprendre ce qui m’apparaît être une grave incohérence intellectuelle et morale ? Je continue à chercher. Est-il attaché à ce point à François Fillon qu’il veuille suivre à tout prix sa consigne de vote ?

Alexis Brézet tance pourtant sans ménagement le candidat défait qui s’est révélé, somme toute, un vrai chiraquien en appelant à voter pour son adversaire encore hier honni: « Ne nous y trompons pas : un homme a perdu, victime de ses propres faiblesses, de ses erreurs… » Et de poursuivre : « Mais ses idées n’ont pas été disqualifiées pour autant : c’est cette synthèse libérale-conservatrice qui en dépit de tout, et souvent en dépit de lui-même, a permis à Fillon de tenir dans la tempête ».

Le porte-feuille d’abord?

Ma surprise doit être le signe de ma grande naïveté. Ce que j’ai pris pour une incohérence n’est peut-être en réalité que le déploiement de la logique « libérale-conservatrice » chère à Alexis Brézet. Mais comment interpréter cette expression ? Est-ce un conservatisme libéral ou un libéralisme conservateur ? Et puis, que s’agit-il de conserver et selon quelle hiérarchie ? Manifestement, cette synthèse est ultimement mesurée par le critère économique puisque celui-ci a le pouvoir de disqualifier toutes les « autres raisons » de voter Le Pen ou même de s’abstenir. Je saisis enfin la cohérence qui m’avait dans un premier temps échappée. Il s’agit sans doute de conserver en priorité son patrimoine et ses intérêts économiques ; et si ceux-ci exigent de sacrifier telle ou telle raison « sociétale », nous savons désormais que le directeur du Figaro ne mégotera pas.

Ce deuxième tour est une expérience cruciale révélatrice des pensées profondes de nombre de personnalités dites de « droite » ou « conservatrices ». Le voile se déchire sous mes yeux effarés et décidément bien candides. Ce que je croyais être un engagement dans un combat civilisationnel n’est en réalité qu’une variable d’ajustement d’un combat beaucoup plus fondamental et impérieux, celui pour une libéralisation du marché, une relance de la croissance, la défense de la zone euro, etc. Et donc de son corollaire objectif : « l’individu total » du libéralisme enfin réconcilié dans ses deux versants, économique et sociétal. Si j’ai un dernier doute quant à la pertinence de ma découverte, la lecture du papier de Nicolas Baverez, juste en dessous me l’enlève définitivement. Les litanies hebdomadaires à la Sainte Dérégulation et à la Bienheureuse Transition numérique et robotique sont bien récitées. Comment ai-je pu être aussi aveugle et croire que Le Figaro allait poursuivre le combat de civilisation contre François Hollande, Emmanuel Macron et leurs officines ? L’âme de la France peut attendre ; pas les valeurs boursières.

Mélenchon a raison de ne pas se prononcer sur son vote

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Jean-Luc Mélenchon file droit, avril 2017. SIPA. AP22043998_000001
Jean-Luc Mélenchon file droit, avril 2017. SIPA. AP22043998_000001

Jean-Luc Mélenchon n’a pas cédé. Il ne dira pas quel sera son vote le 7 mai prochain. Bien entendu, la pression sur lui est énorme du côté de la presse « mainstream » qui le somme de dire qu’il votera Macron. Sur les réseaux sociaux, la même pression est exercée sur les militants et sympathisants de la France insoumise. Au mieux, ils seraient irresponsables et gâcheraient tout. Au pire, ils seront tondus à la libération.

Ces deux derniers jours, les porte-parole de FI se sont pourtant relayés pour faire passer le message : « pas une voix pour le FN ». Et la consultation des militants appelés à se prononcer sur la position du mouvement donne le choix entre le vote blanc, l’abstention et le vote Macron. Mais rien n’y fait, cela ne suffit pas aux belles âmes dont la mission historique est de construire des barrages, et de traquer ceux qui font le jeu, et parfois même le lit, du Front national. Il faut absolument prononcer la phrase « je voterai Macron ». Et surtout, il faut que le grand chef, celui qu’on accusait encore il y a une semaine d’être un apprenti-dictateur-bolchévik, donne sa position lui-même.

Jean-Luc Mélenchon a en fait entièrement le droit de ne pas livrer son vote dans ces circonstances. Il refuse la culpabilisation et il a bien raison. Comment peut-on le contraindre à s’exprimer en faveur de celui qu’il a dépeint comme le représentant de « l’extrême-marché » pendant sa campagne de premier tour ? Comment peut-on en faire le complice de Marine Le Pen alors qu’il a été le premier à la faire reculer sur son terrain, celui des ouvriers et de la jeunesse ? A-t-il seulement des leçons à recevoir de ceux qui ont, avec tous leurs barrages et autres cordons sanitaires, offert à Marine Le Pen le cadeau de devenir pendant plusieurs scrutins la représentante de tous les perdants de la mondialisation malheureuse ? Certainement pas.

Certains de ses électeurs ne le lui pardonneraient pas

Mais allons plus loin. De son point de vue politique, Jean-Luc Mélenchon n’a pas seulement le droit de ne pas céder à ses injonctions, il en a le devoir. Il y a quelques semaines, Marine Le Pen était encore la candidate la plus forte chez les jeunes. Le candidat Mélenchon lui a ravi la première place dans cette catégorie. Elle était encore au-delà de la barre des 50% chez les ouvriers. La campagne de Mélenchon ne l’a certes pas délogée de son perchoir mais elle est quand même descendue d’une marche, à 37%. Ces électeurs-là, jeunes et ouvriers, constituent sans doute le gros des troupes des 20% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon s’apprêtant, d’après l’IFOP, à voter Marine Le Pen lors du second tour. Ceux-là choisissent désormais le FN en second choix. Si Mélenchon se prononçait sans ambiguïté pour Emmanuel Macron, il les perdrait définitivement et anéantirait par-là tous ses efforts. En restant discret sur son vote, Jean-Luc Mélenchon démontre qu’il connaît le mode de scrutin majoritaire à deux tours, dont le mécanisme impose une humilité par rapport aux électeurs : il faut parfois accepter d’être un deuxième choix ; il faut aussi accepter que ses électeurs qui vous ont choisi en premier choix en fassent ensuite un second qui vous irrite. Bref, en tenant compte des circonstances et en jouant avec les règles du jeu, Jean-Luc Mélenchon fait de la Politique. Pendant que ses contempteurs continuent, comme s’ils n’avaient décidément rien appris, à faire du catéchisme.

