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Marlene Dietrich, femme combattante

« Mémoires » de Marlene Dietrich aux éditions Grasset


Marlene Dietrich, femme combattante
Marlene Dietrich en 1957 © MARY EVANS/SIPA

Excédée par les fausses informations colportées par ses biographes, la star Marlene Dietrich se décidait à écrire ses propres mémoires en 1984. Le livre reparait aujourd’hui dans Les Cahiers Rouges.


On la connait pour son interprétation de Lola-Lola dans L’Ange bleu, de Josef von Sternberg, film allemand sorti en 1930, revisitant la lutte entre Eros et Thanatos. Ce fut le début d’une longue collaboration artistique avec le célèbre metteur en scène, qui lui ouvrit les portes d’Hollywood. On sait moins que cette allemande, devenue citoyenne américaine en 1939, contribua à la collecte des bons du Trésor, chanta pour les troupes dans les bases d’Afrique du Nord – notamment la célèbre chanson « Lili Marlene » – et surtout s’engagea dans la deuxième division blindée du général Leclerc.

Ambiguïté sexuelle

Excédée par les fausses informations colportées par ses biographes, Marlene Dietrich se résout à écrire ses mémoires, publiés en France en 1984. Le livre reparait aujourd’hui dans Les Cahiers Rouges. On n’y trouve aucun élément croustillant. Ce n’est pas le genre de Dietrich, élevée dans une famille bourgeoise. Elle est née le 27 décembre 1901 à Berlin. Son père, officier de la police impériale, meurt alors qu’elle est encore une enfant. Sa mère lui donne une éducation stricte. Elle apprend l’anglais et le français, le piano et le violon. Douée, la jeune fille songe à une carrière de concertiste, mais une inflammation du ligament la détourne de cette voie. Elle lit beaucoup, déteste la guerre dont elle perçoit l’écho. Son beau-père est tué sur le champ de bataille, en 1917. Son caractère s’endurcit, la solitude est sa compagne, même si Dieu semble veiller sur sa destinée. Elle se confie sans fard. C’est une femme droite qui déteste le nazisme. Elle chante, joue dans quelques pièces, mais tout cela reste assez vague, elle ne s’étend guère. Le tournant, c’est son rôle dans L’Ange bleu (1930). La route vers le mythe qui fait une longue escale à Hollywood. Un autre rôle en or, celui d’une chanteuse de cabaret – encore – aux côtés du ténébreux Gary Cooper, dans Marocco (1930). Von Sternberg en fait sa muse, n’hésitant pas à la filmer en habits masculins, jouant sur l’ambiguïté sexuelle, lui permettant d’exercer son magnétisme à la fois sur les hommes et les femmes. Malgré le succès, elle reste distante, fumant sa cigarette avec une certaine froideur, le regard ailleurs, comme une mystique happée par un monde inaccessible. La Femme et le Pantin (1935), qui marque la fin de sa collaboration avec von Sternberg, la classe définitivement comme le symbole de la femme fatale, dévoreuse d’hommes. Au détour de son autobiographie, l’actrice, trop pudique, ose cette confidence : « Je n’avais aucune ambition ; d’ailleurs, je n’en avais jamais eu, et c’est peut-être ce qui m’a permis de survivre durant toutes ces années à Hollywood. »

Gabin, Hemingway, Hitchcock, Welles, Piaf, Fritz Lang…

Dietrich fait le portrait de quelques-uns de ses amis intimes. Celui d’Hemingway est émouvant. À propos de son suicide, elle écrit : « Au moment d’appuyer sur la détente, quelque chose de très lointain dans sa mémoire a brusquement ressurgi, s’est brutalement imposé à lui… mais je rationalise trop. Je sais qu’il était profondément malheureux. » Elle évoque Orson Welles qui « révolutionna la prise de vues en contre-plongée. » Elle rappelle qu’il fut le premier à utiliser la caméra à l’épaule. » Celui qui la dirigea dans La Soif du mal (1958) restera toujours « l’enfant prodige » du cinéma. Elle joua dans Le Grand Alibi (1950), réalisé par Alfred Hitchcock qui, « comme tant de génies, (…) n’aimait pas être adulé. » Dietrich rend hommage à Édith Piaf, dont elle fut l’habilleuse au « Versailles », le night-club de New York. Elle dut lui annoncer la mort de Marcel Cerdan, à son réveil. Elle crut qu’elle ne monterait pas sur scène. Mais Piaf maîtrisa son chagrin et chanta même l’Hymne à l’amour. Et puis il y a l’évocation de Jean Gabin, son grand amour. Ce sont de très belles pages qui décrivent un Gabin, homme d’honneur, jaloux, possessif, râleur, engagé volontaire dans les Forces françaises libres, mais également personnalité fragile, aimant se lover dans ses bras, comme un enfant qu’il pouvait être parfois. La photo de couverture du livre réédité parle d’elle-même : l’actrice regarde droit devant, tandis que Gabin baisse la tête et porte ses sacs, la mine renfrognée. Dietrich écrit cependant, avec une pointe de sincérité touchante : « Je l’ai perdu, comme on perd tous ses idéaux, beaucoup plus tard. Une fois rentré en France, je devins pour lui la servante-conseillère qu’on embrasse pour la dernière fois, avec beaucoup d’amour. »

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Après L’Ange des maudits (1952), de Fritz Lang, Marlene Dietrich entame une seconde carrière au music-hall. Pendant plus de vingt-ans, elle se produit sur les scènes du monde entier. En 1960, cette opposante viscérale au nazisme, se rend à Tel Aviv, où elle demande la permission au public de chanter en allemand. Elle chute sur la scène de l’Opéra de Sydney, en 1975. C’est la fin de sa carrière. Elle vit recluse dans un vaste appartement de l’Avenue Montaigne, à Paris. Elle ne reçoit plus personne, hormis Maria, sa fille, et Louis Bozon, animateur de radio. Jeune, elle avait subi sa solitude ; au seuil de la mort, elle l’avait choisie, confessant néanmoins : « Mais il y a des jours et des nuits où la solitude est presque insupportable. » Le temps ne guérit pas ses blessures. La lumière bleue de Paris, un peu plus. Car la lumière de Paris est bleue : « Je ne veux pas dire par là que le ciel est bleu, précise Marlene. Il ne l’est pas ! Mais la lumière est bleue. On ne saurait la comparer à aucune autre lumière du monde occidental. »

« Marlene Dietrich n’est pas une actrice, comme Sarah Bernhardt ; elle est un mythe, comme Phryné. » Signé Malraux. Elle meurt le 6 mai 1992.


Marlene Dietrich, Mémoires, Les Cahiers Rouges, Grasset, 352 pages.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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