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« Make Industry Great Again »

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Pour le fondateur de l’Observatoire Janus, la puissance française est à l’heure des choix: l’industrie ou le déclin…


La désindustrialisation française ne s’est pas faite par hasard, mais par choix. Tandis que d’autres nations préservaient et renforçaient leur appareil productif, la France a laissé son industrie décliner, avec des conséquences économiques et stratégiques majeures. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques croissantes, aux ruptures d’approvisionnement et à la guerre économique entre grandes puissances, la question n’est plus de savoir si la France doit réindustrialiser, mais comment y parvenir.

Depuis les années 1970, la France a subi une désindustrialisation, plus brutale que ses voisins. En misant sur les services et la finance au détriment de la production, elle a vu ses usines partir, son savoir-faire disparaître et la part de l’industrie dans son PIB s’effondrer. Là où Berlin a préservé un tissu industriel en intégrant la R&D et en soutenant les exportations, Paris a externalisé ses services, misé sur la consommation et alourdi la fiscalité des entreprises.

Ces choix ont eu des effets catastrophiques : perte de souveraineté, déficits commerciaux et disparition de groupes industriels majeurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, qui affichent des excédents grâce à leur industrie, la France décroche économiquement. Pourtant, alors que le débat sur la réindustrialisation s’intensifie, les mesures concrètes restent marginales. Or, la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit.

En Asie : l’industrie au service de la puissance

L’industrialisation est toujours le fruit d’une volonté politique. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont bâti, en quelques décennies, des bases industrielles solides, faisant de leur économie un levier de puissance. Après 1945, le Japon engage une reconstruction industrielle dirigée par le MITI, un super-ministère chargé du développement économique. L’industrie est protégée par des barrières tarifaires et se structure autour des keiretsu, des conglomérats intégrés reliant banques, usines et services. Subventions et accès facilité au crédit permettent au Japon de devenir une puissance exportatrice.

Dans les années 1960, la Corée du Sud suit ce modèle avec une planification industrielle rigoureuse qui pilote le développement des chaebols. Ces conglomérats bénéficient de financements massifs et d’un accès aux marchés publics en échange d’objectifs d’exportation stricts. L’industrie lourde et la haute technologie deviennent les fers de lance du miracle coréen.

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Enfin, la Chine adopte, dès les années 1980, un modèle mêlant capitalisme et contrôle étatique. Avec les zones économiques spéciales, Pékin attire les capitaux étrangers tout en imposant des transferts de technologies. L’État pilote l’industrialisation à travers des plans ciblant les semi-conducteurs, les batteries et l’aérospatial. Les points communs de ces stratégies sont clairs : un État qui planifie, une industrie protégée, un soutien massif au crédit et une orientation vers l’exportation. Les résultats le sont tout autant.

Le Japon, pays défait et ruiné en 1945 devient le premier rival économique des États-Unis à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud, qui affichait un revenu par habitant inférieur à celui d’Haïti au début des années 1960, figure aujourd’hui parmi les quinze premières économies mondiales. Quant à la Chine, son ascension vers le statut de première puissance mondiale parle d’elle-même. Contrairement à l’UE et son dogme du libre-échange, ces pays ont compris que la puissance industrielle repose sur l’alliance entre l’économie et le politique.

Aux États-Unis, un réveil tardif

Les États-Unis ont récemment amorcé un virage clair vers la réindustrialisation. Ils ont engagé une série de réformes pour protéger leurs industries stratégiques, relocaliser la production et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

L’administration Trump impose des tarifs douaniers sur les importations chinoises, ciblant notamment l’acier, l’aluminium et les composants électroniques. L’objectif est de rendre les importations moins compétitives et de relancer la production locale. L’administration Biden a lancé le CHIPS Act en 2022, un plan de 52 milliards de dollars pour relancer la production nationale de semi-conducteurs.

La même année, l’Inflation Reduction Act injectait 370 milliards de dollars dans les industries vertes, avec une logique de relocalisation. Enfin, le Build America, Buy America Act, adopté en 2021, impose aux marchés publics de privilégier les entreprises nationales. L’accent est aussi mis sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’accès à une énergie compétitive. Cette réindustrialisation ne repose donc pas sur le marché, mais sur des politiques volontaristes, combinant protectionnisme ciblé, aides directes et incitations fiscales.

France: que faire ?

Aucune grande puissance industrielle ne s’est construite sans intervention de l’État. Trois piliers sont essentiels : protéger, financer, organiser.

Protéger l’industrie nationale passe par un protectionnisme ciblé. Conditionner les marchés publics à la production locale, imposer des barrières tarifaires sur les produits stratégiques, réguler les investissements étrangers pour éviter le rachat d’entreprises clés.

Financer et soutenir la montée en puissance des industries stratégiques exige la création de fonds souverains. Un crédit industriel préférentiel garantirait des prêts à taux réduits aux entreprises manufacturières. La fiscalité doit aussi être adaptée avec une baisse des charges sur la production, des incitations fiscales à l’investissement et une prime à l’export pour renforcer la compétitivité.

Structurer l’industrie autour d’écosystèmes compétitifs permettrait de rivaliser à l’international. Un Airbus des semi-conducteurs, des batteries, du cloud computing permettrait d’atteindre la taille critique pour s’imposer. Les États doivent favoriser la création de clusters industriels, reliant grandes entreprises, PME et centres de recherche pour maximiser l’innovation.

La réindustrialisation ne repose ni sur des slogans ni sur des demi-mesures. Elle implique des arbitrages et des choix stratégiques clairs et assumés.

C’est dans l’air et c’est pollué

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Anne-Elisabeth Lemoine recevait récemment la grande actrice Julie Gayet dans son talk-show. Une belle occasion de s’indigner avec élégance: pourquoi diable le cinéma français a-t-il si peu mis en lumière Olympe de Gouges? Franchement, il y avait pourtant là un rôle en or! Quel scandale, ma bonne dame, on en ferait presque une pétition sur change.org… Et bien sûr, impossible de ne pas remettre les choses en perspective: la cause féminine en Occident? Pas de quoi fanfaronner, hein. Avant de vouloir donner des leçons au monde arabe, on ferait peut-être mieux de vérifier si on a enfin payé l’écart de salaire entre Ken et Barbie…


Ce n’est certes pas la première fois que Bécassine entend le propos, mais comme certains comportements ou phrases qu’on enregistre et dont le sens n’advient que plus tard, à la faveur d’une cristallisation, cette fois-ci, elle a vraiment entendu ce qui se disait. La répétition, ça instruit. Ça abrutit aussi, mais si l’on veut bien décortiquer, ça instruit.

Donc, C dans l’air recevait Julie Gayet pour sa prestation dans « Olympe de Gouges » qui passait le soir à la télévision. Il fut donc question du combat des femmes, de la Révolution qui trouvait que ce n’était pas le moment, qu’on verrait après, etc. La présentatrice parla alors de ce combat toujours hélas d’actualité ; il n’y avait qu’à voir le sort des femmes en Afghanistan, en Iran, mais aussi aux États-Unis où le droit à l’avortement était menacé et en France, n’est-ce pas, où l’égalité salariale n’était toujours pas au rendez-vous !

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Pris un à un, ces éléments sont tous vrais, sauf qu’on aura remarqué qu’il n’est pas dit grand-chose des femmes en Afghanistan et en Iran ; on est déjà plus prolixe dès qu’il s’agit de l’Occident. On précise. Parce que s’il fallait préciser les choses pour Bagdad et Téhéran, ça ferait une liste longue comme le bras : vente de petites filles, lapidation, interdiction de quasiment tout, enfermement, bref, mise au tombeau de leur vivant. Côté perse, on a mort pour une mèche de cheveux qui dépasse, ou pour avoir manifesté, pendaisons à gogo, hommes compris. Mais dire tout ça pourrait couper l’appétit et pourrait porter préjudice à certaines cultures, voire certaine religion.

C’est pourquoi on va appliquer la théorie de la relativité à tous les tourments que les femmes endurent « partout » depuis des lustres. On va mettre sur le même plan le sort des femmes en Afghanistan et le droit à l’avortement menacé dans certains États de l’Amérique ; on va mettre dans le même panier le fait d’être tuée et celui de n’avoir pas le même salaire que ces messieurs. On va clamer que nous aussi, ou non plus, hein, on ne fait pas les fières, qu’on n’a pas tout réglé, loin s’en faut. Ainsi, on aura fait preuve d’équité, on aura bien équilibré les dommages, pour qu’on ne croie surtout pas que dans certaines cultures où sévit certaine religion, cela soit forcément pire qu’ailleurs.

Alors, après avoir noyé le poisson, il sera temps de le manger, en toute impartialité.

« D’Amour » et de musique

Thomas Lebrun présente D’Amour, sur la scène du théâtre de Chaillot, un spectacle chorégraphique autour de la chanson française. Une belle énergie qui s’adresse aussi au jeune public.  


Que ne revoit-on des pièces du chorégraphe Thomas Lebrun aussi belles que La Constellation consternée (2010) ou qu’Avant toute disparition (2016), magnifique composition qui balaya naguère la grande scène du Théâtre de Chaillot d’un souffle épique qui demeure encore dans les mémoires !

Le pernicieux système qui règne en France contraint les rares bons chorégraphes d’aujourd’hui à créer sans cesse de nouveaux spectacles sans pouvoir exploiter suffisamment les précédents, et à délaisser ainsi tout un répertoire qui mériterait d’être maintenu et de pouvoir être découvert, année après année, par des spectateurs toujours plus nombreux.

© Frédéric Iovino

Fantaisie et poésie

Ainsi poussé à créer un nouvel ouvrage, mais avec des moyens très modestes, Thomas Lebrun, qui dirige le Centre chorégraphique national de Tours depuis janvier 2012, livre avec D’Amour une aimable anthologie de chansons de variétés, de celles qui firent rêver, de l’après-guerre à nos jours, des générations de midinettes et d’adolescents boutonneux ainsi que leurs géniteurs. De Charles Trenet à Léonard Bernstein pour le meilleur, de Sheila à Elli et Jacno ou Sagazan pour le moins convaincant, en passant par Edith Piaf, Theo Sarapo, Lady Blackbard ou Richard Sanderson…

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Conçu comme l’émission radiophonique d’un poste imaginaire, Radio Love, mais qu’on voit illustrée par un joli quatuor de danseurs très plaisamment costumés par Kite Vollard, D’Amour débute sur les chapeaux de roues par des danses libres, facétieuses, délicieusement entraînantes, très genre music-hall, et d’autant plus vivantes quand elles sont accompagnées de chansons pleines de fantaisie ou de poésie. Cela faiblit quelque peu sous l’effet délétère de la chansonnette française dont le niveau ne s’arrange guère au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Il faudrait des chants d’amour d’Espagne ou d’Amérique latine, brûlants, âpres, incandescents, mélodiquement superbes, pour mieux embraser une scène.

Gare à l’excès de guimauve

Mais Thomas Lebrun rétorque avec ironie à la mièvrerie sucrée ou au simplisme, sans verser pour autant dans une dérision qui serait trop cruelle. Et les deux danseuses au chic spontané, à la jolie dégaine (Élodie Cottet et Lucie Gemon), comme les deux danseurs de belle prestance (Sylvain Cassou et Paul Grassin), gomment avec élégance l’excès de guimauve de la chanson française, intervertissant aussi, par petites touches discrètes, les rôles masculins/féminins.

« Aimer la différence et la diversité plutôt que de les rejeter ; accepter, comprendre, respecter les singularités de chacun et chacune ; aimer ce que nous ne sommes pas comme aimer ce que nous sommes », écrit Thomas Lebrun dans le programme. Porté par la chanson, son message de tolérance et d’ouverture est clair, surtout pour un jeune public infiniment attentif aux textes entendus et les percevant pleinement.    