Retrouvez tous les articles de David Desgouilles sur son blog Antidote

Macron : un « new deal » entre la société et l’Etat

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Emmanuel Macron à Arras, 26 avril 2017. SIPA. 00804104_000006
Emmanuel Macron à Arras, 26 avril 2017. SIPA. 00804104_000006

La campagne de France d’Emmanuel Macron évoque irrésistiblement une « longue marche » du siècle dernier, première étape de la conquête du pouvoir chinois par un certain Mao Zedong. Une énergie à « déplacer des montagnes », un culot monstre, une intelligence stratégique et tactique innée, donc  délestée des pesanteurs accumulées dans les machines politiques à bout de souffle, la capacité à tirer immédiatement les leçons des erreurs commises dans le feu de l’action… L’analogie s’arrête là, car personne ne peut aujourd’hui sérieusement penser que l’aventure macronienne puisse déboucher sur une version française du laogaï, le goulag chinois, et les rivières de sang de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Un maoïsme à l’envers

Mieux : le macronisme est l’inverse du maoïsme, car sa stratégie consiste à « encercler les campagnes à partir des villes », alors que le Grand Timonier fondait la sienne sur la mise en mouvement des masses paysannes pour subvertir les grandes métropoles de son pays, foyers de modernité capitaliste. La carte électorale du premier tour de la présidentielle en est la preuve : ce sont les métropoles économiquement prospères qui ont plébiscité Macron, alors que l’espace rural et les régions de friches industrielles ont placé leur désespoir dans un vote Le Pen, dans une moindre mesure, dans un vote Mélenchon.

>> A lire aussi: Macron-Le Pen: deux France en chiens de faïence

Le Front national et la France insoumise se sont nourris du ressentiment des laissés-pour-compte de la nouvelle révolution industrielle qui voient le monde d’hier, ce monde qui peut être dur mais aussi familier et protecteur, se défaire à grande allure. Face à ce ressentiment, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon prétendent que le monde ancien peut être préservé tel quel, avec les recettes du siècle dernier – protectionnisme, dirigisme étatique, gel des rapports sociaux et des structures économiques issus des « Trente glorieuses ». Entre le ressentiment et la paranoïa, la frontière est poreuse : les démagogues ont beau jeu de prétendre que ceux qui souffrent sont victimes d’un complot ourdi dans les cénacles de la finance internationale, dont Emmanuel Macron serait au mieux le fondé de pouvoir, au pire la marionnette. C’est une pensée paresseuse, même si elle est enrobée dans une rhétorique raffinée.

Jospin avait raison trop tôt

Jusque-là, les détenteurs du pouvoir en France avaient nourri l’illusion qu’ils pouvaient maintenir l’ancien tout en prenant la mesure des exigences du monde en train de se faire. La société était appelée à leur faire confiance, et non pas invitée à se prendre en main pour répondre aux défis de l’époque. Lionel Jospin avait eu un bref éclair de lucidité en affirmant que «  l’Etat ne peut pas tout » pour entraver le processus de désindustrialisation du pays. C’était trop tôt, et cela lui coûta son élection à l’Elysée. La demande d’un roi thaumaturge (l’homme providentiel en langage républicain) est un trait de caractère persistant de la conscience politique française, et sa plus grande faiblesse. La société a été conditionnée à ne pas se faire confiance, on l’a dissuadée de se prendre en main pour résoudre les problèmes posés par la marche du monde, sans attendre la manne venue d’en haut, comme les Hébreux dans le Sinaï…


«Il ne faut pas tout attendre de l’Etat», quand… par 20Minutes

C’est à une révolution dans la relation entre la société et l’Etat que vise le projet macronien, libérant les énergies qui bouillonnent en son sein, et qui, lorsque l’on regarde bien cette société, maintiennent la cohésion de la nation grâce à un tissu d’associations sportives, culturelles, sociales, caritatives et spirituelles sans équivalent en Europe. Pourquoi ne pas étendre ce modèle à la vie économique de la nation et à l’administration des choses ? Plus de société, et moins d’Etat (ce qui ne veut pas dire moins d’autorité à son sommet) c’est le fil rouge du programme de En Marche !. C’est, par exemple, l’appel au bénévolat des retraités pour assurer le suivi scolaire des enfants défavorisés dans des études surveillées est une mesure symbolique de ce new deal entre le peuple et la bureaucratie dirigeante. On sort de la répétition psittaciste du « plus de moyens, plus de postes pour l’Ecole, des moulins à prières revendicatives actionnés régulièrement par des syndicats clientélistes. Bougez-vous et vous serez aidés ! Cette exhortation s’adresse à tous et à chacun, et parie sur la part d’énergie que même le plus déshérité d’entre les Français conserve en lui. Sortir du ressentiment, des passions tristes, des peurs irrationnelles, de la déprime décliniste, de la lamentation infinie. C’est retrouver l’âme de la France du temps où elle était glorieuse.

