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Connaissez-vous Stephen Miran?

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Stephen Miran est l’un des grands économistes qui entourent Donald Trump. L’augmentation des droits de douane, c’est son idée, et ce n’est qu’une première étape pour déprécier le dollar afin de réindustrialiser les États-Unis et renforcer leur puissance militaire.


À lire les journaux, Trump serait une grosse bête, un fou au sommet de l’État le plus puissant du monde. Il voudrait le beurre et l’argent du beurre. Son augmentation des tarifs douaniers reposerait sur une vision court-termiste de l’économie ; elle entraînera bientôt, c’est sûr, un emballement inflationniste. L’Amérique va sombrer : on n’ose s’en réjouir, même si l’on prie pour la déroute du tyran. Sauf que si Trump n’est pas économiste, il est entouré par de brillants économistes : parmi eux, Stephen Miran, diplômé de Harvard. Président du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, Stephen Miran a publié en novembre 2024, au lendemain de la réélection du milliardaire, un document de cinquante pages intitulé A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System : tout un programme qui explique notamment la vraie raison de l’augmentation des tarifs douaniers, et démontre qu’aux échecs de l’économie, Trump a trois coups d’avance.

Dollar surpuissant : pas que des avantages, selon M. Miran

Miran part d’un paradoxe cruel : les États-Unis, contrairement à ce que l’on pourrait croire, bénéficient autant qu’ils souffrent de la valeur du dollar. Son statut de monnaie de réserve mondiale en fait une devise forte, ce qui pèse sur l’industrie américaine ; or, la désindustrialisation inquiétante des Etats-Unis présente un danger pour la sécurité nationale — car un État est puissant quand sa production industrielle est supérieure à l’activité de ses services. En d’autres termes, la surévaluation du dollar, qui entraîne la désindustrialisation du pays et l’affaissement de l’économie locale, affaiblit la défense nationale. « En l’absence de rivaux géopolitiques majeurs, écrit Miran, les dirigeants américains pensaient pouvoir minimiser l’importance du déclin des installations industrielles. Mais la Chine et la Russie étant des menaces non seulement commerciales mais aussi sécuritaires, il est de nouveau nécessaire de disposer d’un secteur manufacturier robuste et bien diversifié. »

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Le dilemme est le suivant : si le dollar est trop fort et que les États-Unis n’exportent plus, le dollar se retourne contre les États-Unis ; en même temps, le fait qu’il soit la principale monnaie de réserve du monde est essentiel pour garantir la puissance militaire de l’Amérique. « Le statut de monnaie de réserve de l’Amérique, écrit Stephen Miran, fait peser le fardeau d’une monnaie surévaluée érodant la compétitivité de notre secteur exportateur, ce qui est contrebalancé par les avantages géopolitiques qu’apporte l’extraterritorialité financière en matière de réalisation des objectifs fondamentaux de sécurité nationale, à un coût minimal. » Pour l’économiste, il est nécessaire de trouver un équilibre dans la valeur du dollar : or, le fait qu’il soit trop fort aujourd’hui freine l’industrialisation des États-Unis, et met par conséquent sa sécurité en jeu. Ce qu’il propose, c’est donc que les États-Unis négocient… pour déprécier le dollar. Hélas ! Les États-Unis n’ont plus l’aura ni la puissance qu’ils avaient au lendemain de la guerre. Leur marge de négociation s’en trouve considérablement réduite. Comment dès lors contraindre les pays à déprécier leur monnaie de réserve, ajuster la valeur de leurs propres monnaies au profit des Etats-Unis d’Amérique, participer à la réindustrialisation de l’Amérique ?… d’abord et avant tout, en leur imposant des tarifs douaniers exorbitants.

La négo de Mar-a-Lago 

Pour Stephen Miran, l’augmentation des tarifs douaniers, solution déjà utilisée avec succès en 2018-2019 (c’est-à-dire sans inflation significative), présente tous les avantages. Outre le fait qu’elle entraîne in fine— après un premier temps d’appréciation — une dépréciation du dollar, elle n’affecte en rien le pouvoir d’achat des consommateurs américains (car les dépréciations des devises étrangères compensent les droits de douane : en d’autres termes, les citoyens des pays exportateurs s’appauvrissent… au profit du Trésor américain, qui « collecte les recettes » !), mais elle permet encore de générer des investissements et des emplois, et de financer le maintien de faibles taux d’impositions pour les Américains. Stephen Miran, disons-le franchement, n’est pas notre ami : sa doctrine aura pour effet de nous appauvrir pour enrichir les États-Unis : the winner takes all.

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On se demandera comment les pays étrangers accepteront sans représailles une augmentation punitive et intéressée des tarifs douaniers ? D’abord, les États-Unis demeurent une source importante de demande de consommation mondiale : ils ont les moyens d’imposer leur volonté (en fermant leurs marchés, en limitant leurs exportations…). Ensuite, ils disposent d’une puissance de protection militaire qu’ils se réservent le droit d’ôter aux pays réticents. L’Europe se passera-t-elle des Etats-Unis en se constituant une défense commune ? Tant mieux, répond Miran, cynique : les États-Unis pourront se concentrer sur la Chine !

En conclusion, ce que veut Stephen Miran, c’est un nouvel ordre économique mondial : augmenter les droits de douane pour négocier un nouvel accord du Plaza (Miran propose des « accords de Mar-a-Lago »), déprécier le dollar, réindustrialiser l’Amérique et renforcer sa puissance militaire : « Une baisse de la valeur du dollar contribue à créer des emplois dans le secteur manufacturier américain et à réaffecter la demande globale du reste du monde vers les États-Unis. » L’augmentation des tarifs douaniers doit être le premier des bâtons pour obtenir ces accords ; la fermeture aux marchés américains, le retrait de la défense militaire aux pays récalcitrants, seront les prochaines menaces à être mises en œuvre. De quoi expliquer une grande partie des déclarations apparemment erratiques du président Trump…


L’essai de Stephen Miran :

https://www.hudsonbaycapital.com/documents/FG/hudsonbay/research/638199_A_Users_Guide_to_Restructuring_the_Global_Trading_System.pdf

Une traduction en français :

https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/28/la-doctrine-miran-le-plan-de-trump-pour-disrupter-la-mondialisation

J’ai choisi « le Cavaleur » aux défilés !

Dans un pays fracturé qui a préféré hier majoritairement le festival du barbecue au Parc floral aux manifestations antagonistes parisiennes, Arte prône la voie de l’apaisement et de la concorde nationale en débutant au mois d’avril un cycle « Philippe de Broca » qui se poursuivra tout au long de l’année. Monsieur Nostalgie nous explique pourquoi « Le Cavaleur » de 1979 est à la fois une source d’émerveillement et d’espoir dans une France à bout de souffle…


Nous sommes incapables collectivement de parler de la France car nous n’avons plus les mêmes références, les mêmes marottes, les mêmes mélancolies, les mêmes grisailles, les mêmes mots doux. Un langage commun, au-delà des classes sociales et des identités tapageuses, nous fait aujourd’hui défaut. Chaque camp y va de son dépliant idéologique, tente grossièrement d’alpaguer l’électeur, crie des infamies dans le désert, se fait plus gros médiatiquement qu’il n’est. Les partis sont désertés et déconsidérés, les communautés se cristallisent en dehors de la République, l’abstention s’enkyste et le personnel politique est devenu la variable de divertissement des chaînes en continu. Alors, nous regardons ce spectacle, à la fois effarés et à distance sanitaire. Un peu gênés et coupables par ce délitement. Car ils sont le produit de nos années d’abandon et de déni. Nous leur avons laissé les clés du camion, ils étaient à peine aptes à conduire un vélomoteur. Un jour, nous nous sommes réveillés orphelins de nos vieilles armatures, de nos marivaudages savants, de nos bourgeoisies enfantines et d’une génération d’hommes sans certitudes. Les honnêtes hommes que furent nos parents et nos grands-parents étaient moins dogmatiques avec les aléas du quotidien, tout en croyant aux vertus du travail, de l’école publique et de l’amour. Dans un monde empli de procédures et d’injonctions, les errements ou plutôt les arabesques de Jean Rochefort, pianiste désaccordé, papillonneur en diable, sont des écarts de conduite vaudevillesques. On pourrait en rire, et on rit beaucoup, les formules pétillent dans ce long-métrage de 1979, l’esprit français de Guitry à Audiard se glisse dans les intérieurs cossus de la Place Vivienne. Mais, l’essentiel n’est pas là. Les moralistes actuels trouveront ces gesticulations pathétiques dignes d’un patriarcat à abattre. Des accommodements de privilégiés pendant que la misère gronde et la Terre tremble. Les arrangements ménagers et les foucades de ce concertiste, individualiste forcené, solitaire en déshérence sont d’un autre temps ; une époque révolue où l’on pouvait rouler dans Paris dans un break Volvo grignoté par la rouille et commander un quart champagne au bistrot du coin.

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« Le Cavaleur » se regarde comme un livre d’images, un conte des jours heureux, un peu triste, un peu drôle ; il est ce baume réconfortant qu’on applique sur les déchirures modernes. Il est « temps qui passe », enchevêtrement du masculin et du féminin, refuge dans la musique classique, cette tapisserie sans fin de Mozart à Ravel, transmission avec un jeune disciple sorti de nulle part, d’une quincaillerie bretonne et filouteries de garnisons. Il est, c’est bien simple, tout le contraire de nos vociférations et de nos aigreurs, il n’a pas vocation à faire de nous des humains plus respectueux, plus citoyens ou plus disciplinés. Il est ce voile pudique sur les sentiments, il est secret des alcôves et embardées cheminotes. C’est parce qu’en apparence, il ne professe rien de sérieux, de tangible, de rémunérateur ou de bénéficiaire qu’il est une promenade dans notre jardin d’hier. Après l’avoir (re)vu, on ne regarde plus de la même façon l’horloge de la gare de Lyon, le Moulin Rouge, les Grands Magasins, l’île aux moines aux vacances de la Toussaint ou la forêt de Rambouillet au clair-obscur. Ce soir, on n’ira pas skier à Chamonix avec Catherine Alric mais s’embourber sur le chemin d’un château qui semble sorti d’un songe d’Alain Fournier. On perdra la mémoire entre Danielle Darrieux et Catherine Leprince ; entre la grand-mère et la petite-fille, la Libération de Paris fera kaléidoscope. On apprendra que pour bien jouer du piano, il faut mécaniser, jouer avec les doigts et non avec son âme. Qu’avant de se gargariser d’un hypothétique univers musical et d’une singularité esthétique, on devra charbonner sur les touches à se faire saigner les mains. On aura la preuve, une fois de plus, qu’Annie Girardot est une immense actrice, en un mouvement de menton, elle passe de la primesautière à l’élégiaque. En France, il nous manque ce feu sacré, cet appel du pays profond, l’envie que nos cœurs battent à nouveau à l’unisson. Cet élan, Arte nous l’offre gratuitement en diffusant durant les prochains mois l’œuvre de Philippe de Broca. « Le Cavaleur » (disponible en streaming sur Arte.tv) ouvre le bal des souvenirs. Il possède cette patine d’émotion, ce soyeux d’antiquaire qu’ont les meubles lustrés, brillants, un peu trop beaux et tellement fragiles. Et puis, il y a Nicole Garcia, la voix de Nicole, sa blondeur infernale, sa retenue explosive. Qu’elle était belle la France de Philippe de Broca.

1h40

Le cavaleur – Regarder le film complet | ARTE

Ma dernière séance : Marielle, Broca et Belmondo

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Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen

Selon les derniers sondages, le Rassemblement national représenté par Jordan Bardella en l’absence obligée de Marine Le Pen, serait en mesure malgré tout de remporter la prochaine élection présidentielle. C’est donc bien le Rassemblement national tel qu’il se présente, avec ses élus tels qu’ils sont, qui séduit une grande partie de l’opinion publique. Il reste à comprendre ce qui fait le succès de cette droite dite « extrême » par ses adversaires et qui a son équivalent désormais dans plusieurs pays occidentaux. Analyse.


Un profond malaise traverse les couches populaires françaises, celles que l’on appelait autrefois le « peuple laborieux ». L’exaspération est à son comble face à une classe dirigeante perçue comme hors-sol, aveugle aux réalités concrètes, soumise à des logiques technocratiques européennes et mondialisées. Une fracture béante s’est installée entre ceux d’en bas, qui subissent au quotidien les effets de la désindustrialisation, de l’insécurité et de la précarité, et ceux d’en haut, qui vivent à l’abri des conséquences de leurs décisions dans des cercles fermés, souvent parisiens et européanisés.

Dépossession

La construction européenne, telle qu’elle est vécue par une grande partie de la population, incarne cette dépossession politique. Les grandes orientations économiques et sociales sont dictées par des commissions non élues, des traités intangibles et des règles budgétaires strictes, imposées sans véritable débat démocratique. L’idéal d’une Europe sociale a cédé la place à une gouvernance d’experts, indifférente aux souffrances concrètes. Le sentiment d’abandon, nourri par cette distance entre les institutions et les citoyens, alimente un désir de rupture plus que de réforme.

Historiquement, c’était la gauche — celle de Jaurès, de Blum, des luttes ouvrières — qui portait les espoirs de justice sociale, de solidarité et d’émancipation. Mais aujourd’hui, elle semble s’être égarée. Incapable de se renouveler, prisonnière de récits identitaires ou communautaristes, elle a déserté le terrain du réel pour celui du symbolique. Le Parti communiste est moribond, le Parti socialiste réduit à une force d’appoint, et les nouvelles formations « de gauche radicale » apparaissent coupées des préoccupations populaires.

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La gauche se tourne vers de nouveaux électorats : les quartiers dits sensibles, certaines minorités, les classes moyennes diplômées en quête de causes à défendre. Mais dans cette recomposition idéologique, elle a oublié les ouvriers, les employés, les retraités modestes, les habitants des zones rurales et périurbaines. Ces Français invisibles, relégués aux marges du récit national, ne se reconnaissent plus dans un discours qui les ignore ou les méprise.