Si D’Amour est évidemment destiné à tous les publics, il l’est plus encore pour un jeune auditoire (dès 7 ans) à qui il est principalement destiné. Les enfants comme les adolescents en font leur miel. Et la pièce, créée à Tours en janvier dernier, doit faire une carrière multiple dans les circuits scolaires.


D’Amour Spectacle « jeune et tout public » de Thomas Lebrun. Théâtre national de Chaillot, Paris, le 14 mars à 19h30, le 15 mars à 15h et 18h, le 16 mars à 11h et 15h ; 01 53 65 30 00 ou https://theatre-chaillot.fr/fr/programmation/2024-2025/damour-thomas-lebrun-ccn-de-tours
À la Ferme de Buisson, à Noisiel, du 10 au 12 avril ; 01 64 62 77 77.

Autres ouvrages de Thomas Lebrun en tournée en France :

L’Envahissement de l’être ; le 18 mars à Montval-sur-Loire, le 25 au Théâtre Gallia de Saintes, le 25 mars au Moulin du Roc de Niort.
Pouce !  Tu, solo tu, le 21 mars. Espace Bernard Glandier, Montpellier.
Dans ce monde, les 30 et 31 mars, au Dôme de Saumur.

Cessez-le-feu en Ukraine: quand la pensée univoque entend se substituer au doute

Il devient difficile d’aborder le sujet de l’Ukraine sans se faire traiter de « va-t-en-guerre » ou de « Munichois ». Pourquoi ?


Un phénomène de plus en plus prégnant s’impose dans l’espace public : l’adhésion aveugle aux discours dominants, sans nuance ni véritable analyse critique. Ce qui frappe et agace, c’est la facilité avec laquelle certains individus, dépourvus de toute expertise, adoptent une posture péremptoire sur des sujets complexes tels que les conflits géopolitiques (Ukraine-Russie, Israël-Palestine), le réchauffement climatique, ou encore les grandes mutations sociétales.

La superficialité de ces prises de position est alimentée par des médias qui, loin d’être de simples vecteurs d’information neutres, se font les relais d’une narration souvent biaisée par des intérêts politiques, économiques et idéologiques. Au lieu d’inviter au questionnement et au débat, ces discours verrouillent la réflexion et imposent des réponses préfabriquées, souvent manichéennes.

La « géostratégie de salon » et le prisme de l’assimilation

Cette conformité intellectuelle se traduit par une tendance à simplifier à l’excès des situations déjà complexes. Dans une véritable « géostratégie de salon », certains s’erigent en experts autoproclamés, prédisant avec une certitude déconcertante les intentions des dirigeants mondiaux. Les nuances sont gommées au profit d’analogies historiques simplistes : Poutine devient un nouvel Hitler, prêt à dévorer l’Europe une fois l’Ukraine annexée ; l’année 2024 est perçue comme une réplique exacte de 1939, avec une catastrophe mondiale imminente.

Cette perception binaire du monde, où les acteurs sont répartis en « bons » et « mauvais », empêche toute analyse profonde et interroge sur les véritables mécanismes à l’œuvre. Qui profite de ces discours simplistes ? Comment les rapports de force réels, les intérêts économiques, et les enjeux stratégiques sont-ils occultés au profit d’une moralisation du débat ?

L’exclusion du doute et l’ostracisation des voix discordantes

Aujourd’hui, s’éloigner de la ligne dominante expose à des accusations immédiates : être taxé de « pro-russe », de « complotiste », voire d’affinités avec l’extrême droite. Cette dynamique de disqualification systématique fonctionne comme un outil de censure implicite : dès lors que l’on cherche à comprendre le point de vue d’un dirigeant controversé – qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, Benjamin Netanyahou, Donald Trump ou Viktor Orbán – on devient suspect aux yeux du discours dominant.

Mais comprendre ne signifie ni adhérer, ni excuser. Analyser les motivations d’un acteur politique, étudier son discours et son impact réel, c’est tenter de saisir la complexité du monde sans tomber dans l’emprise de dogmes réducteurs. Pourquoi alors ce besoin de condamner sans analyser ? Pourquoi l’adhésion à une idée, si elle repose sur des faits vérifiables et des résultats tangibles, devrait-elle être frappée d’interdit sous prétexte qu’elle contredit le récit dominant ?

Une presse en quête de crédibilité

Le rôle des médias dans cette dynamique est fondamental. Jadis perçus comme des garants de l’objectivité, nombre d’entre eux ont perdu leur crédibilité à force de parti pris et d’omissions stratégiques.

Cette perte de confiance a ouvert la voie à des sources alternatives d’information, certaines sérieuses et rigoureuses, d’autres bien plus discutables. Une fragmentation de l’information s’est ainsi opérée, où chacun tend à se replier dans un écosystème médiatique confirmant ses croyances préétablies, renforçant ainsi l’absence de débat contradictoire.

Réhabiliter la pensée critique et la diversité des analyses

Face à cette polarisation du débat, il est essentiel de réaffirmer le droit à une pensée libre et critique. Une véritable démocratie ne peut se résumer à une adhésion forcée à des dogmes établis. Elle doit offrir un espace ouvert à l’examen du réel, même – et surtout – lorsque cet examen vient contredire les certitudes dominantes.

Plutôt que de diaboliser les idées divergentes, nous devons encourager un débat authentique, fondé sur des faits, des arguments rationnels et une réelle volonté de comprendre. L’avenir du débat public repose sur cette capacité à dépasser les clivages artificiels et à embrasser la complexité du monde avec un esprit critique et une ouverture d’esprit renouvelée.

L’anti-éducation de Simon Liberati

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Chic, on va enfin reparler de Stanislas ! Simon Liberati raconte ses années au fameux collège parisien, entre solitude, harcèlement et découverte d’une bourgeoisie catholique hypocrite, dans un récit précis et cruel…


Ce qu’il y a d’intéressant avec les bons écrivains, c’est qu’ils peuvent parler de tout, surtout d’eux, sans ennuyer. Simon Liberati – Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022 – évoque ses années passées à Stanislas, établissement scolaire prestigieux de Paris qui s’est retrouvé sous les feux de l’actualité après un numéro de « Complément d’Enquête », l’émission phare de France 2, particulièrement à charge.

Principale accusation : l’établissement de prestige, sous contrat avec l’État, ne pratiquerait pas la mixité sociale. Ajoutons à cela que la religion catholique y occuperait une place prépondérante. Un sanctuaire, donc, qui résisterait à la contamination woke. On a en effet dressé des bûchers idéologiques pour moins que cela.

Brebis égarée

L’établissement, situé dans les beaux quartiers de la capitale, a abrité derrière ses murs qui ont des oreilles mais qui se taisent de futurs responsables politiques – un président de la République – de puissants patrons de presse, des militaires sans guerre et quelques brebis égarées dont le jeune Simon Liberati. Ce dernier nous raconte son éducation pas sentimentale du tout à partir de son inscription comme externe en 11e bleu au collège Stan, inscription faite par un oncle mathématicien farfelu et une tante déjantée, sœur ainée de son père, toujours habillée comme une prostituée de la porte Saint-Denis. Mais si c’est à ce prix qu’on devient un écrivain iconoclaste, je ne vois pas pourquoi on renierait ses aïeuls renégats. Le jeune Simon, un introverti aux épaules étroites, devient le numéro 103. Perte d’identité immédiate. Ses camarades ne l’aiment pas ; ses profs non plus. C’est un garçon fragile avec des notes fragiles. En résumé, il est médiocre. Il va rester douze ans dans ce qu’il nomme ses « années de bagne ». Il ne passera pas le bac, renvoyé à la fin de la Première. Trop bagarreur ? Trop bad boy, tendance Charles Manson ? Rien de tout ça, juste que « Liboche », de plus en plus maltraité par ses condisciples, n’a pas le niveau pour être présenté à l’examen final. Alors exit l’adolescent. À Stan, on doit avoir cent pour cent de réussite. La réputation de l’établissement est à ce prix. Liberati résume : « C’est le collège qui est responsable de la pudeur haineuse que je garde à l’égard des principes moraux affichés et un goût de la provocation et du scandale qui m’a valu, à mon âge, de ne connaître ni la paix ni la reconnaissance de mes qualités de cœur. » Il ajoute : « Une inexorable solitude aussi qui m’a aidé bien des fois à surmonter les épreuves. » Il conclut, ce qui nous le rend décidément de plus en plus sympathique, livre après livre : « Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche. » Surtout quand on sait que le portrait de Pétain trônait dans le bureau d’un responsable et que certains de ses condisciples « en imper vert et lunettes fumées » écrivaient sur le tableau « B. au four » en parlant d’un camarade de confession juive. C’est surtout dans les années 73/74 que l’extrême droite fit son apparition dans l’établissement. « En matière d’excentricité patronymique, révèle Liberati, j’avais deux Drieu la Rochelle, les neveux de l’auteur de Gilles, blonds, brosse courte, plutôt sympathiques (…) ». Ils voisinaient avec François-Xavier Bagnoud, fils de la productrice Albina du Boisrouvray, qui mourrait en pilotant l’hélicoptère de Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar, le chanteur étant devenu la bête noire du pouvoir socialiste puisqu’il avait décidé de se présenter à la présidentielle. Quant à la note de Mai 68, elle ne fut guère entendue par les élèves de Stan protégés par les murs de la forteresse.

A relire, Emmanuel Domont: Simon Liberati, la fureur d’écrire

Ambiance carcérale

Liberati évoque également ses lectures qui l’aident à surmonter l’ambiance carcérale. Il apprécie Morand, Chardonne, Dickens. Il parle de Stephen Hecquet, élève à Stan, écrivain-avocat, mort en 1960 à quarante ans, au passé vaguement maréchaliste, qui a consacré un livre à l’établissement, Les Collégiens. Liberati cite un extrait de son meilleur ouvrage Les Guimbardes de Bordeaux où Stan est également décrit vers 1937. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas d’extraire des limbes les auteurs dont les romans protègent ?

« Les coups, les humiliations, les infortunes sans cesse répétées » ont été surmontés par le numéro 103. Son œuvre l’atteste. Il signe ici une confession sans fard qui touche le lecteur. La force de l’écrivain est de pouvoir puiser dans son enfance, même si celle-ci à la couleur du châle des veuves de Corrèze.

À la fin du livre, Liberati se demande s’il ne serait pas un peu fou. « À deux reprises, écrit-il, ces dix dernières années, j’ai dit la vérité à deux femmes. La première fut Eva, jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment insupportable et dangereuse. La seconde vit près de moi à l’heure où j’écris. » Il poursuit : « J’ai passé beaucoup du reste de ma vie à mentir aux femmes, aux amis, aux éditeurs. Je ne suis pas mythomane car je me suis arrangé pour que ma vie soit aussi amusante et romanesque que possible, je suis lâche et léger. » Qu’il se rassure : les écrivains ont le droit d’être des mythomanes.

Simon Liberati, Stanislas, Grasset. 224 pages

Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Philippe Bilger, Harold Hyman et Jeremy Stubbs.


#MeToo a commencé comme un mouvement de libération dans la suite de l’affaire Harvey Weinstein, mais il a vite basculé dans une campagne d’intimidation et de destruction à l’égard des hommes, surtout des hommes célèbres. Bafouant le principe de présomption d’innocence, de nombreuses personnalités médiatiques se sont érigées en Fouquier-Tinville dénonciateurs du patriarcat. Comment un mouvement lancé au nom de la justice a-t-il pu finir par promouvoir de telles injustices ? Philippe Bilger tente de répondre à cette question dans son nouveau livre au titre évocateur, #MeTooMuch? Il nous livre le fruit de ses réflexions, nourries par sa grande expérience du droit et de la justice.