Macron – Le Pen : choisir de ne pas choisir

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Panneaux électoraux à Nantes, avril 2017. SIPA. 00800805_000002
Panneaux électoraux à Nantes, avril 2017. SIPA. 00800805_000002

« Et maintenant, que vais-je faire ? », chantait Gilbert Bécaud. L’avantage des chansons de variété, c’est qu’elles posent toujours les vrais problèmes, comme la littérature. Au premier tour, comme plus de sept millions d’électeurs, j’ai voté avec enthousiasme pour le programme de Jean-Luc Mélenchon, un peu moins pour celui qui le portait. Son attitude césariste, la personnalisation excessive de sa campagne, la façon dont les militants de France insoumise venaient à l’occasion dire aux militants communistes qui distribuaient des tracts pour lui qu’ils n’avaient rien à faire là, qu’ils gênaient même, m’a déplu. C’est peut-être d’ailleurs cette attitude qui a fait manquer à Mélenchon le second tour à un petit million de voix.

Et maintenant, donc, le choix entre Macron et Le Pen. Je pense que Mélenchon n’a pas eu tort, le soir du premier tour, de dire que c’était là le duel rêvé par l’oligarchie, rêvé et, d’une certaine manière, provoqué. La preuve la plus emblématique en est François Hollande qui n’est sorti de sa réserve dans les derniers jours de la campagne que pour s’inquiéter de la « remontada » de Mélenchon. Son dernier cadeau à la gauche de rupture, ça… Le président n’était pas gêné plus que ça par une Marine Le Pen donnée en tête du premier tour pendant des mois. En revanche, quand Mélenchon a commencé à tutoyer les sommets, il a distillé ses remarques insidieuses sur ce populisme de gauche qui lui semblait, de fait, plus détestable que celui de l’extrême-droite. Comme d’habitude, serait-on tenté de dire… Il y a aussi, dans le même genre de beauté, la façon dont les marchés ont réagi avec un soulagement qui frisait l’obscénité en saluant par une hausse de 4,1% de la Bourse dans les heures qui ont suivi.

Retour en 1984

Me voilà donc dans une situation proprement orwellienne. Rappelons que dans 1984, pour assurer la puissance de Big Brother, il y a un méchant, Goldstein, dont on ne sait pas trop s’il est encore vivant, d’ailleurs, ou même s’il a existé. Ce méchant est un des éléments qui permet à Big Brother d’exercer son pouvoir totalitaire sur la population, notamment par le biais des Semaines de la Haine où l’on se doit de cracher en groupe sur la figure abjecte du traître quand elle apparaît sur des télécrans.

Le Pen, le père en son temps et la fille aujourd’hui, c’est Goldstein. Face à Goldstein, un candidat qui représente un néo-libéralisme aussi sauvage que celui de Fillon mais avec un lexique plus sucré, qui va enfin selon le souhait pluri-décennal du MEDEF liquider ce qui restait de l’Etat-Providence et des acquis du CNR, un candidat qui vous dit, comme Big Brother, « la liberté, c’est l’esclavage; la paix, c’est la guerre (de tous contre tous) », ce candidat-là, en plus, il va falloir que vous le preniez pour un héros de l’antifascisme. On aura rarement poussé aussi loin notre servitude volontaire en nous imposant un faux clivage : celui qui opposerait « patriotisme » de Marine Le Pen contre le « mondialisme » d’Emmanuel Macron comme si l’amour de son pays excluait nécessairement une société ouverte, comme si être Français, au moins depuis la Révolution, ne supposait pas une articulation entre la nation et l’universel.

Je ne voterai évidemment pas pour Marine Le Pen au second tour. Vouloir voir des analogies entre les programmes du Front national et celui de France insoumise relève du confusionnisme idéologique, savamment entretenu d’ailleurs par le FN qui vient de sortir un tract draguant éhontément les électeurs de Mélenchon.

C’est oublier que l’apparente similitude entre des mesures sociales comme la retraite à 60 ans sont dans un cas financées par une préférence nationale qui cible l’immigré d’un côté alors que de l’autre, elles le seraient par un nouveau rapport de force (appelez-ça la lutte des classes si vous voulez) avec le capital. C’est pour cela que le second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon était le cauchemar du système. Il aurait d’une part écarté les tenants du « There is no alternative », que ce soit Fillon dans sa version Ordre Moral ou Macron dans sa façon festiviste cool et d’autre part, il aurait permis de montrer qu’entre la tradition politique du FN et celle incarnée par Mélenchon, il n’y a rien de commun, absolument rien, au point qu’en d’autres temps, elles se sont affrontées par les armes.

Mais je ne voterai pas non plus Macron. Je ne veux pas, je ne peux pas donner ma voix à celui qui envisage la France comme une start-up, c’est à dire un endroit où les patrons et les salariés devenus auto-entrepreneurs se tutoient même quand les premiers licencient les seconds avec le sourire, grâce à un code du travail qui tiendra sur une feuille A4, et encore seulement le recto.

>> A lire aussi: La France n’est pas un open space – Par Alain Finkielkraut

Bref, alors que je devrais me réjouir du score sans précédent d’une gauche de transformation qui représente un électeur sur 4 pour peu qu’on ajoute les voix de Benoît Hamon à celle de Jean-Luc Mélenchon, j’éprouve plutôt, face à Marine Le Pen et Emmanuel Macron un sentiment de honte, la honte qu’éprouve Joseph K. à la fin du Procès de Kafka quand il se fait saigner par deux bourreaux : « Mais l’un des deux messieurs venait de le saisir à la gorge;  l’autre lui enfonça le couteau dans le coeur et l’y retourna par deux fois. Les yeux mourants, K. vit encore les deux messieurs penchés tout près de son visage qui observaient le dénouement joue contre joue.

– Comme un chien! dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. »

1984

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Macron – Le Pen: deux France en chiens de faïence

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macron lepen france identite
Sipa. Numéros de reportage : 00801964_000007 et 00800556_000039.
macron lepen france identite
Sipa. Numéros de reportage : 00801964_000007 et 00800556_000039.

« La liberté n’existe pas ; toute rose pousse dans une prison », disait Salvador Dali. Il entendait par là que pour faire une rose, il faut les conditions de la rose, uniquement les conditions de la rose, et exclure sans sommation toute autre condition que celle de la rose. La rose naît dans l’implacable prison de sa définition. C’est en quoi la rose est sublime.

