Céline, le retour d’un maudit. Avec son œil de témoin historique et le cœur en bandoulière, Véronique Chovin raconte la résurrection littéraire de Céline, dont les ventes ont été relancées par la découverte des manuscrits inédits. Un récit entre mémoire vive et polémiques brûlantes…
D’ordinaire avec Louis-Ferdinand Céline, il est question de trois points de suspension. Véronique Chovin, dans un petit livre enlevé, fait le point – tout court – sur le retour au premier plan de l’écrivain après la découverte de manuscrits inédits qu’on croyait définitivement perdus. La publication par les éditions Gallimard de Guerre, Londres et La volonté du roi Krogold fut un véritable événement, saluée par la critique, surtout Guerre qui aurait mérité le Goncourt selon certains journalistes.
C’est une belle histoire que raconte Véronique Chovin, auteure de deux ouvrages sur Céline et son épouse, Lucette, dont Céline secret (Grasset, 2001). À l’âge de 17 ans, dans les années 1970, elle sonne à la porte de la villa Maïtou, route des Gardes, sur les hauteurs de Meudon. Elle décrit la dernière demeure de l’écrivain. C’est précieux car celle-ci a connu récemment un sacré lifting, jardin compris. Les fantômes, parait-il, ne décolèrent pas depuis. Nous non plus. « En bas on entendait les voitures sur la route des Gardes, au loin c’était la Seine et ses boucles et plus loin encore, les péniches qui s’éloignaient. » C’est « Elle » qui parle dans le livre, comprenez Chovin, qui devient un personnage dans l’univers post-célinien. Ça fait écho aux dernières lignes du Voyage au bout de la nuit, avec la volonté « qu’on n’en parle plus » de cette affaire. Mais avec les grands écrivains, on n’en a jamais fini, croyez-moi.
Donc elle sonne pour prendre des cours de danse avec Lucette Almansor, la veuve la plus célèbre des lettres françaises. Elle raconte son histoire, son amitié avec Lucette, ses déambulations parisiennes, ses escapades hors de la banlieue, notamment à Dieppe où Ferdinand aimait pêcher les âmes dans la Manche couleur huitre. Elle l’a connue verticale, rayonnante, puis horizontale, d’un coup, lorsque le petit-fils de Céline, Jean-Marie Turpin, a fait irruption dans sa vie, ivre et mauvais. Il réclamait sa part du magot, malgré le refus de sa mère qui n’en avait pas voulu, de l’héritage du maudit absolu. « Déjà fatiguée, révèle Chovin, elle ne s’était jamais vraiment remise de cette visite. Elle s’était couchée. » Le passé qui remonte et qui vous scie les pattes. Lucette va lui confier ses souvenirs, puis des lettres. De quoi alimenter la postérité ; de quoi comprendre un peu plus le tourmenté Bardamu, reclus définitif, habillé comme un clodo céleste, entouré de ses chiens. Malraux a dit un jour que pour comprendre Céline, il fallait interroger Lucette. Elle seule l’avait compris, à l’instinct.
Véronique Chovin rappelle ensuite la résurrection des manuscrits. La piste corse, avec un certain Oscar Rosembly, puis le résistant Yvon Morandat qui les avait récupérés chez Céline, à Montmartre, et gardés en secret quarante ans durant, enfin leur édition, après transcription parfois laborieuse. Les spécialistes s’en sont mêlés, connaissant leur Céline sur le bout des doigts. La polémique a enflé. On a beaucoup critiqué Chovin. Les spécialistes n’aiment pas qu’on marche sur leur terrain de chasse, surtout quand on écrit avec l’intelligence du cœur.
Londres a ébranlé le microcosme littéraire. Ça a ferraillé ferme. Trop argotique, mal ficelé, un « brouillon de génie », mais un brouillon. Et puis trop porno, beaucoup trop porno. Les dévots sont intervenus. Déjà l’antisémitisme de Céline, avec en plus la réédition des pamphlets, et maintenant Thanatos qui écrabouille Eros ! Eh oui, mais Céline, en parfait médecin, avait diagnostiqué : « Le cul des femmes c’est comme le ciel, ni commencement ni fin. » Et d’enfoncer le clou : « Là où c’est l’origine de tout. »
Céline n’a pas fini de réveiller les somnambules. Je parie qu’on retrouvera encore quelques manuscrits fragmentés. Il possédait également deux dessins signés Degas, rue Girardon – les bobos ont fait enlever la plaque murale où il était indiqué qu’il avait habité ici, le médecin. « Mais où sont ces Degas ? », interroge Véronique Chovin. Le mystère reste entier. C’est jouissif. La société hygiéniste peut cauchemarder.
Véronique Chovin, Céline en héritage, Mercure de France, Collection Bleue, 136 pages.
La « sentimentalité progressiste » de la dernière série de Netflix a tellement plu au Premier ministre Keir Starmer qu’il a décidé de la montrer aux ados dans les écoles britanniques ! En France, Elisabeth Borne s’y refuse. Toute la presse nous décrit cette fiction comme pertinente pour expliquer la violence adolescente, ou l’épidémie d’attaques au couteau. Elle est en réalité fort naïve. Grande analyse.
Dernière minute : Un adolescent de 16 ans a poignardé hier quatre élèves d’un lycée nantais, dont une mortellement, avant d’être maîtrisé par le corps enseignant et interpellé. Une conférence de presse du procureur est attendue à 18 heures. Le suspect a été hospitalisé en psychiatrie •
Adolescence met en scène Jamie, un jeune Anglais de treize ans, coupable du meurtre d’une camarade d’école à qui il a infligé, en pleine rue, pas moins de sept coups de couteau. Les quatre épisodes de la série nous montrent l’arrestation et l’interrogatoire du meurtrier, puis l’enquête de la police au sein de l’école, la confrontation du jeune garçon avec l’une des professionels chargés de l’expertise psychiatrique, et enfin la vie de la famille quelques mois plus tard, le jour de l’anniversaire du père, peu avant la tenue du procès.
Un étonnant succès
La série, signée Jack Thorne et Stephen Graham, réalisée par Philip Barantini, produite et diffusée par Netflix depuis mars dernier, s’inscrit davantage dans le genre du drame social que dans le genre policier. Konbini la décrit comme « le reflet d’un vrai problème de société » plutôt qu’une « simple fiction », s’interrogeant sur une “épidémie de crimes à l’arme blanche”, “phénomène inquiétant” qui sévit en Angleterre en parallèle à la diffusion de “discours masculinistes et misogynes”[1]. Dans une interview donnée au magazine Première, Stephen Graham précise d’ailleurs que la fiction est conçue de telle manière qu’on se demande pourquoi le crime a eu lieu, non qui l’a commis : le meurtre ayant été filmé par des caméras de surveillance, la culpabilité du collégien ne fait en effet, dès le premier épisode, aucun doute. Le spectateur est ainsi invité à observer le contexte général du crime, et les réactions qu’il engendre. L’ambition des scénaristes est ainsi formulée : “On voudrait que la série puisse être une étincelle qui ouvre le dialogue à la maison. Ou même à l’école. Voire au sein du gouvernement”[2].
Il s’agissait donc bien de s’emparer non d’un fait divers, mais d’un phénomène de société qui mériterait une réponse politique. Le succès rencontré par la série dépasse les espérances des auteurs : non seulement elle semble avoir remporté la première place parmi les séries les plus regardées sur Netflix, mais Keir Starmer a décidé de mettre la fiction à la disposition des établissements scolaires, gratuitement, afin que tous les collègiens et lycéens du Royaume Uni puissent la visionner, s’en pénétrer, et en débattre.
Un auteur de fiction fait bien ce qu’il veut. Mais dès lors qu’un gouvernement s’empare de son œuvre comme d’une solution, les qualités et les défauts de l’œuvre ne relèvent plus seulement du jugement esthétique ou moral : en devenant un outil de propagande, ils prennent l’allure d’un révélateur politique, et son propos, sa forme, ses enjeux méritent d’être examinés avec un peu plus d’inquiétude.
Les raisons du succès tiennent évidemment à plusieurs facteurs. En premier lieu l’explosion des crimes par arme blanche que nous observons, dont les coupables comme les victimes semblent de plus en plus jeunes, ne peut à la longue laisser personne indifférent. Le meurtre dont il est question dans la série s’inscrit en outre dans le contexte d’un harcèlement sur les réseaux sociaux entre collégiens : autre phénomène de société. Le sujet doit donc, a priori, exciter à double titre la curiosité des spectateurs. Par ailleurs, les scénaristes ont tenté d’éviter le manichéisme : il s’avère en effet que la victime avait tour à tour elle-même été harcelée et harceleuse, et que le meurtrier a lui aussi été victime de harcèlement. Des photos de la jeune fille dénudée ont circulé ; des élèves ont moqué sa poitrine plate ; Jamie a cherché à manifester sa solidarité, son amitié et son désir de faire une sortie avec la jeune fille qui, méprisant ses avances, s’est retournée contre lui, en le désignant à la vindicte d’Instagram comme un incel, un éternel célibataire involontaire. Ce jeu de miroir, qui évite la simplification, ne peut que renforcer l’intérêt que présente la série.
Les charmes de l’adolescence
Par ailleurs, le choix de filmer de longs plans séquences crée une atmosphère particulière, d’une efficacité certaine pour rendre la dimension sociale, collective, du problème abordé. Enfin le jeu de tous les comédiens est convaincant. Parmi eux, le jeune Owen Cooper et Stephen Graham, qui incarnent respectivement Jamie et son père, font montre d’un talent d’acteur indéniable. Le frêle adolescent, dont le visage est encore empreint de la beauté de l’enfance, tour à tour pitoyable, attachant, violent, exerce un charme évident. L’interprétation se veut puissante, même si le dernier épisode finit par sombrer dans le larmoiement – mais c’est là la faute des scénaristes ou du metteur en scène, non des acteurs.
On se prend alors à se demander pourquoi, malgré tous ces atouts, une partie des spectateurs n’éprouvent que peu ou pas de réelle émotion. C’est le cas par exemple de Mathilde Wagman, qui confie sur France Culture être restée, malgré la tension dramatique supposée, “très en dehors” de la série[3]. La technique du plan-séquence, qui bifurque avec fluidité d’un personnage à l’autre, ne favorise pas l’identification et tend sans doute à nous maintenir dans la position d’un observateur extérieur et distant. Pour une œuvre qui ambitionne de nous faire réfléchir, stimuler la réflexion plutôt que la passion n’est pas un défaut ; mais alors, à quoi bon tant de larmes ?
De fait, la relative indifférence de certains spectateurs trouve sans doute aussi sa source dans certaines invraisemblances et incohérences psychologiques, dans le caractère très superficiel de l’exposé des mobiles du jeune criminel, et en définitive dans l’absence d’hypothèses convaincantes pour expliquer le phénomène abordé. Si nous attendions des réponses, celles-ci sont plus que minces, et Stephen Graham d’ailleurs le reconnaît dans son interview à Première : “On ne sait pas vraiment pourquoi il a fait ça, au bout du compte”. On ne peut s’empêcher de penser, dans un premier temps, que cette absence d’hypothèses résulte du fait qu’Adolescence passe en partie à côté du problème qu’il prétend aborder – et que c’est peut-être justement ce qui plaît tant à Keir Starmer.
Le sujet, d’abord. Les profils de la victime et du meurtrier, dans la fiction, ne sont guère représentatifs du phénomène de l’explosion des crimes au couteau. D’après une étude[4] qui s’est penchée sur le sujet, réalisée à partir de la base de données d’un centre de traumatologie en Angleterre entre 2014 et 2018, les victimes d’agressions au couteau sont, en écrasante majorité, non des femmes mais des hommes (85,6 %) ; elles se situent à 44% dans la tranche d’âge de 16 à 25 ans, les victimes plus jeunes restant – et heureusement – rares. Quant à l’origine ethnique des criminels, Marc Vanguard conclut de sa compilation de statistiques publiques à la surreprésentation actuelle des étrangers dans les crimes et délits[5] ; quant aux nationaux d’origine étrangère, les statistiques n’existent pas ou ne sont pas publiées. Deuxième point : le mobile. France Culture présente le personnage de Jamie comme un jeune homme “abreuvé d’idéologie masculiniste”. Pourtant, selon William Costello, docteur en psychologie[6], il ne semble pas que des “incels” ni des “masculinistes” se soient fait remarquer en commettant des crimes.
Evidemment, les 13 ans du petit Jamie, collégien issu de la classe moyenne blanche en Angleterre, fanatisé par des masculinistes et assassinant une fille, a de quoi faire sensation et – autre avantage – ne risque pas de froisser les progressistes. Une fiction a évidemment tout à fait le droit de préférer l’effet esthétique à la réalité statistique ; à condition toutefois de ne pas clamer qu’on cherche à comprendre les causes d’un phénomène de société.
En l’occurrence, on comprend que Keir Starmer trouve peut-être dans cette série une occasion inespérée de faire oublier que plus de 250 000 filles blanches britanniques auraient été violées, au cours des 25 dernières années, en très large majorité par des musulmans et plusieurs fois par jour (comme le rappelait Lord Pearson de UKIP à la Chambre des Lords en 2022), et que ce chiffre effrayant aurait pu être atteint grâce à la bienveillance idéologique des autorités et des institutions britanniques qui ont couvert ces crimes – ou à leur corruption pure et simple.
Pas une famille dysfonctionnelle
En outre, comme le remarque Mathilde Wagman, la question du masculinisme est traitée de manière “très grossière” : en deux ou trois phrases, de fait. Aucun processus de fanatisation n’est vraiment détaillé, aucun contenu précis abordé. Si le jeune homme s’est “abreuvé” de masculiniste, le spectateur, lui, restera sur sa soif.
On peine d’ailleurs à comprendre comment un garçon de treize ans, 37 kg tout mouillé, pourrait se monter la tête sur la question de la masculinité au point d’assassiner sauvagement (sept coups de couteau !) une petite camarade. Et on notera au passage l’étrange tendance actuelle qui consiste à projeter sur des adolescents à peine sortis de l’enfance un rapport à la sexualité qui n’est pas de leur âge. Le petit Jamie, d’ailleurs, se plaint amèrement, s’indigne même, à de multiples reprises, des questions intrusives de la psychologue à ce sujet. Evidemment, dans ces circonstances, les questions sont nécessaires. Mais bien qu’on puisse interprêter les réactions du personnage comme le refus du coupable d’avouer ses mobiles, on y entend aussi le malaise d’un enfant face à l’indiscrétion des adultes[7].
Bien sûr, la question de la masculinité touche aussi à l’image du père. Mais la famille de Jamie est en définitive on ne peut plus “normale”, aucunement “dysfonctionnelle”, pour employer le vocabulaire convenu : pas de père violent ou alcoolique, pas de chômage qui traîne ; un couple qui semble s’aimer. Le seul élément qui semble avoir entaché leur relation, est la déconvenue du père, qui découvre que le fiston ne sera pas un bon joueur de foot. Les dialogues ont beau monter la chose en épingle, il n’y a vraiment pas là de quoi se transformer en assassin.
En fait, les scénaristes revendiquent la normalité des personnages : “On a voulu se concentrer sur cette famille et se dire ‘Mon Dieu, ça pourrait nous arriver !’. Parce que ce qui arrive ici, c’est le pire cauchemar d’une famille très ordinaire”, déclare Stephen Graham sur Konbini. Et il enfonce le clou sur Première : “Ça peut toucher toutes les familles.” C’est fou comme les gens aiment se faire peur. Mais aussi se disculper : car si “ça peut toucher toutes les familles”, c’est finalement que le problème est ailleurs. Mais où est-il, alors ? Serait-ce simplement l’adolescence, comme semble l’indiquer le titre ? La faute des réseaux sociaux et des émojis ?
Les parents du garçon s’interrogent tout de même un peu, à la fin du dernier épisode ; le père ose même un timide mea culpa : “On aurait pu faire un peu mieux”. Alors oui, en effet, si votre enfant a assassiné de sept coups de couteau une jeune fille, c’est certainement que vous auriez pu faire un petit peu mieux. Ce sont moins les torrents de larmes des parents qui inspirent la pitié que la paresse morale et intellectuelle des personnages (et du dialoguiste).
Bons sentiments
Les faits divers particuliers qui, selon France Culture, auraient alerté les scénaristes d’Adolescence sur le sujet de l’explosion de la violence en Angleterre, offraient pourtant d’autres pistes d’explication, plus convaincantes. Brianna Ghey, en 2006, transgenre très suivie sur les réseaux sociaux, a été assassinée par deux jeunes de quinze ans, un garçon et une fille, obsédés par les tueurs en série. Le garçon ne connaissait pas la victime ; la fille avait été précédemment amie avec elle. Ava White, en 2021, a été tuée par un garçon de 14 ans, dont ni l’identité ni le profil n’ont été divulgués ; mais on sait que le meurtre, dont le coupable affirme qu’il est accidentel, résulte d’une altercation dans la rue, entre deux groupes de jeunes gens qui ne se connaissaient pas. Elianne Andam enfin fut assassinée en 2023 après une rupture amoureuse, par Hassan Sentamu, 17 ans, qui avait depuis longtemps montré son goût pour la violence et les couteaux, avait déjà agressé plusieurs jeunes filles, et aurait été abusé par son père dans son enfance.
Si ces crimes ont, plus que d’autres, inspiré les scénaristes, ces derniers n’en ont pas retenu les contextes pour les examiner ; à nouveau, l’on mesure l’écart entre les profils réels et ceux des personnages de la série. Encore un fois, pour qui prétend interroger un réel phénomène de société, on aurait pu espérer un peu plus de méthode.
Et pourtant, malgré ces distortions et ces facilités, Adolescence nous révèle quelque chose de crucial. “Le truc, déclare Stephen Graham à Première à propos de Jamie, c’est que beaucoup de gens auraient pu l’aider, l’arrêter à temps. Mais ils ne l’ont pas fait.” Et en effet, les personnages adultes de la série sont tous pleins de bon sentiments, mais semblent constamment passer à côté des problèmes. Ils semblent pleins d’empathie, mais n’ont pas l’air de vouloir se remettre en question. Ils s’étonnent bien un petit peu que tout aille tellement de travers, mais n’assument pas leurs responsabilités d’adultes. Ils ressemblent à ces dames patronnesses pleines de bonne volonté mais qui restent en réalité toujours étrangères et imperméables à ceux qu’elle prétendent aider.
Le policier, par exemple, est très impliqué dans son enquête ; mais il paraît n’avoir pas la moindre idée de ce qui peut se passer sur Instagram entre adolescents. Il parle à son propre fils, qui fréquente le même établissement que Jamie, comme s’il ne le connaissait pas, et commence par mépriser son aide lorsque celui-ci veut lui communiquer certaines informations. Les professeurs sont de véritables catastrophes : ils laissent proférer des propos insultants et ignobles, assistent à des bagarres, sans sanctionner aucun élève ; ils se contentent de geindre, ou d’adresser une petite remontrance pour passer aussitôt à autre chose. Les policiers, d’ailleurs, s’interrogent : est-il possible d’apprendre quoi que ce soit dans une telle école ? Mais en même temps, la directrice de l’établissement apparaît si pleine de bonnes intentions ! Elle veut si bien faire ! Et si les policiers déplorent que les collèges “sentent le sperme” (nos poètes n’avaient pas pensé à cela en rimant leurs souvenirs d’école), ma foi, il semble qu’ils acceptent le fait comme une fatalité.
