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Le narcissisme vertueux et l’antisionisme


Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste. C’est ainsi que derrière une proclamation humaniste relevant de la niaiserie larmoyante, on lit des accusations qu’ont déjà reprises en cœur les adversaires d’Israël. Tel est le cas d’un texte pervers publié dans Tenoua, « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », où Delphine Horvilleur se livre à une exhibition de moralité qui est un pur exercice rhétorique. Son argumentation y sacrifie le raisonnement et la démonstration (logos) au profit de l’émotion (pathos) et de l’exhibition de soi (éthos) : cette articulation du pathos, de l’indignation morale, de la notoriété et de l’argument identitaire (« en tant que juif ») signe un texte mondain, opportuniste, égocentrique.

Mise en scène de la vertu

La déclaration d’amour domine le début de son texte : « C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. » Cette captatio benevolentiae sert de paravent : on peut ensuite dire les pires choses, on se sera protégé par l’affichage d’une bonne intention dont la sincérité est pourtant démentie par le reste du texte. Elle prolonge ensuite cette phrase par une vigoureuse proclamation : « Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

L’épanaphore (« par amour […] par la force […] par la douleur […] par la tragédie »…) sert à accentuer la gravité des propos tout en valorisant le courage de celle qui ose prendre la parole à la suite d’un dilemme moral (« Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole »). La répétition du « je » qui traverse son texte est d’ailleurs manifeste : cette mise en scène de l’émotion personnelle est un argument affectif sans aucune valeur de démonstration factuelle. Elle pose ainsi une supposée « faillite morale » par allusion, sans en établir la réalité. De même, le mot « tragédie » relève du pathos et non de la description. Par le consensus moral qu’il invoque — puisque personne, évidemment, ne serait favorable à une tragédie — il cache la réalité politique : ayant déclenché une guerre d’agression, Gaza en subi les conséquences, comme pour toute attaque ratée.

S’il est bien vrai que toute la région est concernée, ce n’est pas par un « traumatisme » qu’elle endurerait mais du fait de l’agression à laquelle elle participe : les Houthis du Yémen, l’Iran, le Hezbollah au Liban. Mais peut-être faut-il en effet parler de « traumatisme » quand on ne parvient pas à tuer autant de Juifs que prévu. Cette victimisation des agresseurs est tout de même un retournement bien étonnant de la part d’un esprit se voulant aussi fin que Delphine Horvilleur dont la morale semble singulièrement en porte-à-faux avec le réel. Il faudrait sans doute épargner celui qui vient vous tuer et lui laisser la possibilité de recommencer.

Victimisation et réalité politique

Cette volonté de tendre la joue gauche ressemble plutôt à la martyrologie chrétienne qu’au sionisme. Dans le Talmud (Traité Sanhédrin, 72a et b), il est dit : « Si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ! » Mais il faut compléter cela par le devoir d’altruisme qui l’inspire : « Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère en le regardant mourir, alors que tu peux le sauver », commente Rashi pour expliciter « ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19,16) : c’est précisément sauver son prochain que d’empêcher une agression. Plutôt qu’une incantation « pacifiste » comme celle de Delphine Horvilleur, l’interprétation des situations spécifiques qui occupe les talmudistes fonde une réflexion éthique autant que politique de la matérialité des situations, loin de toute abstraction. La survie et la protection de son peuple face à l’ennemi venu l’annihiler est bel et bien un cas exigeant la violence.

On ne saurait en trouver d’illustration plus évidente que l’agression qui s’abat sur Israël depuis toujours, et notamment en 1948, 1967, 1973 et depuis toutes les attaques provenant de Gaza (2008, 2012, 2014, et, bien sûr, le 7 octobre 2023…). Israël ne déclenche pas de guerre. Et Israël ne peut pas perdre de guerre. Et jusqu’à présent, Israël n’était pas autorisé non plus par ses « alliés » américains et européens à gagner de guerre. Delphine Horvilleur ne veut pas qu’Israël gagne une guerre de manière définitive — veut-elle que ses ennemis puissent se ressaisir ? Après tout, telle était la doctrine habituelle : gérer les agressions et, sous la pression des États-Unis et de l’Europe, ne pas éliminer complètement les agresseurs.

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Après avoir changé ses chiffres, le Hamas a finalement dû reconnaitre que 72% des pertes étaient des hommes en âge de combattre et non des femmes et des enfants. Voilà qui ressemble davantage au ratio de victimes civiles le plus faible de l’histoire de la guerre et non à une « faillite morale ». On est plus proche de l’exemplarité que de la honte. Alors même qu’Israël prévient les civils de ses attaques, cible ses frappes et exfiltre les Gazaouis qui le désirent, Delphine Horvilleur choisit d’adopter le narratif victimaire propagé par le Hamas.

L’accumulation de reproches de son texte donne une impression d’évidence incontestable mais cette conglobation repose sur l’abstraction et non sur la factualité : cet empilement d’évitements et de demi-vérités allusives joue un rôle argumentatif insidieux mais dénué de valeur de vérité. L’accusation d’Israël est, en soi, un renversement de culpabilité : si Gaza veut que la guerre s’arrête, il suffit de rendre les otages et de déposer les armes. L’acharnement est bien celui du Hamas. Et en étrillant Israël sans évoquer ces crimes du Hamas, Delphine Horvilleur réalise un retournement moral d’une gravité capitale. Que son texte soit repris sur les réseaux par de nombreux antisionistes et de militants islamo-gauchistes est bien la marque d’un positionnement qui satisfait les ennemis d’Israël.

En formulant l’injonction que « cet État doit […] tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples », elle fait comme si cela n’était pas le cas depuis même avant 1947 (Accords Fayçal-Weizmann, 1919). Comme si Camp David (1978 et 2000), Oslo (1993), Taba (2001), le plan Olmert (2008) n’avaient pas existé. Toutes les propositions faites aux Arabes de Palestine se sont soldées par un rejet (même en leur offrant jusqu’à 94% de la Judée-Samarie…). Bill Clinton lui-même a rappelé le refus d’Arafat d’avoir un État, comme tous les dirigeants palestiniens depuis, car ils réclament non pas un État pour eux-mêmes mais la destruction d’Israël. C’est un point de doctrine qu’a toujours soutenu l’OLP lui-même (le plan en 10 points de 1974 n’envisageait la solution à deux États que comme une étape avant la conquête totale). Soit Delphine Horvilleur est ignorante de cette réalité politique, soit elle fait comme si elle n’existait pas, pour sauvegarder sa belle âme si télégénique.

Pathos et abstraction

Outre la complaisance qui caractérise son style, plus proche des ouvrages de développement personnel que de l’analyse talmudique, le fait de s’exhausser par un lexique abstrait qui donne l’impression de la hauteur philosophique (« amour », « conscience », « âme »…) et de l’émotion (« douleur », « cœur ») permet d’éviter les réalités, politiques, diplomatiques, stratégiques et, tout simplement, guerrières. Concrètement, comment « sauver son âme » face à un milicien gazaoui armée d’une kalachnikov ? Dans cette situation, c’est rendre Israël moralement responsable des turpitudes qu’il subit. Peut-être n’a-t-elle pas vu les vidéos où les mères palestiniennes hurlent de joie quand meurent leurs enfants élevés dans le culte du martyre jihadiste, ni celles où les braves Gazaouis prennent la pose devant des décombres et refont plusieurs prises pour être sûrs que l’émotion passe bien. Elle n’a dû voir que le montage final, à destination de l’Occident et des esprits fragiles.

Penser « au peuple palestinien » semble une obligation déclarative, mais peut-être s’agit-il d’un véritable objectif politique. Auquel cas, il faut rappeler le soutien des civils au Hamas qu’ils ont élu, leur participation au 7-Octobre, leur joie, leur rôle dans la détention des otages. Ces civils qui endossent tantôt une tenue militaire, tantôt un gilet marqué « presse » ou une blouse blanche de médecin pour aller stocker des armes dans des hôpitaux. Leur révolte apparente contre le Hamas n’intervient que dans la défaite, alors que la population, pour sa plus grande majorité, a célébré le 7-Octobre.

Depuis Stéphane Hessel et le pathos de son évocation anti-israélienne[1], « les enfants de Gaza » est devenu un topos antisémite dont les racines sont celles de l’accusation de meurtre rituel. La répétition lancinante du mot « enfant » dans le texte de Delphine Horvilleur est un procédé pathétique qui nie la réalité sociale et politique de Gaza. Peut-être pourrait-elle accuser le Hamas, pointer le conditionnement mortifère qu’il inflige à sa population, plutôt que de se tourner vers Israël ? Ou s’étonner de ces mères qui ne cessent de proclamer leur désir de voir leurs enfants devenir des shaheed, des martyres capables de tuer des Juifs. Mosab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, ne cesse de décrire ce culte de la mort, cette haine du Juif, théologique autant que culturelle, qui a été inculquée à tous les enfants de Gaza qui apprennent dès leur plus jeune âge à égorger des Juifs et à manipuler des armes. Même l’Union européenne, qui fermait les yeux avec tellement d’intensité sur l’utilisation des financements qu’elle octroyait à l’UNRWA, vient de voter pour un gel des financements des écoles de l’UNRWA pour mettre fin à l’éducation à la haine qui a cours à Gaza[2]

Mais Delphine Horvilleur préfère accuser Israël au nom de l’amour qu’elle lui porte : « [mon amour de ce pays] est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. » Habilement, elle reprend l’accusation de génocide sans prononcer le mot, accusation indirecte, informulée et donc d’autant plus perfide. La formulation nominale (« l’annihilation ») et l’article indéfini (« un » peuple) permettent aussi une abstraction commode qui évite de poser des faits.

Le nouveau recours à l’épanaphore conclut sa harangue :

« Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.

Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.

Soutenir ceux qui savent que seul le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.

Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.

Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants. »

Cette litanie anaphorique est une figure d’emphase qui verse dans la grandiloquence. L’épanaphore est une figure tellement visible qu’elle crée un effet hypnotique faisant passer au second plan les contenus propositionnels, ici douteux, qui suivent au bénéfice de la force de conviction qu’elle permet d’afficher. Elle indique, par son ampleur même, la gravité des propos que l’on désire assumer. C’est une figure de tribun, de procureur, d’accusateur public. Mais son réquisitoire exalte simultanément « ceux qui savent », au rang desquels elle se compte, bien entendu. Or, cette emphase n’est pas juste un ornement stylistique. Ici, les procédures d’amplification sont de l’ordre de l’intimidation morale. En systématisant cette hyperbole, ce texte rend impossible la contradiction argumentative : quiconque oserait contredire cette figure d’innocence dont la vertu est si emphatiquement proclamée serait forcément une personne ignoble… Un tel miroir narcissique — « pensez comme moi si vous êtes une bonne personne » — relève d’une démagogie de l’enrôlement.

Le grand retournement

Elle utilise le même pathos manipulateur que naguère Stéphane Hessel (« les enfants »), reprend le vocabulaire antisioniste (« suprémaciste et raciste »), le lexique pacifiste (elle dit « fin des combats » et non « victoire ») et creux (« avenir », « sauver son âme »), voire fallacieux (« affamer des innocents ») dans un propos qui vise à désarmer Israël et à confisquer la démocratie au profit de son camp politique présenté comme incarnant la vertu. C’est une rhétorique ampoulée, pleine de morgue jusque dans sa prétention à l’humilité.

En reprenant les poncifs antisionistes les plus caricaturaux et les plus radicaux, elle semble avoir choisi le créneau discursif du « Juif anti-israélien par amour d’Israël ». Car elle saurait, elle, ce qu’est le vrai Israël. Cela rappelle malheureusement un topos anti-judaïque, celui du supersessionisme comme doctrine du christianisme se pensant comme Verus Israel et condamnant le judaïsme comme une erreur destinale. Les Juifs qui ne pensent pas comme elle seraient alors des imposteurs, des malfaisants, des mauvais Juifs.

Par facilité, on parle souvent de « haine de soi », mais c’est bien l’inverse qui anime certaines personnes, désireuses au contraire de se valoriser au détriment des autres, en exhibant leur vertu, leur supériorité morale et en faisant l’argument de leur gloire. Depuis les descriptions qu’en a fait Vladimir Jankélévitch dans L’aventure, l’ennui, le sérieux, on connait bien ces professionnels de la vertu, mais il reste à comprendre les ressorts des petits boutiquiers du judaïsme officiel, ces élites carriéristes qui se complaisent dans le mépris et décident que la démocratie doit leur ressembler, en toute exclusivité, y compris s’il faut pour cela vendre le renom de leurs frères et apporter des arguments à ses ennemis. Cet orgueil démesuré, hybris narcissique de la vertu se voulant loi, finit alors par trouver sa place dans une typologie des traitres.


[1] « Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.[…] c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vus confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. » (Indignez-vous !, p.17)

[2] « Les contribuables européens ne veulent pas que leur argent soutienne une éducation qui célèbre le terrorisme et prône la haine d’Israël » a conclu le parlement européen en votant massivement sa résolution le 7 mai 2025.

Magistrale BB

Brigitte Bardot s’est confiée avec mélancolie et franc-parler à BFMTV. Elle a bien sûr rappelé son combat pour la cause animale et livré sa vision critique du monde contemporain, sans crainte du jugement. Résultat: les féministes enragent. « Longue vie à notre éternelle sex-symbol ! » lance notre rédactrice en chef dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Brigitte Bardot s’est livrée sur BFMTV. Certaines de ses déclarations font bondir les féministes. Et moi, elles m’enchantent. Sacrée BB. Une femme libre. Non seulement l’actrice défend Nicolas Bedos et Gérard Depardieu (le jugement de ce dernier était attendu ce matin), mais elle tire à boulets rouges sur la plus sacrée des vaches sacrées : le féminisme.

Le féminisme, c’est pas mon truc. Moi j’aime les mecs ! lance la star
– On peut aimer les mecs et être féministe, rétorque le journaliste.
– Non !

Stricto sensu, Brigitte Bardot a tort. Je suis féministe et j’aime les hommes (enfin, certains hommes). Elle aussi, sans le savoir ; mais féministe à l’ancienne, c’est-à-dire universaliste -une féministe qui prône l’égalité des sexes. Bien sûr, cette égalité n’est jamais réalisée complètement, comme la démocratie. Mais, dans nos sociétés c’est la norme. Une égalité juridique, politique et sociale. Personne n’oserait plus faire dire à un de ses personnages dans un film : « Alors, ta bourgeoise, tu lui claques le beignet ?» (Ça, c’était Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol). La société ne tolère plus qu’un homme claque le beignet de sa bourgeoise. La révolution féministe a réussi. C’est même (avec les bas-jarretières, vous savez ceux qui tiennent tout seuls) le plus bel héritage du XXème siècle.

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Mais pourquoi ces déclarations m’enchantent-elles ?

BB dit la vérité sur ce que le féminisme est devenu – bien avant MeToo d’ailleurs (on appelait déjà cela le néo-féminisme) :

  • Un mouvement pleurnichard et victimaire qui ne voit jamais les progrès accomplis. Des mauvaises gagnantes (comme l’a dit joliment Alain Finkielkraut) qui ont besoin de ranimer un patriarcat évanoui pour exister. À les entendre, la France est pire que l’Iran et l’Afghanistan où le sort des femmes ne les soucie guère (Manon Aubry est très fière de distribuer des pilules abortives en Pologne, que ne le fait-elle en Algérie ?)
  • Ces néoféministes ne veulent pas la justice mais la revanche. À notre tour de dominer, à votre tour d’en baver.
  • Derrière tous leurs discours, tous leurs actes ou derrière leurs commissions McCarthy se cache une haine de la sexualité en général, de la sexualité masculine en particulier et singulièrement de l’homme blanc hétéro. Elles détestent la séduction, la drague, les jeux de l’amour et du hasard transformés en VSS – violences sexistes et sexuelles. Le procès de Mazan est ainsi devenu celui des hommes. Tous des violeurs. Tous des porcs. Anouk Grimbert déclare dans Libération « on ne veut plus voir la queue des hommes, ça ne nous intéresse pas ». Parle pour toi !

Comme BB, je suis une féministe joyeuse et victorieuse. Et je dis à toutes ces coupeuses de… têtes : si vous n’aimez pas ça, n’essayez pas d’en dégoûter les autres. Longue vie à notre éternelle sex-symbol !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud radio (99.9FM Paris). 

Giuliano da Empoli: le retour des conquistadors et des Borgia

Giuliano da Empoli, écrivain et conseiller politique italien et suisse, a déjà publié Les ingénieurs du chaos et Le mage du Kremlin. Il nous offre à présent L’heure des prédateurs qui nous plonge dans l’enfer souriant et autiste des seigneurs de la tech, ainsi que dans l’univers impitoyable de certains gouvernants.


Au fil des nouvelles pérégrinations de Giuliano da Empoli à travers le monde, nous découvrons à quelle sauce nous allons être mangés.