Un peuple ou un contrat?

La France, libérée de cette « prison » au sens dalinien, est une entité sans contour commun. Dans quelle « prison » faisons-nous exister la France ? Ce second tour électoral est plus caricatural que jamais. Nous ne partageons même plus la même définition de la France. Pour les uns il s’agit d’adhérer à des valeurs et à un contrat (la précession du projet philosophique sur la nature du peuple), pour les autres il s’agit de continuer à exister en tant que peuple (la précession des usages culturels sur le projet politique). Pour forcer le trait : pour les uns c’est une âme, pour les autres c’est un corps.

>> A lire aussi : l’entretien sur la France d’Emmanuel Macron avec Causeur

La distinction « pays réel vs pays légal » est très intéressante mais elle entend que le pays légal ne serait pas du domaine de la réalité. Or il l’est. Car ce dont il faut se défier, c’est que le projet philosophique ne méprise la réalité incarnée de ses racines, parce que son universalité n’est que la traduction moderne de son baptême dans la religion universelle et que sa vocation privilégiée de « pays de Droits de l’Homme » n’est que la traduction moderne de sa vocation privilégiée de « fille aînée de l’Église ».

Ce dont il faut se défier aussi, c’est que l’attachement à la chair du peuple ne dispense pas de considérer aussi la vision et la vocation.

Âme et corps ont des existences réelles, quelle que soit la direction qu’ils prennent. Mais n’oublions pas que la fâcheuse opération de séparation du corps et de l’esprit s’appelle la mort.

« Mondialistes vs « racistes », une caricature!

Le libre choix électoral ne fait qu’aggraver, à chaque fois plus profondément, ce grand divorce entre les Français du projet universel et les Français du projet particulier. Les positions se cristallisent, se radicalisent à chaque fois plus fermement. Quand les premiers réclament du « pour tous » et que les seconds réclament du « pour nous », plus personne ne s’entend sur rien et l’implosion nationale fermente, résolument et tristement. Tant qu’on se traitera, selon son camp, de « mondialistes hors-sol » ou de « racistes refermés sur eux-mêmes », on ne comprendra pas ce qui nous arrive.

>> A lire aussi : l’entretien sur la France de Marine Le Pen avec Causeur

Ce ne sont pas que les politiques ou les médias qui entretiennent ce grand malentendu français, ce sont les Français eux-mêmes qui le cultivent, avec de plus en plus d’ardeur et de militantisme. Et les réseaux sociaux ont un terrible effet de catalyseur : le citoyen devient un militant fervent, chacun de ses posts est un manifeste puissant comme du Zola, chaque débat sur la toile est un clash de titan. Mais qui sauvera les Français d’eux-mêmes, puisqu’ils sont incapables de vouloir leur concorde par les urnes ? Faudra-t-il donc en arriver à cette extrémité qui est de les pacifier par la force, des les réconcilier sans leur consentement ? Qui osera cet affront contre la démocratie ?

Affaire Fillon: une bronca contre un candidat, plus jamais ça!

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François Fillon échoue au premier tour de l'élection présidentielle, avril 2017. SIPA. AP22043988_000002

Ça y est, nous avons les noms des deux finalistes de la présidentielle, une élection qui, pour beaucoup, se présentait comme « historique ». Plusieurs futurs très différents s’offraient en effet à la France : un hypothétique Frexit, ou en tout cas un mouvement de défense et de fermeture avec Marine Le Pen ; une continuation exacerbée du progressisme mondialiste du quinquennat Hollande, soutenu par la finance et la « France d’en haut » avec Emmanuel Macron ; une tentative de redressement équilibrée et plus « classique » avec François Fillon ; ou encore une aventure à la Chavez avec Jean-Luc Mélenchon. Certains de ces futurs étaient plus dangereux que d’autres et menaçaient d’ajouter, en plus des multiples menaces internes et externes déjà existantes, de graves risques d’impuissance (cohabitations dès le début du quinquennat) ou d’explosions sociales, à long terme, ou même à très court terme. Les électeurs ont décidé, et éliminé deux de ces futurs. Il en reste deux. L’élection n’est pas du tout terminée.

Peu importe sur qui ça tombe, le mal est le même

Mais dans tous les cas, le mal est fait. Il ne fait de doute pour personne de lucide que le candidat Fillon a bien été l’objet d’un « coup d’état légal ». Nous l’avons observé jour après jour, et cela a été confirmé par la sortie, fort opportune, du livre Bienvenue Place Beauvau : au départ, mépris de la « trêve électorale », une pratique pourtant sage et indispensable. Ensuite, intrusion du pouvoir politique, à travers ses réseaux au sein de la police, de Tracfin et de l’institution judiciaire, pour déstabiliser et mettre en accusation le candidat de la droite et du centre, en plein milieu de la campagne : fuites insupportables et permanentes du dossier, organisées dans la presse au mépris de toute déontologie, reprise par celle-ci des éléments accusateurs ad nauseum, chaque jour, chaque heure, chaque minute. Nous avons tout vu et tout suivi, tout subi, jour après jour, en direct.

>> A lire aussi: Affaire Fillon: Canard qui s’en dédit… Quand un journaliste de l’hebdo satirique se dément lui-même

Si cela était arrivé à un autre que François Fillon, le mal aurait été exactement le même. Pourquoi ? Parce qu’il est maintenant évident qu’un groupe oligarchique, composé de politiques, de magistrats, de hauts fonctionnaires, de patrons de presse et de journalistes peut s’immiscer impunément dans une campagne électorale – la plus importante qui soit – et la détourner de son objet, sans que ni les « grandes figures intellectuelles », ni le peuple lui-même, ne se révolte. Et c’est cela qui est grave.