La droite de gouvernement effacée

Face à cette débandade de la gauche, la droite républicaine aurait pu redevenir un refuge. Mais elle a elle aussi trahi son électorat populaire au nom d’un libéralisme économique qui a fragilisé le tissu social. Aujourd’hui, elle tente de survivre en singeant à la hâte les thèmes portés par le Rassemblement national — immigration, sécurité, autorité — mais sans la cohérence ni la radicalité attendue. Coincée entre La République en Marche, qui l’a vampirisée, et le RN, qui l’absorbe, elle semble condamnée à l’effacement.

Ce que certains appellent « droitisation » du pays est en réalité un réalignement des représentations collectives sur une réalité de plus en plus anxiogène. Le rêve d’un monde réconcilié, de fraternité universelle et de lendemains qui chantent a cédé le pas à la dureté du quotidien. L’insécurité, la pression migratoire, l’islamisation, la perte de repères culturels, la crise du pouvoir d’achat et le sentiment de déclassement massif ont ancré la demande populaire dans des valeurs de protection, d’identité, d’autorité.

Le progressisme, tel qu’il est aujourd’hui défendu, apparaît comme une utopie hors-sol, sans prise sur le réel. Il rêve encore d’une humanité en marche vers l’égalité et l’émancipation, alors que les peuples, eux, réclament désormais des frontières, de la sécurité, de l’ordre. La fracture est là, entre une gauche tournée vers l’horizon du grand soir et un peuple en quête de stabilité immédiate.

La réalité internationale accentue encore cette désillusion. Les grands récits émancipateurs de la gauche ont sombré : la révolution bolivarienne s’est transformée en régime autoritaire et miséreux ; les dirigeants palestiniens sont décriés pour leur corruption pendant que le conflit s’enlise ; la Chine incarne une synthèse cynique entre capitalisme brutal et autoritarisme étatique ; l’Afrique, que l’on voulait indépendante et souveraine, reste prisonnière de systèmes corrompus et d’une nouvelle dépendance vis-à-vis de Pékin. Les masques tombent. Le réel s’impose.

Ma cité va craquer

En France même, les émeutes dans certaines banlieues ont révélé non pas une colère sociale constructive, mais un divorce culturel et sécuritaire. Le trafic, la violence, la montée d’un islam identitaire et conquérant sont vécus comme une menace directe par une majorité silencieuse qui ne croit plus aux discours compassionnels. Ce que le peuple exige aujourd’hui, ce ne sont plus des promesses de jours heureux, mais des actes concrets pour garantir la paix, l’ordre, la justice.

Ce qui se joue aujourd’hui en France, à travers le basculement électoral des classes populaires vers le Rassemblement national, n’est pas un simple glissement partisan. C’est l’expression d’un bouleversement plus profond, à l’image de ce que vivent de nombreuses démocraties occidentales : une révolte silencieuse, parfois brutale, de ceux qui ont été relégués, oubliés, méprisés par des élites politiques, médiatiques, économiques, qui se parlent entre elles et gouvernent sans les entendre.

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La France périphérique — celle des petites villes, des zones rurales, des franges périurbaines — ne croit plus aux promesses des progressismes abstraits. Elle n’aspire plus à l’utopie d’un monde sans frontières, d’une humanité pacifiée, d’un avenir radieux construit sur le seul pouvoir des mots et des discours. Elle regarde désormais le réel en face : un monde durci, instable, où les rapports de force l’emportent sur les grandes idées, où les nations, les civilisations et les blocs d’intérêts s’affrontent sans fard.

Dans ce contexte, les plus modestes ne demandent plus des rêves, mais des boucliers. Ils réclament non plus la fraternité abstraite mais la solidarité concrète. Ils veulent que l’État les protège, qu’il régule, qu’il punisse ceux qui détruisent le tissu social, qu’il affirme une autorité républicaine ferme et équitable. Ils attendent des réponses à la hauteur des angoisses qu’ils vivent : celle du déclassement, de l’insécurité, de l’invisibilisation. Leur demande n’est pas de haine, mais de protection. Pas d’exclusion, mais de priorité.

Ce retournement est révélateur d’un monde en transition. Les idéaux de la gauche historique, forgés dans une époque industrielle, dans un monde encore structuré autour du travail, de la lutte des classes et de la solidarité ouvrière, peinent à s’adapter à un monde fragmenté, dérégulé, violent. Pendant que la gauche continue de s’adresser à des catégories minoritaires ou symboliques, le cœur populaire se détourne. Il observe que les indépendances d’hier ont souvent débouché sur la dépendance d’aujourd’hui ; que les promesses de justice internationale ont masqué des jeux de pouvoir cyniques ; que l’universalisme proclamé cache parfois le désintérêt pour les souffrances françaises.

Ce monde nouveau est un monde d’insécurité globale : économique, culturelle, géopolitique, climatique, numérique. Et face à cela, le peuple n’en appelle plus à la révolution, mais à la réassurance. Il demande que l’on reconstruise des murs symboliques et concrets, que l’on définisse à nouveau qui fait partie du « nous », que l’on protège ce qui peut encore l’être : l’emploi, l’école, la langue, la nation, la culture.

Le vote pour le Rassemblement national, dans ce contexte, ne peut plus être interprété comme un simple vote protestataire. Il est devenu pour beaucoup un vote de nécessité, de dernier recours. Il ne traduit pas une adhésion à une idéologie extrême, mais un espoir pragmatique : celui que quelqu’un, enfin, prendra en compte leur existence.

Ce n’est pas la France populaire qui a changé fondamentalement : c’est le monde qui, en se durcissant, a rendu inopérantes les vieilles promesses. Et face à cette brutalité du réel, elle cherche désormais non pas des idées généreuses, mais des garanties tangibles. Elle ne réclame plus un horizon lumineux, mais une ancre solide. Elle ne veut plus de discours lointains, mais de la protection ici, maintenant. Et c’est précisément cela que les élites ne veulent pas, ou ne peuvent plus, entendre.

Quatre France + une

Trois France (ou plus), un soleil, zéro cortège… Place Vauban devant les siens, Marine Le Pen a assuré hier qu’elle ne lâcherait rien. De leur côté, Place de la République, Verts et Insoumis étaient une nouvelle fois de sortie pour riposter contre le « fascisme »… À Saint-Denis, le jeune Gabriel Attal se croyait déjà en 2027. Et devant l’Hôtel de Ville, des motards ont protesté contre les ZFE, et se sont surnommés eux-mêmes « les Gueux ». L’analyse d’Elisabeth Lévy.


Plusieurs France se faisaient face hier sur le pavé parisien. Certains commentateurs, dont votre servante, avaient parlé dimanche matin de trois France irréconciliables. Amusant : Place Vauban, il y avait partout le drapeau tricolore, la Place de la République était pavée de drapeaux palestiniens ou algériens, et à Saint-Denis (première sortie publique du « bloc central ») il y avait des drapeaux européens et français. Je vous donne les trois pôles de l’Assemblée nationale. Les deux ex-partis de gouvernement, Parti socialiste et LR, manquaient hier à l’appel.

Deux contre 1

Deux France seront toujours prêtes à se réconcilier demain contre la troisième. Bien qu’il n’y ait pas eu un mot de travers des leaders du RN hier (respect de la Justice, séparation des pouvoirs), extrême-gauche et macronie ont continué de faire monter la mayonnaise folle d’un RN fasciste et séditieux, s’apprêtant à supprimer l’Etat de droit, menaçant les institutions… Si un dixième de tout ce qu’ils disent était vrai, Marine Le Pen, Jordan Bardella et consorts dormiraient en prison. Mais ce pur bobard devenu vérité à force d’être répété annonce le prochain Front républicain. Contre le nazisme, on s’alliera avec des antisémites.

Il y avait aussi hier une quatrième France, largement oubliée. Celle des « gueux » d’Alexandre Jardin, avec les motards contre les ZFE. J’y étais. C’était très sympathique. Ils étaient quelques milliers devant l’Hôtel-de-Ville. Il y avait beaucoup de retraités comme Jacqueline, 78 ans, de Courbevoie. Plutôt aisée, elle m’a dit « Je n’ai jamais été aussi fière d’être une gueux ». Comme souvent, on retrouve un même ciment derrière ces colères: c’est le sentiment d’injustice. Et ce rassemblement était d’ailleurs le réceptacle d’autres colères. L’un milite contre l’euthanasie, l’autre contre les vaccins pédiatriques. Une troisième dame distribuait des calicots vaguement conspi «Vous êtes l’anomalie dont le système a peur». C’était un cocktail évoquant un peu les gilets jaunes.

Laquelle de ces France a gagné?

La cinquième ! C’est-à-dire l’écrasante majorité qui a préféré profiter du soleil. Celle qui ne s’intéresse pas ou plus à cette agitation.

Un point commun aux trois blocs est à noter. Tous ont préféré des rassemblements aux manifestations, car ils sont probablement incapables de mobiliser assez pour un cortège. Il n’y avait pas de défilé; c’était de petits meetings, avec pratiquement que des militants. Sauf pour les ZFE, où beaucoup de gens désabusés se sont joint au mouvement. C’est peut-être ce qu’il y a de plus grave : on assiste à une sorte de désaffiliation et d’indifférence à la chose publique, à un repli sur le bonheur privé. Tous se disaient plus ou moins : « Ça ne donnera rien ». L’échec des gilets jaunes a douché les dernières ardeurs. On ne croit pas que la politique puisse changer les choses. Plus grave : elle ne fabrique plus de légitimité. Qu’est-ce que mon pays peut faire pour moi ? Cette perte du sentiment collectif, de la conscience d’être un peuple, est le véritable danger pour la démocratie. Que ceux qui entendent des bruits de bottes se rassurent. Les peuples qui rêvent de la retraite ne font pas la révolution. Ni rouge ni brune.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

C’est pas Versailles ici… c’est Vauban

Manifestation ratée ou stratégie en pause ? Certes, les discours de Jordan Bardella et de Marine Le Pen ont su galvaniser l’auditoire. Mais alors que le parti misait sur une vaste mobilisation populaire à Paris pour soutenir sa candidate, récemment condamnée à cinq ans d’inéligibilité en première instance, le Rassemblement national donnait plutôt l’impression de faire salon en plein air, ce dimanche après-midi… Dans le public, certains militants laissaient transparaître leur amertume: « Pas assez de monde… »


Les masses se font encore attendre…

Sur scène, place Vauban, Jordan Bardella s’enthousiasme : « Vous êtes plus de 10 000 ! » À l’examen, les sympathisants ayant répondu, dimanche 6 avril, à l’appel du Rassemblement national pour « sauver la démocratie » et soutenir la candidature de Marine Le Pen étaient plutôt au nombre de 7 000. Assez pour offrir à la télévision des vues de foule compacte grâce à des angles serrés, mais pas suffisant pour remplir réellement la place Vauban. Les vues aériennes révèlent une masse tricolore modeste autour du podium.

Après le coup de massue judiciaire de la semaine précédente, le RN tentait hier le pari de la mobilisation. Pari en partie raté. L’ouest parisien n’est pas exactement un bastion de Marine Le Pen. Lors de leurs deux meetings au Trocadéro, François Fillon en 2017 et Éric Zemmour en 2022 avaient pu compter sur la mobilisation des réseaux catholiques et sur le soutien de la bourgeoisie conservatrice des beaux quartiers. Rien de tel pour le RN.

« Pas assez de monde »

« Il n’y a pas assez de monde… Les gens n’ont pas encore compris. Il faut que les Français se reprennent », peste Anne, venue avec son fils Paul et son époux Bruno. Militante du Frexit au sein du mouvement Les Patriotes de Florian Philippot, elle est venue grossir les rangs clairsemés du Rassemblement national : « Je viens pour Marine, car c’est une fille bien. » Autour de la scène, on aperçoit quelques cars affrétés par les fédérations de province du parti, et Marc de Fleurian, député de Calais, conduisant ses militants vers la place Vauban. Mais dans l’ensemble, les renforts restent maigres.

« C’est une manifestation qu’il a fallu organiser en seulement quelques jours, le temps nous a manqué », tente de justifier un assistant parlementaire. Est-ce seulement une question de logistique ? « Je ne suis pas sûr que mobiliser plus de moyens aurait changé grand-chose. Le car de Normandie était à moitié vide… » soupire un cadre. Dans la foule, la ferveur est polie. On applaudit au rythme des interventions. L’ambiance évoque davantage une garden-party qu’un meeting politique. Les militants ont pris un coup sur la tête. Et les sondages révèlent par ailleurs une relative indifférence de la base électorale, tout à fait prête à voter pour Jordan Bardella en cas d’empêchement de Marine Le Pen.

Ouverture à droite

La droite et la rue… toute une histoire. Certains redoutaient des débordements comme aux grandes heures des défilés du 1er mai du Front national de Jean-Marie Le Pen, parfois entachés de violences ou de provocations (venant parfois de groupuscules extrémistes rejoignant le cortège). La contre-manifestation de la gauche, place de la République, ainsi que le meeting de Renaissance à Saint-Denis, se déroulaient sous le signe de la défense de l’État de droit et de l’institution judiciaire, dénonçant les attaques du RN et ses discours hostiles aux magistrats.