La psychologue qui vient expertiser Jamie vaut aussi le détour : elle lui apporte un sandwich “fait maison”, joue à la maman ou à la bonne copine, plaisante avec le garçon, puis respire très fort parce qu’il a un peu crié et qu’elle a eu peur ; elle se transforme ensuite en monstre froid, pour fondre finalement en larmes à la fin de l’entretien : on ne peut que lui conseiller vivement de changer de métier. Enfin les parents, on l’a dit, ont pris timidement conscience qu’ils auraient pu faire un peu mieux – mais quoi ? Peut-être aller au restaurant chinois, puisque c’est ce qui semble sauver la relation du policier avec son fils. Mais un sommet d’irresponsabilité est atteint lorsque le père, qui a vu de ses yeux les vidéos de son fils portant les coups, paraît totalement sidéré, égaré, en entendant Jamie lui annoncer que, finalement, il plaidera coupable. Comment tous ces gens si “normaux” et si pleins de bons sentiments, peuvent-ils être en même temps à ce point ineptes ? Finalement, les seuls moments où un adulte semble maîtriser la situation, c’est quand les policiers récitent mécaniquement les règles de la procédure ; là, ils semblent vraiment jouir et triompher. Quel vide affligeant !
Abdication
La série révèle ainsi le fond du problème : si la société dérape dans la violence, c’est que les adultes ont abdiqué toute lucidité ; qu’ils sont très occupés à se rassurer eux-mêmes en passant systématiquement à côté des choses qui fâchent ; qu’ils ne voient plus ce qui distingue un adulte d’un enfant ; qu’ils n’ont pas le courage de transmettre aux générations suivantes un savoir et des principes qu’ils ont noyés dans une vague sentimentalité progressiste ; et que seule la mécanique de phrases toutes faites les tient encore debout.
La série le révèle volontairement – témoin la critique de l’école portée par les policiers ; mais aussi sans le vouloir, puisqu’elle pêche elle-même par quelques invraisemblances opportunes, et par une telle mollesse du propos, que bien des recensions ne retiennent rien que le coup de l’abreuvoir masculiniste.
Quant à la réaction de Keir Starmer, elle vient vraiment couronner la démonstration. Il se prouve à lui-même qu’il fait quelque chose, tout en ne faisant rien. Il se contente de renvoyer la balle aux collégiens et aux lycéens : regardez la série, et réglez vos problèmes vous-mêmes.
Reste que le choix politique de diffuser la série dans toutes les écoles n’est pas sans danger. Les jeunes garçons anglais, abandonnés à eux-mêmes, constamment mis en accusation s’ils ont le malheur de chercher à être ce qu’ils sont, des garçons, risquent de sombrer encore un peu plus profond dans le désespoir ; ils pourraient aussi se laisser séduire par le charisme du héros, et par sa violence. Mais souhaitons plutôt que les Anglais, jeunes et moins jeunes, filles et garçons, finissent par comprendre qu’ils sont gouvernés par des incapables, et par trouver les moyens de les chasser du pouvoir.
[7] La méconnaissance de ce qu’est un enfant ou un adolescent se manifeste aussi dans la peinture des élèves de l’école fréquentée par Jamie et sa victime : sauf l’amie de la jeune fille assassinée, ils paraissent tout à fait indifférents au drame. Or en réalité, lorsqu’un telle tragédie survient, une grande partie des élèves sont choqués, et en larmes.
Engagée contre un prétendu retour du fascisme, la gauche a pensé pouvoir faire tomber Elon Musk en boycottant son réseau social Twitter / X en début d’année. Mais, comme souvent, elle est partie en ordre dispersé. Bilan des courses, trois mois après l’investiture de Donald Trump : la grande opération HelloQuitteX a fait flop, et le plongeon vers l’inconnu faisait trop peur…
Le 23 juillet 2023, l’étonnement est général. Au réveil, en se connectant à leur compte Twitter, les internautes découvrent que le petit oiseau bleu a disparu. À sa place : un « X » imposant, froid, stylisé. Ce changement, voulu par Elon Musk — qui a racheté le réseau social dix mois plus tôt — marque un tournant radical. C’est le 14 avril 2022 que le milliardaire excentrique propose pour la première fois le rachat du réseau, affirmant vouloir « libérer » l’oiseau bleu d’une plateforme qu’il juge hostile à la liberté d’expression.
C’est l’affaire « The Babylon Bee » qui aurait particulièrement exaspéré Musk, père meurtri dans la sphère privée. Ce compte satirique conservateur avait désigné Rachel Levine — sous-secrétaire américaine démocrate à la Santé, et femme transgenre — comme « Homme de l’année », entraînant sa suspension pour « conduite haineuse ». Après un faux départ, Musk finalise le rachat le 4 octobre 2022, soutenu par une poignée d’investisseurs, et pour la somme astronomique de 44 milliards de dollars.
Du rachat à la campagne présidentielle de Trump
Une fois aux commandes, Elon Musk change radicalement la politique de modération de la plateforme, prônant une liberté d’expression quasi absolue. Il réactive des comptes précédemment bannis pour «propos haineux» ou «incitation à la violence». Certains comptes comme celui du président «émeutier» Donald Trump, du masculiniste Andrew Tate ou du Français Jean Messiha font leur grand retour sur la plateforme.
Très vite, la gauche française s’alarme d’un virage idéologique à droite d’un Twitter rebaptisé « X », désormais perçu comme un foyer de désinformation. Le soutien public de Musk à Trump — puis son élection comme 47e président des États-Unis — précipite la rupture. En réaction, naît le mouvement #HelloQuitteX, incitant à abandonner X au profit de Bluesky, clone assumé de l’ancien Twitter. Fondé par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter en 2019, Bluesky se présente comme une alternative progressiste, respectueuse de la liberté d’expression — mais la bonne, cette fois. LA solution pour boycotter « une machine à manipulation de l’opinion[1] ».
HelloQuitteX : la contre-offensive contre le réseau honni
Le 11 janvier 2025, l’infatigable députée écoféministe Sandrine Rousseau annonce en fanfare avoir envoyé une lettre à tous les élus du Nouveau Front Populaire pour les inciter à quitter X, qualifié de « véritable machine désinformation, arme de destruction massive de la réalité factuelle, et caisse de résonnance (sic) des courant (resic) d’extrême droite » (avec quelques fautes d’orthographe dans le post original, soit dit en passant). Elle tient parole et se déconnecte définitivement le 20 janvier, après une semaine de campagne marquée par de nombreux tweets expliquant sa démarche.
Marine Tondelier, présidente d’EELV, relaie aussi l’appel. Le 12 janvier, invitée du Grand Jury RTL-M6-Le Figaro-Public Sénat, elle déclare : « On doit tous quitter Twitter. Ce réseau devrait être interdit en Europe pour protéger notre démocratie et notre information. » Mais quelques jours plus tard, elle tweete toujours. Il semble que Marine Tondelier ne soit finalement pas tant inquiète que ça pour notre intégrité informationnelle et territoriale, car elle reste depuis très active ! Quand le chef du service politique de RTL Olivier Bost la relance sur le sujet, et semble étonné qu’elle soit toujours inscrite sur le réseau honni, elle confesse, pour se justifier : « Moi toute seule qui quitte un réseau, ça n’a pas énormément d’impact ».
En réalité, les rangs de la gauche ne suivent pas. Aucun des partis du NFP — LFI, EELV, PCF ou PS — n’a désactivé son compte X. Tous restent actifs, parfois silencieux, parfois bavards. Des exceptions confirment la règle : Yannick Jadot, Anne Hidalgo (ainsi que le compte de la mairie de Paris) ont déserté. Mais dans l’ensemble, l’attrait de X reste trop fort.
La plupart des élus ont préféré se tenir à bonne distance de la polémique HelloquitteX. Même opposés idéologiquement à Musk, ils ont choisi de garder leurs abonnés, leur influence… et leurs « buzz ». Louis Boyard, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Sébastien Delogu, Najat Vallaud-Belkacem, Boris Vallaud : tous sont restés. Raphaël Glucksmann, de Place Publique, avait promis un départ « organisé », avec le concours de chercheurs du CNRS. Il est toujours là. Le site du mouvement HelloQuitteX, soutenu par David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, a bien tenté de cartographier les déserteurs et les réfractaires, mais ne met plus à jour ses listes depuis des semaines.
Une portée médiatique considérable
L’initiative HelloQuitteX a largement dépassé le cercle politique. Elle a été promue intensément par des médias où la sociologie politique des journalistes penche plutôt à gauche. Le programme Quotidien, par exemple, annonce son départ de X dès décembre 2023. Il semble alors inciter les téléspectateurs à faire de même. En indiquant quitter X en direct à l’antenne, Yann Barthès surjoue le drame devant un public et des chroniqueurs hilares. Gesticulant (« qu’est-ce qu’on va devenir ? », « la vie vaut-elle d’être vécue ?»), l’animateur se met en scène, fier de montrer son désaccord avec le réseau. Il finira son grand monologue ce soir-là par cette superbe diatribe adressée aux réacs : « Insultez-vous mais sans nous, sans les sacs à merde que nous sommes, sans les collabos gauchiasses tailleurs de pipes qui puent la merde »…
Sauf qu’Étienne Carbonnier, autre vedette du programme, continue depuis à tweeter. Des dizaines de fois, depuis le départ officiel de l’émission. Même constat pour Libération : si le quotidien de gauche quitte bien X en janvier 2025, ses chroniqueurs stars — Thomas Legrand (politique) ou Daniel Schneidermann (médias) — y restent très actifs. Mediapart suit, mais de façon plus ambivalente. Le média quitte officiellement X le jour de l’investiture de Trump. Mais son fondateur, Edwy Plenel, ne résiste pas à l’appel du tweet. À l’inverse, Fabrice Arfi et Marine Turchi respectent la consigne donnée, en ne publiant rien même si leurs comptes ne sont pas fermés. Quant à la chroniqueuse agaçante de France Inter Charline Vanhoenacker, qui avait qualifié Elon Musk de « gros connard de fasciste », bien sûr elle tweete toujours. Même Julia Cagé, économiste de gauche spécialiste des médias, qui pense que Musk est un danger pour la démocratie, reste active sur la plateforme…
Malgré l’indignation initiale et les discours médiatiques musclés, l’appel à quitter X n’a pas été suivi massivement. Bluesky, qui revendique 32,5 millions d’utilisateurs, ne fait pas le poids. Quitter un réseau historique et centralisé comme Twitter/X, c’est risquer de perdre ses abonnés, sa portée médiatique, sa capacité de mobilisation. Un luxe que peu de personnalités publiques peuvent se permettre. En toile de fond, une prétendue fracture stratégique empêcherait une action coordonnée : certains à gauche refusent de « laisser le champ libre » à l’extrême droite. Comme le formule le grand penseur Antoine Léaument, député LFI : « Laisser les utilisateurs dans un monde où il n’y aurait plus qu’une opinion est impensable. » Résultat : une action morcelée, inefficace. Là où une réponse collective aurait pu marquer un tournant, la gauche a agi en ordre dispersé.
Heureusement, si nos progressistes laissent M. Musk un peu plus tranquille ces derniers temps, ils ont vite trouvé d’autres combats. Marine Tondelier vient par exemple de rassurer ses électeurs… sur X: « Je ne ferai pas de starter pack » [2] ! Et rassurez-vous, elle ne fera pas non plus de dessins copiant le studio Ghibli « sans l’autorisation de Miyazaki », afin « qu’il reste de l’eau et de l’art à nos enfants ».
Je ne ferai pas de starter pack.
Ni de dessins copiant Ghibli sans l'autorisation de Miyazaki.
Ces images générées par IA sont irrespectueuses pour des artistes déjà précaires.
Et c'est un gouffre énergétique insensé.
Je préfère qu'il reste de l'eau et de l'art à nos enfants.
[2] En français, « kit de démarrage ». La création d’un «starter pack » est une tendance sur les réseaux sociaux qui vise à partager une image générée par l’IA, représentant une personne sous forme de figurine emballée dans une boîte, entourée d’objets qui la caractérisent
Accusations d’antisémitisme. Donald Trump renouvelle ses accusations contre la prestigieuse université américaine. Selon lui, elle serait devenue un « foutoir progressiste » accueillant « des étudiants du monde entier qui veulent détruire le pays ». L’établissement dénonce des menaces sur la liberté d’enseignement et la liberté d’expression.
Le 14 avril, l’administration Trump décidait de geler 2,2 milliards de dollars de subventions destinées à Harvard. Cette décision faisait suite au refus de l’établissement de se plier aux exigences du Bureau ovale visant à renforcer la protection des étudiants juifs et à lutter contre l’idéologie woke qui fait des ravages sur ses bancs. Alan Garber, le président de Harvard, avait opposé une fin de non-recevoir à ces demandes en déclarant que l’université « n’abdiquerait pas son indépendance » et « n’était pas prête à accepter des exigences qui vont au-delà de l’autorité légitime de cette administration ».
Si la méthode Trump peut dérouter sur d’autres sujets, son engagement constant en faveur de la protection des étudiants juifs sur les campus américains mérite d’être salué. Harvard, qui n’a à aucun moment assuré la protection des étudiants de confession juive, fait preuve d’une mauvaise foi confondante et indigne en invoquant le premier amendement, se terrant ainsi derrière une « liberté d’expression » qu’elle n’a en réalité cessé d’instrumentaliser – et dont le respect serait subitement devenu sa priorité !
A la traîne dans la lutte contre l’antisémitisme
Au lendemain du pogrom du 7-Octobre, tandis que plusieurs associations étudiantes estimaient Israël « entièrement responsable » des attaques terroristes du Hamas, la direction de Harvard se murait dans le silence. Une passivité qui illustre parfaitement l’attitude qui a été celle de l’établissement censé être le plus prestigieux des Etats-Unis, face à la vague d’antisémitisme qui a frappé les universités américaines dès le lendemain du 7 octobre.
Cette inaction coupable a incontestablement favorisé l’expression d’un antisémitisme débridé dont on ne cesse de découvrir les sordides conséquences au gré des affaires sur lesquelles doivent désormais se prononcer les tribunaux américains. En 2023, deux étudiants propalestiniens sont accusés d’avoir agressé physiquement un étudiant juif. Bien que ces deux étudiants soient poursuivis[1], Claudine Gay, la présidente d’alors, n’avait pas pris la moindre sanction à leur encontre. L’université a même récemment publié une tribune signée par Ibrahim Bharmal, l’un des deux accusés[2]. Les déclarations d’un membre du corps enseignant comparant l’existence d’Israël à de la « suprématie blanche » ou estimant que mettre en relation les termes « juif » et « démocratie » conduisait à « créer un environnement hostile » ne furent pas davantage sanctionnées par la direction[3].
Dénonçant ces manquements et considérant que Harvard ne remplissait plus « les attentes en matière intellectuelle et de respect des droits civiques justifiant l’investissement fédéral », l’administration Trump a adressé à la direction de l’établissement plusieurs directives à respecter afin que celui-ci puisse continuer de bénéficier de l’appui financier du gouvernement fédéral[4]. Harvard devra ainsi, notamment, réformer en profondeur sa direction afin de limiter l’influence de tout activisme, mettre en place une politique de recrutement basée sur le mérite et en partager les données avec le gouvernement fédéral, définir une politique d’admission elle aussi basée sur le mérite plutôt que sur des critères ethniques et transmettre les données correspondantes au gouvernement fédéral ou encore accepter un audit d’une commission extérieure afin d’assurer la « diversité des points de vue » et la fin des programmes qui « alimentent le harcèlement antisémite »[5].
Estimant dans une lettre « qu’aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne doit dicter aux universités privées ce qu’elles doivent enseigner, qui elle peuvent enrôler et embaucher, ni sur quelles matières elles peuvent mener des recherches[6] », Alan Garber s’est insurgé contre ces demandes et a décidé de porter l’affaire devant un tribunal fédéral afin que le gel des subventions, qui menacerait selon lui des programmes vitaux comme les recherches en matière d’épidémies infectieuses ou celles relatives au traitement des vétérans blessés au combat[7], soit déclaré illégal.
Par ailleurs, le président de l’université souligne que son université avait mis en place une task force destinée à lutter contre l’antisémitisme. Alors que cette dernière devait rendre son rapport à l’automne 2024, ce document se fait toujours attendre[8]. Les avancées de l’établissement en matière de lutte contre l’antisémitisme se limitent pour l’instant à un maigre mea culpa relayé par ses avocats en ces termes : « Les membres des communités juive et israélienne de Harvard ont signalé des traitements vicieux et répréhensibles »[9].
Cette tendance à l’antisémitisme n’est d’ailleurs pas nouvelle comme l’illustre la décision de l’établissement de limiter le nombre d’étudiants juifs en 1921 ou encore la réception d’Ernst Hanfstaengl, l’ancien attaché de presse d’Adolf Hitler, en 1960. Elle se perpétue aujourd’hui par l’intermédiaire de l’idéologie woke dont l’essence est la lutte contre l’oppresseur blanc. Selon les tenants du wokisme, la civilisation occidentale oppresse les minorités, Israël est un état colonial et les juifs sont le symbole de l’oppresseur blanc. A ce titre, les récentes résolutions de Harvard d’ériger la liberté d’expression en priorité paraissent non seulement insuffisantes mais aussi honteuses dans la mesure où l’université a constamment sacrifié ce principe sur l’autel du wokisme.
Hors sujet sur la liberté d’expression
En 2023, la Fondation pour les Droits Individuels et l’Expression classait Harvard à la dernière place en matière de liberté d’expression, décrivant le climat entourant l’exercice de cette liberté dans l’établissement comme « épouvantable »[10]. On ne sait dès lors pas bien si la défense de l’université relève plus du cynisme ou de l’incompétence. La lettre publiée par Alan Garber sur le site de l’université prétend en effet que les exigences de l’administration Trump constitueraient une violation du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis et notamment de la liberté d’expression que ce dernier protège.
Le problème est que Harvard entretient une conception biaisée de ladite liberté d’expression qui a éclaté au grand jour lors des manifestations post 7-octobre. Dans un campus où il ne fait pas bon mégenrer, les appels à l’intifada ne dérangent personne dans la mesure où ils sont considérés comme l’expression d’une « résistance légitime » contre les oppresseurs. A ce titre, les manifestants affichant leur soutien aux terroristes du Hamas ne sont pas inquiétés par l’établissement[11].
Harvard entend en réalité promouvoir la liberté d’expression à partir du moment où ceux qui en font usage ne dérogent pas à la pensée unique en vigueur sur son campus. Cela implique notamment d’être entièrement acquis à la cause wokiste. En juillet 2024, Lawrence Bobo, doyen des sciences sociales de Harvard nommé par Claudine Gay, déclarait que quiconque critiquait Harvard ou ses politiques devait faire l’objet de sanctions[12].