Les nouveaux conquistadors

Le narrateur de son dernier livre se présente comme « un scribe aztèque » qui, depuis la victoire des conquistadors, traverse le temps et les pays en prenant des notes. Aujourd’hui, les hommes couverts de métal scintillant au soleil de telle sorte qu’ils furent pris pour des dieux – d’autant qu’ils avaient des armes à feu convaincantes – ne sont plus les soldats de Cortès, mais les seigneurs de la tech.

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« Au cours des trois dernières décennies, les responsables politiques des démocraties occidentales se sont comportés, face aux conquistadors de la tech, exactement comme les Aztèques du XVIème siècle. Confrontés à la foudre et au tonnerre d’Internet, des réseaux sociaux et de l’IA, ils se sont soumis, dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux. » Mais « Les conquistadors de la tech ont décidé de se débarrasser des anciennes élites politiques. » D’abord, ils ont marché avec eux, et le scribe nous raconte le rôle d’Eric Schmidt dans la réélection d’Obama en 2012, puis, ils les ont surplombés en récoltant les dividendes de la complicité ; à savoir le silence des avocats quant au rôle des plateformes dans la vie politique de la nation. Mais, les démocrates seront-ils les seuls à être laissés sur la touche ? Rien n’est moins sûr.

Les nouveaux Borgia

En attendant qu’ils n’en fassent qu’une bouchée, ils peuvent compter sur les nouveaux Borgia. « À l’heure des prédateurs, les borgiens de la planète entière offrent les territoires qu’ils gouvernent comme un laboratoire aux conquistadors numériques, pour qu’ils viennent y déployer leur vision du futur sans s’encombrer de lois et de droits d’un autre âge. MBS construit des enclaves où ne s’appliqueront que les lois de la tech, Bukele a adopté le bitcoin comme monnaie officielle de son pays, Milei envisage de bâtir des centrales nucléaires pour alimenter les serveurs de l’IA. De son côté, Trump a confié des pans entiers de son administration aux accélérationnistes les plus déchaînés de la Valley ». On ne s’encombrera pas non plus de lois et de droits d’un autre âge pour enfermer de hauts dignitaires et de grosses fortunes au Ritz-Carlton comme MBS le fit, afin de soutirer aveux et chèques conséquents en maniant le matériel qui convient. L’État saoudien a récupéré ce faisant plus de « 100 milliards pour financer les projets pharaoniques du jeune prince. » Au Salvador, Bukele n’a pas davantage hésité, pour mettre fin à la criminalité ambiante, à enfermer tous les tatoués du pays (80 000 personnes tout de même) vu que les gangsters sont friands des écritures épidermiques. Bon, il y a bien eu quelques rockers égarés dans le nombre, mais le fait est que la criminalité fut divisée par 10. Il s’agit de frapper fort et vite, bref, de surprendre, voire de sidérer. Pourquoi ? Parce que « Tolstoï montre que la condition du puissant est toujours l’empêchement, car la réalisation de sa volonté dépend de tant d’autres volontés qu’elle en devient pratiquement impossible, de telle sorte que le dernier des fantassins est plus libre que Napoléon ». Raison pour laquelle « l’action résolue du prince constitue l’antidote à ce mal. »

Manière forte et nouveau terrain de jeu

« Les borgiens se concentrent sur le fond, pas sur la forme. Ils promettent de résoudre les vrais problèmes du peuple : la criminalité, l’immigration, le coût de la vie. Et que répondent leurs adversaires, les libéraux, les progressistes, les gentils démocrates ? Règles, démocratie en péril, protection des minorités… » Quant aux conquistadors, ils ont décidé que la compétition changeait désormais de terrain ; celle-ci n’a plus lieu dans un endroit réel avec us et coutumes de chacun, mais dans une sorte de « Somalie digitale » où les seules règles sont celles des plateformes. D’où l’inversion, dit le scribe : « Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants ».

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Il faut lire, pour saisir l’enjeu, un autre ouvrage1 du même auteur, où la notion de chaos est à comprendre à partir de la physique, et où l’on voit les manœuvres informatiques manipuler les foules et déterminer des votes, en faveur de la manière forte ou, éventuellement, à des fins qui échapperaient à l’utilisateur… Henry Kissinger, en 2015, se rendit à une conférence sur l’IA qui lui fit dire en sortant : « Pour la première fois, la connaissance humaine perd son caractère personnel, les individus se transforment en données, et les données deviennent prépondérantes. L’IA développe une capacité que l’on croyait réservée aux êtres humains. Elle émet des jugements stratégiques sur l’avenir. »

Et ce ne sont pas les deux papes de l’IA, Sam Altman et Demis Hassabis, qui auraient pu à Lisbonne en 2023 le rassurer. Ces deux-là, au profil Asperger prononcé pour l’un et post-humain pour les deux, ont mis KO les plus endurcis. Giuliano da Empoli nous offre là de très belles pages sur la post-humanité, après nous avoir non seulement renseignés, mais aussi divertis avec des portraits de présidents, des descriptions de l’ONU, un style enlevé et des réflexions sur le pouvoir qui valent assurément qu’on s’y penche. Tonique et vertigineux.


L’heure des prédateurs, de Giuliano da Empoli, Éditions Gallimard mars 2025, 160 pages.

L'heure des prédateurs

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Les ingénieurs du chaos

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  1. Les ingénieurs du chaos, de Giuliano da Empoli, folio actuel, mars 2025 ; 1ère édition, février 2023 ↩︎

Élections en Côte d’Ivoire: quand la presse française s’en[mêle]

Alors que la presse française semble avoir pris fait et cause pour Tidjane Thiam (ancien patron du Crédit Suisse), candidat du PDCI-RDA à la présidence de la Côte-d’Ivoire, certains journalistes feraient bien d’ouvrir leur dictionnaire au mot « ingérence ».


Le Ministère de la Justice a pourtant clairement expliqué sa décision : « Monsieur Thiam, qui était ivoirien par sa naissance, de même qu’il a perdu sa nationalité ivoirienne d’origine de façon automatique par l’acquisition de la nationalité française, de même, dans le respect du parallélisme des formes, il a recouvré sa nationalité ivoirienne automatiquement, sans formalité, et ce, depuis sa libération de son allégeance à la nationalité française, le 19 mars 2025. Au total, Tidjane Thiam n’a jamais été apatride ». En clair, Tidjane Thiam n’était plus légalement de nationalité ivoirienne lorsqu’il s’est enrôlé sur les listes électorales, en 2022. Tidjane Thiam a été naturalisé français en 1987. Il a renoncé à cette dernière en 2025. Si son équipe a tenté de convaincre le ministère de la Justice qu’il était né binational, les documents proposés n’ont pas suffi à convaincre les instances décisionnaires.

La décision du Ministère est donc en accord total avec la loi ivoirienne, l’article 35 de la constitution étant parfaitement clair « Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante (40) ans au moins et de soixante-quinze (75) ans au plus. Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne ».

Selon une interprétation stricte de cet article, Tidjane Thiam serait donc automatiquement disqualifié. Pourtant la position du Ministère n’est même pas aussi tranchée : selon lui, la naturalisation française de Tidjane Thiam n’annulerait pas sa filiation, ses deux parents étant ivoiriens. Il aurait simplement dû entamer une procédure de réintégration lorsqu’il a recouvré sa citoyenneté ivoirienne. Ce qui ne semble pas suffisant pour les médias, qui paraissent avoir encore en mémoire les violences des élections de 2000, 2010 et 2020. La presse française, qui reprend souvent sans nuance le narratif du PCDI-RDA pourrait nuire au bon déroulement de l’élection.

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Irresponsabilité médiatique

C’est notamment le cas du Point, qui n’hésite pas à ouvrir l’un de ses articles par une citation de l’agence Bloomfield Investment, qualifiant la Côte-d’Ivoire de « régime hybride oscillant entre autoritarisme et démocratie ». Le Point, pour sa part, s’interroge sur la « judiciosité » « d’écarter ce candidat qui était – il y a quelques jours encore – considéré comme opposant crédible » tout en reconnaissant le bien-fondé de la décision sur le plan juridique. Ce faisant, ils entérinent l’idée que le « judicieux » primerait sur le droit. Une position dangereuse qui pourrait donner des ailes à l’opposition pour une contestation musclée de cette décision de justice.

Or, personne ne veut retourner à l’horreur de 2020, où les affrontements entre partisans du parti au pouvoir et de l’opposition ont fait des dizaines de morts, parfois à la machette, et des centaines de blessés, avec un bilan de 55 morts et 282 blessés selon le Conseil national des Droits de l’Homme.

A quel jeu jouent donc les médias français ? En reprenant le narratif du PCDI-RDA, ils sont aux limites de l’ingérence, et augmentent le risque que la situation, déjà tendue, dégénère, surtout compte tenu du refus de Tidjane Thiam de se retirer au profit d’un autre candidat de son parti. « Il n’y aura pas de plan B, ni de plan C », affirme le PCDI-RDA. Une position qui pourrait ne pas être bien vue par la base militante, que l’entêtement de leur candidat putatif risque de priver de l’élection. 

Il y a quelques années, la presse française reprenait sans discernement les éléments de langage des Russes au Sahel. Aujourd’hui, elle reprend de la même manière ceux de l’opposition ivoirienne avec tous les risques que cela comporte. La posture de la France en Afrique est déjà suffisamment difficile pour que des journalistes sans prudence ni pondération ne compliquent la situation.

Jérémie Assous rend coup pour coup

L’avocat de Gérard Depardieu subit les attaques des féministes et les reproches de ses confrères (et consœurs) depuis sa prestation remarquée dans le procès de l’acteur pour agressions sexuelles. Accusé notamment de machisme et de misogynie, le jeune ténor du barreau explique pourquoi il refuse de faire profil bas.


Dernière minute ! Ce matin au tribunal judiciaire de Paris, Gérard Depardieu a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur deux intermittentes du spectacle lors d’un tournage en 2021 et condamné à 18 mois de prison avec sursis ainsi qu’à deux ans d’inéligibilité (l’acteur a interjeté appel). Quelques jours avant la décision, son avocat Jérémie Assous, dont la défense énergique a été particulièrement remarquée, a répondu à nos questions et assumé sa pugnacité • La rédaction

Causeur. Vous êtes très fort. Pendant le procès Depardieu on a presque plus parlé de vous et de vos méthodes que de votre client. Et vous avez même eu droit, fait inédit dans les annales judiciaires, à une pétition d’avocats contre vous dans Le Monde. Vous en êtes fier ?

Jérémie Assous. Ce qui est très surprenant, c’est qu’aucun journaliste n’ait relevé que les attaques dont je fais l’objet ont pour unique fonction de détourner l’attention du fond de l’affaire. Il n’a pas fallu plus d’une demi-journée d’audience pour qu’il apparaisse à tous que le dossier était absolument inconsistant. Dans une tentative manifeste de diversion, mes contradicteurs ont donc pris le parti d’éluder le fond du dossier, et de déplacer le débat, en s’attaquant à mes prétendues « méthodes ». Méthodes qui sont parfaitement légales, puisqu’elles sont conformes à la déontologie – plus stricte encore que la loi –, comme en atteste l’absence totale d’intervention de la part des représentants de l’Ordre présents à l’audience. Quant à la tribune, j’ai déjà eu l’occasion d’y répondre dans les colonnes du Monde. Je me bornerai à ajouter qu’elle m’a laissé la même impression de vacuité que lorsqu’une personne vous entreprend au sujet d’un livre, ou d’un film… qu’elle n’a pas lu, ni vu.

Pourquoi y avait-il des représentants de l’Ordre ?

Cette mesure a été prise à la demande de la présidence du tribunal judiciaire, qui a eu la lucidité d’anticiper la mauvaise foi des avocates des plaignantes, afin d’éviter toute suspension d’audience le temps qu’un représentant du bâtonnier soit dépêché. Les représentants de l’Ordre avaient pour mission de s’assurer de ce que notre déontologie était, en toutes circonstances, rigoureusement respectée.

Avez-vous, comme l’affirme Le Monde, « lancé des invectives sexistes » à vos consœurs défendant les parties civiles ?

On en vient à se demander s’ils ont jamais assisté à un procès pénal. Ces gens – hommes ou femmes, peu importe – ne tolèrent pas la contradiction. Sitôt que l’on démasque leur imposture ou révèle la faiblesse de leur position, ils s’empressent d’invoquer leur race, leur sexe, leur religion ou leur orientation sexuelle, comme si toute critique à leur encontre ne pouvait qu’être discriminatoire.

Au demeurant, le tribunal, pourtant composé en majorité de femmes, n’a rien trouvé à redire au sujet de mes méthodes.

Ça, on le saura le 13 mai. Il paraît même que vous les avez appelées « mademoiselle » ou « chère amie », insultes bien connues. Ne faut-il pas accepter que les temps ont changé et renoncer aux vieilles formes sexuées ?

Une fois encore, c’est absurde. En tout cas, ce qui constituait une agression sexuelle il y a cinquante ans relève toujours de la même qualification aujourd’hui. Lors du procès, des témoins présentés comme étant à charge se sont révélés être à décharge, leur position au moment des faits, ainsi que leurs constatations respectives, excluant que la moindre infraction ait pu être commise. Comme à chaque fois que leurs positions s’effondrent, les avocates des plaignantes se sont indignées d’un prétendu sexisme et de misogynie pour éviter d’être confrontées aux contradictions béantes entre les accusations portées par leurs clientes, les déclarations de ces dernières, les témoignages censés venir au soutien de ces mensonges, et la réalité.

Votre défense est plus offensive que celle de la plupart de vos confrères dans des affaires similaires. Comment expliquez-vous ce choix disruptif ?

Je ne me prononce jamais sur une affaire pour lequel je n’ai pas reçu de mandat, je laisse cela à ceux en manque de publicité. Ce qui est agressif, c’est d’être accusé à tort, donc condamné à l’exclusion, au bannissement, à la mort sociale, avant même toute décision de justice. Le procès permet de démontrer et d’établir que ces accusations sont inconsistantes, infondées – et c’est la confrontation entre ces mensonges et la vérité qui est frontale, voire violente. Il n’y a, en tout état de cause, aucune raison de faire preuve de ménagement ou de précaution à l’égard de quiconque vous accuse à tort. Encore une fois, ce qui est sidérant, c’est de constater que l’idée même de se défendre est désormais perçue comme une forme d’agression, y compris par les journalistes.

Des militantes du groupe Femen manifestent à Paris pour soutenir les accusations de viol et d’agressions sexuelles contre Gérard Depardieu, 11 janvier 2024 © AP Photo/Christophe Ena/SIPA

Vous avez durant vos plaidoiries fait allusion à une autre affaire visant Gérard Depardieu dont la plaignante a assisté à tout le procès. Cela n’est-il pas risqué ?

Curieuse observation, alors même qu’il n’existe pas un seul article ou papier consacré à l’affaire dite des « Volets verts » qui n’ait rappelé, en parallèle, la mise en examen de Monsieur Depardieu dans le cadre de l’affaire « Arnould ». Ce sont donc les journalistes eux-mêmes qui ont établi le lien entre ces affaires. Les accusations des plaignantes n’ont de cesse de faire référence à l’affaire « Arnould », de même qu’au « Complément d’enquête » portant sur Monsieur Depardieu – dont il a été établi lors du visionnage des rushs le 31 mars dernier qu’il était le fruit d’un montage illicite. Dès le deuxième jour d’audience, les avocates des plaignantes ont évoqué l’affaire « Arnould ». Madame Charlotte Arnould s’est d’ailleurs présentée quotidiennement au tribunal pour assister aux débats – ou pour mieux se précipiter devant chaque micro à sa portée. Les plaignantes n’ayant cessé de se prévaloir de ses déclarations pour tenter de consolider leurs propres accusations, il était essentiel de rappeler au tribunal que Madame Charlotte Arnould a porté des accusations mensongères d’agression sexuelle à l’encontre de six personnes – son propre père, son cousin notamment –, ce qui prive sa parole de toute crédibilité. Je suis donc surpris que vous sembliez considérer que le principe du contradictoire pourrait être appliqué à géométrie variable. C’est tout aussi absurde que la position adoptée par les avocates des plaignantes, refusant que l’on nomme l’une d’entre elles – identifiée publiquement sous le prénom de Sarah –, alors même qu’elle s’exposait volontiers aux caméras des chaînes nationales, aux côtés de Madame Amélie Kyndt, sur le parvis du tribunal, s’offrant ainsi à la vue de millions de téléspectateurs.

Vous voulez qu’on laisse les avocats défendre, alors laissez les journalistes poser des questions, même si elles ne vous plaisent pas ! Mais revenons à la pétition qui était autant dirigée contre le tribunal, accusé de vous laisser faire, que contre vous. Vous observez que l’institution judiciaire est « soumise de tous côtés à des attaques inédites », concluant que « paradoxalement, trumpistes, lepénistes, néoféministes et consorts font ici cause commune ». Cet amalgame hasardeux revient à affirmer que toute critique de la Justice est illégitime par nature.

