Débordés ou fatigués, les médecins oublient parfois de prendre des pincettes avec leurs patients. J’en ai moi-même fait l’expérience, en tant que médecin. Ça n’arrivera plus.
Quand on est médecin, on ne s’exprime pas toujours comme il faudrait lorsqu’on s’adresse aux patients. Parfois pas assez clairement et ils ont l’impression qu’on tente de les égarer, ou qu’on les prend pour des idiots ; il arrive même qu’on marmonne des expressions étranges suscitant leur étonnement. Parfois trop clairement justement, les patients se sentent malmenés. Toutes les vérités sont bonnes à dire en médecine, il ne faut pas mentir.
« Votre fille est… »
Mais il y a différentes façons de les dire. Je l’ai réalisé à mes dépens lors de mes gardes aux urgences et en particulier cette nuit-là :
Lila, seize ans, accompagnée de son père, était alors admise pour une décompensation acido-cétosique. C’est une complication du diabète. Chez cette jeune fille, cette complication était annonciatrice de son diabète, jusqu’alors inconnu. L’insuline est une hormone naturellement sécrétée par le pancréas. Elle joue un rôle de régulateur en maintenant la glycémie à des valeurs normales. L’insuline permet au glucose (sucre) d’entrer dans les cellules du corps. Le diabète entraîne un défaut de sécrétion d’insuline qui chez elle était devenu si important qu’il avait entraîné ce désordre métabolique grave. Le traitement a donc été débuté sans délai.
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Je leur ai balancé le diagnostic de manière brutale sans ménagement et sans plus d’explication : « Votre fille est diabétique ». L’annonce d’une maladie chronique potentiellement invalidante qui allait changer leurs vies.
Je n’ai pas réfléchi à la violence du coup que je venais de leur porter. Puis, j’ai tourné les talons pour me rendre dans un autre box. Son père m’a rattrapé furieux par le col de la blouse blanche et m’a signifié : «Non mais, un médecin ne devrait pas dire ça comme ça».
Il avait raison. En fait, personne ne devrait parler comme ça, a fortiori un soignant. Même exténué à quatre heures du matin.
Médecins, soignons nos patients
Lorsqu’on est soignant, c’est parfois difficile d’avoir le bon comportement, de dire les bons mots au bon moment. On n’évite pas toujours certains écueils. Il y a des mauvaises nouvelles à annoncer sans tarder alors qu’on n’a pas forcément appris à le faire.
Il y a les soignants trop rapides, surchargés de travail qui déplorent de ne pas avoir assez de temps à accorder aux échanges. Il y a ceux qui ne consentent pas assez d’importance à la discussion alors que c’est une phase déterminante, ils s’en débarrassent, ils la laissent à d’autres.
Si certaines attitudes sont admissibles et admises, d’autres sont impardonnables et la médecine ne protège d’aucun travers de l’humanité, même pas du mépris.
« Vous êtes grosse, c’est normal d’avoir des rougeurs sous les seins… »
Les soignants dépassent alors leur cadre, ils deviennent caustiques voire moralisateurs.
« Vous êtes sûre de ne pas vouloir garder ce bébé ? Vous avez 22 ans, c’est bien d’être une maman jeune ! Et si ça se trouve le papa serait d’accord… »
Avoir la sensation d’être incompris ou jugé n’est décidément pas tolérable pour un malade.
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