En octobre 2024, Harvard mettait en place une politique de « doxing » dangereusement restrictive visant à lutter contre le harcèlement en ligne[13]. D’après ces règles, tout membre de l’université peut être sanctionné pour avoir partagé des informations relatives à un autre étudiant dans l’intention de harceler l’étudiant concerné. Les termes employés sont très vagues et pourraient aboutir à des situations préoccupantes en matière de liberté d’expression. Comme le souligne le National Review, il serait ainsi autorisé de manifester sur le campus mais interdit pour quiconque de publier une photo d’un manifestant avec un commentaire contestant l’objet de la manifestation[14].
Donald Trump ne fait pas fausse route lorsqu’il fait mine de s’interroger sur le statut de Harvard en ces termes : « Peut-être que Harvard devrait… être taxée comme une entité politique si elle continue à promouvoir des maladies politiques, idéologiques et inspirées/soutenues par le terrorisme ? » avant de brandir le retrait de l’exonération fiscale dont bénéficie l’établissement comme menace : « N’oubliez pas que le statut d’exonération fiscale est totalement conditionné par le fait d’agir dans l’intérêt général ! ».
Alors que son président crie à l’ingérence de Washington, Harvard se montrait moins regardante quand les directives émanaient d’une administration démocrate. Biden et Obama ont plusieurs fois utilisé la loi fédérale pour influencer les universités. En 2016, Barack Obama avait par exemple poussé les universités à adopter une ligne dure pour sanctionner les étudiants réfractaires à l’idéologie transgenre en exigeant des universités qu’elles autorisent les étudiants transgenres à utiliser les toilettes qui correspondent à leur identité de genre[15].
Le cas de Harvard semble désespérant et sa conception de la liberté d’expression, qui oscille entre mauvaise foi et totalitarisme idéologique, ne fait pas honneur à sa devise (« Veritas »). Une amélioration est toutefois à noter en termes de réactivité. Alors que l’université a tergiversé pendant de longs mois au sujet de l’antisémitisme qui sévissait sur son campus, elle n’aura mis que quelques jours à organiser une riposte contre les sanctions financières décidées par l’administration Trump.
François sera enterré au Vatican ce samedi. Le cercueil papal est exposé depuis mercredi à la basilique Saint-Pierre de Rome. Après la cérémonie, il sera transféré à la basilique Sainte-Marie-Majeure. Donald Trump, Emmanuel Macron ou Volodymyr Zelensky ont notamment prévu d’assister aux obsèques
Immense émotion mondiale à la suite de la mort du pape François au petit matin du lundi de Pâques. Comme s’il avait retenu son dernier soupir jusqu’à cette date tellement capitale et symbolique pour tous les catholiques. Il sera enterré samedi 26 avril.
Il est évident que je vais faire preuve, encore davantage qu’à l’ordinaire, de la décence que toute disparition devrait nous inspirer. Ce pape dont, depuis des mois, on connaissait le fragile état de santé, est mort pourtant dans une stupéfaction universelle douloureuse comme si on espérait son existence éternelle.
Un Pape « engagé »
Pour ma part, ma culture catholique m’ayant conduit à toujours le respecter et à le traiter, même quand il me déstabilisait un peu, non pas comme une personnalité politique mais tel l’évêque de Rome et le chef de notre Église, j’avoue avoir parfois été surpris.
Par le dédoublement entre, d’un côté, un pape heureusement conservateur, intransigeant sur les principes de base, ne s’abandonnant dans ces domaines sensibles à aucune provocation ni incongruité – la bénédiction pour les couples homosexuels me semblait une suggestion bienvenue -, de très bon conseil sur le plan des directives et orientations qu’il imposait à la curie et, de l’autre, une extrême sensibilité progressiste, humaniste, ciblée sur les périphéries, les migrants, les vulnérables, les blessés de la vie.
S’agissait-il, comme je l’ai cru longtemps, d’une politisation qui par moments semblait faire tomber ce pape bien au-delà de ce que son exercice classiquement pontifical aurait engendré ? Je ne pouvais pas m’empêcher d’éprouver, face à la liberté dont il usait et à l’authentique générosité qui était la sienne, un malaise devant ce qui me paraissait constituer un risque pour l’ensemble de la communauté catholique, susceptible d’être fracturée par des positions papales qui frôlaient tellement l’engagement qu’elles tombaient quasiment dans le partisan.
Tout ce que je lis et entends depuis sa mort me fait naturellement réfléchir et il aurait été absurde de ma part de ne pas m’en soucier et de ne pas en tirer des enseignements pour mon propre regard sur ce pape qui dans tous les cas ne laissait personne indifférent. Parce que son obsession était sans doute plus d’agiter le monde que de tranquilliser l’univers catholique.
Est-ce à dire qu’il dégradait sa parole et son action en un exemple de combat ordinaire, hémiplégique et injuste par les options qu’il pouvait choisir et dont la ligne principale était de mettre en lumière et en pitié des causes généralement abandonnées ? Je n’en suis plus si sûr.
D’abord sa volonté de simplicité, et de dépouillement forcément relatif mais incontestable (exemples dans sa vie quotidienne et dans son lieu de sépulture), sa dilection pour la piété des gens du peuple, qu’il a tellement appréciée en Corse, sont des éléments qui ne pouvaient que toucher des catholiques effrayés ou lassés par la surabondance du somptuaire. Il y avait dans le comportement papal une rectitude, une évidence de dignité et de proximité, exemplaires au point de nous rendre fiers d’une personnalité dont la politique pontificale nous laissait parfois sur notre faim. Quand le pape François déclarait aspirer à « une église pauvre pour les pauvres », il était profondément crédible.
On aurait pu lui reprocher, comme souvent pour les êtres d’exception, tant leur désir de surprendre pour le meilleur est intense, de s’être attaché d’abord à ce qui n’était pas son prochain immédiat mais à des compassions, des sollicitudes et des soutiens plus éloignés. Comme si le premier allait de soi et les seconds avaient été trop longtemps sacrifiés.
Dès lors que ce pape avait pour exigence de cœur et d’esprit fondamentale la paix, la concorde entre les nations, le refus absolu de la guerre, l’équité internationale, il était inévitable que d’une certaine manière il concédât bien plus à Dieu qu’à César. Aucun pape n’a apposé plus que lui, sur la fureur, la violence et le chaos du monde, le voile qu’il n’hésitait pas à rendre impérieux d’une morale universelle dont le catholicisme était l’incarnation emblématique.
Faut-il considérer que dans l’exercice de sa charge suprême il avait décidé d’être de gauche comme nos politiques ordinaires ? Répondre affirmativement serait s’égarer à mon sens. Ce qui est certain en revanche est qu’il a poussé à l’extrême une vision de l’Évangile qui, si on élimine la référence à César et à la politique qui ne regarde pas le religieux, pourrait être sans abus qualifiée de gauche, si on rapetisse le message de Jésus au lieu de le vouloir universel. Celui d’une humanité nue qui ne s’embarrasse pas d’un camp ou de l’autre.
Il est difficile pour un pape, même le plus engagé dans les troubles et les désordres du siècle, de changer le cours des choses même si son verbe et son influence partout où il passe valent mieux, sont plus opératoires, que toutes les comédies politiciennes.
Arrivant au terme de ce billet, je ne voudrais pas moi-même porter sur ce pape formidablement atypique un jugement banal, en le réduisant à ce que nous sommes au quotidien : des adeptes du relatif. Son catholicisme était extrémiste, absolu. La tiédeur n’était pas son fort.
Lille: le lycée musulman Averroès de nouveau sous contrat d’association avec l’État
On s’en serait douté, la France insoumise exulte. Elle voit, à juste titre d’ailleurs, dans la décision du tribunal administratif une victoire de la communauté éducative de cet établissement phare. Une victoire sur la prétendue islamophobie d’État.
En 2023, la préfecture du Nord avait décidé de rompre ce contrat d’association. L’établissement perdait donc de ce fait tout droit aux financements publics, dont, entre autres, le paiement des traitements de son personnel enseignant et la prise en charge d’une grande partie, évaluée à 75%, de ses frais de fonctionnement.
Les arguments de la préfecture : « Manquements aux valeurs de la République », « financement illicite » assortis du refus d’une inspection inopinée qui aurait été effectuée en même temps qu’un passage de la commission de sécurité.
Un camouflet pour le gouvernement
La juridiction administrative estime que l’administration préfectorale n’a pas « suffisamment démontré les faits reprochés au lycée, notamment le manquement au pluralisme culturel de la documentation accessible aux lycéens, ainsi que le caractère contraire aux valeurs de la République du cours d’éthique musulmane. » Même insuffisance de preuves, selon le tribunal, pour le financement illicite. Quant au refus de l’inspection inopinée, il n’y aurait rien là d’assez grave pour justifier la sanction.
De surcroît, le tribunal argue d’irrégularités dans la procédure ayant abouti à la rupture du contrat. En cause, notamment, la communication jugée tardive de certaines pièces, ne laissant pas le temps aux avocats de l’établissement de préparer leur défense, ainsi que le recours à « une note blanche non signée » présentée comme le complément d’un rapport d’inspection daté du 22 janvier 2022. Cette note mentionne en particulier la mise à disposition par le Centre de Documentation de l’établissement d’ouvrages de Hassan Iquioussen, l’imam expulsé de France pour incitation à l’antisémitisme et au racisme. Là encore, le tribunal considérera qu’aucun « élément probant de la présence de ces ouvrages au CDI », n’a été apporté.
Effet rétroactif
Donc, le lycée musulman Averroes voit son contrat d’association avec l’Etat réactivé. De nouveau, ses enseignants – agents publics – seront payés et son fonctionnement en grande partie assuré sur les fonds eux aussi publics. En d’autres termes, par le contribuable. Cela dit, la décision est assortie d’un effet rétroactif ce qui implique que l’État devra verser à l’institution l’intégralité des sommes que celle-ci aurait dû percevoir pendant la rupture.
Certes, le ministère de l’Education nationale se réserve le droit d’interjeter appel, mais cet appel n’étant pas suspensif, ce qui a été édicté par l’instance administrative devient exécutoire.
Il est à noter qu’une comparable procédure en rupture de contrat est en cours concernant, dans la région de Lyon, le lycée musulman Al Kindi, procédure qui, bien entendu, fait l’objet des mêmes recours administratifs que ceux déployés, avec succès donc, à Lille.
En réalité, ces péripéties judiciaires ne sont que l’illustration – inquiétante – d’un échec. L’échec de l’intégration des vecteurs d’enseignement musulman au sein de la République.
Le fait que seulement deux lycées se retrouvent confrontés à ces différends de fond nous apporte la preuve éclatante que, à proportion du nombre de musulmans présents sur le territoire national, les structures éducatives liées à cette religion ne se bousculent guère pour rechercher, via le contrat d’association, la conformité aux lois, valeurs et préceptes républicains. Ce formidable écart devrait être, en effet, un sujet de préoccupation majeur pour l’État…
Le fait également, que ce n’est que par le biais d’une argumentation toute défensive qu’est prise la décision de rétablir le contrat. En effet, le tribunal administratif n’affirme en aucune manière que les manquements reprochés à l’établissement n’existent pas. Il s’en tient à arguer du fait que les éléments probants seraient insuffisants, ce qui est tout différent. Et c’est bien pour cela que les islamolâtres de LFI crient victoire. « Ce n’est qu’une première », s’est félicité l’un des avocats du lycée, leur emboîtant le pas. Les autorités savent donc à quoi s’en tenir. Le choix est simple – simple mais terrible – céder ou faire front. Un premier élément de réponse est à venir avec la décision du ministère de l’Education nationale de faire appel ou non. Qu’il soit entre les mains de Mme Borne n’est pas là pour nous rassurer, cela glissé en passant. A voir, donc.
À voir aussi la place qu’occupe dans l’enseignement dispensé dans ce lycée la pensée d’Averroès, puisqu’ils en ont fait leur étendard. Puissamment inspiré d’Aristote, ce Cordouan, théologien et philosophe de première grandeur, considérait que la philosophie devait être de pratique obligatoire pour toute personne se voulant instruite ou exerçant une autorité. Dans cet esprit, il recommandait le recours aux sciences profanes, la logique, la physique, par exemple en complément de la pratique médicale. Surtout, position d’une modernité saisissante, il établissait formellement une distinction – une séparation – entre droit et théologie ! Bref, l’exact opposé de ce que promeuvent aujourd’hui les Iquioussen de tous poils et l’engeance des Frères musulmans.
Inutile de préciser que lorsque les intégristes Almoravides supplantèrent les Almohades, Averrroes fut promptement déclaré « Traître à la religion ». Et, on s’en doute, traité comme tel. Que l’établissement lillois s’en inspire serait déjà, en soi, une petite victoire de la raison sur l’obscurantisme. Et nous comprendrions mieux dès lors l’opportunité d’un contrat d’association.
Ronen Bar, le chef du service de renseignement intérieur, a été limogé par M. Nétanyahou pour « manque de confiance », une décision suspendue par la Cour suprême. Il a répliqué en transmettant deux lettres (une publique, une confidentielle) accusant le Premier ministre d’atteintes graves à l’État de droit. L’affaire révèle une société israélienne profondément divisée, où les institutions censées rester neutres sont de plus en plus politisées.
La crise politique israélienne a franchi un nouveau seuil avec l’affrontement désormais ouvert entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le chef du Shin Bet, Ronen Bar. La Cour suprême a accordé à Netanyahou un délai supplémentaire, jusqu’au 27 avril 2025, pour répondre à un affidavit[1] explosif de 31 pages (une partie rendue publique, et une autre classifiée) remis par M. Bar, dans lequel ce dernier accuse le chef du gouvernement israélien d’avoir tenté de l’instrumentaliser à des fins personnelles et politiques. Ce nouvel épisode s’inscrit dans une série de tensions croissantes entre les pouvoirs exécutif, judiciaire et sécuritaire, mettant en péril les équilibres institutionnels de l’État hébreu.
Falsifications
Dans sa déclaration sous serment déposée le 21 avril, Ronen Bar accuse Netanyahou de lui avoir demandé à plusieurs reprises de violer l’indépendance de ses fonctions. Trois éléments majeurs ressortent. D’abord, la surveillance illégale : Netanyahou aurait exigé que le Shin Bet[2] place sous surveillance des figures de la société civile, notamment des organisateurs et soutiens financiers du mouvement de protestation contre sa réforme judiciaire. Il convient de rappeler que, si le mandat du Shin Bet inclut bien la lutte contre la subversion et l’insurrection, des critères stricts ont été définis et validés par la justice pour distinguer la contestation, même radicale ou violente, des agissements sortant du cadre légal. Selon M. Bar, les personnes ciblées ne répondaient pas à ces critères.
Ensuite, Bar affirme que le Premier ministre a tenté d’obtenir un avis sécuritaire falsifié afin d’éviter de comparaître dans son procès pour corruption, en invoquant des risques pour la sécurité nationale. Enfin, il dénonce une exigence de loyauté personnelle inconditionnelle, y compris au mépris des décisions de la Cour suprême, exigence qu’il a refusée. Ces révélations, qualifiées de « mensongères » et de « fabrications politiques » par le bureau de M. Netanyahou, ont provoqué un véritable séisme au sein des cercles politiques et sécuritaires.
En mars 2025, Netanyahou annonçait son intention de révoquer Ronen Bar, invoquant une « perte de confiance », dans un contexte marqué par le lourd bilan de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, au cours de laquelle plus de 1 200 personnes ont été tuées. Bar avait reconnu une part de responsabilité, tout en soulignant que les alertes émises par ses services avaient été ignorées à d’autres niveaux de l’exécutif.
Particularité israélienne : pas de constitution écrite !
La conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, s’est opposée à cette révocation, estimant qu’elle n’était fondée sur aucun motif professionnel objectif mais motivée par des considérations politiques. Elle a saisi la Cour suprême, qui a suspendu la décision dans l’attente d’un examen approfondi. Déjà en désaccord avec le gouvernement sur d’autres dossiers sensibles, Mme Baharav-Miara apparaît ici comme le dernier rempart juridique contre un possible arbitraire de l’exécutif.
Pour comprendre pleinement l’enjeu, il convient de s’arrêter sur le rôle constitutionnel de la conseillère juridique du gouvernement, bien plus large que ne le laisse supposer son titre.
Dans les démocraties contemporaines, rares sont les systèmes dans lesquels une seule figure concentre à la fois les fonctions de conseillère juridique de l’exécutif, de cheffe du ministère public, et de représentante de l’intérêt général devant la Cour suprême. C’est pourtant le cas en Israël, où la conseillère juridique du gouvernement incarne un contre-pouvoir à la fois redouté, contesté et essentiel.
Le cœur du paradoxe israélien réside dans cette concentration de prérogatives : là où la plupart des régimes occidentaux séparent les fonctions de procureur général, de conseiller juridique et d’avocat de l’État, Israël a, dès ses premières décennies, choisi de les fusionner. L’objectif initial était d’assurer la cohérence de l’action de l’État, d’éviter les conflits de compétences et de garantir une lecture uniforme du droit. Mais ce modèle a fait de la conseillère juridique une gardienne du régime démocratique, dotée d’un pouvoir d’obstruction significatif face aux dérives de l’exécutif.
Son autorité ne repose pas sur une loi fondamentale spécifique, mais sur la jurisprudence, les usages administratifs, et une tradition issue du droit anglo-saxon. Ses avis sont contraignants tant qu’ils ne sont pas annulés par la Cour suprême, ce qui arrive. Elle peut refuser de défendre certaines décisions, présenter devant le juge une position indépendante, voire s’opposer à des nominations ou projets de loi jugés contraires aux fondements de l’État de droit.
Cette architecture institutionnelle singulière ne va pas sans controverses. Certains y voient une dérive technocratique, une captation du pouvoir démocratique par une élite juridique non élue. D’autres, au contraire, y reconnaissent le dernier garant de l’équilibre des pouvoirs dans un État où l’exécutif tend à se déployer sans contrepartie institutionnelle suffisante.
C’est à cette lumière qu’il faut analyser la tentative de limogeage de Ronen Bar. L’affaire met en tension deux logiques irréconciliables : celle de la sécurité nationale, qui exige efficacité et unité de commandement, et celle de l’intégrité institutionnelle, qui repose sur l’indépendance des organes de sécurité. En refusant d’obéir à des ordres politiquement orientés, M. Bar s’est érigé en défenseur de la déontologie du renseignement, mais aussi en symbole d’une résistance administrative à la personnalisation du pouvoir.
La Cour suprême, souvent critiquée mais toujours centrale dans l’architecture démocratique israélienne, se retrouve une fois de plus en position d’arbitre. Sa décision, attendue pour le 27 avril, dira dans quelle mesure et dans quelles limites le pouvoir judiciaire est encore en mesure d’imposer des freins à un exécutif fort de son soutien parlementaire.
La fraternité jusqu’à l’aveuglement ? Concernant la Chine, Israël ou l’islam, derrière les apparences, le Pape François n’ignorait en réalité rien des contraintes de la realpolotik.