Jordan Bardella tente de rassurer : « Il ne s’agira jamais pour nous de jeter le discrédit sur l’ensemble des juges. Jamais notre mouvement ne remettra en cause la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice, qui sont les garanties de l’État de droit. »

Sans rien céder sur le fond, les orateurs ont voulu donner quelques signes d’ouverture à droite et de modération. En appelant à une « résistance pacifique, démocratique, populaire et patriote », Marine Le Pen invoque la figure de Martin Luther King, héros des droits civiques aux États-Unis : « Notre ligne de conduite ne sera jamais celle de la brutalisation, mais celle, pacifique, du pasteur Martin Luther King, pour les droits civiques des citoyens américains à l’époque opprimés et privés de droits. » Une référence qu’on aurait difficilement entendue lors d’un défilé du 1er mai à l’époque de Jean-Marie Le Pen ! Fait rare : Marine Le Pen évoque le procès de Nicolas Sarkozy, qu’elle qualifie « d’humiliation », notamment en raison de « la perte des droits familiaux ».

De son côté, Éric Ciotti continue de se réclamer de François Fillon : « J’ai déjà subi, en 2017, le destin confisqué de la démocratie française avec François Fillon. » En les remerciant pour leur soutien, Louis Aliot fait applaudir les noms de « Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Marion Maréchal et Nicolas Dupont-Aignan ». Nicolas Sarkozy et Éric Zemmour acclamés par une foule RN ? L’heure est décidément grave.

À la recherche du RN de l’ouest parisien…

C’est aussi le paradoxe de cette manifestation : organisée pour soutenir Marine Le Pen, elle attire finalement peu de « marinistes » pur jus. Ni les sympathisants de la France périphérique, ni ceux de la grande banlieue parisienne — pourtant des bastions électoraux du RN — ne sont venus en nombre soutenir leur candidate.

Depuis qu’elle a pris la tête du FN en 2011, Marine Le Pen a en partie brisé le mouvement populaire que représentaient les fêtes Bleu Blanc Rouge ou les défilés du 1er mai, contribuant à l’anesthésie des fédérations. Alors, quand vient le moment de descendre dans la rue, il ne reste qu’un public plus bourgeois et conservateur, souvent plus enclin à ce type d’événements.

Inhabituel au RN : on aperçoit barbours, blazers et polos Ralph Lauren. Le nom de Marion Maréchal, présente sur place et au profil plus conservateur que sa tante, est numéro un à l’applaudimètre. Ce public, très « canal historique », rappelle l’époque où Jean-Marie Le Pen faisait des scores honorables dans les beaux quartiers et se faisait élire député de Paris aux côtés du maire CNIP du VIIe arrondissement, Édouard Frédéric-Dupont. Frigide Barjot, égérie de la Manif pour Tous, est présente. Éric, professeur de droit, se dit « plus Jean-Marie que Marine » et exprime quelques réserves sur la stratégie de dédiabolisation : « Donner des gages en permanence, c’est maladroit. La preuve : les juges ne nous font pas de cadeaux. » Il ajoute, agacé par la sono : « Rien que cette musique m’exaspère… On se croirait à un meeting de la CGT. Le Pen arrivait avec de la musique classique, ça emportait l’enthousiasme. » Le RN, aujourd’hui, s’est accoutumé aux musiques de discothèque.

Dragana, électrice RN, arbore son drapeau serbe et revendique sa triple nationalité: « serbe, française et serbe de Bosnie ». Elle voit dans les ennuis judiciaires du RN un parallèle avec l’histoire de son pays : « Cette mise au ban judiciaire me rappelle celle de la Serbie lors des bombardements de l’OTAN en 1999. » Des résonances qui évoquent les mobilisations nationalistes et souverainistes des années 1990.

Si tous les orateurs affichent leur volonté de rassurer et de rassembler, la stratégie de dédiabolisation n’a pas empêché le choc judiciaire. Ce revers nourrit, chez certains militants, une tentation de retour au FN « canal historique ». Certains observateurs redoutaient une mobilisation virulente contre les juges et les institutions, ou faisaient le parallèle avec le 6 février 1934… Mais le 6 avril n’aura pas été un jour de rupture. Ni scandale, ni émeute, ni ferveur. Seulement un parti donnant l’image d’un mouvement hésitant quant aux moyens d’action et au degré de radicalité à opposer au « verrouillage judiciaire » qu’il dénonce.

Shakespeare pour les vraiment nuls

Que Shakespeare soit encore considéré comme un génie universel chagrine les wokes de Stratford-upon-Avon.


Le wokisme n’est pas mort et Shakespeare doit se retourner dans sa tombe.

L’institution fiduciaire chargée de mettre en valeur Stratford-upon-Avon, la ville de naissance du dramaturge anglais, vient d’annoncer un immense programme de « décolonisation » des différents lieux à sa charge et l’organisation d’une « expérience muséale plus inclusive ». Cette décision s’appuie sur les travaux d’une chercheuse de l’université de Birmingham, Helen Hopkins, postulant que l’idée de « génie universel » à propos de Shakespeare profiterait surtout à « l’idéologie de la suprématie européenne blanche ». Mme Hopkins préconise de présenter Shakespeare non pas comme « le plus grand des dramaturges » mais comme « une partie d’une communauté d’écrivains et d’artistes égaux dans le monde entier ». Il est par ailleurs prévu d’avertir le public sur les caricatures racistes, sexistes ou homophobes supposées émailler l’œuvre du dramaturge, ainsi que sur le lien « problématique » qu’aurait fait ce dernier entre « la blancheur et la beauté ». Pauvre Shakespeare ! À Londres, le Globe Theater avait déjà proposé de « décoloniser » ses pièces les plus célèbres. Le Songe d’une nuit d’été s’était ainsi vu affublé d’un avertissement – « La pièce contient un langage violent, des références sexuelles, de la misogynie et du racisme » – et les personnes « préoccupées par ces thèmes » étaient invitées à se renseigner avant d’acheter leurs billets. Dernières nouvelles de l’asile : des chercheurs de l’université de Roehampton, jugeant que le théâtre shakespearien est trop « blanc, masculin, hétérosexuel et cisgenre », ont décidé d’exhumer Galatea, une comédie de John Lyly, un auteur contemporain de Shakespeare. Au motif qu’elle met en scène des personnages se déguisant en personnes du sexe opposé, cette œuvre mineure – elle n’a pas été jouée depuis 1588 ! – valoriserait « des vies féministes, queer et transgenres ».

Ces chercheurs vont vraisemblablement s’efforcer maintenant de dénicher un autre dramaturge élisabéthain ayant su glorifier la vie de militants LGBTQI+, de non-binaires racisés et d’hommes enceints. Pas facile mais, au Wokistan, plus rien n’est impossible.

RN touché mais pas coulé !

À la différence des autres partis, le RN a deux favoris qui caracolent en tête des intentions de votes. Un sondage réalisé la semaine dernière par l’institut Elabe donne Marine Le Pen en tête du premier tour des élections présidentielles avec 32% à 36% des voix. Cependant, si la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale ne pouvait pas se présenter, Jordan Bardella obtiendrait selon ce même sondage un score très proche, entre 31% et 35,5% des voix.


On sait qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 2027, nous aurons, pour le Rassemblement national, Marine Le Pen ou Jordan Bardella. Tout dépend des aléas judiciaires dont la conclusion devrait être, pour l’appel, à l’été 2026.

Marine Le Pen plus apte qu’un Bardella trop « scolaire »

Pour peu que le RN ne change pas sa stratégie de défense – en s’entêtant dans sa thèse administrative minimaliste totalement contredite par le jugement du 31 mars – et n’offre pas à la juridiction d’appel une porte de sortie fondée sur une bonne foi contrite, les conséquences judiciaires seront probablement lourdes. Avec l’interrogation sur un éventuel pourvoi en cassation qui restaurerait l’état du 31 mars.

Ce qui est étonnant, et n’a pas été assez commenté, c’est la parfaite équivalence entre les pour et les contre, pour le futur présidentiel de Marine Le Pen et Jordan Bardella. L’émission « L’Événement, l’interview » (France 2), avec Jordan Bardella pour invité, l’a révélée et La Tribune Dimanche et BFMTV, quasiment confirmée le 6 avril.

Le RN peut s’en réjouir puisque cela démontre une interchangeabilité entre leurs deux leaders mais il me semble que Marine Le Pen pourrait et devrait en être troublée puisque, malgré les différences positives en sa faveur, elle est placée exactement au même niveau que le président du RN.

À lire aussi : Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen

Il est en effet clair que si Marine Le Pen a échoué deux fois à l’élection présidentielle – malgré des progrès techniques indiscutables, elle a manifesté cette faiblesse d’être bonne tout le temps sauf lors du jour J -, elle serait en 2027 bien plus apte que Jordan Bardella à faire gagner son camp. Pourtant, ce dernier apparaît comme une indéniable solution de rechange alors que tout démontre, quand on l’écoute, qu’il répond à des questions et qu’il argumente, qu’on a affaire à un homme dont le comportement médiatique mécanique et scolaire le rendrait mal adapté à l’imprévisibilité des joutes présidentielles. Non pas qu’il soit médiocre, mais ses adversaires auront vite fait de déceler le point faible de sa cuirasse, qui est de ne pas supporter d’être sorti de son champ programmé.

C’était évident sur France 2 où il a déroulé de manière répétitive un propos appris qui perdait toute force à proportion de son ressassement.

Je ne méconnais pas le fait que, ne s’appelant pas Le Pen, il bénéficie ainsi d’un crédit de principe, mais ce n’est pas l’explication principale de ce constat qu’au-delà de leurs personnalités, le RN est tellement fort qu’il emporte beaucoup sur son passage parce qu’on désire l’essayer, qu’une majorité n’en peut plus de ces personnalités classiques qui croient pouvoir regagner par la morale ce dont leur absence de contradiction politique intelligente et républicaine les a privés.

Ce ne sont pas les réactions d’hostilité partisane à l’encontre du RN à la suite du jugement du 31 mars et de la manifestation organisée le 6 avril qui vont diminuer des adhésions multipliées précisément par cette stigmatisation tellement rentable pour ce parti !

C’est lui qui est consacré dans les enquêtes d’opinion, peu importe qui le représentera, avec un programme dont le fond paraît n’avoir pas la moindre importance au regard de cette finalité obsessionnelle pour une multitude de citoyens : ce n’est pas parce qu’on n’aura plus Emmanuel Macron après 2027 qu’on est prêt à retomber dans les ornières d’une France conventionnelle promettant infiniment et tenant si peu !

Des oppositions esseulées et divisées

Le paradoxe est que le duo du RN, d’une certaine manière, est beaucoup plus républicain que ces ambitions tournant autour d’un seul leader, d’un seul chef, qui ne feront jamais l’objet de la moindre critique puisqu’ils sont consacrés par avance. Quoi qu’ils aient pu accomplir ou au contraire ne rien faire.

Édouard Philippe n’arrive pas à se débarrasser de son juppéisme. Par moments, il fait tellement dans la nuance qu’il n’est plus compris. Christophe Béchu nous annonce qu’avec lui nous aurons « des réformes massives ». C’est la spécialité des politiques de nous tenter avec elles avant mais de les oublier ou de les trahir après. Parce que l’action a cette désagréable habitude de les rendre impossibles ou de les rapetisser.

François Hollande mène un combat utile et salutaire pour la démocratie au sein du parti socialiste, mais je ne suis pas sûr que les électeurs verront revenir avec plaisir un président « inachevé » qui n’en finit pas de se rappeler au mauvais souvenir de beaucoup.

Jean-Luc Mélenchon continue à détruire son talent par un cynisme clientéliste qui lui fait croire à cette illusion que l’alliance d’une jeunesse excitée et de banlieues islamisées sera son nirvana pour 2027. Alors qu’il est le seul candidat qui permettra à coup sûr la victoire du RN.

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Si on a le droit de rire, Marine Tondelier venant apporter un soutien écologiste à LFI pour la défense de l’État de droit – quand heureusement le parti socialiste et les communistes se sont abstenus – n’a pas beaucoup de mémoire : qu’on demande à Julien Bayou ce qu’il en pense !

Chez les Républicains, si Bruno Retailleau devient président du parti au mois de mai, tout sera ouvert pour lui ; rien ne sera acquis mais il n’est pas absurde d’espérer qu’enfin le RN sera confronté à un adversaire respectueux de la démocratie mais sans complaisance ni concession. À une droite incarnée par un responsable n’attendant plus de la gauche des injonctions, des leçons, des menaces et les poncifs d’un progressisme constant dans l’échec.

Des solitudes face à 2027 quand au RN ils sont deux…

Tant d’autres s’impatientent, piaffent, s’inventent déjà un destin présidentiel. Ce qui constitue par défaut la domination actuelle du RN dans les enquêtes d’opinion est l’absence d’adversaires suffisamment lucides, équilibrés, exemplaires et plausibles pour pouvoir réduire son impact sur une masse de citoyens prêts à se mobiliser pour de l’inédit.

Il ne faut jamais sous-estimer cette lassitude populaire face à des gens qu’on connaît trop, qu’on a trop vus…


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Faire taire « l’extrême droite »: gare au retour de bâton!

La menace de partir en guerre et le recours à la peur du «fascisme» traduisent l’échec de nos politiques à s’imposer autrement que par la soumission craintive déjà expérimentée il y a cinq ans avec le Covid.


L’élite incendiaire d’un monde qui brûle

Claude Malhuret est rigolo. Derrière le pâle sénateur centriste s’épanouit le blagueur de banquet. Il n’a pas son pareil pour faire glousser l’hémicycle du palais du Luxembourg. « Les formules, ça me vient comme ça ! » a-t-il expliqué après le succès de son discours du 4 mars, repris jusqu’aux États-Unis. En huit minutes, l’amuseur des notables avait torpillé Donald Trump (« Néron, empereur incendiaire ») et Elon Musk (« bouffon sous kétamine »). Déjà, le 10 avril 2019, il avait ravi son auditoire compassé quand, parlant des gilets jaunes et de leurs « gouverneurs de ronds-points autoproclamés », il avait lancé devant ses pairs hoquetant de plaisir : « J’ai entendu plus d’âneries en six mois qu’en trente ans de vie publique. » Malhuret, c’est la banalisation du mépris pour la piétaille. C’est la morgue arriviste des puissants qui ridiculisent les faibles et ceux qui leur prêtent attention. Malhuret symbolise la caste accrochée méchamment à son rang : un monde trop vieux, menacé par les humiliés.