Il est bien entendu permis de critiquer la Justice, et on ne s’en prive pas. Mais ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est à la tentation de certains groupes – néoféministes, trumpistes, lepénistes ou autres – de se substituer à la Justice. Pour eux, la Justice est uniquement acceptable lorsqu’elle leur semble servir leur « cause » ; elle leur apparaît illégitime dès qu’une décision leur déplaît. Dès lors, de deux choses l’une : soit ces gens font preuve de cohérence, contestent le système judiciaire dans son ensemble, et doivent alors rejeter l’ensemble des décisions qu’il produit ; soit ils s’en accommodent et ne peuvent alors protester contre une décision dès lors que celle-ci heurte leur sensibilité exacerbée par l’idéologie.

En l’occurrence, la critique de Marine Le Pen n’a pas grand-chose à voir avec celle des néoféministes. N’avez-vous pas été choqué, comme l’avocat de la patronne du RN, et comme Antonio di Pietro, l’homme de l’opération Mains propres, par les attendus du tribunal judiciaire de Paris qui reproche à la députée du Pas-de-Calais son « système de défense » (sic) et estime que sa candidature après une condamnation en première instance, serait un trouble à l’ordre public démocratique ? Et si on ajoute le réquisitoire Sarkozy, ne peut-on pas parler d’hubris de certains juges ?

Tout comme les journalistes qui ont commenté cette décision, je n’en ai pas lu les 154 pages. Je ne vous apprends rien, la motivation du juge est souveraine. S’agissant du dossier impliquant Monsieur Sarkozy, je n’en ai pas davantage connaissance. Vues de l’extérieur, ces affaires me paraissent fondamentalement différentes : aucun élément incontestable ne met directement en cause le président Sarkozy. Par ailleurs, l’accusation portée contre lui émane d’un délinquant, d’un menteur, qui fuit la justice française.

Comment va Gérard Depardieu ? Pendant son procès, des manifestations avaient lieu devant le tribunal. Comment a-t-il vécu ces pressions ?

Monsieur Gérard Depardieu va bien, notamment grâce à l’intelligence du tribunal qui a veillé au bon déroulement des débats et su faire respecter la sérénité des audiences, n’hésitant pas à sanctionner tout débordement – comme en témoigne l’expulsion d’Anouk Grinberg dès le deuxième jour. Comme il l’a exprimé lors de sa dernière prise de parole à l’audience, il a beaucoup appris à l’occasion de ce procès. De toute situation, Monsieur Depardieu parvient – avec cette lucidité propre aux esprits libres – à tirer la satisfaction du « gai savoir » ; en toute chose, fût-elle noire ou boueuse, il y a un enseignement, une densité supplémentaire de la vie au contact de laquelle s’épaissir.

Gérard Depardieu nie tout ce dont il est accusé. Mais il n’est pas un premier prix de bonnes manières ni de vertu. Est-il possible que les mêmes gestes et les mêmes mots n’aient absolument pas le même sens pour lui et les plaignantes ?

La loi est la même pour tous. Aucun geste illégal n’ayant été commis, il n’y a donc aucune place à l’interprétation.

Alors que l’opinion dominante (qui s’exprime par le truchement d’associations vengeresses) réclame des têtes et que les médias progressistes ont déjà fait de lui un monstre, pensez-vous qu’un tribunal osera le relaxer ?

Comme toujours, le secret du délibéré demeure l’objet de toutes les spéculations et tous les fantasmes.

Vous conseillez également Gérard Depardieu dans l’affaire de la vidéo tournée dans un haras en Corée du Nord (« Complément d’enquête »). Au lieu de toutes ces arguties procédurales, n’auriez-vous pas mieux fait de rappeler que faire des blagues sexuelles y compris sur des enfants n’est pas illégal ? Où en êtes-vous ?

Contrairement à ce que vous pensez, si on ne démontre pas le caractère absolument fallacieux de la séquence diffusée sur le service public, et reprise par tous les médias, Monsieur Depardieu n’a aucune chance d’être réhabilité socialement. La procédure progresse bien. Après avoir, pendant près de six mois, déployé tous les moyens envisageables afin de ne pas remettre les rushs à l’expert désigné par la cour d’appel de Paris, la société Hikari a été contrainte, par une nouvelle décision de justice, de les communiquer, le 5 mars dernier. Nous avons ainsi pu, le 31 mars, les visionner pour la première fois en présence des parties. Les auteurs du programme en cause ont alors eux-mêmes reconnu qu’il n’y avait aucune image de Monsieur Gérard Depardieu prononçant les phrases litigieuses à l’attention de la jeune fille. Autre fait d’intérêt révélé à l’occasion de cette session : après avoir différé pendant six mois la remise des documents, la société Hikari s’est finalement contentée de transmettre à l’expert non pas l’ensemble des enregistrements originaux – les rushs bruts –, mais des versions soigneusement sélectionnées, et « synchronisées », ayant fait l’objet de modifications… Il a également déjà été établi que le constat de l’huissier mandaté par France Télévisions n’authentifiait en rien la séquence diffusée sur le service public, mais démontrait au contraire qu’elle avait fait l’objet d’un montage fallacieux.

Libération a publié cet été une série d’articles sur « les hommes de la rue du Bac », accusés d’avoir infligé des tortures sexuelles à des enfants dans les années 1980. Il se trouve que l’un de ses hommes est l’avocat François Gibault, qui vous a formé. Que pensez-vous de cette histoire ?

Les méthodes de Libération ont été pulvérisées par la contre-enquête rigoureusement menée par les enfants de Jean-François Revel, publiée par Le Figaro. Libération n’hésite pas à affirmer qu’il dispose de preuves, alors même qu’il n’en a aucune – ce qui ne l’empêche pas de porter de très graves accusations. Du reste, cette série d’articles, signée par Monsieur Willy Le Devin, n’a trouvé aucun écho – personne n’y accorde le moindre crédit. Situation de défiance appelée à s’aggraver avec les actions pénales et en responsabilité engagées contre Monsieur Le Devin à titre personnel, et contre Libération.

Nouvelle-Calédonie, un an après: «C’était terrifiant»

Le 13 mai 2024 marquait le début des émeutes kanak visant la population européenne et contestant la présence française en Nouvelle-Calédonie. Le Dr Alain Destexhe a séjourné sur place pendant trois mois, jusqu’en février 2025. À travers l’exemple du quartier de la Vallée du Tir, à Nouméa, il exprime son inquiétude face à ce qu’il décrit comme une forme de « purification ethnique ».


Le quartier de la Vallée du Tir est l’un des plus anciens de Nouméa. Il s’étend entre la mer et une haute colline menant au sanctuaire de Notre-Dame-du-Pacifique. C’est une zone étroite, longue de quelques kilomètres. Sa partie basse, composée essentiellement d’immeubles modestes et de logements sociaux (HLM), s’articulait autour d’une rue commerçante animée. Plus haut, sur la colline, on trouve des villas peu luxueuses, pour la plupart construites dans les années 1970. Le quartier tire son nom d’un ancien champ de tir, utilisé jusque dans les années 1860 avant d’être progressivement occupé par des agents pénitentiaires du temps du bagne.

Jusqu’aux années 1970, il était quasi exclusivement habité par des Caldoches, avant de connaître de profonds bouleversements. Des communautés wallisiennes et vietnamiennes s’y sont installées, ainsi que de nombreux ouvriers kanak, attirés par l’essor de l’usine de nickel toute proche. Le quartier est ainsi devenu peu à peu un espace multiculturel, avec une vie économique rythmée par de petits commerces, majoritairement tenus par des Wallisiens et des Vietnamiens.

Dans les années 1990 et 2000, la mairie de Nouméa y a fait construire plusieurs centaines de logements sociaux, progressivement occupés par des familles kanak devenues majoritaires. Comme en métropole, les autorités ont cru qu’un développement urbain couplé à des infrastructures sportives et culturelles suffirait à atténuer les tensions sociales. Pourtant, malgré quelques difficultés latentes, la cohabitation restait relativement paisible… jusqu’aux événements de 2024.

Tout a basculé le 13 mai 2024

Ce jour-là, les émeutes éclatent pour protester contre le « dégel du corps électoral ». Des Kanak, principalement issus des logements sociaux, pillent et mettent le feu aux petits commerces tenus par des Wallisiens et des Vietnamiens, épargnant uniquement ceux appartenant aux leurs. Des barrages sont dressés sur les trois voies d’accès de ce quartier enclavé.

La famille Marchand1, établie depuis six générations sur les hauteurs, sera contrainte de fuir. Elle ne correspond en rien à la caricature que les médias européens font parfois des « Caldoches », les présentant comme des nantis. Le père, mécanicien, perd son emploi après que son atelier a été incendié. Il est aujourd’hui au chômage. Son fils, atteint de schizophrénie, ne peut exercer que des emplois adaptés et se retrouve, lui aussi, sans activité. Quant à la grand-mère, âgée de 85 ans — que je soigne à l’hôpital —, elle subit une dégradation brutale de sa santé mentale. Elle ne comprend ni pourquoi elle ne peut plus sortir, ni pourquoi elle doit quitter la maison où elle a toujours vécu.

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« C’était terrifiant », me raconte le père. « Les jeunes hurlaient sur les barrages, personne ne pouvait passer. Il y avait des armes partout. Moi-même, je ne quittais pas mon revolver, même la nuit. On craignait sans cesse une intrusion. Nous sommes restés enfermés deux semaines sans sortir, sans pouvoir nous ravitailler, puis nous avons décidé de partir. »

La famille trouve refuge à la campagne, hébergée pendant quatre mois par des connaissances qu’elle connaît à peine. Une remarquable solidarité s’installe entre Européens, conscients que chacun pouvait devenir la prochaine cible.

En janvier 2025, la grand-mère est de retour chez elle. Mais elle reste confuse. Elle ne comprend toujours pas ce qu’il s’est passé. Son désarroi et sa gentillesse me bouleversent, tout comme le sort de sa famille. Martin, le père, m’explique que leur maison — leur seul bien — a perdu 80 % de sa valeur. Lui et son fils survivent grâce aux allocations chômage. Jusqu’à quand ?

Une zone sinistrée, comme après un conflit

En février, neuf mois après le début des émeutes, la Vallée du Tir ressemble toujours à une zone de guerre. Au centre, la rue principale Edouard Unger, est bordée de magasins pillés, brûlés, calcinés. Certains immeubles portent encore les stigmates des incendies. Des graffitis hostiles à la France recouvrent les murs. Même en plein jour, l’ambiance est sinistre. Seuls deux commerces, sombres et glauques, ont rouvert, contre des dizaines auparavant. Quelques rares individus patibulaires déambulent dans le quartier, et certains me font des gestes menaçants comme je filme depuis ma voiture.

Le centre commercial situé en périphérie, incluant un Super U très fréquenté par les habitants les plus modestes, a été entièrement ravagé. Le toit s’est effondré. On peut y lire : « Nique la France », « La France dehors », « Non au dégel » — en référence au corps électoral figé.

Ironie tragique : ce sont des jeunes du quartier qui ont incendié ce supermarché. Désormais, tous les habitants doivent parcourir plusieurs kilomètres pour se ravitailler. Ils se sont littéralement tiré une balle dans le pied — mais rares sont ceux qui le reconnaissent. Ils parlent d’« événements », jamais d’émeutes ni de pillages. Et beaucoup attendent de la France qu’elle répare les dégâts qu’ils ont eux-mêmes causés.

Le « vivre-ensemble » en miettes

Sur les hauteurs, certaines villas ont également été incendiées, souvent taguées de slogans similaires. On se demande selon quels critères certaines ont été épargnées, d’autres ciblées — sans doute en raison de la couleur de peau ou de l’origine ethnique des propriétaires.

Après de tels événements, et vu l’état actuel du quartier, qui voudrait encore acheter une maison à la Vallée du Tir ? Les Kanak, résidant dans les HLM, continueront d’y vivre. Les Wallisiens, les Vietnamiens et les Européens sont partis s’ils en avaient les moyens. Les autres, ceux qui ne peuvent pas partir, attendent, sans espoir.

Le quartier deviendra quasi exclusivement kanak, à la suite de ce qu’il faut bien appeler une forme de purification ethnique — probablement irréversible. Le « vivre-ensemble » n’y est plus possible. Et il ne le sera sans doute jamais plus.

  1. (Les noms ont été changés) ↩︎

Mortels rodéos: moins de mots, plus d’actes

Samedi matin, un pompier volontaire était projeté sur plusieurs mètres après avoir été délibérément percuté par un jeune « sauvageon » s’adonnant à un rodéo urbain.


Le sergent-chef Scardi est pompier volontaire à Évian (74). Il est marié et a un fils de sept ans. Dans le civil, il est chauffeur routier dans les travaux publics. Pompier volontaire, cela signifie qu’il consacre deux week-ends par mois et deux nuits par semaine pour assurer les gardes, les permanences, et, avant tout, secourir les populations en cas de besoin. Y compris les petits cons qui, plus ou moins bourrés ou shootés, se plantent en auto ou à moto lors d’un de ces désormais stupides rodéos qui pourrissent le quotidien des riverains et mettent en danger des dizaines de vies. À commencer par celles des pseudo-cascadeurs du samedi soir, de ces risque-tout à deux balles et des gogos, des bas-de-plafond qui se précipitent et s’agglutinent en bord de bitume pour – probablement dans l’espoir d’un crash bien saignant – assister au spectacle. Il paraît que le fin du fin serait de toucher de la main les bagnoles en pleine vitesse, en plein drift (dérapage) ! Sans commentaire.

Samedi dernier, vers six heures de matin, ce n’est pas le sauvetage d’un de ces guignols irresponsables qui attend le sergent-chef Scardi, mais une tentative de meurtre contre sa personne. Alors qu’il s’apprête à réintégrer les locaux de sa caserne avec trois de ses collègues après qu’ils sont sortis pour photographier les plaques d’immatriculation de véhicules en folie, le chauffeur d’une Golf le cible délibérément, le percute par derrière à pleine vitesse – attaquer par derrière est comme on le sait la marque d’un indéniable courage ! – La volonté de tuer est manifeste.

La jeune ordure – 19 ans – qui a commis cette tentative de meurtre ne s’en tient pas à cela. Le gars fait demi-tour, revient à l’endroit précis, baisse la vitre du véhicule et crache en direction de la victime, étendue au sol. Entre la vie et la mort, le sapeur-pompier va être transporté à l’hôpital d’Annecy. Pendant que ses camarades de corps s’affairent pour le sauver, le chauffard-assassin reste à proximité, « pour narguer », précise un témoin. Il sera arrêté quelque temps plus tard. Taux d’alcoolémie positif et shoot au protoxyde d’azote. Ce n’est pas un inconnu pour les autorités. Conduite sans permis, sans assurance, sous l’emprise de l’alcool. Et avec ça, dealer, bien sûr. Il a été condamné à dix-huit mois de prison : à la clef – seulement-  six jours d’incarcération suivis d’un aménagement de peine en jours-amendes et sous bracelet électronique. Au résultat pathétique obtenu ce samedi matin, on vérifie une fois encore combien ce genre de sanctions sait être dissuasif. Face de tels actes de barbarie, il serait temps de trouver autre chose.

A lire aussi, Philippe Bilger: La volupté de la transgression ou la douleur de la sanction?

C’est ce que nous servent les ministres concernés, du moins dans leurs déclarations. La veille-même du drame, M. Darmanin, ministre de la Justice, dans la foulée d’un rodéo monstre à Bordeaux (500 véhicules, 3000 badauds-débiles) déclarait, péremptoire : « Les procureurs devront saisir systématiquement les véhicules impliqués dans des rodéos et comme la loi le permet (loi de 2018) les vendre ou les faire détruire avant même le jugement. Stop à l’impunité ! » M. Retailleau, ministre de l’Intérieur, accouru sur place à Évian, établit quant à lui – une fois encore, une fois de plus – le constat que le pays verse dans une insécurité quasi systémique. Il se déclare naturellement « solidaire devant cette tentative d’homicide épouvantable » et met en exergue l’opposition entre « la France qui s’engage et la France qui s’ensauvage ». Il appelle ensuite de ses vœux une révolution de la politique pénale pour les mineurs délinquants.

On attend évidemment les actes. Mais on ne s’empêchera pas de penser que si la loi de 2018 avait été effectivement mise en application dans toute sa rigueur, le sergent-chef Scardi serait rentré tranquillement chez lui retrouver sa femme et son fils ce samedi matin. Et la France qui s’engage aurait une ignoble agression et une victime de moins à déplorer.

Faire les bons constats, c’est très bien, assurément. Mais c’est aussi très insuffisant. Et la France en a sérieusement marre de devoir se contenter de joli discours et d’habiles formules. Nos ministres, nos autorités judiciaires seraient bien inspirés de passer à leur tour au rodéo. Vous savez-celui des westerns où il s’agit de prendre pour de bon le taureau par les cornes. On les attend à cet exercice. Nous sommes tout disposés à applaudir.

La France qui s’engage mérite protection. Et la France qui s’ensauvage mérite, elle, autre chose que des jours-amendes. Ce dispositif qui ne peut dépasser en durée trois cent soixante jours et en montant mille euros. Une petite tape sur la mimime du délinquant dealer qui, dans son business de mort, empoche le double ou le triple en un claquement de doigts.