Pour les chrétiens, le dimanche de Pâques est le jour de la résurrection du Christ, autrement dit l’anniversaire de l’événement fondateur du christianisme. C’est le jour le plus important du calendrier, où Noël n’est arrivé que quelques siècles plus tard. Le Pape François, épuisé depuis sa sortie de l’hôpital a écrit la bénédiction Urbi et Orbi, n’a pas pu la prononcer lui-même, mais est allé à la rencontre de la foule. Le lendemain matin, il était mort. J’ai pensé à une étude américaine sur les décès des personnes âgées juives autour de la Pâque. Les jours qui précédaient la fête, les décès étaient plus rares que les jours qui la suivaient, comme si des malades qui tenaient à vivre cet événement en famille lâchaient prise après…
François avait fait jusqu’au bout son travail de Pape, en accord avec des principes d’une exigence extrême. Ce n’était pas pour rien que le jésuite Bergoglio avait pris un prénom que nul Pape ne s’était avisé de choisir: celui de l’apôtre des pauvres, de l’amour universel envers les créatures, hommes ou bêtes qui peuplent la nature divine et accessoirement le précurseur du dialogue avec l’islam par sa rencontre avec le Sultan d’Egypte au cours de la cinquième croisade.
Le Pape François a suivi avec une extraordinaire détermination l’exemple de François d’Assise, qui lui-même s’alignait sur le Sermon sur la Montagne tiré de l’Evangile de Mathieu, éloge de la préférence envers les pauvres et les opprimés.
Ironie du destin, ce fut un Américain, catholique fervent depuis son récent baptême, aussi strict que lui sur l’avortement et sur la fin de vie, mais opposé quant au reste, qui fut un de ses derniers interlocuteurs: J.D. Vance, vice-président d’un Donald Trump que François avait vertement critiqué lors de son premier mandat.
Enfin dans l’homélie de cette journée historique, un détail insolite: l’inquiétude du Pape sur la montée de l’antisémitisme.
Lorsque le cardinal Bergoglio est devenu François, tous les indicateurs étaient au vert dans les communautés juives. J’ai eu l’occasion, après son élection, d’être reçu au sein d’une délégation juive d’Amérique du Sud, surtout des Argentins, et j’ai été frappé par la cordialité de leurs relations. Le discours du Pape était plein d’angoisse. Parlant des chrétiens d’Orient, il nous prit à témoins: « Parce que vous êtes Juifs, vous, vous pouvez comprendre mieux que les autres que ce qui se passe là-bas, c’est un génocide ! ». J’ai trouvé le terme inapproprié au regard de ce que je savais, mais je n’ai pas pris la parole.
La suite l’a confirmé.
On dit que le Pape François a parlé d’un génocide possible à Gaza dans un livre d’entretien de novembre 2024. Mais il l’avait utilisé auparavant. En novembre 2023, des familles palestiniennes reçues au Vatican ont déclaré qu’il avait parlé de génocide. Si j’en crois mon expérience personnelle le Pape François utilise ce mot de façon laxiste, en fonction de son ressenti moral; et non de critères juridiques. Si la Cour Internationale de Justice n’a pas statué, un observateur impartial sait qu’il n’y a pas à Gaza les critères d’un génocide dans lesquelles l’intentionnalité est fondamentale. Ce terme est une arme, extrêmement efficace, dans une guerre des mots menée contre Israël. Le Pape en a été malheureusement un transmetteur.
Gabriel Romanellin curé de Gaza
Depuis le 7 octobre 2023, très nombreuses ont été les références du Pape François au drame que vivent les Gazaouis. Tous les soirs, jusqu’à la veille de sa mort il s’entretenait avec le curé de la minuscule communauté chrétienne de Gaza, le père Gabriel Romanelli, un Argentin comme lui. Beaucoup de personnes proches du Pape François témoignent aujourd’hui de la profondeur affective qu’il pouvait mettre dans ces relations humaines. C’est ce qui s’est passé avec Gaza, source personnelle d’émotions et de colère. Il a reçu des familles d’otages israéliens, il a réclamé leur libération, mais il n’a pas créé avec eux les mêmes liens. De même; sans qu’il les ait négligés dans ses discours, je ne vois pas, en dehors évidemment des réfugies, qui ont été le fil conducteur de son pontificat, qu’il se soit mobilisé émotionnellement avec la même intensité pour d’autres lieux de la planète où des hommes et des femmes, chrétiens ou non, étaient persécutés: il a gardé des relations courtoises avec les dirigeants iraniens, sans fulminer contre les crimes contre l’humanité qu’ils produisent en cascade, Et pourtant, il avait vu dans sa jeunesse les ayatollahs à l’œuvre dans les attentats contre l’AMIA…
En ce qui concerne le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe, notoirement un homme du KGB, avec lequel il avait eu en 2016 une rencontre historique sur…. l’aéroport de La Havane, les relations se sont dégradées car le Pape a manifesté son soutien à l’Ukraine, même s’il n’a jamais, même à Boucha, désigné la responsabilité russe. Avec la Chine il a signé un accord qui laisse au gouvernement le contrôle sur l’Église catholique chinoise. François n’ignorait pas entièrement les contraintes de la Realpolotik.
C’est dans cet espace entre volonté de paix et exigences de la diplomatie qu’il faut analyser ses relations avec l’islam, indiscutablement un marqueur de son pontificat, comme les relations avec les Juifs l’avaient été au temps de Jean Paul II.
Le Pape François a systématiquement réagi aux attentats islamistes qui ont parsemé son pontificat par la compassion envers les victimes, la condamnation du terrorisme au nom de Dieu et l’appel à ne pas associer l’islam à la violence. Ces réactions traduisent la volonté -admirable- de ne pas essentialiser l’ennemi, mais la crainte de stigmatiser et la recherche d’équilibre ont parfois conduit loin dans l’occultation des responsabilités.
Sur la place Saint Pierre, dimanche 8 octobre 2023, le Pape François fait état de son appréhension et de sa tristesse; il prie pour ceux qui ont vécu ou vivent encore des moments de terreur et d’angoisse. Il conclut que le terrorisme n’est pas une solution et que la guerre est toujours une défaite. Il ne prononce pas, et ne prononcera pratiquement jamais, le mot « Hamas ».
En novembre 2023, il a reçu des familles d’otages israéliennes, et dans la soirée des familles de prisonniers palestiniens en Israël. A l’issue de ces deux rencontres, dont le parallélisme avait choqué les amis d’Israël, il a déclaré «Là, ce n’est plus la guerre, c’est du terrorisme», sans préciser s’il parlait des massacres du 7-Octobre ou, comme la plupart l’ont compris, de la réaction israélienne.
A aucune de ses invocations du malheur des Gazaouis il ne faisait allusion aux terroristes du 7-Octobre et à leur chantage sur les otages: un seul responsable apparaissait en filigrane, Israël. De cette époque date le désamour entre le Pape François et les Juifs.
De passage pour un enterrement, j’ai ressenti la profonde déception de la communauté juive romaine, celle qui avait été au premier rang des initiatives de Jean Paul II.
Toute sa vie cependant, le Pape François a témoigné que les acquis de Nostra Aetate étaient irréversibles, que l’antisémitisme était une tare dont l’Eglise s’était enfin débarrassée et qu’il n’était pas question de la réalimenter. Il n’y a pas à douter de cet engagement. Son rôle a été déterminant pour rendre accessible aux chercheurs l’ensemble des archives du pontificat de Pie XII, archives qui confirment ce que la plupart pressentaient et que certains cherchaient à édulcorer, que le Vatican était parfaitement au courant de l’extermination des Juifs. Mais tout se passe comme si cet engagement indiscutable l’avait rendu partiellement aveugle et sourd aux dérives de l’israélophobie et aux sous-entendus de l’islamisme. Il est significatif que sa dernière homélie se soit inquiétée de la montée de l’antisémitisme, mais n’ait pas remis en cause l’idéologie qui l’alimentait.
En mai 2014 le Pape François a effectué un voyage en Israël. Plus exactement, il a effectué un pèlerinage en Terre Sainte au cinquantième anniversaire de la rencontre entre Paul VI et le patriarche orthodoxe Athénagoras. A Bethléem il posa ses mains sur le mur de séparation construit par les Israéliens dans le contexte de violences intenses au cours de la Seconde Intifada, un geste qui reflétait l’engagement du Pape François en faveur des opprimés mais qui suscita un malaise que ni sa visite à Yad Vashem, ni sa présence sur la tombe de Herzl ne parvinrent à dissiper.
Fratelli Tutti
La grande cause du pontificat du Pape François a été celle de la fraternité humaine dont témoigne l’encyclique Fratelli Tutti, publiée en 2020 le jour de la fête de François d’Assise.
Peut-être parce qu’il considérait que le rétablissement des liens avec les Juifs était une histoire acquise, plus certainement parce que les liens avec les musulmans, tellement plus nombreux que les Juifs, lui parurent la clef d’une coexistence harmonieuse, le Pape a cherché à établir avec l’islam des liens qu’aucun autre pontife n’avait développés de façon aussi spectaculaire et persévérante.
Son interlocuteur sunnite, Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar au Caire, a réagi à la mort du Pape François en l’appelant son frère en humanité. Ensemble ils ont signé à Abu Dhabi un «Document sur la fraternité humaine» dans lequel il est écrit que «La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer». Aussi louable soit-elle, cette phrase est malheureusement une illusion. Aujourd’hui la foi sert souvent à tuer sans ressentir de remords. Au demeurant, Ahmed Al-Tayeb qui a défendu l’autonomie de Al Azhar contre les Frères Musulmans, qui a approuvé la destitution de Mohamed Morsi en 2013 et qui se dit partisan d’un islam modéré, non politique, voire un peu soufi, a accueilli avec enthousiasme les massacres du 7-Octobre. Sa fraternité de croyant ne s’étend pas aux victimes de ce jour-là. Il a écrit sur le fait que l’expropriation des Palestiniens était le crime des crimes de l’humanité. Et il réserve sa compassion aux Gazaouis sans s’interroger sur la responsabilité du Hamas dans la guerre.
Il en est de même pour Mahmoud Abbas en Cisjordanie qui cherche un peu de légitimité interne dans un discours antisémite classique et qui réserve à usage externe ses déclarations pacifiques.
Comme d’autres qui ne partageaient pas ses objectifs religieux, le Pape François a fait des Palestiniens le paradigme des victimes. Cela est faux au regard de l’histoire qui révèle que le palestinisme a été grandement une fabrication idéologique destinée à servir les menées du nationalisme arabe, puis du soviétisme et enfin de l’islamisme.
Les objectifs du Pape François étaient différents, aussi spirituellement admirables qu’humainement irréalistes. Ils étaient ceux de la paix à tout prix et du souci prioritaires envers les déshérités. Ce sont là des idées qui parcourent l’histoire du christianisme et qui ont été habituellement tenues à l’écart par les hiérarchies qui se sentaient plus confortables avec la notion de guerre juste, définie entre autres par Thomas d’Aquin.
Il est vrai que le Pape François lui-même a déclaré le 11 octobre 2023 qu’Israël avait le droit de se défendre, ce qui nous parait la moindre des choses, mais ne l’était peut-être pas pour un pacifiste absolu. Il a cependant assorti ce droit d’exigences de proportionnalité et de précautions dont le respect strict aurait lié les mains aux Israéliens.
Au cours de l’histoire, les Juifs ont beaucoup donné en tant que victimes innocentes. Ils en ont même tiré la doctrine du Kidoush Hachem, d’acceptation du martyre sans résister et sans profaner le nom divin. Le sionisme a imposé une autre perspective, celle de la défense pour se maintenir en vie. Aujourd’hui les Israéliens font face à ceux qui tiennent un troisième narratif, celui où les récompenses divines proviendront de la capacité à exterminer les ennemis, qualifiés d’ennemis de Dieu.
Les partisans de la paix ne doivent pas vivre dans le déni. Le bien n’est pas forcément contagieux et certaines guerres sont nécessaires. L’illusion pacifique a abouti avec le nazisme à la catastrophe que l’on sait et il en sera de même avec l’idéologie véhiculée par le Hamas et ses acolytes si rien n’est fait pour l’arrêter.
Depuis mardi, la capitale belge ne se contente plus de ses gaufres et de son Manneken-Pis pour briller, elle affiche aussi fièrement et officiellement ses valeurs de tolérance…
Il fallait les voir, fiers et valeureux, les élus socialistes, écologistes, libéraux et leur suite au moment d’adopter à l’unanimité, durant le conseil communal, une motion faisant officiellement de Bruxelles une « ville antifasciste ». Évidemment, ça ne veut rien dire, ça ne sert qu’à renforcer les égos de quelques résistants de salon, ça n’aura aucun impact car il ne reste plus beaucoup de « fascistes » au sens historique du terme.
Antisionisme, vous disiez ?
Pendant ce temps-là, Bruxelles continue d’être gangrenée par l’antisémitisme. Les pavés de la Mémoire, honorant le souvenir de victimes du nazisme, ont été récemment tagués du mot de ralliement des islamo-gauchistes : « Gaza ». Après cela, il sera encore difficile pour les agités du drapeau palestinien de nous faire croire que leur antisionisme revendiqué n’est pas avant tout un antisémitisme.
Quelques jours plus tôt, des affiches dénonçant l’antisémitisme ont été arrachées, quelques minutes après leur apparition, à l’Université libre de Bruxelles (ULB), là même où l’extrême gauche toute-puissante sème la terreur depuis de nombreux mois. Sur l’une d’elles, on pouvait lire : « Ici, les juifs doivent cacher leur identité ». L’Union des étudiants juifs de Belgique, à l’origine de la campagne, a ainsi rappelé que certains de leurs coreligionnaires ont peur de se rendre sur le campus par crainte d’être agressés.
Antifascime : un combat d’arrière-garde
Ces incidents s’inscrivent dans une série d’actes, de propos, de dérapages antisémites de plus en plus fréquents à Bruxelles : présidente de parti qui partage une chanson appelant à tuer les fils de Sion sur ses réseaux sociaux, manifestations où pullulent des slogans nauséabonds (« Gloire à Sinwar », « From the river to the sea »…), professeur israélien menacé de se voir interdire une conférence… Selon un sondage, près d’un Bruxellois sur quatre ne se cache d’ailleurs pas au moment de témoigner son antisémitisme.
Au lieu de se déclarer emphatiquement « ville antifasciste », Bruxelles n’eût-elle pas été inspirée de se revendiquer « ville anti-islamiste » ? Personne, en effet, n’est dupe : ce ne sont pas des groupuscules néo-nazis qui suscitent la terreur auprès de la population juive de la capitale belge, mais bien des islamistes qui ont désormais pignon sur rue et ne sont guère inquiétés par les responsables politiques tout heureux de trouver parmi eux une clientèle électorale qu’ils craignent de plus en plus. Les temps orwelliens se définissent souvent mieux par des oxymores : c’est ainsi que Bruxelles commence à devenir une « ville antifasciste antisémite ».
Pourquoi les intellectuels se trompent : le titre du livre de Samuel Fitoussi est à lui seul un programme. Avec une plume acérée et une érudition accessible, l’essayiste interroge les raisons profondes pour lesquelles une partie du monde intellectuel, censé éclairer le jugement public, s’illustre régulièrement par des égarements spectaculaires. Avant de publier ce nouvel essai, Samuel Fitoussi avait signé en septembre 2023 le remarqué, Woke Fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries (Le Cherche Midi)
Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.
Ses sujets de prédilection incluent la politique française, les relations internationales, les débats sociétaux et les médias. Par exemple, il a imaginé dernièrement une lettre ouverte d’un fact-checker en colère après l’annonce de Mark Zuckerberg souhaitant renoncer à la vérification de l’information sur ses réseaux sociaux. Il a également proposé le 9 décembre 2024 un discours imaginaire d’Emmanuel Macron aux Français au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier, intitulé « Vous ne me méritez pas ».
Une parole sans conséquence : la spécificité de l’intellectuel
L’un des apports les plus intéressants de son ouvrage réside dans la relecture du rôle de l’intellectuel à travers le prisme de l’économie des idées. En mobilisant Thomas Sowell, Fitoussi rappelle que l’intellectuel n’a pas de « skin in the game » : ses erreurs ne lui coûtent rien, à la différence de l’entrepreneur ou de l’artisan. Cette déconnexion du réel expliquerait la facilité avec laquelle des figures aussi prestigieuses que Sartre, Foucault ou Beauvoir ont pu soutenir des régimes meurtriers. Ces errements idéologiques ne sont pas des accidents, mais des symptômes d’un système d’incitations déséquilibrées. « D’un côté, pour un intellectuel, le prix de l’erreur est faible puisqu’il ne subit pas personnellement les conséquences de ses mauvaises idées. De l’autre côté, le prix à payer s’il énonce une vérité peut être élevé dans le cas où celle-ci ne coïncide pas avec ce que les autres estiment être la vérité. »
L’intellectuel contre sa société : entre posture morale et distinction sociale
Fitoussi analyse longuement la fascination pour l’anti-occidentalisme comme une forme moderne de prestige moral. À la suite de Roger Scruton, il parle d’oikophobie, ce rejet systématique de sa propre culture, souvent au profit d’utopies lointaines. Steven Pinker complète cette analyse : dans la concurrence symbolique pour la reconnaissance, critiquer son propre camp serait devenu le meilleur raccourci pour briller. Quant au catastrophisme (immigration, climat…), il n’est plus une alerte, mais un marqueur de distinction.
Une indulgence asymétrique : les fautes de la gauche mieux tolérées ?
L’auteur avance par ailleurs l’idée que la critique intellectuelle française souffre d’une asymétrie morale : les erreurs de la gauche seraient perçues comme des dérives exceptionnelles, tandis que celles de la droite seraient vues comme des manifestations de son essence (on ira voir à ce titre la p. 111). Ce biais culturel rendrait certaines figures intouchables, malgré leurs égarements. Samuel Fitoussi y voit un fonctionnement en vase clos, où le regard des pairs prime sur la recherche de vérité.
Rétablir l’exigence intellectuelle
Mais loin de se limiter à une dénonciation, le livre plaide pour un redressement des exigences. Fitoussi rend hommage aux figures de lucidité qui inspirent ses réflexions : Raymond Aron, George Orwell, Jean-François Revel. Il ne s’agit pas d’être anti-intellectuel, mais de demander aux intellectuels de retrouver leur rôle critique, adossé à la confrontation avec le réel, plutôt qu’à la seule quête de reconnaissance.
Pourquoi les intellectuels se trompent est un essai stimulant, parfois provocateur, qui bouscule confortablement les certitudes du monde académique. Il pose les bonnes questions, même si certaines réponses gagneraient à être davantage nuancées.
En effet, l’ouvrage met l’accent sur la responsabilité individuelle des intellectuels dans la propagation d’idées erronées. Cependant, les médias, les maisons d’édition et les institutions académiques jouent également un rôle crucial dans la diffusion et la légitimation de ces idées. Une analyse plus complète inclurait ces acteurs pour comprendre comment certaines idées gagnent en influence malgré leurs failles. Tout ne repose pas sur les épaules des intellectuels. Une idée pour un prochain volume ?
Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, éditions de l’Observatoire, 270 pages.