Parmi les nombreux bouleversements provoqués par les décisions récentes de Donald Trump, il y a la mise en cause des relations – traditionnellement très proches – entre les États-Unis et le Canada. La guerre commerciale déclenchée par le président américain a surtout servi à unir les Canadiens dans leur opposition aux mesures prises par la Maison Blanche, et ceux des politiques canadiens qui, jusqu’ici, faisaient l’éloge de la méthode Trump ont pris leurs distances. Les événements sanglants en Syrie ont jeté un doute sur le crédit que les puissances occidentales ont bien voulu accorder au nouveau régime post-Bachar al-Assad. Avaient-elles tort? Quelles sont les raisons de cette éruption de violence? Harold Hyman, grand spécialiste des relations internationales, nous aide à décrypter cette actualité et révèle que, chez les Palestiniens, Rima Hassan est… une inconnue!

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Nyx a encore frappé…

Ubuesque, aberrant, absurde, insensé : décidément, notre monde ne tourne pas rond. Quelques exemples ci-dessous. Et encore, je n’ai pas la place de vous parler d’Elon Musk, de la libération des otages israéliens ou de Boualem Sansal que l’on n’oublie pas…


OQTF

Tout le monde en a parlé ! Robert Ménard – mon très cher maire de Béziers – a été convoqué le 18 février dernier devant le procureur de Montpellier pour avoir refusé de marier, le 7 juillet 2023, une Française et un Algérien en situation irrégulière faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Robert Ménard a finalement refusé la procédure du « plaider coupable » qui lui était proposée, estimant injuste de se voir infliger une peine, même symbolique, pour s’être retrouvé à son corps défendant dans une situation que tout le monde s’accorde à trouver « ubuesque ». On le sommait de marier, en tant qu’officier d’état civil, un individu qui n’avait rien à faire devant lui. En somme, de choisir entre faire respecter un droit individuel – le mariage – et faire respecter l’ordre public, obligation qui lui incombe en tant qu’officier de police judiciaire. Il a choisi l’ordre public. Les choses ne s’arrêteront pas là puisqu’il va maintenant devoir comparaître devant un tribunal correctionnel. Pour mémoire, il risque cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité. Quelques jours après cette audience, on apprend qu’un Algérien sous OQTF vient de commettre un attentat islamiste à Mulhouse, faisant un mort et plusieurs blessés graves. D’après Bruno Retailleau, l’Algérie a refusé de reprendre son ressortissant « à dix reprises » ! Semaine après semaine, on assiste « impuissants » à la litanie tragique des crimes et délits impliquant des clandestins sous OQTF dont seule une petite minorité est exécutée. Et on voudrait exiger des maires qu’ils les marient pour leur permettre de rester encore un peu plus facilement sur le sol français ? Deux tiers des Français disent ne pas faire confiance à la justice. Ça vous étonne ?

Crèche

Vingt et une procédures contre notre crèche de Noël ! Nous avons perdu la dernière… Jusqu’à la prochaine fois bien sûr ! Car nous nous entêterons, soutenus par les différentes communautés religieuses de Béziers, à présenter une crèche dans l’hôtel de ville à Noël prochain ! Une question de principe. Une question de panache aussi. Car notre crèche n’exclut personne. Elle n’impose aucune croyance. Elle est simplement là, belle et apaisante. Cette année, cette nouvelle attaque contre la crèche de Béziers s’est effectuée selon un « calendrier » particulier : en effet, les plus grandes personnalités du pays et du monde entier venaient de se bousculer à Notre-Dame de Paris pour sa réouverture quand, à peine quelques jours plus tard, une crèche de Noël redevenait scandaleuse en France. Notre-Dame de Paris, église et lieu de culte catholique, mais aussi « âme de notre pays », selon les plus hautes autorités de l’État. Mesdames et messieurs les laïcards qui vous attaquez chaque année à notre crèche de Noël, pourquoi diable – sans mauvais jeu de mots – n’avez-vous pas pensé porter plainte contre un pays entier qui a osé se reconnaître dans Notre-Dame, dont la part catholique peut difficilement être ignorée ?

À lire aussi : Il y a une vie après l’Assemblée…

Djédjé34

Cela fait plusieurs semaines qu’on nous le signale. Un individu, qui serait gardien d’immeuble et se fait appeler Djédjé34, s’occupe, s’acharne même, à dégrader son logement et les abords immédiats de son immeuble. Sa spécificité, le mal du siècle me direz-vous : il se met en scène et se filme tandis qu’il casse tout sur son passage. Il saute sur son plancher pour « tester la solidité du plafond de sa voisine » ; il saccage son appartement avec perceuse, tronçonneuse et chalumeau. Bref, il terrorise les voisins qui se demandent à quel moment il va s’en prendre à eux. Nous saisissons la police, qui arrête le forcené et demande une expertise psychiatrique. Devant le juge, le prévenu – neuf mentions au casier judiciaire ! – rit, fait des grimaces, montre ses muscles. Problème : l’expertise psychiatrique est manuscrite et « illisible ». Le tribunal a donc décidé de garder l’homme en détention pour « risque de réitération » et a renvoyé l’affaire, en demandant une expertise « dactylographiée ». Vous ne rêvez pas, nous sommes bien en 2025 et à l’heure de l’intelligence artificielle !

Bon sens populaire

La Ville de Béziers est sollicitée par une dame qui se préoccupe de l’état de santé de sa locataire. Cette dernière ne va pas bien. Elle est dépressive, n’est pas soignée et a déjà tenté par trois fois de se suicider en se défenestrant. Nous sommes donc priés par sa propriétaire de lui trouver en urgence… un appartement en rez-de-chaussée pardi ! Précisons que nous lui avons d’abord obtenu un rendez-vous avec un médecin-psychiatre et une assistante sociale.

Billard à trois bandes

Richard Ferrand vient d’être nommé président du Conseil constitutionnel à une voix près. Grâce à l’abstention du Rassemblement national ! Après un vote à bulletin secret, l’ancien président de l’Assemblée nationale a obtenu 58 voix contre et 39 voix pour. Outre ce score pas très glorieux, on se demande quelle mouche a bien pu piquer le Rassemblement national d’avoir ainsi favorisé la nomination d’un très proche du président de la République. Certains parlent d’accord secret ; d’autres supputent une décision à venir concernant l’inéligibilité de Marine Le Pen… La réalité est souvent moins compliquée. À force de coups de billard à trois bandes, on peut se perdre en route. Pas sûre que les électeurs de Marine Le Pen, eux, s’y retrouvent.

À lire aussi : Le miracle de Noël d’Emmanuelle Ménard

Nyx

Je me souviens combien, il y a quelques années déjà, nous avons dû nous bagarrer pour obtenir un « chien stup » au sein de notre police municipale. Le bras de fer avait duré presque deux ans entre notre mairie, le ministère de l’Intérieur et le procureur de Béziers, pour quelque chose qui apparaît à tout le monde comme naturel aujourd’hui. Nyx, berger belge malinois, est en effet spécialisé dans la détection de produits stupéfiants, billets de banque, armes et munitions. Une véritable aubaine pour la police nationale et pour la gendarmerie qui réclament fréquemment son assistance en cas de perquisition. C’était encore le cas ce vendredi soir de février, lors d’une opération de contrôle de caves dans un quartier « difficile » de Béziers. Nyx a encore frappé. Et encore gagné. Il a « marqué » devant une cave où on a retrouvé cannabis et cocaïne. J’aime beaucoup ce chien. Il gagne à tous les coups. Il me rassure. Et il ne sera pas tout de suite remplacé par l’intelligence artificielle, lui…

Quand Tsahal et l’armée française comparent leurs muscles…

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Cette semaine, dans la presse, on ne parle plus que de bruits de bottes, de budgets militaires, d’armées professionnelles et d’armées de conscrits… Le monde se réarme


Après le spectaculaire lâchage de l’Ukraine par les États-Unis, l’Europe a retenti cette semaine d’une musique guerrière que beaucoup de pays avaient oubliée depuis 80 ans. Le président Macron a pris la tête de cette campagne laissant son Premier Ministre et son gouvernement dans une situation intérieure enchevêtrée et sans gloire.

La même semaine a vu des massacres en Syrie qui n’ont guère généré d’indignation, car peu de gens se préoccupent des Alaouites maintenant que Bachar a été chassé du pouvoir. Les optimistes espèrent que l’élégant Ahmed al-Sharaa (Abu Mohammed al-Jolani) finira par abandonner ses oripeaux religieux. Il en était de même quand, revenus à Kaboul en août 2021 les Talibans ont laissé les Occidentaux espérer qu’ils avaient changé. On a vu ce qu’il en était et il y a toutes les chances qu’il en soit de même en Syrie.

Enfin, en Israël, le nouveau chef d’Etat-major, le général Eyal Zamir annonçait que 2025 serait une année de guerre contre le Hamas et l’Iran.

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Alors que le public français, indifférent jusque-là aux budgets militaires, découvre face aux menaces russes les failles de son armée, l’enquête publiée par Tsahal confirme sans fard ses échecs opérationnels et stratégiques le jour du 7-Octobre.

Armée bonsaï

La France a une armée bonsaï, dotée de tous les équipements sophistiqués mais en trop petite quantité, l’armée israélienne se reproche d’avoir avant le 7-Octobre misé sur la technologie au détriment de l’intelligence humaine.

Sur le plan financier, le budget militaire israélien avait diminué à moins de 5% du PIB en 2022, incluant une aide américaine annuelle d’environ 3,5 milliards de dollars, que l’administration Biden, si décriée aujourd’hui, avait augmentée à près de 9 milliards après octobre 2023. En  2025 ce budget sera de plus de 5,5% du PIB, soit d’environ 30 milliards d’euros. On reste loin des chiffres d’après la guerre du Kippour, quand les dépenses militaires représentaient jusqu’à 30% du PIB, ce qui avait déclenché l’inflation et la crise du début des années 80, ce que les Israéliens ont appelé la décennie perdue.

Le casse-tête de l’exemption militaire des ultra-orthodoxes en Israël

Pour la France, le budget militaire, rogné depuis les années 60, a atteint son étiage de 1,4% du PIB en 2015. Ni notre pays, ni les autres membres de l’Otan qui s’étaient engagés en 2014 auprès des Américains à augmenter les dépenses à plus de 2% du PIB ne l’ont fait. Même si le pourcentage a augmenté depuis la présidence Macron et doit continuer de le faire, il n’atteint pas encore les 2% et les retraites des militaires revalorisées dans le passé dans le but de stimuler les départs (il fallait une «armée agile» et éviter tout embonpoint) pèsent sur les disponibilités en équipements.

Avec 68 millions d’habitants, la France compte environ 200 000 militaires d’active et 40 000 volontaires en réserve opérationnelle qui effectuent qu’un service 15 jours en moyenne par an en encadrement.

Sept fois moins peuplé, Israël compte une armée de 170 000 soldats d’active avec un service de 36 mois chez les hommes. Mais il dispose de plus de  450 000 réservistes, souvent combattants, qui passent six semaines par an dans l’armée jusqu’à 40 ans au moins.

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Si la France a depuis 1997 une armée professionnelle, Israël a une armée de conscrits, mais le service n’est pas obligatoire pour les Arabes israéliens et pour les ultra-orthodoxes, respectivement 21% et 14% de la population mais nettement plus parmi les jeunes adultes. Chaque année 60 000 jeunes israéliens non harédis effectuent leur service militaire. 13 000 ultra-orthodoxes atteignent aussi  18 ans, mais parmi  eux, moins de 2000 ont été enrôlés par l’armée l’an dernier. La Cour Suprême a statué en juin 2024 qu’il n’existait pas de cadre juridique  pour exempter les étudiants d’écoles religieuses, yeshivot et kollels, actuellement  150 000 dans le pays, un nombre qui croît chaque année d’environ 8%.

Menaces existentielles

L’effort militaire israélien avec des générations de jeunes engagés dans un service dur, long et dangereux est lié aux contraintes existentielles du pays. L’armée a forgé la mentalité des citoyens et la présence de soldats revenant de permission appartient au spectacle quotidien de la vie civile. L’admiration que l’armée rend l’échec du 7-Octobre d’autant plus incompréhensible.