Bien sûr, les soutiens de François Fillon se sont, d’une certaine façon, « révoltés », et l’ont sauvé in extremis au Trocadéro. Mais ce n’est pas cela que nous aurions dû faire. Nous aurions dû nous lever en masse, à l’appel de quelques « grandes consciences », toutes tendances confondues, et investir la rue, pour crier notre dégoût de ces « putschistes », de leurs méthodes et de leurs relais, et refuser que l’on nous vole notre élection. Nous ne l’avons pas fait. La ficelle était pourtant énorme ! Bien au contraire, nous sommes rentrés dans leur jeu, et nous avons suivi le feuilleton, certains suivant les accusateurs et les « laveurs plus blanc », tous plus hypocrites les uns que les autres, d’autres défendant, bec et ongles, leur candidat.

Les intellectuels ont laissé faire

Les magistrats ont détourné pudiquement les yeux, s’abritant sans doute sous le parapluie du formalisme de la loi, alors que l’esprit de celle-ci était ouvertement bafoué. Les intellectuels, pour la plupart, ont laissé faire, sacrifiant leur souci de probité, si souvent mis en avant, à leurs amitiés politiques. Les journalistes, si fiers d’affirmer d’habitude la sacro-sainte « liberté et indépendance de la presse », et si prompts à dénoncer les arrière-pensées et les manipulations des politiques, se sont cette fois-ci aplatis devant les conjurés. Servilement, ils sont entrés dans leur jeu. Ils ont crié au « complotisme », affirmant, la main sur le cœur, qu’on ne pouvait prouver l’existence d’un « cabinet noir ». Ont-ils, d’habitude, ces pudeurs de jeunes filles et ces scrupules pour attaquer le pouvoir ? Bien plus, ils en ont « remis une couche », et encore une, et même une bonne tartine, jouant au mieux les « idiots utiles », au pire les factotums zélés des putschistes, pour ne pas perdre leur place, conserver leurs avantages ou vendre un peu de papier. Nous-mêmes n’avons pas été en reste : nous nous sommes égarés, déchirés, et nous avons oublié l’essentiel, qui nous crevait les yeux : une bande de voyous étaient entrés dans nos institutions par effraction, pour nous voler le processus de désignation de notre futur chef, quel que fût celui-ci, et nous priver du choix de notre avenir.

Ces bandits légaux ont ainsi remporté une grande victoire. Ils ont prouvé, à eux-mêmes et à nous aussi, que notre pays n’avait plus d’institutions, puisque l’on pouvait les piétiner à loisir, et mépriser la volonté du peuple (que par ailleurs nous ne cessons d’invoquer), bref, que notre grand pays, si fier de son histoire, était devenu, progressivement, une république bananière. Bien sûr, demain, le « feuilleton Fillon » ne se reproduira sans doute pas, mais d’autres intrusions ou détournements auront lieu, sous d’autres formes, organisées par les mêmes ou leurs amis, avec toujours les mêmes objectifs : désacraliser la République, détourner les institutions, voler les élections au peuple, se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

La suite logique de la désagrégation de l’Etat

Il n’y a dans toute cette affaire rien d’étonnant. La « guerre sociale » est consubstantielle à tout système politique. Elle oppose, depuis toujours, dans tous les régimes, les oligarchies et les peuples. Les oligarchies tendent à accaparer les pouvoirs et à peser sur les peuples, les peuples ont besoin d’un arbitre, qui les protège, par la force ou par la loi, par l’ordre et/ou par la justice, de l’arbitraire des pouvoirs oligarchiques. C’est pour cette raison que l’Etat et son chef existent, leur rôle principal devant être, si du moins leur mandat n’est pas détourné, de rééquilibrer le rapport forts-faibles. Après les « républiques oligarchiques » de la IIIème et de la IVème, c’est pour le rétablissement de cet équilibre que le Général de Gaulle s’était tant battu, faisant de la restauration du prestige de l’Etat, de la solidité des institutions, et de l’élection, supposément prestigieuse, de son chef au suffrage universel, la clé de voûte du rééquilibrage social, et la priorité de son combat. Selon la même logique, depuis que la Cinquième existe, les forces oligarchiques, de toutes natures, sont à l’œuvre pour tâcher de dénaturer la République, le passage au quinquennat en étant peut-être l’étape la plus marquante. Tout ceci est, si l’on peut dire, « dans la nature des choses ». Ce qui l’est moins, sans doute, c’est notre cécité collective, et notre manque de caractère pour nous y opposer.   

L’épisode Fillon n’est donc nullement une « surprise », mais bien la suite d’un long et ancien programme, dans ce processus de désagrégation de l’Etat, visant à consolider aujourd’hui le pouvoir des élites et à marginaliser le peuple, la « France périphérique » chère à Christophe Guilluy. Et c’est cet Etat qui a aujourd’hui perdu, quel que soit le résultat du 7 Mai, une grande bataille. Certainement, une étape a été franchie vers une certaine forme de « totalitarisme démocratique ». Nous ne devons pas nous laisser leurrer. Nous devons décoder cette évolution et la dénoncer fortement.

Parmi les deux candidats restants, à l’évidence, l’un se satisfera aisément de cette situation, faisant de son quinquennat un « mandat-alibi » (les paroles pour le peuple et les actes pour les oligarques) plutôt qu’un « mandat de justice » (restaurer l’Etat, rééquilibrer le rapport forts-faibles). Facile de trouver qui est-ce, il suffit de se demander « à qui le crime profite »… Si c’est celui-là qui passe, pauvre « France périphérique », et pauvres de nous.

Pour l’autre, ce sera sans doute moins le cas. Si c’est elle qui est élue, et si elle veut respecter un « mandat de justice » pour le peuple, il lui faudra beaucoup de lucidité, et surtout beaucoup de poigne pour résister à la « Trumpisation » (l’establishment vent debout contre son chef) qui l’attend. Elle l’a certainement déjà compris…

La France n’est pas un pays multiculturel

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L'équipe de France de football, février 2011. SIPA. 00614085_000003
L'équipe de France de football, février 2011. SIPA. 00614085_000003

Lors du dernier attentat islamiste à Stockholm, la stupeur a été grande, chez tous les officiants du vivre-ensemble. Comment était-ce possible que ça ait eu lieu là-bas ? Comment avait-on pu toucher au temple du multiculturalisme ? Porter le fer dans la chair du pays où – juré, craché – tout le monde aimait tout le monde ? Suédois, Africains, Arabes : tous ensemble !