Céline, le retour d’un maudit. Avec son œil de témoin historique et le cœur en bandoulière, Véronique Chovin raconte la résurrection littéraire de Céline, dont les ventes ont été relancées par la découverte des manuscrits inédits. Un récit entre mémoire vive et polémiques brûlantes…
D’ordinaire avec Louis-Ferdinand Céline, il est question de trois points de suspension. Véronique Chovin, dans un petit livre enlevé, fait le point – tout court – sur le retour au premier plan de l’écrivain après la découverte de manuscrits inédits qu’on croyait définitivement perdus. La publication par les éditions Gallimard de Guerre, Londres et La volonté du roi Krogold fut un véritable événement, saluée par la critique, surtout Guerre qui aurait mérité le Goncourt selon certains journalistes.
C’est une belle histoire que raconte Véronique Chovin, auteure de deux ouvrages sur Céline et son épouse, Lucette, dont Céline secret (Grasset, 2001). À l’âge de 17 ans, dans les années 1970, elle sonne à la porte de la villa Maïtou, route des Gardes, sur les hauteurs de Meudon. Elle décrit la dernière demeure de l’écrivain. C’est précieux car celle-ci a connu récemment un sacré lifting, jardin compris. Les fantômes, parait-il, ne décolèrent pas depuis. Nous non plus. « En bas on entendait les voitures sur la route des Gardes, au loin c’était la Seine et ses boucles et plus loin encore, les péniches qui s’éloignaient. » C’est « Elle » qui parle dans le livre, comprenez Chovin, qui devient un personnage dans l’univers post-célinien. Ça fait écho aux dernières lignes du Voyage au bout de la nuit, avec la volonté « qu’on n’en parle plus » de cette affaire. Mais avec les grands écrivains, on n’en a jamais fini, croyez-moi.
Donc elle sonne pour prendre des cours de danse avec Lucette Almansor, la veuve la plus célèbre des lettres françaises. Elle raconte son histoire, son amitié avec Lucette, ses déambulations parisiennes, ses escapades hors de la banlieue, notamment à Dieppe où Ferdinand aimait pêcher les âmes dans la Manche couleur huitre. Elle l’a connue verticale, rayonnante, puis horizontale, d’un coup, lorsque le petit-fils de Céline, Jean-Marie Turpin, a fait irruption dans sa vie, ivre et mauvais. Il réclamait sa part du magot, malgré le refus de sa mère qui n’en avait pas voulu, de l’héritage du maudit absolu. « Déjà fatiguée, révèle Chovin, elle ne s’était jamais vraiment remise de cette visite. Elle s’était couchée. » Le passé qui remonte et qui vous scie les pattes. Lucette va lui confier ses souvenirs, puis des lettres. De quoi alimenter la postérité ; de quoi comprendre un peu plus le tourmenté Bardamu, reclus définitif, habillé comme un clodo céleste, entouré de ses chiens. Malraux a dit un jour que pour comprendre Céline, il fallait interroger Lucette. Elle seule l’avait compris, à l’instinct.
Véronique Chovin rappelle ensuite la résurrection des manuscrits. La piste corse, avec un certain Oscar Rosembly, puis le résistant Yvon Morandat qui les avait récupérés chez Céline, à Montmartre, et gardés en secret quarante ans durant, enfin leur édition, après transcription parfois laborieuse. Les spécialistes s’en sont mêlés, connaissant leur Céline sur le bout des doigts. La polémique a enflé. On a beaucoup critiqué Chovin. Les spécialistes n’aiment pas qu’on marche sur leur terrain de chasse, surtout quand on écrit avec l’intelligence du cœur.
Londres a ébranlé le microcosme littéraire. Ça a ferraillé ferme. Trop argotique, mal ficelé, un « brouillon de génie », mais un brouillon. Et puis trop porno, beaucoup trop porno. Les dévots sont intervenus. Déjà l’antisémitisme de Céline, avec en plus la réédition des pamphlets, et maintenant Thanatos qui écrabouille Eros ! Eh oui, mais Céline, en parfait médecin, avait diagnostiqué : « Le cul des femmes c’est comme le ciel, ni commencement ni fin. » Et d’enfoncer le clou : « Là où c’est l’origine de tout. »
Céline n’a pas fini de réveiller les somnambules. Je parie qu’on retrouvera encore quelques manuscrits fragmentés. Il possédait également deux dessins signés Degas, rue Girardon – les bobos ont fait enlever la plaque murale où il était indiqué qu’il avait habité ici, le médecin. « Mais où sont ces Degas ? », interroge Véronique Chovin. Le mystère reste entier. C’est jouissif. La société hygiéniste peut cauchemarder.
Véronique Chovin, Céline en héritage, Mercure de France, Collection Bleue, 136 pages.
La « sentimentalité progressiste » de la dernière série de Netflix a tellement plu au Premier ministre Keir Starmer qu’il a décidé de la montrer aux ados dans les écoles britanniques ! En France, Elisabeth Borne s’y refuse. Toute la presse nous décrit cette fiction comme pertinente pour expliquer la violence adolescente, ou l’épidémie d’attaques au couteau. Elle est en réalité fort naïve. Grande analyse.
Dernière minute : Un adolescent de 16 ans a poignardé hier quatre élèves d’un lycée nantais, dont une mortellement, avant d’être maîtrisé par le corps enseignant et interpellé. Une conférence de presse du procureur est attendue à 18 heures. Le suspect a été hospitalisé en psychiatrie •
Adolescence met en scène Jamie, un jeune Anglais de treize ans, coupable du meurtre d’une camarade d’école à qui il a infligé, en pleine rue, pas moins de sept coups de couteau. Les quatre épisodes de la série nous montrent l’arrestation et l’interrogatoire du meurtrier, puis l’enquête de la police au sein de l’école, la confrontation du jeune garçon avec l’une des professionels chargés de l’expertise psychiatrique, et enfin la vie de la famille quelques mois plus tard, le jour de l’anniversaire du père, peu avant la tenue du procès.
Un étonnant succès
La série, signée Jack Thorne et Stephen Graham, réalisée par Philip Barantini, produite et diffusée par Netflix depuis mars dernier, s’inscrit davantage dans le genre du drame social que dans le genre policier. Konbini la décrit comme « le reflet d’un vrai problème de société » plutôt qu’une « simple fiction », s’interrogeant sur une “épidémie de crimes à l’arme blanche”, “phénomène inquiétant” qui sévit en Angleterre en parallèle à la diffusion de “discours masculinistes et misogynes”[1]. Dans une interview donnée au magazine Première, Stephen Graham précise d’ailleurs que la fiction est conçue de telle manière qu’on se demande pourquoi le crime a eu lieu, non qui l’a commis : le meurtre ayant été filmé par des caméras de surveillance, la culpabilité du collégien ne fait en effet, dès le premier épisode, aucun doute. Le spectateur est ainsi invité à observer le contexte général du crime, et les réactions qu’il engendre. L’ambition des scénaristes est ainsi formulée : “On voudrait que la série puisse être une étincelle qui ouvre le dialogue à la maison. Ou même à l’école. Voire au sein du gouvernement”[2].
Il s’agissait donc bien de s’emparer non d’un fait divers, mais d’un phénomène de société qui mériterait une réponse politique. Le succès rencontré par la série dépasse les espérances des auteurs : non seulement elle semble avoir remporté la première place parmi les séries les plus regardées sur Netflix, mais Keir Starmer a décidé de mettre la fiction à la disposition des établissements scolaires, gratuitement, afin que tous les collègiens et lycéens du Royaume Uni puissent la visionner, s’en pénétrer, et en débattre.
Un auteur de fiction fait bien ce qu’il veut. Mais dès lors qu’un gouvernement s’empare de son œuvre comme d’une solution, les qualités et les défauts de l’œuvre ne relèvent plus seulement du jugement esthétique ou moral : en devenant un outil de propagande, ils prennent l’allure d’un révélateur politique, et son propos, sa forme, ses enjeux méritent d’être examinés avec un peu plus d’inquiétude.
Les raisons du succès tiennent évidemment à plusieurs facteurs. En premier lieu l’explosion des crimes par arme blanche que nous observons, dont les coupables comme les victimes semblent de plus en plus jeunes, ne peut à la longue laisser personne indifférent. Le meurtre dont il est question dans la série s’inscrit en outre dans le contexte d’un harcèlement sur les réseaux sociaux entre collégiens : autre phénomène de société. Le sujet doit donc, a priori, exciter à double titre la curiosité des spectateurs. Par ailleurs, les scénaristes ont tenté d’éviter le manichéisme : il s’avère en effet que la victime avait tour à tour elle-même été harcelée et harceleuse, et que le meurtrier a lui aussi été victime de harcèlement. Des photos de la jeune fille dénudée ont circulé ; des élèves ont moqué sa poitrine plate ; Jamie a cherché à manifester sa solidarité, son amitié et son désir de faire une sortie avec la jeune fille qui, méprisant ses avances, s’est retournée contre lui, en le désignant à la vindicte d’Instagram comme un incel, un éternel célibataire involontaire. Ce jeu de miroir, qui évite la simplification, ne peut que renforcer l’intérêt que présente la série.
Les charmes de l’adolescence
Par ailleurs, le choix de filmer de longs plans séquences crée une atmosphère particulière, d’une efficacité certaine pour rendre la dimension sociale, collective, du problème abordé. Enfin le jeu de tous les comédiens est convaincant. Parmi eux, le jeune Owen Cooper et Stephen Graham, qui incarnent respectivement Jamie et son père, font montre d’un talent d’acteur indéniable. Le frêle adolescent, dont le visage est encore empreint de la beauté de l’enfance, tour à tour pitoyable, attachant, violent, exerce un charme évident. L’interprétation se veut puissante, même si le dernier épisode finit par sombrer dans le larmoiement – mais c’est là la faute des scénaristes ou du metteur en scène, non des acteurs.
On se prend alors à se demander pourquoi, malgré tous ces atouts, une partie des spectateurs n’éprouvent que peu ou pas de réelle émotion. C’est le cas par exemple de Mathilde Wagman, qui confie sur France Culture être restée, malgré la tension dramatique supposée, “très en dehors” de la série[3]. La technique du plan-séquence, qui bifurque avec fluidité d’un personnage à l’autre, ne favorise pas l’identification et tend sans doute à nous maintenir dans la position d’un observateur extérieur et distant. Pour une œuvre qui ambitionne de nous faire réfléchir, stimuler la réflexion plutôt que la passion n’est pas un défaut ; mais alors, à quoi bon tant de larmes ?
De fait, la relative indifférence de certains spectateurs trouve sans doute aussi sa source dans certaines invraisemblances et incohérences psychologiques, dans le caractère très superficiel de l’exposé des mobiles du jeune criminel, et en définitive dans l’absence d’hypothèses convaincantes pour expliquer le phénomène abordé. Si nous attendions des réponses, celles-ci sont plus que minces, et Stephen Graham d’ailleurs le reconnaît dans son interview à Première : “On ne sait pas vraiment pourquoi il a fait ça, au bout du compte”. On ne peut s’empêcher de penser, dans un premier temps, que cette absence d’hypothèses résulte du fait qu’Adolescence passe en partie à côté du problème qu’il prétend aborder – et que c’est peut-être justement ce qui plaît tant à Keir Starmer.
Le sujet, d’abord. Les profils de la victime et du meurtrier, dans la fiction, ne sont guère représentatifs du phénomène de l’explosion des crimes au couteau. D’après une étude[4] qui s’est penchée sur le sujet, réalisée à partir de la base de données d’un centre de traumatologie en Angleterre entre 2014 et 2018, les victimes d’agressions au couteau sont, en écrasante majorité, non des femmes mais des hommes (85,6 %) ; elles se situent à 44% dans la tranche d’âge de 16 à 25 ans, les victimes plus jeunes restant – et heureusement – rares. Quant à l’origine ethnique des criminels, Marc Vanguard conclut de sa compilation de statistiques publiques à la surreprésentation actuelle des étrangers dans les crimes et délits[5] ; quant aux nationaux d’origine étrangère, les statistiques n’existent pas ou ne sont pas publiées. Deuxième point : le mobile. France Culture présente le personnage de Jamie comme un jeune homme “abreuvé d’idéologie masculiniste”. Pourtant, selon William Costello, docteur en psychologie[6], il ne semble pas que des “incels” ni des “masculinistes” se soient fait remarquer en commettant des crimes.
Evidemment, les 13 ans du petit Jamie, collégien issu de la classe moyenne blanche en Angleterre, fanatisé par des masculinistes et assassinant une fille, a de quoi faire sensation et – autre avantage – ne risque pas de froisser les progressistes. Une fiction a évidemment tout à fait le droit de préférer l’effet esthétique à la réalité statistique ; à condition toutefois de ne pas clamer qu’on cherche à comprendre les causes d’un phénomène de société.
En l’occurrence, on comprend que Keir Starmer trouve peut-être dans cette série une occasion inespérée de faire oublier que plus de 250 000 filles blanches britanniques auraient été violées, au cours des 25 dernières années, en très large majorité par des musulmans et plusieurs fois par jour (comme le rappelait Lord Pearson de UKIP à la Chambre des Lords en 2022), et que ce chiffre effrayant aurait pu être atteint grâce à la bienveillance idéologique des autorités et des institutions britanniques qui ont couvert ces crimes – ou à leur corruption pure et simple.
Pas une famille dysfonctionnelle
En outre, comme le remarque Mathilde Wagman, la question du masculinisme est traitée de manière “très grossière” : en deux ou trois phrases, de fait. Aucun processus de fanatisation n’est vraiment détaillé, aucun contenu précis abordé. Si le jeune homme s’est “abreuvé” de masculiniste, le spectateur, lui, restera sur sa soif.
On peine d’ailleurs à comprendre comment un garçon de treize ans, 37 kg tout mouillé, pourrait se monter la tête sur la question de la masculinité au point d’assassiner sauvagement (sept coups de couteau !) une petite camarade. Et on notera au passage l’étrange tendance actuelle qui consiste à projeter sur des adolescents à peine sortis de l’enfance un rapport à la sexualité qui n’est pas de leur âge. Le petit Jamie, d’ailleurs, se plaint amèrement, s’indigne même, à de multiples reprises, des questions intrusives de la psychologue à ce sujet. Evidemment, dans ces circonstances, les questions sont nécessaires. Mais bien qu’on puisse interprêter les réactions du personnage comme le refus du coupable d’avouer ses mobiles, on y entend aussi le malaise d’un enfant face à l’indiscrétion des adultes[7].
Bien sûr, la question de la masculinité touche aussi à l’image du père. Mais la famille de Jamie est en définitive on ne peut plus “normale”, aucunement “dysfonctionnelle”, pour employer le vocabulaire convenu : pas de père violent ou alcoolique, pas de chômage qui traîne ; un couple qui semble s’aimer. Le seul élément qui semble avoir entaché leur relation, est la déconvenue du père, qui découvre que le fiston ne sera pas un bon joueur de foot. Les dialogues ont beau monter la chose en épingle, il n’y a vraiment pas là de quoi se transformer en assassin.
En fait, les scénaristes revendiquent la normalité des personnages : “On a voulu se concentrer sur cette famille et se dire ‘Mon Dieu, ça pourrait nous arriver !’. Parce que ce qui arrive ici, c’est le pire cauchemar d’une famille très ordinaire”, déclare Stephen Graham sur Konbini. Et il enfonce le clou sur Première : “Ça peut toucher toutes les familles.” C’est fou comme les gens aiment se faire peur. Mais aussi se disculper : car si “ça peut toucher toutes les familles”, c’est finalement que le problème est ailleurs. Mais où est-il, alors ? Serait-ce simplement l’adolescence, comme semble l’indiquer le titre ? La faute des réseaux sociaux et des émojis ?
Les parents du garçon s’interrogent tout de même un peu, à la fin du dernier épisode ; le père ose même un timide mea culpa : “On aurait pu faire un peu mieux”. Alors oui, en effet, si votre enfant a assassiné de sept coups de couteau une jeune fille, c’est certainement que vous auriez pu faire un petit peu mieux. Ce sont moins les torrents de larmes des parents qui inspirent la pitié que la paresse morale et intellectuelle des personnages (et du dialoguiste).
Bons sentiments
Les faits divers particuliers qui, selon France Culture, auraient alerté les scénaristes d’Adolescence sur le sujet de l’explosion de la violence en Angleterre, offraient pourtant d’autres pistes d’explication, plus convaincantes. Brianna Ghey, en 2006, transgenre très suivie sur les réseaux sociaux, a été assassinée par deux jeunes de quinze ans, un garçon et une fille, obsédés par les tueurs en série. Le garçon ne connaissait pas la victime ; la fille avait été précédemment amie avec elle. Ava White, en 2021, a été tuée par un garçon de 14 ans, dont ni l’identité ni le profil n’ont été divulgués ; mais on sait que le meurtre, dont le coupable affirme qu’il est accidentel, résulte d’une altercation dans la rue, entre deux groupes de jeunes gens qui ne se connaissaient pas. Elianne Andam enfin fut assassinée en 2023 après une rupture amoureuse, par Hassan Sentamu, 17 ans, qui avait depuis longtemps montré son goût pour la violence et les couteaux, avait déjà agressé plusieurs jeunes filles, et aurait été abusé par son père dans son enfance.
Si ces crimes ont, plus que d’autres, inspiré les scénaristes, ces derniers n’en ont pas retenu les contextes pour les examiner ; à nouveau, l’on mesure l’écart entre les profils réels et ceux des personnages de la série. Encore un fois, pour qui prétend interroger un réel phénomène de société, on aurait pu espérer un peu plus de méthode.
Et pourtant, malgré ces distortions et ces facilités, Adolescence nous révèle quelque chose de crucial. “Le truc, déclare Stephen Graham à Première à propos de Jamie, c’est que beaucoup de gens auraient pu l’aider, l’arrêter à temps. Mais ils ne l’ont pas fait.” Et en effet, les personnages adultes de la série sont tous pleins de bon sentiments, mais semblent constamment passer à côté des problèmes. Ils semblent pleins d’empathie, mais n’ont pas l’air de vouloir se remettre en question. Ils s’étonnent bien un petit peu que tout aille tellement de travers, mais n’assument pas leurs responsabilités d’adultes. Ils ressemblent à ces dames patronnesses pleines de bonne volonté mais qui restent en réalité toujours étrangères et imperméables à ceux qu’elle prétendent aider.
Le policier, par exemple, est très impliqué dans son enquête ; mais il paraît n’avoir pas la moindre idée de ce qui peut se passer sur Instagram entre adolescents. Il parle à son propre fils, qui fréquente le même établissement que Jamie, comme s’il ne le connaissait pas, et commence par mépriser son aide lorsque celui-ci veut lui communiquer certaines informations. Les professeurs sont de véritables catastrophes : ils laissent proférer des propos insultants et ignobles, assistent à des bagarres, sans sanctionner aucun élève ; ils se contentent de geindre, ou d’adresser une petite remontrance pour passer aussitôt à autre chose. Les policiers, d’ailleurs, s’interrogent : est-il possible d’apprendre quoi que ce soit dans une telle école ? Mais en même temps, la directrice de l’établissement apparaît si pleine de bonnes intentions ! Elle veut si bien faire ! Et si les policiers déplorent que les collèges “sentent le sperme” (nos poètes n’avaient pas pensé à cela en rimant leurs souvenirs d’école), ma foi, il semble qu’ils acceptent le fait comme une fatalité.