Télescopage assez navrant : dans le même temps, la mission d’urgence diligentée par l’ex-ministre de la justice Didier Migaud sur la surpopulation carcérale livrait ses conclusions et préconisations. La plus notable : une réduction de peine exceptionnelle générale pour tous les détenus, sauf exceptions. Pour la France qui s’ensauvage, c’est plutôt une bonne nouvelle. Pour celle qui s’engage au service de la nation et des citoyens, ce l’est beaucoup moins, me semble-t-il.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Qui veut se faire l’industrie du porno?

Si des féministes « woke » et certains à gauche se verraient bien interdire le porno (opérant ainsi un virage à 180 degrés par rapport aux années 70), l’industrie du X assure de son côté qu’elle fait des efforts pour se professionnaliser.


Quand on pense au rayonnement économique de la France à l’international, ce n’est pas immédiatement l’industrie pornographique qui nous vient à l’esprit. Les chiffres sont pourtant là. Les deux sites pornos les plus visités au monde (XVideos et XNXX) sont possédés par un Français.

Celui-ci s’efforce de mener une vie discrète, loin des médias qui se font régulièrement pressants pour décrypter ce qui s’apparente véritablement à un empire économique, les flux générés par ces sites étant comparables à ceux d’Amazon. On pourrait aussi citer l’entreprise française Dorcel dont le nom est mondialement connu et qui exporte son activité de production et de diffusion de contenus audiovisuels pour adultes bien au-delà de nos frontières.

L’heure du crime

C’est en 2020 que plusieurs scandales éclatent et font véritablement vaciller l’industrie du porno en France. Je parle bien entendu des sordides affaires dites de « French bukkake » et de « Jacquie et Michel ». Des poids lourds du secteur mais également des personnes y travaillant, producteurs, acteurs et réalisateurs, sont mis en cause dans des faits graves de viols, de traite d’êtres humains et de proxénétisme aggravé. En définitive, ce sont plus d’une cinquantaine de plaignantes qui font entendre leur voix.

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Que s’est-il passé depuis ? En septembre 2023, le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes sort un rapport[1] sans équivoque sur ce qu’il appelle la pornocriminalité. Racisme, misogynie, violences verbales et physiques : l’industrie pornographique serait en réalité une véritable industrie du crime jouissant d’une impunité quasi totale dans la société française. C’est sur ce rapport que s’appuient différents articles de Mediapart qui accusent ouvertement l’industrie pornographique de propager, entre autres, la culture du viol. Dans le dernier en date, on voit également apparaître l’étrange notion de « capitalisme sexuel » ainsi que l’annonce de la parution d’un ouvrage intitulé Sous nos regards aux Éditions du Seuil. Il s’agit du récit des plaignantes, mis en mots par des autrices engagées qui veulent faire entendre la parole de ces femmes présentées comme « celles que tout le monde regarde mais que personne ne veut entendre ». Il n’y a, de fait, aucune raison pour que l’industrie pornographique soit une zone de non-droit et que les personnes qui y travaillent ne puissent pas dénoncer ce qu’elles subissent et faire appel à la justice dès lors que les faits sont pénalement répréhensibles.

L’industrie du porno sur le banc des accusés

Si le bien-fondé de ce recueil ne fait aucun doute, le choix d’une publication, en avril 2025,  quelques semaines avant les procès des faits relatés, ne peut que nous interroger sur les intentions des autrices et de la maison d’édition. Il serait naïf de croire à un simple hasard calendaire alors que la plupart des avocats déconseilleraient de rendre public ce type de témoignage avant que justice ne soit rendue. Si cela est intentionné, cela signifie qu’il y a une volonté d’influencer en amont un jugement judiciaire en mobilisant notamment l’opinion publique. Il y a le risque, aussi, de  confondre des récits, forcément empreints d’émotion et peut-être orientés par le militantisme des autrices, avec des faits avérés, fruits de longues enquêtes judiciaires. Il ne s’agirait alors plus tant de porter la parole des victimes que d’instrumentaliser celle-ci dans le cadre d’un procès qui les dépasse, qui ne serait plus seulement celui de leurs bourreaux mais celui de l’industrie pornographique tout entière.

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Ne soyons pas naïfs : le monde du porno est bien loin d’être irréprochable. L’un des plus gros problèmes, régulièrement pointé du doigt dans le débat public, est son accès aux personnes mineures et les désastreuses conséquences sociétales qui en découlent. Dans ces affaires, il est également évident que les actes relatés, s’ils sont avérés, doivent être jugés et sévèrement punis. Mais il s’agirait cependant de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, au risque de jeter l’opprobre sur tout un secteur alors même qu’au sein de celui-ci s’opèrent déjà des prises de conscience. Depuis 2021, le groupe Dorcel, par exemple, a pris des engagements éthiques et mis en place une charte déontologique[2] prenant davantage en compte la notion de consentement des acteurs et actrices avec notamment des contrats de travail plus détaillés mais également la présence sur les plateaux de « coordinateurs d’intimité » pour éviter la moindre dérive. Là où certains groupuscules, souvent issus de féministes d’ultra-gauche, hurlent « Abolition !», l’industrie du porno répond «  Professionnalisation ». Notons également que les acteurs de ce secteur sont multiples, que les boîtes de production n’ont pas toutes le même fonctionnement et qu’on ne peut donc pas réduire la pornographie française aux deux entreprises mises en cause dans ces affaires.

Ces articles de presse et parutions posent les jalons pour que les procès à venir aient un fort retentissement dans la société française. Après le procès Pelicot, devenu celui de la masculinité toxique, attendons-nous à celui du porno ces prochains mois. Producteurs, acteurs et consommateurs : tous coupables ! Mais de quoi ? La moralité a-t-elle vraiment sa place au sein de nos tribunaux ? A-t-on vraiment envie d’un État, toujours plus intrusif dans l’intimité des gens ? Un État qui, sous prétexte de combattre le vice, le pousserait jusqu’à expliquer aux Français sur quoi il est désormais acceptable de se branler.


[1] Rapport du HCE,  septembre 2023 – https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce-synthese-rapport_pornocriminalite27092023.pdf

[2]  Charte déontologique de la production X, avril 2021 : https://www.calameo.com/read/006296452fe7c343f8dd7

Réponse à la tribune de Delphine Horvilleur sur Gaza

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On ne peut rien comprendre aux réactions d’une partie du monde juif contemporain sans regarder en face un paradoxe aussi ancien que ravageur : celui d’un judaïsme qui rêve de pureté dans un monde qui ne lui a jamais accordé le droit d’exister. Ce n’est pas la peur qui anime certains intellectuels juifs face à la guerre à Gaza. Ce n’est pas la lâcheté non plus. C’est plus insidieux : le désir d’un judaïsme impeccable — un judaïsme aux mains propres, c’est-à-dire sans mains.

Car l’Histoire ne nous enseigne pas qu’on peut vaincre la barbarie par des principes seuls. Le nazisme n’a pas été vaincu par la vertu, mais par la force — au prix de villes allemandes rasées, de millions de civils morts, et d’une Europe en ruines. Le Japon impérial n’a pas capitulé face à des sermons, mais face à une puissance de feu sans précédent. La guerre est cruelle. Mais quelle autre voie aurait permis de rester moral face à l’inhumanité nazie ? Un judaïsme sans mains est un judaïsme mort — tout comme une morale sans courage est une morale vide.

Delphine Horvilleur, dans une tribune récemment publiée, incarne cette tendance avec une éloquence qui fascine autant qu’elle désarme. Face aux bombardements à Gaza, face aux accusations de crimes de guerre, elle choisit de distinguer son judaïsme de celui des autres, de ceux qui soutiennent Israël dans l’épreuve, de ceux qui refusent de se dérober derrière une morale abstraite. Elle écrit comme si le judaïsme devait se laver les mains de tout, pour rester « fidèle à ses principes », même au prix d’un abandon. Mais de quels principes parle-t-on, quand on parle en surplomb de ceux qui vivent dans la terreur des sirènes, des missiles et des tunnels creusés pour tuer leurs enfants ?

Ce que revendique Horvilleur, c’est un judaïsme qui « témoigne » sans se mêler, qui observe sans participer, qui condamne pour se distinguer. Elle oppose une morale désincarnée à la complexité d’une guerre réelle, tragique, dont aucun peuple ne sortira intact. Et ce faisant, elle reproduit un vieux mécanisme : pour être accepté, il faudrait se désolidariser, se purifier, devenir l’exception morale du peuple juif.

Mais cette posture est une illusion — et une trahison.

Car un judaïsme sans solidarité, sans force, sans attachement à la terre, n’est plus qu’un mot creux. Un slogan acceptable pour les salons intellectuels d’Occident, mais totalement inopérant face aux roquettes et aux pogroms. Il ne s’agit pas ici de défendre aveuglément un gouvernement. Il s’agit de rappeler que le droit d’Israël à se défendre est non négociable. Et que le rôle du judaïsme, dans cette heure tragique, n’est pas d’accabler son propre peuple pour sauver son image morale.

Lorsque Delphine Horvilleur parle de « désarroi moral », on l’écoute, car elle parle en poétesse. Mais ce désarroi devient poison quand il se transforme en accusation publique, non pas malgré son judaïsme, mais au nom de celui-ci. Elle semble dire : « Regardez comme je suis juive autrement. » Elle semble vouloir prouver, à chaque phrase, que son judaïsme n’est pas celui qui bombarde, mais celui qui s’indigne. Mais ce judaïsme-là est un luxe de paix. Il n’est d’aucune utilité dans un monde où des enfants juifs doivent être cachés dans des écoles, où l’on tabasse à cause d’un prénom, où l’on tue pour une étoile.

La tradition juive n’enseigne pas la pureté. Elle enseigne la responsabilité. Elle ne dit pas de rester innocents ; elle appelle à agir justement, dans un monde qui ne l’est pas. Et cette justice-là ne consiste pas à accuser Israël avec les mots de ses ennemis — colonialisme, apartheid, génocide — mais à porter la complexité de son histoire, la légitimité de son existence, le droit de ses citoyens à vivre.

Aujourd’hui, certains Juifs croient qu’en condamnant Israël, ils se protègent. Mais ils se trompent. Ce qu’ils obtiennent, ce n’est pas l’estime lucide du monde, mais une admiration convenue, qui flatte l’image morale à laquelle ils aspirent — au prix d’un renforcement sourd, mais violent, de la haine contre Israël. Une haine d’autant plus légitimée qu’elle semble validée par une rabbine censée incarner la spiritualité juive elle-même.

Le combat n’est pas seulement de défendre un État. Il est de défendre le droit du peuple juif à se défendre, à se tenir debout, à ne pas s’excuser d’exister.

Delphine Horvilleur rêve peut-être d’un judaïsme admirable. Mais sans engagement, sans peuple, sans terre, ce judaïsme est un mirage. Et ceux qui s’y réfugient s’aveuglent eux-mêmes.

Il est temps de rappeler que la morale juive n’interdit pas la force — elle l’encadre. Elle ne rejette pas la défense — elle la structure. Elle ne condamne pas l’action — elle l’exige, quand l’existence est menacée. Ce n’est pas un luxe intellectuel. C’est un impératif de survie.

Auschwitz, mon petit chou!

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Marguerite Yourcenar a dit en 1984 : « Une seule chose que je ne pardonne pas à Marguerite Duras : ce titre : Hiroshima mon amour. Hiroshima, j’y suis allée. Effrayant. Comme si, après avoir été à Auschwitz, on écrivait Auschwitz, mon petit chou ! » C’était dans Le Journal du dimanche, du 2 décembre 1984.

Thierry Ardisson a osé déclarer samedi dernier : « Gaza, c’est Auschwitz. Nos petits-enfants nous diront que nous savions et que nous n’avons rien fait. »

La reducio ad Hitlerum dont parlait Leo Strauss dès 1953 bat son plein. Le temps pour atteindre le point Godwin dans une conversation atteint des records. Mieux, le retournement des juifs en nazis est devenu un réflexe.

Non, ce n’était pas Baffie qui maintenant présente ses excuses pour l’ensemble de son œuvre, c’était bien Thierry Ardisson qui d’ailleurs présente aussi ses excuses.

Camélia Jordana, elle, ne tombe pas dans ces travers, mais elle boycotte le Coca et les McDo – qu’elle soupçonne d’être pro-Israël – depuis le 7-Octobre. Or que s’est-il passé ce jour-là ? 1200 personnes dont 37 enfants ont été tuées sur le sol d’Israël par les Gazaouis du Hamas.

Thierry Ardisson a présenté ses excuses à « ses amis juifs » ce dimanche, après avoir comparé Gaza à Auschwitz sur le plateau de « Quelle Epoque » diffusée samedi sur France 2 en différé.

« Suite au bouleversant discours du Dr Pitti, j’ai comparé Gaza à Auschwitz. L’émotion était sans doute trop forte et mon propos exagéré. Je prie mes amis juifs de bien vouloir me pardonner. »

Il est important de savoir que le bon Dr Pitti est avant tout un militant politique proche de Raphaël Glucksmann, le compagnon de Léa Salamé.

« Je rappelle que dans Quelle Époque, j’ai commencé par m’émouvoir du sort réservé, par exemple, à Jérôme Guedj et j’ai rappelé que c’est en 2004, soit dix ans avant que Manuel Valls n’interdise ses spectacles, que j’ai viré Dieudonné en direct de Tout le monde en parle parce qu’il rallumait la mèche de l’antisémitisme. Ma participation à la Marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023, confirmait ma position », a-t-il encore écrit. 

Les propos de l’animateur dans Quelle époque ont notamment fait réagir le président du CRIF, Yonathan Arfi : « Non, Thierry Ardisson, Gaza n’est pas Auschwitz ! La vérité est simple : la Mémoire de la Shoah n’est jamais autant convoquée dans le débat public que par ceux qui veulent la retourner contre les Juifs. Je déplore depuis le 7 octobre la détresse de toutes les populations civiles, israéliennes et palestiniennes. Mais pour quel autre conflit utilise-t-on ces comparaisons avec la Shoah ? Aucune critique d’Israël ne justifie de le nazifier. La situation au Proche-Orient est suffisamment compliquée et difficile pour ne pas avoir besoin de ces confusions coupables. »

Maitre Goldnadel a indiqué qu’il allait saisir l’Arcom contre France 2 : « Thierry Ardisson vient de m’adresser un communiqué dans lequel il demande à ses amis juifs de lui pardonner d’avoir comparé Gaza à Auschwitz. Dont acte. Je constate cependant que sur le plateau de France 2, Léa Salamé n’a pas récusé cette comparaison immonde. Je ne sache pas non plus qu’elle s’en soit excusée. Une fois de plus, je constate que l’audiovisuel public se fait le principal instrument de la détestation d’Israël et le fabricant de l’antisémitisme. Raison pourquoi j’ai décidé de saisir l’Arcom ».

Revenons maintenant sur le cas de la chanteuse Camélia Jordana. Elle n’a pas bu un Coca, à son grand désespoir parce qu’elle adore ça, depuis le 7-Octobre dit-elle. Ce jour-là des jeunes Israéliens pacifiques qui dansaient dans le désert sur de la musique techno et des Israéliens ordinaires qui dormaient dans leur kibboutz furent assassinés. Il s’agissait de l’opération Déluge d’Al-Aqsa qui fut le signal d’un hallali mondial.

Si Camélia avait arrêté le Coca à partir du 22 octobre, date des premiers bombardements de Tsahal annoncés et ciblés, cela aurait pu avoir un sens, mais pourquoi Camélia s’est-elle privée de Coca entre le 7 et le 22 octobre ? C’est étrange, non ? En fait pas du tout. Israël est coupable d’exister. From the river to the sea. Chiche, c’est là le foyer national juif.

Le 7 octobre 2023, Yuval Raphael qui participait au festival de musique Nova en plein air s’est précipité pour se cacher lorsqu’elle a vu les terroristes du Hamas surgir. Elle a trouvé refuge dans le bunker d’un kibboutz voisin avec 50 autres personnes. Les assassins islamistes les ont repérés et ont tiré sur les gens un par un, puis ont jeté une grenade dans le refuge de quatre mètres carré. L’abri est devenu le tombeau d’au moins 40 âmes. Yuval est restée à faire la morte cachée sous les cadavres huit heures durant pendant lesquelles les nazis islamistes sont revenus à 19 reprises pour les arroser de rafales ou lancer des grenades.

Yuval Raphael chantera pendant le prochain Eurovision New Day Will Rise, des éclats d’obus logés dans sa tête et dans sa jambe depuis le 7 octobre, jour où Camélia a arrêté de boire du Coca.

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Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

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Jean Szlamowicz. DR.

Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste. C’est ainsi que derrière une proclamation humaniste relevant de la niaiserie larmoyante, on lit des accusations qu’ont déjà reprises en cœur les adversaires d’Israël. Tel est le cas d’un texte pervers publié dans Tenoua, « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », où Delphine Horvilleur se livre à une exhibition de moralité qui est un pur exercice rhétorique. Son argumentation y sacrifie le raisonnement et la démonstration (logos) au profit de l’émotion (pathos) et de l’exhibition de soi (éthos) : cette articulation du pathos, de l’indignation morale, de la notoriété et de l’argument identitaire (« en tant que juif ») signe un texte mondain, opportuniste, égocentrique.