La France aussi est un pays multiculturel, nous disent les mêmes. Et c’est un candidat à la présidence de la République qui a le plus clairement formulé cette pensée répétée et convenue : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France ». Emmanuel Macron, avant de les prononcer, avait bien pesé tous les mots de cette formule définitive. Et comme il a de sérieuses chances d’être élu président de la République, qui sait s’il ne va pas graver la notion de multiculturalisme dans la Constitution…

Dans multiculturalisme, il y a « plusieurs » et « cultures »

Une analyse sémantique s’impose. Dans multiculturalisme, il y a « plusieurs » et « cultures ». Cela suppose qu’il y ait des cultures qui cohabitent, qui s’interpénètrent et se nourrissent mutuellement. Cela fut vrai pendant l’Antiquité quand la Grèce irrigua de ses Dieux et de son génie, Rome qui l’avait conquise. Cela fut vrai pendant la Renaissance, quand de l’Italie rayonna une lumière dont la France fut illuminée.

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Mais aujourd’hui de quelles cultures s’agit-il ? Où sont-elles ? Il y a en France des millions et des millions de descendants d’immigrés, deuxième, troisième, quatrième génération. Nombre d’entre eux, nourris et vivifiés par leur terre d’accueil, ont fait pousser en France les plantes et les fleurs de leurs talents personnels.

Pas les plantes et les fleurs d’autres cultures ! Croit-on qu’Andreï Sergueïevitch Makine, prix Goncourt et membre de l’Académie française, a apporté chez nous la culture russe ? Il faut lire son beau et triste Testament français (écrit bien sûr en français) : il annonçait en sourdine L’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut. Mais peut-être, faudrait-il, pour faire plaisir aux multiculturalistes sectaires et bornés, écrire que ce dernier, membre comme Makine de l’Académie française, est de culture juivo-polonaise ?

Marguerite Yourcenar, une femme de lettres française

Continuons. Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française, était-elle de culture belge ? Assia Djebbar, elle aussi installée dans un fauteuil du quai Conti, se retournerait dans sa tombe si elle s’entendait qualifier comme étant de culture arabe. Et Tahar Ben Jelloun, Mohamed Kacimi, Boualem Sansal, que sont-ils d’autres que de merveilleux écrivains en français ?

Mais les intermittents de la pensée ont une objection toute prête. La culture, selon eux, ne se résume pas aux livres, à la peinture ou à la musique. En effet, il faut toujours, selon ces bégaiements niais, prendre en compte les rites, les rituels et les habitudes culinaires ou autres. Donc le pot-au-feu ferait donc, par exemple, partie de la culture française. Et à ce titre le méchoui serait un apport de la culture arabe.

Ce raisonnement poussé à l’absurde, vaudrait pour le saucisson à l’ail voué à une cohabitation amicale avec  le tajine. Le camembert entrerait dans un métissage fructueux avec la corne de gazelle. Et dans un autre domaine la pipe entamerait une promenade fraternelle avec la chicha. Si c’est ça la culture, alors ajoutons-y le canard laqué et la sauce de soja. On n’en parle pas assez…



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Gauche en phase terminale

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Jean-Pierre Le Goff. Photo : Hannah Assouline.
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Jean-Pierre Le Goff. Photo: Hannah Assouline.

Nb: Cet entretien a été réalisé avant le premier tour de l’élection présidentielle

Gil Mihaely. À quelques semaines du premier tour des élections présidentielles, la crise au sein du PS semble marquer la fin du grand compromis mitterrandien entre la gauche réformiste et la gauche contestataire. Mais n’a-t-il pas toujours existé « deux gauches irréconciliables », selon l’expression de Manuel Valls ? N’est-ce pas un signe de vitalité de la gauche plutôt que, comme l’annonce le titre de votre dernier livre, de son agonie ?

Jean-Pierre Le Goff[1. Jean-Pierre Le Goff est sociologue, président du club Politique autrement. Il vient de publier La Gauche à l’agonie ? 1968-2017 (éditions Perrin).]. Certains affirment que la gauche française est riche de sa diversité et, se référant aux origines, expliquent que ses divisions sont consubstantielles à son histoire. Avant même l’unification en un seul parti (la SFIO) en 1905 et la scission entre socialistes et communistes au congrès de Tours en 1920, il y a toujours eu, en effet, une diversité de courants. Mais il faut comprendre que cette diversité s’enracinait dans un arrière-fond commun : l’existence d’un mouvement ouvrier et un certains nombre d’idées-forces. Socialisme et communisme croyaient, chacun à leur façon, à un dépassement de la société existante et à la marche de l’Histoire vers son accomplissement, à l’appropriation collective des moyens de production, à l’idée selon laquelle il suffit de transformer la société pour résoudre presque tous les problèmes de l’humanité… Ces thèmes s’articulaient autour d’un sujet historique central : la classe ouvrière qui, en se libérant, était censée libérer l’humanité tout entière.

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Aujourd’hui tout cela n’existe plus et la diversité de la gauche n’est plus un indicateur de sa richesse mais un signe de son morcellement sur fond de crise de sa doctrine. Ce n’est pas seulement le communisme totalitaire qui est en question mais les idées et les représentations qui ont façonné la gauche depuis le XIXè siècle. Le mitterrandisme et le hollandisme en ont été le tombeau. Nous sommes à la fin d’un cycle historique.