La psychologue qui vient expertiser Jamie vaut aussi le détour : elle lui apporte un sandwich “fait maison”, joue à la maman ou à la bonne copine, plaisante avec le garçon, puis respire très fort parce qu’il a un peu crié et qu’elle a eu peur ; elle se transforme ensuite en monstre froid, pour fondre finalement en larmes à la fin de l’entretien : on ne peut que lui conseiller vivement de changer de métier. Enfin les parents, on l’a dit, ont pris timidement conscience qu’ils auraient pu faire un peu mieux – mais quoi ? Peut-être aller au restaurant chinois, puisque c’est ce qui semble sauver la relation du policier avec son fils. Mais un sommet d’irresponsabilité est atteint lorsque le père, qui a vu de ses yeux les vidéos de son fils portant les coups, paraît totalement sidéré, égaré, en entendant Jamie lui annoncer que, finalement, il plaidera coupable. Comment tous ces gens si “normaux” et si pleins de bons sentiments, peuvent-ils être en même temps à ce point ineptes ? Finalement, les seuls moments où un adulte semble maîtriser la situation, c’est quand les policiers récitent mécaniquement les règles de la procédure ; là, ils semblent vraiment jouir et triompher. Quel vide affligeant !
Abdication
La série révèle ainsi le fond du problème : si la société dérape dans la violence, c’est que les adultes ont abdiqué toute lucidité ; qu’ils sont très occupés à se rassurer eux-mêmes en passant systématiquement à côté des choses qui fâchent ; qu’ils ne voient plus ce qui distingue un adulte d’un enfant ; qu’ils n’ont pas le courage de transmettre aux générations suivantes un savoir et des principes qu’ils ont noyés dans une vague sentimentalité progressiste ; et que seule la mécanique de phrases toutes faites les tient encore debout.
La série le révèle volontairement – témoin la critique de l’école portée par les policiers ; mais aussi sans le vouloir, puisqu’elle pêche elle-même par quelques invraisemblances opportunes, et par une telle mollesse du propos, que bien des recensions ne retiennent rien que le coup de l’abreuvoir masculiniste.
Quant à la réaction de Keir Starmer, elle vient vraiment couronner la démonstration. Il se prouve à lui-même qu’il fait quelque chose, tout en ne faisant rien. Il se contente de renvoyer la balle aux collégiens et aux lycéens : regardez la série, et réglez vos problèmes vous-mêmes.
Reste que le choix politique de diffuser la série dans toutes les écoles n’est pas sans danger. Les jeunes garçons anglais, abandonnés à eux-mêmes, constamment mis en accusation s’ils ont le malheur de chercher à être ce qu’ils sont, des garçons, risquent de sombrer encore un peu plus profond dans le désespoir ; ils pourraient aussi se laisser séduire par le charisme du héros, et par sa violence. Mais souhaitons plutôt que les Anglais, jeunes et moins jeunes, filles et garçons, finissent par comprendre qu’ils sont gouvernés par des incapables, et par trouver les moyens de les chasser du pouvoir.
[7] La méconnaissance de ce qu’est un enfant ou un adolescent se manifeste aussi dans la peinture des élèves de l’école fréquentée par Jamie et sa victime : sauf l’amie de la jeune fille assassinée, ils paraissent tout à fait indifférents au drame. Or en réalité, lorsqu’un telle tragédie survient, une grande partie des élèves sont choqués, et en larmes.
Yann Barthès de "Quotidien" quitte le réseau social X. Capture d'écran.
Engagée contre un prétendu retour du fascisme, la gauche a pensé pouvoir faire tomber Elon Musk en boycottant son réseau social Twitter / X en début d’année. Mais, comme souvent, elle est partie en ordre dispersé. Bilan des courses, trois mois après l’investiture de Donald Trump : la grande opération HelloQuitteX a fait flop, et le plongeon vers l’inconnu faisait trop peur…
Le 23 juillet 2023, l’étonnement est général. Au réveil, en se connectant à leur compte Twitter, les internautes découvrent que le petit oiseau bleu a disparu. À sa place : un « X » imposant, froid, stylisé. Ce changement, voulu par Elon Musk — qui a racheté le réseau social dix mois plus tôt — marque un tournant radical. C’est le 14 avril 2022 que le milliardaire excentrique propose pour la première fois le rachat du réseau, affirmant vouloir « libérer » l’oiseau bleu d’une plateforme qu’il juge hostile à la liberté d’expression.
C’est l’affaire « The Babylon Bee » qui aurait particulièrement exaspéré Musk, père meurtri dans la sphère privée. Ce compte satirique conservateur avait désigné Rachel Levine — sous-secrétaire américaine démocrate à la Santé, et femme transgenre — comme « Homme de l’année », entraînant sa suspension pour « conduite haineuse ». Après un faux départ, Musk finalise le rachat le 4 octobre 2022, soutenu par une poignée d’investisseurs, et pour la somme astronomique de 44 milliards de dollars.
Du rachat à la campagne présidentielle de Trump
Une fois aux commandes, Elon Musk change radicalement la politique de modération de la plateforme, prônant une liberté d’expression quasi absolue. Il réactive des comptes précédemment bannis pour «propos haineux» ou «incitation à la violence». Certains comptes comme celui du président «émeutier» Donald Trump, du masculiniste Andrew Tate ou du Français Jean Messiha font leur grand retour sur la plateforme.
Très vite, la gauche française s’alarme d’un virage idéologique à droite d’un Twitter rebaptisé « X », désormais perçu comme un foyer de désinformation. Le soutien public de Musk à Trump — puis son élection comme 47e président des États-Unis — précipite la rupture. En réaction, naît le mouvement #HelloQuitteX, incitant à abandonner X au profit de Bluesky, clone assumé de l’ancien Twitter. Fondé par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter en 2019, Bluesky se présente comme une alternative progressiste, respectueuse de la liberté d’expression — mais la bonne, cette fois. LA solution pour boycotter « une machine à manipulation de l’opinion[1] ».
HelloQuitteX : la contre-offensive contre le réseau honni
Le 11 janvier 2025, l’infatigable députée écoféministe Sandrine Rousseau annonce en fanfare avoir envoyé une lettre à tous les élus du Nouveau Front Populaire pour les inciter à quitter X, qualifié de « véritable machine désinformation, arme de destruction massive de la réalité factuelle, et caisse de résonnance (sic) des courant (resic) d’extrême droite » (avec quelques fautes d’orthographe dans le post original, soit dit en passant). Elle tient parole et se déconnecte définitivement le 20 janvier, après une semaine de campagne marquée par de nombreux tweets expliquant sa démarche.
Marine Tondelier, présidente d’EELV, relaie aussi l’appel. Le 12 janvier, invitée du Grand Jury RTL-M6-Le Figaro-Public Sénat, elle déclare : « On doit tous quitter Twitter. Ce réseau devrait être interdit en Europe pour protéger notre démocratie et notre information. » Mais quelques jours plus tard, elle tweete toujours. Il semble que Marine Tondelier ne soit finalement pas tant inquiète que ça pour notre intégrité informationnelle et territoriale, car elle reste depuis très active ! Quand le chef du service politique de RTL Olivier Bost la relance sur le sujet, et semble étonné qu’elle soit toujours inscrite sur le réseau honni, elle confesse, pour se justifier : « Moi toute seule qui quitte un réseau, ça n’a pas énormément d’impact ».
En réalité, les rangs de la gauche ne suivent pas. Aucun des partis du NFP — LFI, EELV, PCF ou PS — n’a désactivé son compte X. Tous restent actifs, parfois silencieux, parfois bavards. Des exceptions confirment la règle : Yannick Jadot, Anne Hidalgo (ainsi que le compte de la mairie de Paris) ont déserté. Mais dans l’ensemble, l’attrait de X reste trop fort.
La plupart des élus ont préféré se tenir à bonne distance de la polémique HelloquitteX. Même opposés idéologiquement à Musk, ils ont choisi de garder leurs abonnés, leur influence… et leurs « buzz ». Louis Boyard, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Sébastien Delogu, Najat Vallaud-Belkacem, Boris Vallaud : tous sont restés. Raphaël Glucksmann, de Place Publique, avait promis un départ « organisé », avec le concours de chercheurs du CNRS. Il est toujours là. Le site du mouvement HelloQuitteX, soutenu par David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, a bien tenté de cartographier les déserteurs et les réfractaires, mais ne met plus à jour ses listes depuis des semaines.
Une portée médiatique considérable
L’initiative HelloQuitteX a largement dépassé le cercle politique. Elle a été promue intensément par des médias où la sociologie politique des journalistes penche plutôt à gauche. Le programme Quotidien, par exemple, annonce son départ de X dès décembre 2023. Il semble alors inciter les téléspectateurs à faire de même. En indiquant quitter X en direct à l’antenne, Yann Barthès surjoue le drame devant un public et des chroniqueurs hilares. Gesticulant (« qu’est-ce qu’on va devenir ? », « la vie vaut-elle d’être vécue ?»), l’animateur se met en scène, fier de montrer son désaccord avec le réseau. Il finira son grand monologue ce soir-là par cette superbe diatribe adressée aux réacs : « Insultez-vous mais sans nous, sans les sacs à merde que nous sommes, sans les collabos gauchiasses tailleurs de pipes qui puent la merde »…
Sauf qu’Étienne Carbonnier, autre vedette du programme, continue depuis à tweeter. Des dizaines de fois, depuis le départ officiel de l’émission. Même constat pour Libération : si le quotidien de gauche quitte bien X en janvier 2025, ses chroniqueurs stars — Thomas Legrand (politique) ou Daniel Schneidermann (médias) — y restent très actifs. Mediapart suit, mais de façon plus ambivalente. Le média quitte officiellement X le jour de l’investiture de Trump. Mais son fondateur, Edwy Plenel, ne résiste pas à l’appel du tweet. À l’inverse, Fabrice Arfi et Marine Turchi respectent la consigne donnée, en ne publiant rien même si leurs comptes ne sont pas fermés. Quant à la chroniqueuse agaçante de France Inter Charline Vanhoenacker, qui avait qualifié Elon Musk de « gros connard de fasciste », bien sûr elle tweete toujours. Même Julia Cagé, économiste de gauche spécialiste des médias, qui pense que Musk est un danger pour la démocratie, reste active sur la plateforme…
Malgré l’indignation initiale et les discours médiatiques musclés, l’appel à quitter X n’a pas été suivi massivement. Bluesky, qui revendique 32,5 millions d’utilisateurs, ne fait pas le poids. Quitter un réseau historique et centralisé comme Twitter/X, c’est risquer de perdre ses abonnés, sa portée médiatique, sa capacité de mobilisation. Un luxe que peu de personnalités publiques peuvent se permettre. En toile de fond, une prétendue fracture stratégique empêcherait une action coordonnée : certains à gauche refusent de « laisser le champ libre » à l’extrême droite. Comme le formule le grand penseur Antoine Léaument, député LFI : « Laisser les utilisateurs dans un monde où il n’y aurait plus qu’une opinion est impensable. » Résultat : une action morcelée, inefficace. Là où une réponse collective aurait pu marquer un tournant, la gauche a agi en ordre dispersé.
Heureusement, si nos progressistes laissent M. Musk un peu plus tranquille ces derniers temps, ils ont vite trouvé d’autres combats. Marine Tondelier vient par exemple de rassurer ses électeurs… sur X: « Je ne ferai pas de starter pack » [2] ! Et rassurez-vous, elle ne fera pas non plus de dessins copiant le studio Ghibli « sans l’autorisation de Miyazaki », afin « qu’il reste de l’eau et de l’art à nos enfants ».
Je ne ferai pas de starter pack.
Ni de dessins copiant Ghibli sans l'autorisation de Miyazaki.
Ces images générées par IA sont irrespectueuses pour des artistes déjà précaires.
Et c'est un gouffre énergétique insensé.
Je préfère qu'il reste de l'eau et de l'art à nos enfants.
[2] En français, « kit de démarrage ». La création d’un «starter pack » est une tendance sur les réseaux sociaux qui vise à partager une image générée par l’IA, représentant une personne sous forme de figurine emballée dans une boîte, entourée d’objets qui la caractérisent
Accusations d’antisémitisme. Donald Trump renouvelle ses accusations contre la prestigieuse université américaine. Selon lui, elle serait devenue un « foutoir progressiste » accueillant « des étudiants du monde entier qui veulent détruire le pays ». L’établissement dénonce des menaces sur la liberté d’enseignement et la liberté d’expression.
Le 14 avril, l’administration Trump décidait de geler 2,2 milliards de dollars de subventions destinées à Harvard. Cette décision faisait suite au refus de l’établissement de se plier aux exigences du Bureau ovale visant à renforcer la protection des étudiants juifs et à lutter contre l’idéologie woke qui fait des ravages sur ses bancs. Alan Garber, le président de Harvard, avait opposé une fin de non-recevoir à ces demandes en déclarant que l’université « n’abdiquerait pas son indépendance » et « n’était pas prête à accepter des exigences qui vont au-delà de l’autorité légitime de cette administration ».
Si la méthode Trump peut dérouter sur d’autres sujets, son engagement constant en faveur de la protection des étudiants juifs sur les campus américains mérite d’être salué. Harvard, qui n’a à aucun moment assuré la protection des étudiants de confession juive, fait preuve d’une mauvaise foi confondante et indigne en invoquant le premier amendement, se terrant ainsi derrière une « liberté d’expression » qu’elle n’a en réalité cessé d’instrumentaliser – et dont le respect serait subitement devenu sa priorité !
A la traîne dans la lutte contre l’antisémitisme
Au lendemain du pogrom du 7-Octobre, tandis que plusieurs associations étudiantes estimaient Israël « entièrement responsable » des attaques terroristes du Hamas, la direction de Harvard se murait dans le silence. Une passivité qui illustre parfaitement l’attitude qui a été celle de l’établissement censé être le plus prestigieux des Etats-Unis, face à la vague d’antisémitisme qui a frappé les universités américaines dès le lendemain du 7 octobre.
Cette inaction coupable a incontestablement favorisé l’expression d’un antisémitisme débridé dont on ne cesse de découvrir les sordides conséquences au gré des affaires sur lesquelles doivent désormais se prononcer les tribunaux américains. En 2023, deux étudiants propalestiniens sont accusés d’avoir agressé physiquement un étudiant juif. Bien que ces deux étudiants soient poursuivis[1], Claudine Gay, la présidente d’alors, n’avait pas pris la moindre sanction à leur encontre. L’université a même récemment publié une tribune signée par Ibrahim Bharmal, l’un des deux accusés[2]. Les déclarations d’un membre du corps enseignant comparant l’existence d’Israël à de la « suprématie blanche » ou estimant que mettre en relation les termes « juif » et « démocratie » conduisait à « créer un environnement hostile » ne furent pas davantage sanctionnées par la direction[3].
Dénonçant ces manquements et considérant que Harvard ne remplissait plus « les attentes en matière intellectuelle et de respect des droits civiques justifiant l’investissement fédéral », l’administration Trump a adressé à la direction de l’établissement plusieurs directives à respecter afin que celui-ci puisse continuer de bénéficier de l’appui financier du gouvernement fédéral[4]. Harvard devra ainsi, notamment, réformer en profondeur sa direction afin de limiter l’influence de tout activisme, mettre en place une politique de recrutement basée sur le mérite et en partager les données avec le gouvernement fédéral, définir une politique d’admission elle aussi basée sur le mérite plutôt que sur des critères ethniques et transmettre les données correspondantes au gouvernement fédéral ou encore accepter un audit d’une commission extérieure afin d’assurer la « diversité des points de vue » et la fin des programmes qui « alimentent le harcèlement antisémite »[5].
Estimant dans une lettre « qu’aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne doit dicter aux universités privées ce qu’elles doivent enseigner, qui elle peuvent enrôler et embaucher, ni sur quelles matières elles peuvent mener des recherches[6] », Alan Garber s’est insurgé contre ces demandes et a décidé de porter l’affaire devant un tribunal fédéral afin que le gel des subventions, qui menacerait selon lui des programmes vitaux comme les recherches en matière d’épidémies infectieuses ou celles relatives au traitement des vétérans blessés au combat[7], soit déclaré illégal.
Par ailleurs, le président de l’université souligne que son université avait mis en place une task force destinée à lutter contre l’antisémitisme. Alors que cette dernière devait rendre son rapport à l’automne 2024, ce document se fait toujours attendre[8]. Les avancées de l’établissement en matière de lutte contre l’antisémitisme se limitent pour l’instant à un maigre mea culpa relayé par ses avocats en ces termes : « Les membres des communités juive et israélienne de Harvard ont signalé des traitements vicieux et répréhensibles »[9].
Cette tendance à l’antisémitisme n’est d’ailleurs pas nouvelle comme l’illustre la décision de l’établissement de limiter le nombre d’étudiants juifs en 1921 ou encore la réception d’Ernst Hanfstaengl, l’ancien attaché de presse d’Adolf Hitler, en 1960. Elle se perpétue aujourd’hui par l’intermédiaire de l’idéologie woke dont l’essence est la lutte contre l’oppresseur blanc. Selon les tenants du wokisme, la civilisation occidentale oppresse les minorités, Israël est un état colonial et les juifs sont le symbole de l’oppresseur blanc. A ce titre, les récentes résolutions de Harvard d’ériger la liberté d’expression en priorité paraissent non seulement insuffisantes mais aussi honteuses dans la mesure où l’université a constamment sacrifié ce principe sur l’autel du wokisme.
Hors sujet sur la liberté d’expression
En 2023, la Fondation pour les Droits Individuels et l’Expression classait Harvard à la dernière place en matière de liberté d’expression, décrivant le climat entourant l’exercice de cette liberté dans l’établissement comme « épouvantable »[10]. On ne sait dès lors pas bien si la défense de l’université relève plus du cynisme ou de l’incompétence. La lettre publiée par Alan Garber sur le site de l’université prétend en effet que les exigences de l’administration Trump constitueraient une violation du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis et notamment de la liberté d’expression que ce dernier protège.
Le problème est que Harvard entretient une conception biaisée de ladite liberté d’expression qui a éclaté au grand jour lors des manifestations post 7-octobre. Dans un campus où il ne fait pas bon mégenrer, les appels à l’intifada ne dérangent personne dans la mesure où ils sont considérés comme l’expression d’une « résistance légitime » contre les oppresseurs. A ce titre, les manifestants affichant leur soutien aux terroristes du Hamas ne sont pas inquiétés par l’établissement[11].
Harvard entend en réalité promouvoir la liberté d’expression à partir du moment où ceux qui en font usage ne dérogent pas à la pensée unique en vigueur sur son campus. Cela implique notamment d’être entièrement acquis à la cause wokiste. En juillet 2024, Lawrence Bobo, doyen des sciences sociales de Harvard nommé par Claudine Gay, déclarait que quiconque critiquait Harvard ou ses politiques devait faire l’objet de sanctions[12].