Mais la conscription est aussi un facteur potentiel de fracture de la société israélienne. La plupart des dirigeants d’un monde ultra-orthodoxe en expansion numérique refusent que leurs jeunes prennent leur part de la défense du pays. Ils génèrent en retour une hostilité de plus en plus virulente et dans cette spirale désastreuse on n’entend pas de parole de sagesse qui porte et qui pourtant s’impose.

En France, la situation n’a rien de comparable, et l’armée n’a pas le rôle central qu’elle joue en Israël. Mais il existe des pans entiers de la  population qui pour des raisons de colère sociale, de messianisme écologiste ou de répulsion religieuse rejettent les principes de patriotisme, de débat d’opinions et de laïcité à la base de notre contrat national et pour lesquels le bruit de bottes pourrait être un nouveau motif de révolte.

Évidemment, l’ennemi n’est pas le même, Poutine est loin pour les Français, qui ont du mal à envisager les Russes aux portes de Paris, tandis que pour les Israéliens, la menace de l’islamisme est on ne peut plus concrète. Mais il ne faut pas oublier que Poutine a fait aussi alliance avec des islamistes et que l’islamisme radical a aussi déclaré la guerre à la France.

Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix prépare la guerre. C’est en 1955 que mon professeur de latin nous avait fait écrire cette phrase en cours de 6e. Peut-être aurait-il recommencé ces jours-ci….

Le blues du businessman

Rien ne va plus entre les patrons et Emmanuel Macron. Depuis que le bloc central a instauré une surtaxe sur les grandes entreprises, des figures majeures de l’industrie menacent de délocaliser. Elles oublient la politique « pro-business » menée lors du premier quinquennat, et la promotion de la mondialisation qu’elles ont faite durant des décennies.


« J’entends beaucoup de débats en ce moment en France qui me paraissent fous. » Le 9 février dernier, après avoir vanté une demi-heure durant les mérites de son plan pour l’intelligence artificielle en direct du Grand Palais sur France 2, Emmanuel Macron change soudain de ton. Laurent Delahousse vient de lui poser une question sur la surtaxation des grandes entreprises actée dans le budget 2025, et sur la bronca inédite qu’elle a soulevée dans le monde des affaires. « Soyez patriotes vous-mêmes ! » cingle alors le président tandis que face à lui un écran géant projette les visages de plusieurs patrons du CAC 40. « Je ne vous ai parfois pas assez entendu, ces sept dernières années, quand on menait des réformes des retraites », maugrée-t-il.

Une surtaxe malvenue

Pour baroque que soit cette saillie, le chef de l’État n’a pas complètement tort. Depuis qu’il est aux affaires, sa politique a assurément rendu un peu d’oxygène au secteur privé français. Le PFU (prélèvement forfaitaire unique, la fameuse « flat tax »), c’est lui. La « double année » décrétée en 2019 pour le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), c’est encore lui. L’abaissement de l’IS (impôt sur les sociétés) à 25 %, c’est toujours lui !

À côté de cet arsenal de réformes « pro business », la surtaxe exceptionnelle que le gouvernement infligera cette année aux grandes entreprises – le temps, promet-il, d’un unique exercice fiscal – peut sembler bien peu de chose. Enfin, peu de chose… En majorant de 40 % l’IS des 440 groupes qui réalisent au moins un milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, l’État prévoit quand même de ponctionner 8 milliards d’euros supplémentaires sur les champions de notre économie. Une folie si l’on en croit Sophie de Menthon (pages 54-55 du magazine).

C’est Guillaume Faury qui, le premier, a sonné l’alarme. Le 10 janvier, le PDG d’Airbus s’épanche lors de la cérémonie des vœux du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas): « Il y a trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes », lance-t-il avant de se faire presque menaçant : « On risque de voir beaucoup d’entreprises aller faire ce qu’elles savent faire ailleurs, parce que cela devient invivable. »

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Le 28 janvier, Bernard Arnault lui emboîte le pas. Saint patron du capitalisme français depuis qu’il a déboursé 200 millions d’euros pour la rénovation de Notre-Dame de Paris, l’homme le plus riche d’Europe sort de sa réserve coutumière et lâche, à l’issue de la présentation des résultats annuels de son groupe LVMH : « Quand on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » Le 5 février, c’est au tour de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de monter au créneau : « Les propos de Bernard Arnault ne sont que du bon sens », tempête-t-il lors d’une visioconférence devant la presse financière internationale. Chez LFI, on appelle cela la solidarité de classe.

Des filières en danger

Surprise, au pays des gilets jaunes et des concerts de casserole contre l’augmentation de l’âge légal de la retraite, ces inhabituels coups de gueule patronaux s’avèrent plutôt payants dans l’opinion. Selon un sondage Odoxa, 51 % de nos concitoyens se déclarent à présent opposés à la surtaxation des entreprises, soit huit points de plus qu’en septembre dernier, l’époque où Michel Barnier envisageait déjà la mesure. À croire que les entrepreneurs gagneraient à davantage s’impliquer dans le débat public au lieu de laisser leurs représentants du Medef le faire à leur place.

Bref, quand Faury, Arnault et Pouyanné ruent dans les brancards, le grand public sait que ce n’est pas du chiqué. Il faut dire que ces trois-là ont du talent et qu’ils incarnent les rares secteurs d’activité (l’aéronautique, le luxe et le pétrole) dans lesquels la France a su conserver, voire accroître, son prestige au XXIe siècle. D’autres fiertés nationales comme l’énergie nucléaire, l’agroalimentaire ou l’automobile ne peuvent, hélas, pas en dire autant.

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Dernier exemple en date du « made in France » qui vacille : dans la filière automobile justement, Michelin a annoncé en novembre la fermeture de ses sites de Cholet et de Vannes. Deux mois plus tard, le 22 janvier, son PDG, Florent Menegaux, est auditionné au Sénat pour s’expliquer sur les 1 254 suppressions de postes occasionnées malgré les résultats record de son groupe : « La compétitivité en France s’est fortement dégradée au cours des cinq dernières années, justifie-t-il. On peut bien sûr augmenter les taxes sur les industries en France, mais si une équipe de foot à 11 joueurs est confrontée à une équipe qui en compte 22 et qui peut prendre la balle avec la main, ce n’est plus le même jeu. »

Patrons, ne nous quittez pas !

Filons la métaphore footballistique. Sans adhérer aux attaques haineuses de Sophie Binet contre les dirigeants des grands groupes, qu’elle accuse désormais carrément de n’avoir « plus rien à faire de l’intérêt général » (RTL, le 31 janvier), ni donner foi aux délires de Jean-Luc Mélenchon, selon qui « le libéralisme, c’est la catastrophe permanente qui a ruiné ce pays, ses finances et sa capacité d’invention » (discours prononcé à Angers, le 5 février dernier), on peut cependant se demander, comme Pierre Vermeren (pages 52-53 du magazine) si nos patrons ont toujours l’état d’esprit des joueurs de l’équipe de France, ou s’ils ne sont pas parfois davantage sensibles aux charmes du mercato et aux millions versés par leur club.

Depuis quarante ans, on ne compte plus les membres de l’élite des affaires qui ont prôné une mondialisation débridée et pris des décisions dignes de mercenaires, prompts à loger leurs actifs dans des structures offshore, à délocaliser leurs usines, voire à expatrier leurs sièges sociaux. Face à ce spectacle, il n’est guère étonnant que la droite, si éprise de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980, ait retrouvé le goût de l’intervention de l’État, ce n’est pas Marine Le Pen qui dira le contraire.

Reste que les Français ne veulent pas que les patrons les quittent. Au contraire, ils sont 60 % à souhaiter que « l’État fasse davantage confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté » selon le baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof publié en février. Un chiffre en hausse de sept points par rapport à 2017. Sans doute nos concitoyens sont-ils conscients qu’une économie complètement administrée serait encore plus désastreuse pour le pays. Faute d’aimer les PDG, au moins éprouvent-ils un certain respect pour eux. Il paraît que ce sont les mariages de raison qui font les couples les plus heureux.

Merci patrons !

Suite à l’agacement compréhensible de Bernard Arnault, exaspéré par la récente volonté de surtaxer les grands groupes produisant en France, Causeur consacre un dossier de 16 pages aux patrons, en voulant, cette fois-ci et pour une fois, les remercier!


Les patrons se rebiffent. D’habitude, ils encaissent les coups en silence, acceptant de se faire déplumer par le gouvernement et insulter par des élus, syndicalistes et journalistes qui les décrivent comme des profiteurs-affameurs du peuple. La brillante idée de surtaxer les grands groupes produisant en France a fait sortir Bernard Arnault du bois. D’après un entrepreneur en colère, qui signe un texte dans nos colonnes (pages 50-51 du magazine), ces jours-ci, dans les milieux économiques, on ne parle pas seulement des affaires, très mauvaises au demeurant, mais de l’incompétence de gouvernants accusés d’emmener le pays dans le mur. Non sans quelques solides arguments.

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Certes, les patrons ne sont pas dénués de responsabilités dans notre situation. Beaucoup ont délocalisé à tour de bras et favorisé outrageusement les actionnaires au détriment des salariés. Raison de plus pour ne pas s’attaquer à ceux qui ont continué à produire en France et d’ailleurs à produire tout court, quand des esprits forts assuraient que les usines, c’était fini et que seuls les services étaient dignes de nations évoluées. D’où la consternante mutation de notre machine productive en économie de consommation, analysée par Pierre Vermeren (pages 52-53 du magazine). Même la gauche, naguère productiviste et attachée à la défense de l’outil de travail, s’est vautrée dans l’illusion tertiaire : le mot « production » ne figurait pas dans l’affligeant programme de la défunte Nupes.

À ces reniements s’ajoute le fait que notre pays, englué dans sa merveilleuse culture du service public, est de longue date l’économie la plus soviétique du monde libre (lire la démonstration sans appel de Stéphane Germain, pages 46-47 du magazine). Nulle part ailleurs, on ne regarde avec une telle méfiance l’initiative privée, suspecte a priori de charrier les eaux glacées du calcul égoïste. En réalité, il ne faut pas gratter longtemps derrière les belles proclamations égalitaires pour tomber sur les passions tristes (brillamment analysées par Jeremy Stubbs, pages 48-49 du magazine). Dans ces conditions, on devrait plutôt décerner des lauriers aux chefs d’entreprise qui, en dépit des taxes et des normes, croient encore à la France. Merci patrons !

« Make Industry Great Again »

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Emmanuel Macron en visite dans l'entreprise STMicroelectronics à Crolles, en Isère. Le président dévoile la strategie et les investissements pour l'electronique dans le cadre France 2030, 12 juillet 2022 © ROMAIN DOUCELIN/SIPA

Pour le fondateur de l’Observatoire Janus, la puissance française est à l’heure des choix: l’industrie ou le déclin…


La désindustrialisation française ne s’est pas faite par hasard, mais par choix. Tandis que d’autres nations préservaient et renforçaient leur appareil productif, la France a laissé son industrie décliner, avec des conséquences économiques et stratégiques majeures. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques croissantes, aux ruptures d’approvisionnement et à la guerre économique entre grandes puissances, la question n’est plus de savoir si la France doit réindustrialiser, mais comment y parvenir.

Depuis les années 1970, la France a subi une désindustrialisation, plus brutale que ses voisins. En misant sur les services et la finance au détriment de la production, elle a vu ses usines partir, son savoir-faire disparaître et la part de l’industrie dans son PIB s’effondrer. Là où Berlin a préservé un tissu industriel en intégrant la R&D et en soutenant les exportations, Paris a externalisé ses services, misé sur la consommation et alourdi la fiscalité des entreprises.