Mise en scène de la vertu

La déclaration d’amour domine le début de son texte : « C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. » Cette captatio benevolentiae sert de paravent : on peut ensuite dire les pires choses, on se sera protégé par l’affichage d’une bonne intention dont la sincérité est pourtant démentie par le reste du texte. Elle prolonge ensuite cette phrase par une vigoureuse proclamation : « Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

L’épanaphore (« par amour […] par la force […] par la douleur […] par la tragédie »…) sert à accentuer la gravité des propos tout en valorisant le courage de celle qui ose prendre la parole à la suite d’un dilemme moral (« Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole »). La répétition du « je » qui traverse son texte est d’ailleurs manifeste : cette mise en scène de l’émotion personnelle est un argument affectif sans aucune valeur de démonstration factuelle. Elle pose ainsi une supposée « faillite morale » par allusion, sans en établir la réalité. De même, le mot « tragédie » relève du pathos et non de la description. Par le consensus moral qu’il invoque — puisque personne, évidemment, ne serait favorable à une tragédie — il cache la réalité politique : ayant déclenché une guerre d’agression, Gaza en subi les conséquences, comme pour toute attaque ratée.

S’il est bien vrai que toute la région est concernée, ce n’est pas par un « traumatisme » qu’elle endurerait mais du fait de l’agression à laquelle elle participe : les Houthis du Yémen, l’Iran, le Hezbollah au Liban. Mais peut-être faut-il en effet parler de « traumatisme » quand on ne parvient pas à tuer autant de Juifs que prévu. Cette victimisation des agresseurs est tout de même un retournement bien étonnant de la part d’un esprit se voulant aussi fin que Delphine Horvilleur dont la morale semble singulièrement en porte-à-faux avec le réel. Il faudrait sans doute épargner celui qui vient vous tuer et lui laisser la possibilité de recommencer.

Victimisation et réalité politique

Cette volonté de tendre la joue gauche ressemble plutôt à la martyrologie chrétienne qu’au sionisme. Dans le Talmud (Traité Sanhédrin, 72a et b), il est dit : « Si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ! » Mais il faut compléter cela par le devoir d’altruisme qui l’inspire : « Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère en le regardant mourir, alors que tu peux le sauver », commente Rashi pour expliciter « ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19,16) : c’est précisément sauver son prochain que d’empêcher une agression. Plutôt qu’une incantation « pacifiste » comme celle de Delphine Horvilleur, l’interprétation des situations spécifiques qui occupe les talmudistes fonde une réflexion éthique autant que politique de la matérialité des situations, loin de toute abstraction. La survie et la protection de son peuple face à l’ennemi venu l’annihiler est bel et bien un cas exigeant la violence.

On ne saurait en trouver d’illustration plus évidente que l’agression qui s’abat sur Israël depuis toujours, et notamment en 1948, 1967, 1973 et depuis toutes les attaques provenant de Gaza (2008, 2012, 2014, et, bien sûr, le 7 octobre 2023…). Israël ne déclenche pas de guerre. Et Israël ne peut pas perdre de guerre. Et jusqu’à présent, Israël n’était pas autorisé non plus par ses « alliés » américains et européens à gagner de guerre. Delphine Horvilleur ne veut pas qu’Israël gagne une guerre de manière définitive — veut-elle que ses ennemis puissent se ressaisir ? Après tout, telle était la doctrine habituelle : gérer les agressions et, sous la pression des États-Unis et de l’Europe, ne pas éliminer complètement les agresseurs.

A lire aussi, Charles Rojzman: Réponse à la tribune de Delphine Horvilleur sur Gaza

Après avoir changé ses chiffres, le Hamas a finalement dû reconnaitre que 72% des pertes étaient des hommes en âge de combattre et non des femmes et des enfants. Voilà qui ressemble davantage au ratio de victimes civiles le plus faible de l’histoire de la guerre et non à une « faillite morale ». On est plus proche de l’exemplarité que de la honte. Alors même qu’Israël prévient les civils de ses attaques, cible ses frappes et exfiltre les Gazaouis qui le désirent, Delphine Horvilleur choisit d’adopter le narratif victimaire propagé par le Hamas.

L’accumulation de reproches de son texte donne une impression d’évidence incontestable mais cette conglobation repose sur l’abstraction et non sur la factualité : cet empilement d’évitements et de demi-vérités allusives joue un rôle argumentatif insidieux mais dénué de valeur de vérité. L’accusation d’Israël est, en soi, un renversement de culpabilité : si Gaza veut que la guerre s’arrête, il suffit de rendre les otages et de déposer les armes. L’acharnement est bien celui du Hamas. Et en étrillant Israël sans évoquer ces crimes du Hamas, Delphine Horvilleur réalise un retournement moral d’une gravité capitale. Que son texte soit repris sur les réseaux par de nombreux antisionistes et de militants islamo-gauchistes est bien la marque d’un positionnement qui satisfait les ennemis d’Israël.

En formulant l’injonction que « cet État doit […] tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples », elle fait comme si cela n’était pas le cas depuis même avant 1947 (Accords Fayçal-Weizmann, 1919). Comme si Camp David (1978 et 2000), Oslo (1993), Taba (2001), le plan Olmert (2008) n’avaient pas existé. Toutes les propositions faites aux Arabes de Palestine se sont soldées par un rejet (même en leur offrant jusqu’à 94% de la Judée-Samarie…). Bill Clinton lui-même a rappelé le refus d’Arafat d’avoir un État, comme tous les dirigeants palestiniens depuis, car ils réclament non pas un État pour eux-mêmes mais la destruction d’Israël. C’est un point de doctrine qu’a toujours soutenu l’OLP lui-même (le plan en 10 points de 1974 n’envisageait la solution à deux États que comme une étape avant la conquête totale). Soit Delphine Horvilleur est ignorante de cette réalité politique, soit elle fait comme si elle n’existait pas, pour sauvegarder sa belle âme si télégénique.

Pathos et abstraction

Outre la complaisance qui caractérise son style, plus proche des ouvrages de développement personnel que de l’analyse talmudique, le fait de s’exhausser par un lexique abstrait qui donne l’impression de la hauteur philosophique (« amour », « conscience », « âme »…) et de l’émotion (« douleur », « cœur ») permet d’éviter les réalités, politiques, diplomatiques, stratégiques et, tout simplement, guerrières. Concrètement, comment « sauver son âme » face à un milicien gazaoui armée d’une kalachnikov ? Dans cette situation, c’est rendre Israël moralement responsable des turpitudes qu’il subit. Peut-être n’a-t-elle pas vu les vidéos où les mères palestiniennes hurlent de joie quand meurent leurs enfants élevés dans le culte du martyre jihadiste, ni celles où les braves Gazaouis prennent la pose devant des décombres et refont plusieurs prises pour être sûrs que l’émotion passe bien. Elle n’a dû voir que le montage final, à destination de l’Occident et des esprits fragiles.

Penser « au peuple palestinien » semble une obligation déclarative, mais peut-être s’agit-il d’un véritable objectif politique. Auquel cas, il faut rappeler le soutien des civils au Hamas qu’ils ont élu, leur participation au 7-Octobre, leur joie, leur rôle dans la détention des otages. Ces civils qui endossent tantôt une tenue militaire, tantôt un gilet marqué « presse » ou une blouse blanche de médecin pour aller stocker des armes dans des hôpitaux. Leur révolte apparente contre le Hamas n’intervient que dans la défaite, alors que la population, pour sa plus grande majorité, a célébré le 7-Octobre.

Depuis Stéphane Hessel et le pathos de son évocation anti-israélienne[1], « les enfants de Gaza » est devenu un topos antisémite dont les racines sont celles de l’accusation de meurtre rituel. La répétition lancinante du mot « enfant » dans le texte de Delphine Horvilleur est un procédé pathétique qui nie la réalité sociale et politique de Gaza. Peut-être pourrait-elle accuser le Hamas, pointer le conditionnement mortifère qu’il inflige à sa population, plutôt que de se tourner vers Israël ? Ou s’étonner de ces mères qui ne cessent de proclamer leur désir de voir leurs enfants devenir des shaheed, des martyres capables de tuer des Juifs. Mosab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, ne cesse de décrire ce culte de la mort, cette haine du Juif, théologique autant que culturelle, qui a été inculquée à tous les enfants de Gaza qui apprennent dès leur plus jeune âge à égorger des Juifs et à manipuler des armes. Même l’Union européenne, qui fermait les yeux avec tellement d’intensité sur l’utilisation des financements qu’elle octroyait à l’UNRWA, vient de voter pour un gel des financements des écoles de l’UNRWA pour mettre fin à l’éducation à la haine qui a cours à Gaza[2]

Mais Delphine Horvilleur préfère accuser Israël au nom de l’amour qu’elle lui porte : « [mon amour de ce pays] est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. » Habilement, elle reprend l’accusation de génocide sans prononcer le mot, accusation indirecte, informulée et donc d’autant plus perfide. La formulation nominale (« l’annihilation ») et l’article indéfini (« un » peuple) permettent aussi une abstraction commode qui évite de poser des faits.

Le nouveau recours à l’épanaphore conclut sa harangue :

« Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.

Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.

Soutenir ceux qui savent que seul le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.

Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.

Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants. »

Cette litanie anaphorique est une figure d’emphase qui verse dans la grandiloquence. L’épanaphore est une figure tellement visible qu’elle crée un effet hypnotique faisant passer au second plan les contenus propositionnels, ici douteux, qui suivent au bénéfice de la force de conviction qu’elle permet d’afficher. Elle indique, par son ampleur même, la gravité des propos que l’on désire assumer. C’est une figure de tribun, de procureur, d’accusateur public. Mais son réquisitoire exalte simultanément « ceux qui savent », au rang desquels elle se compte, bien entendu. Or, cette emphase n’est pas juste un ornement stylistique. Ici, les procédures d’amplification sont de l’ordre de l’intimidation morale. En systématisant cette hyperbole, ce texte rend impossible la contradiction argumentative : quiconque oserait contredire cette figure d’innocence dont la vertu est si emphatiquement proclamée serait forcément une personne ignoble… Un tel miroir narcissique — « pensez comme moi si vous êtes une bonne personne » — relève d’une démagogie de l’enrôlement.

Le grand retournement

Elle utilise le même pathos manipulateur que naguère Stéphane Hessel (« les enfants »), reprend le vocabulaire antisioniste (« suprémaciste et raciste »), le lexique pacifiste (elle dit « fin des combats » et non « victoire ») et creux (« avenir », « sauver son âme »), voire fallacieux (« affamer des innocents ») dans un propos qui vise à désarmer Israël et à confisquer la démocratie au profit de son camp politique présenté comme incarnant la vertu. C’est une rhétorique ampoulée, pleine de morgue jusque dans sa prétention à l’humilité.

En reprenant les poncifs antisionistes les plus caricaturaux et les plus radicaux, elle semble avoir choisi le créneau discursif du « Juif anti-israélien par amour d’Israël ». Car elle saurait, elle, ce qu’est le vrai Israël. Cela rappelle malheureusement un topos anti-judaïque, celui du supersessionisme comme doctrine du christianisme se pensant comme Verus Israel et condamnant le judaïsme comme une erreur destinale. Les Juifs qui ne pensent pas comme elle seraient alors des imposteurs, des malfaisants, des mauvais Juifs.

Par facilité, on parle souvent de « haine de soi », mais c’est bien l’inverse qui anime certaines personnes, désireuses au contraire de se valoriser au détriment des autres, en exhibant leur vertu, leur supériorité morale et en faisant l’argument de leur gloire. Depuis les descriptions qu’en a fait Vladimir Jankélévitch dans L’aventure, l’ennui, le sérieux, on connait bien ces professionnels de la vertu, mais il reste à comprendre les ressorts des petits boutiquiers du judaïsme officiel, ces élites carriéristes qui se complaisent dans le mépris et décident que la démocratie doit leur ressembler, en toute exclusivité, y compris s’il faut pour cela vendre le renom de leurs frères et apporter des arguments à ses ennemis. Cet orgueil démesuré, hybris narcissique de la vertu se voulant loi, finit alors par trouver sa place dans une typologie des traitres.


[1] « Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.[…] c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vus confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. » (Indignez-vous !, p.17)

[2] « Les contribuables européens ne veulent pas que leur argent soutienne une éducation qui célèbre le terrorisme et prône la haine d’Israël » a conclu le parlement européen en votant massivement sa résolution le 7 mai 2025.

Magistrale BB

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Brigitte Bardot a reçu BFMTV. Mai 2025. Capture d'écran BFM.

Brigitte Bardot s’est confiée avec mélancolie et franc-parler à BFMTV. Elle a bien sûr rappelé son combat pour la cause animale et livré sa vision critique du monde contemporain, sans crainte du jugement. Résultat: les féministes enragent. « Longue vie à notre éternelle sex-symbol ! » lance notre rédactrice en chef dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Brigitte Bardot s’est livrée sur BFMTV. Certaines de ses déclarations font bondir les féministes. Et moi, elles m’enchantent. Sacrée BB. Une femme libre. Non seulement l’actrice défend Nicolas Bedos et Gérard Depardieu (le jugement de ce dernier était attendu ce matin), mais elle tire à boulets rouges sur la plus sacrée des vaches sacrées : le féminisme.

Le féminisme, c’est pas mon truc. Moi j’aime les mecs ! lance la star
– On peut aimer les mecs et être féministe, rétorque le journaliste.
– Non !

Stricto sensu, Brigitte Bardot a tort. Je suis féministe et j’aime les hommes (enfin, certains hommes). Elle aussi, sans le savoir ; mais féministe à l’ancienne, c’est-à-dire universaliste -une féministe qui prône l’égalité des sexes. Bien sûr, cette égalité n’est jamais réalisée complètement, comme la démocratie. Mais, dans nos sociétés c’est la norme. Une égalité juridique, politique et sociale. Personne n’oserait plus faire dire à un de ses personnages dans un film : « Alors, ta bourgeoise, tu lui claques le beignet ?» (Ça, c’était Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol). La société ne tolère plus qu’un homme claque le beignet de sa bourgeoise. La révolution féministe a réussi. C’est même (avec les bas-jarretières, vous savez ceux qui tiennent tout seuls) le plus bel héritage du XXème siècle.

A lire aussi: Jérémie Assous rend coup pour coup

Mais pourquoi ces déclarations m’enchantent-elles ?

BB dit la vérité sur ce que le féminisme est devenu – bien avant MeToo d’ailleurs (on appelait déjà cela le néo-féminisme) :

  • Un mouvement pleurnichard et victimaire qui ne voit jamais les progrès accomplis. Des mauvaises gagnantes (comme l’a dit joliment Alain Finkielkraut) qui ont besoin de ranimer un patriarcat évanoui pour exister. À les entendre, la France est pire que l’Iran et l’Afghanistan où le sort des femmes ne les soucie guère (Manon Aubry est très fière de distribuer des pilules abortives en Pologne, que ne le fait-elle en Algérie ?)
  • Ces néoféministes ne veulent pas la justice mais la revanche. À notre tour de dominer, à votre tour d’en baver.
  • Derrière tous leurs discours, tous leurs actes ou derrière leurs commissions McCarthy se cache une haine de la sexualité en général, de la sexualité masculine en particulier et singulièrement de l’homme blanc hétéro. Elles détestent la séduction, la drague, les jeux de l’amour et du hasard transformés en VSS – violences sexistes et sexuelles. Le procès de Mazan est ainsi devenu celui des hommes. Tous des violeurs. Tous des porcs. Anouk Grimbert déclare dans Libération « on ne veut plus voir la queue des hommes, ça ne nous intéresse pas ». Parle pour toi !

Comme BB, je suis une féministe joyeuse et victorieuse. Et je dis à toutes ces coupeuses de… têtes : si vous n’aimez pas ça, n’essayez pas d’en dégoûter les autres. Longue vie à notre éternelle sex-symbol !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud radio (99.9FM Paris). 

Giuliano da Empoli: le retour des conquistadors et des Borgia

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Giuliano da Empoli en 2023 © SOPA Images/SIPA

Giuliano da Empoli, écrivain et conseiller politique italien et suisse, a déjà publié Les ingénieurs du chaos et Le mage du Kremlin. Il nous offre à présent L’heure des prédateurs qui nous plonge dans l’enfer souriant et autiste des seigneurs de la tech, ainsi que dans l’univers impitoyable de certains gouvernants.


Au fil des nouvelles pérégrinations de Giuliano da Empoli à travers le monde, nous découvrons à quelle sauce nous allons être mangés.

Les nouveaux conquistadors

Le narrateur de son dernier livre se présente comme « un scribe aztèque » qui, depuis la victoire des conquistadors, traverse le temps et les pays en prenant des notes. Aujourd’hui, les hommes couverts de métal scintillant au soleil de telle sorte qu’ils furent pris pour des dieux – d’autant qu’ils avaient des armes à feu convaincantes – ne sont plus les soldats de Cortès, mais les seigneurs de la tech.