À lire aussi : Derrière les « nouveaux beaufs », la révolution des parias

Dans son expression satisfaite d’une supériorité de classe, ce sénateur prisé des médias symbolise la rupture sociale au cœur de la nation et de l’Europe. Pourtant, ses plaisanteries boulevardières contre les « populistes » ne sont rien en comparaison de ceux qui appellent, sur ce même registre prolophobe, à éradiquer « l’extrême droite ». Tous ont comme ennemis communs les méprisés qui se rebiffent. Cela fait du monde. La décision de la commission électorale roumaine de rejeter, le 9 mars, la candidature du favori à la présidentielle, Calin Georgescu, jugé trop proche de Moscou, a été saluée par ces drôles de démocrates. LFI, dans son appel du 22 mars à marcher « contre l’extrême droite, ses idées et ses relais » a placardé Cyril Hanouna parmi ses cibles, représenté sur un visuel (ensuite retiré) avec les codes antisémites des nazis. Une élimination procédurière de Marine Le Pen pour la présidentielle comblerait d’aise les épurateurs. Ces dérives sont des pratiques totalitaires.

La radicalité des parias

Les défenseurs de la « dictature de la pensée sociale-démocrate » (François Fillon) sont prêts à tout pour conserver leur pouvoir. Quitte à faire la guerre. Quand Emmanuel Macron décrit la Russie de Vladimir Poutine comme une « menace existentielle », ou quand François Bayrou reproche à Donald Trump de « rendre le monde plus dangereux », ils désignent deux épouvantails en espérant consolider leur socle. Or ce recours à la peur du « fascisme » signe l’échec à s’imposer autrement que par la soumission craintive, expérimentée il y a cinq ans avec le Covid. Alors qu’un processus de paix en Ukraine a été initié par le président américain, le président français a voulu, dans son discours anxiogène du 5 mars (« La patrie a besoin de vous ! »), s’entêter dans sa prédiction du 14 mars 2024 : « La Russie ne peut pas, ne doit pas gagner cette guerre. »

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En réalité, la Russie a remporté cette guerre inutile. L’Ukraine, trahie par l’allié américain et lâchée par l’OTAN, a perdu ses territoires occupés en dépit de sa défense héroïque. Conséquence : la défaite est aussi celle de Macron et des européistes, des perroquets à cartes de presse, des va-t-en-guerre en pantoufles, des supporteurs du ricanant Malhuret. Leur refus d’admettre les grandes mutations géopolitiques et civilisationnelles a, partout, attisé la radicalité des parias, ces exclus des sociétés ouvertes. À leur tour, ils pourraient vite devenir féroces.

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Francesca, mon amour

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Jérôme Leroy publie son nouveau roman, La Petite Fasciste


J’ai lu le nouveau polar de Jérôme Leroy dans le train Paris-Limoges, d’une traite, tant l’intrigue est palpitante et le style efficace. J’ai eu un peu peur au début quand un de mes potes cheminot, dépôt de Châteauroux, m’a jeté un regard mauvais, sûrement à propos du titre provocateur : La Petite Fasciste. Il a crû que c’était un bouquin qui vantait les qualités d’une passionaria d’extrême droite. C’est que je me méfie à présent. J’adore les œufs mayo. Or il paraît que c’est une entrée réac, tandis que la choucroute est plutôt tendance progressiste. Ça me gêne de le dire mais je n’aime pas trop le chou. Bref, j’ai lu le livre de Leroy. Rien à voir avec le précédent, Un effondrement parfait. Je l’ai commenté pour Causeur, je n’y reviens pas. Mais tout de même, c’était délicat, avec beaucoup de mélancolie, de jolies filles sages aux joues roses, des plages longues sous un beau soleil de Grèce, avec l’évocation du Limousin, terre de maquisards. Là, c’est l’ambiance inverse. C’est sombre, sanglant, sexuel. Je me suis même dit : Ce n’est pas le même écrivain. Il y a du Jekyll et du Hyde en cet homme. Faut faire gaffe.

Nouvelle collection !

Son polar inaugure la Manuf, une nouvelle collection de la Manufacture de livres, dirigé par un voisin en Limousin, Pierre Fourniaud. L’histoire est à la fois tragique et non dénuée d’humour, et commence par une tuerie qui ressemble à celle du film The Order où Jude Law interprète un agent du FBI traquant une bande de néonazis. Le tueur est un crétin, car il se trompe de maison et massacre de jeunes camés en train de partouzer. Il se nomme Victor Serge. Leroy est décidément un facétieux. Victor Serge était un trotskyste, déporté en Sibérie pour s’être vigoureusement opposé aux méthodes dictatoriales du camarade Staline. Leroy invente également une ville, Frise, dans le Nord de la France, avec une interminable plage grise qui flanquerait le spleen à un gagnant multimillionnaire du Loto. Comme il invente une allée Paul-Jean Toulet dans les dunes et les oyats ! Il nous décrit une France qui bascule dans la violence et les fumigènes, avec une République perfusée en fin de vie. À sa tête, le Dingue, qui vient de dissoudre l’Assemblée trois fois. Un type improbable, admirateur de Trenet, qui a pris pour Premier ministre une certaine Louise Michel. Une France crépusculaire, donc, coincée entre le Bloc Patriotique et l’Union Populaire. Le Dingue doit naviguer au doigt mouillé par temps sec, se vendre au moins nocif, son parti maigrissant à chaque dissolution.

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La « petite fasciste » a vingt ans, elle est blonde et barrée, porte des culottes La Perla, et se nomme Francesca Crommelynck. Elle excite les hommes, jeunes et séniors, de gauche comme de droite. Elle les aimante tous. Le déterminisme familial joue en sa défaveur. Il y a du collabo mâtiné de fasciste italien chez les ancêtres. Ça donne des parents tendance extrême droite identitaire. Elle s’en accommode. Elle a suivi des études littéraires, apprécie Drieu la Rochelle et son livre de chevet est Vu de droite, signé Alain de Benoist. Francesca a un frère, Nils, qui l’a initiée très tôt au tir. Elle est fasciste mais pas totalement raciste puisqu’elle couche avec Jugurtha Aït-Ahmed, fils de docker communiste. Elle l’a même carrément dans la peau. Mais bon tout ça ne peut qu’engendrer le malheur. Nils et Jugurtha vont mourir. Ça déstabilise la blonde diaphane. Et puis il y a le député de la-gauche-du-temps-jadis qui n’a pas envie de se représenter quand le Dingue dissout en pleine canicule. Premier tour prévu le 1er août, un vrai taré, le type. C’est qu’il subit l’influence de la Tarentule, une pythonisse boiteuse qui conseille et qui se trompe. Le député sortant se nomme Patrick Bonneval. Il a « soixante ans et fait sa crise de la cinquantaine. C’est l’avantage de l’allongement de l’espérance de vie », précise Leroy.

Un roman maîtrisé

Voilà, la tragédie est en place. Il n’y a plus qu’à dérouler suivant les codes du roman noir parfaitement maîtrisés par l’auteur. L’amour, qu’on n’attendait pas dans cette histoire déprimante, fait son apparition. Ça change la donne – à l’instar d’une dissolution ou d’une inéligibilité. Il offre une sorte de rédemption à Francesca. Ça atténue la mort de Jugurtha qui n’est pas accidentelle, ça soulage d’avoir eu un frère « travaillé par l’inceste », « dysorthographique avec une écriture d’enfant de CE1. » Le coup de foudre conduit « dans un motel de Magdebourg, au bord de l’Elbe couleur d’encre sous les étoiles, ils regardent les résultats du premier tour. Francesca et lui se gavent de ces sandwichs au hareng qu’ils adorent et qu’ils sont allés chercher dans un fast-food Nordsee de l’autre côté de la route. » Je ne vous dirai pas qui butine Francesca. Comme je ne vous révélerai pas le nom du narrateur. Il faut aller au bout de ce polar couleur onyx qui tient toutes les promesses du massacre des premières pages.

Jérôme Leroy, La Petite Fasciste, La Manuf. 192 pages

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Les flagellants du livre

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Monsieur Nostalgie nous parle ce dimanche de la multiplication des salons du livre dans toutes les communes de France et de l’auteur comme variable d’ajustement de l’agenda municipal…


Ils sont partout ! Aucun département n’échappe à ce fléau des temps modernes. Le salon du livre est en phase de remplacer la brocante au calendrier culturel. Tous les villages de France célèbrent la « littérature » et promeuvent la lecture à bon compte. Associatif, caritatif, commercial ou hédoniste, peu importe la forme qu’il prend, le salon est le point d’orgue d’une saison triste. Il est annonciateur des beaux jours, il s’intercale dans les périodes creuses comme longtemps la philatélie et la numismatique ont tenu lieu de salle d’attente avant les comices agricoles colorés et les concerts d’été.

Un salon du livre réussi demande une longue préparation, une année souvent, et des dizaines de bénévoles à la manœuvre qui ne ménagent pas leurs efforts. Ils sont admirables d’abnégation et d’engagement. Ils ont foi dans l’imprimé. Sans eux, la fête tournerait à la punition. Une ville qui n’aurait pas aujourd’hui à son agenda un tel événement passerait pour inculte, voire mesquine, à la limite réactionnaire. Il n’y a pas que la déchetterie ou le trail pour faire venir des visiteurs. L’attractivité d’un territoire passe par le livre même si, avouons-le, la course à pied est un concurrent sérieux qui draine des centaines de participants payants. La littérature a aussi les moyens de vous faire suer sans bouger de votre chaise, elle est d’un immobilisme largement énergivore. Le salon du livre est donc une invention assez machiavélique censée aider les écrivains et les librairies indépendantes ou les grosses enseignes, souvent partenaires de la manifestation, à « doper » leur activité. Sur le papier, tout le monde est gagnant, on comble aisément un week-end au mois de mai ou de novembre, entre les rifles et le marché de Noël. Le maire en place n’y voit que des avantages. Passer pour un érudit au pays de Montaigne, c’est prendre une avance certaine sur son adversaire lors d’une prochaine élection. Nos ministres « écrivent » bien des livres, alors pourquoi l’édile de base ne pourrait pas profiter d’un vernis littéraire pour asseoir son autorité ? Et surtout, l’ensemble des acteurs de cette farce a le sentiment profond de faire quelque chose de bien et d’utile… Qui ne voudrait pas aider un auteur dans le besoin ? Un éditeur aux abois ? Un libraire sur la sellette ? Le livre efface les différences sociales et met un peu de hauteur dans le marasme actuel. Il est éthiquement inattaquable, il est le socle des vieilles nations pensantes. Personne ne peut être contre son ruissellement.

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Alors, chacun se rend au salon de son canton avec une ferveur toute citoyenne, l’impression d’agir pour le bien de sa communauté, presque l’air cérémonial, la Pléiade nous regarde. On va au salon comme jadis aux urnes, en famille, endimanché et maladroit face à cette population étrange. Car, nous allons rencontrer une race à part, une profession aussi hasardeuse que le trapèze volant que l’on nommera par commodité de langage : écrivain. Devant celui qui a choisi d’écrire au lieu de gagner honnêtement sa vie, on se sent penaud. Intimidé par l’irresponsabilité de cette personne hors-sol qui refuse la fiche de paie mensuelle et les tickets « restaurant ». Un fou ? Un saint ? Non, un altruiste qui préfère passer un week-end loin des siens, dans une bourgade inconnue au milieu d’autres inconnus. Un explorateur, en somme. L’édification d’une œuvre dépasse les contingences matérielles et oblige à des concessions. Quand on a la chance d’appartenir à ce clan de parias, ces barbouilleurs de mots qui, de ville en ville, trimballent leurs bouquins comme des commis voyageurs leurs modèles d’exposition, à la manière d’un Jean-Pierre Marielle dépliant ses pébroques dans une arrière-boutique de province, on est un peu des héros de la déveine permanente. On patiente des heures dans des gymnases ou des médiathèques Pablo Neruda dans l’espoir de capter un regard. Miracle de la solitude, une sorte de solidarité rieuse se noue entre tous ces naufragés. Appelez ça instinct grégaire ou second degré, on se tient chaud. On ironise sur notre sort. Et on se marre franchement à défaut de vendre. Il n’y a plus de barrières entre l’illustrateur, le romancier régionaliste, le cycliste à la retraite ou l’érotomane de service. On fait bloc. Bien sûr, le salon du livre est notre mur des lamentations. On se plaint des avances dérisoires, des journalistes qui ne lisent plus, des courants d’air, du café froid et des frites molles.

Indignes, nous le sommes assurément. Egoïstes et provocateurs, on ne pense qu’à notre petit confort car nous savons, dès l’ouverture, que nous ne signerons pas encore ce soir. Le salon du livre est un jeu de dupes admis par tous. Il y a les vedettes, trois ou quatre, et leurs files interminables de fans. Le public est venu pour eux, spécialement. Personne n’y trouve à redire. Il faut bien des champions, une poignée d’athlètes pour croire à la magie du système et puis tous les autres pénitents que nous sommes. Nous faisons simplement partie du décor et finalement, c’est déjà pas mal. Quand vous croiserez un auteur derrière sa table, esseulé, les yeux dans le vide, se demandant s’il ne devrait pas entamer une formation de carreleur à cinquante ans au lieu d’insister dans l’écriture, adressez-lui seulement un salut amical. Merci pour nous !

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Connaissez-vous Stephen Miran?

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Stephen Miran, Washington, 27 février 2025 © Aaron Schwartz/Sipa USA/SIPA

Stephen Miran est l’un des grands économistes qui entourent Donald Trump. L’augmentation des droits de douane, c’est son idée, et ce n’est qu’une première étape pour déprécier le dollar afin de réindustrialiser les États-Unis et renforcer leur puissance militaire.