Ces choix ont eu des effets catastrophiques : perte de souveraineté, déficits commerciaux et disparition de groupes industriels majeurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, qui affichent des excédents grâce à leur industrie, la France décroche économiquement. Pourtant, alors que le débat sur la réindustrialisation s’intensifie, les mesures concrètes restent marginales. Or, la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit.

En Asie : l’industrie au service de la puissance

L’industrialisation est toujours le fruit d’une volonté politique. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont bâti, en quelques décennies, des bases industrielles solides, faisant de leur économie un levier de puissance. Après 1945, le Japon engage une reconstruction industrielle dirigée par le MITI, un super-ministère chargé du développement économique. L’industrie est protégée par des barrières tarifaires et se structure autour des keiretsu, des conglomérats intégrés reliant banques, usines et services. Subventions et accès facilité au crédit permettent au Japon de devenir une puissance exportatrice.

Dans les années 1960, la Corée du Sud suit ce modèle avec une planification industrielle rigoureuse qui pilote le développement des chaebols. Ces conglomérats bénéficient de financements massifs et d’un accès aux marchés publics en échange d’objectifs d’exportation stricts. L’industrie lourde et la haute technologie deviennent les fers de lance du miracle coréen.

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Enfin, la Chine adopte, dès les années 1980, un modèle mêlant capitalisme et contrôle étatique. Avec les zones économiques spéciales, Pékin attire les capitaux étrangers tout en imposant des transferts de technologies. L’État pilote l’industrialisation à travers des plans ciblant les semi-conducteurs, les batteries et l’aérospatial. Les points communs de ces stratégies sont clairs : un État qui planifie, une industrie protégée, un soutien massif au crédit et une orientation vers l’exportation. Les résultats le sont tout autant.

Le Japon, pays défait et ruiné en 1945 devient le premier rival économique des États-Unis à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud, qui affichait un revenu par habitant inférieur à celui d’Haïti au début des années 1960, figure aujourd’hui parmi les quinze premières économies mondiales. Quant à la Chine, son ascension vers le statut de première puissance mondiale parle d’elle-même. Contrairement à l’UE et son dogme du libre-échange, ces pays ont compris que la puissance industrielle repose sur l’alliance entre l’économie et le politique.

Aux États-Unis, un réveil tardif

Les États-Unis ont récemment amorcé un virage clair vers la réindustrialisation. Ils ont engagé une série de réformes pour protéger leurs industries stratégiques, relocaliser la production et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

L’administration Trump impose des tarifs douaniers sur les importations chinoises, ciblant notamment l’acier, l’aluminium et les composants électroniques. L’objectif est de rendre les importations moins compétitives et de relancer la production locale. L’administration Biden a lancé le CHIPS Act en 2022, un plan de 52 milliards de dollars pour relancer la production nationale de semi-conducteurs.

La même année, l’Inflation Reduction Act injectait 370 milliards de dollars dans les industries vertes, avec une logique de relocalisation. Enfin, le Build America, Buy America Act, adopté en 2021, impose aux marchés publics de privilégier les entreprises nationales. L’accent est aussi mis sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’accès à une énergie compétitive. Cette réindustrialisation ne repose donc pas sur le marché, mais sur des politiques volontaristes, combinant protectionnisme ciblé, aides directes et incitations fiscales.

France: que faire ?

Aucune grande puissance industrielle ne s’est construite sans intervention de l’État. Trois piliers sont essentiels : protéger, financer, organiser.

Protéger l’industrie nationale passe par un protectionnisme ciblé. Conditionner les marchés publics à la production locale, imposer des barrières tarifaires sur les produits stratégiques, réguler les investissements étrangers pour éviter le rachat d’entreprises clés.

Financer et soutenir la montée en puissance des industries stratégiques exige la création de fonds souverains. Un crédit industriel préférentiel garantirait des prêts à taux réduits aux entreprises manufacturières. La fiscalité doit aussi être adaptée avec une baisse des charges sur la production, des incitations fiscales à l’investissement et une prime à l’export pour renforcer la compétitivité.

Structurer l’industrie autour d’écosystèmes compétitifs permettrait de rivaliser à l’international. Un Airbus des semi-conducteurs, des batteries, du cloud computing permettrait d’atteindre la taille critique pour s’imposer. Les États doivent favoriser la création de clusters industriels, reliant grandes entreprises, PME et centres de recherche pour maximiser l’innovation.

La réindustrialisation ne repose ni sur des slogans ni sur des demi-mesures. Elle implique des arbitrages et des choix stratégiques clairs et assumés.

C’est dans l’air et c’est pollué

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L'actrice Julie Gayet sur France 5 aux côtés de Dany Boon et Anne-Elisabeth Lemoine. 3 mars 2025 DR.

Anne-Elisabeth Lemoine recevait récemment la grande actrice Julie Gayet dans son talk-show. Une belle occasion de s’indigner avec élégance: pourquoi diable le cinéma français a-t-il si peu mis en lumière Olympe de Gouges? Franchement, il y avait pourtant là un rôle en or! Quel scandale, ma bonne dame, on en ferait presque une pétition sur change.org… Et bien sûr, impossible de ne pas remettre les choses en perspective: la cause féminine en Occident? Pas de quoi fanfaronner, hein. Avant de vouloir donner des leçons au monde arabe, on ferait peut-être mieux de vérifier si on a enfin payé l’écart de salaire entre Ken et Barbie…


Ce n’est certes pas la première fois que Bécassine entend le propos, mais comme certains comportements ou phrases qu’on enregistre et dont le sens n’advient que plus tard, à la faveur d’une cristallisation, cette fois-ci, elle a vraiment entendu ce qui se disait. La répétition, ça instruit. Ça abrutit aussi, mais si l’on veut bien décortiquer, ça instruit.

Donc, C dans l’air recevait Julie Gayet pour sa prestation dans « Olympe de Gouges » qui passait le soir à la télévision. Il fut donc question du combat des femmes, de la Révolution qui trouvait que ce n’était pas le moment, qu’on verrait après, etc. La présentatrice parla alors de ce combat toujours hélas d’actualité ; il n’y avait qu’à voir le sort des femmes en Afghanistan, en Iran, mais aussi aux États-Unis où le droit à l’avortement était menacé et en France, n’est-ce pas, où l’égalité salariale n’était toujours pas au rendez-vous !

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Pris un à un, ces éléments sont tous vrais, sauf qu’on aura remarqué qu’il n’est pas dit grand-chose des femmes en Afghanistan et en Iran ; on est déjà plus prolixe dès qu’il s’agit de l’Occident. On précise. Parce que s’il fallait préciser les choses pour Bagdad et Téhéran, ça ferait une liste longue comme le bras : vente de petites filles, lapidation, interdiction de quasiment tout, enfermement, bref, mise au tombeau de leur vivant. Côté perse, on a mort pour une mèche de cheveux qui dépasse, ou pour avoir manifesté, pendaisons à gogo, hommes compris. Mais dire tout ça pourrait couper l’appétit et pourrait porter préjudice à certaines cultures, voire certaine religion.

C’est pourquoi on va appliquer la théorie de la relativité à tous les tourments que les femmes endurent « partout » depuis des lustres. On va mettre sur le même plan le sort des femmes en Afghanistan et le droit à l’avortement menacé dans certains États de l’Amérique ; on va mettre dans le même panier le fait d’être tuée et celui de n’avoir pas le même salaire que ces messieurs. On va clamer que nous aussi, ou non plus, hein, on ne fait pas les fières, qu’on n’a pas tout réglé, loin s’en faut. Ainsi, on aura fait preuve d’équité, on aura bien équilibré les dommages, pour qu’on ne croie surtout pas que dans certaines cultures où sévit certaine religion, cela soit forcément pire qu’ailleurs.

Alors, après avoir noyé le poisson, il sera temps de le manger, en toute impartialité.

« D’Amour » et de musique

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© Frédéric Iovino

Thomas Lebrun présente D’Amour, sur la scène du théâtre de Chaillot, un spectacle chorégraphique autour de la chanson française. Une belle énergie qui s’adresse aussi au jeune public.  


Que ne revoit-on des pièces du chorégraphe Thomas Lebrun aussi belles que La Constellation consternée (2010) ou qu’Avant toute disparition (2016), magnifique composition qui balaya naguère la grande scène du Théâtre de Chaillot d’un souffle épique qui demeure encore dans les mémoires !

Le pernicieux système qui règne en France contraint les rares bons chorégraphes d’aujourd’hui à créer sans cesse de nouveaux spectacles sans pouvoir exploiter suffisamment les précédents, et à délaisser ainsi tout un répertoire qui mériterait d’être maintenu et de pouvoir être découvert, année après année, par des spectateurs toujours plus nombreux.

© Frédéric Iovino

Fantaisie et poésie

Ainsi poussé à créer un nouvel ouvrage, mais avec des moyens très modestes, Thomas Lebrun, qui dirige le Centre chorégraphique national de Tours depuis janvier 2012, livre avec D’Amour une aimable anthologie de chansons de variétés, de celles qui firent rêver, de l’après-guerre à nos jours, des générations de midinettes et d’adolescents boutonneux ainsi que leurs géniteurs. De Charles Trenet à Léonard Bernstein pour le meilleur, de Sheila à Elli et Jacno ou Sagazan pour le moins convaincant, en passant par Edith Piaf, Theo Sarapo, Lady Blackbard ou Richard Sanderson…

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Conçu comme l’émission radiophonique d’un poste imaginaire, Radio Love, mais qu’on voit illustrée par un joli quatuor de danseurs très plaisamment costumés par Kite Vollard, D’Amour débute sur les chapeaux de roues par des danses libres, facétieuses, délicieusement entraînantes, très genre music-hall, et d’autant plus vivantes quand elles sont accompagnées de chansons pleines de fantaisie ou de poésie. Cela faiblit quelque peu sous l’effet délétère de la chansonnette française dont le niveau ne s’arrange guère au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Il faudrait des chants d’amour d’Espagne ou d’Amérique latine, brûlants, âpres, incandescents, mélodiquement superbes, pour mieux embraser une scène.

Gare à l’excès de guimauve

Mais Thomas Lebrun rétorque avec ironie à la mièvrerie sucrée ou au simplisme, sans verser pour autant dans une dérision qui serait trop cruelle. Et les deux danseuses au chic spontané, à la jolie dégaine (Élodie Cottet et Lucie Gemon), comme les deux danseurs de belle prestance (Sylvain Cassou et Paul Grassin), gomment avec élégance l’excès de guimauve de la chanson française, intervertissant aussi, par petites touches discrètes, les rôles masculins/féminins.

« Aimer la différence et la diversité plutôt que de les rejeter ; accepter, comprendre, respecter les singularités de chacun et chacune ; aimer ce que nous ne sommes pas comme aimer ce que nous sommes », écrit Thomas Lebrun dans le programme. Porté par la chanson, son message de tolérance et d’ouverture est clair, surtout pour un jeune public infiniment attentif aux textes entendus et les percevant pleinement.    

Si D’Amour est évidemment destiné à tous les publics, il l’est plus encore pour un jeune auditoire (dès 7 ans) à qui il est principalement destiné. Les enfants comme les adolescents en font leur miel. Et la pièce, créée à Tours en janvier dernier, doit faire une carrière multiple dans les circuits scolaires.


D’Amour Spectacle « jeune et tout public » de Thomas Lebrun. Théâtre national de Chaillot, Paris, le 14 mars à 19h30, le 15 mars à 15h et 18h, le 16 mars à 11h et 15h ; 01 53 65 30 00 ou https://theatre-chaillot.fr/fr/programmation/2024-2025/damour-thomas-lebrun-ccn-de-tours
À la Ferme de Buisson, à Noisiel, du 10 au 12 avril ; 01 64 62 77 77.