À lire aussi : Joseph Macé-Scaron: terreur dans le terroir

« Au cours des trois dernières décennies, les responsables politiques des démocraties occidentales se sont comportés, face aux conquistadors de la tech, exactement comme les Aztèques du XVIème siècle. Confrontés à la foudre et au tonnerre d’Internet, des réseaux sociaux et de l’IA, ils se sont soumis, dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux. » Mais « Les conquistadors de la tech ont décidé de se débarrasser des anciennes élites politiques. » D’abord, ils ont marché avec eux, et le scribe nous raconte le rôle d’Eric Schmidt dans la réélection d’Obama en 2012, puis, ils les ont surplombés en récoltant les dividendes de la complicité ; à savoir le silence des avocats quant au rôle des plateformes dans la vie politique de la nation. Mais, les démocrates seront-ils les seuls à être laissés sur la touche ? Rien n’est moins sûr.

Les nouveaux Borgia

En attendant qu’ils n’en fassent qu’une bouchée, ils peuvent compter sur les nouveaux Borgia. « À l’heure des prédateurs, les borgiens de la planète entière offrent les territoires qu’ils gouvernent comme un laboratoire aux conquistadors numériques, pour qu’ils viennent y déployer leur vision du futur sans s’encombrer de lois et de droits d’un autre âge. MBS construit des enclaves où ne s’appliqueront que les lois de la tech, Bukele a adopté le bitcoin comme monnaie officielle de son pays, Milei envisage de bâtir des centrales nucléaires pour alimenter les serveurs de l’IA. De son côté, Trump a confié des pans entiers de son administration aux accélérationnistes les plus déchaînés de la Valley ». On ne s’encombrera pas non plus de lois et de droits d’un autre âge pour enfermer de hauts dignitaires et de grosses fortunes au Ritz-Carlton comme MBS le fit, afin de soutirer aveux et chèques conséquents en maniant le matériel qui convient. L’État saoudien a récupéré ce faisant plus de « 100 milliards pour financer les projets pharaoniques du jeune prince. » Au Salvador, Bukele n’a pas davantage hésité, pour mettre fin à la criminalité ambiante, à enfermer tous les tatoués du pays (80 000 personnes tout de même) vu que les gangsters sont friands des écritures épidermiques. Bon, il y a bien eu quelques rockers égarés dans le nombre, mais le fait est que la criminalité fut divisée par 10. Il s’agit de frapper fort et vite, bref, de surprendre, voire de sidérer. Pourquoi ? Parce que « Tolstoï montre que la condition du puissant est toujours l’empêchement, car la réalisation de sa volonté dépend de tant d’autres volontés qu’elle en devient pratiquement impossible, de telle sorte que le dernier des fantassins est plus libre que Napoléon ». Raison pour laquelle « l’action résolue du prince constitue l’antidote à ce mal. »

Manière forte et nouveau terrain de jeu

« Les borgiens se concentrent sur le fond, pas sur la forme. Ils promettent de résoudre les vrais problèmes du peuple : la criminalité, l’immigration, le coût de la vie. Et que répondent leurs adversaires, les libéraux, les progressistes, les gentils démocrates ? Règles, démocratie en péril, protection des minorités… » Quant aux conquistadors, ils ont décidé que la compétition changeait désormais de terrain ; celle-ci n’a plus lieu dans un endroit réel avec us et coutumes de chacun, mais dans une sorte de « Somalie digitale » où les seules règles sont celles des plateformes. D’où l’inversion, dit le scribe : « Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants ».

À lire aussi : Retour sur l’île du père

Il faut lire, pour saisir l’enjeu, un autre ouvrage1 du même auteur, où la notion de chaos est à comprendre à partir de la physique, et où l’on voit les manœuvres informatiques manipuler les foules et déterminer des votes, en faveur de la manière forte ou, éventuellement, à des fins qui échapperaient à l’utilisateur… Henry Kissinger, en 2015, se rendit à une conférence sur l’IA qui lui fit dire en sortant : « Pour la première fois, la connaissance humaine perd son caractère personnel, les individus se transforment en données, et les données deviennent prépondérantes. L’IA développe une capacité que l’on croyait réservée aux êtres humains. Elle émet des jugements stratégiques sur l’avenir. »

Et ce ne sont pas les deux papes de l’IA, Sam Altman et Demis Hassabis, qui auraient pu à Lisbonne en 2023 le rassurer. Ces deux-là, au profil Asperger prononcé pour l’un et post-humain pour les deux, ont mis KO les plus endurcis. Giuliano da Empoli nous offre là de très belles pages sur la post-humanité, après nous avoir non seulement renseignés, mais aussi divertis avec des portraits de présidents, des descriptions de l’ONU, un style enlevé et des réflexions sur le pouvoir qui valent assurément qu’on s’y penche. Tonique et vertigineux.


L’heure des prédateurs, de Giuliano da Empoli, Éditions Gallimard mars 2025, 160 pages.

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Les ingénieurs du chaos

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  1. Les ingénieurs du chaos, de Giuliano da Empoli, folio actuel, mars 2025 ; 1ère édition, février 2023 ↩︎

Élections en Côte d’Ivoire: quand la presse française s’en[mêle]

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Tidjane Thiam, PDG de la banque suisse Credit Suisse, attend avant la conférence de presse des résultats annuels de 2019 à Zurich, en Suisse, le jeudi 13 février 2020 © Ennio Leanza/AP/SIPA

Alors que la presse française semble avoir pris fait et cause pour Tidjane Thiam (ancien patron du Crédit Suisse), candidat du PDCI-RDA à la présidence de la Côte-d’Ivoire, certains journalistes feraient bien d’ouvrir leur dictionnaire au mot « ingérence ».


Le Ministère de la Justice a pourtant clairement expliqué sa décision : « Monsieur Thiam, qui était ivoirien par sa naissance, de même qu’il a perdu sa nationalité ivoirienne d’origine de façon automatique par l’acquisition de la nationalité française, de même, dans le respect du parallélisme des formes, il a recouvré sa nationalité ivoirienne automatiquement, sans formalité, et ce, depuis sa libération de son allégeance à la nationalité française, le 19 mars 2025. Au total, Tidjane Thiam n’a jamais été apatride ». En clair, Tidjane Thiam n’était plus légalement de nationalité ivoirienne lorsqu’il s’est enrôlé sur les listes électorales, en 2022. Tidjane Thiam a été naturalisé français en 1987. Il a renoncé à cette dernière en 2025. Si son équipe a tenté de convaincre le ministère de la Justice qu’il était né binational, les documents proposés n’ont pas suffi à convaincre les instances décisionnaires.

La décision du Ministère est donc en accord total avec la loi ivoirienne, l’article 35 de la constitution étant parfaitement clair « Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante (40) ans au moins et de soixante-quinze (75) ans au plus. Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne ».

Selon une interprétation stricte de cet article, Tidjane Thiam serait donc automatiquement disqualifié. Pourtant la position du Ministère n’est même pas aussi tranchée : selon lui, la naturalisation française de Tidjane Thiam n’annulerait pas sa filiation, ses deux parents étant ivoiriens. Il aurait simplement dû entamer une procédure de réintégration lorsqu’il a recouvré sa citoyenneté ivoirienne. Ce qui ne semble pas suffisant pour les médias, qui paraissent avoir encore en mémoire les violences des élections de 2000, 2010 et 2020. La presse française, qui reprend souvent sans nuance le narratif du PCDI-RDA pourrait nuire au bon déroulement de l’élection.

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Irresponsabilité médiatique

C’est notamment le cas du Point, qui n’hésite pas à ouvrir l’un de ses articles par une citation de l’agence Bloomfield Investment, qualifiant la Côte-d’Ivoire de « régime hybride oscillant entre autoritarisme et démocratie ». Le Point, pour sa part, s’interroge sur la « judiciosité » « d’écarter ce candidat qui était – il y a quelques jours encore – considéré comme opposant crédible » tout en reconnaissant le bien-fondé de la décision sur le plan juridique. Ce faisant, ils entérinent l’idée que le « judicieux » primerait sur le droit. Une position dangereuse qui pourrait donner des ailes à l’opposition pour une contestation musclée de cette décision de justice.

Or, personne ne veut retourner à l’horreur de 2020, où les affrontements entre partisans du parti au pouvoir et de l’opposition ont fait des dizaines de morts, parfois à la machette, et des centaines de blessés, avec un bilan de 55 morts et 282 blessés selon le Conseil national des Droits de l’Homme.

A quel jeu jouent donc les médias français ? En reprenant le narratif du PCDI-RDA, ils sont aux limites de l’ingérence, et augmentent le risque que la situation, déjà tendue, dégénère, surtout compte tenu du refus de Tidjane Thiam de se retirer au profit d’un autre candidat de son parti. « Il n’y aura pas de plan B, ni de plan C », affirme le PCDI-RDA. Une position qui pourrait ne pas être bien vue par la base militante, que l’entêtement de leur candidat putatif risque de priver de l’élection. 

Il y a quelques années, la presse française reprenait sans discernement les éléments de langage des Russes au Sahel. Aujourd’hui, elle reprend de la même manière ceux de l’opposition ivoirienne avec tous les risques que cela comporte. La posture de la France en Afrique est déjà suffisamment difficile pour que des journalistes sans prudence ni pondération ne compliquent la situation.

Jérémie Assous rend coup pour coup

Gérard Depardieu, accompagné de son avocat Jérémie Assous, assiste au troisième jour de son procès à Paris, le 27 mars 2025, pour des accusations de harcèlement et d’agression sexuelle liées au tournage du film Les Volets verts, en 2021 © Gabrielle CEZARD/SIPA

L’avocat de Gérard Depardieu subit les attaques des féministes et les reproches de ses confrères (et consœurs) depuis sa prestation remarquée dans le procès de l’acteur pour agressions sexuelles. Accusé notamment de machisme et de misogynie, le jeune ténor du barreau explique pourquoi il refuse de faire profil bas.


Dernière minute ! Ce matin au tribunal judiciaire de Paris, Gérard Depardieu a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur deux intermittentes du spectacle lors d’un tournage en 2021 et condamné à 18 mois de prison avec sursis ainsi qu’à deux ans d’inéligibilité (l’acteur a interjeté appel). Quelques jours avant la décision, son avocat Jérémie Assous, dont la défense énergique a été particulièrement remarquée, a répondu à nos questions et assumé sa pugnacité • La rédaction

Causeur. Vous êtes très fort. Pendant le procès Depardieu on a presque plus parlé de vous et de vos méthodes que de votre client. Et vous avez même eu droit, fait inédit dans les annales judiciaires, à une pétition d’avocats contre vous dans Le Monde. Vous en êtes fier ?

Jérémie Assous. Ce qui est très surprenant, c’est qu’aucun journaliste n’ait relevé que les attaques dont je fais l’objet ont pour unique fonction de détourner l’attention du fond de l’affaire. Il n’a pas fallu plus d’une demi-journée d’audience pour qu’il apparaisse à tous que le dossier était absolument inconsistant. Dans une tentative manifeste de diversion, mes contradicteurs ont donc pris le parti d’éluder le fond du dossier, et de déplacer le débat, en s’attaquant à mes prétendues « méthodes ». Méthodes qui sont parfaitement légales, puisqu’elles sont conformes à la déontologie – plus stricte encore que la loi –, comme en atteste l’absence totale d’intervention de la part des représentants de l’Ordre présents à l’audience. Quant à la tribune, j’ai déjà eu l’occasion d’y répondre dans les colonnes du Monde. Je me bornerai à ajouter qu’elle m’a laissé la même impression de vacuité que lorsqu’une personne vous entreprend au sujet d’un livre, ou d’un film… qu’elle n’a pas lu, ni vu.

Pourquoi y avait-il des représentants de l’Ordre ?

Cette mesure a été prise à la demande de la présidence du tribunal judiciaire, qui a eu la lucidité d’anticiper la mauvaise foi des avocates des plaignantes, afin d’éviter toute suspension d’audience le temps qu’un représentant du bâtonnier soit dépêché. Les représentants de l’Ordre avaient pour mission de s’assurer de ce que notre déontologie était, en toutes circonstances, rigoureusement respectée.

Avez-vous, comme l’affirme Le Monde, « lancé des invectives sexistes » à vos consœurs défendant les parties civiles ?

On en vient à se demander s’ils ont jamais assisté à un procès pénal. Ces gens – hommes ou femmes, peu importe – ne tolèrent pas la contradiction. Sitôt que l’on démasque leur imposture ou révèle la faiblesse de leur position, ils s’empressent d’invoquer leur race, leur sexe, leur religion ou leur orientation sexuelle, comme si toute critique à leur encontre ne pouvait qu’être discriminatoire.

Au demeurant, le tribunal, pourtant composé en majorité de femmes, n’a rien trouvé à redire au sujet de mes méthodes.

Ça, on le saura le 13 mai. Il paraît même que vous les avez appelées « mademoiselle » ou « chère amie », insultes bien connues. Ne faut-il pas accepter que les temps ont changé et renoncer aux vieilles formes sexuées ?

Une fois encore, c’est absurde. En tout cas, ce qui constituait une agression sexuelle il y a cinquante ans relève toujours de la même qualification aujourd’hui. Lors du procès, des témoins présentés comme étant à charge se sont révélés être à décharge, leur position au moment des faits, ainsi que leurs constatations respectives, excluant que la moindre infraction ait pu être commise. Comme à chaque fois que leurs positions s’effondrent, les avocates des plaignantes se sont indignées d’un prétendu sexisme et de misogynie pour éviter d’être confrontées aux contradictions béantes entre les accusations portées par leurs clientes, les déclarations de ces dernières, les témoignages censés venir au soutien de ces mensonges, et la réalité.

Votre défense est plus offensive que celle de la plupart de vos confrères dans des affaires similaires. Comment expliquez-vous ce choix disruptif ?

Je ne me prononce jamais sur une affaire pour lequel je n’ai pas reçu de mandat, je laisse cela à ceux en manque de publicité. Ce qui est agressif, c’est d’être accusé à tort, donc condamné à l’exclusion, au bannissement, à la mort sociale, avant même toute décision de justice. Le procès permet de démontrer et d’établir que ces accusations sont inconsistantes, infondées – et c’est la confrontation entre ces mensonges et la vérité qui est frontale, voire violente. Il n’y a, en tout état de cause, aucune raison de faire preuve de ménagement ou de précaution à l’égard de quiconque vous accuse à tort. Encore une fois, ce qui est sidérant, c’est de constater que l’idée même de se défendre est désormais perçue comme une forme d’agression, y compris par les journalistes.

Des militantes du groupe Femen manifestent à Paris pour soutenir les accusations de viol et d’agressions sexuelles contre Gérard Depardieu, 11 janvier 2024 © AP Photo/Christophe Ena/SIPA

Vous avez durant vos plaidoiries fait allusion à une autre affaire visant Gérard Depardieu dont la plaignante a assisté à tout le procès. Cela n’est-il pas risqué ?

Curieuse observation, alors même qu’il n’existe pas un seul article ou papier consacré à l’affaire dite des « Volets verts » qui n’ait rappelé, en parallèle, la mise en examen de Monsieur Depardieu dans le cadre de l’affaire « Arnould ». Ce sont donc les journalistes eux-mêmes qui ont établi le lien entre ces affaires. Les accusations des plaignantes n’ont de cesse de faire référence à l’affaire « Arnould », de même qu’au « Complément d’enquête » portant sur Monsieur Depardieu – dont il a été établi lors du visionnage des rushs le 31 mars dernier qu’il était le fruit d’un montage illicite. Dès le deuxième jour d’audience, les avocates des plaignantes ont évoqué l’affaire « Arnould ». Madame Charlotte Arnould s’est d’ailleurs présentée quotidiennement au tribunal pour assister aux débats – ou pour mieux se précipiter devant chaque micro à sa portée. Les plaignantes n’ayant cessé de se prévaloir de ses déclarations pour tenter de consolider leurs propres accusations, il était essentiel de rappeler au tribunal que Madame Charlotte Arnould a porté des accusations mensongères d’agression sexuelle à l’encontre de six personnes – son propre père, son cousin notamment –, ce qui prive sa parole de toute crédibilité. Je suis donc surpris que vous sembliez considérer que le principe du contradictoire pourrait être appliqué à géométrie variable. C’est tout aussi absurde que la position adoptée par les avocates des plaignantes, refusant que l’on nomme l’une d’entre elles – identifiée publiquement sous le prénom de Sarah –, alors même qu’elle s’exposait volontiers aux caméras des chaînes nationales, aux côtés de Madame Amélie Kyndt, sur le parvis du tribunal, s’offrant ainsi à la vue de millions de téléspectateurs.

Vous voulez qu’on laisse les avocats défendre, alors laissez les journalistes poser des questions, même si elles ne vous plaisent pas ! Mais revenons à la pétition qui était autant dirigée contre le tribunal, accusé de vous laisser faire, que contre vous. Vous observez que l’institution judiciaire est « soumise de tous côtés à des attaques inédites », concluant que « paradoxalement, trumpistes, lepénistes, néoféministes et consorts font ici cause commune ». Cet amalgame hasardeux revient à affirmer que toute critique de la Justice est illégitime par nature.