À lire les journaux, Trump serait une grosse bête, un fou au sommet de l’État le plus puissant du monde. Il voudrait le beurre et l’argent du beurre. Son augmentation des tarifs douaniers reposerait sur une vision court-termiste de l’économie ; elle entraînera bientôt, c’est sûr, un emballement inflationniste. L’Amérique va sombrer : on n’ose s’en réjouir, même si l’on prie pour la déroute du tyran. Sauf que si Trump n’est pas économiste, il est entouré par de brillants économistes : parmi eux, Stephen Miran, diplômé de Harvard. Président du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, Stephen Miran a publié en novembre 2024, au lendemain de la réélection du milliardaire, un document de cinquante pages intitulé A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System : tout un programme qui explique notamment la vraie raison de l’augmentation des tarifs douaniers, et démontre qu’aux échecs de l’économie, Trump a trois coups d’avance.

Dollar surpuissant : pas que des avantages, selon M. Miran

Miran part d’un paradoxe cruel : les États-Unis, contrairement à ce que l’on pourrait croire, bénéficient autant qu’ils souffrent de la valeur du dollar. Son statut de monnaie de réserve mondiale en fait une devise forte, ce qui pèse sur l’industrie américaine ; or, la désindustrialisation inquiétante des Etats-Unis présente un danger pour la sécurité nationale — car un État est puissant quand sa production industrielle est supérieure à l’activité de ses services. En d’autres termes, la surévaluation du dollar, qui entraîne la désindustrialisation du pays et l’affaissement de l’économie locale, affaiblit la défense nationale. « En l’absence de rivaux géopolitiques majeurs, écrit Miran, les dirigeants américains pensaient pouvoir minimiser l’importance du déclin des installations industrielles. Mais la Chine et la Russie étant des menaces non seulement commerciales mais aussi sécuritaires, il est de nouveau nécessaire de disposer d’un secteur manufacturier robuste et bien diversifié. »

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Le dilemme est le suivant : si le dollar est trop fort et que les États-Unis n’exportent plus, le dollar se retourne contre les États-Unis ; en même temps, le fait qu’il soit la principale monnaie de réserve du monde est essentiel pour garantir la puissance militaire de l’Amérique. « Le statut de monnaie de réserve de l’Amérique, écrit Stephen Miran, fait peser le fardeau d’une monnaie surévaluée érodant la compétitivité de notre secteur exportateur, ce qui est contrebalancé par les avantages géopolitiques qu’apporte l’extraterritorialité financière en matière de réalisation des objectifs fondamentaux de sécurité nationale, à un coût minimal. » Pour l’économiste, il est nécessaire de trouver un équilibre dans la valeur du dollar : or, le fait qu’il soit trop fort aujourd’hui freine l’industrialisation des États-Unis, et met par conséquent sa sécurité en jeu. Ce qu’il propose, c’est donc que les États-Unis négocient… pour déprécier le dollar. Hélas ! Les États-Unis n’ont plus l’aura ni la puissance qu’ils avaient au lendemain de la guerre. Leur marge de négociation s’en trouve considérablement réduite. Comment dès lors contraindre les pays à déprécier leur monnaie de réserve, ajuster la valeur de leurs propres monnaies au profit des Etats-Unis d’Amérique, participer à la réindustrialisation de l’Amérique ?… d’abord et avant tout, en leur imposant des tarifs douaniers exorbitants.

La négo de Mar-a-Lago 

Pour Stephen Miran, l’augmentation des tarifs douaniers, solution déjà utilisée avec succès en 2018-2019 (c’est-à-dire sans inflation significative), présente tous les avantages. Outre le fait qu’elle entraîne in fine— après un premier temps d’appréciation — une dépréciation du dollar, elle n’affecte en rien le pouvoir d’achat des consommateurs américains (car les dépréciations des devises étrangères compensent les droits de douane : en d’autres termes, les citoyens des pays exportateurs s’appauvrissent… au profit du Trésor américain, qui « collecte les recettes » !), mais elle permet encore de générer des investissements et des emplois, et de financer le maintien de faibles taux d’impositions pour les Américains. Stephen Miran, disons-le franchement, n’est pas notre ami : sa doctrine aura pour effet de nous appauvrir pour enrichir les États-Unis : the winner takes all.

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On se demandera comment les pays étrangers accepteront sans représailles une augmentation punitive et intéressée des tarifs douaniers ? D’abord, les États-Unis demeurent une source importante de demande de consommation mondiale : ils ont les moyens d’imposer leur volonté (en fermant leurs marchés, en limitant leurs exportations…). Ensuite, ils disposent d’une puissance de protection militaire qu’ils se réservent le droit d’ôter aux pays réticents. L’Europe se passera-t-elle des Etats-Unis en se constituant une défense commune ? Tant mieux, répond Miran, cynique : les États-Unis pourront se concentrer sur la Chine !

En conclusion, ce que veut Stephen Miran, c’est un nouvel ordre économique mondial : augmenter les droits de douane pour négocier un nouvel accord du Plaza (Miran propose des « accords de Mar-a-Lago »), déprécier le dollar, réindustrialiser l’Amérique et renforcer sa puissance militaire : « Une baisse de la valeur du dollar contribue à créer des emplois dans le secteur manufacturier américain et à réaffecter la demande globale du reste du monde vers les États-Unis. » L’augmentation des tarifs douaniers doit être le premier des bâtons pour obtenir ces accords ; la fermeture aux marchés américains, le retrait de la défense militaire aux pays récalcitrants, seront les prochaines menaces à être mises en œuvre. De quoi expliquer une grande partie des déclarations apparemment erratiques du président Trump…


L’essai de Stephen Miran :

https://www.hudsonbaycapital.com/documents/FG/hudsonbay/research/638199_A_Users_Guide_to_Restructuring_the_Global_Trading_System.pdf

Une traduction en français :

https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/28/la-doctrine-miran-le-plan-de-trump-pour-disrupter-la-mondialisation

J’ai choisi « le Cavaleur » aux défilés !

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Jean Rochefort et Catherine Alric lors du tournage du film "Le cavaleur " de Philippe de Broca, 1978 © PECCOUX/SIPA

Dans un pays fracturé qui a préféré hier majoritairement le festival du barbecue au Parc floral aux manifestations antagonistes parisiennes, Arte prône la voie de l’apaisement et de la concorde nationale en débutant au mois d’avril un cycle « Philippe de Broca » qui se poursuivra tout au long de l’année. Monsieur Nostalgie nous explique pourquoi « Le Cavaleur » de 1979 est à la fois une source d’émerveillement et d’espoir dans une France à bout de souffle…


Nous sommes incapables collectivement de parler de la France car nous n’avons plus les mêmes références, les mêmes marottes, les mêmes mélancolies, les mêmes grisailles, les mêmes mots doux. Un langage commun, au-delà des classes sociales et des identités tapageuses, nous fait aujourd’hui défaut. Chaque camp y va de son dépliant idéologique, tente grossièrement d’alpaguer l’électeur, crie des infamies dans le désert, se fait plus gros médiatiquement qu’il n’est. Les partis sont désertés et déconsidérés, les communautés se cristallisent en dehors de la République, l’abstention s’enkyste et le personnel politique est devenu la variable de divertissement des chaînes en continu. Alors, nous regardons ce spectacle, à la fois effarés et à distance sanitaire. Un peu gênés et coupables par ce délitement. Car ils sont le produit de nos années d’abandon et de déni. Nous leur avons laissé les clés du camion, ils étaient à peine aptes à conduire un vélomoteur. Un jour, nous nous sommes réveillés orphelins de nos vieilles armatures, de nos marivaudages savants, de nos bourgeoisies enfantines et d’une génération d’hommes sans certitudes. Les honnêtes hommes que furent nos parents et nos grands-parents étaient moins dogmatiques avec les aléas du quotidien, tout en croyant aux vertus du travail, de l’école publique et de l’amour. Dans un monde empli de procédures et d’injonctions, les errements ou plutôt les arabesques de Jean Rochefort, pianiste désaccordé, papillonneur en diable, sont des écarts de conduite vaudevillesques. On pourrait en rire, et on rit beaucoup, les formules pétillent dans ce long-métrage de 1979, l’esprit français de Guitry à Audiard se glisse dans les intérieurs cossus de la Place Vivienne. Mais, l’essentiel n’est pas là. Les moralistes actuels trouveront ces gesticulations pathétiques dignes d’un patriarcat à abattre. Des accommodements de privilégiés pendant que la misère gronde et la Terre tremble. Les arrangements ménagers et les foucades de ce concertiste, individualiste forcené, solitaire en déshérence sont d’un autre temps ; une époque révolue où l’on pouvait rouler dans Paris dans un break Volvo grignoté par la rouille et commander un quart champagne au bistrot du coin.

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« Le Cavaleur » se regarde comme un livre d’images, un conte des jours heureux, un peu triste, un peu drôle ; il est ce baume réconfortant qu’on applique sur les déchirures modernes. Il est « temps qui passe », enchevêtrement du masculin et du féminin, refuge dans la musique classique, cette tapisserie sans fin de Mozart à Ravel, transmission avec un jeune disciple sorti de nulle part, d’une quincaillerie bretonne et filouteries de garnisons. Il est, c’est bien simple, tout le contraire de nos vociférations et de nos aigreurs, il n’a pas vocation à faire de nous des humains plus respectueux, plus citoyens ou plus disciplinés. Il est ce voile pudique sur les sentiments, il est secret des alcôves et embardées cheminotes. C’est parce qu’en apparence, il ne professe rien de sérieux, de tangible, de rémunérateur ou de bénéficiaire qu’il est une promenade dans notre jardin d’hier. Après l’avoir (re)vu, on ne regarde plus de la même façon l’horloge de la gare de Lyon, le Moulin Rouge, les Grands Magasins, l’île aux moines aux vacances de la Toussaint ou la forêt de Rambouillet au clair-obscur. Ce soir, on n’ira pas skier à Chamonix avec Catherine Alric mais s’embourber sur le chemin d’un château qui semble sorti d’un songe d’Alain Fournier. On perdra la mémoire entre Danielle Darrieux et Catherine Leprince ; entre la grand-mère et la petite-fille, la Libération de Paris fera kaléidoscope. On apprendra que pour bien jouer du piano, il faut mécaniser, jouer avec les doigts et non avec son âme. Qu’avant de se gargariser d’un hypothétique univers musical et d’une singularité esthétique, on devra charbonner sur les touches à se faire saigner les mains. On aura la preuve, une fois de plus, qu’Annie Girardot est une immense actrice, en un mouvement de menton, elle passe de la primesautière à l’élégiaque. En France, il nous manque ce feu sacré, cet appel du pays profond, l’envie que nos cœurs battent à nouveau à l’unisson. Cet élan, Arte nous l’offre gratuitement en diffusant durant les prochains mois l’œuvre de Philippe de Broca. « Le Cavaleur » (disponible en streaming sur Arte.tv) ouvre le bal des souvenirs. Il possède cette patine d’émotion, ce soyeux d’antiquaire qu’ont les meubles lustrés, brillants, un peu trop beaux et tellement fragiles. Et puis, il y a Nicole Garcia, la voix de Nicole, sa blondeur infernale, sa retenue explosive. Qu’elle était belle la France de Philippe de Broca.

1h40

Le cavaleur – Regarder le film complet | ARTE

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Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen

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Marine Le Pen et Jordan Bardella, Rassemblement "Sauvons la démocratie, soutenons Marine !", Paris, 6 avril 2025 © Michel Euler/AP/SIPA

Selon les derniers sondages, le Rassemblement national représenté par Jordan Bardella en l’absence obligée de Marine Le Pen, serait en mesure malgré tout de remporter la prochaine élection présidentielle. C’est donc bien le Rassemblement national tel qu’il se présente, avec ses élus tels qu’ils sont, qui séduit une grande partie de l’opinion publique. Il reste à comprendre ce qui fait le succès de cette droite dite « extrême » par ses adversaires et qui a son équivalent désormais dans plusieurs pays occidentaux. Analyse.


Un profond malaise traverse les couches populaires françaises, celles que l’on appelait autrefois le « peuple laborieux ». L’exaspération est à son comble face à une classe dirigeante perçue comme hors-sol, aveugle aux réalités concrètes, soumise à des logiques technocratiques européennes et mondialisées. Une fracture béante s’est installée entre ceux d’en bas, qui subissent au quotidien les effets de la désindustrialisation, de l’insécurité et de la précarité, et ceux d’en haut, qui vivent à l’abri des conséquences de leurs décisions dans des cercles fermés, souvent parisiens et européanisés.

Dépossession

La construction européenne, telle qu’elle est vécue par une grande partie de la population, incarne cette dépossession politique. Les grandes orientations économiques et sociales sont dictées par des commissions non élues, des traités intangibles et des règles budgétaires strictes, imposées sans véritable débat démocratique. L’idéal d’une Europe sociale a cédé la place à une gouvernance d’experts, indifférente aux souffrances concrètes. Le sentiment d’abandon, nourri par cette distance entre les institutions et les citoyens, alimente un désir de rupture plus que de réforme.

Historiquement, c’était la gauche — celle de Jaurès, de Blum, des luttes ouvrières — qui portait les espoirs de justice sociale, de solidarité et d’émancipation. Mais aujourd’hui, elle semble s’être égarée. Incapable de se renouveler, prisonnière de récits identitaires ou communautaristes, elle a déserté le terrain du réel pour celui du symbolique. Le Parti communiste est moribond, le Parti socialiste réduit à une force d’appoint, et les nouvelles formations « de gauche radicale » apparaissent coupées des préoccupations populaires.

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La gauche se tourne vers de nouveaux électorats : les quartiers dits sensibles, certaines minorités, les classes moyennes diplômées en quête de causes à défendre. Mais dans cette recomposition idéologique, elle a oublié les ouvriers, les employés, les retraités modestes, les habitants des zones rurales et périurbaines. Ces Français invisibles, relégués aux marges du récit national, ne se reconnaissent plus dans un discours qui les ignore ou les méprise.