Autres ouvrages de Thomas Lebrun en tournée en France :

L’Envahissement de l’être ; le 18 mars à Montval-sur-Loire, le 25 au Théâtre Gallia de Saintes, le 25 mars au Moulin du Roc de Niort.
Pouce !  Tu, solo tu, le 21 mars. Espace Bernard Glandier, Montpellier.
Dans ce monde, les 30 et 31 mars, au Dôme de Saumur.

Cessez-le-feu en Ukraine: quand la pensée univoque entend se substituer au doute

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Le président russe Vladimir Poutine, connu pour ses postures belliqueuses et qui a envahi son voisin ukrainien en 2022, a tenu une conférence de presse à Moscou le 13 mars 2025, à l’issue d’un entretien avec son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko. Il n’est pas exclu que Steve Witkoff, l’envoyé spécial des États-Unis à Moscou, rencontre prochainement le chef du Kremlin ou que ce dernier s’entretienne par téléphone avec Donald Trump. Poutine a déclaré hier que la Russie était disposée à mettre fin aux combats, tout en soulignant l’existence de nombreuses « nuances » concernant les propositions américaines. © Gavriil Grigorov/Russian Presidential Press and Information Offi

Il devient difficile d’aborder le sujet de l’Ukraine sans se faire traiter de « va-t-en-guerre » ou de « Munichois ». Pourquoi ?


Un phénomène de plus en plus prégnant s’impose dans l’espace public : l’adhésion aveugle aux discours dominants, sans nuance ni véritable analyse critique. Ce qui frappe et agace, c’est la facilité avec laquelle certains individus, dépourvus de toute expertise, adoptent une posture péremptoire sur des sujets complexes tels que les conflits géopolitiques (Ukraine-Russie, Israël-Palestine), le réchauffement climatique, ou encore les grandes mutations sociétales.

La superficialité de ces prises de position est alimentée par des médias qui, loin d’être de simples vecteurs d’information neutres, se font les relais d’une narration souvent biaisée par des intérêts politiques, économiques et idéologiques. Au lieu d’inviter au questionnement et au débat, ces discours verrouillent la réflexion et imposent des réponses préfabriquées, souvent manichéennes.

La « géostratégie de salon » et le prisme de l’assimilation

Cette conformité intellectuelle se traduit par une tendance à simplifier à l’excès des situations déjà complexes. Dans une véritable « géostratégie de salon », certains s’erigent en experts autoproclamés, prédisant avec une certitude déconcertante les intentions des dirigeants mondiaux. Les nuances sont gommées au profit d’analogies historiques simplistes : Poutine devient un nouvel Hitler, prêt à dévorer l’Europe une fois l’Ukraine annexée ; l’année 2024 est perçue comme une réplique exacte de 1939, avec une catastrophe mondiale imminente.

Cette perception binaire du monde, où les acteurs sont répartis en « bons » et « mauvais », empêche toute analyse profonde et interroge sur les véritables mécanismes à l’œuvre. Qui profite de ces discours simplistes ? Comment les rapports de force réels, les intérêts économiques, et les enjeux stratégiques sont-ils occultés au profit d’une moralisation du débat ?

L’exclusion du doute et l’ostracisation des voix discordantes

Aujourd’hui, s’éloigner de la ligne dominante expose à des accusations immédiates : être taxé de « pro-russe », de « complotiste », voire d’affinités avec l’extrême droite. Cette dynamique de disqualification systématique fonctionne comme un outil de censure implicite : dès lors que l’on cherche à comprendre le point de vue d’un dirigeant controversé – qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, Benjamin Netanyahou, Donald Trump ou Viktor Orbán – on devient suspect aux yeux du discours dominant.

Mais comprendre ne signifie ni adhérer, ni excuser. Analyser les motivations d’un acteur politique, étudier son discours et son impact réel, c’est tenter de saisir la complexité du monde sans tomber dans l’emprise de dogmes réducteurs. Pourquoi alors ce besoin de condamner sans analyser ? Pourquoi l’adhésion à une idée, si elle repose sur des faits vérifiables et des résultats tangibles, devrait-elle être frappée d’interdit sous prétexte qu’elle contredit le récit dominant ?

Une presse en quête de crédibilité

Le rôle des médias dans cette dynamique est fondamental. Jadis perçus comme des garants de l’objectivité, nombre d’entre eux ont perdu leur crédibilité à force de parti pris et d’omissions stratégiques.

Cette perte de confiance a ouvert la voie à des sources alternatives d’information, certaines sérieuses et rigoureuses, d’autres bien plus discutables. Une fragmentation de l’information s’est ainsi opérée, où chacun tend à se replier dans un écosystème médiatique confirmant ses croyances préétablies, renforçant ainsi l’absence de débat contradictoire.

Réhabiliter la pensée critique et la diversité des analyses

Face à cette polarisation du débat, il est essentiel de réaffirmer le droit à une pensée libre et critique. Une véritable démocratie ne peut se résumer à une adhésion forcée à des dogmes établis. Elle doit offrir un espace ouvert à l’examen du réel, même – et surtout – lorsque cet examen vient contredire les certitudes dominantes.

Plutôt que de diaboliser les idées divergentes, nous devons encourager un débat authentique, fondé sur des faits, des arguments rationnels et une réelle volonté de comprendre. L’avenir du débat public repose sur cette capacité à dépasser les clivages artificiels et à embrasser la complexité du monde avec un esprit critique et une ouverture d’esprit renouvelée.

L’anti-éducation de Simon Liberati

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L'écrivain français Simon Liberati © Hannah Assouline

Chic, on va enfin reparler de Stanislas ! Simon Liberati raconte ses années au fameux collège parisien, entre solitude, harcèlement et découverte d’une bourgeoisie catholique hypocrite, dans un récit précis et cruel…


Ce qu’il y a d’intéressant avec les bons écrivains, c’est qu’ils peuvent parler de tout, surtout d’eux, sans ennuyer. Simon Liberati – Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022 – évoque ses années passées à Stanislas, établissement scolaire prestigieux de Paris qui s’est retrouvé sous les feux de l’actualité après un numéro de « Complément d’Enquête », l’émission phare de France 2, particulièrement à charge.

Principale accusation : l’établissement de prestige, sous contrat avec l’État, ne pratiquerait pas la mixité sociale. Ajoutons à cela que la religion catholique y occuperait une place prépondérante. Un sanctuaire, donc, qui résisterait à la contamination woke. On a en effet dressé des bûchers idéologiques pour moins que cela.

Brebis égarée

L’établissement, situé dans les beaux quartiers de la capitale, a abrité derrière ses murs qui ont des oreilles mais qui se taisent de futurs responsables politiques – un président de la République – de puissants patrons de presse, des militaires sans guerre et quelques brebis égarées dont le jeune Simon Liberati. Ce dernier nous raconte son éducation pas sentimentale du tout à partir de son inscription comme externe en 11e bleu au collège Stan, inscription faite par un oncle mathématicien farfelu et une tante déjantée, sœur ainée de son père, toujours habillée comme une prostituée de la porte Saint-Denis. Mais si c’est à ce prix qu’on devient un écrivain iconoclaste, je ne vois pas pourquoi on renierait ses aïeuls renégats. Le jeune Simon, un introverti aux épaules étroites, devient le numéro 103. Perte d’identité immédiate. Ses camarades ne l’aiment pas ; ses profs non plus. C’est un garçon fragile avec des notes fragiles. En résumé, il est médiocre. Il va rester douze ans dans ce qu’il nomme ses « années de bagne ». Il ne passera pas le bac, renvoyé à la fin de la Première. Trop bagarreur ? Trop bad boy, tendance Charles Manson ? Rien de tout ça, juste que « Liboche », de plus en plus maltraité par ses condisciples, n’a pas le niveau pour être présenté à l’examen final. Alors exit l’adolescent. À Stan, on doit avoir cent pour cent de réussite. La réputation de l’établissement est à ce prix. Liberati résume : « C’est le collège qui est responsable de la pudeur haineuse que je garde à l’égard des principes moraux affichés et un goût de la provocation et du scandale qui m’a valu, à mon âge, de ne connaître ni la paix ni la reconnaissance de mes qualités de cœur. » Il ajoute : « Une inexorable solitude aussi qui m’a aidé bien des fois à surmonter les épreuves. » Il conclut, ce qui nous le rend décidément de plus en plus sympathique, livre après livre : « Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche. » Surtout quand on sait que le portrait de Pétain trônait dans le bureau d’un responsable et que certains de ses condisciples « en imper vert et lunettes fumées » écrivaient sur le tableau « B. au four » en parlant d’un camarade de confession juive. C’est surtout dans les années 73/74 que l’extrême droite fit son apparition dans l’établissement. « En matière d’excentricité patronymique, révèle Liberati, j’avais deux Drieu la Rochelle, les neveux de l’auteur de Gilles, blonds, brosse courte, plutôt sympathiques (…) ». Ils voisinaient avec François-Xavier Bagnoud, fils de la productrice Albina du Boisrouvray, qui mourrait en pilotant l’hélicoptère de Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar, le chanteur étant devenu la bête noire du pouvoir socialiste puisqu’il avait décidé de se présenter à la présidentielle. Quant à la note de Mai 68, elle ne fut guère entendue par les élèves de Stan protégés par les murs de la forteresse.

A relire, Emmanuel Domont: Simon Liberati, la fureur d’écrire

Ambiance carcérale

Liberati évoque également ses lectures qui l’aident à surmonter l’ambiance carcérale. Il apprécie Morand, Chardonne, Dickens. Il parle de Stephen Hecquet, élève à Stan, écrivain-avocat, mort en 1960 à quarante ans, au passé vaguement maréchaliste, qui a consacré un livre à l’établissement, Les Collégiens. Liberati cite un extrait de son meilleur ouvrage Les Guimbardes de Bordeaux où Stan est également décrit vers 1937. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas d’extraire des limbes les auteurs dont les romans protègent ?

« Les coups, les humiliations, les infortunes sans cesse répétées » ont été surmontés par le numéro 103. Son œuvre l’atteste. Il signe ici une confession sans fard qui touche le lecteur. La force de l’écrivain est de pouvoir puiser dans son enfance, même si celle-ci à la couleur du châle des veuves de Corrèze.

À la fin du livre, Liberati se demande s’il ne serait pas un peu fou. « À deux reprises, écrit-il, ces dix dernières années, j’ai dit la vérité à deux femmes. La première fut Eva, jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment insupportable et dangereuse. La seconde vit près de moi à l’heure où j’écris. » Il poursuit : « J’ai passé beaucoup du reste de ma vie à mentir aux femmes, aux amis, aux éditeurs. Je ne suis pas mythomane car je me suis arrangé pour que ma vie soit aussi amusante et romanesque que possible, je suis lâche et léger. » Qu’il se rassure : les écrivains ont le droit d’être des mythomanes.

Simon Liberati, Stanislas, Grasset. 224 pages

Causons ! Le podcast de Causeur

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Le premier ministre Canadien Mark Carney, Ottawa, 10 mars 2025 © Adrian Wyld/AP/SIPA

Avec Philippe Bilger, Harold Hyman et Jeremy Stubbs.


#MeToo a commencé comme un mouvement de libération dans la suite de l’affaire Harvey Weinstein, mais il a vite basculé dans une campagne d’intimidation et de destruction à l’égard des hommes, surtout des hommes célèbres. Bafouant le principe de présomption d’innocence, de nombreuses personnalités médiatiques se sont érigées en Fouquier-Tinville dénonciateurs du patriarcat. Comment un mouvement lancé au nom de la justice a-t-il pu finir par promouvoir de telles injustices ? Philippe Bilger tente de répondre à cette question dans son nouveau livre au titre évocateur, #MeTooMuch? Il nous livre le fruit de ses réflexions, nourries par sa grande expérience du droit et de la justice.

