Quoi de commun entre Saul Bellow, Nobel de littérature 1976, et Lou Reed, figure-culte de la scène rock américaine ? Delmore Schwartz (1913-1966). On s’explique.
Salué dès ses débuts par W. H. Auden, T. S. Eliot et Nabokov, Schwartz a servi de modèle au poète Humboldt dont Bellow a décrit les mésaventures drolatiques et terribles dans son roman le plus marquant – Le Don de Humboldt (1975, prix Pulitzer). Bellow avait été l’assistant de Schwartz à l’université de Princeton.
Il fut aussi le dédicataire d’un disque (The Blue Mask, 1981) de Reed – son élève à l’Université de Syracuse, qui écrivait de ce « maître » (sic) qu’il était « le plus grand homme qu’(il ait) jamais rencontré » : « Tu étais un génie. Maudit. »
Quoi d’autre ? Borges le traduit pour la revue argentine Sur ; Philip Roth le lit et l’admire, et Scorsese tentera longtemps, en vain, d’adapter une de ses nouvelles au cinéma.
Né en 1913 à Brooklyn dans la petite bourgeoisie juive d’origine roumaine, Schwartz publie son premier livre à 25 ans : un recueil de nouvelles, In Dreams Begin Responsibilities (Le Monde est un mariage, réédité aujourd’hui sous le titre : Dans les rêves).
C’est un triomphe mais la chute s’ensuit assez vite – à la manière de Scott Fitzgerald et pour des raisons voisines. Schwartz meurt épuisé par l’alcool et les amphétamines dans une chambre d’hôtel (près de Times Square) et la plus grande solitude : « Le monde empoisonné afflue à ma bouche/ Tout comme l’eau dans celle d’un noyé. »
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Jerome Charyn – à propos de Le Monde est un mariage (une des nouvelles qui donnait son titre précédent au recueil) – évoque « une des plus ensorcelantes nouvelles écrites par un Américain, (qui) possède le pouvoir hypnotique d’un poème en prose ». Dès 1960, Alain Bosquet, vigie exemplaire comme toujours, avait lui aussi salué le poète de génie. Et ce fut tout.
Il fallut attendre le début des années 90 pour que Michel Bulteau publie ce même recueil de nouvelles au Rocher et que son traducteur Daniel Bismuth lui consacre un essai biographique (1991) habité et décalé dans la fameuse collection « Les Infréquentables » du même Bulteau – où parut le premier livre de Houellebecq (son essai sur Lovecraft), celui d’Olivier Frébourg sur Nimier, ou de Bulteau himself sur le Baron Corvo, entre autres pépites.
La réédition en poche de ce recueil canonique est une bonne nouvelle. Mention spéciale pour L’enfant est la clef de cette vie, chronique d’une famille juive new-yorkaise de quatre enfants de 1910 à 1945 : soixante pages, UNE merveille. La littérature est une longue patience. On ne vous apprend rien.
Dans les rêves, de Delmore Schwartz. Traduit de l’américain par Daniel Bismuth, préface de Lou Reed, postface de Thierry Clermont, Rivages, 432 pages.
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