La droite de gouvernement effacée

Face à cette débandade de la gauche, la droite républicaine aurait pu redevenir un refuge. Mais elle a elle aussi trahi son électorat populaire au nom d’un libéralisme économique qui a fragilisé le tissu social. Aujourd’hui, elle tente de survivre en singeant à la hâte les thèmes portés par le Rassemblement national — immigration, sécurité, autorité — mais sans la cohérence ni la radicalité attendue. Coincée entre La République en Marche, qui l’a vampirisée, et le RN, qui l’absorbe, elle semble condamnée à l’effacement.

Ce que certains appellent « droitisation » du pays est en réalité un réalignement des représentations collectives sur une réalité de plus en plus anxiogène. Le rêve d’un monde réconcilié, de fraternité universelle et de lendemains qui chantent a cédé le pas à la dureté du quotidien. L’insécurité, la pression migratoire, l’islamisation, la perte de repères culturels, la crise du pouvoir d’achat et le sentiment de déclassement massif ont ancré la demande populaire dans des valeurs de protection, d’identité, d’autorité.

Le progressisme, tel qu’il est aujourd’hui défendu, apparaît comme une utopie hors-sol, sans prise sur le réel. Il rêve encore d’une humanité en marche vers l’égalité et l’émancipation, alors que les peuples, eux, réclament désormais des frontières, de la sécurité, de l’ordre. La fracture est là, entre une gauche tournée vers l’horizon du grand soir et un peuple en quête de stabilité immédiate.

La réalité internationale accentue encore cette désillusion. Les grands récits émancipateurs de la gauche ont sombré : la révolution bolivarienne s’est transformée en régime autoritaire et miséreux ; les dirigeants palestiniens sont décriés pour leur corruption pendant que le conflit s’enlise ; la Chine incarne une synthèse cynique entre capitalisme brutal et autoritarisme étatique ; l’Afrique, que l’on voulait indépendante et souveraine, reste prisonnière de systèmes corrompus et d’une nouvelle dépendance vis-à-vis de Pékin. Les masques tombent. Le réel s’impose.

Ma cité va craquer

En France même, les émeutes dans certaines banlieues ont révélé non pas une colère sociale constructive, mais un divorce culturel et sécuritaire. Le trafic, la violence, la montée d’un islam identitaire et conquérant sont vécus comme une menace directe par une majorité silencieuse qui ne croit plus aux discours compassionnels. Ce que le peuple exige aujourd’hui, ce ne sont plus des promesses de jours heureux, mais des actes concrets pour garantir la paix, l’ordre, la justice.

Ce qui se joue aujourd’hui en France, à travers le basculement électoral des classes populaires vers le Rassemblement national, n’est pas un simple glissement partisan. C’est l’expression d’un bouleversement plus profond, à l’image de ce que vivent de nombreuses démocraties occidentales : une révolte silencieuse, parfois brutale, de ceux qui ont été relégués, oubliés, méprisés par des élites politiques, médiatiques, économiques, qui se parlent entre elles et gouvernent sans les entendre.

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La France périphérique — celle des petites villes, des zones rurales, des franges périurbaines — ne croit plus aux promesses des progressismes abstraits. Elle n’aspire plus à l’utopie d’un monde sans frontières, d’une humanité pacifiée, d’un avenir radieux construit sur le seul pouvoir des mots et des discours. Elle regarde désormais le réel en face : un monde durci, instable, où les rapports de force l’emportent sur les grandes idées, où les nations, les civilisations et les blocs d’intérêts s’affrontent sans fard.

Dans ce contexte, les plus modestes ne demandent plus des rêves, mais des boucliers. Ils réclament non plus la fraternité abstraite mais la solidarité concrète. Ils veulent que l’État les protège, qu’il régule, qu’il punisse ceux qui détruisent le tissu social, qu’il affirme une autorité républicaine ferme et équitable. Ils attendent des réponses à la hauteur des angoisses qu’ils vivent : celle du déclassement, de l’insécurité, de l’invisibilisation. Leur demande n’est pas de haine, mais de protection. Pas d’exclusion, mais de priorité.

Ce retournement est révélateur d’un monde en transition. Les idéaux de la gauche historique, forgés dans une époque industrielle, dans un monde encore structuré autour du travail, de la lutte des classes et de la solidarité ouvrière, peinent à s’adapter à un monde fragmenté, dérégulé, violent. Pendant que la gauche continue de s’adresser à des catégories minoritaires ou symboliques, le cœur populaire se détourne. Il observe que les indépendances d’hier ont souvent débouché sur la dépendance d’aujourd’hui ; que les promesses de justice internationale ont masqué des jeux de pouvoir cyniques ; que l’universalisme proclamé cache parfois le désintérêt pour les souffrances françaises.

Ce monde nouveau est un monde d’insécurité globale : économique, culturelle, géopolitique, climatique, numérique. Et face à cela, le peuple n’en appelle plus à la révolution, mais à la réassurance. Il demande que l’on reconstruise des murs symboliques et concrets, que l’on définisse à nouveau qui fait partie du « nous », que l’on protège ce qui peut encore l’être : l’emploi, l’école, la langue, la nation, la culture.

Le vote pour le Rassemblement national, dans ce contexte, ne peut plus être interprété comme un simple vote protestataire. Il est devenu pour beaucoup un vote de nécessité, de dernier recours. Il ne traduit pas une adhésion à une idéologie extrême, mais un espoir pragmatique : celui que quelqu’un, enfin, prendra en compte leur existence.

Ce n’est pas la France populaire qui a changé fondamentalement : c’est le monde qui, en se durcissant, a rendu inopérantes les vieilles promesses. Et face à cette brutalité du réel, elle cherche désormais non pas des idées généreuses, mais des garanties tangibles. Elle ne réclame plus un horizon lumineux, mais une ancre solide. Elle ne veut plus de discours lointains, mais de la protection ici, maintenant. Et c’est précisément cela que les élites ne veulent pas, ou ne peuvent plus, entendre.

Quatre France + une

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Paris, avril 2025 © Michel Euler/AP/SIPA

Trois France (ou plus), un soleil, zéro cortège… Place Vauban devant les siens, Marine Le Pen a assuré hier qu’elle ne lâcherait rien. De leur côté, Place de la République, Verts et Insoumis étaient une nouvelle fois de sortie pour riposter contre le « fascisme »… À Saint-Denis, le jeune Gabriel Attal se croyait déjà en 2027. Et devant l’Hôtel de Ville, des motards ont protesté contre les ZFE, et se sont surnommés eux-mêmes « les Gueux ». L’analyse d’Elisabeth Lévy.


Plusieurs France se faisaient face hier sur le pavé parisien. Certains commentateurs, dont votre servante, avaient parlé dimanche matin de trois France irréconciliables. Amusant : Place Vauban, il y avait partout le drapeau tricolore, la Place de la République était pavée de drapeaux palestiniens ou algériens, et à Saint-Denis (première sortie publique du « bloc central ») il y avait des drapeaux européens et français. Je vous donne les trois pôles de l’Assemblée nationale. Les deux ex-partis de gouvernement, Parti socialiste et LR, manquaient hier à l’appel.

Deux contre 1

Deux France seront toujours prêtes à se réconcilier demain contre la troisième. Bien qu’il n’y ait pas eu un mot de travers des leaders du RN hier (respect de la Justice, séparation des pouvoirs), extrême-gauche et macronie ont continué de faire monter la mayonnaise folle d’un RN fasciste et séditieux, s’apprêtant à supprimer l’Etat de droit, menaçant les institutions… Si un dixième de tout ce qu’ils disent était vrai, Marine Le Pen, Jordan Bardella et consorts dormiraient en prison. Mais ce pur bobard devenu vérité à force d’être répété annonce le prochain Front républicain. Contre le nazisme, on s’alliera avec des antisémites.

Il y avait aussi hier une quatrième France, largement oubliée. Celle des « gueux » d’Alexandre Jardin, avec les motards contre les ZFE. J’y étais. C’était très sympathique. Ils étaient quelques milliers devant l’Hôtel-de-Ville. Il y avait beaucoup de retraités comme Jacqueline, 78 ans, de Courbevoie. Plutôt aisée, elle m’a dit « Je n’ai jamais été aussi fière d’être une gueux ». Comme souvent, on retrouve un même ciment derrière ces colères: c’est le sentiment d’injustice. Et ce rassemblement était d’ailleurs le réceptacle d’autres colères. L’un milite contre l’euthanasie, l’autre contre les vaccins pédiatriques. Une troisième dame distribuait des calicots vaguement conspi «Vous êtes l’anomalie dont le système a peur». C’était un cocktail évoquant un peu les gilets jaunes.

Laquelle de ces France a gagné?

La cinquième ! C’est-à-dire l’écrasante majorité qui a préféré profiter du soleil. Celle qui ne s’intéresse pas ou plus à cette agitation.

Un point commun aux trois blocs est à noter. Tous ont préféré des rassemblements aux manifestations, car ils sont probablement incapables de mobiliser assez pour un cortège. Il n’y avait pas de défilé; c’était de petits meetings, avec pratiquement que des militants. Sauf pour les ZFE, où beaucoup de gens désabusés se sont joint au mouvement. C’est peut-être ce qu’il y a de plus grave : on assiste à une sorte de désaffiliation et d’indifférence à la chose publique, à un repli sur le bonheur privé. Tous se disaient plus ou moins : « Ça ne donnera rien ». L’échec des gilets jaunes a douché les dernières ardeurs. On ne croit pas que la politique puisse changer les choses. Plus grave : elle ne fabrique plus de légitimité. Qu’est-ce que mon pays peut faire pour moi ? Cette perte du sentiment collectif, de la conscience d’être un peuple, est le véritable danger pour la démocratie. Que ceux qui entendent des bruits de bottes se rassurent. Les peuples qui rêvent de la retraite ne font pas la révolution. Ni rouge ni brune.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

C’est pas Versailles ici… c’est Vauban

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Paris, 6 avril 2025 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Manifestation ratée ou stratégie en pause ? Certes, les discours de Jordan Bardella et de Marine Le Pen ont su galvaniser l’auditoire. Mais alors que le parti misait sur une vaste mobilisation populaire à Paris pour soutenir sa candidate, récemment condamnée à cinq ans d’inéligibilité en première instance, le Rassemblement national donnait plutôt l’impression de faire salon en plein air, ce dimanche après-midi… Dans le public, certains militants laissaient transparaître leur amertume: « Pas assez de monde… »


Les masses se font encore attendre…

Sur scène, place Vauban, Jordan Bardella s’enthousiasme : « Vous êtes plus de 10 000 ! » À l’examen, les sympathisants ayant répondu, dimanche 6 avril, à l’appel du Rassemblement national pour « sauver la démocratie » et soutenir la candidature de Marine Le Pen étaient plutôt au nombre de 7 000. Assez pour offrir à la télévision des vues de foule compacte grâce à des angles serrés, mais pas suffisant pour remplir réellement la place Vauban. Les vues aériennes révèlent une masse tricolore modeste autour du podium.

Après le coup de massue judiciaire de la semaine précédente, le RN tentait hier le pari de la mobilisation. Pari en partie raté. L’ouest parisien n’est pas exactement un bastion de Marine Le Pen. Lors de leurs deux meetings au Trocadéro, François Fillon en 2017 et Éric Zemmour en 2022 avaient pu compter sur la mobilisation des réseaux catholiques et sur le soutien de la bourgeoisie conservatrice des beaux quartiers. Rien de tel pour le RN.

« Pas assez de monde »

« Il n’y a pas assez de monde… Les gens n’ont pas encore compris. Il faut que les Français se reprennent », peste Anne, venue avec son fils Paul et son époux Bruno. Militante du Frexit au sein du mouvement Les Patriotes de Florian Philippot, elle est venue grossir les rangs clairsemés du Rassemblement national : « Je viens pour Marine, car c’est une fille bien. » Autour de la scène, on aperçoit quelques cars affrétés par les fédérations de province du parti, et Marc de Fleurian, député de Calais, conduisant ses militants vers la place Vauban. Mais dans l’ensemble, les renforts restent maigres.

« C’est une manifestation qu’il a fallu organiser en seulement quelques jours, le temps nous a manqué », tente de justifier un assistant parlementaire. Est-ce seulement une question de logistique ? « Je ne suis pas sûr que mobiliser plus de moyens aurait changé grand-chose. Le car de Normandie était à moitié vide… » soupire un cadre. Dans la foule, la ferveur est polie. On applaudit au rythme des interventions. L’ambiance évoque davantage une garden-party qu’un meeting politique. Les militants ont pris un coup sur la tête. Et les sondages révèlent par ailleurs une relative indifférence de la base électorale, tout à fait prête à voter pour Jordan Bardella en cas d’empêchement de Marine Le Pen.

Ouverture à droite

La droite et la rue… toute une histoire. Certains redoutaient des débordements comme aux grandes heures des défilés du 1er mai du Front national de Jean-Marie Le Pen, parfois entachés de violences ou de provocations (venant parfois de groupuscules extrémistes rejoignant le cortège). La contre-manifestation de la gauche, place de la République, ainsi que le meeting de Renaissance à Saint-Denis, se déroulaient sous le signe de la défense de l’État de droit et de l’institution judiciaire, dénonçant les attaques du RN et ses discours hostiles aux magistrats.