Parmi les nombreux bouleversements provoqués par les décisions récentes de Donald Trump, il y a la mise en cause des relations – traditionnellement très proches – entre les États-Unis et le Canada. La guerre commerciale déclenchée par le président américain a surtout servi à unir les Canadiens dans leur opposition aux mesures prises par la Maison Blanche, et ceux des politiques canadiens qui, jusqu’ici, faisaient l’éloge de la méthode Trump ont pris leurs distances. Les événements sanglants en Syrie ont jeté un doute sur le crédit que les puissances occidentales ont bien voulu accorder au nouveau régime post-Bachar al-Assad. Avaient-elles tort? Quelles sont les raisons de cette éruption de violence? Harold Hyman, grand spécialiste des relations internationales, nous aide à décrypter cette actualité et révèle que, chez les Palestiniens, Rima Hassan est… une inconnue!

https://shows.acast.com/causons-le-podcast-du-magazine-causeur/episode-80-le-nouveau-livre-de-philippe-bilger-metoomuch-que

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Nyx a encore frappé…

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© Mairie de Béziers

Ubuesque, aberrant, absurde, insensé : décidément, notre monde ne tourne pas rond. Quelques exemples ci-dessous. Et encore, je n’ai pas la place de vous parler d’Elon Musk, de la libération des otages israéliens ou de Boualem Sansal que l’on n’oublie pas…


OQTF

Tout le monde en a parlé ! Robert Ménard – mon très cher maire de Béziers – a été convoqué le 18 février dernier devant le procureur de Montpellier pour avoir refusé de marier, le 7 juillet 2023, une Française et un Algérien en situation irrégulière faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Robert Ménard a finalement refusé la procédure du « plaider coupable » qui lui était proposée, estimant injuste de se voir infliger une peine, même symbolique, pour s’être retrouvé à son corps défendant dans une situation que tout le monde s’accorde à trouver « ubuesque ». On le sommait de marier, en tant qu’officier d’état civil, un individu qui n’avait rien à faire devant lui. En somme, de choisir entre faire respecter un droit individuel – le mariage – et faire respecter l’ordre public, obligation qui lui incombe en tant qu’officier de police judiciaire. Il a choisi l’ordre public. Les choses ne s’arrêteront pas là puisqu’il va maintenant devoir comparaître devant un tribunal correctionnel. Pour mémoire, il risque cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité. Quelques jours après cette audience, on apprend qu’un Algérien sous OQTF vient de commettre un attentat islamiste à Mulhouse, faisant un mort et plusieurs blessés graves. D’après Bruno Retailleau, l’Algérie a refusé de reprendre son ressortissant « à dix reprises » ! Semaine après semaine, on assiste « impuissants » à la litanie tragique des crimes et délits impliquant des clandestins sous OQTF dont seule une petite minorité est exécutée. Et on voudrait exiger des maires qu’ils les marient pour leur permettre de rester encore un peu plus facilement sur le sol français ? Deux tiers des Français disent ne pas faire confiance à la justice. Ça vous étonne ?

Crèche

Vingt et une procédures contre notre crèche de Noël ! Nous avons perdu la dernière… Jusqu’à la prochaine fois bien sûr ! Car nous nous entêterons, soutenus par les différentes communautés religieuses de Béziers, à présenter une crèche dans l’hôtel de ville à Noël prochain ! Une question de principe. Une question de panache aussi. Car notre crèche n’exclut personne. Elle n’impose aucune croyance. Elle est simplement là, belle et apaisante. Cette année, cette nouvelle attaque contre la crèche de Béziers s’est effectuée selon un « calendrier » particulier : en effet, les plus grandes personnalités du pays et du monde entier venaient de se bousculer à Notre-Dame de Paris pour sa réouverture quand, à peine quelques jours plus tard, une crèche de Noël redevenait scandaleuse en France. Notre-Dame de Paris, église et lieu de culte catholique, mais aussi « âme de notre pays », selon les plus hautes autorités de l’État. Mesdames et messieurs les laïcards qui vous attaquez chaque année à notre crèche de Noël, pourquoi diable – sans mauvais jeu de mots – n’avez-vous pas pensé porter plainte contre un pays entier qui a osé se reconnaître dans Notre-Dame, dont la part catholique peut difficilement être ignorée ?

À lire aussi : Il y a une vie après l’Assemblée…

Djédjé34

Cela fait plusieurs semaines qu’on nous le signale. Un individu, qui serait gardien d’immeuble et se fait appeler Djédjé34, s’occupe, s’acharne même, à dégrader son logement et les abords immédiats de son immeuble. Sa spécificité, le mal du siècle me direz-vous : il se met en scène et se filme tandis qu’il casse tout sur son passage. Il saute sur son plancher pour « tester la solidité du plafond de sa voisine » ; il saccage son appartement avec perceuse, tronçonneuse et chalumeau. Bref, il terrorise les voisins qui se demandent à quel moment il va s’en prendre à eux. Nous saisissons la police, qui arrête le forcené et demande une expertise psychiatrique. Devant le juge, le prévenu – neuf mentions au casier judiciaire ! – rit, fait des grimaces, montre ses muscles. Problème : l’expertise psychiatrique est manuscrite et « illisible ». Le tribunal a donc décidé de garder l’homme en détention pour « risque de réitération » et a renvoyé l’affaire, en demandant une expertise « dactylographiée ». Vous ne rêvez pas, nous sommes bien en 2025 et à l’heure de l’intelligence artificielle !

Bon sens populaire

La Ville de Béziers est sollicitée par une dame qui se préoccupe de l’état de santé de sa locataire. Cette dernière ne va pas bien. Elle est dépressive, n’est pas soignée et a déjà tenté par trois fois de se suicider en se défenestrant. Nous sommes donc priés par sa propriétaire de lui trouver en urgence… un appartement en rez-de-chaussée pardi ! Précisons que nous lui avons d’abord obtenu un rendez-vous avec un médecin-psychiatre et une assistante sociale.

Billard à trois bandes

Richard Ferrand vient d’être nommé président du Conseil constitutionnel à une voix près. Grâce à l’abstention du Rassemblement national ! Après un vote à bulletin secret, l’ancien président de l’Assemblée nationale a obtenu 58 voix contre et 39 voix pour. Outre ce score pas très glorieux, on se demande quelle mouche a bien pu piquer le Rassemblement national d’avoir ainsi favorisé la nomination d’un très proche du président de la République. Certains parlent d’accord secret ; d’autres supputent une décision à venir concernant l’inéligibilité de Marine Le Pen… La réalité est souvent moins compliquée. À force de coups de billard à trois bandes, on peut se perdre en route. Pas sûre que les électeurs de Marine Le Pen, eux, s’y retrouvent.

À lire aussi : Le miracle de Noël d’Emmanuelle Ménard

Nyx

Je me souviens combien, il y a quelques années déjà, nous avons dû nous bagarrer pour obtenir un « chien stup » au sein de notre police municipale. Le bras de fer avait duré presque deux ans entre notre mairie, le ministère de l’Intérieur et le procureur de Béziers, pour quelque chose qui apparaît à tout le monde comme naturel aujourd’hui. Nyx, berger belge malinois, est en effet spécialisé dans la détection de produits stupéfiants, billets de banque, armes et munitions. Une véritable aubaine pour la police nationale et pour la gendarmerie qui réclament fréquemment son assistance en cas de perquisition. C’était encore le cas ce vendredi soir de février, lors d’une opération de contrôle de caves dans un quartier « difficile » de Béziers. Nyx a encore frappé. Et encore gagné. Il a « marqué » devant une cave où on a retrouvé cannabis et cocaïne. J’aime beaucoup ce chien. Il gagne à tous les coups. Il me rassure. Et il ne sera pas tout de suite remplacé par l’intelligence artificielle, lui…

Quand Tsahal et l’armée française comparent leurs muscles…

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Le général Eyal Zamir, nouveau chef d'etat-major de l'armée israélienne, photographié à Jérusalem le 5 mars 2025 © Ohad Zwigenberg/AP/SIPA

Cette semaine, dans la presse, on ne parle plus que de bruits de bottes, de budgets militaires, d’armées professionnelles et d’armées de conscrits… Le monde se réarme


Après le spectaculaire lâchage de l’Ukraine par les États-Unis, l’Europe a retenti cette semaine d’une musique guerrière que beaucoup de pays avaient oubliée depuis 80 ans. Le président Macron a pris la tête de cette campagne laissant son Premier Ministre et son gouvernement dans une situation intérieure enchevêtrée et sans gloire.

La même semaine a vu des massacres en Syrie qui n’ont guère généré d’indignation, car peu de gens se préoccupent des Alaouites maintenant que Bachar a été chassé du pouvoir. Les optimistes espèrent que l’élégant Ahmed al-Sharaa (Abu Mohammed al-Jolani) finira par abandonner ses oripeaux religieux. Il en était de même quand, revenus à Kaboul en août 2021 les Talibans ont laissé les Occidentaux espérer qu’ils avaient changé. On a vu ce qu’il en était et il y a toutes les chances qu’il en soit de même en Syrie.

Enfin, en Israël, le nouveau chef d’Etat-major, le général Eyal Zamir annonçait que 2025 serait une année de guerre contre le Hamas et l’Iran.

A lire aussi: Emmanuel Macron accusé de tirer profit de la guerre en Ukraine

Alors que le public français, indifférent jusque-là aux budgets militaires, découvre face aux menaces russes les failles de son armée, l’enquête publiée par Tsahal confirme sans fard ses échecs opérationnels et stratégiques le jour du 7-Octobre.

Armée bonsaï

La France a une armée bonsaï, dotée de tous les équipements sophistiqués mais en trop petite quantité, l’armée israélienne se reproche d’avoir avant le 7-Octobre misé sur la technologie au détriment de l’intelligence humaine.

Sur le plan financier, le budget militaire israélien avait diminué à moins de 5% du PIB en 2022, incluant une aide américaine annuelle d’environ 3,5 milliards de dollars, que l’administration Biden, si décriée aujourd’hui, avait augmentée à près de 9 milliards après octobre 2023. En  2025 ce budget sera de plus de 5,5% du PIB, soit d’environ 30 milliards d’euros. On reste loin des chiffres d’après la guerre du Kippour, quand les dépenses militaires représentaient jusqu’à 30% du PIB, ce qui avait déclenché l’inflation et la crise du début des années 80, ce que les Israéliens ont appelé la décennie perdue.

Le casse-tête de l’exemption militaire des ultra-orthodoxes en Israël

Pour la France, le budget militaire, rogné depuis les années 60, a atteint son étiage de 1,4% du PIB en 2015. Ni notre pays, ni les autres membres de l’Otan qui s’étaient engagés en 2014 auprès des Américains à augmenter les dépenses à plus de 2% du PIB ne l’ont fait. Même si le pourcentage a augmenté depuis la présidence Macron et doit continuer de le faire, il n’atteint pas encore les 2% et les retraites des militaires revalorisées dans le passé dans le but de stimuler les départs (il fallait une «armée agile» et éviter tout embonpoint) pèsent sur les disponibilités en équipements.

Avec 68 millions d’habitants, la France compte environ 200 000 militaires d’active et 40 000 volontaires en réserve opérationnelle qui effectuent qu’un service 15 jours en moyenne par an en encadrement.

Sept fois moins peuplé, Israël compte une armée de 170 000 soldats d’active avec un service de 36 mois chez les hommes. Mais il dispose de plus de  450 000 réservistes, souvent combattants, qui passent six semaines par an dans l’armée jusqu’à 40 ans au moins.

A lire aussi: Berlin, Mulhouse, Gaza, même combat

Si la France a depuis 1997 une armée professionnelle, Israël a une armée de conscrits, mais le service n’est pas obligatoire pour les Arabes israéliens et pour les ultra-orthodoxes, respectivement 21% et 14% de la population mais nettement plus parmi les jeunes adultes. Chaque année 60 000 jeunes israéliens non harédis effectuent leur service militaire. 13 000 ultra-orthodoxes atteignent aussi  18 ans, mais parmi  eux, moins de 2000 ont été enrôlés par l’armée l’an dernier. La Cour Suprême a statué en juin 2024 qu’il n’existait pas de cadre juridique  pour exempter les étudiants d’écoles religieuses, yeshivot et kollels, actuellement  150 000 dans le pays, un nombre qui croît chaque année d’environ 8%.