En octobre 2024, Harvard mettait en place une politique de « doxing » dangereusement restrictive visant à lutter contre le harcèlement en ligne[13]. D’après ces règles, tout membre de l’université peut être sanctionné pour avoir partagé des informations relatives à un autre étudiant dans l’intention de harceler l’étudiant concerné. Les termes employés sont très vagues et pourraient aboutir à des situations préoccupantes en matière de liberté d’expression. Comme le souligne le National Review, il serait ainsi autorisé de manifester sur le campus mais interdit pour quiconque de publier une photo d’un manifestant avec un commentaire contestant l’objet de la manifestation[14].
Donald Trump ne fait pas fausse route lorsqu’il fait mine de s’interroger sur le statut de Harvard en ces termes : « Peut-être que Harvard devrait… être taxée comme une entité politique si elle continue à promouvoir des maladies politiques, idéologiques et inspirées/soutenues par le terrorisme ? » avant de brandir le retrait de l’exonération fiscale dont bénéficie l’établissement comme menace : « N’oubliez pas que le statut d’exonération fiscale est totalement conditionné par le fait d’agir dans l’intérêt général ! ».
Alors que son président crie à l’ingérence de Washington, Harvard se montrait moins regardante quand les directives émanaient d’une administration démocrate. Biden et Obama ont plusieurs fois utilisé la loi fédérale pour influencer les universités. En 2016, Barack Obama avait par exemple poussé les universités à adopter une ligne dure pour sanctionner les étudiants réfractaires à l’idéologie transgenre en exigeant des universités qu’elles autorisent les étudiants transgenres à utiliser les toilettes qui correspondent à leur identité de genre[15].
Le cas de Harvard semble désespérant et sa conception de la liberté d’expression, qui oscille entre mauvaise foi et totalitarisme idéologique, ne fait pas honneur à sa devise (« Veritas »). Une amélioration est toutefois à noter en termes de réactivité. Alors que l’université a tergiversé pendant de longs mois au sujet de l’antisémitisme qui sévissait sur son campus, elle n’aura mis que quelques jours à organiser une riposte contre les sanctions financières décidées par l’administration Trump.
François sera enterré au Vatican ce samedi. Le cercueil papal est exposé depuis mercredi à la basilique Saint-Pierre de Rome. Après la cérémonie, il sera transféré à la basilique Sainte-Marie-Majeure. Donald Trump, Emmanuel Macron ou Volodymyr Zelensky ont notamment prévu d’assister aux obsèques
Immense émotion mondiale à la suite de la mort du pape François au petit matin du lundi de Pâques. Comme s’il avait retenu son dernier soupir jusqu’à cette date tellement capitale et symbolique pour tous les catholiques. Il sera enterré samedi 26 avril.
Il est évident que je vais faire preuve, encore davantage qu’à l’ordinaire, de la décence que toute disparition devrait nous inspirer. Ce pape dont, depuis des mois, on connaissait le fragile état de santé, est mort pourtant dans une stupéfaction universelle douloureuse comme si on espérait son existence éternelle.
Un Pape « engagé »
Pour ma part, ma culture catholique m’ayant conduit à toujours le respecter et à le traiter, même quand il me déstabilisait un peu, non pas comme une personnalité politique mais tel l’évêque de Rome et le chef de notre Église, j’avoue avoir parfois été surpris.
Par le dédoublement entre, d’un côté, un pape heureusement conservateur, intransigeant sur les principes de base, ne s’abandonnant dans ces domaines sensibles à aucune provocation ni incongruité – la bénédiction pour les couples homosexuels me semblait une suggestion bienvenue -, de très bon conseil sur le plan des directives et orientations qu’il imposait à la curie et, de l’autre, une extrême sensibilité progressiste, humaniste, ciblée sur les périphéries, les migrants, les vulnérables, les blessés de la vie.
S’agissait-il, comme je l’ai cru longtemps, d’une politisation qui par moments semblait faire tomber ce pape bien au-delà de ce que son exercice classiquement pontifical aurait engendré ? Je ne pouvais pas m’empêcher d’éprouver, face à la liberté dont il usait et à l’authentique générosité qui était la sienne, un malaise devant ce qui me paraissait constituer un risque pour l’ensemble de la communauté catholique, susceptible d’être fracturée par des positions papales qui frôlaient tellement l’engagement qu’elles tombaient quasiment dans le partisan.
Tout ce que je lis et entends depuis sa mort me fait naturellement réfléchir et il aurait été absurde de ma part de ne pas m’en soucier et de ne pas en tirer des enseignements pour mon propre regard sur ce pape qui dans tous les cas ne laissait personne indifférent. Parce que son obsession était sans doute plus d’agiter le monde que de tranquilliser l’univers catholique.
Est-ce à dire qu’il dégradait sa parole et son action en un exemple de combat ordinaire, hémiplégique et injuste par les options qu’il pouvait choisir et dont la ligne principale était de mettre en lumière et en pitié des causes généralement abandonnées ? Je n’en suis plus si sûr.
D’abord sa volonté de simplicité, et de dépouillement forcément relatif mais incontestable (exemples dans sa vie quotidienne et dans son lieu de sépulture), sa dilection pour la piété des gens du peuple, qu’il a tellement appréciée en Corse, sont des éléments qui ne pouvaient que toucher des catholiques effrayés ou lassés par la surabondance du somptuaire. Il y avait dans le comportement papal une rectitude, une évidence de dignité et de proximité, exemplaires au point de nous rendre fiers d’une personnalité dont la politique pontificale nous laissait parfois sur notre faim. Quand le pape François déclarait aspirer à « une église pauvre pour les pauvres », il était profondément crédible.
On aurait pu lui reprocher, comme souvent pour les êtres d’exception, tant leur désir de surprendre pour le meilleur est intense, de s’être attaché d’abord à ce qui n’était pas son prochain immédiat mais à des compassions, des sollicitudes et des soutiens plus éloignés. Comme si le premier allait de soi et les seconds avaient été trop longtemps sacrifiés.
Dès lors que ce pape avait pour exigence de cœur et d’esprit fondamentale la paix, la concorde entre les nations, le refus absolu de la guerre, l’équité internationale, il était inévitable que d’une certaine manière il concédât bien plus à Dieu qu’à César. Aucun pape n’a apposé plus que lui, sur la fureur, la violence et le chaos du monde, le voile qu’il n’hésitait pas à rendre impérieux d’une morale universelle dont le catholicisme était l’incarnation emblématique.
Faut-il considérer que dans l’exercice de sa charge suprême il avait décidé d’être de gauche comme nos politiques ordinaires ? Répondre affirmativement serait s’égarer à mon sens. Ce qui est certain en revanche est qu’il a poussé à l’extrême une vision de l’Évangile qui, si on élimine la référence à César et à la politique qui ne regarde pas le religieux, pourrait être sans abus qualifiée de gauche, si on rapetisse le message de Jésus au lieu de le vouloir universel. Celui d’une humanité nue qui ne s’embarrasse pas d’un camp ou de l’autre.
Il est difficile pour un pape, même le plus engagé dans les troubles et les désordres du siècle, de changer le cours des choses même si son verbe et son influence partout où il passe valent mieux, sont plus opératoires, que toutes les comédies politiciennes.
Arrivant au terme de ce billet, je ne voudrais pas moi-même porter sur ce pape formidablement atypique un jugement banal, en le réduisant à ce que nous sommes au quotidien : des adeptes du relatif. Son catholicisme était extrémiste, absolu. La tiédeur n’était pas son fort.
Lille: le lycée musulman Averroès de nouveau sous contrat d’association avec l’État
On s’en serait douté, la France insoumise exulte. Elle voit, à juste titre d’ailleurs, dans la décision du tribunal administratif une victoire de la communauté éducative de cet établissement phare. Une victoire sur la prétendue islamophobie d’État.
En 2023, la préfecture du Nord avait décidé de rompre ce contrat d’association. L’établissement perdait donc de ce fait tout droit aux financements publics, dont, entre autres, le paiement des traitements de son personnel enseignant et la prise en charge d’une grande partie, évaluée à 75%, de ses frais de fonctionnement.
Les arguments de la préfecture : « Manquements aux valeurs de la République », « financement illicite » assortis du refus d’une inspection inopinée qui aurait été effectuée en même temps qu’un passage de la commission de sécurité.
Un camouflet pour le gouvernement
La juridiction administrative estime que l’administration préfectorale n’a pas « suffisamment démontré les faits reprochés au lycée, notamment le manquement au pluralisme culturel de la documentation accessible aux lycéens, ainsi que le caractère contraire aux valeurs de la République du cours d’éthique musulmane. » Même insuffisance de preuves, selon le tribunal, pour le financement illicite. Quant au refus de l’inspection inopinée, il n’y aurait rien là d’assez grave pour justifier la sanction.
De surcroît, le tribunal argue d’irrégularités dans la procédure ayant abouti à la rupture du contrat. En cause, notamment, la communication jugée tardive de certaines pièces, ne laissant pas le temps aux avocats de l’établissement de préparer leur défense, ainsi que le recours à « une note blanche non signée » présentée comme le complément d’un rapport d’inspection daté du 22 janvier 2022. Cette note mentionne en particulier la mise à disposition par le Centre de Documentation de l’établissement d’ouvrages de Hassan Iquioussen, l’imam expulsé de France pour incitation à l’antisémitisme et au racisme. Là encore, le tribunal considérera qu’aucun « élément probant de la présence de ces ouvrages au CDI », n’a été apporté.
Effet rétroactif
Donc, le lycée musulman Averroes voit son contrat d’association avec l’Etat réactivé. De nouveau, ses enseignants – agents publics – seront payés et son fonctionnement en grande partie assuré sur les fonds eux aussi publics. En d’autres termes, par le contribuable. Cela dit, la décision est assortie d’un effet rétroactif ce qui implique que l’État devra verser à l’institution l’intégralité des sommes que celle-ci aurait dû percevoir pendant la rupture.
Certes, le ministère de l’Education nationale se réserve le droit d’interjeter appel, mais cet appel n’étant pas suspensif, ce qui a été édicté par l’instance administrative devient exécutoire.
Il est à noter qu’une comparable procédure en rupture de contrat est en cours concernant, dans la région de Lyon, le lycée musulman Al Kindi, procédure qui, bien entendu, fait l’objet des mêmes recours administratifs que ceux déployés, avec succès donc, à Lille.
En réalité, ces péripéties judiciaires ne sont que l’illustration – inquiétante – d’un échec. L’échec de l’intégration des vecteurs d’enseignement musulman au sein de la République.
Le fait que seulement deux lycées se retrouvent confrontés à ces différends de fond nous apporte la preuve éclatante que, à proportion du nombre de musulmans présents sur le territoire national, les structures éducatives liées à cette religion ne se bousculent guère pour rechercher, via le contrat d’association, la conformité aux lois, valeurs et préceptes républicains. Ce formidable écart devrait être, en effet, un sujet de préoccupation majeur pour l’État…
Le fait également, que ce n’est que par le biais d’une argumentation toute défensive qu’est prise la décision de rétablir le contrat. En effet, le tribunal administratif n’affirme en aucune manière que les manquements reprochés à l’établissement n’existent pas. Il s’en tient à arguer du fait que les éléments probants seraient insuffisants, ce qui est tout différent. Et c’est bien pour cela que les islamolâtres de LFI crient victoire. « Ce n’est qu’une première », s’est félicité l’un des avocats du lycée, leur emboîtant le pas. Les autorités savent donc à quoi s’en tenir. Le choix est simple – simple mais terrible – céder ou faire front. Un premier élément de réponse est à venir avec la décision du ministère de l’Education nationale de faire appel ou non. Qu’il soit entre les mains de Mme Borne n’est pas là pour nous rassurer, cela glissé en passant. A voir, donc.
À voir aussi la place qu’occupe dans l’enseignement dispensé dans ce lycée la pensée d’Averroès, puisqu’ils en ont fait leur étendard. Puissamment inspiré d’Aristote, ce Cordouan, théologien et philosophe de première grandeur, considérait que la philosophie devait être de pratique obligatoire pour toute personne se voulant instruite ou exerçant une autorité. Dans cet esprit, il recommandait le recours aux sciences profanes, la logique, la physique, par exemple en complément de la pratique médicale. Surtout, position d’une modernité saisissante, il établissait formellement une distinction – une séparation – entre droit et théologie ! Bref, l’exact opposé de ce que promeuvent aujourd’hui les Iquioussen de tous poils et l’engeance des Frères musulmans.
Inutile de préciser que lorsque les intégristes Almoravides supplantèrent les Almohades, Averrroes fut promptement déclaré « Traître à la religion ». Et, on s’en doute, traité comme tel. Que l’établissement lillois s’en inspire serait déjà, en soi, une petite victoire de la raison sur l’obscurantisme. Et nous comprendrions mieux dès lors l’opportunité d’un contrat d’association.
Ronen Bar, le chef du service de renseignement intérieur, a été limogé par M. Nétanyahou pour « manque de confiance », une décision suspendue par la Cour suprême. Il a répliqué en transmettant deux lettres (une publique, une confidentielle) accusant le Premier ministre d’atteintes graves à l’État de droit. L’affaire révèle une société israélienne profondément divisée, où les institutions censées rester neutres sont de plus en plus politisées.
La crise politique israélienne a franchi un nouveau seuil avec l’affrontement désormais ouvert entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le chef du Shin Bet, Ronen Bar. La Cour suprême a accordé à Netanyahou un délai supplémentaire, jusqu’au 27 avril 2025, pour répondre à un affidavit[1] explosif de 31 pages (une partie rendue publique, et une autre classifiée) remis par M. Bar, dans lequel ce dernier accuse le chef du gouvernement israélien d’avoir tenté de l’instrumentaliser à des fins personnelles et politiques. Ce nouvel épisode s’inscrit dans une série de tensions croissantes entre les pouvoirs exécutif, judiciaire et sécuritaire, mettant en péril les équilibres institutionnels de l’État hébreu.
Falsifications
Dans sa déclaration sous serment déposée le 21 avril, Ronen Bar accuse Netanyahou de lui avoir demandé à plusieurs reprises de violer l’indépendance de ses fonctions. Trois éléments majeurs ressortent. D’abord, la surveillance illégale : Netanyahou aurait exigé que le Shin Bet[2] place sous surveillance des figures de la société civile, notamment des organisateurs et soutiens financiers du mouvement de protestation contre sa réforme judiciaire. Il convient de rappeler que, si le mandat du Shin Bet inclut bien la lutte contre la subversion et l’insurrection, des critères stricts ont été définis et validés par la justice pour distinguer la contestation, même radicale ou violente, des agissements sortant du cadre légal. Selon M. Bar, les personnes ciblées ne répondaient pas à ces critères.
Ensuite, Bar affirme que le Premier ministre a tenté d’obtenir un avis sécuritaire falsifié afin d’éviter de comparaître dans son procès pour corruption, en invoquant des risques pour la sécurité nationale. Enfin, il dénonce une exigence de loyauté personnelle inconditionnelle, y compris au mépris des décisions de la Cour suprême, exigence qu’il a refusée. Ces révélations, qualifiées de « mensongères » et de « fabrications politiques » par le bureau de M. Netanyahou, ont provoqué un véritable séisme au sein des cercles politiques et sécuritaires.
En mars 2025, Netanyahou annonçait son intention de révoquer Ronen Bar, invoquant une « perte de confiance », dans un contexte marqué par le lourd bilan de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, au cours de laquelle plus de 1 200 personnes ont été tuées. Bar avait reconnu une part de responsabilité, tout en soulignant que les alertes émises par ses services avaient été ignorées à d’autres niveaux de l’exécutif.
Particularité israélienne : pas de constitution écrite !
La conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, s’est opposée à cette révocation, estimant qu’elle n’était fondée sur aucun motif professionnel objectif mais motivée par des considérations politiques. Elle a saisi la Cour suprême, qui a suspendu la décision dans l’attente d’un examen approfondi. Déjà en désaccord avec le gouvernement sur d’autres dossiers sensibles, Mme Baharav-Miara apparaît ici comme le dernier rempart juridique contre un possible arbitraire de l’exécutif.
Pour comprendre pleinement l’enjeu, il convient de s’arrêter sur le rôle constitutionnel de la conseillère juridique du gouvernement, bien plus large que ne le laisse supposer son titre.
Dans les démocraties contemporaines, rares sont les systèmes dans lesquels une seule figure concentre à la fois les fonctions de conseillère juridique de l’exécutif, de cheffe du ministère public, et de représentante de l’intérêt général devant la Cour suprême. C’est pourtant le cas en Israël, où la conseillère juridique du gouvernement incarne un contre-pouvoir à la fois redouté, contesté et essentiel.
Le cœur du paradoxe israélien réside dans cette concentration de prérogatives : là où la plupart des régimes occidentaux séparent les fonctions de procureur général, de conseiller juridique et d’avocat de l’État, Israël a, dès ses premières décennies, choisi de les fusionner. L’objectif initial était d’assurer la cohérence de l’action de l’État, d’éviter les conflits de compétences et de garantir une lecture uniforme du droit. Mais ce modèle a fait de la conseillère juridique une gardienne du régime démocratique, dotée d’un pouvoir d’obstruction significatif face aux dérives de l’exécutif.
Son autorité ne repose pas sur une loi fondamentale spécifique, mais sur la jurisprudence, les usages administratifs, et une tradition issue du droit anglo-saxon. Ses avis sont contraignants tant qu’ils ne sont pas annulés par la Cour suprême, ce qui arrive. Elle peut refuser de défendre certaines décisions, présenter devant le juge une position indépendante, voire s’opposer à des nominations ou projets de loi jugés contraires aux fondements de l’État de droit.
Cette architecture institutionnelle singulière ne va pas sans controverses. Certains y voient une dérive technocratique, une captation du pouvoir démocratique par une élite juridique non élue. D’autres, au contraire, y reconnaissent le dernier garant de l’équilibre des pouvoirs dans un État où l’exécutif tend à se déployer sans contrepartie institutionnelle suffisante.
C’est à cette lumière qu’il faut analyser la tentative de limogeage de Ronen Bar. L’affaire met en tension deux logiques irréconciliables : celle de la sécurité nationale, qui exige efficacité et unité de commandement, et celle de l’intégrité institutionnelle, qui repose sur l’indépendance des organes de sécurité. En refusant d’obéir à des ordres politiquement orientés, M. Bar s’est érigé en défenseur de la déontologie du renseignement, mais aussi en symbole d’une résistance administrative à la personnalisation du pouvoir.
La Cour suprême, souvent critiquée mais toujours centrale dans l’architecture démocratique israélienne, se retrouve une fois de plus en position d’arbitre. Sa décision, attendue pour le 27 avril, dira dans quelle mesure et dans quelles limites le pouvoir judiciaire est encore en mesure d’imposer des freins à un exécutif fort de son soutien parlementaire.
La fraternité jusqu’à l’aveuglement ? Concernant la Chine, Israël ou l’islam, derrière les apparences, le Pape François n’ignorait en réalité rien des contraintes de la realpolotik.