Jordan Bardella tente de rassurer : « Il ne s’agira jamais pour nous de jeter le discrédit sur l’ensemble des juges. Jamais notre mouvement ne remettra en cause la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice, qui sont les garanties de l’État de droit. »

Sans rien céder sur le fond, les orateurs ont voulu donner quelques signes d’ouverture à droite et de modération. En appelant à une « résistance pacifique, démocratique, populaire et patriote », Marine Le Pen invoque la figure de Martin Luther King, héros des droits civiques aux États-Unis : « Notre ligne de conduite ne sera jamais celle de la brutalisation, mais celle, pacifique, du pasteur Martin Luther King, pour les droits civiques des citoyens américains à l’époque opprimés et privés de droits. » Une référence qu’on aurait difficilement entendue lors d’un défilé du 1er mai à l’époque de Jean-Marie Le Pen ! Fait rare : Marine Le Pen évoque le procès de Nicolas Sarkozy, qu’elle qualifie « d’humiliation », notamment en raison de « la perte des droits familiaux ».

De son côté, Éric Ciotti continue de se réclamer de François Fillon : « J’ai déjà subi, en 2017, le destin confisqué de la démocratie française avec François Fillon. » En les remerciant pour leur soutien, Louis Aliot fait applaudir les noms de « Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Marion Maréchal et Nicolas Dupont-Aignan ». Nicolas Sarkozy et Éric Zemmour acclamés par une foule RN ? L’heure est décidément grave.

À la recherche du RN de l’ouest parisien…

C’est aussi le paradoxe de cette manifestation : organisée pour soutenir Marine Le Pen, elle attire finalement peu de « marinistes » pur jus. Ni les sympathisants de la France périphérique, ni ceux de la grande banlieue parisienne — pourtant des bastions électoraux du RN — ne sont venus en nombre soutenir leur candidate.

Depuis qu’elle a pris la tête du FN en 2011, Marine Le Pen a en partie brisé le mouvement populaire que représentaient les fêtes Bleu Blanc Rouge ou les défilés du 1er mai, contribuant à l’anesthésie des fédérations. Alors, quand vient le moment de descendre dans la rue, il ne reste qu’un public plus bourgeois et conservateur, souvent plus enclin à ce type d’événements.

Inhabituel au RN : on aperçoit barbours, blazers et polos Ralph Lauren. Le nom de Marion Maréchal, présente sur place et au profil plus conservateur que sa tante, est numéro un à l’applaudimètre. Ce public, très « canal historique », rappelle l’époque où Jean-Marie Le Pen faisait des scores honorables dans les beaux quartiers et se faisait élire député de Paris aux côtés du maire CNIP du VIIe arrondissement, Édouard Frédéric-Dupont. Frigide Barjot, égérie de la Manif pour Tous, est présente. Éric, professeur de droit, se dit « plus Jean-Marie que Marine » et exprime quelques réserves sur la stratégie de dédiabolisation : « Donner des gages en permanence, c’est maladroit. La preuve : les juges ne nous font pas de cadeaux. » Il ajoute, agacé par la sono : « Rien que cette musique m’exaspère… On se croirait à un meeting de la CGT. Le Pen arrivait avec de la musique classique, ça emportait l’enthousiasme. » Le RN, aujourd’hui, s’est accoutumé aux musiques de discothèque.

Dragana, électrice RN, arbore son drapeau serbe et revendique sa triple nationalité: « serbe, française et serbe de Bosnie ». Elle voit dans les ennuis judiciaires du RN un parallèle avec l’histoire de son pays : « Cette mise au ban judiciaire me rappelle celle de la Serbie lors des bombardements de l’OTAN en 1999. » Des résonances qui évoquent les mobilisations nationalistes et souverainistes des années 1990.

Si tous les orateurs affichent leur volonté de rassurer et de rassembler, la stratégie de dédiabolisation n’a pas empêché le choc judiciaire. Ce revers nourrit, chez certains militants, une tentation de retour au FN « canal historique ». Certains observateurs redoutaient une mobilisation virulente contre les juges et les institutions, ou faisaient le parallèle avec le 6 février 1934… Mais le 6 avril n’aura pas été un jour de rupture. Ni scandale, ni émeute, ni ferveur. Seulement un parti donnant l’image d’un mouvement hésitant quant aux moyens d’action et au degré de radicalité à opposer au « verrouillage judiciaire » qu’il dénonce.

Shakespeare pour les vraiment nuls

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© D.R.

Que Shakespeare soit encore considéré comme un génie universel chagrine les wokes de Stratford-upon-Avon.


Le wokisme n’est pas mort et Shakespeare doit se retourner dans sa tombe.

L’institution fiduciaire chargée de mettre en valeur Stratford-upon-Avon, la ville de naissance du dramaturge anglais, vient d’annoncer un immense programme de « décolonisation » des différents lieux à sa charge et l’organisation d’une « expérience muséale plus inclusive ». Cette décision s’appuie sur les travaux d’une chercheuse de l’université de Birmingham, Helen Hopkins, postulant que l’idée de « génie universel » à propos de Shakespeare profiterait surtout à « l’idéologie de la suprématie européenne blanche ». Mme Hopkins préconise de présenter Shakespeare non pas comme « le plus grand des dramaturges » mais comme « une partie d’une communauté d’écrivains et d’artistes égaux dans le monde entier ». Il est par ailleurs prévu d’avertir le public sur les caricatures racistes, sexistes ou homophobes supposées émailler l’œuvre du dramaturge, ainsi que sur le lien « problématique » qu’aurait fait ce dernier entre « la blancheur et la beauté ». Pauvre Shakespeare ! À Londres, le Globe Theater avait déjà proposé de « décoloniser » ses pièces les plus célèbres. Le Songe d’une nuit d’été s’était ainsi vu affublé d’un avertissement – « La pièce contient un langage violent, des références sexuelles, de la misogynie et du racisme » – et les personnes « préoccupées par ces thèmes » étaient invitées à se renseigner avant d’acheter leurs billets. Dernières nouvelles de l’asile : des chercheurs de l’université de Roehampton, jugeant que le théâtre shakespearien est trop « blanc, masculin, hétérosexuel et cisgenre », ont décidé d’exhumer Galatea, une comédie de John Lyly, un auteur contemporain de Shakespeare. Au motif qu’elle met en scène des personnages se déguisant en personnes du sexe opposé, cette œuvre mineure – elle n’a pas été jouée depuis 1588 ! – valoriserait « des vies féministes, queer et transgenres ».

Ces chercheurs vont vraisemblablement s’efforcer maintenant de dénicher un autre dramaturge élisabéthain ayant su glorifier la vie de militants LGBTQI+, de non-binaires racisés et d’hommes enceints. Pas facile mais, au Wokistan, plus rien n’est impossible.

RN touché mais pas coulé !

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Marine Le Pen et Jordan Bardella lors du rassemblement en soutien à Marine Le Pen, Paris, 6 avril 2025 © Michel Euler/AP/SIPA

À la différence des autres partis, le RN a deux favoris qui caracolent en tête des intentions de votes. Un sondage réalisé la semaine dernière par l’institut Elabe donne Marine Le Pen en tête du premier tour des élections présidentielles avec 32% à 36% des voix. Cependant, si la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale ne pouvait pas se présenter, Jordan Bardella obtiendrait selon ce même sondage un score très proche, entre 31% et 35,5% des voix.


On sait qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 2027, nous aurons, pour le Rassemblement national, Marine Le Pen ou Jordan Bardella. Tout dépend des aléas judiciaires dont la conclusion devrait être, pour l’appel, à l’été 2026.

Marine Le Pen plus apte qu’un Bardella trop « scolaire »

Pour peu que le RN ne change pas sa stratégie de défense – en s’entêtant dans sa thèse administrative minimaliste totalement contredite par le jugement du 31 mars – et n’offre pas à la juridiction d’appel une porte de sortie fondée sur une bonne foi contrite, les conséquences judiciaires seront probablement lourdes. Avec l’interrogation sur un éventuel pourvoi en cassation qui restaurerait l’état du 31 mars.

Ce qui est étonnant, et n’a pas été assez commenté, c’est la parfaite équivalence entre les pour et les contre, pour le futur présidentiel de Marine Le Pen et Jordan Bardella. L’émission « L’Événement, l’interview » (France 2), avec Jordan Bardella pour invité, l’a révélée et La Tribune Dimanche et BFMTV, quasiment confirmée le 6 avril.

Le RN peut s’en réjouir puisque cela démontre une interchangeabilité entre leurs deux leaders mais il me semble que Marine Le Pen pourrait et devrait en être troublée puisque, malgré les différences positives en sa faveur, elle est placée exactement au même niveau que le président du RN.

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Il est en effet clair que si Marine Le Pen a échoué deux fois à l’élection présidentielle – malgré des progrès techniques indiscutables, elle a manifesté cette faiblesse d’être bonne tout le temps sauf lors du jour J -, elle serait en 2027 bien plus apte que Jordan Bardella à faire gagner son camp. Pourtant, ce dernier apparaît comme une indéniable solution de rechange alors que tout démontre, quand on l’écoute, qu’il répond à des questions et qu’il argumente, qu’on a affaire à un homme dont le comportement médiatique mécanique et scolaire le rendrait mal adapté à l’imprévisibilité des joutes présidentielles. Non pas qu’il soit médiocre, mais ses adversaires auront vite fait de déceler le point faible de sa cuirasse, qui est de ne pas supporter d’être sorti de son champ programmé.

C’était évident sur France 2 où il a déroulé de manière répétitive un propos appris qui perdait toute force à proportion de son ressassement.

Je ne méconnais pas le fait que, ne s’appelant pas Le Pen, il bénéficie ainsi d’un crédit de principe, mais ce n’est pas l’explication principale de ce constat qu’au-delà de leurs personnalités, le RN est tellement fort qu’il emporte beaucoup sur son passage parce qu’on désire l’essayer, qu’une majorité n’en peut plus de ces personnalités classiques qui croient pouvoir regagner par la morale ce dont leur absence de contradiction politique intelligente et républicaine les a privés.

Ce ne sont pas les réactions d’hostilité partisane à l’encontre du RN à la suite du jugement du 31 mars et de la manifestation organisée le 6 avril qui vont diminuer des adhésions multipliées précisément par cette stigmatisation tellement rentable pour ce parti !

C’est lui qui est consacré dans les enquêtes d’opinion, peu importe qui le représentera, avec un programme dont le fond paraît n’avoir pas la moindre importance au regard de cette finalité obsessionnelle pour une multitude de citoyens : ce n’est pas parce qu’on n’aura plus Emmanuel Macron après 2027 qu’on est prêt à retomber dans les ornières d’une France conventionnelle promettant infiniment et tenant si peu !

Des oppositions esseulées et divisées

Le paradoxe est que le duo du RN, d’une certaine manière, est beaucoup plus républicain que ces ambitions tournant autour d’un seul leader, d’un seul chef, qui ne feront jamais l’objet de la moindre critique puisqu’ils sont consacrés par avance. Quoi qu’ils aient pu accomplir ou au contraire ne rien faire.

Édouard Philippe n’arrive pas à se débarrasser de son juppéisme. Par moments, il fait tellement dans la nuance qu’il n’est plus compris. Christophe Béchu nous annonce qu’avec lui nous aurons « des réformes massives ». C’est la spécialité des politiques de nous tenter avec elles avant mais de les oublier ou de les trahir après. Parce que l’action a cette désagréable habitude de les rendre impossibles ou de les rapetisser.

François Hollande mène un combat utile et salutaire pour la démocratie au sein du parti socialiste, mais je ne suis pas sûr que les électeurs verront revenir avec plaisir un président « inachevé » qui n’en finit pas de se rappeler au mauvais souvenir de beaucoup.

Jean-Luc Mélenchon continue à détruire son talent par un cynisme clientéliste qui lui fait croire à cette illusion que l’alliance d’une jeunesse excitée et de banlieues islamisées sera son nirvana pour 2027. Alors qu’il est le seul candidat qui permettra à coup sûr la victoire du RN.

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Si on a le droit de rire, Marine Tondelier venant apporter un soutien écologiste à LFI pour la défense de l’État de droit – quand heureusement le parti socialiste et les communistes se sont abstenus – n’a pas beaucoup de mémoire : qu’on demande à Julien Bayou ce qu’il en pense !

Chez les Républicains, si Bruno Retailleau devient président du parti au mois de mai, tout sera ouvert pour lui ; rien ne sera acquis mais il n’est pas absurde d’espérer qu’enfin le RN sera confronté à un adversaire respectueux de la démocratie mais sans complaisance ni concession. À une droite incarnée par un responsable n’attendant plus de la gauche des injonctions, des leçons, des menaces et les poncifs d’un progressisme constant dans l’échec.

Des solitudes face à 2027 quand au RN ils sont deux…

Tant d’autres s’impatientent, piaffent, s’inventent déjà un destin présidentiel. Ce qui constitue par défaut la domination actuelle du RN dans les enquêtes d’opinion est l’absence d’adversaires suffisamment lucides, équilibrés, exemplaires et plausibles pour pouvoir réduire son impact sur une masse de citoyens prêts à se mobiliser pour de l’inédit.

Il ne faut jamais sous-estimer cette lassitude populaire face à des gens qu’on connaît trop, qu’on a trop vus…


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Faire taire « l’extrême droite »: gare au retour de bâton!

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Claude Malhuret au sénat, Paris, 2 octobre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

La menace de partir en guerre et le recours à la peur du «fascisme» traduisent l’échec de nos politiques à s’imposer autrement que par la soumission craintive déjà expérimentée il y a cinq ans avec le Covid.


L’élite incendiaire d’un monde qui brûle

Claude Malhuret est rigolo. Derrière le pâle sénateur centriste s’épanouit le blagueur de banquet. Il n’a pas son pareil pour faire glousser l’hémicycle du palais du Luxembourg. « Les formules, ça me vient comme ça ! » a-t-il expliqué après le succès de son discours du 4 mars, repris jusqu’aux États-Unis. En huit minutes, l’amuseur des notables avait torpillé Donald Trump (« Néron, empereur incendiaire ») et Elon Musk (« bouffon sous kétamine »). Déjà, le 10 avril 2019, il avait ravi son auditoire compassé quand, parlant des gilets jaunes et de leurs « gouverneurs de ronds-points autoproclamés », il avait lancé devant ses pairs hoquetant de plaisir : « J’ai entendu plus d’âneries en six mois qu’en trente ans de vie publique. » Malhuret, c’est la banalisation du mépris pour la piétaille. C’est la morgue arriviste des puissants qui ridiculisent les faibles et ceux qui leur prêtent attention. Malhuret symbolise la caste accrochée méchamment à son rang : un monde trop vieux, menacé par les humiliés.