Il est bien entendu permis de critiquer la Justice, et on ne s’en prive pas. Mais ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est à la tentation de certains groupes – néoféministes, trumpistes, lepénistes ou autres – de se substituer à la Justice. Pour eux, la Justice est uniquement acceptable lorsqu’elle leur semble servir leur « cause » ; elle leur apparaît illégitime dès qu’une décision leur déplaît. Dès lors, de deux choses l’une : soit ces gens font preuve de cohérence, contestent le système judiciaire dans son ensemble, et doivent alors rejeter l’ensemble des décisions qu’il produit ; soit ils s’en accommodent et ne peuvent alors protester contre une décision dès lors que celle-ci heurte leur sensibilité exacerbée par l’idéologie.

En l’occurrence, la critique de Marine Le Pen n’a pas grand-chose à voir avec celle des néoféministes. N’avez-vous pas été choqué, comme l’avocat de la patronne du RN, et comme Antonio di Pietro, l’homme de l’opération Mains propres, par les attendus du tribunal judiciaire de Paris qui reproche à la députée du Pas-de-Calais son « système de défense » (sic) et estime que sa candidature après une condamnation en première instance, serait un trouble à l’ordre public démocratique ? Et si on ajoute le réquisitoire Sarkozy, ne peut-on pas parler d’hubris de certains juges ?

Tout comme les journalistes qui ont commenté cette décision, je n’en ai pas lu les 154 pages. Je ne vous apprends rien, la motivation du juge est souveraine. S’agissant du dossier impliquant Monsieur Sarkozy, je n’en ai pas davantage connaissance. Vues de l’extérieur, ces affaires me paraissent fondamentalement différentes : aucun élément incontestable ne met directement en cause le président Sarkozy. Par ailleurs, l’accusation portée contre lui émane d’un délinquant, d’un menteur, qui fuit la justice française.

Comment va Gérard Depardieu ? Pendant son procès, des manifestations avaient lieu devant le tribunal. Comment a-t-il vécu ces pressions ?

Monsieur Gérard Depardieu va bien, notamment grâce à l’intelligence du tribunal qui a veillé au bon déroulement des débats et su faire respecter la sérénité des audiences, n’hésitant pas à sanctionner tout débordement – comme en témoigne l’expulsion d’Anouk Grinberg dès le deuxième jour. Comme il l’a exprimé lors de sa dernière prise de parole à l’audience, il a beaucoup appris à l’occasion de ce procès. De toute situation, Monsieur Depardieu parvient – avec cette lucidité propre aux esprits libres – à tirer la satisfaction du « gai savoir » ; en toute chose, fût-elle noire ou boueuse, il y a un enseignement, une densité supplémentaire de la vie au contact de laquelle s’épaissir.

Gérard Depardieu nie tout ce dont il est accusé. Mais il n’est pas un premier prix de bonnes manières ni de vertu. Est-il possible que les mêmes gestes et les mêmes mots n’aient absolument pas le même sens pour lui et les plaignantes ?

La loi est la même pour tous. Aucun geste illégal n’ayant été commis, il n’y a donc aucune place à l’interprétation.

Alors que l’opinion dominante (qui s’exprime par le truchement d’associations vengeresses) réclame des têtes et que les médias progressistes ont déjà fait de lui un monstre, pensez-vous qu’un tribunal osera le relaxer ?

Comme toujours, le secret du délibéré demeure l’objet de toutes les spéculations et tous les fantasmes.

Vous conseillez également Gérard Depardieu dans l’affaire de la vidéo tournée dans un haras en Corée du Nord (« Complément d’enquête »). Au lieu de toutes ces arguties procédurales, n’auriez-vous pas mieux fait de rappeler que faire des blagues sexuelles y compris sur des enfants n’est pas illégal ? Où en êtes-vous ?

Contrairement à ce que vous pensez, si on ne démontre pas le caractère absolument fallacieux de la séquence diffusée sur le service public, et reprise par tous les médias, Monsieur Depardieu n’a aucune chance d’être réhabilité socialement. La procédure progresse bien. Après avoir, pendant près de six mois, déployé tous les moyens envisageables afin de ne pas remettre les rushs à l’expert désigné par la cour d’appel de Paris, la société Hikari a été contrainte, par une nouvelle décision de justice, de les communiquer, le 5 mars dernier. Nous avons ainsi pu, le 31 mars, les visionner pour la première fois en présence des parties. Les auteurs du programme en cause ont alors eux-mêmes reconnu qu’il n’y avait aucune image de Monsieur Gérard Depardieu prononçant les phrases litigieuses à l’attention de la jeune fille. Autre fait d’intérêt révélé à l’occasion de cette session : après avoir différé pendant six mois la remise des documents, la société Hikari s’est finalement contentée de transmettre à l’expert non pas l’ensemble des enregistrements originaux – les rushs bruts –, mais des versions soigneusement sélectionnées, et « synchronisées », ayant fait l’objet de modifications… Il a également déjà été établi que le constat de l’huissier mandaté par France Télévisions n’authentifiait en rien la séquence diffusée sur le service public, mais démontrait au contraire qu’elle avait fait l’objet d’un montage fallacieux.

Libération a publié cet été une série d’articles sur « les hommes de la rue du Bac », accusés d’avoir infligé des tortures sexuelles à des enfants dans les années 1980. Il se trouve que l’un de ses hommes est l’avocat François Gibault, qui vous a formé. Que pensez-vous de cette histoire ?

Les méthodes de Libération ont été pulvérisées par la contre-enquête rigoureusement menée par les enfants de Jean-François Revel, publiée par Le Figaro. Libération n’hésite pas à affirmer qu’il dispose de preuves, alors même qu’il n’en a aucune – ce qui ne l’empêche pas de porter de très graves accusations. Du reste, cette série d’articles, signée par Monsieur Willy Le Devin, n’a trouvé aucun écho – personne n’y accorde le moindre crédit. Situation de défiance appelée à s’aggraver avec les actions pénales et en responsabilité engagées contre Monsieur Le Devin à titre personnel, et contre Libération.

Nouvelle-Calédonie, un an après: «C’était terrifiant»

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© Alain Destexhe

Le 13 mai 2024 marquait le début des émeutes kanak visant la population européenne et contestant la présence française en Nouvelle-Calédonie. Le Dr Alain Destexhe a séjourné sur place pendant trois mois, jusqu’en février 2025. À travers l’exemple du quartier de la Vallée du Tir, à Nouméa, il exprime son inquiétude face à ce qu’il décrit comme une forme de « purification ethnique ».


Le quartier de la Vallée du Tir est l’un des plus anciens de Nouméa. Il s’étend entre la mer et une haute colline menant au sanctuaire de Notre-Dame-du-Pacifique. C’est une zone étroite, longue de quelques kilomètres. Sa partie basse, composée essentiellement d’immeubles modestes et de logements sociaux (HLM), s’articulait autour d’une rue commerçante animée. Plus haut, sur la colline, on trouve des villas peu luxueuses, pour la plupart construites dans les années 1970. Le quartier tire son nom d’un ancien champ de tir, utilisé jusque dans les années 1860 avant d’être progressivement occupé par des agents pénitentiaires du temps du bagne.

Jusqu’aux années 1970, il était quasi exclusivement habité par des Caldoches, avant de connaître de profonds bouleversements. Des communautés wallisiennes et vietnamiennes s’y sont installées, ainsi que de nombreux ouvriers kanak, attirés par l’essor de l’usine de nickel toute proche. Le quartier est ainsi devenu peu à peu un espace multiculturel, avec une vie économique rythmée par de petits commerces, majoritairement tenus par des Wallisiens et des Vietnamiens.

Dans les années 1990 et 2000, la mairie de Nouméa y a fait construire plusieurs centaines de logements sociaux, progressivement occupés par des familles kanak devenues majoritaires. Comme en métropole, les autorités ont cru qu’un développement urbain couplé à des infrastructures sportives et culturelles suffirait à atténuer les tensions sociales. Pourtant, malgré quelques difficultés latentes, la cohabitation restait relativement paisible… jusqu’aux événements de 2024.

Tout a basculé le 13 mai 2024

Ce jour-là, les émeutes éclatent pour protester contre le « dégel du corps électoral ». Des Kanak, principalement issus des logements sociaux, pillent et mettent le feu aux petits commerces tenus par des Wallisiens et des Vietnamiens, épargnant uniquement ceux appartenant aux leurs. Des barrages sont dressés sur les trois voies d’accès de ce quartier enclavé.

La famille Marchand1, établie depuis six générations sur les hauteurs, sera contrainte de fuir. Elle ne correspond en rien à la caricature que les médias européens font parfois des « Caldoches », les présentant comme des nantis. Le père, mécanicien, perd son emploi après que son atelier a été incendié. Il est aujourd’hui au chômage. Son fils, atteint de schizophrénie, ne peut exercer que des emplois adaptés et se retrouve, lui aussi, sans activité. Quant à la grand-mère, âgée de 85 ans — que je soigne à l’hôpital —, elle subit une dégradation brutale de sa santé mentale. Elle ne comprend ni pourquoi elle ne peut plus sortir, ni pourquoi elle doit quitter la maison où elle a toujours vécu.

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« C’était terrifiant », me raconte le père. « Les jeunes hurlaient sur les barrages, personne ne pouvait passer. Il y avait des armes partout. Moi-même, je ne quittais pas mon revolver, même la nuit. On craignait sans cesse une intrusion. Nous sommes restés enfermés deux semaines sans sortir, sans pouvoir nous ravitailler, puis nous avons décidé de partir. »

La famille trouve refuge à la campagne, hébergée pendant quatre mois par des connaissances qu’elle connaît à peine. Une remarquable solidarité s’installe entre Européens, conscients que chacun pouvait devenir la prochaine cible.

En janvier 2025, la grand-mère est de retour chez elle. Mais elle reste confuse. Elle ne comprend toujours pas ce qu’il s’est passé. Son désarroi et sa gentillesse me bouleversent, tout comme le sort de sa famille. Martin, le père, m’explique que leur maison — leur seul bien — a perdu 80 % de sa valeur. Lui et son fils survivent grâce aux allocations chômage. Jusqu’à quand ?

Une zone sinistrée, comme après un conflit

En février, neuf mois après le début des émeutes, la Vallée du Tir ressemble toujours à une zone de guerre. Au centre, la rue principale Edouard Unger, est bordée de magasins pillés, brûlés, calcinés. Certains immeubles portent encore les stigmates des incendies. Des graffitis hostiles à la France recouvrent les murs. Même en plein jour, l’ambiance est sinistre. Seuls deux commerces, sombres et glauques, ont rouvert, contre des dizaines auparavant. Quelques rares individus patibulaires déambulent dans le quartier, et certains me font des gestes menaçants comme je filme depuis ma voiture.

Le centre commercial situé en périphérie, incluant un Super U très fréquenté par les habitants les plus modestes, a été entièrement ravagé. Le toit s’est effondré. On peut y lire : « Nique la France », « La France dehors », « Non au dégel » — en référence au corps électoral figé.

Ironie tragique : ce sont des jeunes du quartier qui ont incendié ce supermarché. Désormais, tous les habitants doivent parcourir plusieurs kilomètres pour se ravitailler. Ils se sont littéralement tiré une balle dans le pied — mais rares sont ceux qui le reconnaissent. Ils parlent d’« événements », jamais d’émeutes ni de pillages. Et beaucoup attendent de la France qu’elle répare les dégâts qu’ils ont eux-mêmes causés.

Le « vivre-ensemble » en miettes

Sur les hauteurs, certaines villas ont également été incendiées, souvent taguées de slogans similaires. On se demande selon quels critères certaines ont été épargnées, d’autres ciblées — sans doute en raison de la couleur de peau ou de l’origine ethnique des propriétaires.

Après de tels événements, et vu l’état actuel du quartier, qui voudrait encore acheter une maison à la Vallée du Tir ? Les Kanak, résidant dans les HLM, continueront d’y vivre. Les Wallisiens, les Vietnamiens et les Européens sont partis s’ils en avaient les moyens. Les autres, ceux qui ne peuvent pas partir, attendent, sans espoir.

Le quartier deviendra quasi exclusivement kanak, à la suite de ce qu’il faut bien appeler une forme de purification ethnique — probablement irréversible. Le « vivre-ensemble » n’y est plus possible. Et il ne le sera sans doute jamais plus.

  1. (Les noms ont été changés) ↩︎

Mortels rodéos: moins de mots, plus d’actes

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Image d'archives © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Samedi matin, un pompier volontaire était projeté sur plusieurs mètres après avoir été délibérément percuté par un jeune « sauvageon » s’adonnant à un rodéo urbain.


Le sergent-chef Scardi est pompier volontaire à Évian (74). Il est marié et a un fils de sept ans. Dans le civil, il est chauffeur routier dans les travaux publics. Pompier volontaire, cela signifie qu’il consacre deux week-ends par mois et deux nuits par semaine pour assurer les gardes, les permanences, et, avant tout, secourir les populations en cas de besoin. Y compris les petits cons qui, plus ou moins bourrés ou shootés, se plantent en auto ou à moto lors d’un de ces désormais stupides rodéos qui pourrissent le quotidien des riverains et mettent en danger des dizaines de vies. À commencer par celles des pseudo-cascadeurs du samedi soir, de ces risque-tout à deux balles et des gogos, des bas-de-plafond qui se précipitent et s’agglutinent en bord de bitume pour – probablement dans l’espoir d’un crash bien saignant – assister au spectacle. Il paraît que le fin du fin serait de toucher de la main les bagnoles en pleine vitesse, en plein drift (dérapage) ! Sans commentaire.

Samedi dernier, vers six heures de matin, ce n’est pas le sauvetage d’un de ces guignols irresponsables qui attend le sergent-chef Scardi, mais une tentative de meurtre contre sa personne. Alors qu’il s’apprête à réintégrer les locaux de sa caserne avec trois de ses collègues après qu’ils sont sortis pour photographier les plaques d’immatriculation de véhicules en folie, le chauffeur d’une Golf le cible délibérément, le percute par derrière à pleine vitesse – attaquer par derrière est comme on le sait la marque d’un indéniable courage ! – La volonté de tuer est manifeste.

La jeune ordure – 19 ans – qui a commis cette tentative de meurtre ne s’en tient pas à cela. Le gars fait demi-tour, revient à l’endroit précis, baisse la vitre du véhicule et crache en direction de la victime, étendue au sol. Entre la vie et la mort, le sapeur-pompier va être transporté à l’hôpital d’Annecy. Pendant que ses camarades de corps s’affairent pour le sauver, le chauffard-assassin reste à proximité, « pour narguer », précise un témoin. Il sera arrêté quelque temps plus tard. Taux d’alcoolémie positif et shoot au protoxyde d’azote. Ce n’est pas un inconnu pour les autorités. Conduite sans permis, sans assurance, sous l’emprise de l’alcool. Et avec ça, dealer, bien sûr. Il a été condamné à dix-huit mois de prison : à la clef – seulement-  six jours d’incarcération suivis d’un aménagement de peine en jours-amendes et sous bracelet électronique. Au résultat pathétique obtenu ce samedi matin, on vérifie une fois encore combien ce genre de sanctions sait être dissuasif. Face de tels actes de barbarie, il serait temps de trouver autre chose.

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C’est ce que nous servent les ministres concernés, du moins dans leurs déclarations. La veille-même du drame, M. Darmanin, ministre de la Justice, dans la foulée d’un rodéo monstre à Bordeaux (500 véhicules, 3000 badauds-débiles) déclarait, péremptoire : « Les procureurs devront saisir systématiquement les véhicules impliqués dans des rodéos et comme la loi le permet (loi de 2018) les vendre ou les faire détruire avant même le jugement. Stop à l’impunité ! » M. Retailleau, ministre de l’Intérieur, accouru sur place à Évian, établit quant à lui – une fois encore, une fois de plus – le constat que le pays verse dans une insécurité quasi systémique. Il se déclare naturellement « solidaire devant cette tentative d’homicide épouvantable » et met en exergue l’opposition entre « la France qui s’engage et la France qui s’ensauvage ». Il appelle ensuite de ses vœux une révolution de la politique pénale pour les mineurs délinquants.

On attend évidemment les actes. Mais on ne s’empêchera pas de penser que si la loi de 2018 avait été effectivement mise en application dans toute sa rigueur, le sergent-chef Scardi serait rentré tranquillement chez lui retrouver sa femme et son fils ce samedi matin. Et la France qui s’engage aurait une ignoble agression et une victime de moins à déplorer.

Faire les bons constats, c’est très bien, assurément. Mais c’est aussi très insuffisant. Et la France en a sérieusement marre de devoir se contenter de joli discours et d’habiles formules. Nos ministres, nos autorités judiciaires seraient bien inspirés de passer à leur tour au rodéo. Vous savez-celui des westerns où il s’agit de prendre pour de bon le taureau par les cornes. On les attend à cet exercice. Nous sommes tout disposés à applaudir.