Pour les chrétiens, le dimanche de Pâques est le jour de la résurrection du Christ, autrement dit l’anniversaire de l’événement fondateur du christianisme. C’est le jour le plus important du calendrier, où Noël n’est arrivé que quelques siècles plus tard. Le Pape François, épuisé depuis sa sortie de l’hôpital a écrit la bénédiction Urbi et Orbi, n’a pas pu la prononcer lui-même, mais est allé à la rencontre de la foule. Le lendemain matin, il était mort. J’ai pensé à une étude américaine sur les décès des personnes âgées juives autour de la Pâque. Les jours qui précédaient la fête, les décès étaient plus rares que les jours qui la suivaient, comme si des malades qui tenaient à vivre cet événement en famille lâchaient prise après…
François avait fait jusqu’au bout son travail de Pape, en accord avec des principes d’une exigence extrême. Ce n’était pas pour rien que le jésuite Bergoglio avait pris un prénom que nul Pape ne s’était avisé de choisir: celui de l’apôtre des pauvres, de l’amour universel envers les créatures, hommes ou bêtes qui peuplent la nature divine et accessoirement le précurseur du dialogue avec l’islam par sa rencontre avec le Sultan d’Egypte au cours de la cinquième croisade.
Le Pape François a suivi avec une extraordinaire détermination l’exemple de François d’Assise, qui lui-même s’alignait sur le Sermon sur la Montagne tiré de l’Evangile de Mathieu, éloge de la préférence envers les pauvres et les opprimés.
Ironie du destin, ce fut un Américain, catholique fervent depuis son récent baptême, aussi strict que lui sur l’avortement et sur la fin de vie, mais opposé quant au reste, qui fut un de ses derniers interlocuteurs: J.D. Vance, vice-président d’un Donald Trump que François avait vertement critiqué lors de son premier mandat.
Enfin dans l’homélie de cette journée historique, un détail insolite: l’inquiétude du Pape sur la montée de l’antisémitisme.
Lorsque le cardinal Bergoglio est devenu François, tous les indicateurs étaient au vert dans les communautés juives. J’ai eu l’occasion, après son élection, d’être reçu au sein d’une délégation juive d’Amérique du Sud, surtout des Argentins, et j’ai été frappé par la cordialité de leurs relations. Le discours du Pape était plein d’angoisse. Parlant des chrétiens d’Orient, il nous prit à témoins: « Parce que vous êtes Juifs, vous, vous pouvez comprendre mieux que les autres que ce qui se passe là-bas, c’est un génocide ! ». J’ai trouvé le terme inapproprié au regard de ce que je savais, mais je n’ai pas pris la parole.
La suite l’a confirmé.
On dit que le Pape François a parlé d’un génocide possible à Gaza dans un livre d’entretien de novembre 2024. Mais il l’avait utilisé auparavant. En novembre 2023, des familles palestiniennes reçues au Vatican ont déclaré qu’il avait parlé de génocide. Si j’en crois mon expérience personnelle le Pape François utilise ce mot de façon laxiste, en fonction de son ressenti moral; et non de critères juridiques. Si la Cour Internationale de Justice n’a pas statué, un observateur impartial sait qu’il n’y a pas à Gaza les critères d’un génocide dans lesquelles l’intentionnalité est fondamentale. Ce terme est une arme, extrêmement efficace, dans une guerre des mots menée contre Israël. Le Pape en a été malheureusement un transmetteur.
Gabriel Romanellin curé de Gaza
Depuis le 7 octobre 2023, très nombreuses ont été les références du Pape François au drame que vivent les Gazaouis. Tous les soirs, jusqu’à la veille de sa mort il s’entretenait avec le curé de la minuscule communauté chrétienne de Gaza, le père Gabriel Romanelli, un Argentin comme lui. Beaucoup de personnes proches du Pape François témoignent aujourd’hui de la profondeur affective qu’il pouvait mettre dans ces relations humaines. C’est ce qui s’est passé avec Gaza, source personnelle d’émotions et de colère. Il a reçu des familles d’otages israéliens, il a réclamé leur libération, mais il n’a pas créé avec eux les mêmes liens. De même; sans qu’il les ait négligés dans ses discours, je ne vois pas, en dehors évidemment des réfugies, qui ont été le fil conducteur de son pontificat, qu’il se soit mobilisé émotionnellement avec la même intensité pour d’autres lieux de la planète où des hommes et des femmes, chrétiens ou non, étaient persécutés: il a gardé des relations courtoises avec les dirigeants iraniens, sans fulminer contre les crimes contre l’humanité qu’ils produisent en cascade, Et pourtant, il avait vu dans sa jeunesse les ayatollahs à l’œuvre dans les attentats contre l’AMIA…
En ce qui concerne le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe, notoirement un homme du KGB, avec lequel il avait eu en 2016 une rencontre historique sur…. l’aéroport de La Havane, les relations se sont dégradées car le Pape a manifesté son soutien à l’Ukraine, même s’il n’a jamais, même à Boucha, désigné la responsabilité russe. Avec la Chine il a signé un accord qui laisse au gouvernement le contrôle sur l’Église catholique chinoise. François n’ignorait pas entièrement les contraintes de la Realpolotik.
C’est dans cet espace entre volonté de paix et exigences de la diplomatie qu’il faut analyser ses relations avec l’islam, indiscutablement un marqueur de son pontificat, comme les relations avec les Juifs l’avaient été au temps de Jean Paul II.
Le Pape François a systématiquement réagi aux attentats islamistes qui ont parsemé son pontificat par la compassion envers les victimes, la condamnation du terrorisme au nom de Dieu et l’appel à ne pas associer l’islam à la violence. Ces réactions traduisent la volonté -admirable- de ne pas essentialiser l’ennemi, mais la crainte de stigmatiser et la recherche d’équilibre ont parfois conduit loin dans l’occultation des responsabilités.
Sur la place Saint Pierre, dimanche 8 octobre 2023, le Pape François fait état de son appréhension et de sa tristesse; il prie pour ceux qui ont vécu ou vivent encore des moments de terreur et d’angoisse. Il conclut que le terrorisme n’est pas une solution et que la guerre est toujours une défaite. Il ne prononce pas, et ne prononcera pratiquement jamais, le mot « Hamas ».
En novembre 2023, il a reçu des familles d’otages israéliennes, et dans la soirée des familles de prisonniers palestiniens en Israël. A l’issue de ces deux rencontres, dont le parallélisme avait choqué les amis d’Israël, il a déclaré «Là, ce n’est plus la guerre, c’est du terrorisme», sans préciser s’il parlait des massacres du 7-Octobre ou, comme la plupart l’ont compris, de la réaction israélienne.
A aucune de ses invocations du malheur des Gazaouis il ne faisait allusion aux terroristes du 7-Octobre et à leur chantage sur les otages: un seul responsable apparaissait en filigrane, Israël. De cette époque date le désamour entre le Pape François et les Juifs.
De passage pour un enterrement, j’ai ressenti la profonde déception de la communauté juive romaine, celle qui avait été au premier rang des initiatives de Jean Paul II.
Toute sa vie cependant, le Pape François a témoigné que les acquis de Nostra Aetate étaient irréversibles, que l’antisémitisme était une tare dont l’Eglise s’était enfin débarrassée et qu’il n’était pas question de la réalimenter. Il n’y a pas à douter de cet engagement. Son rôle a été déterminant pour rendre accessible aux chercheurs l’ensemble des archives du pontificat de Pie XII, archives qui confirment ce que la plupart pressentaient et que certains cherchaient à édulcorer, que le Vatican était parfaitement au courant de l’extermination des Juifs. Mais tout se passe comme si cet engagement indiscutable l’avait rendu partiellement aveugle et sourd aux dérives de l’israélophobie et aux sous-entendus de l’islamisme. Il est significatif que sa dernière homélie se soit inquiétée de la montée de l’antisémitisme, mais n’ait pas remis en cause l’idéologie qui l’alimentait.
En mai 2014 le Pape François a effectué un voyage en Israël. Plus exactement, il a effectué un pèlerinage en Terre Sainte au cinquantième anniversaire de la rencontre entre Paul VI et le patriarche orthodoxe Athénagoras. A Bethléem il posa ses mains sur le mur de séparation construit par les Israéliens dans le contexte de violences intenses au cours de la Seconde Intifada, un geste qui reflétait l’engagement du Pape François en faveur des opprimés mais qui suscita un malaise que ni sa visite à Yad Vashem, ni sa présence sur la tombe de Herzl ne parvinrent à dissiper.
Fratelli Tutti
La grande cause du pontificat du Pape François a été celle de la fraternité humaine dont témoigne l’encyclique Fratelli Tutti, publiée en 2020 le jour de la fête de François d’Assise.
Peut-être parce qu’il considérait que le rétablissement des liens avec les Juifs était une histoire acquise, plus certainement parce que les liens avec les musulmans, tellement plus nombreux que les Juifs, lui parurent la clef d’une coexistence harmonieuse, le Pape a cherché à établir avec l’islam des liens qu’aucun autre pontife n’avait développés de façon aussi spectaculaire et persévérante.
Son interlocuteur sunnite, Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar au Caire, a réagi à la mort du Pape François en l’appelant son frère en humanité. Ensemble ils ont signé à Abu Dhabi un «Document sur la fraternité humaine» dans lequel il est écrit que «La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer». Aussi louable soit-elle, cette phrase est malheureusement une illusion. Aujourd’hui la foi sert souvent à tuer sans ressentir de remords. Au demeurant, Ahmed Al-Tayeb qui a défendu l’autonomie de Al Azhar contre les Frères Musulmans, qui a approuvé la destitution de Mohamed Morsi en 2013 et qui se dit partisan d’un islam modéré, non politique, voire un peu soufi, a accueilli avec enthousiasme les massacres du 7-Octobre. Sa fraternité de croyant ne s’étend pas aux victimes de ce jour-là. Il a écrit sur le fait que l’expropriation des Palestiniens était le crime des crimes de l’humanité. Et il réserve sa compassion aux Gazaouis sans s’interroger sur la responsabilité du Hamas dans la guerre.
Il en est de même pour Mahmoud Abbas en Cisjordanie qui cherche un peu de légitimité interne dans un discours antisémite classique et qui réserve à usage externe ses déclarations pacifiques.
Comme d’autres qui ne partageaient pas ses objectifs religieux, le Pape François a fait des Palestiniens le paradigme des victimes. Cela est faux au regard de l’histoire qui révèle que le palestinisme a été grandement une fabrication idéologique destinée à servir les menées du nationalisme arabe, puis du soviétisme et enfin de l’islamisme.
Les objectifs du Pape François étaient différents, aussi spirituellement admirables qu’humainement irréalistes. Ils étaient ceux de la paix à tout prix et du souci prioritaires envers les déshérités. Ce sont là des idées qui parcourent l’histoire du christianisme et qui ont été habituellement tenues à l’écart par les hiérarchies qui se sentaient plus confortables avec la notion de guerre juste, définie entre autres par Thomas d’Aquin.
Il est vrai que le Pape François lui-même a déclaré le 11 octobre 2023 qu’Israël avait le droit de se défendre, ce qui nous parait la moindre des choses, mais ne l’était peut-être pas pour un pacifiste absolu. Il a cependant assorti ce droit d’exigences de proportionnalité et de précautions dont le respect strict aurait lié les mains aux Israéliens.
Au cours de l’histoire, les Juifs ont beaucoup donné en tant que victimes innocentes. Ils en ont même tiré la doctrine du Kidoush Hachem, d’acceptation du martyre sans résister et sans profaner le nom divin. Le sionisme a imposé une autre perspective, celle de la défense pour se maintenir en vie. Aujourd’hui les Israéliens font face à ceux qui tiennent un troisième narratif, celui où les récompenses divines proviendront de la capacité à exterminer les ennemis, qualifiés d’ennemis de Dieu.
Les partisans de la paix ne doivent pas vivre dans le déni. Le bien n’est pas forcément contagieux et certaines guerres sont nécessaires. L’illusion pacifique a abouti avec le nazisme à la catastrophe que l’on sait et il en sera de même avec l’idéologie véhiculée par le Hamas et ses acolytes si rien n’est fait pour l’arrêter.
Depuis mardi, la capitale belge ne se contente plus de ses gaufres et de son Manneken-Pis pour briller, elle affiche aussi fièrement et officiellement ses valeurs de tolérance…
Il fallait les voir, fiers et valeureux, les élus socialistes, écologistes, libéraux et leur suite au moment d’adopter à l’unanimité, durant le conseil communal, une motion faisant officiellement de Bruxelles une « ville antifasciste ». Évidemment, ça ne veut rien dire, ça ne sert qu’à renforcer les égos de quelques résistants de salon, ça n’aura aucun impact car il ne reste plus beaucoup de « fascistes » au sens historique du terme.
Antisionisme, vous disiez ?
Pendant ce temps-là, Bruxelles continue d’être gangrenée par l’antisémitisme. Les pavés de la Mémoire, honorant le souvenir de victimes du nazisme, ont été récemment tagués du mot de ralliement des islamo-gauchistes : « Gaza ». Après cela, il sera encore difficile pour les agités du drapeau palestinien de nous faire croire que leur antisionisme revendiqué n’est pas avant tout un antisémitisme.
Quelques jours plus tôt, des affiches dénonçant l’antisémitisme ont été arrachées, quelques minutes après leur apparition, à l’Université libre de Bruxelles (ULB), là même où l’extrême gauche toute-puissante sème la terreur depuis de nombreux mois. Sur l’une d’elles, on pouvait lire : « Ici, les juifs doivent cacher leur identité ». L’Union des étudiants juifs de Belgique, à l’origine de la campagne, a ainsi rappelé que certains de leurs coreligionnaires ont peur de se rendre sur le campus par crainte d’être agressés.
Antifascime : un combat d’arrière-garde
Ces incidents s’inscrivent dans une série d’actes, de propos, de dérapages antisémites de plus en plus fréquents à Bruxelles : présidente de parti qui partage une chanson appelant à tuer les fils de Sion sur ses réseaux sociaux, manifestations où pullulent des slogans nauséabonds (« Gloire à Sinwar », « From the river to the sea »…), professeur israélien menacé de se voir interdire une conférence… Selon un sondage, près d’un Bruxellois sur quatre ne se cache d’ailleurs pas au moment de témoigner son antisémitisme.
Au lieu de se déclarer emphatiquement « ville antifasciste », Bruxelles n’eût-elle pas été inspirée de se revendiquer « ville anti-islamiste » ? Personne, en effet, n’est dupe : ce ne sont pas des groupuscules néo-nazis qui suscitent la terreur auprès de la population juive de la capitale belge, mais bien des islamistes qui ont désormais pignon sur rue et ne sont guère inquiétés par les responsables politiques tout heureux de trouver parmi eux une clientèle électorale qu’ils craignent de plus en plus. Les temps orwelliens se définissent souvent mieux par des oxymores : c’est ainsi que Bruxelles commence à devenir une « ville antifasciste antisémite ».
Pourquoi les intellectuels se trompent : le titre du livre de Samuel Fitoussi est à lui seul un programme. Avec une plume acérée et une érudition accessible, l’essayiste interroge les raisons profondes pour lesquelles une partie du monde intellectuel, censé éclairer le jugement public, s’illustre régulièrement par des égarements spectaculaires. Avant de publier ce nouvel essai, Samuel Fitoussi avait signé en septembre 2023 le remarqué, Woke Fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries (Le Cherche Midi)
Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.
Ses sujets de prédilection incluent la politique française, les relations internationales, les débats sociétaux et les médias. Par exemple, il a imaginé dernièrement une lettre ouverte d’un fact-checker en colère après l’annonce de Mark Zuckerberg souhaitant renoncer à la vérification de l’information sur ses réseaux sociaux. Il a également proposé le 9 décembre 2024 un discours imaginaire d’Emmanuel Macron aux Français au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier, intitulé « Vous ne me méritez pas ».
Une parole sans conséquence : la spécificité de l’intellectuel
L’un des apports les plus intéressants de son ouvrage réside dans la relecture du rôle de l’intellectuel à travers le prisme de l’économie des idées. En mobilisant Thomas Sowell, Fitoussi rappelle que l’intellectuel n’a pas de « skin in the game » : ses erreurs ne lui coûtent rien, à la différence de l’entrepreneur ou de l’artisan. Cette déconnexion du réel expliquerait la facilité avec laquelle des figures aussi prestigieuses que Sartre, Foucault ou Beauvoir ont pu soutenir des régimes meurtriers. Ces errements idéologiques ne sont pas des accidents, mais des symptômes d’un système d’incitations déséquilibrées. « D’un côté, pour un intellectuel, le prix de l’erreur est faible puisqu’il ne subit pas personnellement les conséquences de ses mauvaises idées. De l’autre côté, le prix à payer s’il énonce une vérité peut être élevé dans le cas où celle-ci ne coïncide pas avec ce que les autres estiment être la vérité. »
L’intellectuel contre sa société : entre posture morale et distinction sociale
Fitoussi analyse longuement la fascination pour l’anti-occidentalisme comme une forme moderne de prestige moral. À la suite de Roger Scruton, il parle d’oikophobie, ce rejet systématique de sa propre culture, souvent au profit d’utopies lointaines. Steven Pinker complète cette analyse : dans la concurrence symbolique pour la reconnaissance, critiquer son propre camp serait devenu le meilleur raccourci pour briller. Quant au catastrophisme (immigration, climat…), il n’est plus une alerte, mais un marqueur de distinction.
Une indulgence asymétrique : les fautes de la gauche mieux tolérées ?
L’auteur avance par ailleurs l’idée que la critique intellectuelle française souffre d’une asymétrie morale : les erreurs de la gauche seraient perçues comme des dérives exceptionnelles, tandis que celles de la droite seraient vues comme des manifestations de son essence (on ira voir à ce titre la p. 111). Ce biais culturel rendrait certaines figures intouchables, malgré leurs égarements. Samuel Fitoussi y voit un fonctionnement en vase clos, où le regard des pairs prime sur la recherche de vérité.
Rétablir l’exigence intellectuelle
Mais loin de se limiter à une dénonciation, le livre plaide pour un redressement des exigences. Fitoussi rend hommage aux figures de lucidité qui inspirent ses réflexions : Raymond Aron, George Orwell, Jean-François Revel. Il ne s’agit pas d’être anti-intellectuel, mais de demander aux intellectuels de retrouver leur rôle critique, adossé à la confrontation avec le réel, plutôt qu’à la seule quête de reconnaissance.
Pourquoi les intellectuels se trompent est un essai stimulant, parfois provocateur, qui bouscule confortablement les certitudes du monde académique. Il pose les bonnes questions, même si certaines réponses gagneraient à être davantage nuancées.
En effet, l’ouvrage met l’accent sur la responsabilité individuelle des intellectuels dans la propagation d’idées erronées. Cependant, les médias, les maisons d’édition et les institutions académiques jouent également un rôle crucial dans la diffusion et la légitimation de ces idées. Une analyse plus complète inclurait ces acteurs pour comprendre comment certaines idées gagnent en influence malgré leurs failles. Tout ne repose pas sur les épaules des intellectuels. Une idée pour un prochain volume ?
Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, éditions de l’Observatoire, 270 pages.