Pourtant, la crise aidant, les millions de précaires, laissés-pour-compte et « gueules cassées de la mondialisation » (Patrick Buisson) pourraient constituer pour la gauche un nouveau socle sociologique…

Le mouvement ouvrier n’était pas simplement une classe au sens économico-social, c’était un monde au sens anthropologique du terme avec ses valeurs de solidarité et de coopération, sa morale et ses comportements, ses associations et ses organisations, avec un fort sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, ce monde ouvrier est mort, ce qui ne veut pas dire que les ouvriers comme catégorie sociale et les couches populaires ont disparu. Les « précaires » ne forment pas un mouvement qui se structurerait autour de valeurs communes et d’un projet alternatif de société. Nuit debout et les zadistes n’ont pas grand-chose à voir avec les caissières de supermarché, les caristes des centres logistiques, les chauffeurs Uber ou les petits agriculteurs… Le socle sociologique est pour le moins émietté.

L’émiettement n’est pas la seule raison. N’oubliez pas qu’au cours de cette période, Paris est passé à gauche et Bobigny à droite, ce qui laisse penser que la gauche n’est plus le parti des pauvres mais celui des possédants. Comme l’ont écrit nombre de bons auteurs, la gauche a abandonné le peuple. Et aujourd’hui, « les pauvres votent à droite ».

La catégorie des « pauvres » opposée à celle des « possédants » fait partie d’un schéma qui peut laisser supposer que les « pauvres » en question, assimilés au « peuple » ou aux « vrais gens », disposeraient d’une sorte de vertu et de légitimité devant lesquelles il faudrait s’incliner. C’est du reste de cette manière que la gauche a pu jouer sur la « mauvaise conscience » et faire « avaler des couleuvres » idéologiques et politiques. Aujourd’hui, la gauche continue de faire comme si elle était toujours la représentante « naturelle » des[access capability= »lire_inedits »] « pauvres » et de toutes les misères du monde, auxquels elle ajoute le modernisme en matière de mœurs et de culture. Ce méli-mélo ne trompe plus grand monde : la gauche apparaît désormais comme ayant abandonné largement les couches populaires, et sa conversion au « gauchisme culturel » a joué un rôle-clé dans cette transformation.

Malgré cet « oubli » et les divisions entre Macron, Hamon, Mélenchon, Poutou et Arthaud, la gauche survit. Comment expliquez-vous ce prodige ?

La gauche brandit la lutte contre les inégalités comme une sorte de plus petit dénominateur commun. Carlo Rosselli, socialiste italien assassiné par les fascistes, disait que « le socialisme, c’est quand la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres ». La lutte contre les inégalités trouvait son sens dans cette perspective. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La gauche est passée de l’égalité à l’égalitarisme en défendant le « droit à la réussite pour tous ». Pour reprendre la formulation de Paul Thibaud, le socialisme est devenu un « social-individualisme ». C’est un changement total de paradigme. On est donc bel et bien devant un champ de ruines avec le socialisme pour adolescents de Hamon, grand défenseur du revenu universel, et la structure d’accueil pour période de décomposition de Macron.

Jean-Luc Mélenchon, qui a rompu avec le PS, ne représente-t-il pas une certaine gauche authentique et même un brin patriote ?

Dans la décomposition actuelle, Mélenchon incarne une gauche à vocation « identitaire » plutôt nostalgique. C’est un tribun qui se croit encore porté par toute une histoire : la Révolution française, le Front populaire, la République, l’antifascisme, le socialisme… Mais qui sont ses troupes ? Sans mépris aucun, force est de constater qu’il s’agit souvent d’« ex- » militants vieillissants, d’enseignants, de fonctionnaires ou de jeunes diplômés radicalisés sans grands débouchés professionnels. C’est une gauche qui reste bloquée dans un imaginaire ancien mâtiné de postmodernité en matière de mœurs et de culture. Aux références emblématiques à la Révolution française et à la lutte des classes s’ajoutent de nouveaux droits de l’individualisme souverain tels que le suicide assisté et l’IVG qu’il se propose d’ajouter dans la Constitution… Mélenchon participe, à sa façon, du gauchisme culturel qui fait glisser la notion d’égalité vers les questions anthropologiques où elle ne devrait pas s’appliquer. À ce compte-là, la différence des sexes et la capacité des femmes à mettre au monde des enfants, contrairement aux hommes, pourraient être considérées comme une inégalité…

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Justement, que reste-t-il de l’universalisme constitutif de la gauche, de l’idée selon laquelle il n’existe qu’un seul Homme et que toutes les différences renvoient à des inégalités dont la source est technologique et économique ?

Revenons aux sources. Au moment de la Révolution française, l’universalisme est essentiellement fondé sur les Lumières et la Raison. La gauche va y ajouter, sous l’influence du marxisme, une vision économiste de la société et de l’histoire. La dimension anthropologique et culturelle se voit déniée ou réduite à une « superstructure ». D’où les difficultés de la gauche à penser la nation et sa tentation pacifiste au nom de l’« internationalisme prolétarien ». En 1914, avant son assassinat, Jaurès pensait encore que la grève générale des prolétaires de tous les pays pourrait empêcher la guerre.

Après la Seconde Guerre mondiale, le moment anti et postcolonial va constituer une nouvelle donne. Dans les pays développés, un nouveau type de société s’est installé : la société de consommation et des loisirs. Pour la première fois dans l’histoire, la question qui a hanté le xixe, le paupérisme, semble être globalement résolue. Le prolétariat qui devait sauver l’humanité tout entière et être le sujet historique du dépassement du capitalisme… profite des week-ends et des vacances ! Au même moment, on assiste à des luttes d’indépendance en Afrique, au Maghreb, en Amérique latine, en Asie…, luttes qui donneront naissance au courant « tiers-mondiste » de la gauche.

Première entorse assumée à l’universalisme, le tiers-mondisme entendait-il « dissoudre le peuple et en élire un autre », comme dans le poème de Brecht ?