La France qui s’engage mérite protection. Et la France qui s’ensauvage mérite, elle, autre chose que des jours-amendes. Ce dispositif qui ne peut dépasser en durée trois cent soixante jours et en montant mille euros. Une petite tape sur la mimime du délinquant dealer qui, dans son business de mort, empoche le double ou le triple en un claquement de doigts.

Télescopage assez navrant : dans le même temps, la mission d’urgence diligentée par l’ex-ministre de la justice Didier Migaud sur la surpopulation carcérale livrait ses conclusions et préconisations. La plus notable : une réduction de peine exceptionnelle générale pour tous les détenus, sauf exceptions. Pour la France qui s’ensauvage, c’est plutôt une bonne nouvelle. Pour celle qui s’engage au service de la nation et des citoyens, ce l’est beaucoup moins, me semble-t-il.

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Qui veut se faire l’industrie du porno?

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L'actrice de films pornographiques française Katsuni, Paris, 2012 © PRM/SIPA

Si des féministes « woke » et certains à gauche se verraient bien interdire le porno (opérant ainsi un virage à 180 degrés par rapport aux années 70), l’industrie du X assure de son côté qu’elle fait des efforts pour se professionnaliser.


Quand on pense au rayonnement économique de la France à l’international, ce n’est pas immédiatement l’industrie pornographique qui nous vient à l’esprit. Les chiffres sont pourtant là. Les deux sites pornos les plus visités au monde (XVideos et XNXX) sont possédés par un Français.

Celui-ci s’efforce de mener une vie discrète, loin des médias qui se font régulièrement pressants pour décrypter ce qui s’apparente véritablement à un empire économique, les flux générés par ces sites étant comparables à ceux d’Amazon. On pourrait aussi citer l’entreprise française Dorcel dont le nom est mondialement connu et qui exporte son activité de production et de diffusion de contenus audiovisuels pour adultes bien au-delà de nos frontières.

L’heure du crime

C’est en 2020 que plusieurs scandales éclatent et font véritablement vaciller l’industrie du porno en France. Je parle bien entendu des sordides affaires dites de « French bukkake » et de « Jacquie et Michel ». Des poids lourds du secteur mais également des personnes y travaillant, producteurs, acteurs et réalisateurs, sont mis en cause dans des faits graves de viols, de traite d’êtres humains et de proxénétisme aggravé. En définitive, ce sont plus d’une cinquantaine de plaignantes qui font entendre leur voix.

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Que s’est-il passé depuis ? En septembre 2023, le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes sort un rapport[1] sans équivoque sur ce qu’il appelle la pornocriminalité. Racisme, misogynie, violences verbales et physiques : l’industrie pornographique serait en réalité une véritable industrie du crime jouissant d’une impunité quasi totale dans la société française. C’est sur ce rapport que s’appuient différents articles de Mediapart qui accusent ouvertement l’industrie pornographique de propager, entre autres, la culture du viol. Dans le dernier en date, on voit également apparaître l’étrange notion de « capitalisme sexuel » ainsi que l’annonce de la parution d’un ouvrage intitulé Sous nos regards aux Éditions du Seuil. Il s’agit du récit des plaignantes, mis en mots par des autrices engagées qui veulent faire entendre la parole de ces femmes présentées comme « celles que tout le monde regarde mais que personne ne veut entendre ». Il n’y a, de fait, aucune raison pour que l’industrie pornographique soit une zone de non-droit et que les personnes qui y travaillent ne puissent pas dénoncer ce qu’elles subissent et faire appel à la justice dès lors que les faits sont pénalement répréhensibles.

L’industrie du porno sur le banc des accusés

Si le bien-fondé de ce recueil ne fait aucun doute, le choix d’une publication, en avril 2025,  quelques semaines avant les procès des faits relatés, ne peut que nous interroger sur les intentions des autrices et de la maison d’édition. Il serait naïf de croire à un simple hasard calendaire alors que la plupart des avocats déconseilleraient de rendre public ce type de témoignage avant que justice ne soit rendue. Si cela est intentionné, cela signifie qu’il y a une volonté d’influencer en amont un jugement judiciaire en mobilisant notamment l’opinion publique. Il y a le risque, aussi, de  confondre des récits, forcément empreints d’émotion et peut-être orientés par le militantisme des autrices, avec des faits avérés, fruits de longues enquêtes judiciaires. Il ne s’agirait alors plus tant de porter la parole des victimes que d’instrumentaliser celle-ci dans le cadre d’un procès qui les dépasse, qui ne serait plus seulement celui de leurs bourreaux mais celui de l’industrie pornographique tout entière.

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Ne soyons pas naïfs : le monde du porno est bien loin d’être irréprochable. L’un des plus gros problèmes, régulièrement pointé du doigt dans le débat public, est son accès aux personnes mineures et les désastreuses conséquences sociétales qui en découlent. Dans ces affaires, il est également évident que les actes relatés, s’ils sont avérés, doivent être jugés et sévèrement punis. Mais il s’agirait cependant de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, au risque de jeter l’opprobre sur tout un secteur alors même qu’au sein de celui-ci s’opèrent déjà des prises de conscience. Depuis 2021, le groupe Dorcel, par exemple, a pris des engagements éthiques et mis en place une charte déontologique[2] prenant davantage en compte la notion de consentement des acteurs et actrices avec notamment des contrats de travail plus détaillés mais également la présence sur les plateaux de « coordinateurs d’intimité » pour éviter la moindre dérive. Là où certains groupuscules, souvent issus de féministes d’ultra-gauche, hurlent « Abolition !», l’industrie du porno répond «  Professionnalisation ». Notons également que les acteurs de ce secteur sont multiples, que les boîtes de production n’ont pas toutes le même fonctionnement et qu’on ne peut donc pas réduire la pornographie française aux deux entreprises mises en cause dans ces affaires.

Ces articles de presse et parutions posent les jalons pour que les procès à venir aient un fort retentissement dans la société française. Après le procès Pelicot, devenu celui de la masculinité toxique, attendons-nous à celui du porno ces prochains mois. Producteurs, acteurs et consommateurs : tous coupables ! Mais de quoi ? La moralité a-t-elle vraiment sa place au sein de nos tribunaux ? A-t-on vraiment envie d’un État, toujours plus intrusif dans l’intimité des gens ? Un État qui, sous prétexte de combattre le vice, le pousserait jusqu’à expliquer aux Français sur quoi il est désormais acceptable de se branler.

Sous nos regards: Récits de la violence pornographique

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[1] Rapport du HCE,  septembre 2023 – https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce-synthese-rapport_pornocriminalite27092023.pdf

[2]  Charte déontologique de la production X, avril 2021 : https://www.calameo.com/read/006296452fe7c343f8dd7

Réponse à la tribune de Delphine Horvilleur sur Gaza

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Delphine Horvilleur © J F Paga

On ne peut rien comprendre aux réactions d’une partie du monde juif contemporain sans regarder en face un paradoxe aussi ancien que ravageur : celui d’un judaïsme qui rêve de pureté dans un monde qui ne lui a jamais accordé le droit d’exister. Ce n’est pas la peur qui anime certains intellectuels juifs face à la guerre à Gaza. Ce n’est pas la lâcheté non plus. C’est plus insidieux : le désir d’un judaïsme impeccable — un judaïsme aux mains propres, c’est-à-dire sans mains.

Car l’Histoire ne nous enseigne pas qu’on peut vaincre la barbarie par des principes seuls. Le nazisme n’a pas été vaincu par la vertu, mais par la force — au prix de villes allemandes rasées, de millions de civils morts, et d’une Europe en ruines. Le Japon impérial n’a pas capitulé face à des sermons, mais face à une puissance de feu sans précédent. La guerre est cruelle. Mais quelle autre voie aurait permis de rester moral face à l’inhumanité nazie ? Un judaïsme sans mains est un judaïsme mort — tout comme une morale sans courage est une morale vide.

Delphine Horvilleur, dans une tribune récemment publiée, incarne cette tendance avec une éloquence qui fascine autant qu’elle désarme. Face aux bombardements à Gaza, face aux accusations de crimes de guerre, elle choisit de distinguer son judaïsme de celui des autres, de ceux qui soutiennent Israël dans l’épreuve, de ceux qui refusent de se dérober derrière une morale abstraite. Elle écrit comme si le judaïsme devait se laver les mains de tout, pour rester « fidèle à ses principes », même au prix d’un abandon. Mais de quels principes parle-t-on, quand on parle en surplomb de ceux qui vivent dans la terreur des sirènes, des missiles et des tunnels creusés pour tuer leurs enfants ?

Ce que revendique Horvilleur, c’est un judaïsme qui « témoigne » sans se mêler, qui observe sans participer, qui condamne pour se distinguer. Elle oppose une morale désincarnée à la complexité d’une guerre réelle, tragique, dont aucun peuple ne sortira intact. Et ce faisant, elle reproduit un vieux mécanisme : pour être accepté, il faudrait se désolidariser, se purifier, devenir l’exception morale du peuple juif.

Mais cette posture est une illusion — et une trahison.

Car un judaïsme sans solidarité, sans force, sans attachement à la terre, n’est plus qu’un mot creux. Un slogan acceptable pour les salons intellectuels d’Occident, mais totalement inopérant face aux roquettes et aux pogroms. Il ne s’agit pas ici de défendre aveuglément un gouvernement. Il s’agit de rappeler que le droit d’Israël à se défendre est non négociable. Et que le rôle du judaïsme, dans cette heure tragique, n’est pas d’accabler son propre peuple pour sauver son image morale.

Lorsque Delphine Horvilleur parle de « désarroi moral », on l’écoute, car elle parle en poétesse. Mais ce désarroi devient poison quand il se transforme en accusation publique, non pas malgré son judaïsme, mais au nom de celui-ci. Elle semble dire : « Regardez comme je suis juive autrement. » Elle semble vouloir prouver, à chaque phrase, que son judaïsme n’est pas celui qui bombarde, mais celui qui s’indigne. Mais ce judaïsme-là est un luxe de paix. Il n’est d’aucune utilité dans un monde où des enfants juifs doivent être cachés dans des écoles, où l’on tabasse à cause d’un prénom, où l’on tue pour une étoile.

La tradition juive n’enseigne pas la pureté. Elle enseigne la responsabilité. Elle ne dit pas de rester innocents ; elle appelle à agir justement, dans un monde qui ne l’est pas. Et cette justice-là ne consiste pas à accuser Israël avec les mots de ses ennemis — colonialisme, apartheid, génocide — mais à porter la complexité de son histoire, la légitimité de son existence, le droit de ses citoyens à vivre.

Aujourd’hui, certains Juifs croient qu’en condamnant Israël, ils se protègent. Mais ils se trompent. Ce qu’ils obtiennent, ce n’est pas l’estime lucide du monde, mais une admiration convenue, qui flatte l’image morale à laquelle ils aspirent — au prix d’un renforcement sourd, mais violent, de la haine contre Israël. Une haine d’autant plus légitimée qu’elle semble validée par une rabbine censée incarner la spiritualité juive elle-même.

Le combat n’est pas seulement de défendre un État. Il est de défendre le droit du peuple juif à se défendre, à se tenir debout, à ne pas s’excuser d’exister.

Delphine Horvilleur rêve peut-être d’un judaïsme admirable. Mais sans engagement, sans peuple, sans terre, ce judaïsme est un mirage. Et ceux qui s’y réfugient s’aveuglent eux-mêmes.

Il est temps de rappeler que la morale juive n’interdit pas la force — elle l’encadre. Elle ne rejette pas la défense — elle la structure. Elle ne condamne pas l’action — elle l’exige, quand l’existence est menacée. Ce n’est pas un luxe intellectuel. C’est un impératif de survie.

Auschwitz, mon petit chou!

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Thierry Ardisson et Camélia Jordana.

Marguerite Yourcenar a dit en 1984 : « Une seule chose que je ne pardonne pas à Marguerite Duras : ce titre : Hiroshima mon amour. Hiroshima, j’y suis allée. Effrayant. Comme si, après avoir été à Auschwitz, on écrivait Auschwitz, mon petit chou ! » C’était dans Le Journal du dimanche, du 2 décembre 1984.

Thierry Ardisson a osé déclarer samedi dernier : « Gaza, c’est Auschwitz. Nos petits-enfants nous diront que nous savions et que nous n’avons rien fait. »

La reducio ad Hitlerum dont parlait Leo Strauss dès 1953 bat son plein. Le temps pour atteindre le point Godwin dans une conversation atteint des records. Mieux, le retournement des juifs en nazis est devenu un réflexe.

Non, ce n’était pas Baffie qui maintenant présente ses excuses pour l’ensemble de son œuvre, c’était bien Thierry Ardisson qui d’ailleurs présente aussi ses excuses.

Camélia Jordana, elle, ne tombe pas dans ces travers, mais elle boycotte le Coca et les McDo – qu’elle soupçonne d’être pro-Israël – depuis le 7-Octobre. Or que s’est-il passé ce jour-là ? 1200 personnes dont 37 enfants ont été tuées sur le sol d’Israël par les Gazaouis du Hamas.

Thierry Ardisson a présenté ses excuses à « ses amis juifs » ce dimanche, après avoir comparé Gaza à Auschwitz sur le plateau de « Quelle Epoque » diffusée samedi sur France 2 en différé.

« Suite au bouleversant discours du Dr Pitti, j’ai comparé Gaza à Auschwitz. L’émotion était sans doute trop forte et mon propos exagéré. Je prie mes amis juifs de bien vouloir me pardonner. »

Il est important de savoir que le bon Dr Pitti est avant tout un militant politique proche de Raphaël Glucksmann, le compagnon de Léa Salamé.

« Je rappelle que dans Quelle Époque, j’ai commencé par m’émouvoir du sort réservé, par exemple, à Jérôme Guedj et j’ai rappelé que c’est en 2004, soit dix ans avant que Manuel Valls n’interdise ses spectacles, que j’ai viré Dieudonné en direct de Tout le monde en parle parce qu’il rallumait la mèche de l’antisémitisme. Ma participation à la Marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023, confirmait ma position », a-t-il encore écrit. 

Les propos de l’animateur dans Quelle époque ont notamment fait réagir le président du CRIF, Yonathan Arfi : « Non, Thierry Ardisson, Gaza n’est pas Auschwitz ! La vérité est simple : la Mémoire de la Shoah n’est jamais autant convoquée dans le débat public que par ceux qui veulent la retourner contre les Juifs. Je déplore depuis le 7 octobre la détresse de toutes les populations civiles, israéliennes et palestiniennes. Mais pour quel autre conflit utilise-t-on ces comparaisons avec la Shoah ? Aucune critique d’Israël ne justifie de le nazifier. La situation au Proche-Orient est suffisamment compliquée et difficile pour ne pas avoir besoin de ces confusions coupables. »

Maitre Goldnadel a indiqué qu’il allait saisir l’Arcom contre France 2 : « Thierry Ardisson vient de m’adresser un communiqué dans lequel il demande à ses amis juifs de lui pardonner d’avoir comparé Gaza à Auschwitz. Dont acte. Je constate cependant que sur le plateau de France 2, Léa Salamé n’a pas récusé cette comparaison immonde. Je ne sache pas non plus qu’elle s’en soit excusée. Une fois de plus, je constate que l’audiovisuel public se fait le principal instrument de la détestation d’Israël et le fabricant de l’antisémitisme. Raison pourquoi j’ai décidé de saisir l’Arcom ».

Revenons maintenant sur le cas de la chanteuse Camélia Jordana. Elle n’a pas bu un Coca, à son grand désespoir parce qu’elle adore ça, depuis le 7-Octobre dit-elle. Ce jour-là des jeunes Israéliens pacifiques qui dansaient dans le désert sur de la musique techno et des Israéliens ordinaires qui dormaient dans leur kibboutz furent assassinés. Il s’agissait de l’opération Déluge d’Al-Aqsa qui fut le signal d’un hallali mondial.

Si Camélia avait arrêté le Coca à partir du 22 octobre, date des premiers bombardements de Tsahal annoncés et ciblés, cela aurait pu avoir un sens, mais pourquoi Camélia s’est-elle privée de Coca entre le 7 et le 22 octobre ? C’est étrange, non ? En fait pas du tout. Israël est coupable d’exister. From the river to the sea. Chiche, c’est là le foyer national juif.

Le 7 octobre 2023, Yuval Raphael qui participait au festival de musique Nova en plein air s’est précipité pour se cacher lorsqu’elle a vu les terroristes du Hamas surgir. Elle a trouvé refuge dans le bunker d’un kibboutz voisin avec 50 autres personnes. Les assassins islamistes les ont repérés et ont tiré sur les gens un par un, puis ont jeté une grenade dans le refuge de quatre mètres carré. L’abri est devenu le tombeau d’au moins 40 âmes. Yuval est restée à faire la morte cachée sous les cadavres huit heures durant pendant lesquelles les nazis islamistes sont revenus à 19 reprises pour les arroser de rafales ou lancer des grenades.

Yuval Raphael chantera pendant le prochain Eurovision New Day Will Rise, des éclats d’obus logés dans sa tête et dans sa jambe depuis le 7 octobre, jour où Camélia a arrêté de boire du Coca.

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