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Dans son expression satisfaite d’une supériorité de classe, ce sénateur prisé des médias symbolise la rupture sociale au cœur de la nation et de l’Europe. Pourtant, ses plaisanteries boulevardières contre les « populistes » ne sont rien en comparaison de ceux qui appellent, sur ce même registre prolophobe, à éradiquer « l’extrême droite ». Tous ont comme ennemis communs les méprisés qui se rebiffent. Cela fait du monde. La décision de la commission électorale roumaine de rejeter, le 9 mars, la candidature du favori à la présidentielle, Calin Georgescu, jugé trop proche de Moscou, a été saluée par ces drôles de démocrates. LFI, dans son appel du 22 mars à marcher « contre l’extrême droite, ses idées et ses relais » a placardé Cyril Hanouna parmi ses cibles, représenté sur un visuel (ensuite retiré) avec les codes antisémites des nazis. Une élimination procédurière de Marine Le Pen pour la présidentielle comblerait d’aise les épurateurs. Ces dérives sont des pratiques totalitaires.

La radicalité des parias

Les défenseurs de la « dictature de la pensée sociale-démocrate » (François Fillon) sont prêts à tout pour conserver leur pouvoir. Quitte à faire la guerre. Quand Emmanuel Macron décrit la Russie de Vladimir Poutine comme une « menace existentielle », ou quand François Bayrou reproche à Donald Trump de « rendre le monde plus dangereux », ils désignent deux épouvantails en espérant consolider leur socle. Or ce recours à la peur du « fascisme » signe l’échec à s’imposer autrement que par la soumission craintive, expérimentée il y a cinq ans avec le Covid. Alors qu’un processus de paix en Ukraine a été initié par le président américain, le président français a voulu, dans son discours anxiogène du 5 mars (« La patrie a besoin de vous ! »), s’entêter dans sa prédiction du 14 mars 2024 : « La Russie ne peut pas, ne doit pas gagner cette guerre. »

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En réalité, la Russie a remporté cette guerre inutile. L’Ukraine, trahie par l’allié américain et lâchée par l’OTAN, a perdu ses territoires occupés en dépit de sa défense héroïque. Conséquence : la défaite est aussi celle de Macron et des européistes, des perroquets à cartes de presse, des va-t-en-guerre en pantoufles, des supporteurs du ricanant Malhuret. Leur refus d’admettre les grandes mutations géopolitiques et civilisationnelles a, partout, attisé la radicalité des parias, ces exclus des sociétés ouvertes. À leur tour, ils pourraient vite devenir féroces.

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Francesca, mon amour

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Jérôme Leroy © Photographe : Hannah Assouline

Jérôme Leroy publie son nouveau roman, La Petite Fasciste


J’ai lu le nouveau polar de Jérôme Leroy dans le train Paris-Limoges, d’une traite, tant l’intrigue est palpitante et le style efficace. J’ai eu un peu peur au début quand un de mes potes cheminot, dépôt de Châteauroux, m’a jeté un regard mauvais, sûrement à propos du titre provocateur : La Petite Fasciste. Il a crû que c’était un bouquin qui vantait les qualités d’une passionaria d’extrême droite. C’est que je me méfie à présent. J’adore les œufs mayo. Or il paraît que c’est une entrée réac, tandis que la choucroute est plutôt tendance progressiste. Ça me gêne de le dire mais je n’aime pas trop le chou. Bref, j’ai lu le livre de Leroy. Rien à voir avec le précédent, Un effondrement parfait. Je l’ai commenté pour Causeur, je n’y reviens pas. Mais tout de même, c’était délicat, avec beaucoup de mélancolie, de jolies filles sages aux joues roses, des plages longues sous un beau soleil de Grèce, avec l’évocation du Limousin, terre de maquisards. Là, c’est l’ambiance inverse. C’est sombre, sanglant, sexuel. Je me suis même dit : Ce n’est pas le même écrivain. Il y a du Jekyll et du Hyde en cet homme. Faut faire gaffe.

Nouvelle collection !

Son polar inaugure la Manuf, une nouvelle collection de la Manufacture de livres, dirigé par un voisin en Limousin, Pierre Fourniaud. L’histoire est à la fois tragique et non dénuée d’humour, et commence par une tuerie qui ressemble à celle du film The Order où Jude Law interprète un agent du FBI traquant une bande de néonazis. Le tueur est un crétin, car il se trompe de maison et massacre de jeunes camés en train de partouzer. Il se nomme Victor Serge. Leroy est décidément un facétieux. Victor Serge était un trotskyste, déporté en Sibérie pour s’être vigoureusement opposé aux méthodes dictatoriales du camarade Staline. Leroy invente également une ville, Frise, dans le Nord de la France, avec une interminable plage grise qui flanquerait le spleen à un gagnant multimillionnaire du Loto. Comme il invente une allée Paul-Jean Toulet dans les dunes et les oyats ! Il nous décrit une France qui bascule dans la violence et les fumigènes, avec une République perfusée en fin de vie. À sa tête, le Dingue, qui vient de dissoudre l’Assemblée trois fois. Un type improbable, admirateur de Trenet, qui a pris pour Premier ministre une certaine Louise Michel. Une France crépusculaire, donc, coincée entre le Bloc Patriotique et l’Union Populaire. Le Dingue doit naviguer au doigt mouillé par temps sec, se vendre au moins nocif, son parti maigrissant à chaque dissolution.

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La « petite fasciste » a vingt ans, elle est blonde et barrée, porte des culottes La Perla, et se nomme Francesca Crommelynck. Elle excite les hommes, jeunes et séniors, de gauche comme de droite. Elle les aimante tous. Le déterminisme familial joue en sa défaveur. Il y a du collabo mâtiné de fasciste italien chez les ancêtres. Ça donne des parents tendance extrême droite identitaire. Elle s’en accommode. Elle a suivi des études littéraires, apprécie Drieu la Rochelle et son livre de chevet est Vu de droite, signé Alain de Benoist. Francesca a un frère, Nils, qui l’a initiée très tôt au tir. Elle est fasciste mais pas totalement raciste puisqu’elle couche avec Jugurtha Aït-Ahmed, fils de docker communiste. Elle l’a même carrément dans la peau. Mais bon tout ça ne peut qu’engendrer le malheur. Nils et Jugurtha vont mourir. Ça déstabilise la blonde diaphane. Et puis il y a le député de la-gauche-du-temps-jadis qui n’a pas envie de se représenter quand le Dingue dissout en pleine canicule. Premier tour prévu le 1er août, un vrai taré, le type. C’est qu’il subit l’influence de la Tarentule, une pythonisse boiteuse qui conseille et qui se trompe. Le député sortant se nomme Patrick Bonneval. Il a « soixante ans et fait sa crise de la cinquantaine. C’est l’avantage de l’allongement de l’espérance de vie », précise Leroy.

Un roman maîtrisé

Voilà, la tragédie est en place. Il n’y a plus qu’à dérouler suivant les codes du roman noir parfaitement maîtrisés par l’auteur. L’amour, qu’on n’attendait pas dans cette histoire déprimante, fait son apparition. Ça change la donne – à l’instar d’une dissolution ou d’une inéligibilité. Il offre une sorte de rédemption à Francesca. Ça atténue la mort de Jugurtha qui n’est pas accidentelle, ça soulage d’avoir eu un frère « travaillé par l’inceste », « dysorthographique avec une écriture d’enfant de CE1. » Le coup de foudre conduit « dans un motel de Magdebourg, au bord de l’Elbe couleur d’encre sous les étoiles, ils regardent les résultats du premier tour. Francesca et lui se gavent de ces sandwichs au hareng qu’ils adorent et qu’ils sont allés chercher dans un fast-food Nordsee de l’autre côté de la route. » Je ne vous dirai pas qui butine Francesca. Comme je ne vous révélerai pas le nom du narrateur. Il faut aller au bout de ce polar couleur onyx qui tient toutes les promesses du massacre des premières pages.

Jérôme Leroy, La Petite Fasciste, La Manuf. 192 pages

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Les flagellants du livre

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DR.

Monsieur Nostalgie nous parle ce dimanche de la multiplication des salons du livre dans toutes les communes de France et de l’auteur comme variable d’ajustement de l’agenda municipal…


Ils sont partout ! Aucun département n’échappe à ce fléau des temps modernes. Le salon du livre est en phase de remplacer la brocante au calendrier culturel. Tous les villages de France célèbrent la « littérature » et promeuvent la lecture à bon compte. Associatif, caritatif, commercial ou hédoniste, peu importe la forme qu’il prend, le salon est le point d’orgue d’une saison triste. Il est annonciateur des beaux jours, il s’intercale dans les périodes creuses comme longtemps la philatélie et la numismatique ont tenu lieu de salle d’attente avant les comices agricoles colorés et les concerts d’été.

Un salon du livre réussi demande une longue préparation, une année souvent, et des dizaines de bénévoles à la manœuvre qui ne ménagent pas leurs efforts. Ils sont admirables d’abnégation et d’engagement. Ils ont foi dans l’imprimé. Sans eux, la fête tournerait à la punition. Une ville qui n’aurait pas aujourd’hui à son agenda un tel événement passerait pour inculte, voire mesquine, à la limite réactionnaire. Il n’y a pas que la déchetterie ou le trail pour faire venir des visiteurs. L’attractivité d’un territoire passe par le livre même si, avouons-le, la course à pied est un concurrent sérieux qui draine des centaines de participants payants. La littérature a aussi les moyens de vous faire suer sans bouger de votre chaise, elle est d’un immobilisme largement énergivore. Le salon du livre est donc une invention assez machiavélique censée aider les écrivains et les librairies indépendantes ou les grosses enseignes, souvent partenaires de la manifestation, à « doper » leur activité. Sur le papier, tout le monde est gagnant, on comble aisément un week-end au mois de mai ou de novembre, entre les rifles et le marché de Noël. Le maire en place n’y voit que des avantages. Passer pour un érudit au pays de Montaigne, c’est prendre une avance certaine sur son adversaire lors d’une prochaine élection. Nos ministres « écrivent » bien des livres, alors pourquoi l’édile de base ne pourrait pas profiter d’un vernis littéraire pour asseoir son autorité ? Et surtout, l’ensemble des acteurs de cette farce a le sentiment profond de faire quelque chose de bien et d’utile… Qui ne voudrait pas aider un auteur dans le besoin ? Un éditeur aux abois ? Un libraire sur la sellette ? Le livre efface les différences sociales et met un peu de hauteur dans le marasme actuel. Il est éthiquement inattaquable, il est le socle des vieilles nations pensantes. Personne ne peut être contre son ruissellement.

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Alors, chacun se rend au salon de son canton avec une ferveur toute citoyenne, l’impression d’agir pour le bien de sa communauté, presque l’air cérémonial, la Pléiade nous regarde. On va au salon comme jadis aux urnes, en famille, endimanché et maladroit face à cette population étrange. Car, nous allons rencontrer une race à part, une profession aussi hasardeuse que le trapèze volant que l’on nommera par commodité de langage : écrivain. Devant celui qui a choisi d’écrire au lieu de gagner honnêtement sa vie, on se sent penaud. Intimidé par l’irresponsabilité de cette personne hors-sol qui refuse la fiche de paie mensuelle et les tickets « restaurant ». Un fou ? Un saint ? Non, un altruiste qui préfère passer un week-end loin des siens, dans une bourgade inconnue au milieu d’autres inconnus. Un explorateur, en somme. L’édification d’une œuvre dépasse les contingences matérielles et oblige à des concessions. Quand on a la chance d’appartenir à ce clan de parias, ces barbouilleurs de mots qui, de ville en ville, trimballent leurs bouquins comme des commis voyageurs leurs modèles d’exposition, à la manière d’un Jean-Pierre Marielle dépliant ses pébroques dans une arrière-boutique de province, on est un peu des héros de la déveine permanente. On patiente des heures dans des gymnases ou des médiathèques Pablo Neruda dans l’espoir de capter un regard. Miracle de la solitude, une sorte de solidarité rieuse se noue entre tous ces naufragés. Appelez ça instinct grégaire ou second degré, on se tient chaud. On ironise sur notre sort. Et on se marre franchement à défaut de vendre. Il n’y a plus de barrières entre l’illustrateur, le romancier régionaliste, le cycliste à la retraite ou l’érotomane de service. On fait bloc. Bien sûr, le salon du livre est notre mur des lamentations. On se plaint des avances dérisoires, des journalistes qui ne lisent plus, des courants d’air, du café froid et des frites molles.

Indignes, nous le sommes assurément. Egoïstes et provocateurs, on ne pense qu’à notre petit confort car nous savons, dès l’ouverture, que nous ne signerons pas encore ce soir. Le salon du livre est un jeu de dupes admis par tous. Il y a les vedettes, trois ou quatre, et leurs files interminables de fans. Le public est venu pour eux, spécialement. Personne n’y trouve à redire. Il faut bien des champions, une poignée d’athlètes pour croire à la magie du système et puis tous les autres pénitents que nous sommes. Nous faisons simplement partie du décor et finalement, c’est déjà pas mal. Quand vous croiserez un auteur derrière sa table, esseulé, les yeux dans le vide, se demandant s’il ne devrait pas entamer une formation de carreleur à cinquante ans au lieu d’insister dans l’écriture, adressez-lui seulement un salut amical. Merci pour nous !

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