Au prolétariat qui s’installe dans des HLM modernes, et profite de la société de consommation et des loisirs se substituent en effet comme sujets historiques les peuples colonisés et « dominés par l’impérialisme américain ». Cependant, nous ne sommes pas encore dans le multiculturalisme car l’idée dominante est encore universaliste : la lutte des peuples s’inscrit dans la marche d’ensemble de l’humanité vers son émancipation. La valorisation des communautés d’appartenance des immigrés viendra plus tard. En 68, contrairement à une idée qui s’est répandue, on est encore dans les proclamations à vocation universelle.

Comment avons-nous basculé dans le multiculturalisme ?

Le tournant me paraît se situer dans les années 1980-1990. Certes, les luttes des jeunes, des femmes, des homosexuels et des travailleurs immigrés étaient déjà valorisées dans les années 1970. Mais pour ce qui est des immigrés, ils étaient d’abord perçus comme des ouvriers et leur intégration était pensée en termes de classe. En 1983, la marche des « beurs » s’inscrit dans la référence à l’égalité et à l’intégration républicaines avant d’être récupérée et dévoyée par SOS Racisme avec son slogan : « Black-Blanc-Beur ». S’instaure alors, comme l’a bien analysé Yonnet, un nouvel antiracisme ethnique et communautariste. Le « politiquement correct » s’installe en France parallèlement aux évolutions des campus américains – sans pour autant parler d’une importation pure et simple. La gauche n’a rien compris à ce tournant-là ! Ses propres mots, ses propres slogans ont complètement changé de sens mais tout le monde a continué à les scander en feignant de croire qu’on était dans la continuité.

Ce tournant correspond aussi à la fin de la société d’abondance et au choix de la rigueur en 1983. Est-ce une coïncidence ?

Bien avant le tournant de 1983, la crise du pétrole de 1973 annonce la fin des Trente Glorieuses mais aussi le déclin de la classe ouvrière considérée comme sujet historique. Puisqu’on change de société et de modèle économique, la gauche improvise d’abord puis théorise la fin de la classe ouvrière comme acteur de la marche de l’Histoire. Cela aboutit à ce qu’Éric Conan, dans La Gauche sans le peuple, a très bien décrit : on remplace le prolétariat par les immigrés, les jeunes, les femmes… SOS Racisme a été le laboratoire qui a permis d’aller un pas plus loin en basculant vers une représentation communautaire avec des groupes de pression et des revendications identitaires, le tout dans une logique de victimisation et une demande de droits indéfinis. Ce changement n’est pas un simple « cache-misère » du tournant de la rigueur ; il n’est pas déterminé par lui ; il marque une rupture dans l’ordre des représentations et des idées-forces qui avaient structuré l’identité historique de la gauche.

Arrive ensuite le « moment islamiste » que la gauche n’a pas davantage compris…

Dans les années 1990-2000, la doctrine de la gauche est en morceaux, elle se trouve complètement démunie pour penser le nouveau. Privée de classe ouvrière, l’idée de progrès étant en panne et après avoir accepté, plus ou moins clairement, l’économie de marché, elle bricole pour accommoder les restes de son idéologie. Face à la montée de l’intégrisme islamique, elle est divisée et tente tant bien que mal de recourir à ses explications traditionnelles : chômage, inégalités, discriminations, post-colonialisme… Non seulement elle se montre incapable d’analyser le contenu propre de l’intégrisme islamique en termes de croyances, mais elle en fait le symptôme et la victime d’une société responsable de tous les maux. Les attentats ont constitué une terrible épreuve du réel, sans permettre de lever totalement cette lourde équivoque. Manuel Valls a rompu avec les « noyeurs de poisson » sans avoir forcément les outils intellectuels pour analyser l’intégrisme et le terrorisme islamiste.

Sur ce champ de ruines, y a-t-il encore un ADN de la gauche qui pourrait servir de base à sa refondation ou faut-il considérer qu’ayant accompli sa mission historique, elle doit s’effacer pour laisser la place à de nouveaux clivages ?

Venant moi-même de la gauche, je ne pose plus du tout le problème de cette façon. Le problème de fond est plutôt de savoir comment se débarrasser de cet ADN, qui consiste à échafauder des grandes théories expliquant tout en forçant à tout prix la réalité à leur correspondre. La vérité, comme l’éthique ou la morale, n’appartient pas à un camp.

Et pourtant, c’est peut-être le sentiment d’incarner le Vrai et le Bien qui, existentiellement, définit aujourd’hui le mieux l’homme de gauche.

En effet, être de gauche est devenu de plus en plus une affaire identitaire, dans un milieu restreint dont le rapport à la réalité est devenu problématique mais qui demeure influent dans les médias et l’édition. Dans ces conditions, identité de gauche et exigence de vérité font rarement bon ménage, surtout quand s’y ajoute la volonté d’apparaître à tout prix « de gauche » dans les médias.

Donc, vous dites adieu aux rivages idéologiques auxquels vous avez été attaché une grande partie de votre vie. Sans nostalgie ?

Oui, concernant l’idéologie, ce qui ne veut pas dire que mes révoltes et mes engagements se résument à cet aspect. Je ne veux plus de ces systèmes globalisants, de ces appartenances qui mélangent tout – la politique, le social, la culture, les mœurs, les goûts… La gauche est trop longtemps tombée dans ce piège.

Il faut cesser de faire de l’identité de gauche une question existentielle et distinguer les registres. Les questions anthropologiques et culturelles m’importent au plus haut point. Dans le domaine économique et social, je cherche des politiques intelligentes et efficaces qui se soucient des couches populaires. Non, ce n’est pas populiste d’être capable de se mettre à leur place et de prendre en compte leurs besoins, leur manière d’être et leurs intérêts. Est-ce de gauche ou de droite ? Comme dirait Rhett Butler à la fin d’Autant en emporte le vent, c’est le cadet de mes soucis… Mon propos n’est pas de refonder la gauche mais d’analyser et de comprendre le nouveau monde dans lequel nous vivons, de penser et de prendre parti librement pour ce que je considère vrai et juste.[/access]