Menaces existentielles

L’effort militaire israélien avec des générations de jeunes engagés dans un service dur, long et dangereux est lié aux contraintes existentielles du pays. L’armée a forgé la mentalité des citoyens et la présence de soldats revenant de permission appartient au spectacle quotidien de la vie civile. L’admiration que l’armée rend l’échec du 7-Octobre d’autant plus incompréhensible.

Mais la conscription est aussi un facteur potentiel de fracture de la société israélienne. La plupart des dirigeants d’un monde ultra-orthodoxe en expansion numérique refusent que leurs jeunes prennent leur part de la défense du pays. Ils génèrent en retour une hostilité de plus en plus virulente et dans cette spirale désastreuse on n’entend pas de parole de sagesse qui porte et qui pourtant s’impose.

En France, la situation n’a rien de comparable, et l’armée n’a pas le rôle central qu’elle joue en Israël. Mais il existe des pans entiers de la  population qui pour des raisons de colère sociale, de messianisme écologiste ou de répulsion religieuse rejettent les principes de patriotisme, de débat d’opinions et de laïcité à la base de notre contrat national et pour lesquels le bruit de bottes pourrait être un nouveau motif de révolte.

Évidemment, l’ennemi n’est pas le même, Poutine est loin pour les Français, qui ont du mal à envisager les Russes aux portes de Paris, tandis que pour les Israéliens, la menace de l’islamisme est on ne peut plus concrète. Mais il ne faut pas oublier que Poutine a fait aussi alliance avec des islamistes et que l’islamisme radical a aussi déclaré la guerre à la France.

Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix prépare la guerre. C’est en 1955 que mon professeur de latin nous avait fait écrire cette phrase en cours de 6e. Peut-être aurait-il recommencé ces jours-ci….

Le blues du businessman

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Bernard Arnault, à la tête de LVMH, présente les résultats annuels 2022 du groupe, Paris, 26 janvier 2023 © Nicolas Messyasz/SIPA

Rien ne va plus entre les patrons et Emmanuel Macron. Depuis que le bloc central a instauré une surtaxe sur les grandes entreprises, des figures majeures de l’industrie menacent de délocaliser. Elles oublient la politique « pro-business » menée lors du premier quinquennat, et la promotion de la mondialisation qu’elles ont faite durant des décennies.


« J’entends beaucoup de débats en ce moment en France qui me paraissent fous. » Le 9 février dernier, après avoir vanté une demi-heure durant les mérites de son plan pour l’intelligence artificielle en direct du Grand Palais sur France 2, Emmanuel Macron change soudain de ton. Laurent Delahousse vient de lui poser une question sur la surtaxation des grandes entreprises actée dans le budget 2025, et sur la bronca inédite qu’elle a soulevée dans le monde des affaires. « Soyez patriotes vous-mêmes ! » cingle alors le président tandis que face à lui un écran géant projette les visages de plusieurs patrons du CAC 40. « Je ne vous ai parfois pas assez entendu, ces sept dernières années, quand on menait des réformes des retraites », maugrée-t-il.

Une surtaxe malvenue

Pour baroque que soit cette saillie, le chef de l’État n’a pas complètement tort. Depuis qu’il est aux affaires, sa politique a assurément rendu un peu d’oxygène au secteur privé français. Le PFU (prélèvement forfaitaire unique, la fameuse « flat tax »), c’est lui. La « double année » décrétée en 2019 pour le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), c’est encore lui. L’abaissement de l’IS (impôt sur les sociétés) à 25 %, c’est toujours lui !

À côté de cet arsenal de réformes « pro business », la surtaxe exceptionnelle que le gouvernement infligera cette année aux grandes entreprises – le temps, promet-il, d’un unique exercice fiscal – peut sembler bien peu de chose. Enfin, peu de chose… En majorant de 40 % l’IS des 440 groupes qui réalisent au moins un milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, l’État prévoit quand même de ponctionner 8 milliards d’euros supplémentaires sur les champions de notre économie. Une folie si l’on en croit Sophie de Menthon (pages 54-55 du magazine).

C’est Guillaume Faury qui, le premier, a sonné l’alarme. Le 10 janvier, le PDG d’Airbus s’épanche lors de la cérémonie des vœux du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas): « Il y a trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes », lance-t-il avant de se faire presque menaçant : « On risque de voir beaucoup d’entreprises aller faire ce qu’elles savent faire ailleurs, parce que cela devient invivable. »

À lire aussi : Pierre-Édouard Stérin, la start-up nation, c’est lui!

Le 28 janvier, Bernard Arnault lui emboîte le pas. Saint patron du capitalisme français depuis qu’il a déboursé 200 millions d’euros pour la rénovation de Notre-Dame de Paris, l’homme le plus riche d’Europe sort de sa réserve coutumière et lâche, à l’issue de la présentation des résultats annuels de son groupe LVMH : « Quand on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » Le 5 février, c’est au tour de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de monter au créneau : « Les propos de Bernard Arnault ne sont que du bon sens », tempête-t-il lors d’une visioconférence devant la presse financière internationale. Chez LFI, on appelle cela la solidarité de classe.

Des filières en danger

Surprise, au pays des gilets jaunes et des concerts de casserole contre l’augmentation de l’âge légal de la retraite, ces inhabituels coups de gueule patronaux s’avèrent plutôt payants dans l’opinion. Selon un sondage Odoxa, 51 % de nos concitoyens se déclarent à présent opposés à la surtaxation des entreprises, soit huit points de plus qu’en septembre dernier, l’époque où Michel Barnier envisageait déjà la mesure. À croire que les entrepreneurs gagneraient à davantage s’impliquer dans le débat public au lieu de laisser leurs représentants du Medef le faire à leur place.

Bref, quand Faury, Arnault et Pouyanné ruent dans les brancards, le grand public sait que ce n’est pas du chiqué. Il faut dire que ces trois-là ont du talent et qu’ils incarnent les rares secteurs d’activité (l’aéronautique, le luxe et le pétrole) dans lesquels la France a su conserver, voire accroître, son prestige au XXIe siècle. D’autres fiertés nationales comme l’énergie nucléaire, l’agroalimentaire ou l’automobile ne peuvent, hélas, pas en dire autant.

À lire aussi : Bernard Arnault mène la charge pour l’industrie française

Dernier exemple en date du « made in France » qui vacille : dans la filière automobile justement, Michelin a annoncé en novembre la fermeture de ses sites de Cholet et de Vannes. Deux mois plus tard, le 22 janvier, son PDG, Florent Menegaux, est auditionné au Sénat pour s’expliquer sur les 1 254 suppressions de postes occasionnées malgré les résultats record de son groupe : « La compétitivité en France s’est fortement dégradée au cours des cinq dernières années, justifie-t-il. On peut bien sûr augmenter les taxes sur les industries en France, mais si une équipe de foot à 11 joueurs est confrontée à une équipe qui en compte 22 et qui peut prendre la balle avec la main, ce n’est plus le même jeu. »

Patrons, ne nous quittez pas !

Filons la métaphore footballistique. Sans adhérer aux attaques haineuses de Sophie Binet contre les dirigeants des grands groupes, qu’elle accuse désormais carrément de n’avoir « plus rien à faire de l’intérêt général » (RTL, le 31 janvier), ni donner foi aux délires de Jean-Luc Mélenchon, selon qui « le libéralisme, c’est la catastrophe permanente qui a ruiné ce pays, ses finances et sa capacité d’invention » (discours prononcé à Angers, le 5 février dernier), on peut cependant se demander, comme Pierre Vermeren (pages 52-53 du magazine) si nos patrons ont toujours l’état d’esprit des joueurs de l’équipe de France, ou s’ils ne sont pas parfois davantage sensibles aux charmes du mercato et aux millions versés par leur club.

Depuis quarante ans, on ne compte plus les membres de l’élite des affaires qui ont prôné une mondialisation débridée et pris des décisions dignes de mercenaires, prompts à loger leurs actifs dans des structures offshore, à délocaliser leurs usines, voire à expatrier leurs sièges sociaux. Face à ce spectacle, il n’est guère étonnant que la droite, si éprise de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980, ait retrouvé le goût de l’intervention de l’État, ce n’est pas Marine Le Pen qui dira le contraire.

Reste que les Français ne veulent pas que les patrons les quittent. Au contraire, ils sont 60 % à souhaiter que « l’État fasse davantage confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté » selon le baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof publié en février. Un chiffre en hausse de sept points par rapport à 2017. Sans doute nos concitoyens sont-ils conscients qu’une économie complètement administrée serait encore plus désastreuse pour le pays. Faute d’aimer les PDG, au moins éprouvent-ils un certain respect pour eux. Il paraît que ce sont les mariages de raison qui font les couples les plus heureux.

Merci patrons !

Guillaume Faury, PDG d'Airbus, présente les résultats du groupe à Blagnac, 15 février 2024. Lors de ses vœux à la presse, le 9 janvier 2025, il déplore que « trop de charges, de règlements, de contraintes et de taxes » rendent le climat français « invivable » pour les affaires © Fred Scheiber/AP/SIPA

Suite à l’agacement compréhensible de Bernard Arnault, exaspéré par la récente volonté de surtaxer les grands groupes produisant en France, Causeur consacre un dossier de 16 pages aux patrons, en voulant, cette fois-ci et pour une fois, les remercier!


Les patrons se rebiffent. D’habitude, ils encaissent les coups en silence, acceptant de se faire déplumer par le gouvernement et insulter par des élus, syndicalistes et journalistes qui les décrivent comme des profiteurs-affameurs du peuple. La brillante idée de surtaxer les grands groupes produisant en France a fait sortir Bernard Arnault du bois. D’après un entrepreneur en colère, qui signe un texte dans nos colonnes (pages 50-51 du magazine), ces jours-ci, dans les milieux économiques, on ne parle pas seulement des affaires, très mauvaises au demeurant, mais de l’incompétence de gouvernants accusés d’emmener le pays dans le mur. Non sans quelques solides arguments.

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Certes, les patrons ne sont pas dénués de responsabilités dans notre situation. Beaucoup ont délocalisé à tour de bras et favorisé outrageusement les actionnaires au détriment des salariés. Raison de plus pour ne pas s’attaquer à ceux qui ont continué à produire en France et d’ailleurs à produire tout court, quand des esprits forts assuraient que les usines, c’était fini et que seuls les services étaient dignes de nations évoluées. D’où la consternante mutation de notre machine productive en économie de consommation, analysée par Pierre Vermeren (pages 52-53 du magazine). Même la gauche, naguère productiviste et attachée à la défense de l’outil de travail, s’est vautrée dans l’illusion tertiaire : le mot « production » ne figurait pas dans l’affligeant programme de la défunte Nupes.

À ces reniements s’ajoute le fait que notre pays, englué dans sa merveilleuse culture du service public, est de longue date l’économie la plus soviétique du monde libre (lire la démonstration sans appel de Stéphane Germain, pages 46-47 du magazine). Nulle part ailleurs, on ne regarde avec une telle méfiance l’initiative privée, suspecte a priori de charrier les eaux glacées du calcul égoïste. En réalité, il ne faut pas gratter longtemps derrière les belles proclamations égalitaires pour tomber sur les passions tristes (brillamment analysées par Jeremy Stubbs, pages 48-49 du magazine). Dans ces conditions, on devrait plutôt décerner des lauriers aux chefs d’entreprise qui, en dépit des taxes et des normes, croient encore à la France. Merci patrons !