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Lycéens de Mantes-la-Jolie: l’opération interpelle aussi le droit

La vidéo d'une interpellation de plusieurs dizaines de lycéens a choqué sur internet


Lycéens de Mantes-la-Jolie: l’opération interpelle aussi le droit
Capture d'écran de la vidéo diffusée par @Obs_Violences sur Twitter

Si l’interpellation de plusieurs dizaines de lycéens filmée à Mantes-la-Jolie, jeudi 6 décembre, est choquante, c’est aussi parce que l’opération qui l’entoure semble aller à l’encontre de la loi.


L’adage selon lequel le diable se niche dans les détails se vérifie toujours. L’affaire des lycéens de Mantes-la-Jolie objets, allô oui, d’une arrestation de masse, pour être entreposés ensuite à genoux et menottés dans le dos pour les uns et mains sur la tête pour les autres agit comme un révélateur.

Le poids des mots, le choc de la vidéo

Une vidéo filmée complaisamment, puis diffusée sur les réseaux, nous permet d’assister à un drôle de spectacle où l’on voit des ados, dans une position humiliante, entourés de CRS en uniforme, qui roulent des mécaniques en jouant les gardes-chiourmes militaires et assortissant leur pantomime de réflexions parfaitement audibles.

Il est fort probable que les promoteurs de ce vilain spectacle, qui doivent probablement se situer à un haut niveau de l’État, poursuivaient un objectif. Celui de montrer que l’État était ferme et qu’il allait mater la populace qui a osé le défier. On retrouve dans la séquence la même haine, la même violence symbolique que celle qu’affichent tous les petits laquais du néolibéralisme macronien quand ils insultent en cadence ces couches populaires qui leur font si peur. Ils seront rejoints dans les commentaires par tous les apeurés qui ne rêvent que d’une chose : qu’on tire dans le tas de ces gueux indociles. Avec, au passage, l’avantage qu’à Mantes-la-Jolie, il doit bien aussi y avoir du basané, et qu’ainsi on va pouvoir faire d’un tir deux coups, en amalgamant gilets jaunes et « racailles ».

Que voyons-nous en effet ? Plus d’une cinquantaine de jeunes garçons à peine sortis de l’enfance dans une position, manifestement inutile, à la fois humiliante et dégradante. La position des enfants et l’attitude des CRS participant de cette volonté de souligner la volonté d’abaisser et de réaffirmer sa force. La violence symbolique est considérable. Gageons que ces images vont faire le tour du monde et provoquer exactement l’effet inverse à celui recherché. Depuis le début de la crise, des gens du pouvoir nous y ont habitué avec leur soutien à cette brutalité autiste et arrogante, qui a nourri la colère et l’a transformée en rage.

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Que nous a-t-on dit ensuite ? Que c’était une opération de police normale, à la suite d’incidents sérieux s’étant déroulés devant un lycée de la ville. On pourrait se poser la question de savoir si cette localisation dans une banlieue difficile, n’a pas joué son rôle dans le choix de cette mise en scène et de sa diffusion. Opération de police normale, sûrement pas, mais peut être nécessaire ? Soit, une opération de prévention et une volonté de prévenir des incidents plus graves pouvait amener à l’organisation d’une nasse et à la mise en garde-à-vue, c’est-à-dire en privation de liberté d’un certain nombre de jeunes se trouvant à proximité. Mais on ne fera croire à personne que tous les membres de la grosse cinquantaine de jeunes arrêtés avaient des responsabilités directes dans les incidents survenus.

Qu’on ait pris à cette occasion quelque liberté avec les règles applicables lors d’une interpellation n’est pas vraiment grave. Mais ce qui s’est passé ensuite l’est totalement. On a réalisé cette opération dans un lieu privé à ciel ouvert visible de partout, dont la vocation violente et humiliante saute aux yeux. C’est non seulement politiquement insupportable, mais a priori gravement illégal.

Ce que dit le droit

Rappelons un peu le cadre juridique dans lequel aurait dû se dérouler tout cela.

Commençons par le Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale qui nous dit, dans son article R. 434-17, relatif à la protection et au respect des personnes privées de liberté : « Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant. »

Certes, le traitement n’a peut-être pas été inhumain mais drôlement dégradant quand même. Les policiers qui auraient organisé cette séquence et permis qu’on la filme auraient donc violé leurs obligations légales et devraient faire l’objet de poursuites et de sanctions disciplinaires. Ainsi, bien sûr, que leurs supérieurs hiérarchiques qui ont laissé faire.

Sur un plan général, ceux qui ont permis la réalisation des images, ceux qui les ont réalisées et ensuite diffusées tombent sous les articles suivants du Code pénal :

l’article 226-2 du Code pénal « qui sanctionne d’1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende le fait de capter, conserver, diffuser ou laisser diffuser l’image d’une personne prise dans un lieu privé sans le consentement de celle-ci ».

l’article 226-1 du même code qui sanctionne « d’1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende le fait de photographier ou filmer sans son consentement, une personne se trouvant dans un lieu privé ou de transmettre l’image ou la vidéo (même sans diffusion) si la personne n’était pas d’accord pour qu’on la photographie ou la filme ».

De plus, l’article 226-8 du Code pénal punit « d’1 an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec l’image d’une personne sans son consentement ».

Il est peu probable que le consentement de tous ces ados repérables et identifiables sur les photos et vidéos ait été recueilli… Quant au caractère du lieu de rétention des interpellés, c’est un jardin privé.

Enfin, l’article 803 du Code de procédure pénale sur la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes prévoit que : « Lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire » est puni.

Le prix du déshonneur 

Eh bien oui, la police détient une parcelle de la violence légitime de l’État, mais à la condition de l’utiliser dans le cadre de sa propre légalité. À défaut, cette violence devient illégitime. Radicalement.

À ce stade, je ne vois pas ce que l’on peut faire d’autre que de demander un ban d’applaudissements pour tous ceux qui ont voulu montrer les petits muscles de leurs petits bras en montant une opération lamentable, symboliquement désastreuse, et en montrant la façon dont ils envisageaient de respecter la loi française.

On gage qu’il y a peu de chances que le ministre de l’Intérieur engage les procédures disciplinaires que justifie cette grossière violation de la loi par ses fonctionnaires. De la même façon, on n’imagine pas Madame Belloubet, garde des Sceaux, se précipiter au parquet de Versailles pour cravacher les membres du parquet pour engager des poursuites qu’exigeraient toutes ces violations de la loi pénale.

Ces gens-là n’entendent pas servir la République, mais soutenir de toutes leurs forces le président. A n’importe quel prix, y compris celui de leur déshonneur.



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